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10/09/2019 | CEDH | N°001-195938

CEDH | CEDH, AFFAIRE STRAND LOBBEN ET AUTRES c. NORVÈGE, 2019, 001-195938


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE STRAND LOBBEN ET AUTRES c. NORVÈGE

(Requête no 37283/13)

ARRÊT

STRASBOURG

10 septembre 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Strand Lobben et autres c. Norvège,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Guido Raimondi,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ganna Yudkivska,
Egidijus Kūris,
Carlo Ranzon

i,
Armen Harutyunyan,
Georges Ravarani,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Pauliine Koskelo,
Péter Paczolay,
Lado Chanturia,
Gi...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE STRAND LOBBEN ET AUTRES c. NORVÈGE

(Requête no 37283/13)

ARRÊT

STRASBOURG

10 septembre 2019

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Strand Lobben et autres c. Norvège,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Linos-Alexandre Sicilianos, président,
Guido Raimondi,
Robert Spano,
Vincent A. De Gaetano,
Jon Fridrik Kjølbro,
Ganna Yudkivska,
Egidijus Kūris,
Carlo Ranzoni,
Armen Harutyunyan,
Georges Ravarani,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Pauliine Koskelo,
Péter Paczolay,
Lado Chanturia,
Gilberto Felici, juges,
Dag Bugge Nordén, juge ad hoc,
et de Søren Prebensen, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 17 octobre 2018 et le 27 mai 2019,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 37283/13) dirigée contre le Royaume de Norvège et dont cinq ressortissants de cet État, Mme Trude Strand Lobben, ses enfants, X et Y, et ses parents, Mme Sissel Lobben et M. Leif Lobben, ont saisi la Cour le 12 avril 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, la première requérante, Mme Trude Strand Lobben, et le second requérant, X (« les requérants »), qui avaient été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont finalement été représentés par Me G. Thuan Dit Dieudonné, avocat à Strasbourg. Le gouvernement norvégien (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agents, M. M. Emberland et Mme H.L. Busch, tous deux du bureau de l’avocat général (affaires civiles).

3. Les requérants soutenaient, en particulier, que les décisions par lesquelles les autorités internes avaient refusé de révoquer l’ordonnance de placement de X et avaient au contraire déchu la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et autorisé l’adoption de celui-ci par ses parents d’accueil avaient emporté violation dans leur chef du droit au respect de la vie familiale tel que protégé par l’article 8 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour ; « le règlement »). Le 1er décembre 2015, le président de la cinquième section a décidé de communiquer le grief des requérants au Gouvernement. Le 30 novembre 2017, une chambre de cette section, composée de Angelika Nußberger, Erik Møse, André Potocki, Yonko Grozev, Síofra O’Leary, Gabriele Kucsko-Stadlmayer, Lәtif Hüseynov, juges, ainsi que de Milan Blaško, greffier adjoint de section, a rendu un arrêt dans lequel elle a déclaré, à l’unanimité, la requête recevable quant aux griefs introduits par la première requérante et le second requérant et irrecevable pour le surplus. Elle a dit, à la majorité, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention. L’exposé de l’opinion dissidente commune aux juges Grozev, O’Leary et Hüseynov était joint à l’arrêt.

5. Le 30 janvier 2018, les requérants ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 9 avril 2018, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

6. La composition de la Grande Chambre a ensuite été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des délibérations finales, Jon Fridrik Kjølbro, juge suppléant, a remplacé Aleš Pejchal, empêché (article 24 § 3 du règlement).

7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites (article 59 § 1 du règlement) sur le fond de l’affaire.

8. Le président de la Grande Chambre a autorisé à intervenir dans la procédure écrite les gouvernements de la Belgique, de la Bulgarie, du Danemark, de l’Italie, de la République tchèque, du Royaume-Uni et de la Slovaquie, ainsi que Alliance Defending Freedom (ADF) International, l’Associazione Italiana dei Magistrati per i Minorenni e per la Famiglia (AIMMF, association italienne des magistrats pour les enfants et pour la famille), le Centre AIRE et les parents adoptifs de X (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

9. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 17 octobre 2018.

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MM.F. Sejersted, avocat général, bureau de l’avocat général,
M. Emberland, agent, bureau de l’avocat général,
MmesH. Lund Busch, agent, bureau de l’avocat général, agents ;
A. Sydnes Egeland, avocate, bureau de l’avocat général,
MM.H. Vaaler, avocat, bureau de l’avocat général,
D.T. Gisholt, directeur, ministère de l’Enfance et de l’Égalité,
MmesC. Five Berg, conseillère senior, ministère de l’Enfance
et de l’Égalité,
H. Bautz-Holter Geving, ministère de l’Enfance
et de l’Égalité,
L. Width, avocate municipale,conseillers ;

– pour les requérants
M. G. Thuan Dit Dieudonné, avocat,conseil,
Mme T. Strand Lobben,première requérante.

La Cour a entendu M. Thuan Dit Dieudonné et M. Sejersted en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

1. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La genèse de l’affaire

10. En mai 2008, la première requérante s’adressa aux services de protection de l’enfance parce qu’elle était enceinte et se trouvait dans une situation difficile : elle n’avait pas de résidence fixe et était temporairement hébergée chez ses parents.

11. Le 10 juin 2008, la première requérante et le futur père putatif, Z, se rendirent au service gynécologique de l’hôpital régional. Selon les notes consignées dans le dossier médical ce jour-là, le médecin fut informé que la première requérante avait subi un avortement tardif en octobre 2007 et qu’elle souhaitait à nouveau avorter cette fois-ci. Un test de dépistage de la chlamydia et une échographie furent pratiqués et on indiqua à la première requérante et à Z qu’un avortement ne serait pas possible.

12. Le 23 juin 2008, l’hôpital confirma que le résultat du test de dépistage de la chlamydia pratiqué le 10 juin 2018 était positif. Le médecin nota qu’au titre des mesures qui seraient prises par le service d’obstétrique dans le cadre du suivi de l’état et de la situation de la première requérante, un travailleur social prendrait contact avec les services de protection de l’enfance, avec l’accord de l’intéressée. J.T., une travailleuse sociale de l’hôpital, nota le lendemain que la première requérante avait dit qu’elle souhaitait vivement obtenir une place dans un établissement d’accueil parents-enfants parce que ses capacités étaient limitées à cause d’une lésion cérébrale (begrensninger på grunn av hjerneskade) consécutive à une crise d’épilepsie, qu’elle n’avait pas de domicile, qu’elle avait des relations difficiles avec le père putatif de l’enfant et d’autres membres de sa famille, et qu’elle cherchait de l’aide pour devenir une aussi bonne mère que possible. L’hôpital nota que tout séjour dans un établissement d’accueil parents-enfants serait volontaire et que l’intéressée et son enfant pourraient quitter l’établissement à leur guise.

13. Le 1er juillet 2008, l’hôpital informa les services de protection de l’enfance que la première requérante avait besoin d’un accompagnement pendant sa grossesse et qu’il lui faudrait un suivi une fois que l’enfant serait né. Il précisa également qu’elle avait besoin d’être hébergée dans un établissement d’accueil parents-enfants. Les services de protection de l’enfance se saisirent du dossier, avec le consentement de la première requérante. Celle-ci accepta de séjourner dans un établissement d’accueil parents-enfants pendant trois mois après la naissance de l’enfant afin que son aptitude à s’occuper correctement du nouveau-né pût être évaluée.

14. Le 16 juillet 2008, une réunion eut lieu avec les services de protection de l’enfance. I.K.A., une psychologue du bureau de l’enfance, de la jeunesse et des affaires familiales, y participa. Selon le compte rendu de cette réunion, il fut convenu que la première requérante ferait l’objet d’un suivi psychologique hebdomadaire durant l’absence de la travailleuse sociale pendant l’été et que la psychologue en rendrait ensuite compte aux services de protection de l’enfance.

15. Par une décision formelle du 16 septembre 2008, une place dans un établissement d’accueil parents-enfants pendant trois mois fut proposée à la première requérante et à son enfant. Il était indiqué dans cette décision que les services de protection de l’enfance étaient préoccupés par la santé mentale de la première requérante et craignaient que celle-ci ne fût pas en mesure de comprendre que la responsabilité d’un enfant était une affaire sérieuse et d’en saisir les conséquences.

16. Quelques jours auparavant, le 9 septembre 2008, les services de protection de l’enfance et la première requérante étaient convenus d’un programme pour la durée de ce séjour. Il y était précisé que la principale finalité du séjour serait de permettre d’examiner, d’observer et d’accompagner l’intéressée afin de la doter d’aptitudes parentales suffisantes. Plusieurs objectifs plus spécifiques y étaient également inscrits, notamment l’observation de la mère et de son enfant ainsi que l’examen de la santé mentale (psyke) et de la maturité de la mère, de sa capacité à recevoir, à comprendre et à tirer parti des conseils relatifs à son rôle de mère, ainsi que de son potentiel de développement. Un travail avec l’entourage de la première requérante était un autre objectif.

17. Le 25 septembre 2008, la première requérante donna naissance à un garçon, X, le second requérant. Elle refusa à ce moment-là de révéler l’identité du père de X. Quatre jours plus tard, le 29 septembre 2008, elle s’installa avec X dans l’établissement d’accueil parents-enfants. Pendant les cinq premiers jours, la grand-mère maternelle de X y séjourna avec eux.

18. Le 10 octobre 2008, l’établissement d’accueil parents-enfants joignit les services de protection de l’enfance pour leur faire part de l’inquiétude de son personnel. Selon les dossiers des services de protection de l’enfance, des membres du personnel de l’établissement affirmaient que X ne prenait pas suffisamment de poids et qu’il était atonique. Ils auraient également rapporté qu’au moment du changement des couches, ils avaient à plusieurs reprises (gang på gang) dû dire à la première requérante qu’il restait des traces d’excréments, mais que celle-ci continuait de ne penser qu’à elle.

19. Le 14 octobre 2008, des membres du personnel de l’établissement d’accueil parents-enfants se déclarèrent très préoccupés par l’état de X ainsi que par le niveau des aptitudes parentales de la première requérante. Ils affirmèrent qu’il était apparu que celle-ci n’avait pas déclaré le véritable poids du bébé et que X avait donc perdu plus de poids qu’ils ne l’avaient cru dans un premier temps. Ils ajoutèrent qu’elle ne paraissait absolument pas comprendre les émotions de son fils (viser ingen forståelse av gutten sine følelser) ni être capable d’éprouver de l’empathie pour lui (sette seg inn i hvordan babyen har det). Ils précisèrent qu’ils avaient décidé d’installer la première requérante dans un appartement à l’étage principal afin de pouvoir l’observer et la surveiller plus étroitement. Ils ajoutèrent que la réunion suivante entre la première requérante, le personnel de l’établissement et les services de protection de l’enfance devait avoir lieu le 24 octobre 2008 mais qu’ils souhaitaient en avancer la date car ils pensaient que ce problème ne pouvait pas attendre aussi longtemps.

B. La procédure tendant au placement de X en accueil familial d’urgence

20. Une réunion eut lieu le 17 octobre 2008 entre l’établissement d’accueil parents-enfants, la première requérante et les services de protection de l’enfance. Ne souhaitant plus bénéficier d’un accompagnement, la première requérante avait déclaré lors de cette réunion qu’elle voulait quitter l’établissement avec son enfant. Des membres du personnel de l’établissement se dirent très préoccupés au sujet des aptitudes parentales de la première requérante, affirmant qu’elle ne se réveillait pas la nuit et que l’enfant avait perdu beaucoup de poids, qu’il était atonique et qu’il apparaissait déshydraté. Ils déclarèrent que le visiteur sanitaire était lui aussi très inquiet, mais que la première requérante ne l’était pas. Ils précisèrent que l’établissement avait mis en place une surveillance étroite vingt-quatre heures sur vingt-quatre, que des membres du personnel restaient éveillés la nuit afin de réveiller la première requérante pour qu’elle nourrît son enfant, qu’ils allaient la voir toutes les trois heures, jour et nuit, pour s’assurer que l’enfant était alimenté et qu’ils pensaient que celui-ci n’eût pas survécu s’ils n’avaient pas mis en place un contrôle aussi rigoureux. Ils considéraient que si la première requérante venait à retirer l’enfant de l’établissement, celui-ci serait en danger. Ils précisèrent que X avait un poids inférieur au poids normal critique (kritisk normalvekt) et qu’il avait besoin d’être alimenté et surveillé.

21. La décision en question indiquait également que la première requérante avait communiqué aux services de protection de l’enfance des informations concernant le père de l’enfant mais qu’elle avait refusé d’autoriser celui-ci à effectuer un test de paternité et à signer les documents à l’hôpital en qualité de père. Cette décision précisait que le père voulait assumer la responsabilité de l’enfant, mais qu’aucun droit en qualité de partie intéressée ne lui avait encore été reconnu.

22. La décision ajoutait que X devait être placé en accueil familial d’urgence et que la première requérante ainsi que sa mère auraient un droit de visite d’une durée maximale d’une heure et demie par semaine. Concernant les besoins de l’enfant, elle indiquait que X avait perdu beaucoup de poids et qu’il devait donc être surveillé étroitement et sérieusement. Elle soulignait en particulier qu’il était très important de mettre en place des routines d’alimentation adaptées. Par ailleurs, elle prévoyait que la première requérante, les parents assurant l’accueil familial d’urgence de X, une équipe de spécialistes (fagteam) et les services de protection de l’enfance évalueraient en continu le placement de l’enfant. Elle précisait aussi que les services municipaux devaient rester en relation avec les parents d’accueil et qu’ils seraient par ailleurs chargés de maintenir le contact avec la première requérante et d’assurer le suivi de sa situation. Le 21 octobre 2008, le président du bureau d’aide sociale du comté (fylkesnemnda for barnevern og sosiale saker) donna son accord préliminaire.

23. Le 22 octobre 2008, la première requérante saisit le bureau d’aide sociale du comté d’un recours contre la décision de placement d’urgence. Elle alléguait qu’elle pouvait vivre avec X chez ses parents, arguant que sa mère restait à son domicile et qu’elle était prête à l’aider à s’occuper de X. Elle précisait qu’elle-même et sa mère étaient également disposées à accepter l’aide des services de protection de l’enfance.

24. Le 23 octobre 2008, une thérapeute familiale et une psychologue de l’établissement d’accueil parents-enfants établirent un rapport au sujet du séjour de la première requérante et de sa mère au sein de l’établissement. Ce rapport mentionnait un test d’intelligence qu’avait passé la première requérante et auquel elle avait obtenu un score supérieur à celui de 67 % des personnes de son âge concernant l’organisation perceptive (entendue comme l’organisation des éléments visuels) et un score inférieur à celui de 93 % des personnes de son âge concernant la compréhension verbale. Il ajoutait que la première requérante avait obtenu un score moins élevé que celui de 99 % des personnes de son âge pour des tâches faisant intervenir la mémoire de travail, à savoir la capacité à prendre en compte et à traiter des informations complexes. Il disait que ces tests confirmaient l’impression clinique produite par la première requérante. Il indiquait par ailleurs que par l’accompagnement qu’il lui avait assuré, l’établissement avait cherché à enseigner à l’intéressée comment répondre aux besoins élémentaires de son enfant en termes d’alimentation, d’hygiène (stell) et de sécurité. Il précisait que la première requérante avait reçu des conseils oraux et pratiques et qu’elle avait constamment (gjennomgående) eu besoin qu’on lui rappelât les instructions et qu’on lui montrât comment s’y prendre. Selon les membres du personnel, il était fréquent qu’elle ne comprît pas ce qui lui était dit ou expliqué et elle oubliait vite. Le rapport concluait notamment :

« La mère ne s’occupe pas correctement de son enfant. Pendant le séjour de la mère et de l’enfant [dans l’établissement d’accueil parents-enfants] (...), le personnel ici (...) a vraiment craint que les besoins de l’enfant ne fussent négligés. Pour être sûr que les besoins élémentaires de l’enfant en termes d’affection et d’alimentation soient satisfaits, le personnel a dû intervenir et surveiller l’enfant de près jour et nuit.

La mère n’est pas capable de répondre aux besoins matériels de son fils. Elle n’a pas assumé la responsabilité de s’occuper de lui de manière satisfaisante. Elle a eu besoin d’être épaulée pour des choses très élémentaires et il a fallu lui répéter les conseils plusieurs fois.

Pendant son séjour, la mère a tenu des propos que nous avons jugés très inquiétants. Elle a manifesté envers son fils un grand manque d’empathie et à plusieurs reprises un sentiment de dégoût. Elle n’a guère paru saisir ce que son fils pouvait comprendre ou non ni quels comportements il pouvait contrôler ou non.

La mère se caractérise par un fonctionnement mental incohérent et a beaucoup de mal dans plusieurs domaines qui sont cruciaux pour sa capacité à élever l’enfant. Son aptitude à pourvoir aux besoins pratiques de ce dernier doit être analysée à la lumière de ce constat. La santé mentale de la mère est marquée par les sentiments difficiles et douloureux que lui inspirent sa propre personne et par la manière dont elle perçoit les autres. La mère semble souffrir elle-même de carences considérables.

Nous estimons la mère incapable de s’occuper de l’enfant. Nous pensons également qu’elle a besoin d’un soutien et d’un suivi. Comme nous l’avons dit oralement aux services de protection de l’enfance, nous pensons qu’il est important que la mère fasse l’objet d’une très grande attention postérieurement au placement d’urgence.

La mère est vulnérable. Il faudrait lui proposer une évaluation psychologique et un traitement, et elle a probablement besoin qu’on l’aide à se motiver pour cela. Il faudrait établir pour la mère un plan individuel d’accompagnement dans plusieurs domaines. La mère a du potentiel (voir les tests d’aptitude) et il faut l’aider à l’exploiter à bon escient. »

25. Le 27 octobre 2008, le bureau d’aide sociale examina le recours formé par la première requérante contre la décision de placement d’urgence (paragraphes 22 et 23 ci-dessus). La première requérante, accompagnée de son avocat rémunéré grâce à l’aide judiciaire, fut entendue, de même que trois témoins.

26. Dans sa décision rendue le même jour, signée par son président, le bureau d’aide sociale conclut qu’il lui fallait s’appuyer sur les éléments fournis par la psychologue de l’établissement d’accueil parents-enfants qui avait rédigé le rapport de l’établissement ainsi que par le représentant des services municipaux de protection de l’enfance. Selon ces éléments, la première requérante était incapable de s’occuper correctement (betryggende) de X concernant des aspects absolument essentiels et cruciaux (helt vesentlige og sentrale områder) et qui plus est, elle avait exprimé son souhait de quitter l’établissement. Pour le bureau d’aide sociale, il était évident qu’on ne pouvait lui confier X sans exposer celui-ci à un risque important. Il relevait également que les parents de la première requérante avaient ultérieurement affirmé qu’ils seraient, le cas échéant, en mesure de veiller à ce que l’enfant fût élevé correctement. Il jugea que la sécurité de X ne s’en trouverait pas pour autant suffisamment assurée. Il indiqua que, devant lui, la mère de la première requérante avait en effet déclaré que pendant son séjour dans l’établissement d’accueil parents-enfants, elle n’avait rien observé d’inquiétant dans la manière dont sa fille s’était occupée de X, déclaration qui, de l’avis du bureau d’aide sociale, était en nette contradiction avec les observations de la psychologue. Il conclut en outre que c’était la première requérante, et non sa mère, qui serait chargée de s’occuper de X au quotidien.

27. Le même jour, le 27 octobre 2008, X fut conduit dans une clinique pédopsychiatrique pour y subir une évaluation.

28. Le 30 octobre 2008, la première requérante saisit le tribunal de district (tingrett) d’un recours contre la décision rendue le 27 octobre 2008 par le bureau d’aide sociale (paragraphes 25-26 ci-dessus).

29. Le 13 novembre 2008, la première requérante rendit visite à X au domicile de sa famille d’accueil. Selon les notes prises par l’agent de supervision, Z avait reçu la veille le résultat d’un test de paternité qui montrait qu’il n’était pas le père de X. La première requérante déclara qu’elle ne savait pas qui pouvait être le père et qu’elle ne se rappelait pas avoir eu des relations avec quelqu’un d’autre. Elle convint avec le conseiller des services de protection de l’enfance qu’elle prendrait contact avec son médecin et qu’elle lui demanderait de l’orienter vers un psychologue.

30. Le 21 novembre 2008, une conseillère chargée des placements d’urgence (beredskapshjemskonsulent) auprès du bureau de l’enfance, de la jeunesse et des affaires familiales rendit un rapport concernant la mise en œuvre de la mesure d’urgence. Elle indiquait dans sa conclusion :

« Lorsque l’enfant est arrivé dans la famille d’accueil au sein de laquelle il avait été placé en urgence le 17 octobre, ses bras et ses jambes ne bougeaient guère et il n’émettait pas beaucoup de sons. Il ne pouvait pas ouvrir ses yeux qui étaient rouges, gonflés et encombrés d’importantes sécrétions. Il était sous-alimenté, pâle et faible [(slapp)]. Quelques jours plus tard, il a commencé à bouger, à émettre des sons et à reprendre des couleurs. Il s’alimentait bien à tous les repas et appréciait les contacts physiques. Après avoir reçu les médicaments appropriés, il a pu ouvrir les yeux et a commencé à entrer en contact avec son environnement. Des routines adaptées ont été mises en place, de même qu’une surveillance étroite de son alimentation et de son développement.

Durant les cinq semaines qu’il a passées en accueil familial d’urgence, l’enfant s’est très bien développé dans tous les domaines. Le médecin et les visiteurs sanitaires ont été satisfaits de son développement et l’ont suivi de près. L’hôpital psychiatrique de jour pour enfants et adolescents (Barne. og ungdomspsykiatrisk poliklinikk, BUP) a lui aussi suivi l’enfant et a relevé ce qui pourrait être des symptômes de stress apparus au cours de la gestation ou de ses premières semaines d’existence. Ses parents d’accueil ont offert à l’enfant de bonnes conditions de développement, et cela a bien fonctionné. L’enfant a besoin d’adultes stables qui pouvaient bien s’occuper de lui, en fonction de son âge (aldersadekvat omsorg), et aussi répondre à ses besoins à l’avenir. »

31. Le 28 novembre 2008, les services municipaux demandèrent au bureau d’aide sociale du comté de délivrer une ordonnance de placement, au motif que la première requérante était dépourvue des aptitudes parentales nécessaires pour répondre aux différents besoins d’un enfant. Ils considéraient que si X venait à être rendu à l’intéressée, il se retrouverait rapidement en situation de grave négligence. Concernant le droit de visite, ils supposaient que le placement en question s’inscrirait dans le long terme et que X grandirait probablement en famille d’accueil. Ils ajoutèrent que la première requérante était jeune mais qu’il fallait présumer que ses aptitudes maternelles seraient limitées, du moins à l’égard de X ([m]or er ung, men det antas at hennes kapasitet som mor vil være begrenset, i hvert fall i forhold til dette barnet).

32. Le 5 décembre 2008, l’équipe de la clinique pédopsychiatrique qui avait procédé à six observations distinctes entre le 3 et le 24 novembre 2008, conformément aux instructions données le 27 octobre 2008 (paragraphe 27 ci-dessus), consigna ses résultats dans un rapport, qui comportait notamment le passage suivant :

« [X] était un enfant qui présentait un retard significatif de développement lorsqu’il nous a été adressé pour une évaluation et des observations. Aujourd’hui, il se comporte comme un bébé de deux mois normal et présente un potentiel de développement normal. D’après ce que nous pouvons observer, il s’est retrouvé en grand danger. Chez les enfants vulnérables, une absence de réaction et de confirmation ou d’autres interférences dans l’interaction peuvent entraîner des perturbations psychologiques et développementales plus ou moins graves s’ils ne font pas l’expérience d’autres relations qui viennent corriger ces carences. La qualité des premières interactions entre un enfant et la personne dont il est le plus proche revêt donc une grande importance pour son développement psychosocial et cognitif. [X] montre aujourd’hui les signes d’un bon développement psychosocial et cognitif. »

33. Le 12 janvier 2009, le tribunal de district, composé d’un juge professionnel, d’un psychologue et d’un assesseur non professionnel, conformément à l’article 36-4 du code de procédure civile (paragraphe 133 ci-dessous), examina le recours formé par la première requérante contre la décision adoptée par le bureau d’aide sociale dans le cadre de la procédure de placement d’urgence (paragraphes 25-26 et 28 ci-dessus). Dans le jugement qu’il rendit le 26 janvier 2009, il rappela tout d’abord qu’en application du deuxième alinéa de l’article 4-6 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous), une décision provisoire ne pouvait être adoptée que si le risque de préjudice était aigu et que si l’enfant était exposé à un risque important s’il n’était pas placé immédiatement. Il observa ensuite que l’affaire concernait un enfant qui venait à peine de naître lorsqu’il avait fait l’objet d’une ordonnance de placement provisoire et que cette mesure avait depuis été réexaminée à plusieurs reprises à la suite de recours formés par la mère.

