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08/09/2022 | CEDH | N°001-219069

CEDH | CEDH, AFFAIRE DRELON c. FRANCE, 2022, 001-219069


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DRELON c. FRANCE

(Requêtes nos 3153/16 et 27758/18)

ARRÊT


Art 8 • Vie privée • Collecte des données relatives aux pratiques sexuelles d’un donneur du sang potentiel basée sur une spéculation et durée excessive de leur conservation par un établissement public • Requérant exclu du don de sang sur la base de la loi imposant une contre-indication des hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme • Motifs pertinents et suffisants de sécurité transfusionnelle • Simples spéculations du fait du refus du requérant d

e donner l’information sur ses pratiques sexuelles lors de l’entretien médical préalable au don • Ma...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE DRELON c. FRANCE

(Requêtes nos 3153/16 et 27758/18)

ARRÊT

Art 8 • Vie privée • Collecte des données relatives aux pratiques sexuelles d’un donneur du sang potentiel basée sur une spéculation et durée excessive de leur conservation par un établissement public • Requérant exclu du don de sang sur la base de la loi imposant une contre-indication des hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme • Motifs pertinents et suffisants de sécurité transfusionnelle • Simples spéculations du fait du refus du requérant de donner l’information sur ses pratiques sexuelles lors de l’entretien médical préalable au don • Marge d’appréciation outrepassée

STRASBOURG

8 septembre 2022

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Drelon c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une Chambre composée de :

Síofra O’Leary, présidente,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Lətif Hüseynov,
Arnfinn Bårdsen,
Mattias Guyomar,
Kateřina Šimáčková, juges,
et de Martina Keller, greffière adjointe de section,

Vu :

les requêtes (nos 3153/16 et 27758/18) dirigées contre la République française et dont l’un des ressortissants, M. Laurent Drelon (« le requérant »), a saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») les 8 janvier 2016 et 8 juin 2018,

la décision de porter ces requêtes à la connaissance du gouvernement français (« le Gouvernement »),

et les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juillet 2022,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. Les requêtes concernent, d’une part, la collecte et la conservation de données personnelles reflétant l’orientation sexuelle supposée du requérant et, d’autre part, les refus opposés à ses candidatures au don du sang. Le requérant invoque la violation des articles 8 et 14 de la Convention.

EN FAIT

2. Le requérant est né en 1970 et réside à Paris. Il est représenté par Me P. Spinosi, avocat à Paris.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères.

1. Les tentatives de don de sang du requérant et la collecte de données le concernant

4. Le 16 novembre 2004, le requérant tenta d’effectuer un don de sang dans un site de collecte de l’établissement d’Île‑de‑France de l’Établissement français du sang (« l’ÉFS »), qui est un établissement public de l’État. Au cours d’un entretien médical préalable au don, il lui fut demandé s’il avait déjà eu un rapport sexuel avec un homme. Il refusa de répondre. En conséquence, sa candidature au don fut rejetée.

5. À cette occasion, des données personnelles le concernant furent saisies dans un fichier informatique propre à cet établissement. Son identité et ses coordonnées furent collectées et il fut indiqué, dans ce traitement de données, qu’il faisait l’objet d’une contre-indication au don de sang sous le code « FR08 », correspondant à celle qui était prévue, à l’époque, pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme (paragraphes 59 et 60 ci-dessous).

6. Le 9 août 2006, le requérant renouvela sa démarche. Il lui fut alors opposé qu’il était référencé sous le code « FR08 » et il fut exclu du don. À sa demande, un extrait des données le concernant lui fut remis. Dans une rubrique consacrée aux « interdictions » dont il faisait l’objet, il apparaissait que la contre-indication au don litigieuse avait été saisie le 16 novembre 2004. Il était précisé que cette interdiction était valable jusqu’en 2278.

7. Le 26 mai 2016, il tenta une nouvelle fois de donner son sang. À cette fin, il présenta des analyses biologiques datées des 15 mars et 3 mai 2016 attestant de sa séronégativité au VIH-1, au VIH-2 et au VHC. Un nouveau refus lui fut opposé, le médecin l’ayant reçu s’étant borné à relever que ses précédentes candidatures au don de sang avaient été rejetées en raison de ses pratiques homosexuelles supposées.

2. La plainte avec constitution de partie civile du requérant (requête no 3153/16)

8. Le 6 février 2007, le requérant déposa plainte avec constitution de partie civile devant le doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Paris du chef de discrimination, en dénonçant les refus opposés à ses candidatures au don de sang en 2004 et 2006 et le référencement par l’ÉFS de ses pratiques homosexuelles supposées.

9. Le 22 février 2008, le juge d’instruction saisi de cette plainte estima que ces faits n’étaient pas susceptibles de revêtir une qualification pénale et prit une ordonnance de refus d’informer.

10. Sur l’appel du requérant, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris jugea, par un arrêt du 15 septembre 2009, que les faits dénoncés n’étaient pas constitutifs d’une discrimination au sens des articles 225-1 et suivants du code pénal. Néanmoins, elle jugea qu’il incombait au juge d’instruction de vérifier s’ils étaient susceptibles de caractériser le délit prévu à l’article 226-19 du code pénal, qui réprimait alors « le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans l’accord exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel (...) relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle ». Elle infirma donc l’ordonnance de refus d’informer sur ce point.

11. En conséquence, des investigations relatives au traitement des données du requérant furent menées sur commission rogatoire. Les enquêteurs procédèrent notamment à l’audition du requérant, du responsable du site de prélèvement et du directeur juridique de l’ÉFS.

12. Dans une note établie le 9 février 2010 sur réquisition des enquêteurs, l’ÉFS confirma que son établissement francilien exploitait, en 2004, une base de données nominative recensant notamment les contre-indications au don. Ce traitement automatisé de données, préalablement déclaré auprès de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (« la CNIL »), avait été mis en œuvre sur le fondement d’un acte règlementaire publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de la région. L’ÉFS exposa par ailleurs que les critères de sélection des donneurs étaient alors définis dans la documentation médico-technique commune à ses établissements. Cependant, la codification des motifs de contre-indications utilisée dans ce fichier (et en particulier le code « FR08 ») était propre à son établissement francilien. L’ÉFS précisait également que les données concernant le requérant avaient été versées dans une autre base de données exploitée par cet établissement à l’occasion du déploiement d’un nouvel outil informatique, en 2007. La codification avait évolué, mais un code propre à la contre-indication litigieuse avait été maintenu.

13. Le juge d’instruction entendit le requérant. L’ÉFS et le responsable du site de prélèvement furent placés sous le statut de témoin assisté.

14. Le 21 novembre 2012, le non-lieu fut ordonné.

15. Le requérant interjeta appel.

16. Par un arrêt du 18 avril 2013, la chambre de l’instruction confirma le non‑lieu. Elle releva en premier lieu que la classification des contre-indications au don de sang était prévue par un arrêté du 10 septembre 2003, pris pour l’application de l’article L. 1223­‑3 du code de la santé publique, et que le traitement de données litigieux avait été déclaré à la CNIL le 31 juillet 2000. Elle en déduisit que, le législateur ayant entendu déroger à l’interdiction édictée à l’article 226-19 du code pénal, le recueil de données litigieux n’était pas pénalement répréhensible.

17. Elle considéra en second lieu que le requérant avait été informé, dès 2004, que des données relatives à sa sexualité étaient susceptibles d’être conservées par l’ÉFS. À cet égard, elle constata que le questionnaire de santé habituellement complété par les candidats au don avant l’entretien médical à l’époque des faits se clôturait par cet avis :

« (...) nous vous informons que certaines des informations qui vous sont demandées, notamment à l’occasion du questionnaire pré-don et de l’entretien préalable au don, feront l’objet d’un enregistrement informatique par l’Établissement Français du Sang ainsi que certaines informations vous concernant collectées à l’occasion du don de sang lui-même. (...) Vous disposez d’un droit d’accès [à ces données], et, en cas d’inexactitude, de rectification et de suppression. »

Elle releva en outre qu’une information similaire était affichée à l’intérieur du site de collecte.

18. Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt en invoquant notamment la violation des articles 8 et 14 de la Convention.

19. À sa demande, une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 1223-3 du code de la santé publique et 226-19 du code pénal fut transmise au Conseil constitutionnel.

20. Dans sa décision du 19 septembre 2014, le Conseil constitutionnel jugea les dispositions soumises à son examen conformes à la Constitution. Incidemment, il releva que l’article L. 1223‑3 du code de la santé publique n’avait pas pour objet de faire exception à l’incrimination prévue à l’article 226-19 du code pénal, contrairement à l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 (paragraphe 37 ci-dessous).

