II : SAISINE SENATEURS
Monsieur le président,
Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1987 telle qu'elle vient d'être adoptée par le Parlement.
L'article 57 de cette loi, en tant qu'il supprime dans le budget du ministère de l'éducation nationale 1 679 emplois de personnels mis à la disposition d'organismes complémentaires de l'enseignement public et prévoit l'inscription de crédits destinés à subventionner ces organismes auprès desquels sont détachés les personnels anciennement mis à disposition, n'est pas conforme à la Constitution et à l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur les lois de finances, pour les raisons suivantes tirées :
: d'une part, de ce qu'une loi de finances ne peut, en l'absence de disposition formelle en ce sens, priver de sanction les droits créés au profit de tiers par des dispositions d'ordre législatif, réglementaire et conventionnel toujours en vigueur, sans violer l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 (I) ;
: d'autre part, de ce que cette loi de finances qui fait obligation et injonction au Gouvernement de résilier des conventions conclues pour l'application de dispositions d'ordre législatif et réglementaire non abrogées, méconnaît les dispositions des articles 20, 21 et 37 de la Constitution (II) ; de ce qu'au surplus elle méconnaît la règle de l'équilibre économique et financier prévue à l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, dès lors qu'elle n'a pas prévu les crédits nécessaires à l'indemnisation déroulant de la résiliation desdites conventions (II) ;
: enfin, de ce que cette loi de finances procède pour l'opération concernée à l'inscription de crédits limitatifs, en violation des dispositions des articles 8 à 11 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, dès lors que, les fonctionnaires n'étant placés en position de détachement qu'avec leur consentement, détermination du nombre de fonctionnaires qui seront effectivement détachés est impossible, ce qui imposait l'inscription au budget de crédits évaluatifs (III).
I : L'article 57 de la loi de finances pour 1987 supprime les emplois de personnels mis à disposition d'organismes complémentaires de l'enseignement public alors que ces mises à disposition sont prévues par des conventions conclues en application de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 et du décret n° 85-896 du 16 septembre 1985 et toujours en vigueur. En cela, la loi de finances critiquée méconnaît l'article 1er de l'ordonnance du 2 janvier 1959 qui fixe le contenu des lois budgétaires.
A : Il convient en premier lieu de rappeler la nature et la signification d'une loi de finances.
La loi budgétaire n'est rien d'autre que la traduction financière des autres lois. Elle consiste à donner aux pouvoirs publics, Parlement et Gouvernement, les moyens financiers nécessaires à la mise en uvre des différents choix politiques formulés d'abord par le Parlement (par le vote des lois ordinaires), puis par le Gouvernement par l'édiction de règlements et d'actes individuels.
Cette règle, qui illustre le caractère nécessairement limité d'une loi de finances, est consacrée par la Constitution du 4 octobre 1958 ; il résulte en effet de l'article 34 de la Constitution que l'objet des lois de finances est limité à la détermination des ressources et des charges de l'Etat " dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ".
Cette règle classique de la limitation de l'objet de la loi budgétaire est d'ailleurs reprise à l'article 1er de ladite loi organique, c'est-à-dire de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, en ses alinéas 1er et 4, qui illustrent le principe de l'équilibre financier et économique du budget et posent une règle procédurale : " Les lois de finances déterminent la nature, le montant et l'affectation des ressources et des charges de l'Etat, compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent (). Lorsque des dispositions d'ordre législatif ou réglementaire doivent entraîner des charges nouvelles, aucun projet de loi ne peut être définitivement voté, aucun décret ne peut être signé tant que ces charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions fixées par la présente ordonnance (). "
Le Conseil constitutionnel a déjà fait application de ces règles en déclarant que ne seraient pas conformes à la Constitution des dispositions législatives dont les incidences financières : il s'agissait de charges nouvelles : n'auraient pas été prises en compte dans une loi de finances et auraient pour effet de compromettre, lors de leur application, l'équilibre économique et financier défini par la loi de finances de l'année et les lois rectificatives éventuelles (décret n° 78-95/DC du 27 juillet 1978, rec. 26).
De la nature et de la signification de la loi de finances découlent en deuxième lieu sa portée et ses limites.
Celles-ci peuvent être appréciées au regard des ressources et des charges de l'Etat.
