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26/01/1923 | FRANCE | N°62529

France | France, Conseil d'État, 26 janvier 1923, 62529


Vu la requête présentée pour le sieur de Robert X..., demeurant à Tananarive Madagascar , ladite requête enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 30 décembre 1916 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler en tous les chefs qui lui font grief, l'arrêté en date du 16 juin 1914 par lequel le Conseil du contentieux administratif de la Colonie de Madagascar et dépendances, lui a alloué une indemnité qu'il estime insuffisante à raison de la rupture du contrat d'engagement intervenu entre la Colonie et lui ; Vu les décrets des 5 août 1881, 7 septembre

1881 et 12 novembre 1902 ; Vu le décret du 22 juillet 1806 ;...

Vu la requête présentée pour le sieur de Robert X..., demeurant à Tananarive Madagascar , ladite requête enregistrée au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 30 décembre 1916 et tendant à ce qu'il plaise au Conseil annuler en tous les chefs qui lui font grief, l'arrêté en date du 16 juin 1914 par lequel le Conseil du contentieux administratif de la Colonie de Madagascar et dépendances, lui a alloué une indemnité qu'il estime insuffisante à raison de la rupture du contrat d'engagement intervenu entre la Colonie et lui ; Vu les décrets des 5 août 1881, 7 septembre 1881 et 12 novembre 1902 ; Vu le décret du 22 juillet 1806 ; Vu la loi du 24 mai 1872 ; Vu les articles 1153 et 1154 du Code civil ;
Considérant que le sieur de Robert-Lafrégeyre demande au Conseil d'Etat de lui allouer, pour la rupture du contrat qui le liait à la Colonie de Madagascar, une indemnité plus élevée que celle que lui a accordée l'arrêté attaqué ; que cette colonie conclut au rejet de la requête, et, par la voie du recours incident, à la réformation dudit arrêté, en tant qu'il l'a condamnée à payer au sieur de Robert-Lafrégeyre des dommages-intérêts qu'elle estime ne pas lui être dus, ainsi qu'à la condamnation du sieur de Robert-Lafrégeyre à lui rembourser la somme de 5.903 francs 33 payée en vertu de la décision du Conseil du Contentieux administratif ; qu'enfin le sieur de Robert-Lafrégeyre a opposé au recours incident une fin de non-recevoir tirée de l'acquiescement qu'aurait donné la Colonie à l'arrêté qu'elle critique aujourd"hui devant le Conseil d'Etat ;
Sur la compétence : Considérant que, eu égard au caractère des fonctions de direction auxquelles le sieur de Robert-Lafrégeyre a été appelé par arrêté du Gouverneur général de la Colonie de Madagascar, les difficultés soulevées entre la Colonie et le requérant touchant les droits résultant pour ce dernier du contrat qui le liait à la Colonie sont de celles sur lesquelles il appartient à la juridiction administrative de statuer, et que, s'agissant de fonctions publiques coloniales, le Conseil du Contentieux administratif de Madagascar était compétent pour en connaître ;
Sur la recevabilité du recours incident : Considérant qu'aux termes de l'article 3 du décret du 22 juillet 1806 et de l'article 24 de la loi du 24 mai 1872, le recours devant le Conseil d'Etat n'est pas suspensif ; qu'en conséquence, le fait, par la colonie de Madagascar, d'avoir acquitté sans réserves tout ou partie des condamnations prononcées par le Conseil du Contentieux administratif ne saurait être regardé comme un acte d'exécution volontaire ; que, même si la Colonie a consenti la prolongation du délai fixé par l'arrêté attaqué pour l'embarquement comportant gratuité de transport du requérant, cette mesure, qui ne constitue un acquiescement à aucun chef dudit arrêté, n'est pas davantage de nature à faire obstacle à la recevabilité du recours incident ;
Au fond, sur les conclusions tant du recours principal que du recours incident : Considérant qu'il résulte de la correspondance échangée fin 1905 et en 1906 entre le représentant légal de la Colonie et le sieur de Robert-Lafrégeyre que ce dernier a accepté de se mettre à la disposition de la Colonie pour exercer, aux conditions de traitement, de durée de séjour et de congé à lui proposées par la Colonie, non pas une fonction déterminée, mais d'une manière générale une fonction de direction afférente à l'exploitation du Chemin de fer ; qu'il a été, en conséquence de cet accord, nommé, aux conditions convenues, par arrêté du Gouverneur général du 8 juillet 1906, chef des services de l'exploitation de ce chemin de fer, puis, dans les mêmes formes, à la suite de la division, par voie réglementaire, des services de l'exploitation du chemin de fer, chef de l'un de ces services qui a été successivement le service de l'exploitation mouvement et trafic , le service de l'exploitation trafic , enfin le service de l'exploitation commerciale ;