21. La Cour de cassation rejeta ensuite le pourvoi du requérant, par un arrêt du 8 juillet 2015 ainsi motivé :

« Attendu que, si c’est à tort que la chambre de l’instruction s’est fondée sur l’article L. 1223-3 du code de la santé publique et l’arrêté du 10 septembre 2003 (...) pour dire l’incrimination prévue par l’article 226-19 du code pénal non applicable à l’espèce, sa décision n’encourt pas pour autant la censure dès lors que les faits visés par la poursuite, tels que souverainement appréciés par les juges, entrent dans les prévisions du paragraphe II-6o de l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978, selon lesquelles l’interdiction, posée au paragraphe I du même article, de collecter ou de traiter des données à caractère personnel relatives, notamment, à la santé ou à la vie sexuelle des personnes, ne s’applique pas aux traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé, et mis en œuvre par un membre d’une profession de santé, ou par une autre personne soumise au secret professionnel ; qu’il s’en déduit qu’à défaut même de consentement exprès de M. Drelon à la mise en mémoire ou à la conservation des données le concernant, le comportement des personnels et établissements de santé qu’il a entendu dénoncer ne saurait tomber sous le coup de l’incrimination prévue par l’article 226-19 du code pénal, qui renvoie lui-même à des exceptions, prévues par la loi, à l’interdiction d’enregistrement informatique des données personnelles sensibles ; / (...)

Attendu [que] (...) la chambre de l’instruction n’a méconnu aucun des textes européens visés au moyen [et notamment les articles 8 et 14 de la Convention], dès lors que l’exception à l’exigence d’un consentement de la personne à l’enregistrement et à la conservation de données personnelles relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle, qui découle des dispositions combinées des articles 226-19 du code pénal et 8 de la loi du 6 janvier 1978, constitue une mesure légitime, nécessaire à la protection de la santé, définie par la loi avec suffisamment de précision pour éviter l’arbitraire, et de nature à assurer, en l’état, entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de la santé publique, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée ; (...) »

3. Les recours relatifs aux arrêtés définissant les contre-indications au don (requête no 27758/18)

22. À partir de 2009, les contre-indications au don de sang furent définies par le ministre chargé de la Santé par voie d’arrêtés (paragraphe 61 ci‑dessous). À deux reprises, le requérant contesta cette nomenclature en tant qu’elle prévoyait une contre-indication au don pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme.

1. Le litige relatif au refus d’abrogation de l’arrêté du 12 janvier 2009

23. Le requérant sollicita d’abord l’abrogation de l’arrêté du 12 janvier 2009. Le ministre chargé de la Santé rejeta cette demande.

24. Le requérant saisit alors le Conseil d’État d’un recours pour excès de pouvoir dirigé contre ce refus d’abroger. Cependant, l’arrêté litigieux fut abrogé en cours d’instance et le Conseil d’État constata le non-lieu à statuer par une décision du 18 juillet 2016.

2. Le recours pour excès de pouvoir dirigé contre l’arrêté du 5 avril 2016

25. Par une requête du 10 juin 2016, le requérant demanda ensuite l’annulation pour excès de pouvoir de l’arrêté du 5 avril 2016, qui avait modifié les critères de sélection des candidats au don de sang (paragraphe 63 ci-dessous).

26. Il soutint d’abord que la contre-indication litigieuse était contraire à la directive 2004/33/CE et au principe de non-discrimination garanti par l’article 21 de la Charte, lu à la lumière des articles 8 et 14 de la Convention et de la jurisprudence de la Cour, ainsi qu’au principe constitutionnel d’égalité. Il fit ensuite valoir que ce motif de contre-indication au don méconnaissait le principe constitutionnel de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine. À cet égard, il avança que le don de sang était un « acte de solidarité humaine » et que l’exclusion du don en raison de l’orientation sexuelle était stigmatisante et dévalorisante. Enfin, il affirma que ce motif de contre-indication au don impliquait un fichage spécifique des hommes homosexuels ayant tenté de donner leur sang, ce qu’il estimait contraire aux normes constitutionnelles, communautaires et conventionnelles protégeant le droit au respect de la vie privée.

27. Le 28 décembre 2017, le Conseil d’État rejeta son recours par une décision ainsi motivée :

« 5. Dans la détermination des contre-indications au don de sang, le ministre chargé de la santé doit, conformément aux considérants 2 et 24 de la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003, prendre toutes les mesures de précaution afin de réduire au minimum le risque de transmission d’une maladie infectieuse. Eu égard tant à la gravité des conséquences d’une telle transmission à un patient faisant l’objet d’une transfusion qu’à la nécessité de préserver le lien de confiance entre donneurs et receveurs sur lequel repose l’organisation de la collecte du sang et de la transfusion sanguine, il incombe aux autorités sanitaires, lorsque les données scientifiques et épidémiologiques disponibles ne permettent pas d’écarter l’existence d’un risque, de privilégier les mesures les mieux à même de protéger la sécurité des receveurs, y compris par la sélection des donneurs de sang en fonction de critères objectifs liés à leur exposition au risque, sans que cette sélection puisse alors être regardée comme une discrimination illégale à l’encontre de certains candidats au don.

Sur les moyens des requêtes :

6. L’annexe II de l’arrêté critiqué fixe les contre-indications au don de sang, motivées par l’existence soit de risques pour le donneur, soit de risques pour le receveur. S’agissant du risque de transmission d’un agent infectieux au receveur, sont notamment énumérées différentes situations ayant pu exposer le candidat au don à un agent infectieux transmissible par voie sexuelle, en distinguant plusieurs types de comportements sexuels, qu’il s’agisse de personnes homosexuelles ou hétérosexuelles de l’un ou l’autre sexe, et en définissant dans chaque hypothèse la durée de la contre-indication appropriée après la fin de la situation à risque. En particulier, l’arrêté, qui abroge les dispositions antérieures prévoyant une contre-indication permanente pour tout homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme, y substitue, pour un don de sang total, une contre-indication de douze mois après le dernier rapport sexuel avec un autre homme et, pour un don de plasma par aphérèse pour plasma sécurisé par quarantaine, une contre-indication de quatre mois après la fin d’une situation de rapports sexuels avec plus d’un partenaire masculin au cours d’une période de quatre mois, qui est de même durée que la contre-indication, pour tout type de don, en cas de rapports sexuels avec plus d’un partenaire du sexe opposé.

7. En premier lieu, tout d’abord, il ressort des pièces des dossiers que les travaux de l’Institut de veille sanitaire, sur lesquels s’est appuyé le ministre des affaires sociales et de la santé, permettent d’estimer, d’une part, la proportion de porteurs du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) à 14 % chez les hommes ayant eu des relations sexuelles entre hommes, soit une prévalence environ 70 fois supérieure à celle constatée au sein de la population hétérosexuelle, pour laquelle ce taux est de 0,2 % et, d’autre part, la proportion des personnes nouvellement contaminées au cours de l’année 2012 à 1 % chez les hommes ayant eu des relations sexuelles entre hommes, soit une incidence environ 115 fois supérieure à celle constatée au sein de la population hétérosexuelle.

8. Ensuite, il ressort aussi des pièces des dossiers qu’il existe une période de douze jours en moyenne, appelée “fenêtre silencieuse”, pendant laquelle une personne peut avoir été contaminée par le VIH sans que le virus puisse être détecté même par les tests de dépistage les plus efficaces, reposant sur la détection du génome viral. Une telle période, d’une durée plus ou moins longue, existe également pour d’autres infections sexuellement transmissibles. (...)

9. Par ailleurs, l’analyse, au cours de la période de 2011 à 2013, des dons dans lesquels le VIH a été détecté alors qu’ils émanaient de donneurs réguliers dont la sérologie était auparavant négative a montré que 62 % d’entre eux étaient des hommes ayant eu des relations sexuelles entre hommes, ayant donné leur sang sans respecter la contre-indication permanente alors en vigueur. À partir des études menées notamment au Canada et en Australie sur le respect des contre-indications existant dans ces pays, il a été estimé qu’une contre-indication de douze mois, si elle était adoptée en France, conduirait à un risque transfusionnel similaire au risque alors existant, d’environ un don contaminé sur 3,45 millions. En revanche, il n’existe pas de données permettant d’apprécier le respect d’une contre-indication plus courte et, le cas échéant, les conséquences qu’aurait, à cet égard, la fixation de critères fondés sur une analyse plus fine du comportement sexuel, tel que le caractère protégé ou non des rapports sexuels, devant être appréciée lors de l’entretien préalable au don et susceptible d’être ressentie comme une intrusion dans la vie privée de la personne.