34. Dans sa conclusion, le tribunal de district indiqua qu’il ne faisait aucun doute qu’à la date où l’ordonnance de placement provisoire avait été délivrée, X se trouvait dans une situation grave et montrait des signes clairs de négligence à la fois psychologique et physique. Il jugea donc que la condition d’un risque « important » (vesentlighetskravet) au sens du deuxième alinéa de l’article 4-6 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous) était établie. Il ajouta qu’à la date de son jugement, X était en meilleure santé et connaissait un développement normal grâce aux efforts déployés par ses parents d’accueil et aux mesures de suivi. Considérant que les aptitudes parentales de la première requérante n’avaient pas évolué, il dit craindre que X ne courût un risque important s’il venait à être restitué à sa mère à ce moment-là, même si celle-ci vivait chez ses parents et bénéficiait de leur soutien. Il observa en effet que la question en débat était celle de l’aptitude de la première requérante à s’occuper de l’enfant.

35. Au vu des considérations exposées ci-dessus, le tribunal de district conclut que rien ne justifiait de révoquer l’ordonnance de placement d’urgence en attendant la décision du bureau d’aide sociale du comté sur la question du placement définitif de l’enfant.

36. La première requérante ne saisit pas la cour d’appel (lagmannsrett).

C. La procédure relative à l’ordonnance de placement

1. La procédure devant le bureau d’aide sociale du comté

37. Les 17 et 18 février 2009, le bureau, composé d’un administrateur qualifié pour agir en qualité de juge professionnel, d’un psychologue et d’un assesseur non professionnel, conformément à l’article 7-5 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous), tint une audience au sujet de la demande d’ordonnance de placement que les services de protection de l’enfance avaient formée (paragraphe 31 ci-dessus). La première requérante y participa et fut entendue, de même que sept témoins, notamment des experts, ses parents, leur voisin et un ami de la famille. Lors de l’audience, les services de protection de l’enfance demandèrent que X fût pris en charge par les autorités locales et placé en famille d’accueil, et que la première requérante se vît accorder un droit de visite limité à quatre visites par an, de deux heures chacune, sous surveillance. La première requérante sollicita le rejet de la demande d’ordonnance de placement et la restitution de X. À titre subsidiaire, elle demanda à bénéficier d’au moins une visite par mois, ou d’un droit de visite défini à la discrétion du bureau d’aide sociale.

38. Dans sa décision du 2 mars 2009, le bureau d’aide sociale dit tout d’abord qu’indépendamment des arguments et des demandes des parties, il lui incombait d’examiner si X devait être pris en charge par les services de protection de l’enfance puis, dans l’affirmative, de se prononcer sur le type de placement approprié et de définir les modalités de visite.

39. Le bureau d’aide sociale conclut que la condition fondamentale énoncée au point a) du premier alinéa de l’article 4-12 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous) était satisfaite au motif que, si X devait retourner vivre avec la première requérante, il risquait de se trouver exposé à des insuffisances graves dans la satisfaction de ses besoins psychologiques et matériels.

40. Le bureau d’aide sociale souligna qu’il avait fondé son appréciation non pas sur la situation de la première requérante ni sur les traits de sa personnalité mais sur son aptitude à élever son enfant et sur l’évolution de son comportement. Il releva toutefois que l’établissement d’accueil parents-enfants avait considéré que l’inaptitude de l’intéressée à tirer profit de l’accompagnement qui lui était fourni était liée à ses limites cognitives. Il se référa aux conclusions de l’établissement selon lesquelles les résultats des tests pertinents correspondaient aux observations quotidiennes qu’avait faites son personnel (paragraphe 24 ci-dessus). Il indiqua également que les résultats des tests pratiqués dans l’établissement étaient largement conformes aux évaluations antérieures dont la première requérante avait fait l’objet et qu’ils correspondaient aussi aux préoccupations exprimées, entre autres, par la psychologue du bureau de l’enfance, de la jeunesse et des affaires familiales (paragraphe 14 ci-dessus) dans le courant de l’été 2008. De l’avis du bureau d’aide sociale, ces éléments donnaient à penser que les problèmes de l’intéressée revêtaient un caractère fondamental et que son potentiel d’évolution était limité (sier noe om at mors problematikk er av en grunnleggende karakter og at endringspotensialet er begrenset).

41. Le bureau d’aide sociale s’estima obligé de conclure que le placement était nécessaire et qu’il servirait l’intérêt supérieur de X. Quant à la question du type de placement le plus approprié, il jugea que compte tenu de l’âge de X et de ses besoins, un placement en famille d’accueil constituait à l’évidence la meilleure solution pour lui à ce stade. Il prit une ordonnance en ce sens. Compte tenu de l’âge de X et de sa vulnérabilité, il se prononça également en faveur d’un accueil familial renforcé dans le cadre duquel la famille d’accueil bénéficierait de davantage d’aide et de soutien, du moins pendant la première année.

42. Sur la question du droit de visite, le bureau d’aide sociale rappela qu’en vertu de l’article 4-19 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous), les enfants et leurs parents avaient le droit de se voir, sauf décision contraire. Il ajouta que lorsqu’une ordonnance de placement était prise, il lui appartenait de déterminer le régime de visite et que les décisions y afférentes devaient correspondre à l’intérêt supérieur de l’enfant, conformément à l’article 4-1 de la loi sur la protection de l’enfance (ibidem). Il précisa que la finalité et la durée du placement devaient également entrer en ligne de compte dans les décisions sur le régime de visite.

43. Au vu des informations dont il disposait à la date de sa décision, le bureau d’aide sociale estima que X grandirait probablement au sein de sa famille d’accueil en raison (har sammenheng med), selon lui, des problèmes fondamentaux de la première requérante et du potentiel d’évolution limité (mors grunnleggende problematikk og begrensede endringspotensial) de celle-ci (paragraphe 40 ci-dessus). Il en conclut que les parents d’accueil de X deviendraient ses parents psychologiques et que le régime de visite devait être défini de manière à éviter de perturber le processus d’attachement, qui était déjà bien avancé. Il fallait d’après lui offrir à X une vie quotidienne paisible et stable et considérer (det legges til grunn) que l’enfant avait des besoins particuliers à cet égard. Le bureau considéra que le but du droit de visite était de faire en sorte que X connaisse sa mère.

44. Se fondant sur une appréciation d’ensemble englobant tous les facteurs susmentionnés, le bureau d’aide sociale décida d’accorder six visites par an, de deux heures chacune. Il admit nourrir quelques doutes quant à la fréquence des visites, qui pouvait paraître trop élevée au regard notamment des réactions de X. Selon lui, le déroulement des rencontres pouvait toutefois quelque peu s’améliorer si les services de protection de l’enfance offraient davantage de conseils et s’adaptaient, mais aussi si la fréquence des visites diminuait considérablement.

45. Selon le bureau d’aide sociale, les services de protection de l’enfance devaient être autorisés à superviser les visites afin de veiller à ce que X fût traité correctement.

46. Le bureau d’aide sociale conclut sa décision en chargeant les services de protection de l’enfance de fixer la date et le lieu des rencontres.

2. La procédure devant le tribunal de district

47. Le 15 avril 2009, la première requérante saisit le tribunal de district d’un recours contre la décision du bureau d’aide sociale ordonnant le placement de X (paragraphes 38-46 ci-dessus). Elle arguait, en particulier, que la mise en œuvre de mesures d’assistance permettrait d’assurer des conditions satisfaisantes à son domicile et que l’ordonnance de placement avait été prise sans que des mesures suffisantes eussent d’abord été appliquées.

48. Le 6 mai 2009, les services de protection de l’enfance adressèrent à la première requérante une lettre par laquelle ils l’invitaient à un entretien consacré à l’assistance qu’ils pourraient lui apporter. Cette lettre contenait le passage suivant :

« Les services de protection de l’enfance tiennent à ce que vous receviez l’aide dont vous avez besoin pour travailler sur ce que vous avez traversé avec le placement de votre enfant, etc. Si vous le souhaitez, vous pouvez toujours bénéficier d’une prise en charge des frais d’un suivi psychologique. »

49. Le 14 mai 2009, la première requérante prit part à une rencontre mère-enfant, accompagnée de deux connaissances. Selon le compte rendu, à un moment donné, l’agent de supervision désigné par les services de protection de l’enfance lui fit observer que le moment qu’elle passait avec X serait plus serein si elle était seule avec lui. L’intéressée lui répondit que l’agent devait comprendre que si elle souhaitait être accompagnée, c’était parce qu’on la traitait mal. Il fut finalement convenu qu’une seule de ses connaissances assisterait à la rencontre. Au cours de la rencontre, la première requérante affirma qu’elle avait reçu une lettre déplaisante (ukoselig) des services de protection de l’enfance qui lui proposaient de la voir pour discuter de l’aide dont elle pourrait avoir besoin (paragraphe 48 ci-dessus). Elle déclara qu’elle ne voulait aucune aide et qu’elle n’avait certainement pas besoin d’un soutien psychologique.

50. Le 19 août 2009, le tribunal de district rendit son jugement sur la question de l’ordonnance de placement (paragraphe 47 ci-dessus). Il dit tout d’abord qu’il était appelé à contrôler une ordonnance de placement qui avait été prise par le bureau d’aide sociale du comté en vertu de l’article 4-12 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous) et qui devait être examinée au regard des dispositions du chapitre 36 du code de procédure civile. Il précisa que, dans le cadre du contrôle de cette décision, il était habilité à en examiner tous les points, de droit ou de fait, de même que l’exercice que l’administration avait fait de son pouvoir d’appréciation. Il rappela qu’il était bien établi en droit que ce contrôle devait se fonder non pas sur les circonstances qui prévalaient à la date de la décision litigieuse mais sur celles qui existaient à la date où il était lui-même appelé à se prononcer. Il ajouta qu’il n’était donc en principe pas tenu de revenir en détail sur les motifs retenus par le bureau d’aide sociale pour ordonner le placement. Il jugea toutefois que des raisons particulières exigeaient en l’espèce un contrôle approfondi.

51. Sur la base des éléments dont il disposait, le tribunal de district conclut finalement que ni à la date de son jugement ni auparavant il n’avait été suffisamment démontré que la capacité de la première requérante à s’occuper de son enfant présentait des carences telles que les conditions requises pour la prise en charge de X par les services de protection de l’enfance étaient réunies. Il dit notamment que les difficultés de X à prendre du poids avaient pu être causées par une infection oculaire. En conséquence, il annula la décision du bureau d’aide sociale du comté.

52. Le tribunal de district ordonna donc que X fût restitué à la première requérante, constatant que les parties s’accordaient à dire que le retour devait se dérouler selon des modalités permettant d’éviter de traumatiser davantage X. Il releva que l’enfant vivait chez ses parents d’accueil depuis dix mois et qu’il s’était attaché à eux. Au vu de ce qui était apparu au cours de la procédure, il présuma que les services de protection de l’enfance apporteraient à l’intéressée ainsi qu’aux parents d’accueil de X l’assistance dont ils avaient besoin. Il estima que, compte tenu de la volonté de collaborer exprimée par la première requérante, il devait être possible de susciter l’esprit de coopération requis pour permettre auxdits services de prodiguer à l’enfant l’aide qui pourrait lui être nécessaire.

53. Dans les jours qui suivirent le prononcé du jugement du tribunal de district, un certain nombre de courriers électroniques furent échangés entre l’avocat de la première requérante et les services de protection de l’enfance, et une réunion fut tenue le 26 août 2009. Le lendemain, la première requérante demanda, par l’intermédiaire de son avocat, qu’un rendez-vous lui fût fixé afin qu’elle pût immédiatement (omgående) récupérer X auprès de sa famille d’accueil et le ramener chez elle. Elle proposa la date du samedi 29 août 2009. Elle dit que X pourrait lui être remis par sa mère d’accueil, laquelle pourrait rester aussi longtemps qu’elle le souhaiterait. Elle ajouta que, sous réserve de son accord, la mère d’accueil pourrait rendre visite à X quand celle-ci le voudrait. Elle précisa toutefois que les représentants des services de protection de l’enfance ne seraient pas les bienvenus.

54. Les services de protection de l’enfance ne donnèrent pas suite à la demande de la première requérante tendant à ce que X lui fût restitué immédiatement mais les rencontres mère-enfant se multiplièrent. Les 1er, 3, 4 et 7 septembre 2009, des rencontres eurent lieu au domicile des parents de la première requérante. L’agente de supervision prit des notes détaillées lors de chaque rencontre, ainsi que lors de ses conversations avec la mère d’accueil, et elle établit un compte rendu synthétique de toutes les rencontres. Elle nota, entre autres, que la mère d’accueil avait affirmé que la rencontre du 1er septembre 2009 s’était « bien déroulée (gikk greit) à de nombreux égards » mais que X était ensuite très fatigué. Elle ajouta qu’il s’était montré agité et qu’il avait été difficile de le mettre au lit. Au terme de la rencontre du 3 septembre, elle consigna que X était pâle et qu’il semblait totalement épuisé. Elle constata de la même manière que X avait montré des signes de fatigue après les rencontres des 4 et 7 septembre. Elle indiqua par ailleurs dans ses notes qu’elle avait trouvé étrange (underlig) que l’on n’eût rien proposé à manger à X alors même que la famille avait été informée que c’était l’heure de son repas. Elle releva que la première requérante avait pris note de cette information le premier jour, mais qu’elle l’avait de nouveau oubliée le lendemain. Dans son compte rendu, elle se demandait si cette omission pouvait s’expliquer par le fait que la première requérante était peu sûre d’elle et qu’elle avait peur de poser des questions. Elle décrivait également en détail la manière dont X réagissait après ces rencontres, notamment ses pleurs, son sommeil, sa digestion, et son comportement en général.

3. La procédure devant la cour d’appel

55. Le 4 septembre 2009, les services municipaux sollicitèrent l’autorisation de faire appel du jugement prononcé par le tribunal de district (paragraphes 50-52 ci-dessus), demandèrent la confirmation de la décision prise par le bureau d’aide sociale du comté le 2 mars 2009 (paragraphes 38-46 ci-dessus) et cherchèrent parallèlement à obtenir la suspension de l’exécution du jugement du tribunal de district. Les services municipaux arguèrent tout d’abord que ce jugement du tribunal de district était entaché de vices graves. Ils avancèrent qu’il était peu probable que l’infection oculaire eût pu être à l’origine des difficultés de X à prendre du poids. Ils ajoutèrent que la première requérante avait pu voir X mais que ces visites ne s’étaient pas bien passées alors qu’elle-même avait reçu des conseils sur la manière de les améliorer. Ils précisèrent que X avait eu de vives réactions à l’issue de ces visites. En second lieu, ils avancèrent que l’affaire soulevait une question d’intérêt général touchant aux facultés cognitives (kognitive ferdigheter) de la première requérante. Ils affirmèrent que celle-ci avait des difficultés générales d’apprentissage et que des tests avaient révélé qu’elle connaissait également des difficultés spécifiques qui avaient des conséquences sur son fonctionnement quotidien. Ils arguèrent que le degré d’aptitude de l’intéressée au raisonnement verbal, au traitement des informations complexes ainsi qu’à l’analyse et à la réaction face à des situations nouvelles rejaillissait sur sa capacité à s’occuper correctement d’un enfant. À cet égard, les services municipaux mentionnèrent un certain nombre de questions qui, selon eux, appelaient des réponses, notamment celles de savoir ce que la première requérante était capable ou incapable de faire, s’il était opportun de lui confier un enfant en bas âge et s’il existait des mesures d’assistance réalistes susceptibles de compenser ses carences.

56. Le 8 septembre 2009, le tribunal de district décida de surseoir à l’exécution de son jugement jusqu’à ce que la cour d’appel eût statué.

57. Le 11 septembre 2009, dans sa réponse à l’appel formé par les services municipaux, la première requérante, par l’intermédiaire de son avocat, déclara que ces derniers étaient intervenus parce qu’ils considéraient qu’elle était quasiment attardée (nærmest er tilbakestående) et donc incapable de s’occuper d’un enfant, ce qu’elle qualifia d’allégation insultante (grov beskyldning). Elle soutint également qu’aucun vice n’entachait le jugement du tribunal de district.

58. Par une décision du 9 octobre 2009, les services de protection de l’enfance désignèrent deux expertes, une psychologue, B.S., et une experte en thérapie familiale, E.W.A. chargées d’examiner X dans la mesure où celui-ci avait affiché de vives réactions à l’issue de la période lors de laquelle des rencontres mère-enfant fréquentes avaient eu lieu au domicile des parents de la première requérante (paragraphe 54 ci-dessus). Outre la recherche des causes de ces réactions, ces expertes devaient prodiguer des conseils et un accompagnement à la mère d’accueil pour l’aider à faire face à ces réactions, ainsi qu’à la première requérante, si elle y consentait, pour gérer ces visites.

59. Le 12 octobre 2009, la cour d’appel autorisa l’appel au motif que la décision rendue par le tribunal de district ou la procédure que celui-ci avait conduite avaient été entachées de vices graves (paragraphes 55 ci-dessus et 133 ci-dessous). Elle confirma également le sursis à exécution du jugement que le tribunal de district avait prononcé (paragraphe 56 ci-dessus).

60. Le 4 novembre 2009, l’avocat de la première requérante demanda aux services de protection de l’enfance si leur offre de suivi de l’intéressée (paragraphe 48 ci-dessus) était toujours valable. Dans leur réponse du 12 novembre 2009, les services de protection de l’enfance se déclarèrent inquiets au sujet de la première requérante et affirmèrent qu’il était important qu’elle se fît aider. Ils confirmèrent qu’ils prendraient en charge les honoraires d’un psychologue ou de tout autre conseiller que choisirait la première requérante et qu’ils ne demanderaient à la personne retenue ni de leur livrer des informations ni de témoigner dans le procès en cours.

61. Le 15 novembre 2009, la cour d’appel mandata une experte psychologue, M.S., pour les besoins de l’affaire.

62. Le 20 février 2010, les deux expertes chargées par les services de protection de l’enfance d’analyser les rencontres mère-enfant ainsi que leurs effets sur X (paragraphe 58 ci-dessus) rendirent leur rapport, qui comptait plus de dix-huit pages. Dans ce rapport, elles déclaraient qu’elles n’avaient observé aucune séance de rencontre, « car [c’était] l’experte mandatée par la cour d’appel qui s’en [était] chargée ». Elles relevaient en outre que la première requérante avait refusé tout conseil au sujet de ces rencontres. Le chapitre intitulé « Est-il possible de formuler des hypothèses sur les compétences des parents dans des situations de rencontre avec l’enfant sur le fondement de leur aptitude à s’occuper de celui-ci ? » comportait les passages suivants :

« À la lecture des différentes pièces, nous observons que [l’établissement d’accueil parents-enfants] fait état, s’agissant des aptitudes requises pour exercer le rôle de mère, de graves carences qui correspondent à ce que nous constatons plus d’un an plus tard lors des rencontres mère-enfant. Par exemple, au cours de ces rencontres, la mère fait montre d’une incapacité à prodiguer des soins parentaux élémentaires, comme nous l’avons décrit ci-dessus. Par ailleurs, la manière dont elle intervient en tant que parent à l’égard son enfant au cours des rencontres est dénuée de toute sensibilité. Elle semble avoir beaucoup de mal à comprendre les affects de X en partageant sa joie, en lui procurant un sentiment de sécurité, en le guidant par des confirmations et en mettant des noms sur les choses. C’est très grave.

Nous constatons que la mère se heurte à des problèmes significatifs lors de toutes les rencontres et qu’il n’est guère contestable que ces problèmes affecteront aussi ses compétences parentales en général. Dans un rapport daté du 19 février 2008, c’est-à-dire d’il y a deux ans, [H.B.], Dr. philos. et spécialiste en neurologie clinique, écrivait ce qui suit :

« On ne décèle pas d’évolution significative dans les résultats des tests d’intelligence pratiqués avant l’opération et lors du contrôle effectué deux ans après l’opération. Ses résultats aux tests d’intelligence restent très similaires depuis qu’elle a dix ans et demi, signe que son intelligence a été stable tout au long de ces années. »

[H.B.] dit que son fonctionnement intellectuel se situe approximativement deux écarts-types en dessous de celui des personnes de son âge et qu’elle a des problèmes de mémoire à long terme et de transfert de l’information d’un sujet à un autre.

Nous constatons que les difficultés cognitives de la mère rendent les rencontres surveillées avec son enfant plus problématiques qu’elles ne le sont habituellement car par moments [(fra gang til gang)] elle ne sait pas quoi faire avec l’enfant et elle se laisse largement dominer par ses impulsions. Le rapport de [H.B.] indique également qu’elle a du mal à comprendre la teneur de ce qu’elle voit, et nous avons aussi observé qu’elle ne peut pas lire et comprendre la situation lorsqu’elle est avec son enfant. Nous estimons qu’il s’agit là d’un point important et fondamental qui permet de faire la lumière sur les compétences de la mère dans les situations de rencontre ainsi que sur ses aptitudes parentales. Quant au lien entre ses aptitudes parentales et ses facultés cognitives, nous supposons que [M.S.], l’experte psychologue mandatée par la cour d’appel, l’analysera de manière plus approfondie. Nous pensons que cet élément influe sur le comportement de la mère à l’égard de X pendant les rencontres ainsi que sur ses difficultés à être émotionnellement à l’écoute des besoins de son enfant au fur et à mesure qu’il grandit.

En page 5 de son rapport [(jugement)] de 2009, le tribunal de district synthétisait la [situation] comme suit :

« Il est notoire que de nombreuses femmes, en particulier celles qui donnent la vie pour la première fois, peuvent avoir après la naissance une réaction psychologique qui, dans des cas extrêmes, peut revêtir la forme d’une grave dépression postnatale. Toutes les réactions qui s’expriment par un sentiment d’aliénation et d’insécurité à l’égard du nouveau-né se situent dans les limites de la normale. »

Nous estimons que les difficultés éprouvées par la mère au cours des rencontres mère-enfant ne peuvent être considérées comme étant provoquées par une grave dépression postnatale puisqu’elles suivent un schéma similaire depuis plus d’un an et demi. Elles témoignent plutôt d’une insuffisance de ses aptitudes parentales élémentaires qui ne s’explique pas uniquement par une dépression postnatale. Nous estimons qu’il est crucial [(avgjørende viktig)] d’interpréter les difficultés éprouvées par la mère au cours des rencontres avec son enfant et ainsi que ses aptitudes parentales en général à la lumière de modèles psychologiques explicatifs plus complexes portant à la fois sur les problèmes cognitifs et sur les expériences traumatiques graves vécues tant dans l’enfance qu’à l’âge adulte, dont la recherche a montré qu’ils affectent l’aptitude d’une personne à fonctionner comme parent si des efforts considérables ne sont pas déployés sur un plan individuel et si un traitement n’est pas mis en place. Nous pensons que l’experte psychologue y consacrera plus de développements. »

63. Le 3 mars 2010, M.S., l’experte psychologue mandatée par la cour d’appel (paragraphe 61 ci-dessus), rendit son rapport. Elle avait observé deux rencontres, l’une entre l’enfant et sa mère seule et l’autre à laquelle avaient pris part la première requérante, sa mère et sa sœur. Dans ce rapport, le chapitre intitulé « Fonctionnement social et scolaire » contenait notamment les passages suivants :

« Au fil des ans, le SSE [(centre national de l’épilepsie, Statens senter for epilepsi)] a procédé à des évaluations répétées de la [première requérante] au moyen de tests permettant de mesurer l’évolution de sa maladie ainsi que d’autres tests tendant davantage à décrire le fonctionnement de l’intéressée. L’analyse en l’espèce était particulièrement axée sur le test WISC-R, qui a été pratiqué avant et après l’opération subie par l’intéressée. Les résultats obtenus à ce test ont été exprimés sous la forme d’un score de quotient intellectuel (QI) dont il a été débattu au cours de la procédure concernant les mesures de protection de l’enfance, dans le cadre de laquelle s’inscrit également le présent rapport. Il y a donc lieu de formuler quelques observations sur les résultats à ce test.

Le test WISC-R est un test bien connu et fréquemment employé lorsque l’on veut mesurer les capacités intellectuelles d’un enfant. Ces capacités sont associées aux résultats scolaires. Les résultats à ce test fournissent des informations utiles sur la capacité d’un enfant à apprendre et à tirer parti de l’apprentissage. Le profil de fonctionnement établi sur la base d’un test WISC-R sert ainsi de base à l’élaboration de mesures éducatives ciblées à l’école et peut contribuer aussi à la préparation d’aménagements éducatifs individualisés pour les enfants présentant des besoins spécifiques.

Le résultat final à un test d’intelligence revêt la forme d’un score de (QI), lequel constitue une définition opérationnelle de l’intelligence qui fournit une expression numérique de la manière dont les capacités définies comme relevant de l’intelligence sont réparties entre les individus dans une population donnée. Ce test est standardisé, c’est-à-dire qu’il existe une distribution statistique normale avec un écart moyen des deux côtés. Le test WISC-R se caractérise par un indice moyen fixé à 100 et par un écart-type de +-15. Un score se situant dans la fourchette de distribution de 85-115 points est considéré comme s’inscrivant dans la fourchette normale, qui regroupe 68 % de la population de référence, 98 % de la population obtenant un score se situant entre les deux écarts-types, à savoir dans la fourchette de 70-130 points. Aux fins de l’évaluation diagnostique d’un score de QI, les personnes qui ont obtenu un résultat compris entre 50 et 69 sont considérées comme présentant un léger retard mental. Les résultats obtenus au test d’intelligence peuvent s’améliorer au fur et à mesure du développement du sujet si celui-ci dispose des ressources cognitives fondamentales. En l’espèce, des éléments montrent que le score de QI [de la première requérante] est resté le même tout au long de son enfance et de son adolescence, ce qui signifie qu’elle n’a pas rattrapé son retard intellectuel après son opération au cerveau.

