REQUETES de la Caisse de Compensation de l'organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce O.R.G.A.N.I.C. et autres, tendant à l'annulation d'un décret du 1er mars 1962 relatif au répertoire des métiers et aux titres d'artisan et de maître artisan ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958, notamment ses articles 34 et 37 ; la loi du 30 août 1947 ; le Code de la sécurité sociale ; le décret du 9 avril 1959 ; la loi du 7 juin 1956 ; ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ; le Code général des impôts ;
CONSIDERANT que les requêtes susvisées de la Caisse de compensation de l'organisation autonome nationale de l'industrie et du commerce, de la Fédération nationale de l'industrie et du commerce, de la Fédération nationale de l'industrie hôtelière de France et outre-mer, du sieur Y..., de la Société "Hôtel de l'Exposition", de la Fédération nationale des transporteurs routiers, du sieur A..., du sieur X... et de la Fédération nationale du bâtiment et des activités annexes, du sieur X... et de la Caisse nationale de retraite des entrepreneurs du bâtiment, du sieur Z... et de la Caisse nationale de retraite des transporteurs routiers, sont dirigées contre le même décret ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par une seule décision ;
Sur la recevabilité des requêtes :
Considérant, d'une part, que le décret attaqué définit les entreprises assujetties à immatriculation au répertoire des métiers et modifie, en conséquence, les conditions d'affiliation aux divers régimes d'allocation-vieillesse des non-salariés ; que, dès lors, les dispositions qu'il édicte font grief et sont de nature à être déférées au juge de l'excès de pouvoir, même si l'exécution de la réforme ainsi réalisée ne pouvait être assurée qu'après l'intervention de dispositions complémentaires ;
Considérant, d'autre part, que les intéressés ne pouvaient saisir la juridiction administrative d'un recours tendant à l'annulation du décret du 1er mars 1962 que dans les deux mois de la publication de ce décret ; que, dès lors, le ministre n'est pas fondé à soutenir que les requêtes seraient irrecevables par le motif qu'elles ont été introduites avant le 15 juillet 1962, date fixée par l'article 39 du décret attaqué pour l'entrée en vigueur de ce dernier ;
Sur la recevabilité des requêtes n° 57.955, 57.956, 57.957, 57.958, 57.959, 57.967, 57.968 et 57.969 :
Considérant que la recevabilité d'un pourvoi - et notamment l'intérêt pour agir qui est l'une des conditions de cette recevabilité - s'apprécient au moment où ledit pourvoi est introduit ; que, dès lors, la circonstance qu'un décret ultérieur en date du 6 juillet 1963 a, en application des dispositions de l'article 2 du décret du 1er mars 1962, exclu, à titre temporaire, pour une durée de 3 ans, les professions de l'hôtellerie et des transports routiers du champ d'application du décret du 1er mars 1962 est, en tout état de cause, sans influence sur la recevabilité des requêtes susvisées ;
Sur la recevabilité de la requête du sieur X... :
Considérant que le sieur X..., entrepreneur de charpente et de menuiserie, dont l'activité entraîne l'inscription au répertoire des métiers en application du décret du 1er mars 1962, a intérêt à l'annulation dudit décret, même s'il était déjà soumis à l'inscription au registre des métiers avant l'intervention dudit décret ; Sur l'intervention de la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale :
Considérant que la Caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale a intérêt au maintien du décret attaqué ; qu'ainsi son intervention est recevable ;
Sur l'intervention de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises :
Considérant que la confédération générale des petites et moyennes entreprises a intérêt à l'annulation du décret attaqué ; qu'ainsi syn intervention est recevable ;
Sur la légalité du décret attaqué ;
Sur l'article 5 du décret :
Considérant que l'article 5 du décret attaqué dispose que le ministre de l'Industrie établit, par référence à la nomenclature des activités économiques approuvée par le décret n° 59-534 du 9 avril 1959, la liste des activité économiques susceptibles de donner lieu à immatriculation au répertoire des métiers ; qu'il résulte des termes mêmes de l'article 5 susrappelé que ledit article ne donne pas délégation au ministre de l'Industrie pour modifier par arrêté la nomenclature susrappelée du 9 avril 1959 ; qu'ainsi le moyen tiré par les requérants de ce que le ministre ne pouvait légalement recevoir une délégation de cette nature ne peut être retenu ;