(...)

12. Il résulte de ce qui précède qu’au regard tant de la gravité du risque que des mesures pouvant être raisonnablement mises en œuvre et de l’absence de données permettant d’apprécier l’incidence d’une contre-indication d’une durée plus courte sur le risque transfusionnel lié au VIH comme à d’autres infections sexuellement transmissibles, le ministre des affaires sociales et de la santé, qui s’est fondé non sur l’orientation sexuelle mais sur le comportement sexuel ainsi que le prévoit la directive 2004/33/CE, n’a pas adopté une mesure discriminatoire illégale en substituant à la contre-indication permanente existant antérieurement pour tout homme ayant eu des rapports homosexuels une contre-indication, s’agissant du don de sang total, de douze mois après le dernier rapport sexuel avec un autre homme, au demeurant similaire à celle alors retenue par la moitié des dix États membres de l’Union européenne ayant cessé de prévoir une contre-indication permanente (...). Par suite, doivent être écartés les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, des objectifs de la directive 2004/33/CE de la Commission du 22 mars 2004, des principes d’égalité et de respect de la dignité de la personne humaine ainsi que des dispositions des articles L. 1211‑6-1 et R. 1221-5 du code de la santé publique.

13. En second lieu, contrairement à ce qui est soutenu, l’arrêté critiqué ne prévoit ni n’implique nécessairement par lui-même la collecte ou la conservation de données à caractère personnel relatives aux candidats au don ajournés en raison d’une contre-indication. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée ne peut qu’être écarté. »

LE CADRE JURIDIQUE ET LA PRATIQUE PERTINENTS

28. Le cadre juridique relatif à la protection des données personnelles et celui relatif à la sélection des candidats au don de sang seront présentés de façon successive.

1. La protection des données personnelles
1. Le droit international

29. La Convention pour la protection des personnes à l’égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, du Conseil de l’Europe (STCE no 108, « la Convention de 1981 »), a été ratifiée par la France le 24 mars 1983. Elle est entrée en vigueur le 1er octobre 1985. Les dispositions pertinentes en sont les suivantes :

Article 5 – Qualité des données

Les données à caractère personnel faisant l’objet d’un traitement automatisé sont :

1. obtenues et traitées loyalement et licitement ;
2. enregistrées pour des finalités déterminées et légitimes et ne sont pas utilisées de manière incompatible avec ces finalités ;
3. adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées ;
4. exactes et si nécessaire mises à jour ;
5. conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées.

Article 6 – Catégories particulières de données

Les données à caractère personnel (...) relatives à la santé ou à la vie sexuelle, ne peuvent être traitées automatiquement à moins que le droit interne ne prévoie des garanties appropriées. (...)

Article 9 – Exceptions et restrictions

(...)

2. Il est possible de déroger aux dispositions des articles 5, 6 et 8 de la présente Convention lorsqu’une telle dérogation, prévue par la loi de la Partie, constitue une mesure nécessaire dans une société démocratique :

a. (...)

b. à la protection de la personne concernée et des droits et libertés d’autrui. »

2. Le droit de l’Union européenne
1. Le droit dérivé

30. Les dispositions pertinentes de la directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, JO 1995 L 281, pp. 31‑50, en vigueur à la date des faits, sont les suivantes :

Article 6

1. Les États membres prévoient que les données à caractère personnel doivent être :

(...) / c) adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement ;

d) exactes et, si nécessaire, mises à jour ; toutes les mesures raisonnables doivent être prises pour que les données inexactes ou incomplètes, au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement, soient effacées ou rectifiées ;

e) conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement. (...)

Article 7

Les États membres prévoient que le traitement de données à caractère personnel ne peut être effectué que si :

a) la personne concernée a indubitablement donné son consentement

ou

(...) e) il est nécessaire à l’exécution d’une mission d’intérêt public ou relevant de l’exercice de l’autorité publique, dont est investi le responsable du traitement ou le tiers auquel les données sont communiquées (...)

Article 8 : Traitements portant sur des catégories particulières de données

1. Les États membres interdisent (...) le traitement des données relatives à la santé et à la vie sexuelle.

2. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque :

a) la personne concernée a donné son consentement explicite à un tel traitement, (...) / (...)

3. Le paragraphe 1 ne s’applique pas lorsque le traitement des données est nécessaire aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements ou de la gestion de services de santé et que le traitement de ces données est effectué par un praticien de la santé soumis par le droit national ou par des réglementations arrêtées par les autorités nationales compétentes au secret professionnel, ou par une autre personne également soumise à une obligation de secret équivalente. / (...) »

31. Le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), JO 2016 L 119, pp. 1‑88, est entré en vigueur le 25 mai 2018.

32. Par ailleurs, la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83/CE, JO 2003 L 33, pp. 30‑40, comporte des dispositions imposant la conservation de certaines données en matière de sélection des donneurs :

Article 18 : Admissibilité des donneurs

(...) 2. Les résultats des procédures d’évaluation et d’examen des donneurs sont enregistrés (...).

Article 24 : Protection des données et confidentialité

Les États membres (...) veillent à ce que :

a) des mesures soient prises pour assurer la sécurité des données et empêcher des ajouts, suppressions ou modifications non autorisés dans les fichiers de donneurs ou les registres d’exclusion, ainsi que les transferts non autorisés d’informations ; / (...) »

2. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« la CJUE »)

a) Sur l’exigence d’exactitude des données traitées

33. Dans son arrêt Rijkeboer du 7 mai 2009, la CJUE a jugé que le droit au respect de la vie privée, que la directive 95/46/CE a vocation à protéger, « implique que la personne concernée puisse s’assurer que ses données à caractère personnel sont traitées de manière exacte et licite, c’est-à-dire, en particulier, que les données de base la concernant sont exactes et qu’elles sont adressées à des destinataires autorisés » (arrêt C-553/07, EU:C:2009:293, pts. 46-49).

34. Dans son avis 1/15 du 26 juillet 2017 relatif à un projet d’accord entre le Canada et l’Union européenne sur le transfert et le traitement de données des dossiers passagers, elle a précisé, en Grande chambre, que cette exigence s’infère directement de l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui consacre le droit au respect de la vie privée (EU:C:2017:592, pt. 219).

35. Dans son arrêt Nowak du 20 décembre 2017, elle a dit pour droit que le caractère exact et complet de données à caractère personnel doit être apprécié au regard de la finalité pour laquelle ces données ont été collectées (C‑434/16, EU:C:2017:994, pt. 53).

b) Sur la durée de conservation des données

36. Dans son arrêt Digital Rights Ireland et Seitlinger e.a. du 8 avril 2014, la CJUE, réunie en Grande chambre, a jugé qu’une réglementation de l’Union imposant la conservation de données personnelles doit encadrer la durée de conservation de chacune des catégories de données concernées en fonction de leur utilité éventuelle aux fins de l’objectif poursuivi ou selon les personnes concernées, sur la base de critères objectifs (C‑293/13, EU:C:2014:238, pts. 63-64).

3. Le droit interne

37. À la date des faits litigieux, les dispositions pertinentes de la loi no 78‑17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés étaient les suivantes :

Article 6

Un traitement ne peut porter que sur des données à caractère personnel qui satisfont aux conditions suivantes :

1o Les données sont collectées et traitées de manière loyale et licite ;

2o Elles sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités. (...) ;

3o Elles sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées et de leurs traitements ultérieurs ;

4o Elles sont exactes, complètes et, si nécessaire, mises à jour ; (...)

5o Elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée qui n’excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées.

Article 8

I.- Il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel (...) relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci.

II.- Dans la mesure où la finalité du traitement l’exige pour certaines catégories de données, ne sont pas soumis à l’interdiction prévue au I :

1o Les traitements pour lesquels la personne concernée a donné son consentement exprès (...) ;

(...)

6o Les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive (...) ou de la gestion de services de santé et mis en œuvre par un membre d’une profession de santé, ou par une autre personne à laquelle s’impose en raison de ses fonctions l’obligation de secret professionnel prévue par l’article 226-13 du code pénal ; (...) »

38. Cette version est issue de la loi du 6 janvier 1978, qui a transposé la directive 95/46/CE (paragraphe 30 ci‑dessus) en droit interne. La loi du 6 janvier 1978 a été plusieurs fois modifiée depuis lors. En particulier, la loi no 2018-493 du 20 juin 2018 l’a mise en conformité avec le règlement (UE) 2016/679 (paragraphe 31 ci-dessus).