1.3 Résumé

Les informations anamnestiques recueillies auprès de l’école, du service de santé spécialisé et de la famille permettent de brosser un tableau général révélant [chez l’intéressée] une faible capacité d’apprentissage et un fonctionnement social déficient qui se sont manifestés dès la petite enfance et ont perduré à l’âge adulte. [La première requérante] avait de mauvais résultats scolaires malgré de bonnes conditions de vie générales et les moyens supplémentaires considérables qui avaient été mis en œuvre pour elle, et en dépit de sa motivation ainsi que de tous les efforts qu’elle déployait. Il est donc difficile de trouver à ses résultats une explication autre que des difficultés générales d’apprentissage qui ont pour origine un trouble cognitif fondamental. Cette conclusion est étayée par les scores systématiquement médiocres qu’elle a obtenus aux tests de QI, que ce soit avant ou après l’intervention chirurgicale contre l’épilepsie.

Elle rencontrait également des problèmes de fonctionnement socio-affectif, lesquels sont eux aussi évoqués de manière récurrente dans tous les documents qui traitent de l’enfance et de l’adolescence [de la première requérante]. Il y est fait état d’un manque d’aptitudes sociales et d’adaptation sociale, qui est principalement lié à un comportement social inadéquat pour son âge [(ikke-aldersadekvat sosial fremtreden)] (« puéril ») ainsi qu’à une piètre maîtrise de ses impulsions. Il est également indiqué que [la première requérante] se montrait très réservée et qu’elle avait peu confiance en elle, ce qui doit être envisagé à la lumière de ses problèmes. »

Dans le chapitre intitulé « Évaluation du fonctionnement parental, des compétences dans les situations de rencontre et de l’effet des mesures d’assistance », le rapport contenait les passages suivants :

« 5.1 Aptitudes à s’occuper d’un enfant

Comme il ressort clairement de ce qui a été exposé ci-dessus, j’ai accordé une importance particulière aux conséquences de l’état [de la première requérante] sur son fonctionnement général et sur le point de savoir si elle possède toutes les compétences requises pour s’occuper d’un enfant. Il est important d’observer que ni [la première requérante] ni ses parents ne croient qu’il existe un lien entre ses antécédents médicaux, son fonctionnement à l’âge adulte et ses aptitudes à s’occuper de son enfant.

Il n’est pas vrai que l’épilepsie prive les personnes qui en sont atteintes de leur aptitude à prendre soin de quelqu’un, de même qu’un score de QI faible ne justifie pas à lui seul le placement d’un enfant. Le résultat à un test peut toutefois aider à comprendre pourquoi la capacité de fonctionnement d’une personne est déficiente, en particulier s’il est mis en relation avec d’autres observations et constats.

[La première requérante] est atteinte depuis son plus jeune âge d’une grave épilepsie réfractaire. Il s’agit d’une forme instable d’épilepsie qui modifie le cerveau et affecte le développement de toute la personnalité. Il convient aussi de mentionner les effets indésirables du puissant traitement médicamenteux qu’elle a pris durant toute son enfance. Le docteur [R.B.L.] du SSE, qui connaît très bien les antécédents de [la première requérante], parle du « poids de l’épilepsie », c’est-à-dire des problèmes socio-affectifs qui peuvent être engendrés par une aptitude réduite à l’apprentissage et par une inadaptation sociale. Il est donc parfaitement raisonnable de supposer que le poids de la maladie est en lui-même, dans une certaine mesure, source de retards chez elle. Des mesures objectives de son fonctionnement pratiquées à différentes étapes de sa croissance le confirment. Ces éléments, mis en relation avec des observations cliniques, font apparaître [la première requérante] comme une jeune femme présentant un trouble cognitif significatif. Selon moi, c’est ce que les services de santé publique ont remarqué lorsque [la première requérante] les a informés de sa grossesse et c’est ce qui les a inquiétés. Des adjectifs tels que « immature » et « puéril » reviennent souvent dans les descriptions de son comportement tout au long de sa croissance, et ils sont toujours utilisés alors qu’elle a aujourd’hui vingt-quatre ans. L’apparence de [la première requérante] et son comportement expliquent largement l’emploi de tels adjectifs : elle est petite, délicate et paraît bien plus jeune que son âge chronologique. Elle vit au domicile de ses parents, où sa chambre est tapissée d’un papier peint sur lequel figurent les Moumines et est remplie d’objets que l’on s’attendrait à trouver dans une chambre d’adolescente.

Je suis préoccupée par la capacité de [la première requérante] à prendre soin d’elle-même. Elle semble jeune, peu sûre d’elle et en partie sans défense. Ses relations avec les hommes ne semblent pas claires. Elle a eu une relation amoureuse avec un homme avec lequel elle a également vécu pendant une brève période, mais cette relation a été houleuse et émaillée d’épisodes de violences sexuelles. Elle est tombée enceinte de X alors qu’elle était toujours avec son petit ami, sans que [la première requérante] eut été en mesure de fournir une explication au fait que celui-ci ne s’est pas révélé être le père de l’enfant. Elle a semblé confuse à ce sujet et a raconté plusieurs histoires différentes. Elle a également contracté une maladie sexuellement transmissible (la chlamydia) sans connaître la source de l’infection. [La première requérante] voulait un enfant, mais elle s’en est remise au hasard sans penser aux conséquences et obligations qu’impliquait le fait d’en assumer seule la responsabilité. Le 7 novembre 2007, elle a déclaré au médecin du SSE qu’elle n’utilisait pas de méthode contraceptive et pensait qu’elle pouvait être enceinte à ce moment-là. Plus tard dans la même journée, elle a déclaré qu’elle voulait être enceinte. En novembre 2007, elle a subi au cours de la dix-huitième semaine de grossesse un avortement pratiqué à [l’hôpital R.] sur le fondement d’indications sociales. [La première requérante] a pris une photographie du fœtus, ce qui peut sembler bizarre. On lui a également remis une empreinte de la main et du pied du fœtus. À l’[hôpital R.], elle a été décrite comme étant immature et ne disposant que d’un réseau limité.

Les circonstances ayant entouré les deux grossesses sont révélatrices du degré de conscience que [la première requérante] a de ses propres choix et de leurs conséquences. Ce point est important dans l’appréciation de sa capacité à s’occuper d’un enfant.

Par ailleurs, [la première requérante] n’a pas terminé sa scolarité et n’a pas d’emploi stable. Elle a presque toujours vécu chez ses parents, dans son ancienne chambre, et elle a peu d’expérience d’une vie d’adulte autonome qui assume la responsabilité de structurer sa vie, de s’assurer un revenu et de déterminer ses priorités financières. Ses relations avec ses parents sont qualifiées de bonnes en ce moment, mais il y a eu des conflits dans le passé. Je perçois une fragilité dans ces relations. [La première requérante] exprime elle-même beaucoup d’ambivalence à l’égard de sa mère parce que, d’un côté, elle pense que celle-ci s’immisce trop dans sa vie mais que, d’un autre côté, elle est très dépendante d’elle, fait siennes ses opinions et se laisse guider par elle. Elle est néanmoins contrariée que sa mère décide beaucoup de choses pour elle et aimerait que celle-ci « se mette bien dans la tête » qu’elle a besoin d’un peu plus d’intimité qu’elle n’en a à l’heure actuelle. La mère de [la première requérante] relate qu’après le placement de son fils, sa fille est simplement restée assise dans sa chambre. Elle se dit très inquiète et affirme qu’elle « peut difficilement supporter » de la voir comme ça.

À mon avis, [la première requérante] a du mal à contrôler ses émotions, ce qui rend les relations interpersonnelles difficiles pour elle. Depuis le placement de son enfant, [la première requérante] est vexée, blessée et en colère. Ces émotions sont parfaitement compréhensibles dans le cas d’une personne qui a l’impression d’avoir été traitée de manière injuste, mais en l’occurrence elles sont exprimées sans aucune retenue, au point de sauter aux yeux. Qualifier le bureau d’aide sociale du comté de « bande de femmes pourries à la solde des services de protection de l’enfance » et le personnel du centre d’accueil parents-enfants de « psychotiques » ne contribue pas à renvoyer l’image d’une personne adulte capable de socialiser avec d’autres adultes sur un mode socialement adapté. Les crises de larmes intenses [de la première requérante], tant à la maison avec ses parents lorsque nous discutons de son cas que lors des rencontres avec son fils, constituent également un comportement inhabituel pour un adulte. De même que sangloter sur les genoux de son père ou de sa mère (comme cela a été relaté au sujet des rencontres avec l’enfant) ne témoigne pas d’une aptitude à maîtriser ses émotions d’une manière appropriée pour à son âge. [La première requérante] n’a pas non plus géré avec une grande maturité le comportement de son fils ; elle s’est plutôt sentie rejetée personnellement et a agi en conséquence.

Il est difficile de s’en tenir à un sujet avec [la première requérante]. Son fonctionnement cognitif se caractérise par une inaptitude aux corrélations et aux généralisations. Elle réfléchit de façon égocentrique lorsqu’elle ne cesse de parler des affreux services de protection de l’enfance ou qu’elle répète à quel point ses parents et tout le monde autour d’elle trouvent incompréhensible que l’enfant ait été placé. Je renvoie au rapport du psychologue [de l’établissement d’accueil parents-enfants] qui constate que « la mère tient des propos auxquels il est difficile de donner un sens ». L’opinion que je me suis forgée [de la première requérante] au cours de nos conversations est que celle-ci a une vision fragmentée des situations, c’est-à-dire qu’elle perçoit les différents événements comme des épisodes isolés qui n’ont aucun lien entre eux. Ainsi, l’accompagnement est pris pour une critique, les bons conseils pour une réprimande, etc. Cette inaptitude à généraliser est caractéristique du mode de pensée de [la première requérante]. Elle est également incapable d’abstraction et d’une pensée opérationnelle formelle. Elle a du mal à se projeter dans l’avenir ou à regarder le passé. Il est ainsi difficile d’obtenir une réponse de sa part sur la manière dont elle envisage un éventuel retour de son enfant. Elle tient des propos d’ordre général, disant par exemple qu’elle doit demander ce qu’il aime manger et s’il regarde les programmes télévisés pour enfants, mais sans formuler la moindre réflexion sur les mesures particulières qu’il faudrait prendre face au stress émotionnel que l’enfant subirait s’il venait à changer de foyer. Lorsque je lui demande ce que la mère d’accueil devrait faire pour faciliter le processus de restitution de l’enfant, [la première requérante] ne fait aucune suggestion constructive. Ce qu’elle souhaite, cependant, c’est « qu’elle (la mère d’accueil) se sente aussi minable que moi depuis un an ». De tels propos, conjugués à l’hostilité manifeste (uttalt fiendtlighet) dont elle témoigne pendant les rencontres mère-enfant, ne laisse présager rien de bon pour la coopération avec la famille d’accueil ou avec les services de protection de l’enfance si l’enfant venait à lui être restitué.

[La première requérante] déploie beaucoup d’énergie à exprimer de l’agressivité et à nourrir des opinions hostiles. Cela contribue à sa vision stéréotypée des services de protection de l’enfance et de tous les autres aidants, en lesquels elle voit des adversaires. Le mode de pensée de la première requérante consiste à se dire « si vous n’êtes pas avec moi, vous êtes contre moi », et elle est incapable de saisir les nuances. Pareil mode de pensée manichéen est caractéristique des personnes présentant une capacité cognitive limitée. Par ailleurs, je décèle une forme de dépression chez [la première requérante]. J’interprète sa vive agressivité comme une stratégie qui lui permet de tenir psychologiquement.

Il n’y a aucune raison de douter que [la première requérante] souhaite ardemment devenir une bonne mère. Elle a elle-même pris contact avec les services d’assistance dans ce but. Il est toutefois difficile de savoir quelles étaient son idée et ses attentes à cet égard. Sa mère a indiqué qu’elle et sa fille pensaient que [l’établissement d’accueil parents-enfants] était une sorte d’hôtel où il était possible de recevoir une aide matérielle pour les soins aux enfants. Malgré tout le travail de préparation et les informations détaillées qui leur avaient été communiquées au préalable, elles n’ont pas compris qu’un séjour d’évaluation exigeait du parent qu’il montrât ses qualités et qu’il fût observé et placé en situation d’apprentissage. [La première requérante] s’est donc sentie dans une large mesure trahie et trompée, ce qu’elle exprime par un langage injurieux et des menaces.

Le séjour au sein de [l’établissement d’accueil parents-enfants] a montré que [la première requérante] avait du mal à analyser et retenir les informations de manière à ce qu’elle puisse s’en servir pour adapter son comportement. C’est une question non pas de mauvaise volonté, mais d’incapacité à planifier, à organiser et à structurer. Pareilles manifestations de déficiences cognitives deviendront omniprésentes dans sa manière de s’occuper de l’enfant et elles pourraient se traduire par de la négligence.

5.2. L’effet des mesures d’assistance

Le fait que [la première requérante] vit maintenant chez ses parents et qu’elle pourra y rester aussi longtemps que nécessaire est considéré comme important. Il s’agit en quelque sorte d’une mesure d’assistance. Or, cela pourrait se révéler plus problématique qu’il n’y paraît : [la première requérante] a vingt-quatre ans et souhaite devenir autonome, désir qui pourrait se heurter au souhait de sa mère de l’aider. Ni ses parents ni quiconque ne pourront dicter à [la première requérante] comment organiser sa vie et celle de son enfant. Si [la première requérante] décide de s’installer ailleurs, elle peut le faire à tout moment. Cela ne regarde en rien ses parents. Toute décision doit donc tenir compte du fait que, si l’enfant venait à lui être restitué, nul ne peut dire avec un degré de certitude suffisant où il serait élevé à l’avenir. La décision doit donc être avant tout fondée sur l’aptitude de [la première requérante] à s’occuper de l’enfant, et non pas sur l’aptitude de son entourage à le faire.

Le séjour dans [l’établissement d’accueil parents-enfants] était une mesure d’assistance lourde qui n’a produit aucun effet. Le suivi des rencontres mère-enfant par les services de protection de l’enfance a eu une incidence négative sur la coopération entre la famille des [requérants] et ces services. [La première requérante] et sa famille ont déclaré ne vouloir ni suivi ni assistance à l’occasion de la restitution de l’enfant.

5.3 Conclusions

À mon avis, il existe des raisons d’affirmer qu’il y a eu des carences graves dans la manière dont la mère s’est occupée de l’enfant ainsi que dans les contacts personnels et la sécurité qui lui ont été apportés, lesquels étaient nettement insuffisants eu égard à son âge et à son niveau de développement. Les troubles cognitifs, la personnalité, le mode de fonctionnement et l’incapacité [de la première requérante] à intellectualiser interdisent d’avoir une conversation normale avec elle au sujet des besoins physiques et psychologiques des enfants en bas âge. Son appréciation des conséquences qu’entraînerait un retour de l’enfant chez elle et de ce qui serait exigé d’elle en tant que parent dans ce cas est très limitée et puérile, et l’intéressée continue de privilégier tout de suite ses propres besoins immédiats. J’estime donc établi qu’il existe un risque que ces carences (susmentionnées) persistent si l’enfant venait à vivre chez sa mère.

Sur la base des éléments du dossier, j’estime également établi qu’il est impossible d’instaurer chez sa mère des conditions satisfaisantes pour l’enfant au moyen des mesures d’assistance prévues à l’article 4-4 de la loi sur la protection de l’enfance (mesures de soutien à domicile ou autres mesures d’accompagnement parental) en raison d’une défiance et d’une réticence à accepter l’intervention des autorités. »

64. La cour d’appel tint audience du 23 au 25 mars 2010. La première requérante y prit part, accompagnée de son avocat rémunéré grâce à l’aide judiciaire. Onze témoins furent entendus, de même que l’experte mandatée par le tribunal, la psychologue M.S. (paragraphe 61 ci-dessus). Les services municipaux de protection de l’enfance soutinrent pour l’essentiel qu’il ne devait y avoir aucune visite entre les requérants. Ils précisèrent que si visites il devait y avoir, leur fréquence devait se limiter à deux par an. Il s’agissait selon eux d’un cas de « placement à long terme » (langvarig plassering av barnet).

65. Dans un arrêt du 22 avril 2010, la cour d’appel confirma la décision du bureau d’aide sociale du comté tendant à la prise en charge d’office de X (paragraphes 38-46 ci-dessus). Elle réduisit également le droit de visite de la première requérante à quatre visites de deux heures chacune par an.

66. La cour d’appel tint compte des informations contenues dans le rapport que l’établissement d’accueil parents-enfants avait produit le 23 octobre 2008 (paragraphe 24 ci-dessus), ainsi que de la déposition qu’avait faite devant elle l’experte en thérapie familiale, qui avait déclaré que la mère de la première requérante avait séjourné avec sa fille dans l’établissement pendant les quatre premières nuits (voir aussi le paragraphe 17 ci-dessus). Et d’ajouter :

« C’est en particulier à partir de ce moment-là que l’on a commencé à s’inquiéter de la manière il était pris concrètement soin de l’enfant. Il était convenu que [la première requérante] rende compte de chaque changement de couche, etc., ainsi que des repas, mais elle n’en a rien fait. L’enfant dormait plus que la normale. [L’experte en thérapie familiale] a été interpellée par la façon dont l’enfant respirait et par le fait qu’il s’endormait pendant les repas. Parce qu’il avait perdu du poids, l’enfant devait être alimenté toutes les trois heures, jour et nuit. Le personnel devait parfois exercer des pressions sur la mère pour qu’elle nourrît son fils. »

67. La cour d’appel conclut que l’établissement d’accueil parents-enfants avait correctement évalué la situation et, à l’inverse du tribunal de district (paragraphe 51 ci-dessus), elle considéra qu’il était très peu probable que les résultats de cette évaluation eussent été différents si X n’avait pas contracté d’infection oculaire.

68. De plus, la cour d’appel fit référence au rapport dressé le 5 décembre 2008 par la clinique pédopsychiatrique (paragraphe 32 ci-dessus). Elle prit également en considération le rapport établi par M.S., l’experte mandatée par le tribunal (paragraphe 63 ci-dessus).

69. Étant donné la brièveté du séjour au sein l’établissement d’accueil parents-enfants, la cour d’appel jugea utile de s’intéresser au comportement (fungering) de la première requérante pendant les rencontres mère-enfant qui avaient été organisées une fois X placé en famille d’accueil. Deux personnes avaient été chargées de superviser ces visites et toutes deux avaient rédigé des rapports, qui ni l’un ni l’autre n’étaient positifs. La cour d’appel dit que l’un des agents de supervision avait brossé un « tableau globalement négatif de ces rencontres ».

70. La cour d’appel fit également référence au rapport qui avait été établi par la psychologue et par l’experte en thérapie familiale désignées par les services de protection de l’enfance, lesquelles avaient étudié les réactions qui avaient été celles de X après les visites de la première requérante (paragraphes 58 et 62 ci-dessus).

71. De plus, la cour d’appel nota que l’experte psychologue qu’elle avait mandatée, M.S. (paragraphes 61 et 63 ci-dessus), avait indiqué au prétoire que les rencontres mère-enfant étaient apparues si négatives qu’elle estimait que la mère ne devait pas avoir le droit de voir son fils. L’experte avait estimé que ces rencontres « n’étaient pas constructives pour l’enfant ». Sur la question des aptitudes parentales de la première requérante, elle avait inscrit dans son rapport (paragraphe 63 ci-dessus) que le séjour dans l’établissement d’accueil parents-enfants avait mis en évidence le fait que la première requérante « avait du mal à analyser et retenir les informations de manière à ce qu’elle puisse s’en servir pour adapter son comportement ». Et de poursuivre :

« C’est une question non pas de mauvaise volonté, mais d’incapacité à planifier, à organiser et à structurer. Pareilles manifestations de déficiences cognitives deviendront omniprésentes dans sa manière de s’occuper de l’enfant et elles pourraient se traduire par de la négligence » (ibidem).

72. La cour d’appel souscrivit à la conclusion de l’experte M.S., puis rechercha si des mesures d’assistance permettraient de compenser suffisamment les carences dans les aptitudes parentales de la première requérante. À cet égard, elle nota que les raisons qui expliquaient ces carences étaient déterminantes. À ce stade, elle fit référence à l’analyse par l’experte des antécédents médicaux de la première requérante, d’où il ressortait que celle-ci était atteinte d’une épilepsie grave depuis son enfance jusqu’à son opération du cerveau en 2005, à l’âge de 19 ans.

73. La cour d’appel releva que l’experte M.S. avait également fait observer que les problèmes médicaux de la première requérante avaient forcément perturbé son enfance à plusieurs égards. Elle fonda son appréciation sur le tableau qu’avait brossé M.S. des problèmes de santé de l’intéressée ainsi que des répercussions qu’ils avaient eues sur le développement et les aptitudes sociales de celle-ci. Elle précisa en outre que le séjour dans un établissement d’accueil parents-enfants avait constitué une tentative de mesure d’assistance (paragraphe 17 ci-dessus). Elle ajouta que ce séjour était censé durer trois mois, mais qu’il avait été interrompu au bout d’un peu moins de trois semaines. Elle expliqua que pour consentir à demeurer plus longtemps au sein de l’établissement, la première requérante avait exigé d’obtenir l’assurance qu’elle serait autorisée à ramener son fils chez elle à la fin de son séjour mais que, les services de protection de l’enfance n’ayant pas été en mesure de le lui garantir, l’intéressée était rentrée chez elle le 17 octobre 2008.

74. La cour d’appel releva que les mesures d’assistance en question consistaient à faire intervenir un agent de supervision et à dispenser à la première requérante de l’aide et une formation supplémentaires sur la manière de s’occuper d’un enfant. Elle estima toutefois qu’assurer à la première requérante une formation suffisante prendrait tellement de temps que l’on ne pouvait y voir une véritable solution de substitution au maintien de l’enfant en famille d’accueil. Elle ajouta que les résultats que donnerait cette formation seraient incertains. À cet égard, elle estima que les déclarations de la première requérante et de sa famille proche, qui avaient dit ne vouloir ni suivi ni assistance dans le cas où X viendrait à leur être restitué, étaient des éléments importants. Elle se rallia aux conclusions de M.S., l’experte qu’elle avait mandatée (paragraphe 63 ci-dessus).

75. Dans son arrêt du 22 avril 2010, la cour d’appel conclut qu’une ordonnance de placement était nécessaire et que prendre des mesures d’assistance à l’intention de la mère ne serait pas suffisant pour permettre à son fils de résider chez elle. Elle jugea que les conditions requises pour la délivrance d’une telle ordonnance en vertu du deuxième alinéa de l’article 4-12 de la loi sur la protection de l’enfance étaient donc réunies (paragraphe 122 ci-dessous). À cet égard, elle estima que le sentiment d’attachement que X avait développé vis-à-vis de ses parents d’accueil, et en particulier avec sa mère d’accueil, était un autre élément important. Quant au droit de visite, elle rappela que seules des raisons impérieuses et exceptionnelles pouvaient justifier de priver un parent de son droit de visite une fois son enfant placé, les visites étant normalement considérées comme servant l’intérêt supérieur de l’enfant, en particulier dans une perspective de long terme. En l’espèce, si les informations qui avaient été recueillies concernant les rencontres mère-enfant n’étaient pas favorables et si l’experte psychologue M.S. avait recommandé de ne pas accorder de droit de visite à la première requérante, elle jugea qu’aucune raison exceptionnelle et impérieuse ne justifiait de priver l’intéressée de son droit de visite, mais que les rencontres mère-enfant ne devaient pas se dérouler à intervalles trop rapprochés. Elle précisa ensuite :

« En ce qui concerne la fréquence des rencontres mère-enfant, une majorité et une minorité s’opposent au sein de la cour d’appel.

La majorité (...) estime opportun d’accorder un droit de visite de deux heures quatre fois par an.

La majorité juge bon de souligner que seule la mère dispose d’un droit de visite. Le fait qu’elle ait rarement été seule lors de ses rencontres avec [X] a eu des conséquences regrettables. L’atmosphère était devenue de plus en plus tendue entre les adultes présents. Il faut supposer que plus il y aura de personnes présentes, plus l’enfant sera stressé et que moins il y aura de participants, plus l’atmosphère sera détendue. C’est ce que confirment également les observations de la psychologue [M.S.]. L’atmosphère entre les adultes pourrait aussi s’apaiser une fois que l’affaire aura trouvé une solution judiciaire et que du temps se sera écoulé. Le fait que les rencontres deviendront moins fréquentes qu’auparavant allègera également le stress pour l’enfant. Il faut supposer que de ce fait, l’enfant réagira moins vivement après les rencontres. Toutefois, cela dépendra surtout de la capacité de la mère et, le cas échéant, des autres membres de sa famille, à se montrer plus coopératifs et à adopter de préférence une attitude positive à l’égard de la mère d’accueil, en particulier pendant les rencontres.