La loi de finances a pour objet à la fois d'autoriser certaines dépenses nécessaires à la marche des services de l'Etat et d'obliger le Gouvernement à prélever les recettes votées par le Parlement.
En ce qui concerne les dépenses, s'il est certain que le Gouvernement n'est nullement obligé d'engager effectivement toutes les dépenses votées par le Parlement, cette absence de caractère impératif ne signifie nullement que le vote des dépenses puis l'engagement desdites dépenses relèveraient du pouvoir discrétionnaire du législateur et du Gouvernement, respectivement.
Précisément, les limites de la loi budgétaire interdisent non seulement au Gouvernement mais encore au législateur lui-même de méconnaître par le biais d'une loi de finances une disposition d'ordre législatif ou réglementaire entrée en vigueur antérieurement et non abrogée ainsi que les dettes de l'Etat qui seraient nées de la mise en application de cette loi ou de ce règlement.
Il est unanimement admis que, indépendamment d'une obligation formellement inscrite dans un texte, le Parlement a l'obligation juridique de voter les dispositions financières nécessaires à l'acquittement des dettes de l'Etat (Gaston Jeze, Cours de science des finances, théorie générale du budget, 6e édition 1922, p 25 ; Julien Laferrière et Marcel Waline, Traité de Science et de législation financières, 1952, p 122 et p 123).
Les dettes de l'Etat peuvent être des dettes existantes, et le Parlement a l'obligation de voter les dépenses nécessaires au respect de ces droits subjectifs.
Les dettes de l'Etat peuvent encore être des dettes à venir, telles que les traitements devant être versés aux agents publics tant que ceux-ci effectueront leur service et n'auront pas été régulièrement évincés du service, soit par une loi proprement dite, soit par un acte régulier de l'administration pris en vertu de leur statut.
La loi de finances est par conséquent limitée par la nécessité juridique de traduire financièrement les obligations contractées soit par le législateur, soit par le Gouvernement sur le fondement d'une loi.
C'est dire que, à tout le moins, une loi budgétaire ne saurait avoir pour objet et encore moins pour effet d'abroger une loi, ni de la priver de toute sanction, en refusant de voter les crédits nécessaires à son exécution, même par une disposition formelle, qui bien que de nature législative, serait un cavalier budgétaire.
La spécificité du pouvoir budgétaire, et partant ses limites, sont particulièrement bien soulignées par le doyen Trotabas : " Le pouvoir législatif établit les lois, c'est-à-dire des règles obligatoires, générales et permanentes, tandis que le pouvoir budgétaire prend des décisions rendant exécutoires les dépenses et les recettes " (Institutions financières, 2e édition, 1957, p 179).
Cela ne revient pas à dire que le législateur n'aurait pas compétence pour revenir sur un de ses engagements, ou refuser au Gouvernement le pouvoir de régler certaines créances mais seulement et très exactement qu'il ne peut pas le faire par le biais d'une loi de finances, que son pouvoir d'empêcher la naissance (même à titre rétroactif) et le règlement de telles créances ne peut être mis en uvre que par le vote d'une loi distincte de la loi de finances et contenant des dispositions expresses en ce sens.
Cette présentation du caractère spécifique, par conséquent limité, et, partiellement, subordonné du pouvoir budgétaire, trouve sa traduction dans une jurisprudence constante de la juridiction administrative.
Ainsi, le Conseil d'Etat a jugé qu'il n'appartenait qu'à une loi ou à un décret pris pour l'application d'une loi, de supprimer des emplois, et qu'une suppression des crédits budgétaires afférents à un emploi ne pouvait légalement justifier la suppression dudit emploi (Conseil d'Etat, section, 26 novembre 1954, req. n° 17-704, sieur Lota, Rec. 622).
Il en résulte encore que les dispositions ayant un caractère purement budgétaire ne sont pas constitutives de droits (Conseil d'Etat, 28 mars 1924, Jauron et autres, D 1924, III, 29, conclusions René Mayer). C'est ainsi qu'un fonctionnaire ne peut se prévaloir de l'inscription de son emploi au budget pour soutenir qu'il ne pouvait être supprimé (Conseil d'Etat, 26 juillet 1946, Valent-Falandry, Lebon, p 221). Et une activité contraire à une loi ordinaire ne devient pas pour autant licite dès lors que la loi de finances lui ouvre un crédit (Conseil d'Etat, section, 13 novembre 1953, chambre syndicale des industries et du commerce des armes, munitions et articles de chasse, D 1954, p 550, note Reuter).