39. S’agissant spécifiquement des traitements des données mis en œuvre en matière de don de sang, l’arrêté du 10 septembre 2003 portant homologation du règlement de l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSaPS) définissant les principes de bonnes pratiques dont doivent se doter les établissements de transfusion sanguine comportait les dispositions suivantes :

3.1. Dossier du donneur

Les éléments d’identification du donneur sont consignés dans le dossier informatisé du donneur, où est notamment retracé l’historique des dons avec les informations suivantes :

- la date, le type et le numéro de chaque don ;

- les éventuelles contre-indications au don temporaires ou définitives, indiquées de façon codée ;

- les éventuelles réactions du donneur survenues pendant ou après le don ;

- les résultats des analyses biologiques et tests de dépistage effectués à l’occasion de dons antérieurs ;

- et, le cas échéant, des données participant au suivi médical et biologique du donneur.

En vue d’assurer la confidentialité de ces données, leur contenu, leur mode d’utilisation et le personnel autorisé à les modifier ou à les consulter sont définis dans une procédure.

Le dossier ou la partie du dossier mis à disposition sur le lieu de collecte doit contenir les informations nécessaires liées à la sécurité des donneurs et des produits.

Le dossier du donneur est consulté, vérifié et complété lors de chaque don. »

40. Ces dispositions ont été reprises dans la décision du directeur général de l’AFSSaPS du 6 novembre 2006.

41. Les traitements automatisés de données mis en œuvre par l’ÉFS ont ultérieurement été autorisés par la CNIL par une délibération no 2011-395 du 8 décembre 2011, à l’occasion de leur centralisation dans une base de données nationale unique. Celle-ci précise que ces traitements ont notamment vocation à recenser les « contre-indications médicales temporaires ou définitives regroupées par catégories, risque d’agents infectieux transmissibles par voie sanguine ou sexuelle, commentaires associés à ce risque viral strictement nécessaires ».

2. La sélection des donneurs de sang
1. Droit et pratique internationaux
1. Les publications de l’Organisation mondiale de la santé (« l’OMS »)

42. Les résolutions WHA58.13 et WHA63.12, adoptées les 23 mai 2005 et 21 mai 2010 par l’Assemblée mondiale de la Santé encouragent les États membres à sélectionner les candidats au don de sang sur le fondement de critères stricts, afin de ne retenir que ceux qui présentent le moins de risque de porter un agent pathogène transmissible par le sang.

43. Par ailleurs, l’OMS a publié des Lignes directrices sur l’évaluation de l’admissibilité au don de sang en 2012, sur la base des travaux d’un groupe d’experts. Sans prendre position sur l’exclusion du don des hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme, elle recommande (p. 88) que :

« (...) les critères d’exclusion permanente pour comportements sexuels à risque élevé soient définis et fréquemment révisés en fonction de la situation particulière du pays ou de la région concerné, à partir d’une analyse du risque résiduel de transmission d’infections virales par voie de transfusion, en prenant en compte les évolutions de l’épidémiologie de ces maladies, les progrès technologiques concernant les tests de dépistage disponibles et les travaux de recherche en cours. »

2. Les instruments du Conseil de l’Europe

44. La Recommandation no R (95) 14 du Comité des Ministres sur la protection de la Santé des donneurs et des receveurs dans le cadre de la transfusion sanguine, adoptée le 12 octobre 1995, rappelle « l’importance d’une sélection appropriée des donneurs, évitant toute possibilité de discrimination ». Elle souligne la nécessité d’éviter les « dons provenant de personnes, qui, par leur (...) comportement (...) augmenteraient probablement le risque d’infection pour les receveurs », en se référant en particulier au risque de transmission du VIH et des virus hépatiques.

45. Dans sa Résolution CM/Res (2008) 5 sur la responsabilité des donneurs et sur la limitation du don du sang et des composants sanguins, adoptée le 12 mars 2008, le Comité des Ministres insiste sur le « devoir » de transparence des donneurs à l’égard des établissements du sang au sujet des facteurs de risque transfusionnel. Corrélativement, il insiste sur la nécessité de garantir la confidentialité des informations fournies par les donneurs et sur leur « droit de se retirer à tout moment de la procédure du don de sang (...) sans avoir à expliquer cette décision ». Il préconise que la sélection des donneurs s’opère « en gardant à l’esprit le droit des receveurs à la protection de la santé et l’obligation en résultant de réduire le risque de transmission de maladies infectieuses. Ces droits et obligations ont priorité sur toute autre considération, y compris la volonté des individus de donner leur sang. »

46. En dernier lieu, la Résolution CM/Res (2013) 3 relative aux comportements sexuels chez les donneurs de sang ayant un impact sur la sécurité transfusionnelle, adoptée par le Comité des Ministres le 27 mars 2013 à partir d’études scientifiques compilées par un groupe d’experts, relève que « les personnes ayant des rapports sexuels entre hommes et les professionnels du sexe dans beaucoup de pays européens se situent à l’extrémité supérieure de l’échelle du risque de contamination par le VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles présentant un risque transfusionnel ». Elle note que « les données épidémiologiques actuelles ne permettent pas d’établir précisément le risque de contracter une infection à risque transfusionnel en corrélation avec la prise de risque individuelle des donneurs en matière de comportements sexuels ». Sur cette base, le Comité de Ministres recommande, « [pour] un comportement sexuel à risque donné, [de] ne décider d’appliquer une politique d’exclusion temporaire qu’après avoir établi que ce comportement n’expose pas les donneurs à un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves susceptibles d’être transmises par le sang ».

2. Droit de l’Union européenne
1. Le droit dérivé

47. Le préambule de la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 2003 établissant des normes de qualité et de sécurité pour la collecte, le contrôle, la transformation, la conservation et la distribution du sang humain, et des composants sanguins, et modifiant la directive 2001/83/CE, JO L 33, pp. 30-40, comporte les considérants suivants :

« (2) (...) Afin de préserver la santé publique et de prévenir la transmission de maladies infectieuses, toutes les mesures de précaution doivent être prises lors de [la] collecte [du sang et des composants sanguins] (...) en exploitant comme il se doit les progrès scientifiques en matière de détection, d’inactivation et d’élimination des agents pathogènes transmissibles par transfusion. »

« (24) Le sang et les composants sanguins utilisés à des fins thérapeutiques (...) devraient provenir de personnes dont l’état de santé est tel (...) que tout risque de transmission d’une maladie infectieuse est réduit au minimum. (...) »

48. Ses articles 18 et 19 imposent aux établissements de transfusion sanguine d’évaluer de manière systématique l’admissibilité au don de sang, sur le fondement d’un examen pratiqué par un professionnel de santé avant chaque don de sang, comprenant un interrogatoire.

49. L’article 29, d) de la directive 2002/98/CE habilite la Commission européenne à définir des critères d’exclusion du don de sang et à les actualiser en tenant compte du progrès scientifique et technique.

50. Sur ce fondement, la directive 2004/33/CE de la Commission du 22 mars 2004 portant application de la directive 2002/98/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au sang et aux composants sanguins, JO 2004 L 91, pp. 25‑39, prévoit, dans son annexe III, une exclusion du don en cas de comportement sexuel exposant le donneur à un risque de contracter des maladies infectieuses graves transmissibles par le sang. Cette exclusion est permanente ou temporaire, selon les cas (points 2.1 et 2.2.2).

2. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (« la CJUE »)

51. Dans l’affaire Léger (arrêt du 29 avril 2015, C‑528/13, EU:C:2015:288), la CJUE a été saisie d’une question préjudicielle dans le cadre d’un litige relatif à une décision d’exclusion du don de sang fondée sur l’arrêté du 12 janvier 2009, qui prévoyait alors une contre-indication permanente pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme (paragraphe 61 ci-dessous).

52. Elle a considéré, en premier lieu, que la directive 2004/33/CE laissait aux États membres une marge d’appréciation pour déterminer les comportements sexuels justifiant une exclusion permanente du don de sang (pt. 39).

53. En second lieu, la CJUE a estimé qu’un État membre peut prévoir une exclusion permanente du don de sang pour les hommes ayant eu des rapports sexuels entre hommes sans méconnaître le principe de non‑discrimination prévu à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (« la Charte »), lorsqu’il est établi, sur la base de données médicales, scientifiques et épidémiologiques actuelles, eu égard à la situation prévalant dans cet État, qu’un tel comportement sexuel expose ces personnes à un risque élevé de contracter des maladies infectieuses graves susceptibles d’être transmises par le sang et que, dans le respect du principe de proportionnalité, il n’existe pas de techniques efficaces de détection de ces maladies infectieuses ou, à défaut de telles techniques, de méthodes moins contraignantes qu’une telle contre‑indication pour assurer un niveau élevé de protection de la santé des receveurs (pts. 40-69).