La conclusion de la majorité selon laquelle le nombre des rencontres doit se limiter à quatre par an trouve appui dans les éléments exposés ci-dessus. De surcroît, il est très probable que le placement constituera une mesure de long terme. Les rencontres mère-enfant pourraient ainsi servir à maintenir le contact entre la mère et le fils afin que celui-ci connaisse ses racines. Ce point est considéré comme important pour le développement de l’identité. Le but de ces rencontres n’est toutefois pas d’établir une relation en vue d’un retour de l’enfant auprès de sa mère biologique à terme.

Les services de protection de l’enfance doivent être autorisés à superviser l’exercice du droit de visite, ce qui est nécessaire pour plusieurs raisons, notamment limiter le nombre de participants pendant les rencontres. »

Pour la minorité de la cour d’appel – c’est-à-dire pour l’un des juges professionnels –, le droit de visite devait être limité à deux rencontres par an.

76. La première requérante ne contesta pas cet arrêt, lequel passa ainsi en force de chose jugée.

D. La plainte formée par la première requérante devant le gouverneur du comté

77. Par une lettre non datée, la première requérante se plaignit des services de protection de l’enfance auprès du gouverneur du comté (fylkesmannen). Elle alléguait que ces services avaient menti et affirmé qu’elle était attardée, que la psychologue mandatée par la cour d’appel (paragraphe 61 ci-dessus) avait été partiale et qu’elle n’aurait jamais dû être autorisée à venir à son domicile, que lorsqu’elle-même s’était rendue seule aux rencontres mère-enfant, elle avait été brimée et harcelée par l’agent de supervision ainsi que par la mère d’accueil, et qu’elle n’était plus autorisée à s’y faire accompagner de ses parents. Elle déclarait qu’on ne pouvait que s’interroger sur l’ampleur du retard mental ou sur la faiblesse du QI de ces personnages. Elle soutenait que toute l’affaire reposait sur des mensonges. Elle alléguait aussi que les services de protection de l’enfance déniaient aux personnes intéressées toute capacité (umyndiggjør) et présentaient volontiers celles-ci comme des attardées (gjør gjerne folk evneveike) afin d’obtenir des enfants pour eux-mêmes ou pour leurs amis.

78. Le directeur (barnevernleder) des services municipaux de protection de l’enfance répondit le 22 juillet 2010 que la première requérante et sa famille étaient plus intéressées par le conflit avec les services de protection de l’enfance que par l’instauration de relations bénéfiques et positives avec X. Il ajoutait que la première requérante s’était plainte très tôt du personnel des services de protection de l’enfance, et que celui-ci avait, en retour, satisfait le souhait exprimé par elle de se voir attribuer un nouvel agent de supervision sans que cela eût changé quoi que ce fût à son attitude. Il indiquait que le nombre de visites avait été augmenté à trois par semaine en application du jugement du tribunal de district (paragraphe 54 ci-dessus), mais que X y avait vivement réagi. Il disait que les agents de ses services comprenaient que la situation était difficile pour la première requérante et qu’ils lui avaient proposé de l’aider (voir, entre autres, le paragraphe 48 ci-dessus). Il relatait qu’ils avaient expérimenté plusieurs solutions pour les rencontres mère-enfant, organisant tout d’abord celles-ci dans une salle de réunion dans leurs locaux, où l’agent de supervision et la mère d’accueil pouvaient s’asseoir à une table à une certaine distance de la première requérante et de X, mais de manière à pouvoir intervenir si une supervision était nécessaire. La première requérante s’en serait plainte. Certaines visites se seraient alors déroulées chez les parents d’accueil mais la mère d’accueil les aurait trouvées pénibles parce que l’atmosphère aurait été très mauvaise et qu’elle aurait voulu que son domicile demeurât un refuge pour X. Les parties intéressées auraient ensuite utilisé un appartement destiné à de telles rencontres, ce qui n’aurait pas non plus convenu à la première requérante, qui s’en serait là encore plainte. Elles auraient donc repris les visites dans les locaux des services de protection de l’enfance, où une autre pièce aurait été mise à leur disposition à cette fin.

79. Le directeur des services de protection de l’enfance indiquait également que la mère d’accueil était encore présente lors des rencontres. Sa présence aurait été jugée indispensable car elle était considérée comme la personne à qui on pouvait laisser X en toute confiance. Il aurait également été jugé nécessaire qu’un agent de supervision fût présent afin d’épauler la première requérante. L’agent aurait également été habilité à mettre un terme aux rencontres si l’intéressée refusait ses conseils. Jusque-là, jamais une rencontre n’aurait été interrompue mais l’agent aurait tenté de faire comprendre à la première requérante qu’il était important de se concentrer sur X et de profiter du moment passé avec lui plutôt que de vociférer contre les services de protection de l’enfance et la mère d’accueil.

80. Par une lettre du 26 juillet 2010 faisant suite à la réponse adressée par les services de protection de l’enfance à sa demande de renseignements, le gouverneur du comté fit savoir à la première requérante qu’il n’avait rien à redire au travail accompli en l’espèce par les services de protection de l’enfance.

E. La demande de révocation de l’ordonnance de placement et la demande de déchéance de l’autorité parentale et d’autorisation de l’adoption de X

1. La procédure devant le bureau d’aide sociale du comté

a) Introduction

81. Le 29 avril 2011, la première requérante demanda aux services de protection de l’enfance la révocation de l’ordonnance de placement ou, à titre subsidiaire, l’extension de son droit de visite à l’égard de X.

82. Le 13 juillet 2011, les services municipaux de protection de l’enfance transmirent cette demande au bureau d’aide sociale du comté. Ils proposèrent de rejeter cette demande, de déchoir la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X (laquelle serait transférée à l’administration), puis d’accorder aux parents d’accueil de X, chez lesquels celui-ci vivait depuis sa prise en charge par l’autorité publique (paragraphe 22 ci-dessus), l’autorisation d’adopter l’enfant. Ils disaient toujours ignorer l’identité du père biologique de X. À titre subsidiaire, ils proposèrent de priver la première requérante de son droit de visite.

83. Pendant une rencontre qui eut lieu le 6 septembre 2011, l’agent de supervision remarqua que la première requérante était enceinte et lui demanda la date prévue pour l’accouchement. Selon les notes de l’agent de supervision, l’intéressée répondit qu’elle pensait que la naissance devait avoir lieu aux alentours du 31 décembre. Il ressort de ces notes que la rencontre se passa bien.

84. Le 13 septembre 2011, l’avocat de la première requérante engagea un spécialiste en neurologie clinique afin qu’il testât les aptitudes de l’intéressée et qu’il fît un bilan de ses fonctions cognitives.

85. Dans des lettres du 14 septembre et du 28 octobre 2011 échangées dans le cadre de la procédure devant le bureau d’aide sociale, les services municipaux demandèrent à la première requérante de leur fournir des informations supplémentaires sur son époux car ils souhaitaient pouvoir le joindre afin de s’entretenir avec lui du rôle qu’il entendait jouer à l’avenir dans la vie de l’intéressée.

86. Dans l’intervalle, le 18 octobre 2011, la première requérante avait donné naissance à Y. Elle avait épousé le père de Y pendant l’été de la même année. La nouvelle famille s’était installée dans une autre commune. Lorsque les services de protection de l’enfance de la commune où vivait précédemment la première requérante avaient appris que celle-ci avait donné naissance à un second enfant, ils avaient envoyé une lettre faisant part de leurs inquiétudes à la nouvelle commune, et celle-ci avait ouvert une enquête sur les aptitudes parentales de l’intéressée.

87. Toujours le 18 octobre 2011, le spécialiste en neurologie clinique engagé par l’avocat de la première requérante (paragraphe 84 ci-dessus) produisit son rapport. Il y concluait ce qui suit :

« L’échelle d’intelligence de Wechsler pour adultes III (WAIS-III) fait apparaître un QI de 86. Compte tenu des erreurs types de mesure, le QI de l’intéressée est compris avec une probabilité de 95 % entre 82 et 90. La normale se situe entre 85 et 115. Sur le plan des aptitudes, [la première requérante] se trouve dans la partie inférieure de la fourchette normale. Elle montre de surcroît de considérables difficultés d’apprentissage qui sont (...) [plus importantes] que ne le laisserait penser son QI [(betydelige lærevansker som er svakere enn hva hennes IQ skulle tilsi)]. Ces difficultés sont jugées compatibles avec un trouble cognitif ».

Par une lettre du 27 octobre 2011 adressée à l’avocat de la première requérante en réponse à une demande d’informations complémentaires, ce même spécialiste précisa ceci :

« Un QI général compris entre 82 et 90 ne constitue pas à lui seul un facteur qui ferait obstacle à ce que la personne intéressée élève un enfant. Les aptitudes parentales devraient davantage être examinées dans le cadre d’une observation de la personne et l’enfant, sur la base des renseignements anamnestiques relatifs à d’autres circonstances. N’étant pas expert en la matière, je pense que, parmi les facteurs déterminants à évaluer, il faudrait englober notamment la capacité de la personne à faire preuve d’empathie et à aller vers l’enfant, à comprendre les besoins de celui-ci, à interpréter les signaux envoyés par lui et à mettre de côté [(utsette)] ses propres désirs pour privilégier les besoins de l’enfant.

Pareille évaluation devrait être effectuée par un psychologue qualifié ayant une expérience dans ce domaine. »

88. Le 8 novembre 2011, l’avocat de la première requérante adressa au bureau d’aide sociale un exemplaire d’une revue médicale datée du 2 novembre 2011. On pouvait y lire qu’un médecin avait accepté de témoigner par téléphone au cours de la procédure à venir et qu’il n’avait décelé aucun élément lié à l’épilepsie ou aux facultés cognitives de la première requérante qui indiquerait que celle-ci serait incapable de s’occuper de son enfant.

89. Les 28, 29 et 30 novembre 2011, le bureau d’aide sociale du comté, qui était composé d’un juriste, d’un psychologue et d’un assesseur non professionnel, tint une audience lors de laquelle la première requérante fut présente, accompagnée de son avocat. Vingt et un témoins furent entendus.

b) La décision du bureau d’aide sociale du comté

90. Par une décision du 8 décembre 2011, le bureau d’aide sociale du comté déchut la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et autorisa les parents d’accueil de X à adopter celui-ci. Il conclut que rien dans le dossier n’indiquait que les aptitudes parentales de la première requérante se fussent améliorées depuis l’arrêt rendu par la cour d’appel le 22 avril 2010 (paragraphes 65-75 ci-dessus). Il estima que l’intéressée n’était toujours pas capable de s’occuper correctement de X. Il ajouta ceci :

« Dans sa déclaration devant le bureau d’aide sociale du comté, la mère a maintenu qu’elle considérait que l’ordonnance de placement était le résultat d’une conspiration entre les services de protection de l’enfance, [l’établissement d’accueil parents- enfants] et les parents d’accueil, qui avait pour but « d’aider une femme incapable d’avoir des enfants ». Selon les termes employés par la mère, il s’agissait d’une « commande d’enfant faite à l’avance ». La mère, qui ne se rendait pas compte qu’elle avait négligé [X], a dit qu’elle consacrait la majeure partie de son temps et de son énergie à « l’affaire ».

Les comptes rendus établis à l’issue des rencontres entre la mère et [X] montrent systématiquement [(gjennomgående)] qu’elle demeure incapable de concentrer son attention sur [X] et sur ce qui est le mieux pour lui, et qu’elle se laisse influencer par l’opinion très négative qu’elle se fait de la mère d’accueil et des services de protection de l’enfance.

[La première requérante] s’est mariée et a eu un autre enfant cet automne. Le psychologue [K.M.] a déclaré devant le bureau d’aide sociale du comté qu’il avait constaté une bonne interaction entre la mère et l’enfant et que la mère s’occupait bien de lui. Le bureau en prend note. De l’avis du bureau d’aide sociale du comté, cette observation ne peut en aucun cas permettre de conclure que la mère est en mesure de s’occuper de [X].

Le bureau d’aide sociale du comté juge raisonnable de présumer que [X] est un enfant particulièrement vulnérable car [X] a pendant les trois premières semaines de son existence fait l’objet de négligences graves, de nature à mettre sa vie en péril. Il observe également que de nombreuses rencontres ont été organisées avec la mère et que certaines d’entre elles se sont révélées très stressantes pour [X]. Globalement, X a traversé beaucoup d’épreuves. Il vit au sein de sa famille d’accueil depuis trois ans et ne connaît pas sa mère biologique. Si [X] venait à être restitué à sa mère, il faudrait faire preuve, notamment, d’une grande capacité d’empathie et de compréhension à l’endroit de [X] et des problèmes qu’il rencontrerait, à commencer par une forme de deuil et un sentiment de manque envers ses parents d’accueil. Or la mère et sa famille sont apparues complètement dépourvues de l’empathie et de la compréhension requises. La mère et la grand-mère ont toutes deux déclaré que cela ne poserait pas de problème, « qu’il suffirait de le distraire », donnant ainsi l’impression de ne pas compatir avec l’enfant et donc d’être incapables de lui apporter le soutien psychologique dont il aurait besoin en cas de retour chez sa mère. »

91. De plus, le bureau d’aide sociale du comté prit particulièrement note des conclusions rendues par l’experte M.S. (paragraphe 63 ci-dessus), que la cour d’appel avaient citées dans son arrêt du 22 avril 2010 (paragraphes 65-75 ci-dessus). Il estima que la manière dont la première requérante y était décrite demeurait exacte. En tout état de cause, l’élément décisif à ses yeux était que X avait développé avec sa famille d’accueil un attachement tel que son retrait de son environnement entraînerait pour lui des problèmes graves et permanents.

92. Le bureau d’aide sociale dit également ce qui suit :

« [X] vit depuis trois ans chez ses parents d’accueil en tant que membre à part entière de leur famille. Ces trois années représentent toute la vie de cet enfant. Nous estimons établi que c’est au sein de sa famille d’accueil qu’il a principalement développé un sentiment de sécurité et d’appartenance. Il perçoit ses parents d’accueil comme ses parents psychologiques. Sa famille d’accueil, mais aussi le jardin d’enfants et les autres membres de la famille de ses parents d’accueil assurent à [X] un suivi approprié. Il ne fait aucun doute que retirer [X] de son environnement et le restituer à sa mère biologique l’exposerait à des problèmes importants et graves. Il faut rappeler les problèmes considérables qu’il a déjà connus au bout d’un an, lorsque le nombre de visites a été notablement augmenté. Selon nous, il est crucial pour le développement et le bien-être de l’enfant qu’il continue à vivre au sein de sa famille d’accueil.

Dans ces conditions, il appartient au bureau d’aide sociale du comté de trancher la question de la déchéance de l’autorité parentale et, le cas échéant, d’autoriser l’adoption.

Les deux premiers alinéas de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance permettent de prononcer la déchéance de l’autorité parentale, qui est une condition indispensable à la délivrance de l’autorisation de l’adoption. Il faut au préalable que le bureau d’aide sociale du comté ait ordonné le placement de l’enfant.

Le bureau d’aide sociale fonde sa décision sur une jurisprudence constante qui permet de déchoir les parents biologiques de leur autorité parentale afin de rendre possible une adoption. C’est principalement dans cette optique que, en l’espèce, les services de protection de l’enfance proposent de déchoir la mère de son autorité parentale.

Le libellé de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance soumet l’autorisation d’une adoption à des conditions bien plus strictes que celles qui régissent la déchéance de l’autorité parentale. Toutefois, dès lors qu’une décision prise en application du premier alinéa a pour but de rendre une adoption possible, les motifs qui justifieront celle-ci seront également ceux qui justifieront la déchéance de l’autorité parentale.

La question à trancher en l’espèce est donc celle de savoir si les conditions de l’autorisation d’adoption sont remplies. Le troisième alinéa de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance est ainsi libellé :

« Cette autorisation peut être donnée :

a) si force est de constater qu’il est probable que les parents sont définitivement incapables de s’occuper correctement de l’enfant ou si l’enfant a développé avec les personnes partageant sa vie et avec son environnement un attachement tel que, sur la base d’une appréciation globale, il apparaît que le retrait de l’enfant de son environnement pourrait entraîner pour celui-ci de graves problèmes,

b) si l’adoption servirait l’intérêt supérieur de l’enfant,

c) si les candidats à l’adoption de l’enfant sont les parents d’accueil de celui-ci et se sont montrés aptes à élever l’enfant comme s’il était le leur, et

d) si les conditions à l’autorisation d’une adoption énoncées dans la loi sur l’adoption sont réunies. »

Le bureau d’aide sociale du comté observe tout d’abord qu’il existe de bonnes raisons de déchoir la mère de son autorité parentale à l’égard de [X], indépendamment de la question de l’adoption. Il rappelle que [X] a passé pratiquement toute sa vie au sein de sa famille d’accueil et qu’il est donc plus que naturel que les parents d’accueil prennent pour son compte les décisions qui relèvent de l’autorité parentale. L’absence de sensibilité dont fait preuve la mère, en particulier sur Internet, montre en outre qu’elle pourrait causer de nombreux problèmes à l’enfant [(ramme ham hardt)] lorsqu’il sera suffisamment grand pour comprendre.

Le bureau d’aide sociale du comté considère [(legger til grunn)] que la mère est définitivement incapable de s’occuper correctement de [X] et que [X] a développé avec ses parents d’accueil, leur fils ainsi que d’autres membres de la famille un attachement tel qu’un retrait de son environnement entraînerait pour lui de graves problèmes. Nous renvoyons au raisonnement énoncé ci-dessus. La condition posée au point a) [du troisième alinéa] de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance se trouve ainsi remplie.

L’adoption est une mesure particulièrement intrusive pour les parents biologiques et l’enfant. Il faut donc la justifier par des raisons particulièrement impérieuses. Selon la jurisprudence de la Cour suprême, la décision doit être fondée sur une appréciation des circonstances matérielles de chaque cas, mais aussi sur les connaissances générales dans les domaines de la pédopsychologie ou de la pédopsychiatrie. Nous renvoyons en particulier à la décision de la Cour suprême publiée au journal officiel (Norsk Retstidende (Rt.) 2007, pages 561 et suivantes), qui cite un expert judiciaire ayant déclaré qu’il ressortait de l’expérience générale qu’une relation dans le cadre d’une famille d’accueil ne constituait pas l’option à privilégier pour le placement à long terme d’enfants qui sont arrivés dans la famille d’accueil avant de s’être attachés à leurs parents biologiques. En pareil cas, l’adoption serait plus propice au développement de l’enfant. L’arrêt de la Cour suprême concluait qu’il convenait d’attacher une importance considérable à ces connaissances, générales certes, mais nuancées.

Le bureau d’aide sociale du comté fonde sa décision [(legger til grunn)] sur le fait que la mère ne consent pas à ce que [X] soit adopté. Comme cela a été montré ci-dessus, elle tient vivement, et inopportunément [(uhensiktsmessig)], à ce que l’enfant lui soit restitué.

Selon le bureau d’aide sociale du comté, l’autorisation d’une adoption servira clairement l’intérêt supérieur de [X]. Le bureau d’aide sociale du comté n’estime pas envisageable que [X] soit restitué à sa mère. Son placement en famille d’accueil est réputé permanent. [X] voit en ses parents d’accueil ses parents psychologiques et ce sont les seuls parents qu’il connaît. Une adoption le conforterait dans l’idée qu’il est bien le fils de ses parents d’accueil. »

93. Se fondant à nouveau sur cette même décision de la Cour suprême (Høyesteretts), publiée au journal officiel (Norsk Retstidende (Rt.), 2007, page 561 ; voir également le paragraphe 125 ci-dessous), le bureau d’aide sociale du comté estima que les considérations suivantes qui en étaient tirées – reproduites dans l’arrêt Aune c. Norvège (no 52502/07, § 37, 28 octobre 2010) – trouvaient également à s’appliquer en l’occurrence :

« Décider qu’il resterait un enfant placé reviendrait à lui dire que les personnes avec lesquelles il a toujours vécu, qui sont ses parents et avec lesquelles il a tissé ses premiers liens et un sentiment d’appartenance doivent rester sous le contrôle des services de protection de l’enfance, c’est-à-dire des autorités publiques, et que la société les considère non pas comme ses véritables parents mais comme des parents d’accueil en vertu d’un arrangement auquel il peut être mis fin (...) »

Le bureau d’aide sociale considéra que ce raisonnement général s’appliquait tout aussi bien à la situation de X. Il jugea qu’une adoption servirait l’intérêt supérieur de X et que la condition prévue au point b) du troisième alinéa de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessous) était réputée satisfaite.

94. Le bureau d’aide sociale ajouta que les parents d’accueil avaient élevé X depuis que celui-ci était âgé de trois semaines, dans le cadre d’abord d’un accueil familial d’urgence, puis d’un accueil familial ordinaire. Il estimait établi qu’ils s’étaient très bien occupés de X, qu’ils avaient développé avec l’enfant un attachement réel et étroit et qu’ils désiraient par ailleurs vivement adopter X. Il considéra que les parents d’accueil s’étaient révélés aptes à élever X comme s’il était leur propre enfant. Il jugea que les conditions prévues au point c) du troisième alinéa de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci‑dessous) étaient réputées satisfaites.

95. Le bureau d’aide sociale du comté en conclut que l’adoption servirait l’intérêt supérieur de X. Sa décision prenait en considération l’article 8 de la Convention.

2. La procédure devant le tribunal de district

a) Introduction

96. Le 19 décembre 2011, la première requérante forma un recours contre cette décision, arguant que le bureau d’aide sociale du comté l’avait jugée incapable de s’occuper correctement de X en se fondant sur une mauvaise appréciation des éléments de preuve. Elle considéra dans l’intérêt supérieur de X qu’il lui fût restitué et argua que sa situation ainsi que ses aptitudes parentales avaient évolué. Elle fit valoir qu’elle s’était mariée et avait eu un autre enfant avec son époux. Elle allégua que les services de protection de l’enfance de sa nouvelle commune de résidence les aidaient à s’occuper de leur bébé. Elle précisa en outre que retirer X à sa famille d’accueil ne causerait à celui-ci de problèmes qu’à court terme, mais pas à long terme. Elle ajouta que X n’avait que brièvement séjourné au sein de sa famille d’accueil et que l’adoption était non pas le souhait des parents d’accueil mais plutôt une initiative des services de protection de l’enfance. Elle affirma aussi que les rencontres avec X s’étaient déroulées de manière satisfaisante et que, si les services de protection de l’enfance étaient d’un avis contraire, il leur aurait appartenu, en tant que partie se trouvant en position de force, de prendre des mesures afin qu’elles se passent mieux.

97. Les services municipaux contestèrent ce recours et répliquèrent que X, qui avait alors trois ans et quatre mois et vivait au sein de sa famille d’accueil depuis l’âge de trois semaines, s’était attaché à ses parents d’accueil. Ils soutinrent que sa restitution à sa mère biologique à ce moment-là serait source pour lui de problèmes graves et durables et qu’il n’avait aucun souvenir de la période où sa mère s’était occupée de lui. Ils observèrent que la capacité de la première requérante à prendre soin de X n’avait pas évolué depuis que la cour d’appel avait rendu son arrêt du 22 avril 2010. Ils ajoutèrent que les rencontres entre X et la première requérante ne s’étaient pas bien passées. Ils précisèrent que pendant ces visites elle avait fait des crises, qu’elle était partie avant la fin du temps alloué, et qu’à l’issue de ces visites X avait eu des réactions négatives. Ils indiquèrent que la première requérante et sa mère avaient manifesté une attitude très négative à l’égard des services de protection de l’enfance. Ils firent remarquer que la première requérante prétendait que les services de protection de l’enfance les aidaient à s’occuper du bébé alors qu’en réalité, elles leur avaient refusé l’accès à leur domicile et qu’aucune mesure d’assistance n’avait par conséquent pu être mise en œuvre. Ils reconnurent que c’étaient bien ces mêmes services qui avaient pris l’initiative de demander que X fût adopté, mais ajoutèrent que c’était leur devoir en pareil cas. Ils jugèrent préférable d’offrir à X l’attachement solide à sa famille d’accueil qu’une adoption lui procurerait. Ils arguèrent que ces mesures étaient motivées non pas par l’épilepsie ou par le QI de la première requérante, mais par son immaturité et ses aptitudes parentales réellement défaillantes. Ils estimaient que le psychologue K.M., que la première requérante avait engagé (paragraphe 98 ci-dessous) ne devait pas être autorisé à témoigner. Ils expliquèrent que celui-ci avait filmé une rencontre mère-enfant sans le consentement des parties, qu’il avait refusé de transmettre l’enregistrement vidéo aux services de protection de l’enfance et qu’il n’avait jamais fourni le moindre document écrit ou élément répondant aux mêmes normes de qualité qu’un rapport d’expertise produit selon la procédure normale. Ils dirent avoir déjà signalé ce point aux autorités sanitaires et au comité d’éthique de l’association des psychologues.