Considérant que, par arrêté réglementaire du Gouverneur général de Madagascar en date du 24 décembre 1913, réorganisant les services de l'exploitation du chemin de fer de Tananarive à la côte est, l'administration du chemin de fer a été divisée en six services distincts, parmi lesquels celui de la recette principale, dont l'ensemble était placé sous les ordres d'un fonctionnaire du cadre général des Travaux publics, portant le titre de chef des services de l'exploitation, et qu'à la suite de cette réorganisation, un arrêté du Gouverneur général du 7 janvier 1914 a nommé le sieur de Robert-Lafrégeyre receveur principal du chemin de fer ;
Considérant que, d'une part, le sieur de Robert-Lafrégeyre n'est pas recevable à se plaindre de la suppression de l'emploi de chef du service de l'exploitation commerciale qui est résultée implicitement de la réforme introduite, ainsi qu'il vient d'être dit, dans l'organisation du chemin de fer, et que le Gouverneur général avait le droit de réaliser ; que, d'autre part, la nomination du requérant aux fonctions de chef du service de la recette principale n'a pas été faite en violation des engagements pris par la Colonie à son égard ; qu'en effet, la fonction à laquelle il a été ainsi appelé constituait une fonction de direction de la nature de celles dans lesquelles la Colonie s'était engagée à utiliser ses services ; qu'il n'est même pas allégué que le traitement que le requérant devait recevoir en sa nouvelle qualité fût inférieur à celui qu'il avait stipulé dans son contrat, et qu'il n'est pas, au surplus, établi que la Colonie ne lui eût pas maintenu le traitement dont il jouissait avant le 7 janvier 1914, s'il avait accepté le poste auquel il a été nommé à cette date ; que, dès lors, le sieur de Robert-Lafrégeyre n'est pas fondé à prétendre que la Colonie de Madagascar n'a pas rempli toutes les obligations dont elle était tenue envers lui ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède qu'en refusant le poste qui lui était offert, le sieur de Robert-Lafrégeyre a, tout à la fois, renoncé à son emploi et rompu l'engagement qui le liait à la Colonie ; que, par suite, il ne peut réclamer aucune indemnité, qu'il y a lieu, en conséquence, faisant droit au recours incident, d'annuler l'arrêté attaqué et de décider que le sieur de Robert X... remboursera à la Colonie de Madagascar la somme de 5.903 francs 33 que celle-ci justifie lui avoir payé en exécution dudit arrêté ;
Sur les intérêts et les intérêts des intérêts : Considérant que la Colonie a payé sans y être contrainte la somme de 5.903 francs 33 ; que, dès lors, les intérêts de cette somme doivent courir à son profit à partir du 25 avril 1918, date du recours incident ; qu'il y a lieu, en outre, par application de l'article 1154 du Code civil de faire droit aux demandes des intérêts des intérêts qu'elle a présentées les 26 mars 1920 et 11 août 1921, et de rejeter les conclusions tendant aux mêmes fins présentées le 8 décembre 1921, une année entière ne s'étant pas écoulée depuis la dernière capitalisation des intérêts ;
Sur les dépens de première instance : Considérant que les dépens exposés devant le Conseil du Contentieux administratif doivent être supportés par le sieur de Robert-Lafrégeyre qui succombe devant le Conseil d'Etat ;
DECIDE : Article 1er : La requête susvisée du sieur de Robert-Lafrégeyre est rejetée. Article 2 : L'arrêté susvisé, en date du 16 juin 1914, du Conseil du Contentieux administratif de la Colonie de Madagascar est annulé. Article 3 : Le sieur de Robert-Lafrégeyre remboursera à la Colonie de Madagascar la somme de 5.903 francs 33, avec les intérêts de ladite somme à partir du 25 avril 1918. Les intérêts seront capitalisés les 26 mars 1920 et 11 août 1921 pour porter eux-mêmes intérêts. Article 4 : Le surplus des conclusions de la Colonie de Madagascar est rejeté. Article 5 : Les dépens, y compris ceux exposés devant le Conseil du Contentieux administratif, sont mis à la charge du sieur de Robert-Lafrégeyre. Article 6 : Expédition de la présente décision sera transmise au ministre des Colonies.