54. À ce titre, la CJUE a indiqué qu’il incombait à la juridiction de renvoi de déterminer si une sélection des donneurs fondée sur une identification plus précise des comportements sexuels à risque pouvait permettre d’établir une contre-indication au don moins contraignante qu’une contre-indication permanente pour l’ensemble du groupe constitué des hommes ayant eu des rapports sexuels avec un homme. (pts. 66-69).

55. À la suite de cet arrêt, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision d’exclusion du don de sang prise à l’encontre de M. Léger par un jugement no 0903177 du 8 mars 2016. Il a jugé qu’en interdisant de manière générale et définitive le don de sang aux hommes ayant eu des rapports sexuels avec d’autres hommes sans effectuer de distinction en fonction des comportements sexuels individuels des donneurs et du délai écoulé depuis le dernier rapport sexuel homosexuel, l’arrêté du 12 janvier 2009, en application duquel la décision d’exclusion du don avait été prise, méconnaissait le principe de proportionnalité édicté à l’article 52 de la Charte. Le tribunal administratif a estimé, en particulier, que rien n’interdisait de prévoir, lors de la procédure de sélection des donneurs de sang, des mécanismes permettant d’obtenir des informations ciblées et pertinentes sur les comportements sexuels à risque des hommes homosexuels.

3. Droit et pratique internes

56. Les articles 16‑3 et suivants du code civil et les articles L. 1211‑2 et suivants du code de la santé publique prévoient que la collecte des éléments et des produits du corps humain ne peut reposer que sur un acte volontaire, désintéressé et anonyme du donneur. L’article L. 1221‑1 du code de la santé publique dispose par ailleurs que « la transfusion sanguine s’effectue dans l’intérêt du receveur et relève des principes éthiques du bénévolat et de l’anonymat du don, et de l’absence de profit ».

57. L’ÉFS est un établissement public de l’État, placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé. Il est notamment chargé, pour la population civile, de la collecte du sang et de la sécurité de la chaîne transfusionnelle, comme le prévoit l’article L. 1222-1 du code de la santé publique. Il exerce ses missions par l’intermédiaire d’un réseau d’établissements régionaux dépourvus de personnalité juridique.

58. La réglementation relative à la sélection des candidats au don de sang a évolué au cours de la période durant laquelle se sont déroulés les faits litigieux et depuis l’introduction des requêtes.

59. À la date 16 novembre 2004, le cadre juridique était défini par l’arrêté du 10 septembre 2003 précité (paragraphe 39 ci-dessus). Son annexe comportait les dispositions suivantes :

IV. - SÉLECTION DES DONNEURS

(...) 1. Entretien et examen pré-don

Chaque don est obligatoirement précédé d’un entretien avec le candidat au don et de son examen. Ces deux étapes, essentielles en terme de sécurité transfusionnelle, sont orientées sur la recherche :

- d’une affection contre-indiquant le prélèvement, dans un souci de protection du donneur ;

- d’une affection transmissible par la transfusion, dans un souci de protection du receveur.

(...) / La sélection des candidats au don s’effectue par la personne habilitée au regard d’une documentation médico-technique actualisée. »

60. La documentation médico-technique visée à cet arrêté n’a pas été produite par les parties. Toutefois, il est constant que l’ÉFS avait alors pour pratique d’exclure de façon permanente du don de sang les hommes ayant déclaré avoir eu un rapport sexuel avec un autre homme.

61. Les contre-indications au don de sang ont ensuite été définies par voie d’arrêtés du ministre chargé de la Santé. Le premier d’entre eux a été pris le 12 janvier 2009. Il prévoyait expressément une contre-indication permanente au don pour tout « homme ayant eu des rapports sexuels avec un homme ».

62. L’article L. 1211-6-1 du code de la santé publique, créé par la loi du 7 juillet 2011 et modifié par la loi du 26 janvier 2016, est venu préciser que :

« Nul ne peut être exclu du don de sang en dehors de contre-indications médicales.

Nul ne peut être exclu du don de sang en raison de son orientation sexuelle. »

63. Les critères de sélection des donneurs de sang ont ensuite été modifiés par l’arrêté du 5 avril 2016, publié au Journal officiel du 10 avril 2016. Celui‑ci prévoyait à son annexe II, « pour les hommes [ayant eu un ou des] rapport(s) sexuel(s) avec un autre homme », une contre-indication temporaire de douze mois après le dernier rapport sexuel en cas de don de sang total ou d’aphérèse et une contre-indication temporaire de quatre mois pour les hommes ayant eu plus d’un partenaire sexuel dans les quatre derniers mois après la fin de cette situation en cas de don de plasma par aphérèse pour plasma sécurisé par quarantaine. L’article 3 de cet arrêté prévoyait que : « Le présent arrêté entrera en vigueur trois mois après sa publication au Journal officiel de la République française, à l’exception des critères de sélection du risque infectieux lié au virus West Nile, qui entrent en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel de la République française », soit le 10 juillet 2016.

64. La durée de cette contre-indication au don de sang total a été limitée à quatre mois par un arrêté du 17 décembre 2019.

65. Elle a finalement été supprimée par un arrêté du 11 janvier 2022. Si cet arrêté prévoit que certains comportements sexuels à risque entraînent encore une exclusion du don, ceux-ci sont désormais définis indépendamment du genre et de l’orientation sexuelle (ex. : multi-partenariat, recours à une sexualité tarifée, etc.).

4. Éléments de droit comparé

66. Il résulte de l’avis no 123 du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé, communiqué par le requérant, qu’en mars 2015, l’ensemble des États membres de l’Union européenne excluaient du don de sang les candidats au don ayant eu un comportement sexuel à risque. Ceux-ci étaient toutefois définis de manière variable. Le fait d’avoir eu un rapport sexuel entre hommes entraînait une exclusion permanente dans dix-huit des États membres. Au Royaume-Uni, en Suède, en Finlande, en Slovaquie et en Hongrie, ce même comportement sexuel entraînait une exclusion temporaire d’un an. Seules l’Italie, l’Espagne et la Pologne définissaient ces comportements sexuels à risque sans référence aux rapports homosexuels masculins.

67. Hors de l’Union européenne, il était relevé que la Russie avait également supprimé toute référence à l’homosexualité dans la définition des contre-indications au don de sang. Une exclusion temporaire spécifique aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme était par ailleurs prévue au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, au Japon, au Brésil, en Argentine et en Afrique du Sud, pour une durée variable.

68. Par ailleurs, une évolution récente du droit ou de la pratique de plusieurs États membres du Conseil de l’Europe peut être observée. Certains États ont renoncé à définir les contre-indications au don par référence à une sexualité homosexuelle (Grèce, Hongrie, Lituanie). D’autres ont réduit la durée de l’exclusion temporaire concernée (Autriche, Danemark, Finlande, Irlande) ou l’ont supprimée pour les hommes homosexuels en relation monogame durable (Allemagne, Pays-Bas, Royaume-Uni).

EN DROIT

1. Jonction des requêtes

69. Eu égard à la connexité de l’objet des deux requêtes, la Cour juge opportun de les examiner ensemble dans un arrêt unique.

2. Sur la collecte et la conservation de données relatives à la sexualité du requérant

70. Dans le cadre de ses requêtes nos 3153/16 et 27758/18, le requérant se plaint en premier lieu de la collecte et de la conservation par l’ÉFS de données personnelles reflétant son orientation sexuelle supposée. Il dénonce, d’une part, une atteinte à son droit au respect de la vie privée, et, d’autre part, une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans le traitement de ses données.

71. La Cour examinera ces deux griefs tour à tour.

1. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

72. Le requérant soutient que des données reflétant son orientation sexuelle supposée ont été collectées et conservées par l’ÉFS dans des conditions contraires aux exigences de l’article 8 de la Convention, aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la protection de la santé (...), ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

1. Sur la recevabilité

73. Constatant que ce grief n’est ni manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Thèses des parties

74. Le requérant se plaint d’avoir été référencé par l’ÉFS comme faisant l’objet de la contre-indication au don de sang alors prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme. Contestant la collecte et la conservation de données personnelles relatives à ses pratiques homosexuelles supposées, le requérant dénonce à la fois une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et un manquement aux obligations positives découlant de l’article 8.