98. Le 22 février 2012, après avoir tenu audience du 13 au 15 février 2012 et entendu à cette occasion vingt et un témoins, le tribunal de district, composé d’un juge professionnel, d’un psychologue et d’un assesseur non professionnel conformément à l’article 36-4 du code de procédure civile (paragraphe 133 ci-dessous), confirma la décision attaquée. Parmi les témoins cités par les services de protection de l’enfance figuraient les personnes chargées de superviser la famille d’accueil et les rencontres mère-enfant, S.H., de l’hôpital psychiatrique de jour pour enfants et adolescents, les expertes psychologues B.S. et M.S. (voir, entre autres, les paragraphes 58, 61, 62 et 63 ci-dessus) et la thérapeute familiale de l’établissement d’accueil parents-enfants (voir, par exemple, le paragraphe 24 ci-dessus). Parmi les témoins cités par la première requérante figuraient des membres de sa famille, son époux ainsi que des membres de sa famille à lui, le médecin-chef de l’hôpital où la première requérante avait été opérée en 2005 (paragraphe 72 ci-dessus) et le psychologue K.M. (paragraphe 97 ci-dessus). La première requérante avait assisté à l’audience, accompagnée de son avocat rémunéré grâce à l’aide judiciaire.

b) La motivation du jugement du tribunal de district sur la possibilité de mettre un terme à la prise en charge de X par l’autorité publique

99. Dans son jugement, le tribunal de district observa à titre liminaire qu’une partie de l’audience avait été consacrée à faire la lumière sur les circonstances antérieures à la décision de placement de X. Il indiqua qu’il ne les examinerait que dans la mesure nécessaire à la bonne appréciation de la situation à la date où il était appelé à se prononcer.

100. Le tribunal de district releva ensuite que la situation de la première requérante s’était améliorée à certains égards au cours de la dernière année écoulée : elle s’était mariée au mois d’août 2011, son époux avait un emploi stable et ils avaient eu une fille, Y. Il ajouta que les services de protection de l’enfance de la commune où résidait à ce moment-là le couple menaient une enquête sur l’aptitude de la mère à s’occuper de Y. Il indiqua qu’un agent des services de protection de l’enfance de cette commune avait témoigné à l’audience que l’administration n’avait pas reçu de signalement autre que celui qui avait été fait par les services de protection de l’enfance de la commune de résidence précédente de la première requérante. Il précisa que dans le cadre de cette enquête, les autorités s’étaient livrées à des observations au domicile de la première requérante. Il relata qu’elles avaient relevé beaucoup de points positifs mais également noté que les parents pouvaient avoir besoin d’aide pour mettre en place des routines et des structures. Il en conclut que les services de protection de l’enfance de la commune où la première requérante s’était installée considéraient que les parents pouvaient s’occuper correctement de Y s’ils les y aidaient. Il ajouta que Y n’était pas une enfant présentant des besoins particuliers.

101. Le tribunal de district observa cependant que, au vu du dossier, la situation était différente concernant X, que plusieurs experts avaient qualifié d’enfant vulnérable. Il fit en particulier référence à la déclaration d’un membre du personnel médical de l’hôpital psychiatrique de jour pour enfants et adolescents qui avait expliqué qu’en décembre 2011 encore, X était sujet au stress et qu’il avait besoin de beaucoup de calme, de sécurité et de soutien. Il ajouta que si l’on voulait que X connût un développement affectif satisfaisant à l’avenir, il faudrait que la personne qui s’en occuperait en fût consciente et qu’elle en tînt compte. Il nota que, lors de son audition au prétoire, la première requérante avait clairement montré qu’elle n’avait pas conscience des problèmes qu’elle rencontrerait si X venait à être retiré à sa famille d’accueil. Il indiqua que l’intéressée ne percevait pas la vulnérabilité de l’enfant et qu’elle avait surtout comme souci de le voir grandir « parmi les siens ». Il expliqua qu’elle pensait que récupérer X ne poserait pas de problème et qu’elle ne comprenait toujours pas pourquoi les services de protection de l’enfance avaient dû intervenir et placer l’enfant en accueil familial d’urgence. Il précisa qu’elle n’avait souhaité rien dire de ce qu’elle pensait de la manière dont X grandissait au sein de sa famille d’accueil. Il jugea que la première requérante ne serait pas suffisamment capable de percevoir ou de comprendre les besoins particuliers de X et que, si ces besoins n’étaient pas satisfaits, celui-ci risquait fortement de connaître un développement anormal.

102. Le tribunal de district prit également en compte la description que les parents d’accueil ainsi que l’agente de supervision avaient donnée des réactions émotionnelles de X après les rencontres avec sa mère : selon leurs dires, après ces visites, l’enfant pleurait de manière inconsolable et avait besoin de beaucoup de sommeil. Il releva que ces personnes avaient ajouté que pendant les visites, X avait à de nombreuses reprises refusé tout contact avec la première requérante et que, au fur et à mesure des visites, il finissait par afficher ce qu’ils estimaient être une forme de résignation. Il considéra que cette attitude pouvait s’expliquer par la vulnérabilité du garçon face à des interactions inopportunes et à des informations qui n’étaient adaptées ni à son âge ni à son fonctionnement. Il jugea que les débordements émotionnels auxquels la première requérante s’était livrée dans certaines situations pendant les visites, par exemple lorsque X avait eu un mouvement vers sa mère d’accueil et l’avait appelée « Maman », étaient potentiellement effrayants (skremmende) et peu propices au bon développement de X.

103. Le tribunal de district dit que la présentation des éléments de preuve avait « clairement démontré » que les « limitations fondamentales » (grunnleggende begrensningene) qui existaient à l’époque où la cour d’appel avait statué perduraient. Il ajouta que pendant les débats n’était apparu aucun élément de nature à indiquer que la première requérante avait adopté une attitude plus positive à l’égard des services de protection de l’enfance ou de la mère d’accueil, si ce n’est la déclaration par laquelle elle s’était dite disposée à coopérer. Il précisa que l’intéressée avait snobé la mère d’accueil lorsque celle-ci l’avait saluée pendant les visites et qu’elle ne lui avait jamais posé de questions au sujet de X. Il expliqua que pendant la dernière visite en date, la première requérante était partie de dépit quarante minutes avant l’heure prévue et que toutes les personnes qui avaient assisté à ces rencontres avaient indiqué que celles-ci se déroulaient dans une ambiance pénible. Il considéra que si les aptitudes que manifestait la première requérante pendant les visites ne s’étaient pas améliorées, c’était peut-être parce qu’elle-même cherchait tellement à réprimer ses propres sentiments et que X lui manquait à un tel point qu’elle n’arrivait pas à se placer dans la perspective de l’enfant et à le protéger contre ses débordements émotionnels à elle. Il jugea que, pour qu’il y eût une amélioration, il aurait fallu que la première requérante comprît X et ses besoins et qu’elle fût prête à effectuer un travail sur elle-même et sur ses propres faiblesses. Il ajouta que pendant les trois années durant lesquelles la première requérante avait eu le droit de rendre visite à son enfant, aucun signe d’évolution positive de ses aptitudes dans les situations de rencontre n’avait été décelé. De surcroît, il fit remarquer que l’attitude singulièrement négative affichée par ses parents à l’égard des services municipaux de protection de l’enfance ne facilitait pas les choses à l’intéressée.

104. Le tribunal de district releva que la première requérante avait dit devant lui être victime d’une injustice et qu’elle se battrait jusqu’à ce que X lui fût restitué. Il constata que pour faire connaître sa situation, elle avait choisi en juin 2011 de mettre en ligne son récit et de l’illustrer par une photographie d’elle-même en compagnie de X. Il précisa que dans cet article et dans plusieurs commentaires postés à l’automne 2011, elle avait proféré de graves accusations contre les services de protection de l’enfance et contre les parents d’accueil – accusations dont elle avait ultérieurement admis au prétoire le caractère mensonger. Selon lui, la première requérante ne pensait pas qu’une visibilité médiatique ainsi que des procédures judiciaires à répétition pussent se révéler nocives pour l’enfant à long terme.

105. Le tribunal de district nota que le psychologue K.M. (paragraphes 97-98 ci-dessus), qui avait examiné et traité la première requérante, avait dans sa déposition indiqué que celle-ci ne répondait pas aux critères de diagnostic de trouble psychiatrique. K.M. l’aurait suivie pour l’aider à surmonter le traumatisme qu’elle disait avoir subi lorsqu’on lui avait retiré son enfant. L’objectif de ce traitement aurait été de faire en sorte que la première requérante se perçût comme une bonne mère. K.M. aurait été persuadé que les évaluations qui avaient été précédemment effectuées concernant l’aptitude de la première requérante à s’occuper de son enfant étaient à l’époque erronées et il aurait assuré devant le tribunal de district que le mieux pour X aurait été qu’il fût rendu à sa mère biologique. Le tribunal de district considéra toutefois que les arguments avancés par le psychologue K.M. reposaient sur des travaux de recherche menés dans les années 1960 qui ne concordaient pas avec les recherches récentes effectuées sur les enfants en bas âge. Il releva que les autres experts qui avaient déposé, y compris les psychologues B.S. et M.S., avaient recommandé de ne pas restituer X à sa mère car cela serait très préjudiciable pour lui.

106. À ce stade, le tribunal de district se rallia à l’avis du bureau d’aide sociale du comté, lequel estimait que la première requérante n’avait pas changé au point qu’il fût très probable qu’elle serait capable de s’occuper correctement de X. Il fit siens les motifs exposés par le bureau d’aide sociale, arguant qu’un régime transitoire adapté, des mesures d’assistance ou le soutien que l’intéressée pourrait obtenir auprès de son entourage ne permettraient pas de compenser les limitations manifestes qui caractérisaient les aptitudes parentales de l’intéressée. Il ne jugea pas utile d’analyser plus avant d’autres arguments concernant son aptitude à s’occuper de l’enfant dans la mesure où il était en tout état de cause exclu de restituer X à la première requérante compte tenu des problèmes graves qu’un départ de chez sa famille d’accueil entraînerait pour celui-ci. À ce stade, il estima à l’instar du bureau d’aide sociale du comté que X avait développé avec ses parents d’accueil, son frère d’accueil et l’environnement de sa famille d’accueil en général un attachement tel que devoir les quitter entraînerait pour lui de graves problèmes. Il précisa que c’était au sein de sa famille d’accueil que X avait principalement développé un sentiment de sécurité et d’appartenance et que X voyait en ses parents d’accueil ses parents psychologiques. Pour ces motifs, l’ordonnance de placement ne pouvait être révoquée.

c) La motivation du jugement du tribunal de district concernant la déchéance de l’autorité parentale à l’égard de X et l’autorisation d’adopter celui-ci

107. Sur les questions de la déchéance de l’autorité parentale et de l’autorisation de l’adoption, le tribunal de district rappela tout d’abord que dès lors qu’une ordonnance de placement avait été délivrée, il suffisait en principe que l’intérêt supérieur de l’enfant le justifiât pour déchoir les parents de leur autorité parentale. Il indiqua que plusieurs arrêts de la Cour suprême avaient toutefois souligné que le retrait de l’autorité parentale constituait une décision très intrusive et qu’elle devait donc être dictée par des raisons impérieuses (voir, entre autres, le paragraphe 125 ci-dessous). Il indiqua que les exigences à respecter en matière d’adoption étaient encore plus strictes. Il ajouta que la question de la déchéance de l’autorité parentale et celle de l’autorisation de l’adoption devaient néanmoins être envisagées conjointement puisque la raison première de déchoir un individu de son autorité parentale était la volonté de faciliter une adoption. Il dit également que la conservation par la première requérante de son autorité parentale risquait à l’avenir de provoquer des conflits à propos des droits attachés à cette autorité, par exemple celui d’exposer l’enfant sur Internet.

108. Le tribunal de district releva ensuite que l’adoption ne pouvait être autorisée que si les quatre conditions énoncées au troisième alinéa de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance étaient réunies (paragraphe 122 ci-dessous), et il approuva les motifs pour lesquels le bureau d’aide sociale avait conclu que les critères établis aux points a), c) et d) étaient satisfaits en l’espèce. Il jugea en effet qu’il fallait considérer comme probable que la première requérante serait définitivement incapable de s’occuper correctement de X ou que X avait développé avec sa famille d’accueil et son environnement un attachement tel que, sur la base d’une appréciation globale, il apparaissait qu’un retrait de l’enfant de son environnement pourrait entraîner pour celui-ci de graves problèmes (point a)). Il observa en outre que les candidats à l’adoption étaient les parents d’accueil de X et qu’ils s’étaient montrés aptes à élever l’enfant comme s’il était le leur (point c)). Il estima par ailleurs que les conditions à l’autorisation d’une adoption énoncées dans la loi sur l’adoption (paragraphe 132 ci-dessous) étaient réunies (point d)), précisant que d’autres documents avaient également été produits devant le tribunal concernant ce dernier point. Il ajouta qu’en l’occurrence, l’élément décisif était donc la question de savoir si l’adoption servait l’intérêt supérieur de X au sens du point b) et si l’autorisation de l’adoption devait être délivrée sur la base d’une appréciation globale. Il indiqua à propos de cette appréciation que, dans plusieurs arrêts, la Cour suprême avait dit qu’il fallait des raisons impérieuses pour autoriser l’adoption contre la volonté d’un parent biologique et qu’il fallait notamment établir avec un degré élevé de certitude que l’adoption servirait l’intérêt supérieur de l’enfant. Il ajouta que la haute juridiction avait clairement dit que la décision devait se fonder non seulement sur une appréciation du cas concret, mais aussi sur les conclusions d’ordre général tirées des travaux de recherche en psychologie pédiatrique. Il cita l’arrêt de la Cour suprême, publié au journal officiel (Rt.), 2007, page 561, voir le paragraphe 125 ci-dessous).

109. Appliquant ces principes généraux au cas d’espèce, le tribunal de district nota tout d’abord que X était alors âgé de trois ans et demi et qu’il vivait au sein de sa famille d’accueil depuis l’âge de trois semaines. Il ajouta que c’était à l’égard de ses parents d’accueil que X avait développé un attachement fondamental, au sens social et psychologique du terme, et que son placement s’inscrirait en tout état de cause dans le long terme. Il indiqua que X était de surcroît un enfant vulnérable et qu’une adoption l’aiderait à renforcer le sentiment d’appartenance qu’il nourrissait à l’égard de ses parents d’accueil, qu’il considérait comme ses parents. Il jugea particulièrement important pour le développement de l’enfant que celui-ci fût lié avec ses parents psychologiques par un sentiment d’attachement sûr et solide. Il observa que par rapport à une vie en famille d’accueil, une adoption procurerait dans les années à venir à X un sentiment d’appartenance et de sécurité qui serait plus durable. Il considéra que pour des raisons pratiques, les personnes qui avaient la garde d’un enfant et l’autorité sur lui et qui dans la réalité tenaient le rôle de parents devaient exercer les fonctions découlant de l’autorité parentale.

110. Le tribunal de district nota que l’adoption était synonyme de rupture des liens juridiques avec la famille biologique. Il estima que bien qu’ayant passé les trois premières semaines de sa vie auprès de sa mère et l’ayant côtoyée à l’occasion de nombreuses visites, X n’avait pas développé de liens psychologiques avec elle. Il ajouta que cette situation avait perduré même lorsque X avait appris ultérieurement que la première requérante l’avait mis au monde.

111. De plus, le tribunal tint compte du fait que même si plus aucune rencontre n’était organisée, les parents d’accueil étaient favorables à l’idée de laisser X contacter son parent biologique si celui-ci le souhaitait.

112. Se fondant sur une appréciation globale, le tribunal de district conclut que l’intérêt supérieur de X dictait que la première requérante fût déchue de son autorité parentale et que les parents d’accueil fussent autorisés à adopter X. Il existait selon lui des raisons particulièrement impérieuses d’autoriser l’adoption en l’espèce.

113. Le tribunal de district ajouta enfin que puisqu’il avait décidé que X devait être adopté, il n’avait pas compétence pour statuer sur le droit de visite de la première requérante, cette question relevant désormais de la volonté des parents d’accueil. Il indiqua que la base légale pour définir les droits de visite à la suite d’une adoption était l’article 4-20a de la loi sur la protection de l’enfance (voir le paragraphe 122 ci-dessous pour le libellé de cette disposition, et le paragraphe 128 ci-dessous au sujet du système d’« adoption ouverte ») mais qu’il ne pouvait examiner ou trancher cette question, puisqu’il ne pouvait avoir compétence en la matière qu’à la demande d’une partie au litige. Or, il constata qu’en l’occurrence aucune des parties n’avait formulé pareille demande.

3. La procédure devant la cour d’appel et la Cour suprême

114. Le 14 mars 2012, par l’intermédiaire de son avocat, la première requérante fit appel du jugement du tribunal de district, arguant que la conclusion de celui-ci selon laquelle elle était définitivement incapable de s’occuper de X reposait sur une mauvaise appréciation des éléments de preuve. L’avocat estima que la cour d’appel devait mandater un expert pour évaluer l’aide apportée par l’époux de la première requérante à la mère et à l’enfant ainsi que les aptitudes parentales de cette dernière à ce moment-là. En réponse à une lettre de la cour d’appel datée du 16 mars 2012, il avança également que le tribunal de district aurait dû faire expertiser la capacité de la première requérante et de son époux à s’occuper correctement d’un enfant.

115. Répondant le 26 avril 2012 à la thèse, défendue par la première requérante, de la nécessité d’une expertise au vu de sa nouvelle situation, les services municipaux indiquèrent, entre autres, qu’ils lui avaient demandé à plusieurs reprises l’autorisation de rencontrer son époux (voir, par exemple, le paragraphe 85 ci-dessus) et qu’elle avait systématiquement choisi de n’y donner aucune suite. Ils dirent que, faute pour les services de protection de l’enfance responsables de X d’avoir pu constater par eux-mêmes la situation de la famille dans sa nouvelle commune de résidence, ils ne pouvaient que s’appuyer sur les informations qu’ils avaient reçues des services de protection de l’enfance de cette commune, lesquelles ne leur permettaient pas de conclure que la première requérante était capable de s’occuper de X.

116. Le 12 juin 2012, la première requérante, qui avait alors constitué un nouvel avocat, remit à la cour d’appel une déclaration des services de protection de l’enfance de sa nouvelle commune de résidence. Il ressortait de cette déclaration, datée du 21 mars 2012, que lesdits services avaient effectué à cinq reprises au domicile de la famille une visite qui avait duré une heure et demi à chaque fois. Ils considéraient que la famille avait besoin d’une assistance revêtant la forme d’un accompagnement dans l’interaction avec son bébé que pourraient leur assurer à domicile l’« équipe de la petite enfance » locale (spedbarnsteamet) et un travailleur social (miljøterapeut), en particulier pour la mise en place de routines et de structures, ainsi que pour l’hygiène. L’avocat de la première requérante argua également que la présence de la mère d’accueil pendant les rencontres mère-enfant en avait perturbé (virket forstyrrende på) le déroulement.

117. Le 23 août 2012, l’avocat de la première requérante produisit un rapport, daté du 5 juin 2012, qui avait été établi par les services de protection de l’enfance de la commune dans laquelle elle résidait désormais. Dans ce rapport, les services de protection de l’enfance précisaient entre autres que les parents avaient déclaré très tôt qu’ils accepteraient d’être conseillés et accompagnés si lesdits services le jugeaient nécessaire. Ils exposaient que la mère avait affirmé qu’elle avait eu une mauvaise expérience avec l’« équipe de la petite enfance » mais qu’elle pouvait accepter son assistance à la condition qu’un interlocuteur différent fût désigné pour s’occuper d’elle. Ils indiquaient par ailleurs qu’ils avaient observé deux parents qui avaient montré qu’ils voulaient ce qu’il y avait de mieux pour leur enfant. Ils relataient que la première requérante jouait avec l’enfant, lui parlait et interagissait avec elle. Au vu de toutes les informations tirées des observations, ils considéraient que les parents devaient travailler sur les routines, l’hygiène et leur rôle à l’égard de l’enfant. Ils ajoutaient que les parents avaient accepté qu’un travailleur social fût désigné pour les aider à leur domicile.

118. Dans l’intervalle, par une décision du 22 août 2012, la cour d’appel avait refusé d’autoriser l’appel au motif que les conditions définies à l’article 36-10 du code de procédure civile (paragraphe 133 ci-dessous) n’étaient pas réunies. Elle estima que l’affaire ne soulevait aucun problème juridique nouveau d’importance pour l’application uniforme du droit. Sur le point de savoir si des informations nouvelles étaient apparues, elle nota que l’évaluation datée du 21 mars 2012 avait été effectuée, entre autres, par une personne qui avait témoigné devant le tribunal de district et que ce document ne changerait rien à l’issue de l’affaire. Elle jugea que les aptitudes parentales de la première requérante avaient été scrupuleusement examinées dans le cadre du traitement du dossier par le bureau d’aide sociale du comté et qu’aucun élément nouveau indiquant une évolution à cet égard n’était apparu. Elle considéra en outre que la motivation du tribunal de district était convaincante et elle observa que la première requérante n’avait ni demandé l’audition d’un expert devant le tribunal de district et ni expliqué pourquoi il aurait été nécessaire d’en faire mandater un devant la cour d’appel. Elle précisa que comme il venait d’être dit, aucun élément nouveau indiquant une évolution des aptitudes parentales de l’intéressée n’était apparu. Elle en conclut qu’aucun vice grave n’avait entaché la décision du tribunal de district ou la procédure conduite devant lui et qu’il n’y avait aucune raison d’autoriser l’appel.

119. Le 24 septembre 2012, la première requérante forma contre cette décision un pourvoi devant la Cour suprême. Elle produisit une évaluation, datée du 14 août 2012, du travail effectué par la travailleuse sociale auprès de la famille et de la manière dont les parents s’occupaient de Y (paragraphe 117 ci-dessus). Ce document concluait qu’une évolution positive s’était amorcée et que la travailleuse sociale devait continuer d’épauler la famille. La première requérante argua que le tribunal de district s’était appuyé davantage sur des documents anciens que sur la situation à la date de son jugement et qu’il avait occulté le fait que sa décision aurait pour effet de priver Y de tout contact avec X. Elle répéta que la présence de la mère d’accueil avait perturbé le déroulement des rencontres mère-enfant (paragraphe 116 ci-dessus) et soutint que les services de protection de l’enfance n’avaient pas bien organisé ces visites.

120. Dans leur réponse du 4 octobre 2012, les services municipaux estimaient entre autres qu’il était positif que la première requérante et son époux aient pu profiter de l’accompagnement assuré par la travailleuse sociale, mais que X était un enfant vulnérable alors que Y ne rencontrait pas les mêmes problèmes. Quant à l’argument tiré par la première requérante de ce que le tribunal de district n’eût pas fondé sa décision sur la situation à la date de son jugement, ils soulignaient que cinq des huit témoins qu’ils avaient cités à comparaître ainsi que tous les témoins cités par la première requérante s’étaient exprimés au prétoire sur la situation à cette date-là. Ils considéraient par ailleurs que Y ne serait pas privée de tout contact avec X si la première requérante acceptait la famille d’accueil de celui-ci et contribuait à faire de l’accueil familial une expérience positive pour les enfants. Concernant le père de Y, ils indiquaient qu’il ressortait de son témoignage devant le bureau d’aide sociale du comté et le tribunal de district qu’il ne savait que peu de choses à propos des circonstances du placement de X ainsi que des problèmes survenus pendant les rencontres mère-enfant. Ils précisaient enfin qu’ils avanceraient devant la Cour suprême que le droit de X au respect de sa vie familiale était également protégé par l’article 8 de la Convention et que l’adoption constituerait le meilleur moyen de veiller à satisfaire à son besoin de stabilité au sein de sa famille d’accueil et de protection appropriée.

121. Le 15 octobre 2012, le comité de sélection des pourvois de la Cour suprême (Høyesteretts ankeutvalg) rejeta le pourvoi formé par la première requérante contre la décision de la cour d’appel.

2. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi sur la protection de l’enfance

122. Les dispositions pertinentes de la loi sur la protection de l’enfance du 17 juillet 1992 (barnevernloven) sont ainsi libellées :

Article 4-1 Prise en considération de l’intérêt supérieur de l’enfant

« Dans l’application des dispositions du présent chapitre, une importance primordiale doit être attachée à la recherche de mesures servant l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il convient en particulier de veiller à offrir à l’enfant une stabilité et de bons contacts avec des adultes ainsi qu’une attention constante. »

Article 4-6 Ordonnances provisoires en cas d’urgence

« Lorsqu’un enfant est livré à lui-même du fait de la maladie de ses parents ou pour toute autre raison, les services de protection de l’enfance doivent lui offrir l’assistance immédiatement requise. Ces mesures ne peuvent être maintenues contre la volonté des parents.

Si l’enfant court un risque important en restant à son domicile, le responsable des autorités de protection de l’enfance ou le parquet peut prendre immédiatement une ordonnance de placement provisoire sans le consentement des parents.

En pareil cas, le responsable des autorités de protection de l’enfance peut également prendre une ordonnance de placement provisoire en vertu de l’article 4-19.

Lorsqu’une ordonnance provisoire a été prise en vertu du deuxième alinéa, une demande tendant à la prise de mesures visées à l’article 7-11 doit être adressée au bureau d’aide sociale du comté le plus rapidement possible et dans un délai de six semaines au plus tard, mais dans un délai maximum de deux semaines s’il s’agit de mesures relevant de l’article 4-24.