Sur les autres dispositions du décret :
Considérant qu'aux termes de l'article 34 de la constitution, la loi, d'une part fixe les règles concernant ..., la création de nouveaux ordres de juridictions ... l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ..., d'autre part détermine les principes fondamentaux des obligations civiles et commerciales, du droit du travail ... de la sécurité sociale ... ;
En ce qui concerne les dispositions du chapitre 1er relatives aux règles d'immatriculation au répertoire des métiers :
Considérant qu'en fixant de nouvelles règles, d'une part, pour l'immatriculation des entreprises au répertoire des métiers, lesquelles ne dispensent pas de l'inscription éventuelle au registre du commerce, d'autre part pour le fonctionnement dudit répertoire ainsi que pour la délivrance du titre d'artisan et de maître artisan, le gouvernement n'a méconnu aucun des principes fondamentaux ci-dessus rappelés ;
En ce qui concerne les dispositions de l'article 36 prévoyant les remboursements et les rémunérations que les chambres de métiers pourront demander aux entreprises assujetties à l'immatriculation en raison de l'accomplissement de formalités imposées :
Considérant que, si la création d'une imposition figure au nombre des matières réservées à la loi par l'article 34 de la Constitution, l'institution de remboursements et de rémunérations pouvant être demandés à des usagers d'un service public et qui sont la contrepartie directe des prestations fournies par ce service, ressortit de la compétence du pouvoir réglementaire ; qu'il suit de là que le moyen tiré de l'incompétence du pouvoir réglementaire ne saurait être retenu ;
En ce qui concerne les dispositions du chapitre IV instituant des commissions du répertoire des métiers, des commissions des qualifications et une commission nationale des métiers :
Considérant que l'article 20 du décret attaqué institue dans chaque ressort de chambre de métiers une commission du répertoire des métiers, compétente pour décider des immatriculations, des radiations, des mentions audit répertoire, à l'exception de celles concernant les titre d'artisan ou de maître artisan ; que l'article 21 du même décret institue une commission des qualifications compétente pour statuer sur les demandes relatives à l'attribution ou au retrait, à l'inscription ou à la radiation du titre d'artisan ou de maître artisan ; qu'aux termes de l'article 23, les décisions desdites commissions peuvent être soumises pour confirmation ou révision à une commission nationale des métiers ;
Considérant que les commissions dont s'agit n'ont pas, lorsqu'elles prennent une décision dans les matières énoncées aux articles 20 et 21 du décret, et quelles que soient les formes dans lesquelles interviennent lesdites décisions, le caractère d'une juridiction ;
Considérant que la compétence attribuée à la commission du répertoire des métiers pour prendre des décisions de caractère administratif relatives à l'immatriculation au répertoire des métiers des entreprises visées à l'article 1er du décret ne porte nullement atteinte à la compétence de la commission prévue à l'article L. 191 du code de la sécurité sociale, laquelle est une juridiction et statue sur les différends auxquels l'application des législations de sécurité sociale donne lieu ;
Considérant que, si l'article 11 du décret prévoit que seront déchus de la qualité d'artisan ou de maître artisan les chefs d'entreprise qui. auront encouru une des condamnations visées à l'article 1er de la loi du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions commerciales et industrielles et si, d'après l'article 22 du même décret, la commission des qualifications est compétente pour statuer notamment sur la déchéance de la qualité d'artisan, les décisions de déchéance prises par la commission des qualifications à la suite d'une condamnation pénale prononcée dans les conditions susrappelées, ne constituent pas des décisions de caractère juridictionnel ;
Considérant, en revanche, que les articles 21, 22 et 23 du décret attaqué attribuent compétence aux commissions des qualifications et à la commission nationale des métiers pour prononcer la déchéance temporaire ou définitive prévue à l'article 11 de la qualité d'artisan ou de maître artisan des chefs d'entreprise qui, en manquant de façon réitérée et non fortuite à leurs devoirs vis-à-vis de la clientèle, auront porté préjudice à la réputation de leur titre ;