La jurisprudence du Conseil constitutionnel, pour sa part, distingue depuis longtemps les compétences normative et budgétaire et condamne tout empiétement de l'une sur l'autre, alors même que la compétence législative appartiendrait au Parlement (par exemple, Conseil constitutionnel, 21 décembre 1966, JCP 1967, II, 14944 et la note).
Il a ainsi admis que les dispositions d'ordre législatif ou réglementaire en vigueur devaient avoir une traduction financière, sauf à " priver de sanction tout ou partie du travail parlementaire " et " à porter atteinte aux prérogatives du Parlement " (décision n° 78-95 DC du 27 juillet 1978, rec. 26). Dans cette décision, le Conseil constitutionnel, statuant sur une disposition législative qui n'avait fait l'objet d'aucune inscription de crédits préalable, a retenu qu'il appartiendrait pour chacune des années ultérieures : implicitement tant que cette disposition resterait en vigueur : " au Parlement, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances relatif à ladite année, de statuer sur l'ouverture de crédits destinés à faire face aux charges afférentes à l'application de la loi dont il s'agit ". A l'évidence, sauf à " priver de sanction " ladite loi et à remettre en cause les droits créés et toujours en vigueur, l'expression " statuer " signifie " voter " les crédits nécessaires
De plus, le Conseil constitutionnel considère que, s'agissant de la création d'emplois par la loi de finances, conformément à l'article 1er, cinquième alinéa, de l'ordonnance de 1959, une telle création ne peut résulter " que de dispositions expresses d'une loi de finances " (décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, rec. 67).
Enfin, au titre de la prohibition de tout empiètement des compétences normative et budgétaire et sur un plan procédural cette fois, le Conseil constitutionnel censure les cavaliers budgétaires (par exemple : décision n° 82-154 DC du 29 décembre 1982, rec. 80).
C'est-à-dire que, selon le Conseil constitutionnel, non seulement une loi budgétaire ne saurait excéder sa compétence qui résulte d'une interprétation stricte des articles 1er et 2 de l'ordonnance de 1959, mais encore dans la sphère même de sa compétence, la loi de finances ne peut édicter des dispositions que sous forme expresse.
L'application de ces règles textuelles et jurisprudentielles doit entraîner, en l'espèce, la déclaration de non-conformité à la Constitution des dispositions attaquées en tant qu'elles ont pour objet de supprimer dans le budget de l'éducation nationale les emplois afférents aux mises à disposition.
B : En effet, le législateur a voulu profiter de la réforme du statut de la fonction publique pour réglementer les mises à disposition de fonctionnaires qui, jusqu'alors, n'étaient qu'une pratique instituée par voie de circulaires et dans des conditions de légalité discutables. Ainsi par exemple, à la suite de la loi Morice du 19 mars 1947, plusieurs circulaires avaient, en conséquence de la gestion des sections locales de sécurité sociale confiée aux sociétés mutualistes, prévu la mise à la disposition de ces organismes d'un certain nombre de fonctionnaires (circulaires du 20 novembre 1948 du secrétaire d'Etat chargé de la fonction publique et du secrétaire d'Etat au budget ; du 30 mars 1949 du ministre de l'éducation nationale ; du 4 juin 1949 du secrétaire d'Etat à la présidence du conseil et du secrétaire d'Etat aux finances).
La loi du 11 janvier 1984 a donc réglementé en ses articles 41 à 44 la mise à disposition de fonctionnaires au profit d'une administration, d'un établissement public de l'Etat (art 41), d'un organisme d'intérêt général (art 42), d'un organisme à caractère associatif qui assure une mission d'intérêt général (art 44), renvoyant à un décret en Conseil d'Etat la détermination des modalités d'application. En ce qui concerne les organismes publics ou privés d'intérêt général et les associations assurant une mission de même nature, le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 a prévu la conclusion, préalable à toute mise à disposition, d'une convention entre l'administration gestionnaire et l'organisme intéressé, définissant " notamment le nombre et le niveau des activités qu'ils exercent, leurs conditions d'emploi et les modalités du contrôle et de l'évaluation desdites activités " (art 3).