Si le bureau d’aide sociale du comté n’a pas été saisi dans les délais prévus au quatrième alinéa, l’ordonnance devient caduque. »

Article 4-12 Ordonnances de placement

« Une ordonnance de placement peut être prise

a) si l’on décèle des insuffisances graves dans la manière dont il est pris soin quotidiennement de l’enfant, ou des insuffisances graves au regard des contacts personnels et de la sécurité dont a besoin un enfant de son âge et présentant son degré de développement,

b) si les parents d’un enfant qui est malade, présente un handicap ou a besoin d’une assistance particulière ne font pas en sorte qu’il reçoive le traitement et l’éducation nécessaires,

c) si l’enfant est maltraité ou soumis à d’autres types d’abus graves chez lui, ou

d) s’il est très probable que la santé ou le développement de l’enfant risquent de pâtir gravement de l’inaptitude des parents à assumer correctement la responsabilité de l’enfant.

Une ordonnance ne peut être prise en vertu de l’alinéa a) que lorsque la situation actuelle de l’enfant le nécessite. Dès lors, elle ne peut l’être si les mesures d’assistance visées à l’article 4-4 ou les mesures visées à l’article 4-10 ou à l’article 4-11 permettent d’instaurer des conditions satisfaisantes pour l’enfant.

Le bureau d’aide sociale du comté prend une ordonnance telle que visée à l’alinéa premier conformément aux dispositions énoncées au chapitre 7. »

Article 4-19. Droit de visite.

Confidentialité de l’adresse

« Sauf disposition contraire, enfants et parents sont en droit de se voir.

Lorsqu’une ordonnance de placement a été prise, le bureau d’aide sociale du comté définit le régime de visite mais peut aussi décider, pour le bien de l’enfant, qu’il ne doit pas y avoir de visite. Il peut également décider que les parents ne doivent pas être en droit de connaître les coordonnées de l’enfant.

(...)

Les parties privées ne peuvent pas demander à ce que le bureau d’aide sociale du comté soit saisi d’un cas de droit de visite dont le bureau d’aide sociale du comté ou un tribunal a déjà eu à connaître au cours des douze derniers mois.

(...) »

Article 4-20 Déchéance de l’autorité parentale.

Adoption

« Si le bureau d’aide sociale du comté a ordonné le placement d’un enfant, il peut également décider de déchoir entièrement les parents de leur autorité parentale. Si, en conséquence d’une telle déchéance, l’enfant se retrouve sans tuteur, le bureau d’aide sociale du comté engage dès que possible des démarches pour qu’un nouveau tuteur lui soit désigné.

Lorsque la déchéance de l’autorité parentale a été ordonnée, le bureau d’aide sociale du comté peut autoriser l’adoption d’un enfant par des personnes autres que les parents.

Cette autorisation peut être donnée :

a) si force est de constater qu’il est probable que les parents sont définitivement incapables de s’occuper correctement de l’enfant ou si l’enfant a développé avec les personnes partageant sa vie et avec son environnement un attachement tel que, sur la base d’une appréciation globale, il apparaît qu’un retrait de l’enfant de son environnement pourrait entraîner pour celui-ci de graves problèmes,

b) si l’adoption servirait l’intérêt supérieur de l’enfant,

c) si les candidats à l’adoption de l’enfant sont les parents d’accueil de celui-ci et se sont montrés aptes à élever l’enfant comme s’il était le leur, et

d) si les conditions à l’autorisation d’une adoption énoncées dans la loi sur l’adoption sont réunies.

Lorsque le bureau d’aide sociale du comté autorise une adoption, le ministère [de l’enfance et de l’égalité] prend une ordonnance d’adoption. »

Article 4-20a. Visites entre l’enfant et ses parents biologiques après l’adoption

[ajouté en 2010]

« Lorsque le bureau d’aide sociale du comté autorise une adoption en vertu de l’article 4-20, il doit aussi, si l’une des parties le demande, décider au même moment s’il devra y avoir des visites entre l’enfant et ses parents biologiques une fois l’adoption devenue effective. En pareil cas, si, après l’adoption, un régime de visite limité répond à l’intérêt supérieur de l’enfant et si les candidats à l’adoption y consentent, il peut ordonner pareilles visites, auquel cas il en fixe aussi le régime.

(...)

Une ordonnance prévoyant des visites ne peut être révisée que si des raisons particulières le justifient. Ces raisons particulières peuvent être l’opposition de l’enfant aux visites ou le non-respect de cette ordonnance par les parents biologiques.

(...) »

Article 4-21 Révocation des ordonnances de placement

« Le bureau d’aide sociale du comté révoque l’ordonnance de placement lorsqu’il est très probable que les parents seront en mesure de s’occuper correctement de l’enfant. La révocation ne peut toutefois être prononcée si l’enfant a développé avec les personnes partageant sa vie et avec son environnement un attachement tel que, sur la base d’une appréciation globale, il apparaît qu’un retrait de l’enfant de son environnement pourrait entraîner pour celui-ci de graves problèmes. Préalablement à la révocation d’une ordonnance de placement, les parents d’accueil de l’enfant peuvent exprimer leur opinion.

Les parties ne peuvent pas demander que le bureau d’aide sociale du comté soit saisi d’un cas de révocation d’une ordonnance de placement dont celui-ci ou un tribunal a déjà eu à connaître au cours des douze derniers mois. En cas de rejet fondé sur l’article 4-21, alinéa premier, deuxième phrase, de la demande de révocation d’une ordonnance antérieure ou d’un jugement précédent, il ne sera possible de solliciter une nouvelle procédure qu’à condition de produire des pièces établissant que des changements significatifs sont intervenus dans la situation de l’enfant. »

Article 7-5. Composition du bureau dans les affaires individuelles

« Lorsqu’il est saisi d’un cas individuel, le bureau d’aide sociale du comté se compose d’un président/d’une présidente, d’un membre du comité ordinaire et d’un membre du collège d’experts. Lorsque la complexité de l’affaire l’impose, le président/la présidente peut décider que le bureau ait en son sein, outre le président/la présidente, deux membres du comité ordinaire et deux membres du collège d’experts.

Avec le consentement des parties, le président/la présidente peut statuer seul/seule sur les cas visés à l’alinéa premier sauf si l’impératif d’un examen en bonne et due forme de la cause l’exclut.

Lorsque le cas concerne la demande de modification d’une décision/ordonnance antérieure ou d’un jugement antérieur, le président/la présidente peut statuer seul/seule si l’objet du litige, sa complexité, la nécessité d’une expertise professionnelle et l’impératif d’un examen approprié de la cause n’y font pas obstacle.

Lorsque le cas concerne la prolongation d’une ordonnance de placement qui a été prise par le bureau d’aide sociale du comté en vertu de l’article 4-29, le président/la présidente statue seule/seule. »

B. La jurisprudence relative à la loi sur la protection de l’enfance

123. La Cour suprême a rendu plusieurs arrêts relatifs à la loi sur la protection de l’enfance. Son arrêt du 23 mai 1991 (Rt. 1991, page 557) est pertinent en l’espèce. Dans cet arrêt, la Cour suprême a dit que dans la mesure où elle entraînait une rupture définitive des liens juridiques de l’enfant avec ses parents biologiques ainsi qu’avec les autres membres de la famille, la déchéance de l’autorité parentale dans la perspective d’une adoption ne devait être ordonnée que pour des raisons impérieuses. Elle a ajouté que la déchéance de l’autorité parentale ne pouvait être ordonnée que si les conséquences à long terme des autres mesures possibles avaient été soigneusement étudiées et envisagées au préalable, sur la base des circonstances matérielles de chaque cas.

124. Dans un arrêt ultérieur, rendu le 10 janvier 2001 (Rt. 2001, page 14), la Cour suprême a ensuite jugé que le critère juridique des « raisons impérieuses » en la matière devait être interprété conformément à la jurisprudence de la Cour et en particulier à l’arrêt Johansen c. Norvège (7 août 1996, § 78, Recueil des arrêts et décisions 1996-III). Elle en a conclu que l’adoption ne pouvait être autorisée contre la volonté des parents biologiques que dans des « circonstances exceptionnelles ».

125. La Cour suprême a davantage étoffé cette jurisprudence, entre autres avec son arrêt du 20 avril 2007 (Rt. 2007, page 561), postérieur au constat par la Cour de l’irrecevabilité d’une seconde requête introduite par le requérant dans l’affaire précitée Johansen c. Norvège (Johansen c. Norvège (déc.), 12750/02, 10 octobre 2002). Elle a rappelé que la règle voulant que l’adoption servît l’intérêt supérieur de l’enfant, telle qu’énoncée à l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci‑dessus), impliquait qu’il fallait des « raisons impérieuses » (« sterke grunner ») pour autoriser l’adoption contre la volonté des parents biologiques. De plus, elle a souligné que pareille décision devait être fondée sur les circonstances concrètes de chaque cas d’espèce, mais tenir compte aussi des connaissances générales, notamment les résultats de la recherche pédopsychologique ou pédopsychiatrique. Elle a conclu de son examen des principes généraux énoncés dans la jurisprudence de la Cour que le droit interne était conforme à ces principes : une adoption ne pouvait être autorisée que pour des « raisons particulièrement impérieuses ». Ultérieurement saisie de cette affaire, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention (voir l’arrêt Aune, précité, § 37, pour une récapitulation de l’analyse faite par la Cour suprême des principes généraux développés dans la jurisprudence de cette dernière ainsi que dans celle de la Cour).

126. Dans un arrêt du 30 janvier 2015 (Rt. 2015, page 110), la Cour suprême a une nouvelle fois exposé les principes généraux applicables aux affaires d’adoption. Elle a rappelé que les adoptions forcées étaient lourdes de conséquences et qu’elles faisaient subir en général de profondes souffrances morales aux parents. Elle a précisé que les liens familiaux étaient protégés par l’article 8 de la Convention ainsi que par l’article 102 de la Constitution. Elle a indiqué que pour l’enfant aussi, l’adoption constituait une mesure intrusive qui, en vertu de l’article 21 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant (paragraphe 134 ci-dessous), ne pouvait par conséquent être décidée que dans son intérêt supérieur. Elle a toutefois précisé que lorsque des facteurs décisifs du point de vue de l’enfant militaient en faveur de l’adoption, les intérêts des parents devaient s’effacer, comme le prévoyait l’article 104 de la Constitution ainsi que l’article 3 § 1 de la Convention relative aux droits de l’enfant (ibidem). Elle a fait référence à l’arrêt Aune (précité, § 66), dans lequel la Cour avait dit qu’une adoption ne pouvait être autorisée que lorsqu’« une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant » le justifiait, ce qui correspondait selon la Cour suprême au critère des « raisons particulièrement impérieuses » tel que celle-ci l’avait énoncé dans l’arrêt analysé par la Cour en l’affaire Aune (paragraphe 125 ci‑dessus).

127. Par ailleurs, le Parlement avait examiné, et une majorité avait soutenu, une proposition d’origine gouvernementale (Ot.prp. no 69 (2008-2009)) qui traitait de la question du recul considérable du nombre des adoptions en Norvège. Il ressortait de cette proposition que les services de protection de l’enfance étaient devenus réticents à proposer des adoptions au lendemain du constat de violation par la Cour d’une violation dans l’affaire Johansen (précitée), alors même que des travaux de recherche avaient démontré qu’il était dans l’intérêt supérieur de l’enfant d’être adopté plutôt que de continuer de vivre en situation d’accueil familial jusqu’à sa majorité. Selon l’interprétation qu’en a donné la Cour suprême, cette proposition soulignait que les services de protection de l’enfance devaient veiller à ce que l’adoption fût effectivement proposée lorsqu’il y avait lieu mais elle n’impliquait pas pour autant une modification des critères juridiques, fondés sur l’article 8 de la Convention. La Cour suprême a indiqué que l’appréciation concrète permettant de décider si l’adoption devait être autorisée ou non dans un cas donné devait tenir compte des informations d’ordre général issues des travaux de recherche consacrés à l’adoption.

128. La Cour suprême a également examiné les conséquences des modifications apportées aux règles encadrant les visites entre l’enfant et ses parents biologiques, ce que la proposition susmentionnée appelait l’« adoption ouverte ». Elle a noté que ces règles avaient été intégrées à l’article 4-20a de la loi sur la protection de l’enfance qui était en vigueur depuis 2010, et posaient qu’une « adoption ouverte » devait correspondre à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle était conditionnée au consentement des parents adoptifs (paragraphe 122 ci-dessus). Elle a observé que les raisons qui avaient poussé le législateur à introduire le système des « adoptions ouvertes » étaient la volonté d’assurer à l’enfant un environnement stable et prévisible dans lequel il pourrait grandir, mais aussi celle de lui permettre d’avoir des contacts avec ses parents biologiques lorsque son intérêt supérieur le dicterait. Elle a constaté que le souhait du législateur était que l’enfant profitât ainsi de tous les bénéfices de l’adoption tout en gardant le contact avec ses parents biologiques. Elle a conclu que l’introduction du système des « adoptions ouvertes » ne s’était pas traduite par des critères juridiques moins stricts pour l’autorisation des adoptions. Elle a ajouté que dans certains cas toutefois, la persistance de visites entre l’enfant et ses parents biologiques permettait d’écarter certains arguments en défaveur de l’adoption. Elle a fait référence à l’arrêt Aune (précité, § 78).

129. Dans un arrêt du 11 septembre 2018, la Cour suprême s’est de nouveau penchée sur les principes généraux relatifs à l’adoption. Elle a observé entre autres que, dans l’arrêt Mohamed Hasan c. Norvège (no 27496/15, § 148, 26 avril 2018), la Cour avait souligné les exigences procédurales strictes auxquelles les autorités décisionnaires internes devaient satisfaire dans les affaires d’adoption. Résumant l’objet de son examen, elle a dit que l’intérêt supérieur de l’enfant constituait la préoccupation la plus importante et impérieuse dans les décisions en matière d’adoption. Elle a dit que l’adoption constituait une mesure si radicale et irréversible qu’elle ne pouvait être justifiée, du point de vue de l’enfant, que par des raisons particulièrement impérieuses. Elle a ajouté que ces motifs devaient être mis en balance avec les conséquences qu’aurait dans chaque cas une adoption sur les visites entre l’enfant et ses parents biologiques. Elle a estimé que dans les cas où les visites entre les parents et l’enfant seraient rares ou inexistantes, le souci de protéger leur vie familiale devait peser moins lourd dans la balance que dans les cas où une vie de famille plus normale avait existé.

130. Un expert judiciaire a fait sur l’état actuel des connaissances et de la recherche concernant les enfants adoptés une étude qu’il a jointe en annexe à ses observations devant la Cour suprême. Il estimait que le résumé qu’en avait fait la haute juridiction dans son arrêt du 20 avril 2007 (Rt. 2007, page 561, voir le paragraphe 125 ci-dessus) demeurait exact. Se fondant sur une étude actualisée de la recherche pertinente et sur son expérience professionnelle de psychologue, il déclarait ce qui suit au sujet de l’affaire en question :

« Les enfants qui vivent en accueil familial depuis longtemps et qui finissent par être adoptés connaissent un développement psychosocial meilleur que celui des enfants se trouvant dans une situation similaire qui ne sont pas adoptés. C’est la durabilité du sentiment d’appartenance que connaît l’enfant qui semble être essentielle. »

131. L’expert précisait dans ses observations devant la Cour suprême qu’il s’agissait d’un domaine de recherche délicat, notamment parce qu’il y avait peu d’adoptions forcées chaque année en Norvège. Et à l’instar de la Cour suprême dans son arrêt du 20 avril 2007 (Rt. 2007 page 561, paragraphe 125 ci-dessus), il pensait que dans chaque cas une évaluation individuelle spécifique s’imposait. Il avançait que, comme le précisait ce même arrêt, il y avait cependant lieu d’accorder un poids particulier à la perception, fondée sur la recherche et l’expérience, de ce qui était généralement le mieux pour l’enfant. Il ajoutait que la proposition gouvernementale (Ot.prp. no 69 (2008-2009)) susmentionnée (paragraphe 127) avait souligné que la recherche montrait que « (...) par rapport à un accueil familial de longue durée, l’adoption p[ouvait] offrir à certains enfants une éducation caractérisée par une plus grande sécurité et davantage de prévisibilité ».

C. La loi sur l’adoption

132. La loi sur l’adoption du 28 février 1986, en vigueur à l’époque considérée, contenait en ses parties pertinentes les dispositions suivantes :

Article 2

« Une ordonnance d’adoption ne doit être prise que dans les cas où l’on peut supposer que l’adoption sera bénéfique à l’enfant (« til gagn for barnet »). Il faut par ailleurs que le demandeur à l’adoption souhaite accueillir l’enfant ou l’accueille déjà, ou qu’une autre raison spéciale motive l’adoption. »

Article 12

« Les parents adoptifs doivent, aussitôt qu’il est opportun, dire à l’enfant qu’il a été adopté.

Lorsque l’enfant atteint l’âge de 18 ans, il est en droit d’être informé par le ministère [de l’Enfance et de l’Égalité] de l’identité de ses parents biologiques. »

Article 13

« À l’adoption, l’enfant adopté et ses héritiers acquièrent le même statut juridique que celui qui aurait été le leur si l’enfant adopté avait été l’enfant biologique de ses parents adoptifs, sauf si l’article 14 ou toute autre loi en disposent autrement. Par ailleurs, le lien juridique de l’enfant avec sa famille d’origine cesse d’exister, sauf si une loi spéciale en dispose autrement.

Si une personne adopte l’enfant de son conjoint ou de son concubin, ledit enfant acquiert à l’égard des deux conjoints le même statut juridique que celui qui serait le sien s’il était leur enfant commun. Il en va de même des enfants qui sont adoptés en vertu des deuxième, troisième et quatrième alinéas de l’article 5b. »

Article 14a. Visites après l’adoption

« Dans le cas des adoptions reposant sur des décisions prises en vertu de l’article 4‑20 de la loi sur la protection de l’enfance, les effets de l’adoption prévus par l’article 13 de la présente loi s’appliquent, sous réserve de toute limitation qui pourrait avoir été imposée par une décision prise en vertu de l’article 4-20a de la loi sur la protection de l’enfance concernant les visites entre l’enfant et ses parents biologiques. »

D. Le code de procédure civile

133. L’alinéa premier de l’article 36-4 et le troisième alinéa de l’article 36-10 du code de procédure civile du 17 juin 2005 (tvisteloven) sont ainsi libellés :

Article 36-4 Composition du tribunal de district. Collège d’experts

« 1) Le tribunal de district se compose de deux membres non professionnels dont l’un est un assesseur non professionnel ordinaire et l’autre est un expert. Dans les certains cas, il peut se composer de deux juges professionnels et de trois assesseurs non professionnels, dont un ou deux experts. »

Article 36-10 Appel

« (...) 3) Pour faire appel d’un jugement du tribunal de district dans des litiges portant sur les décisions prises par le bureau du comté en vertu de la loi sur la protection de l’enfance, l’autorisation de la cour d’appel est requise.

L’autorisation ne sera accordée que

a) si l’appel concerne des questions dont la pertinence dépasse la portée de l’affaire en question,

b) s’il y a lieu de réexaminer l’affaire parce que de nouveaux éléments sont apparus,

c) si la décision du tribunal de district ou la procédure devant celui-ci est entachée d’un vice grave (« vesentlige svakheter ved tingrettens avgjørelse eller saksbehandling »), ou

d) si le jugement prévoit des mesures de contrainte qui n’ont pas été approuvées par le bureau du comté. »

3. LES ÉLÉMENTS DE DROIT INTERNATIONAL PERTINENTS

A. Les Nations unies

134. La Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant adoptée à New York le 20 novembre 1989 contient, entre autres, les dispositions suivantes :

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »

Article 9

« 1. Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.

2. Dans tous les cas prévus au paragraphe 1 du présent article, toutes les parties intéressées doivent avoir la possibilité de participer aux délibérations et de faire connaître leurs vues.

3. Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.

4. Lorsque la séparation résulte de mesures prises par un État partie, telles que la détention, l’emprisonnement, l’exil, l’expulsion ou la mort (y compris la mort, quelle qu’en soit la cause, survenue en cours de détention) des deux parents ou de l’un d’eux, ou de l’enfant, l’État partie donne sur demande aux parents, à l’enfant ou, s’il y a lieu, à un autre membre de la famille les renseignements essentiels sur le lieu où se trouvent le membre ou les membres de la famille, à moins que la divulgation de ces renseignements ne soit préjudiciable au bien-être de l’enfant. Les États parties veillent en outre à ce que la présentation d’une telle demande n’entraîne pas en elle-même de conséquences fâcheuses pour la personne ou les personnes intéressées. »

Article 18

« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.

2. Pour garantir et promouvoir les droits énoncés dans la présente Convention, les États parties accordent l’aide appropriée aux parents et aux représentants légaux de l’enfant dans l’exercice de la responsabilité qui leur incombe d’élever l’enfant et assurent la mise en place d’institutions, d’établissements et de services chargés de veiller au bien-être des enfants.

3. Les États parties prennent toutes les mesures appropriées pour assurer aux enfants dont les parents travaillent le droit de bénéficier des services et établissements de garde d’enfants pour lesquels ils remplissent les conditions requises. »

Article 20

« 1. Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciales de l’État.

2. Les États parties prévoient pour cet enfant une protection de remplacement conforme à leur législation nationale.

3. Cette protection de remplacement peut notamment avoir la forme du placement dans une famille, de la kafalah de droit islamique, de l’adoption ou, en cas de nécessité, du placement dans un établissement pour enfants approprié. Dans le choix entre ces solutions, il est dûment tenu compte de la nécessité d’une certaine continuité dans l’éducation de l’enfant, ainsi que de son origine ethnique, religieuse, culturelle et linguistique. »

Article 21

« Les États parties qui admettent et/ou autorisent l’adoption s’assurent que l’intérêt supérieur de l’enfant est la considération primordiale en la matière, et :

a) Veillent à ce que l’adoption d’un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l’adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l’enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l’adoption en connaissance de cause, après s’être entourées des avis nécessaires ;

(...) »

135. Dans son Observation générale no 7 (2005) sur la mise en œuvre des droits de l’enfant dans la petite enfance, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies a souhaité encourager les États parties à reconnaître que les jeunes enfants jouissent de tous les droits garantis par la Convention relative aux droits de l’enfant et que la petite enfance est une période déterminante pour la réalisation de ces droits. Il fait en particulier référence à l’intérêt supérieur de l’enfant :

« 13. (...) L’article 3 de la Convention consacre le principe selon lequel l’intérêt supérieur de l’enfant est une considération primordiale dans toutes les décisions concernant les enfants. En raison de leur manque relatif de maturité, les jeunes enfants dépendent des autorités compétentes pour définir leurs droits et leur intérêt supérieur et les représenter lorsqu’elles prennent des décisions et des mesures affectant leur bien-être, tout en tenant compte de leur avis et du développement de leurs capacités. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est mentionné à de nombreuses reprises dans la Convention (notamment aux articles 9, 18, 20 et 21, qui sont les plus pertinents pour la petite enfance). Ce principe s’applique à toutes les décisions concernant les enfants et doit être accompagné de mesures efficaces tendant à protéger leurs droits et à promouvoir leur survie, leur croissance et leur bien-être ainsi que de mesures visant à soutenir et aider les parents et les autres personnes qui ont la responsabilité de concrétiser au jour le jour les droits de l’enfant :

a) Intérêt supérieur de l’enfant en tant qu’individu. Dans toute décision concernant notamment la garde, la santé ou l’éducation d’un enfant, dont les décisions prises par les parents, les professionnels qui s’occupent des enfants et autres personnes assumant des responsabilités à l’égard d’enfants, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être pris en considération. Les États parties sont instamment priés de prendre des dispositions pour que les jeunes enfants soient représentés de manière indépendante, dans toute procédure légale, par une personne agissant dans leur intérêt et pour que les enfants soient entendus dans tous les cas où ils sont capables d’exprimer leurs opinions ou leurs préférences ; »

136. Dans son observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3, par. 1) du 29 mai 2013, le Comité des droits de l’enfant des Nations unies mentionne, au titre des « [é]léments dont il faut tenir compte lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant », les points suivants :

« a) L’opinion de l’enfant

(...)

b) L’identité de l’enfant

(...)

c) Préservation du milieu familial et maintien des relations

(...)

d) Prise en charge, protection et sécurité de l’enfant

(...)

e) Situations de vulnérabilité

(...)

f) Droit de l’enfant à la santé

(...)

g) Le droit de l’enfant à l’éducation

(...) »

Sous les titres « Mise en balance des éléments considérés dans l’évaluation de l’intérêt supérieur » et « Sauvegardes procédurales pour garantir la mise en œuvre de l’intérêt supérieur de l’enfant », on peut notamment lire les passages suivants :

« 84. Dans l’évaluation de l’intérêt supérieur il faut tenir compte du caractère évolutif des capacités de l’enfant. Les décisionnaires doivent donc envisager des mesures pouvant être revues ou ajustées en conséquence plutôt que de prendre des décisions définitives et irréversibles. Pour ce faire, ils devraient non seulement évaluer les besoins physiques, affectifs, éducatifs et autres de l’enfant au moment de la prise de décisions, mais aussi envisager les scénarios possibles de développement de l’enfant et les analyser dans le court terme comme dans le long terme. Dans cette optique, les décisionnaires devraient évaluer la continuité et la stabilité de la situation actuelle et future de l’enfant.

(...)

85. La mise en œuvre adéquate du droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale exige l’institution et le respect de sauvegardes procédurales adaptées aux enfants. Le concept d’intérêt supérieur de l’enfant constitue en tant que tel une règle de procédure (...).