Considérant qu'en chargeant lesdites commissions de prononcer une sanction, les auteurs du décret attaqué ont institué un nouvel ordre de juridictions, dont la création relève, en vertu de l'article 34 de la Constitution, du domaine de la loi ; que, par suite, les requérants sont fondés à demander l'annulation des articles 21, 22 et 23 du décret attaqué, en tant que ces articles donnent compétence aux commissions des qualifications et à la commission nationale des métiers pour prononcer, en vertu de l'article 11, 3e alinéa, du même décret, la déchéance de la qualité d'artisan ou de martre artisan ;
En ce qui concerne les dispositions du chapitre VII relatives à l'affiliation à l'organisation d'assurance-vieillesse des professions artisanales ;
Sans qu'il soit besoin d'examiner le moyen tiré du défaut de consultation des organisations professionnelles :
Considérant que la loi du 17 janvier 1948, dont les dispositions ont été reprises au livre VIII du code de la sécurité sociale, a institué un régime d'allocation vieillesse pour les professions non-salariées ; que l'article L. 644 de ce code précise que le service des allocations est assuré pour chaque groupe professionnel par une organisation, autonome ; que l'article L. 645 institue une organisation autonome pour chaque groupe professionnel, dont celui des professions artisanales et celui des professions industrielles et commerciales ; que l'article L. 646, dans sa rédaction en vigueur au moment où est intervenu le décret attaqué, définit les professions artisanales comme celles groupant toutes les personnes dont l'activité professionnelle comporte l'inscription au registre des métiers ; que la détermination du champ d'application de chacune de ces organisations autonomes, lesquelles assurent respectivement aux intéressés des prestations calculées selon des modalités différentes, est au nombre des principes fondamentaux de la Sécurité sociale et, à ce titre, relève de la compétence législative ;
Considérant que l'article 28 du décret attaqué dispose : pour l'application du livre VIII du code de la sécurité sociale, les chefs ou gérants non salariés des entreprises assujetties à l'immatriculation au répertoire des métiers ainsi que leurs associés sont affiliés à l'organisation d'assurance-vieillesse des professions artisanales ; qu'il résulte de cette disposition que, compte tenu des nouvelles règles d'immatriculation au répertoire des métiers fixées à l'article 1er du décret attaqué, tout chef d'une entreprise assujettie à immatriculation audit répertoire est affilié à l'organisation d'assurance-vieillesse artisanale ; qu'un tel système, du fait de l'extension de la définition de l'entreprise assujettie à immatriculation, a pour nécessaire conséquence, à l'expiration de la période transitoire de 4 ans prévue à l'article 30 du décret précité, le transfert à l'organisation autonome des professions artisanales d'un certain nombre d'affiliés relevant, en vertu des critères définis au livre VIII du code susmentionné, de l'organisation autonome des professions industrielles et commerciales ; qu'en outre, l'article 34 du décret institue une redevance que la caisse nationale de l'organisation vieillesse des professions artisanales devra, le cas échéant, payer à l'organisation vieillesse des professions industrielles et commerciales, ou inversement, pour tenir compte des modifications que l'application du décret aurait apportées aux données de l'équilibre financier de l'un et de l'autre régime ;
Considérant que les mesures ainsi édictées par les articles 28 et suivants du décret modifient profondément le champ d'application des organisations autonomes d'allocation vieillesse respectivement applicables aux professions artisanales et aux professions industrielles et commerciales ; qu'elles portent ainsi atteinte à un principe fondamental de la sécurité sociale et ne pouvaient pas légalement être prises par décret ; qu'il y a lieu, dans ces conditions, d'annuler l'ensemble des dispositions du chapitre VII du décret du 1er mars 1962 relatives aux régimes d'assurance vieillesse ; ... interventions de la caisse autonome nationale de compensation de l'assurance vieillesse artisanale et de la confédération générale des petites et moyennes entreprises admises ; ... Annulation des articles 21, 22 et 23 du décret du ter mars 1962, en tant qu'ils chargent les commissions des qualifications et la commission nationale des métiers de statuer sur la déchéance de la qualité d'artisan et de maître artisan, en vertu du 3e alinéa de l'article 11 du décret précité ; annulation du chapitre VII du décret susvisé ; rejet du surplus ; dépens mis à la charge de l'Etat .