75. Sous l’angle des obligations négatives, d’une part, il soutient que ces traitements de données n’étaient pas fondés sur une base légale prévisible. À cet égard, il met en avant les hésitations des juridictions internes quant au fondement légal permettant de soustraire ces opérations du domaine de l’incrimination prévue à l’article 226-19 du code pénal.

76. Il conteste en outre la légitimité et la nécessité de cette ingérence. Il fait valoir que la conservation du motif de contre-indication au don litigieux ne reposait pas sur des motifs pertinents et suffisants. À cet égard, il soutient que ce référencement avait vocation à assurer l’application de la contre-indication permanente au don de sang pour les homosexuels alors en vigueur, dont il dénonce le caractère discriminatoire. Il fait ensuite valoir que les données le concernant reflétaient son orientation sexuelle supposée et qu’elles étaient donc sensibles. Il conteste le fait qu’elles ont été collectées sur le seul fondement de son refus de répondre à des questions portant sur sa sexualité. Il soutient en outre que les données litigieuses ont été collectées sans son consentement, qu’elles avaient vocation à être conservées perpétuellement, et qu’elles n’étaient pas susceptibles de faire l’objet d’une procédure d’effacement ou de rectification effective. Il en déduit que le traitement de ces données sensibles n’était pas assorti de garanties appropriées et que l’ingérence était disproportionnée.

77. Sous l’angle des obligations positives, d’autre part, il fait grief à l’État défendeur de s’être abstenu de sanctionner effectivement les atteintes au droit à la protection des données qu’il dénonce, en particulier sur le plan pénal.

78. Le Gouvernement admet qu’il y a eu ingérence dans la vie privée du requérant du fait de la collecte et la conservation des données litigieuses. Il soutient cependant que ces traitements de données étaient prévus de manière prévisible et accessible par l’article 226-19 du code pénal et par l’article 8, II, 6o de la loi du 6 janvier 1978. Il ajoute que la contre-indication permanente au don de sang alors prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme était claire et impliquait que l’ÉFS se dote d’un système informatique permettant sa mise en œuvre. Il considère enfin que ces traitements de données étaient nécessaires à la protection de la santé publique.

b) Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

79. La Cour rappelle que la conservation de données relatives à la « vie privée » d’un individu entre dans le champ d’application de l’article 8 § 1 (Leander c. Suède, 26 mars 1987, § 48, série A no 116, et Amann c. Suisse [GC], no 27798/95, § 65, CEDH 2000‑II). Cette notion large englobe notamment des éléments comme l’identification sexuelle, l’orientation sexuelle et la vie sexuelle (voir, parmi d’autres, E.B. c. France [GC], no 43546/02, § 43, 22 janvier 2008).

80. Pareille ingérence méconnaît l’article 8 à moins qu’elle soit « prévue par la loi », qu’elle poursuive un but légitime, et, qu’elle soit de surcroît « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre celui-ci.

81. Selon la jurisprudence constante de la Cour, les termes « prévue par la loi » signifient que la mesure litigieuse doit avoir une base en droit interne qui soit compatible avec la prééminence du droit. Cette base légale doit être accessible et prévisible, c’est-à-dire énoncée avec assez de précision pour permettre à l’individu – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – de régler sa conduite. Pour que l’on puisse la juger conforme à ces exigences, elle doit fournir une protection adéquate contre l’arbitraire et, en conséquence, définir avec une netteté suffisante l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré aux autorités compétentes (Malone c. Royaume-Uni, 2 août 1984, §§ 66-68, série A no 82, Rotaru c. Roumanie [GC], no 28341/95, § 55, CEDH 2000‑V, S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 95, CEDH 2008, et L.H. c. Lettonie, no 52019/07, §§ 47-59, 29 avril 2014).

82. La Cour a résumé les principes applicables à l’examen de la nécessité de la collecte et de la conservation de données à caractère personnel dans l’affaire S. et Marper (précité, §§ 101­-104). Une telle mesure doit être proportionnée au but légitime poursuivi et reposer sur des motifs « pertinents et suffisants ». La législation interne doit, par ailleurs, ménager des « garanties appropriées » pour empêcher toute utilisation de données à̀ caractère personnel qui ne serait pas conforme aux garanties prévues à l’article 8 (ibidem, § 103). À cet égard, la Cour prend en considération les stipulations de la Convention de 1981 (Z c. Finlande, 25 février 1997, § 95, Recueil des arrêts et décisions 1997‑I, et S et Marper, précité, §§ 103 et 107). Pour contrôler si une mesure portant atteinte à la protection des données à caractère personnel est « nécessaire dans une société démocratique », la Cour examine si elle respecte l’une ou l’autre des exigences énumérées par l’article 5 de cette Convention, à savoir, notamment, les exigences de minimisation des données stockées, d’exactitude des données, de limitation de leur utilisation et de limitation de leur durée de conservation. En particulier, le droit interne doit assurer que les données traitées sont pertinentes et non excessives par rapport aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées, et qu’elles sont conservées sous une forme permettant l’identification des personnes concernées pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont enregistrées (ibidem, § 103). Ces considérations valent tout spécialement lorsqu’est en jeu la protection de catégories particulières de données plus sensibles visées à l’article 6 de la Convention de 1981 (ibidem, § 103).

83. En ce qui concerne plus particulièrement l’exigence d’exactitude et de mise à jour des données collectées, la Cour a eu à connaître de plusieurs affaires relatives à la conservation, par les autorités, de données dont l’inexactitude était avérée ou alléguée (voir, notamment, Cemalettin Canlı c. Turquie, no 22427/04, §§ 34-37, 18 novembre 2008, sur la présence d’informations inexactes dans un fichier de police, et Rotaru, précité, § 36, sur la tenue d’un registre par un service de renseignement comprenant des données erronées sur le passé du requérant). Des données personnelles, fausses ou incomplètes, recueillies et conservées par les autorités peuvent rendre plus difficile la vie quotidienne de la personne concernée (Khelili c. Suisse, no 16188/07, § 64, 18 octobre 2011) ou s’avérer diffamatoires (Rotaru, précité, § 44). Leur mésusage peut être aggravé par la méconnaissance de certaines garanties procédurales prévues en droit interne pour protéger les droits des personnes concernées (voir, pour la transmission parcellaire d’une information inexacte issue d’un fichier de police aux autorités judiciaires, Cemalettin Canlı, précité, §§ 42-43).

84. La Cour reconnait en la matière une certaine marge d’appréciation aux autorités nationales compétentes ; son étendue dépend d’un certain nombre de facteurs, dont la nature du droit en cause garanti par la Convention, son importance pour la personne concernée, la nature de l’ingérence et la finalité de celle-ci (S. et Marper, précité, § 102). La Cour prend également en compte le fait que le consentement de la personne n’ait pas été obtenu ou recherché lors de la collecte, de la conservation ou de l’utilisation de données intrinsèquement privées (ibidem, § 104, et Avilkina et autres c. Russie, no 1585/09, §§ 48-49, 6 juin 2013). Ainsi, la Cour a jugé que la divulgation de données relative à la séropositivité (Z c. Finlande, précité, § 96) ou la conservation et l’utilisation sans limites de données relatives aux empreintes digitales et génétiques à des fins policières (S. et Marper, précité, §§ 104 et 112) effectuées sans le consentement de la personne concernée appellent un examen rigoureux de sa part.

2. Application au cas d’espèce

α) Sur la question de savoir si est en cause une obligation négative ou une obligation positive

85. La Cour rappelle que l’article 8 a d’abord pour objet de prémunir l’individu contre les ingérences arbitraires des pouvoirs publics. L’ÉFS étant un établissement public de l’État (paragraphe 57 ci-dessus), la Cour examinera ce grief sous l’angle des obligations négatives (Libert c. France, no 588/13, § 41, 22 février 2018 ; voir également, a contrario, Bărbulescu c. Roumanie [GC], no 61496/08, §§ 109-111, 5 septembre 2017 et Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, §§ 78-79, CEDH 2013).

β) Sur l’existence d’une ingérence

86. En l’espèce, la Cour constate qu’ont été collectées et conservées dans une base de données initialement exploitée par l’un des établissements de l’ÉFS des données personnelles selon lesquelles le requérant était concerné par la contre-indication au don de sang alors prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme en droit interne. Aux yeux de la Cour, de telles données comportent des indications explicites sur la vie sexuelle et sur l’orientation sexuelle supposée du requérant. À cet égard, le fait que cette contre-indication ait été conservée avec la simple référence à un code et non la description explicite d’un comportement sexuel n’est pas déterminant. Il était en outre prévu que les données saisies en 2004 soient conservées jusqu’en 2278. Dès lors, la Cour considère, avec les parties, qu’il y a eu ingérence dans le droit au respect de la vie privée du requérant.