(...)

87. Les États sont tenus de mettre en place des dispositifs formels, assortis de sauvegardes procédurales rigoureuses, destinés à évaluer et déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant lors de la prise de décisions qui le concernent, y compris des mécanismes d’évaluation des résultats. Les États sont tenus de concevoir des dispositifs transparents et objectifs pour toutes les décisions que prennent les législateurs, les juges ou les autorités administratives, en particulier dans les domaines qui intéressent directement les enfants. »

B. Le Conseil de l’Europe

137. La Convention européenne en matière d’adoption des enfants (révisée) du 27 novembre 2008 comporte notamment les passages suivants :

Article 3 – Validité de l’adoption

« L’adoption n’est valable que si elle est prononcée par un tribunal ou une autorité administrative (ci-après l’« autorité compétente »).

Article 4 – Prononcé de l’adoption

1. L’autorité compétente ne prononce l’adoption que si elle a acquis la conviction que l’adoption est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant.

2. Dans chaque cas, l’autorité compétente attache une importance particulière à ce que l’adoption apporte à l’enfant un foyer stable et harmonieux

Article 5 – Consentements à l’adoption

1. Sous réserve des paragraphes 2 à 5 du présent article, l’adoption n’est prononcée que si au moins les consentements suivants ont été donnés et n’ont pas été retirés :

a le consentement de la mère et du père ; ou, s’il n’y a ni père ni mère qui puisse consentir, le consentement de toute personne ou de tout organisme qui est habilité à consentir à la place des parents ;

b le consentement de l’enfant considéré par la législation comme ayant un discernement suffisant ; un enfant est considéré comme ayant un discernement suffisant lorsqu’il a atteint l’âge prévu par la loi, qui ne doit pas dépasser 14 ans ;

c le consentement du conjoint ou du partenaire enregistré de l’adoptant.

2. Les personnes dont le consentement est requis pour l’adoption doivent être entourées des conseils nécessaires et dûment informées sur les conséquences de leur consentement, en particulier sur le maintien ou la rupture, en raison d’une adoption, des liens de droit entre l’enfant et sa famille d’origine. Ce consentement doit être donné librement dans la forme légale requise, et doit être donné ou constaté par écrit.

3. L’autorité compétente ne peut se dispenser du consentement ou passer outre le refus de consentement de l’une des personnes ou de l’un des organismes visés au paragraphe 1, sinon pour des motifs exceptionnels déterminés par la législation. Toutefois, il est permis de se dispenser du consentement d’un enfant atteint d’un handicap qui l’empêche d’exprimer un consentement valable.

4. Si le père ou la mère n’est pas titulaire de la responsabilité parentale envers l’enfant, ou en tout cas du droit de consentir à l’adoption, la législation peut prévoir que son consentement ne sera pas requis.

5. Le consentement de la mère à l’adoption de son enfant n’est valable que lorsqu’il est donné après la naissance, à l’expiration du délai prescrit par la législation, qui ne doit pas être inférieur à six semaines ou, s’il n’est pas spécifié de délai, au moment où, de l’avis de l’autorité compétente, la mère aura pu se remettre suffisamment des suites de l’accouchement.

6. Dans la présente Convention, on entend par « père » et « mère » les personnes qui, au sens de la législation, sont les parents de l’enfant. »

138. Le 22 avril 2015, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 2049. Cette résolution comporte notamment les passages suivants :

« 5. La pauvreté financière et matérielle ne devrait jamais servir d’unique motif pour retirer la garde d’un enfant à ses parents : elle devrait plutôt être interprétée comme le signe qu’il faudrait apporter une assistance appropriée à la famille. De plus, il ne suffit pas de démontrer qu’un enfant pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique à son éducation pour pouvoir le retirer à ses parents, et encore moins pour pouvoir rompre complètement les liens familiaux.

(...)

8. Par conséquent, l’Assemblée recommande aux États membres :

(...)

8.2. de mettre en place des lois, des règlements et des procédures donnant véritablement la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant dans toute décision de placement, de retrait et de retour ;

8.3. de poursuivre et de renforcer les initiatives prises pour veiller à ce que toute procédure pertinente soit menée de manière attentive aux besoins de l’enfant et que le point de vue des enfants concernés soit pris en compte en fonction de leur âge et de leur degré de maturité ;

8.4. de rendre visible l’influence des préjugés et de la discrimination dans les décisions de retrait, en vue de les éliminer, notamment par une formation appropriée de l’ensemble des professionnels concernés ;

8.5. d’apporter une aide aux familles avec les moyens nécessaires (y compris financière, matérielle, sociale et psychologique) afin, tout d’abord, d’éviter des décisions injustifiées de retirer la garde de leurs enfants et d’accroître le pourcentage de retours réussis dans les familles après un placement ;

8.6. de veiller à ce que tout placement (temporaire) d’un enfant, lorsqu’il devient nécessaire en dernier ressort, s’accompagne de mesures visant à réintégrer ultérieurement l’enfant dans sa famille, notamment en facilitant les contacts adéquats entre l’enfant et sa famille, et fasse l’objet d’un contrôle périodique ;

8.7. d’éviter, sauf circonstances exceptionnelles prévues par la loi et soumises à un contrôle juridictionnel (approfondi et en temps utile) effectif, de rompre complètement les liens familiaux, de retirer des enfants à leurs parents dès la naissance, de justifier une décision de placement par l’écoulement du temps et d’avoir recours à l’adoption sans le consentement des parents ;

8.8. de veiller à ce que le personnel intervenant dans les décisions de retrait et de placement soit guidé par des critères et des normes appropriés (si possible de manière pluridisciplinaire), possède les qualifications requises et soit régulièrement formé, à ce qu’il dispose de ressources suffisantes pour prendre ses décisions en temps utile et à ce qu’il ne soit pas surchargé par un nombre de dossiers trop important à traiter ;

(...)

8.10. de veiller à ce que, hormis dans les affaires urgentes, les décisions initiales de retrait soient exclusivement fondées sur des décisions de tribunaux, afin d’éviter les décisions injustifiées et de prévenir les évaluations partisanes. »

139. Le 28 juin 2018, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution 2232 (« Assurer un équilibre entre l’intérêt supérieur de l’enfant et le besoin de garder les familles ensemble »). Cette résolution comporte notamment les passages suivants :

« 4. L’Assemblée réaffirme que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être pris en considération de façon primordiale pour toutes les actions concernant les enfants, conformément à la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Cependant, la mise en application de ce principe dépend en pratique du contexte et des circonstances spécifiques. Il est quelquefois plus facile de dire ce qui n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant tel qu’être maltraité par ses parents ou être retiré de sa famille sans raison valable.

5. Tenant compte de cette mise en garde, l’Assemblée réitère les recommandations formulées dans sa Résolution 2049 (2015) et invite les États membres du Conseil de l’Europe à se concentrer sur le processus afin d’obtenir les résultats les meilleurs pour les enfants comme pour leurs familles. Les États membres devraient :

(...)

5.2. apporter le soutien nécessaire aux familles en temps utile et dans un esprit positif afin d’éviter d’avoir à prendre des décisions de retrait en premier lieu et de faciliter la réunification de la famille lorsque cela est possible et sert l’intérêt supérieur de l’enfant ; il faut notamment établir une meilleure collaboration avec les parents, en vue d’éviter d’éventuelles erreurs fondées sur des malentendus, des stéréotypes ou des discriminations, erreurs qu’il sera difficile de corriger plus tard, une fois la confiance perdue ;

(...)

5.5. s’efforcer de limiter au minimum les pratiques de retrait de l’enfant à la naissance, de justification d’une décision de placement sur l’écoulement du temps et d’adoption sans le consentement des parents, et de n’y avoir recours que dans les cas extrêmes. Chaque fois que cela sert l’intérêt supérieur de l’enfant, des efforts devraient être faits pour maintenir les liens familiaux ;

5.6. lorsque la décision de retirer un enfant de sa famille a été prise, garantir :

5.6.1. que de telles décisions sont une réponse proportionnée à une évaluation crédible et vérifiable par les autorités compétentes démontrant qu’il y a un risque de préjudice réel et sérieux pour l’enfant, et pouvant faire l’objet d’une révision judiciaire ;

5.6.2. qu’une décision détaillée est transmise aux parents et qu’un exemplaire de celle-ci est aussi conservé. Il importe que la décision soit expliquée à l’enfant dans une forme adaptée à son âge ou, à défaut, qu’il ait accès à cette décision. Il convient que la décision mentionne les circonstances qui ont conduit à ce choix et indique les motifs du retrait ;

5.6.3. que la décision de retirer les enfants est une décision de dernier ressort et ne s’applique que pendant la période nécessaire ;

5.6.4. que les frères et sœurs sont placés ensemble dans tous les cas où un tel placement n’est pas contraire à leur intérêt supérieur ;

5.6.5. que les enfants, dans la mesure où cela sert leur intérêt supérieur, sont placés au sein du cercle familial élargi en vue de minimiser la rupture de leurs liens familiaux ;

5.6.6. que le fait de réunir la famille et/ou d’avoir accès à la famille est pris en considération à intervalle régulier, selon le cas, en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son point de vue ;

5.6.7. que les visites et les contacts sont planifiés de façon à maintenir le lien familial et en vue de la réunification, sauf si c’est manifestement inapproprié ; »

EN DROIT

1. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

140. Les requérants voient dans le refus de mettre un terme à la prise en charge de X par l’autorité publique ainsi que dans la décision de déchoir la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et d’autoriser l’adoption de celui-ci par ses parents d’accueil une violation dans leur chef du droit au respect de la vie familiale tel que protégé par l’article 8 de la Convention, lequel se lit ainsi :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

141. Le Gouvernement conteste cette thèse.

A. Questions préliminaires

1. Sur l’objet du litige devant la Grande Chambre

a) Compétence ratione temporis

1. Thèses des parties

142. Le Gouvernement soutient qu’il ne relève pas de la compétence de la Grande Chambre de se prononcer sur la conformité à l’article 8 de la Convention des procédures internes portant sur la prise en charge de X par l’autorité publique et sur le droit de visite de la première requérante, qui sont antérieures à la procédure concernant l’autorisation de l’adoption. Il estime que les requérants n’ont ni épuisé les voies de recours internes ni respecté la règle des six mois relativement à l’ordonnance de placement d’urgence du 17 octobre 2008 et à l’ordonnance de placement du 2 mars 2009 ainsi qu’aux décisions concernant le droit de visite, au mépris, selon lui, des exigences énoncées à l’article 35 § 1 de la Convention. Il dit que, en tout état de cause, la requête introduite devant la Cour le 12 avril 2013 se rapporte uniquement aux mesures entérinées par la décision de la Cour suprême du 15 octobre 2012, c’est-à-dire, selon lui, la déchéance de l’autorité parentale et l’autorisation de l’adoption. Il ajoute que la minorité de la chambre a outrepassé la compétence de la Cour et méconnu l’objet de la présente requête afin de critiquer dans l’abstrait tout un système de protection de l’enfance. Il considère que les requérants ne peuvent pas élargir l’objet du litige par le biais de leur demande de renvoi devant la Grande Chambre. Pour lui, la Grande Chambre ne peut tenir compte des procédures antérieures que pour autant que celles-ci ont été citées et invoquées dans la décision relative à la déchéance de l’autorité parentale et à l’autorisation d’adoption.

143. En désaccord avec le Gouvernement, les requérants soutiennent que la Grande Chambre a compétence pour examiner non seulement la déchéance de l’autorité parentale et l’autorisation de l’adoption, mais aussi les décisions d’urgence initiales, les décisions relatives à la prise en charge de X par l’autorité publique ainsi que celles portant sur le droit de visite de la première requérante. Ils estiment que la compétence de la Grande Chambre englobe l’intégralité des procédures internes, quand bien même la Cour ne devrait finalement conclure à une violation que pour une partie d’entre elles. Ils arguent que l’autorisation de l’adoption doit être considérée comme la décision finale qui est venue clore une succession de faits dont le point de départ était la décision d’urgence. Ils voient dans la décision de déchéance de l’autorité parentale et d’autorisation de l’adoption une conséquence de l’absence d’attachement entre X et la première requérante, qui aurait pour cause directe les décisions de prise en charge à long terme prononcées par l’autorité publique les 2 mars 2009 et 22 avril 2010, lesquelles auraient réduit de manière considérable et injustifiable le droit de visite de la première requérante.

2. Appréciation de la Cour

144. La Cour rappelle que le contenu et l’objet de l’« affaire » renvoyée devant la Grande Chambre sont délimités par la décision de la chambre sur la recevabilité. Cela signifie que la Grande Chambre ne peut pas examiner les parties de la requête que la chambre a déclarées irrecevables (voir, par exemple, Ilnseher c. Allemagne [GC], nos 10211/12 et 27505/14, § 100, 4 décembre 2018). En l’espèce, la Grande Chambre note que la chambre a déclaré recevable le grief formulé par les requérants (paragraphe 2 ci‑dessus) qui concernait la déchéance de l’autorité parentale et l’autorisation de l’adoption, lesquelles avaient été décidées initialement par le bureau d’aide sociale du comté le 8 décembre 2011 puis confirmées à la suite de recours (voir, entre autres, les paragraphes 3, 76, 93, 94 et 111 de l’arrêt de la chambre).

145. Ainsi que la Grande Chambre l’observe, X fut placé en accueil familial d’urgence en 2008 (paragraphes 20-22 ci-dessus) puis en accueil familial ordinaire à la suite de la décision prise par le bureau d’aide sociale du comté le 2 mars 2009 (paragraphes 38-46 ci-dessus). Cette même décision attribuait à la première requérante un droit de visite limité (paragraphes 42-46 ci-dessus). Celle-ci forma un recours contre cette décision, laquelle fut confirmée en définitive par la cour d’appel dans son arrêt du 22 avril 2010 (paragraphes 65-75 ci-dessus), qui accordait lui aussi à l’intéressée un droit de visite limité (paragraphe 75 ci-dessus). La première requérante n’ayant pas fait usage de la possibilité de former un pourvoi, l’arrêt de la cour d’appel devint définitif à l’expiration du délai de recours applicable.

146. Dans leur demande de renvoi devant la Grande Chambre, les requérants cherchent à étendre leurs griefs de manière à y inclure également les procédures susmentionnées conduites de 2008 à 2010. Or pareils griefs ne font pas partie intégrante de leur requête telle qu’elle a été déclarée recevable par la chambre. Ils ont en tout état de cause été soumis pour la première fois à la Grande Chambre plus de six mois après les dernières décisions internes prononcées dans le cadre des procédures en question et, comme indiqué ci-dessus (paragraphe 145), sans que les voies de recours internes aient été épuisées pour la plus récente de ces procédures.

147. Partant, la Cour n’a pas compétence pour examiner la compatibilité avec l’article 8 de la Convention des procédures qui étaient antérieures à l’arrêt rendu par la cour d’appel le 22 avril 2010 ou qui ont pris fin avec cet arrêt, dont celle relative aux restrictions du droit de visite (paragraphe 76 ci‑dessus).

148. Néanmoins, lorsqu’elle examinera la procédure relative à la décision prise par le bureau d’aide sociale du comté le 8 décembre 2011 et aux décisions statuant sur les recours formés contre celle-ci, et notamment le jugement prononcé par le tribunal de district le 22 février 2012, la Cour devra replacer cette procédure et ces décisions dans leur contexte, ce qui la conduira inévitablement à s’intéresser dans une certaine mesure aux procédures et décisions antérieures (voir, par exemple, Jovanovic c. Suède, no 10592/12, § 73, 22 octobre 2015, et Mohamed Hasan, précité, § 151).

b) Compétence ratione materiae

149. La Cour observe que la requête introduite le 12 avril 2013 ne visait expressément que la seule décision de déchoir la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et d’autoriser l’adoption de celui-ci par ses parents d’accueil (voir la décision du tribunal de district aux paragraphes 107-112 ci-dessus), et non la conclusion prononcée à cette même occasion, qui était que les conditions requises pour la révocation de l’ordonnance de placement concernant X n’étaient pas réunies (paragraphes 99-106 ci‑dessus).

150. Ayant jugé que la décision de ne pas révoquer l’ordonnance de placement était néanmoins intrinsèquement liée à la décision de déchoir la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et d’autoriser l’adoption de celui-ci, la chambre a examiné au fond cette première décision (paragraphes 113-117 de l’arrêt de la chambre), bien que les requérants eussent expressément axé leur requête et leurs observations devant elle sur la seconde décision.

151. La Grande Chambre note que si le gouvernement défendeur ne se dit pas en désaccord avec le raisonnement de la chambre sur ce point, les requérants présentent devant elle des arguments indiquant que leur grief englobe également la décision de ne pas révoquer l’ordonnance de placement qui a été prononcée au cours de la même procédure.

152. La Grande Chambre observe que le refus de révoquer l’ordonnance de prise en charge par l’autorité publique est si étroitement lié et mêlé à la décision de déchoir la première requérante de son autorité parentale et d’autoriser l’adoption de X qu’il doit être considéré comme un élément du grief initial présenté par la première requérante devant la Cour. D’ailleurs, selon l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessus), la condition indispensable à l’application de cette disposition était que la prise en charge par l’autorité publique continuât de se justifier. Comme la chambre, la Grande Chambre tiendra donc compte de la décision de ne pas révoquer l’ordonnance de placement lorsqu’elle examinera la question de la violation des droits que les requérants tirent de l’article 8.

2. Sur le point de savoir si la première requérante a qualité pour introduire un grief au nom du second requérant

a) L’arrêt de la chambre

153. Soulignant que le grief concernait la décision de déchoir la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et d’autoriser l’adoption de celui-ci – qui a eu pour effet de priver la première requérante de la qualité de responsable légale de X – et non des faits postérieurs à cette décision, la chambre a conclu que la première requérante avait qualité pour saisir la Cour au nom du second requérant, X.

b) Thèses des parties

154. Devant la Grande Chambre, le Gouvernement excipe à titre préliminaire de ce que la première requérante n’avait pas qualité pour introduire une requête au nom de X. Il relève que les parents adoptifs de l’enfant auraient été habilités à le faire mais qu’ils ne l’ont pas fait. Il avance que, dans l’affaire Scozzari et Giunta c. Italie ([GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 138, CEDH 2000-VIII), lorsque la Cour a accepté que la mère introduisît une requête au nom de son enfant, c’était au vu des circonstances particulières de la cause. Il argue que, en l’espèce, les parents adoptifs, qui sont intervenus devant la Cour, défendent eux aussi les intérêts de X.

155. Les requérants soutiennent que selon la jurisprudence constante de la Cour, un parent biologique qui a été déchu de son autorité parentale à l’égard d’un enfant peut en tirer grief au nom de ce dernier. À leurs yeux, la première requérante a donc incontestablement le droit de représenter X en l’espèce.

c) Appréciation de la Cour

156. La Cour observe que la décision litigieuse de déchéance de l’autorité parentale et d’autorisation de l’adoption prise par le bureau d’aide sociale du comté le 8 décembre 2011 puis validée par le tribunal de district dans son jugement du 22 février 2012, pour lequel l’autorisation de faire appel n’a pas été donnée par les juridictions supérieures, a incontestablement conduit à la rupture des liens juridiques entre la première requérante et le second requérant. Elle a dit que ce facteur ne revêtait pas de caractère décisif lorsqu’il s’agissait de définir si un parent pouvait avoir qualité pour la saisir au nom de l’enfant (voir, par exemple, A.K. et L. c. Croatie, no 37956/11, § 46, 8 janvier 2013). Dans cet arrêt, la Cour a ajouté :

« (...) les conditions régissant les requêtes individuelles en vertu de la Convention ne coïncident pas nécessairement avec les critères nationaux relatifs au locus standi. En effet, les règles internes en la matière peuvent servir des fins différentes de celles de l’article 34 de la Convention et, s’il y a parfois analogie entre les buts respectifs, il n’en va pas forcément toujours ainsi (Norris c. Irlande, 26 octobre 1988, § 31, série A no 142).

47. La Cour attire l’attention sur le principe voulant que l’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à interpréter et à appliquer ses dispositions, tant procédurales que de fond, d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir notamment Loizidou c. Turquie (exceptions préliminaires), 23 mars 1995, §§ 70-72, série A no 310). La situation des enfants au regard de l’article 34 appelle un examen attentif parce que ceux-ci dépendent généralement d’autres personnes pour soumettre leurs griefs et représenter leurs intérêts et qu’ils n’ont pas nécessairement l’âge ou la capacité requis pour autoriser que des démarches soient concrètement engagées en leur nom (P.C. et S. c. Royaume-Uni (déc.), no 56547/00, 11 novembre 2001). La Cour considère qu’il y a lieu d’éviter une approche restrictive ou formaliste en la matière. » (ibidem, §§ 46-47). »

157. X ayant été adopté, ses seuls représentants au regard du droit interne pour toute question relative à des faits survenus une fois l’adoption devenue définitive sont ses parents adoptifs. Toutefois, sur la question de la procédure d’adoption, laquelle a été conduite à une époque où la première requérante était toujours investie de l’autorité parentale pleine et entière à l’égard de X, la jurisprudence de la Cour dit qu’en principe l’intérêt de l’enfant dicte de préserver les liens familiaux, sauf lorsque des raisons impérieuses justifient de briser ceux-ci (voir, par exemple, A.K. et L. c. Croatie, précité, § 49). De plus, dans le contexte de l’article 8 de la Convention, la Cour a admis à plusieurs reprises que des parents qui n’avaient pas de droits parentaux puissent la saisir au nom de leurs enfants mineurs (voir notamment Scozzari et Giunta, précité, §§ 138-139). Le critère essentiel qu’elle a retenu dans ces affaires était le risque que certains intérêts des mineurs ne soient pas portés à son attention et que ceux-ci soient privés d’une protection effective des droits qu’ils tirent de la Convention (voir mutatis mutandis, Lambert et autres c. France [GC], no 46043/14, § 94, CEDH 2015 (extraits)).

158. Lorsqu’elle est saisie par un parent biologique au nom de son enfant, il arrive parfois que la Cour décèle néanmoins des intérêts conflictuels entre le parent et son enfant. L’existence d’intérêts conflictuels doit être prise en compte dès lors qu’il s’agit de statuer sur la recevabilité d’une requête introduite par une personne au nom d’une autre personne (voir, par exemple, Kruškić c. Croatie (déc.), no 10140/13, §§ 101-102, 25 novembre 2014). En l’espèce, le Gouvernement tire exception de l’existence de pareils intérêts conflictuels.

159. La Cour considère que la question de l’existence éventuelle d’intérêts conflictuels entre la première requérante et le second requérant se superpose et est étroitement liée à celles qu’elle sera appelée à examiner lorsqu’elle se penchera sur le grief, formulé par la première requérante en son nom et au nom du second requérant, de violations dans leur chef du droit au respect de la vie familiale protégé par l’article 8. Elle ne décèle pas en l’espèce d’intérêts conflictuels qui lui imposeraient de rejeter la requête pour autant qu’elle a été introduite par la première requérante au nom du second requérant. Partant, l’exception soulevée par le Gouvernement doit être écartée.

B. Sur le fond

1. L’arrêt de la chambre

160. La chambre a dit que l’ingérence née de la procédure interne litigieuse était prévue par la loi de 1992 sur la protection de l’enfance et qu’elle poursuivait les buts légitimes de « la protection de la santé ou de la morale » et de « la protection des droits et libertés » de X, conformément à l’article 8 § 2 de la Convention. Quant à la question de savoir si cette ingérence était également « nécessaire », elle a estimé que la première requérante avait été pleinement associée à la procédure interne, considérée comme un tout, et que le processus décisionnel interne avait été équitable et de nature à préserver les droits des requérants tels que garantis par l’article 8. La majorité de la chambre a par ailleurs observé que le tribunal de district avait été confronté à la difficile et délicate mission de ménager un juste équilibre entre les intérêts conflictuels en jeu dans une affaire complexe. Elle a jugé que le tribunal avait à l’évidence tenu compte des intérêts de X, et notamment de son besoin particulier de sécurité au sein de sa famille d’accueil, qui s’expliquait par sa vulnérabilité psychologique. Elle a ajouté que, le tribunal ayant conclu que pendant les trois années durant lesquelles la première requérante avait vu son enfant dans le cadre du droit de visite, aucun signe d’évolution positive de ses aptitudes dans les situations de rencontre n’avait été décelé et que les autorités internes avaient bénéficié de rapports directs avec tous les intéressés, la présente espèce présentait des circonstances exceptionnelles propres à justifier les mesures en question et que les autorités internes avaient été motivées par une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de X.

2. Thèses des parties

a) Les requérants

161. Les requérants allèguent que la chambre, dans son arrêt, n’a pas pris en compte les particularités du contexte norvégien, à savoir le grand nombre de critiques que, selon eux, le système norvégien de protection de l’enfance s’attirait à l’échelle tant nationale qu’internationale, ce en quoi ils voient un grave problème systémique.

162. Les requérants considèrent que, dans la jurisprudence de la Cour, la notion de marge d’appréciation se définit au cas par cas. Ils avancent que la marge d’appréciation à consentir aux autorités nationales compétentes varie ainsi selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu. Ils estiment bien établi que dans les affaires de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et d’adoption, les autorités internes jouissent d’une ample marge d’appréciation. Ils ajoutent toutefois que la Cour a tendance à se retrancher derrière la notion de marge d’appréciation d’une manière susceptible de nuire dans une certaine mesure à son contrôle et à sa mission.