Sur le fondement de ces textes, un certain nombre de conventions ont été conclues par le ministre de l'éducation nationale avec diverses associations et sociétés mutualistes, en vertu desquelles des fonctionnaires ont été mis à leur disposition.
Ces conventions prévues pour une durée de six années n'ont pas été résiliées et sont donc toujours en vigueur.
Les organismes intéressés, du fait de leur activité d'intérêt général et particulièrement les sociétés mutualistes auxquelles a été confié le service public de la sécurité sociale en vertu de la loi du 19 mars 1947, tirent de la loi du 11 janvier 1984 un droit à obtenir des mises à disposition de fonctionnaires.
Pour le moins, à supposer que ce droit ne résulte pas directement de la loi de 1984 et du décret de 1985, il est né des engagements conventionnels conclus en application de ces textes et en vertu desquels le Gouvernement s'est obligé à mettre à la disposition de ces organismes des fonctionnaires en nombre défini.
Ni la loi du 11 janvier 1984 en ses articles 41 à 44, ni le décret du 16 septembre 1985, ni les conventions conclues en application de ces textes n'ont été abrogés ou résiliés. En conséquence, les droits des organismes intéressés sont toujours en vigueur et ne peuvent être remis en cause que par une initiative parlementaire expresse, selon les principes évoqués précédemment, ou par la résiliation pour des motifs d'intérêt général des conventions à la demande de l'autorité ministérielle gestionnaire des fonctionnaires mis à disposition, conformément aux règles générales applicables aux contrats administratifs.
Les principes qui viennent d'être évoqués interdisent que par le biais d'une suppression de crédits dans la loi de finances et en l'absence de l'une de ces initiatives les droits reconnus en vertu de cette loi et de ces conventions puissent être " privés de sanction ".
Le Parlement doit donc en l'état voter les crédits nécessaires à l'exercice des droits des organismes bénéficiant de fonctionnaires mis à disposition, sans pouvoir procéder à une résiliation de fait des conventions ou à une abrogation de ces droits par une suppression de crédits.
Il ne serait pas possible de considérer que la suppression des crédits afférents aux mises à disposition peut être compensée par l'inscription de subventions permettant la rémunération de fonctionnaires détachés. En effet, le détachement est une position bien distincte de la mise à disposition. Il n'emporte pas les mêmes conséquences juridiques principalement à l'égard des sociétés mutualistes qui ne peuvent, conformément à l'article L 125-7 du code de la mutualité, rémunérer leurs administrateurs.
L'article 57 de la loi de finances pour 1987 procède donc d'une méconnaissance des principes du droit budgétaire sur la nature et la portée de la loi de finances, sur la distinction des compétences normative et budgétaire, et n'est donc pas conforme à l'ordonnance du 2 janvier 1959.
A supposer, pour les besoins de l'analyse, que la loi de finances pour 1987 n'ait pas été adoptée en violation de la distinction des compétences normative et budgétaire, elle n'en devrait pas moins être déclarée non conforme à la Constitution en ce qu'elle méconnaît, d'une part, la répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire, d'autre part, le principe fondamental de l'équilibre économique et financier des lois de finances, consacré par l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959.
A : D'une part, la suppression des crédits nécessaires aux mises à disposition aboutit nécessairement à obliger le Gouvernement à résilier les conventions déjà conclues et l'empêche d'en conclure de nouvelles cependant que cette faculté lui reste théoriquement ouverte par la loi de 1984 et le décret de 1985.
La suppression de crédits et la suppression concomitante d'emplois aboutissent ainsi à une injonction faite par le législateur au Gouvernement de ne plus faire application de la loi du 11 janvier 1984 et à une obligation de résilier les conventions en vigeur.
Du fait de cette injonction et de cette obligation, la loi méconnaît tout à la fois les articles 20, 21 et 37 de la Constitution, dès lors que le Gouvernement n'est plus maître de la gestion des services publics, que le Premier ministre se voit contester son pouvoir et sa mission exclusive d'exécution des lois ainsi que l'exercice du pouvoir réglementaire.