Sens de l'arrêt : Rejet annulation totale admission recours incident
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux Recours incident

Analyses

COMPETENCE - REPARTITION DES COMPETENCES ENTRE LES DEUX ORDRES DE JURIDICTION - COMPETENCE DETERMINEE PAR UN CRITERE JURISPRUDENTIEL - PROBLEMES PARTICULIERS POSES PAR CERTAINES CATEGORIES DE SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC INDUSTRIEL ET COMMERCIAL.

17-03-02-07-02, 46[1] Il a été décidé que, eu égard au caractère des fonctions de direction auxquelles le requérant avait été appelé, les difficultés soulevées entre la colonie et le requérant touchant les droits résultant de l'engagement étaient de la compétence du conseil du contentieux administratif.

46 OUTRE-MER - Colonies - Conseil du contentieux administratif - Madagascar - [1] Demande d'indemnité d'un ancien commis principal d'une compagnie de chemins de fer métropolitains - ayant accepté de se mettre à la disposition de la colonie pour l'exploitation d'un chemin de fer local - et nommé receveur principal lors de la réorganisation du service - après avoir occupé les fonctions de chef de service de l'exploitation commerciale - Compétence - [2] Employé d'une compagnie de chemins de fer métropolitains ayant accepté de se mettre à la disposition de la colonie pour exercer les fonctions de directeur dans l'exploitation d'un chemin de fer local - [3] Recours au Conseil d'Etat - Caractère non suspensif.

46[2] Si cet employé nommé d'abord chef des services de l'exploitation, puis chef de l'un des services de cette exploitation, à la suite d'une division de ces services est, après une réorganisation nommé receveur principal du chemin de fer, cette dernière nomination, faite à la suite d'une suppression de poste, que le gouverneur général a le droit de réaliser, ne peut être considérée comme une violation des engagements pris à l'origine, et, en conséquence, si l'intéressé refuse le nouveau poste offert, et rompt ainsi de lui-même le contrat qui le liait à la colonie, il ne peut réclamer aucune indemnité.

46[3] Le recours au Conseil d'Etat contre les arrêtés du conseil du contentieux administratif n'étant pas suspensif, la colonie est recevable à former un recours incident, bien qu'elle ait acquitté sans réserve les condamnations prononcées contre elle, et encore bien qu'elle ait consenti à son adversaire certains avantages accessoires, comme la prolongation du délai fixé par l'arrêté attaqué pour l'embarquement comportant gratuité de transport.


Références :

Code civil 1154
Décret du 22 juillet 1806 ART. 3
LOI du 24 mai 1872 ART. 24


Publications
Proposition de citation: CE, 26 jan. 1923, n° 62529
Publié au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Président : M. Romieu
Rapporteur ?: M. Blondeau
Rapporteur public ?: M. Rivet

Origine de la décision
Date de la décision : 26/01/1923
Date de l'import : 06/07/2015

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 62529
Numéro NOR : CETATEXT000007635806 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;1923-01-26;62529 ?
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