γ) Sur la base légale de l’ingérence

87. La Cour relève que l’article 8, II, 6o de la loi du 6 janvier 1978, dans sa version applicable au litige, faisait exception, en matière médicale, à l’interdiction de collecter et de traiter des données relatives à la santé ou à la vie sexuelle des personnes édictée à son paragraphe I. Ces dispositions autorisaient en particulier la mise en œuvre de traitements comportant de telles données en cas de nécessité pour la « gestion de services de santé », en conférant aux autorités internes un pouvoir d’appréciation s’agissant de la création de tels fichiers. Reste à déterminer si cette base légale était suffisamment prévisible et accessible, du point de vue d’un donneur de sang, et si elle fournissait une protection adéquate contre l’arbitraire.

88. De l’avis de la Cour, la prévisibilité de cette base légale doit être appréciée dans son contexte juridique. Or, la Cour relève qu’à la date des faits litigieux, l’article 18 de la directive 2002/98/CE imposait l’enregistrement des résultats des procédures d’évaluation et d’examen des donneurs (paragraphe 32 ci-dessus). L’arrêté du 10 septembre 2003 prévoyait en outre la tenue d’un « dossier informatisé du donneur » comprenant « les éventuelles contre-indications au don temporaires ou définitives, indiquées de façon codée » le concernant (paragraphe 39 ci‑dessus). La Cour en conclut que ce cadre légal, pris dans son ensemble, définissait avec suffisamment de précision l’étendue et les modalités d’exercice du pouvoir d’appréciation conféré aux autorités internes et permettait ainsi au requérant de régler sa conduite, c’est-à-dire de poursuivre ou de renoncer à sa démarche de don de sang en connaissance de cause. Elle estime donc que l’ingérence litigieuse était « prévue par la loi ».

δ) Sur la poursuite d’un but légitime

89. De l’avis de la Cour, l’ingérence litigieuse poursuivait au moins un des buts légitimes énumérés à l’article 8 § 2, à savoir la protection de la santé. À cet égard, la Cour ne perd pas de vue qu’un grand nombre de personnes ont été contaminées par le VIH ou par des virus hépatiques par voie de transfusion de produits sanguins insuffisamment sécurisés, en France comme dans de nombreux États contractants, avant que des techniques de détection, d’inactivation et d’élimination des agents pathogènes soient développées et généralisées. Les instruments de droit international précités (paragraphes 44‑54 ci-dessus) ont été adoptés pour répondre à cette crise sanitaire majeure et poursuivent ce même objectif de protection de la santé publique. Au demeurant, la Cour rappelle que les obligations positives découlant de l’article 2 de la Convention impliquent la mise en place d’un cadre réglementaire imposant aux hôpitaux l’adoption de mesures propres à assurer la protection de la vie de leurs malades (G.N. et autres c. Italie, no 43134/05, §§ 80, 85-95, 1er décembre 2009, Oyal c. Turquie, no 4864/05, §§ 53-54, 23 mars 2010, et Karchen et autres c. France (déc.), no 5722/04, 4 mars 2008).

ε) Sur la nécessité de l’ingérence

90. La Cour doit d’abord examiner si l’ingérence litigieuse était fondée sur des motifs pertinents et suffisants.

91. Sur ce point, le Gouvernement fait valoir que la collecte et la conservation des données litigieuses permettaient d’assurer le respect effectif de la contre-indication au don de sang alors prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme. Il soutient que celle-ci n’était pas fondée sur une orientation sexuelle, mais sur un comportement sexuel corrélé à un risque transfusionnel élevé selon différentes études médicales et épidémiologiques.

92. Le requérant soutient au contraire que cette ingérence ne reposait pas sur des motifs pertinents et suffisants. Il dénonce en outre le caractère discriminatoire du critère de sélection des donneurs qui a conduit à la collecte et à la conservation des données personnelles litigieuses.

93. Au vu des explications fournies par le Gouvernement, des documents qui lui ont été communiqués et des instruments de droit international précités (paragraphes 44-54 ci-dessus), la Cour considère que la collecte et la conservation de données personnelles relatives aux résultats des procédures de sélection des candidats au don du sang, et en particulier aux motifs d’exclusion du don éventuellement retenus, contribuent à garantir la sécurité transfusionnelle. Sans qu’il soit besoin de rechercher si d’autres critères de sélection des donneurs étaient envisageables (voir, mutatis mutandis, S. et Marper, précité, § 117), la Cour considère que la collecte et la conservation des données litigieuses reposaient sur des motifs pertinents et suffisants.

94. Afin d’apprécier si l’ingérence litigieuse était proportionnée et ménageait un juste équilibre entre les intérêts publics et privés en concurrence, la Cour doit ensuite rechercher si la législation interne prévoyait des garanties appropriées.

95. Eu égard à la sensibilité des données personnelles litigieuses, qui comportent des indications sur les pratiques et l’orientation sexuelles du requérant (paragraphe 86 ci-dessus), la Cour considère qu’il est particulièrement important qu’elles répondent aux exigences de qualité prévues à l’article 5 de la Convention de 1981. Il importe en particulier qu’elles soient exactes et, le cas échéant, mises à jour, qu’elles soient adéquates, pertinentes et non excessives par rapport aux finalités du traitement, et que leur durée de conservation n’excède pas celle qui est nécessaire. Par ailleurs, la Cour constate que les données litigieuses, qui touchaient à l’intimité du requérant, ont été collectées et conservées sans le consentement explicite du requérant – ce que le Gouvernement défendeur ne conteste pas. En conséquence, elle se doit de procéder à cet examen de façon rigoureuse (S. et Marper, précité, § 104, et Z. c. Finlande, précité, § 96).

96. En premier lieu, s’agissant de l’exactitude des données personnelles, la Cour estime que celle-ci doit être appréciée au regard de la finalité pour laquelle ces données ont été collectées. Dans le traitement litigieux, cette catégorie de données avait pour finalité d’assurer le respect d’une contre-indication au don spécifique, que le droit interne prévoyait alors de façon permanente. À cette fin, elle devait reposer sur une base factuelle précise et exacte. Or, le requérant s’est vu appliquer une contre-indication propre aux hommes ayant eu un rapport sexuel avec un homme au seul motif qu’il avait refusé de répondre à des questions relatives à sa sexualité lors de l’entretien médical préalable au don. Aucun des éléments soumis à l’appréciation du médecin ne lui permettait de tirer une telle conclusion sur ses pratiques sexuelles. C’est pourtant ce motif d’exclusion du don qui fut renseigné et conservé. La Cour en déduit que les données collectées se fondaient sur de simples spéculations et ne reposaient sur aucune base factuelle avérée. Or, la Cour rappelle que c’est aux autorités qu’il incombe de démontrer l’exactitude des données collectées (voir Khelili, précité, §§ 66-70). Elle relève de surcroît qu’elles n’ont pas avoir été mises à jour à la suite des protestations et de la plainte du requérant.

97. La Cour tient à souligner par ailleurs qu’il est inadéquat de collecter une donnée personnelle relative aux pratiques et à l’orientation sexuelles sur le seul fondement de spéculations ou de présomptions. Au surplus, il aurait suffi, aux yeux de la Cour, pour atteindre l’objectif de sécurité transfusionnelle recherché, de garder trace du refus du requérant de répondre aux questions relatives à sa sexualité, cet élément étant de nature à justifier, à lui seul, un refus de la candidature au don de sang.

98. En second lieu, le Gouvernement ne démontre pas qu’à l’époque des faits, la durée de conservation des données litigieuses était encadrée de telle sorte qu’elle ne puisse pas excéder celle nécessaire aux finalités pour lesquelles elles ont été collectées. La Cour note qu’au moment de la collecte de ces données en 2004, l’outil informatique employé par l’ÉFS prévoyait leur conservation jusqu’en 2278 (paragraphe 6 ci-dessus), rendant ainsi possible leur utilisation de manière répétée. À la date du 26 mai 2016, soit près de douze ans après leur collecte, les données relatives au motif d’exclusion étaient encore conservées. À cet égard, la Cour tient à souligner que la durée de conservation des données doit être encadrée pour chacune des catégories de données concernées et qu’elle doit être révisée si les finalités pour lesquelles elles ont été collectées ont évolué. La Cour relève, au vu de la pratique constante de l’ÉFS, que la durée excessive de conservation des données litigieuses a rendu possible leur utilisation répétée à l’encontre du requérant, entraînant son exclusion automatique du don de sang.