Dans sa décision n° 78-85 DC du 27 juillet 1978 (rec. 26), le Conseil constitutionnel a censuré pour le motif de violation des compétences du Gouvernement et du Premier ministre une disposition qui subordonnait l'application d'une loi à la conclusion d'une convention, obligeant ainsi le Gouvernement à procéder à cette conclusion. En effet, la loi qui fixe les règles dans les matières énumérées à l'article 34 n'a pas compétence pour les mettre en uvre, ce qui est réservé au pouvoir réglementaire (décision n° 61-13 L du 3 mai 1961, rec. 36).
De même, le Conseil constitutionnel censure les injonctions faites par le législateur au Gouvernement dans le domaine réglementaire autonome, ainsi que dans le cadre de l'exécution des lois (décision n° 68-35 DC du 30 janvier 1968, rec. 19 ; décision n° 82-142 DC du 27 juillet 1982, rec. 52).
III. : Il faut même considérer subsidiairement qu'au-delà le législateur procède à une véritable résiliation de fait des conventions en vigueur en privant le Gouvernement des moyens de leur exécution, méconnaissant la procédure normale de résiliation et permettant ainsi un détournement de procédure.
Quelle que soit la qualification exacte des conventions de mise à disposition de fonctionnaires, l'administration dispose, en vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, d'un pouvoir de résiliation pour des motifs tirés de l'intérêt général sous la seule sanction de l'octroi d'une éventuelle indemnité au cocontractant. Il est donc clair que seul le Gouvernement doit procéder, à supposer que l'intérêt général le commande, à la résiliation des conventions actuellement en vigueur. L'intervention du législateur permet au Gouvernement de ne pas avoir à user de la procédure de résiliation, de prendre prétexte de la loi pour mettre fin aux conventions sans avoir à en supporter la responsabilité, laissant au cocontractant le seul recours de la responsabilité du fait des actes législatifs, difficile à mettre en uvre.
Le procédé de l'intervention législative pour permettre, à moindre risque, la résiliation de fait des conventions de mises à disposition repose donc sur un détournement de procédure en méconnaissance des articles 21 et 34 de la Constitution.
B : D'autre part, il est constant que la loi de finances pour 1987 méconnaît la règle constitutionnelle de l'équilibre économique et financier, rappelée à l'article 1er, alinéa 1, de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959.
En effet, en l'espèce, dès lors que le législateur impose la résiliation ou même procède à la résiliation de fait des conventions en vigueur, la loi de finances aurait dû prévoir les crédits nécessaires à l'indemnisation découlant de ces résiliations. A l'évidence, ces crédits n'ont pas été votés et ne figurent nulle part dans les lois de finances et les crédits votés au titre des subventions ne sauraient légalement être affectés à cet objet.
Il faut donc conclure, dans ces conditions, que la loi litigieuse ne respecte pas l'équilibre économique et financier qui s'impose à toute loi de finances, par application de l'ordonnance du 2 janvier 1959 prise en son article 1er.
III. : Enfin, les dispositions contestées contreviennent aux dispositions des articles 8 à 11 de l'ordonnance relative aux lois de finances.
Les crédits portés au titre de subventions destinées à payer les fonctionnaires détachés ont en effet été inscrits sous la forme de crédits limitatifs.
Or, il résulte du statut de la fonction publique que les détachements ne peuvent être prononcés qu'avec le consentement des fonctionnaires intéressés et il est impossible de dire combien de fonctionnaires actuellement mis à la disposition acceptent d'être détachés, alors que cette situation n'emporte pas les mêmes conséquences. Par voie de conséquence, il est impossible d'inscrire les sommes correspondant à la rémunération des agents ultérieurement détachés, en tant que crédits limitatifs.
La loi de finances pour 1987 méconnaît donc les dispositions des articles 8 à 11 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959.
IV. : Pour ces raisons, les sénateurs soussignés estiment que l'article 57 de la loi de finances pour 1987 en tant qu'il supprime 1 679 emplois de personnels mis à disposition d'organismes complémentaires de l'enseignement public et inscrit des crédits destinés à subventionner ces organismes auprès desquels sont détachés les personnels anciennement mis à disposition, doit être déclaré non conforme à la Constitution.
I : SAISINE DEPUTES
Monsieur le président,
Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel certaines dispositions de la loi de finances pour 1987 telle qu'elle a été adoptée définitivement par le Parlement.
I : Plusieurs dispositions de la loi déférée ont été adoptées dans des conditions non conformes à la Constitution. Il s'agit de celles qui résultent d'articles additionnels introduits après la réunion de la commission mixte paritaire (articles 4 bis, 6 bis, 11 bis A, 16 bis 1, 23 bis B, 23 bis C).
Certes, dans sa décision n° 81-136 DC du 31 décembre 1981, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de considérer que le fait que la commission mixte paritaire se soit déjà réunie ne faisait pas obstacle à l'introduction d'articles additionnels.
On ne peut manquer de relever, néanmoins, que la situation est sensiblement différente en l'espèce dans la mesure où, contrairement au précédent de 1981, les articles additionnels ainsi introduits l'ont été après que la commission mixte paritaire eut abouti à un accord.
Cela posé, on pourrait en déduire que tout amendement est possible. En effet, s'il existait un doute sur la recevabilité des amendements, doute que le Conseil constitutionnel a levé, ce n'était que dans l'hypothèse d'un échec de la commission mixte car l'article 45 est muet à ce sujet. En revanche, lorsque la commission mixte a réussi, il ne fait aucun doute, puisque l'alinéa 3 de l'article 45 le prévoit expressément, que les amendements sont possibles, sous la seule réserve qu'ils bénéficient de l'accord du Gouvernement, lequel va de soi lorsqu'il les dépose lui-même.
Mais une telle conclusion serait controuvée.
En premier lieu, il est tout à fait clair que les amendements ne sont pas tous de même nature et qu'on ne saurait confondre ceux qui ont pour objet de modifier le texte en discussion et ceux qui ont pour objet d'y introduire des dispositions nouvelles. Certes, la Constitution, dans son article 44, n'opère pas cette distinction.
Mais c'est tout simplement parce que le problème posé n'est pas de ceux qu'il appartient à la norme suprême de traiter. En revanche, il n'est que de se référer par exemple à l'article 42 de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 pour constater qu'un texte de valeur constitutionnelle opère clairement cette distinction nécessaire entre article additionnel et amendement ordinaire.
C'est à la lumière de cette distinction que doit s'interpréter le troisième alinéa de l'article 45 de la Constitution.
Que le Gouvernement ait la possibilité de déposer ou d'accepter des amendements au texte élaboré par la commission mixte est une nécessité dès lors qu'il ne siège pas au sein de cette commission et n'a pas la possibilité de s'y faire entendre. Au cas, improbable mais possible, où la commission dénaturerait le texte souhaité par le Gouvernement, ou plus simplement adopterait des rédactions contraires à ce qu'il estime nécessaire, il est à la fois logique et indispensable qu'il puisse demander aux assemblées de modifier le texte.
S'agissant en revanche des articles additionnels, ils ont pour objet non plus de revenir à la rédaction souhaitée par le Gouvernement, mais de faire intervenir le législateur sur des domaines nouveaux. Cela peut se concevoir, même si cela ne va pas sans poser de sérieux problèmes, lorsque la commission mixte paritaire a échoué. Dans ce cas, en effet, d'une part, l'échec atteste d'un désaccord persistant entre les deux assemblées, désaccord auquel l'introduction de dispositions additionnelles peut éventuellement mettre fin. D'autre part, les lectures ultérieures, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat donnent lieu à de véritables débats, pour lesquels le droit d'amendement n'est nullement limité.
Lorsque, à l'inverse, la commission mixte a abouti à un texte, il n'y a plus de véritable débat. Seuls sont recevables les amendements déposés ou acceptés par le Gouvernement et chaque assemblée, après les avoir adoptés ou rejetés, se prononce par un vote unique sur l'ensemble.
Si donc on admettait que fussent introduits à cette occasion des articles additionnels, cela signifierait que le Gouvernement, et lui seul, bénéficierait d'un privilège exorbitant, au-delà de celui qu'a entendu lui donner l'article 45, alinéa 3. Il lui serait loisible en effet, lors même que les représentants des deux chambres sont parvenus à un accord, d'introduire des dispositions totalement nouvelles, qui ne pourraient ne faire l'objet au minimum que d'une lecture dans chaque assemblée et au maximum d'une lecture supplémentaire à l'Assemblée nationale pour statuer définitivement, et cela, de plus, sans que les parlementaires puissent exercer pleinement leur droit d'amendement, ni même ne puissent sous-amender les articles additionnels ainsi introduits.