99. Au vu de l’ensemble des éléments qui précèdent, la Cour conclut que l’État défendeur a outrepassé sa marge d’appréciation en la matière.

100. Il y a donc eu violation de l’article 8 de la Convention en raison de la collecte et de la conservation des données personnelles litigieuses.

2. Sur la violation alléguée de l’article 14 combiné à l’article 8

101. Le requérant voit également dans les modalités de traitement de ses données, telles qu’elles résulteraient de l’interprétation faite par la Cour de cassation de l’article 226-19 du code pénal en l’espèce, une discrimination fondée sur son orientation sexuelle supposée, qu’il estime contraire à l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 8.

102. Eu égard aux constats qu’elle vient de faire sur le terrain de l’article 8, la Cour considère qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément ce grief sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 8.

3. Sur le refus des candidatures au don de sang du requérant

103. Dans le cadre de sa requête no 27758/18, le requérant se plaint en second lieu des décisions de refus opposées à ses demandes de don de sang en 2004, 2006 et 2016.

104. Il conteste la prévisibilité, l’adéquation et la nécessité de la contre-indication au don alors prévue en droit interne à l’égard des hommes ayant eu une relation sexuelle avec un autre homme. Selon lui, ce critère de sélection des donneurs cible indistinctement la population homosexuelle masculine, alors qu’il devrait être défini en tenant compte du risque transfusionnel attaché aux pratiques sexuelles individuelles du candidat au don et de la fiabilité croissante des tests de dépistage obligatoirement mis en œuvre sur chaque prélèvement. Il se plaint par ailleurs d’une discrimination fondée sur son orientation sexuelle supposée. Il invoque l’article 8 de la Convention, seul et en combinaison avec l’article 14.

105. La Cour examinera ces deux griefs conjointement.

1. Observations des parties sur la recevabilité des griefs tirés de la violation des articles 8 et 14 de la Convention

106. À titre principal, le Gouvernement soutient que le requérant revendique un droit au don de sang que l’article 8 ne garantit pas. Selon lui, le don de sang ne peut être conçu que comme un acte de solidarité désintéressé, et non comme un droit fondamental. Rappelant la nature ancillaire de l’article 14, il soutient en outre que l’accès au don de sang ne tombe pas d’avantage sous l’empire de l’article 8. Il en conclut que ces griefs ne sont pas compatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

107. Le requérant soutient au contraire que la liberté de donner son sang est une expression du droit à l’autonomie personnelle, du droit de disposer de son corps, du droit à l’autodétermination, de la possibilité pour l’individu de nouer et de développer des relations avec ses semblables et du droit au respect de la dignité humaine, lesquels sont protégés par l’article 8.

2. Appréciation de la Cour sur la recevabilité des griefs tirés de la violation des articles 8 et 14 de la Convention
1. Sur le respect du délai de six mois

108. À titre liminaire, la Cour doit vérifier d’office si elle a été saisie de ce grief en temps utile (voir, parmi d’autres, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 138, 20 mars 2018). Elle relève que le requérant l’a saisie d’un grief relatif aux mesures d’exclusion du don prises à son égard le 16 novembre 2004 et le 9 août 2006 par sa requête du 8 juin 2018. Devant les juridictions internes, le requérant n’a contesté ces mesures que dans le cadre de sa plainte avec constitution de partie civile. Or, il a été définitivement statué sur son bien-fondé le 8 juillet 2015. Par conséquent, ce grief, en tant qu’il concerne les décisions d’exclusion précitées, est tardif et doit être déclaré irrecevable en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

2. Sur les autres motifs d’irrecevabilité

109. S’agissant de l’exclusion du don du 26 mai 2016, la Cour relève que le droit interne permettait au requérant de contester directement les décisions d’exclusion du don de sang prises à son encontre devant le juge administratif (voir, par exemple, paragraphe 55 ci-dessus), ce qu’il n’a pas fait en préférant présenter, le 10 juin 2016, un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 5 avril 2016. En outre, elle observe que le requérant n’a pas soutenu, devant le Conseil d’État, que les dispositions de la Convention garantissaient un droit ou une liberté de donner son sang. Si elle doute de l’épuisement des voies de recours internes, la Cour constate cependant que le Gouvernement défendeur ne s’en prévaut pas.

110. Par ailleurs, la Cour n’estime pas nécessaire de statuer sur l’applicabilité ratione materiae des dispositions invoquées, dans la mesure où les griefs précités sont, en tout état de cause, irrecevables pour défaut manifeste de fondement pour les raisons qui suivent.

111. La Cour constate en effet que le raisonnement du requérant tend essentiellement à remettre en cause la contre-indication temporaire au don de sang prévue pour les hommes ayant eu un rapport sexuel avec un autre homme, dans sa version issue de l’arrêté du 5 avril 2016. Or, elle relève que l’arrêté du 5 avril 2016 n’est entré en vigueur que le 10 juillet 2016 en ce qui concerne les contre-indications liées au risque d’exposition du candidat au don à un agent infectieux transmissible par voie sexuelle (paragraphe 63 ci-dessus). Il s’ensuit que le requérant ne saurait invoquer devant la Cour la violation des articles 8 et 14 combinés qu’aurait entraînée la mise en œuvre, à son encontre, d’un arrêté réglementaire qui n’était pas encore en vigueur à la date du refus de don de sang qu’il conteste devant elle.

112. La Cour note, à titre surabondant, que le refus du don de sang du requérant du 26 mai 2016 résulte de l’application automatique, par l’ÉFS, d’une contre-indication au don figurant dans le traitement de données depuis 2004 et résultant de la collecte et de la conservation, sous l’empire de l’arrêté du 10 septembre 2003, de données entachées d’inexactitude matérielle (paragraphes 7, 96 et 98 ci-dessus). En effet, le requérant soutient, sans être contredit par le Gouvernement sur ce point, que le médecin s’est borné à constater son référencement dans la base de données litigieuse lors de l’entretien préalable au don du 26 mai 2016, sans prendre aucun autre élément en considération dans les circonstances concrètes de l’espèce. Aux yeux de la Cour, il s’agit là d’une répercussion de la violation précédemment constatée de l’article 8 de la Convention.

113. La Cour en conclut qu’à supposer les articles 8 et 14 applicables, ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention.

4. Sur l’application de l’article 41 de la Convention

114. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

1. Dommage

115. Le requérant demande 50 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi.

116. Le Gouvernement soutient qu’un constat de violation constituerait en soi une satisfaction équitable suffisante. Subsidiairement, il estime la Cour ne saurait accorder plus de 1 000 EUR au requérant au titre du préjudice moral lié à l’impossibilité de donner son sang.

117. La Cour estime que le requérant a subi un tort moral certain et juge équitable de lui octroyer 3 000 EUR pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

2. Frais et dépens

118. Le requérant réclame 12 000 EUR au titre des frais et dépens qu’il a engagés dans le cadre de la procédure menée devant la Cour. Cette somme est justifiée par deux notes d’honoraires, facturées à l’occasion du dépôt de chacune des requêtes. Il précise avoir été assisté devant la Cour de cassation et le Conseil d’État à titre gracieux.

119. Le Gouvernement s’en remet à l’appréciation de la Cour en ce qui concerne le caractère raisonnable des frais sollicités.

120. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et de la relative similitude des requêtes jointes, la Cour juge raisonnable d’allouer au requérant la somme de 9 000 EUR pour la procédure menée devant elle, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt.

3. Intérêts moratoires

121. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes ;
2. Déclare le grief des requêtes nos 3153/16 et 27758/18 concernant la collecte et la conservation par l’Établissement français du Sang de données personnelles reflétant l’orientation sexuelle supposée du requérant, tiré de la violation de l’article 8 de la Convention, recevable, et les autres griefs de la requête no 27758/18 irrecevables pour le surplus ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention à l’occasion de la collecte et de la conservation des données à caractère personnel concernant le requérant par l’Établissement français du sang ;
4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément la recevabilité et le bien-fondé du grief concernant la violation alléguée de l’article 14 de la Convention combiné à l’article 8 à raison des modalités de collecte et de conservation des données personnelles du requérant ;
5. Dit

a) que l’État défendeur doit verser aux requérants, dans un délai de trois mois à compter de la date à laquelle l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

1. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;
2. 9 000 EUR (neuf mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme par les requérants à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 8 septembre 2022, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Martina Keller Síofra O’Leary
Greffière adjointe Présidente


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