Cela est manifestement contraire à la lettre comme à l'esprit de l'article 45. En permettant que des articles additionnels soient introduits après l'échec d'une commission mixte, le risque est déjà grave de voir un gouvernement greffer de manière subreptice et tardive des dispositions nouvelles dans un texte dont l'examen est quasiment achevé. Au moins demeurent de véritables possibilités de discussion même si elles sont limitées. Si l'on admettait qu'il puisse en aller de même lorsque la commission mixte a réussi, cela priverait la procédure législative, telle qu'elle est définie par l'article 45, de toute substance. En outre, le bicaméralisme y perdrait aussi l'essentiel de son sens puisque le rejet d'une disposition par le Sénat ne serait pas suivi d'un échange entre les deux assemblées mais d'une décision définitive immédiatement prise par les seuls députés.
Ne peut donc être considérée comme conforme à la Constitution l'introduction d'articles additionnels lors des lectures portant sur un texte adopté en commission mixte paritaire. C'est pourquoi devront être déclarés non conformes les articles 4 bis, 6 bis, 11 bis A, 16 bis 1, 23 bis B et 23 bis C de la loi qui vous est déférée.
II. : Subsidiairement, si, par impossible, il en allait autrement, il resterait qu'en toute hypothèse les articles 4 bis et 6 bis devraient de toute façon être déclarés non conformes à la Constitution.
Ceux-ci résultent en effet d'amendements déposés postérieurement à la réunion et à la réussite de la commission mixte paritaire. Mais ils ont cette particularité de ne pas constituer des dispositions nouvelles, mais d'amender, en fait comme en droit, les articles 4 et 6 de la loi, ce que d'ailleurs les exposés des motifs des deux amendements reconnaissent benoîtement, de manière particulièrement claire dans le cas de l'amendement n° 18.
Or les deux articles concernés, adoptés en termes identiques par les deux assemblées dès la première lecture, ne pouvaient évidemment plus être modifiés. Conformément à l'article 45, seuls font l'objet des discussions ultérieures les " dispositions restant en discussion ", celles qui, " par suite d'un désaccord entre les deux assemblées " n'ont pu être adoptées.
Certes, il peut se produire qu'une erreur soit décelée tardivement et qu'il soit utile d'y remédier avant la promulgation pour éviter d'avoir à revenir ultérieurement devant le Parlement. Mais des procédures particulières l'ont prévu, soit dans les règlements des assemblées soit dans la Constitution elle-même.
Dans les règlements des assemblées, il s'agit des dispositions relatives à la seconde délibération (art 118, alinéas 3 et 4, à l'Assemblée nationale, art 43 au Sénat). Dans l'une et l'autre assemblée, cette seconde délibération ne peut être refusée lorsqu'elle émane du Gouvernement. Cette possibilité est néanmoins soumise à un délai. Il faut qu'elle soit utilisée avant le vote sur l'ensemble de sorte qu'une fois celui-ci intervenu, il ne soit plus possible d'en remettre en cause les acquis, faute de quoi la procédure législative perdrait tout sens.
Au cas, pourtant, où le Gouvernement serait particulièrement lent à découvrir une difficulté, la Constitution elle-même a eu la sagesse de prévoir un recours : il est en effet loisible au Premier ministre notamment, contresignataire d'une telle décision, de demander au Président de la République d'user du pouvoir qu'il tient de l'article 10, alinéa 2, de la Constitution, de demander une nouvelle délibération des articles concernés.
Constitution et règlements ont donc prévu toutes les dispositions nécessaires pour éventuellement remettre en cause ce qui a été adopté en termes identiques par les deux assemblées. Ces dispositions existent, mais n'existent que celles-là Elles sont exclusives de toutes autres : ce que les deux assemblées du Parlement ont adopté en termes identiques ne peut plus être remis en question que par les assemblées elles-mêmes à la demande du Président de la République.
Aussi est-ce manifestement en violation des articles 10, alinéa 2, et 45 de la Constitution qu'ont été adoptés les articles 4 bis et 6 bis de la loi déférée.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les articles 4 bis, 6 bis, 11 bis A, 16 bis 1, 23 bis B et 23 bis C de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.