163. Les requérants arguent qu’étant donné la nature et la gravité de l’ingérence litigieuse en l’espèce, la marge d’appréciation aurait dû être particulièrement étroite même pour ce qui est des premières mesures de protection de l’enfance qui ont été prises. Selon eux, la majorité de la chambre ne s’est de surcroît pas attachée aux motifs pour lesquels le droit de visite accordé aurait été d’emblée extrêmement limité.

164. Les requérants disent qu’il est constant dans la jurisprudence de la Cour que la protection de la famille biologique constitue une priorité. La présente cause concernerait un enfant très jeune et, en pareil cas, les autorités ne pourraient agir que pour des raisons extraordinairement impérieuses. La vulnérabilité particulière de X, qui aurait été évoquée par les autorités internes dans leurs décisions, n’aurait jamais été confirmée par des preuves concrètes et tangibles. De même, les besoins particuliers de X n’auraient jamais été explicités, comme l’aurait observé la minorité de la chambre.

165. Les requérants ajoutent qu’en Norvège les droits de visite sont remarquablement restrictifs, ce que la Cour aurait dénoncé dans plusieurs affaires. Au regard de l’incidence particulièrement préjudiciable qu’un droit de visite limité aurait pendant les premières semaines, les premiers mois et les premières années de la vie d’un enfant, les faits de la cause seraient singulièrement choquants. Le droit de visite de la première requérante aurait été restreint de manière draconienne sans raison objective et dans un laps de temps très bref. Le caractère extrêmement réduit du droit de visite aurait anéanti tout espoir de réunification de la famille et placé X dans l’incapacité de nouer des liens spontanés avec la première requérante. Les autorités internes étant selon les requérants directement responsables de l’éclatement de la famille, tirer argument d’une absence de liens psychologiques entre X et sa mère serait inacceptable.

166. Les requérants disent qu’un conflit opposait la première requérante, la mère d’accueil et les services de protection de l’enfance et que les conflits de ce type n’ont rien d’exceptionnel et sont même aisément compréhensibles. Les autorités ne seraient jamais intervenues pour apaiser les relations de la première requérante avec elles ainsi qu’avec la mère d’accueil. Bien au contraire, cette dernière aurait assisté à toutes les visites, alors même que sa présence n’aurait été ordonnée ou autorisée par aucune des décisions internes. L’obligation positive que l’article 8 de la Convention imposerait aux autorités aurait dû conduire celles-ci à proposer de modifier les modalités d’exercice du droit de visite ou à prendre des décisions à cet effet. Le bureau d’aide sociale du comté et le tribunal de district se seraient uniquement attachés aux conséquences à court terme qu’aurait eues une séparation entre X et ses parents d’accueil mais se seraient désintéressés des effets à long terme qu’une séparation définitive d’avec sa mère biologique pouvait avoir sur l’enfant. Il aurait été souhaitable, aux yeux des requérants, que les autorités internes recourussent à des mesures moins intrusives.

167. Les requérants estiment que les autorités internes n’ont pas traité l’affaire de bonne foi, bien au contraire. Le manque d’aptitudes parentales présumé de la première requérante aurait été fermement démenti par les éléments du dossier. Il n’aurait pas été justifié de lui reprocher d’avoir posé plusieurs fois les mêmes questions lors de son séjour au sein de l’établissement d’accueil parents-enfants, et le personnel de l’établissement l’aurait menacée de confier X à l’autorité publique. Les rapports d’expertise auraient contenu des formules aussi générales que « les compétences qu’exige le rôle de mère font cruellement défaut », « a des difficultés à canaliser ses émotions » et « n’a pas les aptitudes parentales élémentaires nécessaires » ; or ces affirmations n’auraient pas été étayées. Aucun élément concret et tangible en l’espèce ne permettrait d’établir les limitations fondamentales qui caractériseraient la première requérante et ses aptitudes parentales.

168. Selon les requérants, les travaux de recherche anciens et récents consacrés à l’attachement chez le nouveau-né montrent que les autorités internes ont méconnu les principes élémentaires et fondamentaux en la matière, lesquels militent en faveur d’une réunification de la famille. Les autorités internes n’auraient pas apporté la preuve qu’une restitution de X à la première requérante aurait entraîné pour celui-ci de graves problèmes.

b) Le Gouvernement

169. Globalement, le Gouvernement invite la Grande Chambre à suivre l’approche de la chambre, qui selon lui était justifiée et a permis une interprétation et une application exemplaires du droit de la Convention. En revanche, il émet des réserves quant au souhait exprimé par la minorité de la chambre de voir la Cour « procéder à un examen clinique des faits » : il estime qu’un réexamen des faits que les juridictions internes ont établis il y a de nombreuses années risquerait d’entacher d’arbitraire le contrôle opéré par la Cour et qu’il serait contraire au principe selon lequel celle-ci ne saurait jouer un rôle de quatrième instance.

170. Le Gouvernement soutient que le processus décisionnel interne a été équitable et propre à préserver les droits des requérants découlant de l’article 8 de la Convention. Il ajoute que l’affaire a été examinée en toute indépendance et impartialité par plusieurs degrés de juridiction.

171. Le Gouvernement fait valoir que l’intérêt supérieur de l’enfant, qui selon lui a évolué au fil du temps, est primordial. Il constate que la première requérante cherche à affirmer son droit à la vie familiale, mais que si le grief introduit par elle appelle un examen sous l’angle de l’article 8 de la Convention, il s’analyse par essence en une prétention non pas tant à la protection d’une « vie familiale » qui existerait déjà qu’à un droit biologique qui subsisterait même dans des circonstances se caractérisant par un attachement minime, voire inexistant. Il ajoute que le second requérant, X, peut lui aussi prétendre à voir sa vie familiale protégée au titre de l’article 8. Selon le Gouvernement, il faut se demander si la « vie familiale » de X se résume à ses liens biologiques avec la première requérante ou si elle correspond à la seule vie de famille qu’il ait jamais eue, à savoir celle qu’il connaît avec les personnes qui s’occupent de lui depuis qu’il est âgé de trois semaines et qui dans son esprit sont ses véritables parents.

172. Le Gouvernement dit que des intérêts conflictuels sont en jeu en l’espèce mais qu’il n’existe pas entre les États contractants de consensus sur l’étendue des immixtions auxquelles les autorités publiques peuvent se livrer dans la vie familiale au nom du bien-être d’un enfant, ce qui veut dire selon lui qu’il conviendrait de leur consentir une marge d’appréciation plus ample. Il estime pertinents et suffisants les motifs avancés par les autorités internes en l’espèce pour justifier les décisions litigieuses. Il allègue que X a été très gravement négligé pendant les premières semaines de son existence et que l’attitude de la première requérante à son égard n’a par la suite pas évolué. Il ajoute que X aurait été fragilisé par une exposition répétée aux mêmes types de perturbations et de réactions. Il considère qu’en l’absence de réponse à ses besoins X était exposé à un risque de répétition de son traumatisme initial qui l’aurait fait régresser et aurait réduit à néant les progrès réalisés sur le plan de son fonctionnement. Pour le Gouvernement, la première requérante avait continué à apparaître « complètement dépourvue de l’empathie et de la compréhension » qui auraient été nécessaires pour que X lui fût restitué.

173. Le Gouvernement assure que les autorités internes ont honoré leurs obligations positives. La première requérante n’aurait pas accepté de se faire aider par les services de protection de l’enfance. Les autorités auraient également pris note de son récent mariage et de la naissance de son second enfant, mais ces développements n’auraient pas suffi à l’emporter sur la nécessité des mesures litigieuses. La minorité de la chambre aurait supposé à tort que l’enquête effectuée par les services de protection de l’enfance dans la commune dans laquelle la première requérante s’était installée avait abouti à un constat « d’absence de carence ».

174. Le Gouvernement estime que la minorité de la chambre a méconnu l’article 35 § 1 de la Convention et « rouvert » d’anciennes affaires, et qu’elle a de ce fait appliqué abusivement le critère du « contrôle plus strict » non seulement à la décision d’autoriser l’adoption, mais aussi aux décisions antérieures relatives à la prise en charge de X par l’autorité publique. Il ajoute que la minorité a mal interprété les faits. Il explique que l’ordonnance antérieure qui avait accordé un droit de visite légal minimum n’excluait pas une extension du droit de visite si celle-ci répondait à l’intérêt supérieur de X. Or trois experts auraient conclu ne pas avoir constaté la moindre évolution positive de la relation entre X et la première requérante. Au lieu de profiter des mesures d’aide qui lui étaient proposées, la première requérante aurait continué de se servir des visites pour se conforter dans l’idée qu’elle était victime d’une injustice, alors qu’elle aurait dû concentrer toute son attention sur X. C’est principalement du point de vue de la première requérante et de sa famille qu’il existerait un « conflit » entre la première requérante, les services de protection de l’enfance et la mère d’accueil.

175. En résumé, le Gouvernement dit que les circonstances présentaient un caractère exceptionnel et que les décisions litigieuses étaient à l’évidence motivées par une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de X. Pour le Gouvernement, le tribunal de district a mené à bien sa difficile et délicate mission de ménager un juste équilibre entre les intérêts conflictuels en jeu dans une affaire complexe.

3. Les tiers intervenants

a) Le gouvernement belge

176. Le gouvernement belge soutient que si les perceptions varient en ce qui concerne les modalités d’intervention qui sont appropriées dans les affaires de protection de l’enfance, la législation belge ne permet pas d’ordonner des adoptions contre le gré des parents biologiques. Il ajoute que dans les affaires telles que la présente, les autorités internes doivent mettre en balance l’intérêt supérieur de l’enfant et les intérêts des parents biologiques. Il consacre ensuite un certain nombre de développements aux faits tels qu’ils ont été exposés dans l’arrêt de la chambre et souligne qu’ils diffèrent de ceux de l’affaire Aune, précitée.

b) Le gouvernement bulgare

177. Le gouvernement bulgare soutient que la présente affaire de protection de l’enfance appelle un examen sur tous les points parce que, selon lui, les mesures prises au début de l’affaire, par exemple le placement et le droit de visite, sont intrinsèquement liées à la procédure d’adoption. Il estime que les Parties contractantes disposent d’une ample marge d’appréciation lorsqu’elles statuent sur une prise en charge par l’autorité publique, mais qu’il faut en revanche exercer un contrôle plus rigoureux sur les restrictions supplémentaires. Il dit qu’en présence de telles restrictions la Cour est censée non seulement examiner les aspects procéduraux du processus décisionnel mais aussi, si nécessaire, dépasser la seule question de la forme pour s’intéresser au fond de l’affaire. De plus, il met en avant l’obligation positive de déployer des efforts tangibles pour faciliter la réunification de la famille dès que cela est raisonnablement possible, et il précise qu’à ses yeux démontrer qu’un enfant pourrait être placé dans un environnement plus bénéfique à son développement ne suffit pas.

c) Le gouvernement tchèque

178. Le gouvernement tchèque s’attache essentiellement à la méthode suivie par les différentes autorités après un placement d’urgence ou un placement définitif d’enfants en famille d’accueil dans la mesure où, selon lui, un travail actif et immédiat auprès des familles biologiques postérieurement au placement ainsi que la fréquence des visites entre les enfants et leurs parents biologiques apparaissent constituer des facteurs déterminants pour la préservation du lien familial originel.

179. Le gouvernement tchèque souligne en outre que, pour déterminer si les autorités ont respecté les obligations que leur imposait l’article 8 de la Convention, il faut prendre en compte la situation de tous les membres de la famille. Il indique qu’il existe un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer. Il ajoute toutefois que le principe de « l’intérêt supérieur » n’est pas censé servir de sorte de « carte joker ». Il pense que l’article 8 englobe aussi bien l’intérêt supérieur de l’enfant que le droit des parents de se faire aider par l’État pour continuer de vivre ou pour être réunis avec leurs enfants. Il dit que les systèmes de protection de l’enfance ne devraient pas méconnaître l’existence des droits des parents biologiques, et que ces droits devraient être dûment pris en compte et mis en balance avec l’intérêt supérieur de l’enfant au lieu d’être minimisés au point d’être méconnus.

180. De surcroît, le gouvernement tchèque insiste sur l’importance des visites entre les parents biologiques et leur enfant qui a été pris en charge par l’autorité publique ainsi que sur celle d’autres mesures visant à réunir la famille, notamment de manière à ce que la prise en charge par l’autorité publique demeure une mesure temporaire : selon lui, des restrictions au droit de visite pourraient être le prélude à l’éloignement de l’enfant de sa famille biologique et donc rendre impossible la réunification de la famille. Il estime que, pour que les tentatives de réunification de la famille puissent passer pour sérieuses, il faudrait que des visites aient lieu plusieurs fois par semaine, fût-ce sous surveillance ou avec un accompagnement, puis que leur fréquence augmente progressivement jusqu’à devenir quotidienne. En pareil cas, il est possible selon lui de parler de la lente formation d’un lien entre l’enfant et ses parents biologiques. La célérité des procédures serait également de mise.

181. Au sujet de l’adoption, le gouvernement tchèque soutient que la Cour doit ménager un équilibre entre les droits des parents biologiques et ceux des parents adoptifs. Il est selon lui nécessaire d’apprécier de manière ad hoc l’intérêt supérieur de l’enfant, qui serait parfois contraire à d’autres intérêts en cause : il existerait d’autres droits à prendre en compte lorsque l’on cherche à déterminer si un enfant devrait ou non être considéré comme adoptable.

d) Le gouvernement danois

182. Le gouvernement danois soutient que les autorités internes ont procédé à une évaluation complète et minutieuse de la question et que la Cour devrait limiter son appréciation au processus décisionnel. Il estime que la Cour ne devrait pas, contrairement à ce qu’aurait préconisé la minorité de la chambre, procéder à un « examen clinique des faits » et substituer sa propre appréciation à celle des juridictions internes, lesquelles se seraient livrées à une mise en balance conforme aux critères exposés à l’article 8 de la Convention ainsi que dans la jurisprudence de la Cour.

183. Le gouvernement danois considère que la majorité de la chambre a correctement tranché le litige et qu’aucune raison impérieuse ne justifie que la Cour procède à un nouvel examen des faits de la cause au même titre qu’une juridiction de quatrième instance plusieurs années après les faits et sur la base de pièces produites devant elle. Il fait référence à l’article 28c) de la Déclaration de Copenhague. En exprimant une opinion dissidente préconisant implicitement une appréciation entièrement nouvelle, la minorité de la chambre aurait essayé de se glisser dans le rôle d’une juridiction de quatrième instance. Or les autorités internes auraient clairement démontré qu’elles avaient procédé à une appréciation minutieuse de la question et effectué une mise en balance exhaustive des intérêts conflictuels en jeu, et elles auraient manifestement bien saisi que cette affaire portait sur des intrusions de grande ampleur dans la vie privée et familiale. Elles auraient également tenu compte de l’article 8 de la Convention et appliqué fidèlement les critères énoncés dans la jurisprudence de la Cour.

e) Le gouvernement italien

184. Le gouvernement italien soutient que l’intérêt de la première requérante ne correspond pas nécessairement à celui de X. Il ajoute que si la Cour veut s’assurer que l’intérêt de X est défendu, elle peut indiquer au gouvernement défendeur qu’un avocat devrait être désigné pour l’enfant. De plus, il relève que les décisions qui ont été prises préalablement à la décision relative à l’adoption de X sont devenues définitives et que si la Cour devait les réexaminer aujourd’hui en relation avec le grief dirigé contre la décision d’adoption, elle contreviendrait à l’article 35 de la Convention. Il ne voit dans ces décisions antérieures que des faits qui devraient être traités comme tels.

185. De plus, le gouvernement italien souligne qu’il n’y a pas en Europe de consensus au sujet de la protection des droits des parents et des enfants au respect de leur vie familiale, et il précise que les États contractants disposent d’une ample marge d’appréciation à cet égard. Il dit qu’il existe dans la jurisprudence de la Cour des affaires dans lesquelles a été adoptée une approche qui contredit les principes généraux tels qu’ils sont habituellement énoncés par la Cour, des affaires dans lesquelles celle-ci a joué le rôle d’une juridiction de quatrième instance et recherché si des circonstances justifiaient le retrait de l’enfant – ce qui selon lui se rapproche de l’idée d’un « examen clinique des faits » évoquée dans l’opinion dissidente jointe à l’arrêt de la chambre –, ainsi que des affaires dans lesquelles la Cour a posé que l’intérêt supérieur de l’enfant coïncidait avec celui de ses parents biologiques.

186. Sur la question de l’intérêt supérieur de l’enfant, le gouvernement italien souligne que dans les textes internationaux pertinents l’enfant est considéré comme négligé lorsque ses parents n’entretiennent pas avec lui les relations nécessaires à son éducation ou à son développement, ou qu’ils ne lui apportent pas une assistance psychologique et matérielle. À cet égard, il évoque les problèmes posés par le placement à long terme : selon lui, l’enfant placé vit dans l’incertitude entre ses parents biologiques et ses parents de substitution, ce qui entraîne des problèmes tels que des conflits de loyauté. Il fait référence aux arrêts Barnea et Caldararu c. Italie (no 37931/15, 22 juin 2017) et Paradiso et Campanelli c. Italie, [GC] (no 25358/12, 24 janvier 2017). Il argue que, selon des scientifiques et des experts, on ne peut pas poser comme règle que les liens avec la famille d’origine doivent être préservés, et qu’ils ne devraient l’être que si l’enfant dans le cas visé en tire bénéfice. D’après lui, seules les autorités nationales sont en mesure de procéder à l’appréciation nécessaire de cette question au cas par cas. La Cour ne disposerait pas des outils requis pour agir en qualité de juridiction de quatrième instance et se livrer à un « examen clinique des faits ».

f) Le gouvernement slovaque

187. Le gouvernement slovaque soutient qu’il est parfaitement clair que la jurisprudence de la Cour protège en priorité la famille biologique. Il estime que placer un enfant en famille d’accueil constitue une mesure extrême et que les autorités internes sont tenues d’adopter d’autres mesures si celles-ci permettent de parvenir à l’objectif visé. Il considère en particulier que si la justification donnée à une décision est la nécessité de protéger l’enfant contre un danger, l’existence d’un tel danger doit être effectivement établie. Parallèlement, il faut selon lui considérer la prise en charge d’un enfant par l’autorité publique comme une mesure temporaire qui doit être suspendue dès que les circonstances le permettent, et toute mesure d’exécution doit à son avis concorder avec le but ultime, qui est d’unir à nouveau le parent biologique et son enfant.

188. Le gouvernement slovaque consacre en outre des développements à une affaire dans laquelle des ressortissants slovaques auraient été touchés par des mesures relevant de la protection de l’enfance ainsi qu’aux préoccupations qui seraient suscitées au niveau international par des mesures de protection de l’enfance adoptées dans l’État défendeur.

g) Le gouvernement britannique

189. Le gouvernement britannique soutient que, dans des affaires telles que la présente, la Cour devrait en principe s’attacher au caractère adéquat des procédures et rechercher si les motifs invoqués par les autorités internes étaient suffisants, au lieu de se livrer à une nouvelle analyse des faits.

190. Le gouvernement britannique indique que la Cour a énuméré un certain nombre de facteurs identifiables susceptibles de présenter une pertinence dans ce type d’affaires. Il note en particulier que toute décision d’adoption revêt intrinsèquement un caractère définitif et qu’il y a lieu de procéder à une mise en balance des intérêts qui devra toutefois, selon lui, être guidée par la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il en conclut que les liens tissés par l’enfant avec sa famille de facto doivent être pris en compte et que l’article 8 de la Convention n’impose pas aux autorités internes de faire d’interminables tentatives de réunification familiale.

191. Sur la question de la subsidiarité, le gouvernement britannique fait référence à l’article 28 de la Déclaration de Copenhague. Il indique que, dans des affaires telles que la présente, il y a lieu de prendre en considération le niveau d’expertise et d’implication des autorités internes par rapport à celui de la Cour, le niveau de participation des parties touchées par le processus interne ainsi que le niveau de consensus entre les États contractants. Il estime que la gravité de l’intervention en cause entre elle aussi en ligne de compte, mais qu’un contrôle plus scrupuleux ne saurait entraîner une nouvelle appréciation des faits, surtout si un laps de temps considérable s’est écoulé depuis la décision à l’examen. Il ajoute que la minorité de la chambre donne l’impression de chercher à démontrer que la Cour devrait se livrer à sa propre appréciation des faits de la cause au lieu d’opérer un contrôle des décisions, surtout lorsque les juges dissidents mentionnent la nécessité d’un « examen clinique des faits » et suggèrent que la Cour elle-même devrait statuer sur le « fond ». Il invite la Grande Chambre à rejeter cette approche et ajoute que, comme l’a précisé la majorité de la chambre, la Cour se doit de rechercher si les autorités internes ont justifié leurs décisions par des raisons pertinentes et suffisantes, mais que seules ces autorités sont aptes à statuer sur l’intérêt supérieur de l’enfant.

h) ADF International

192. ADF International soutient qu’à l’échelle internationale la famille est reconnue comme l’entité fondamentale de la société, qui revêt une importance particulière pour les enfants. Cette organisation indique que, selon la jurisprudence de la Cour, les Parties contractantes sont tenues d’organiser leurs services de protection de l’enfance de manière à faciliter la réunification de la famille, sauf si cette réunification mettrait manifestement en péril le bien-être de l’enfant. De plus, elle souligne le devoir de maintenir les contacts entre parents et enfants et de prêter une assistance pratique aux familles.

i) L’AIMMF

193. L’association italienne des magistrats pour les enfants et pour la famille (AIMMF) indique qu’il importe que le parent biologique prenne part en personne, assisté d’un avocat, aux procédures devant les autorités internes, comme cela a été le cas pour la première requérante. L’AIMMF formule des observations sur la décision d’urgence et souligne que l’enfant a lui aussi besoin de se faire assister d’un avocat afin que son intérêt supérieur soit protégé.

194. Qui plus est, l’AIMMF soutient que la composition pluridisciplinaire du bureau d’aide sociale du comté et du tribunal de district constitue un aspect particulièrement crucial et elle ajoute que la Cour a formulé une remarque analogue dans l’arrêt Paradiso et Campanelli (précité, § 212). Elle voit dans la composition pluridisciplinaire des instances de décision un élément essentiel d’un système judiciaire adapté aux mineurs.

195. En outre, l’AIMMF estime important de garder à l’esprit que cette affaire concerne spécifiquement X et qu’il fallait trouver des solutions pour lui en tenant compte de sa vulnérabilité et de son histoire, et notamment de ce qu’il avait vécu lors des visites ainsi que de ses liens avec ses parents d’accueil. L’organisation conclut de l’arrêt de la chambre que la majorité a mieux compris les besoins de X que les juges dissidents d’après ce qui transparaît à ses yeux du texte de leur opinion. Ce serait précisément sur le fondement des spécificités personnelles et de l’histoire de X que les autorités internes seraient parvenues à la conclusion selon laquelle son intérêt supérieur dictait de renforcer ses liens avec ses parents d’accueil.

j) Le centre AIRE

196. Le Centre AIRE invite la Cour à rappeler que la Convention est un « instrument vivant » et que la nature évolutive des droits des enfants tels que définis par la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant doit être prise en compte.

197. Au sujet de l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant, le centre AIRE insiste sur l’importance de l’unité familiale ainsi que sur le droit de l’enfant à être entendu, qui serait protégé par l’article 12 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Concernant les conditions au retrait d’un enfant de chez ses parents et à son adoption, il rappelle les principes pertinents en matière de nécessité et de proportionnalité. Il mentionne en outre le besoin aussi bien de sécurité que de souplesse dans le droit et évoque « l’adoption simple » ou l’accueil familial à long terme comme solutions de substitution à une « adoption fermée ». Il dit que, dans des circonstances très exceptionnelles, rester en contact avec ses parents biologiques n’est pas dans l’intérêt supérieur de l’enfant (par exemple lorsque les parents ont été à la tête d’un réseau pédophile ou se sont livrés à des activités de traite d’enfants ou à des maltraitances en série sur enfants), mais il estime que pareille conclusion ne devrait pas découler automatiquement de la décision indiquant que l’enfant a besoin d’un foyer stable et permanent autre que celui de ses parents biologiques.

198. Le Centre AIRE indique par ailleurs que les parents présentant des déficiences intellectuelles se voient généralement retirer leurs enfants alors que ceux-ci sont encore des nourrissons, et que des signes de négligence tels que des difficultés à prendre du poids, un retard général de développement ou une incompréhension des besoins des enfants constituent selon lui les indices d’alerte principaux. Il ajoute que les parents présentant des déficiences intellectuelles ont le droit à une aide et précise que l’Observation générale no 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations unies sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, notamment, met en avant cette obligation positive.

k) Les parents adoptifs

199. Les parents adoptifs de X soutiennent que la représentation de celui-ci devant la Cour soulève une question cruciale en l’espèce. Ils arguent que le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant s’applique aussi aux règles procédurales de représentation. Ils indiquent que, dans la jurisprudence de la Cour, les règles régissant la représentation des enfants sont souples et appliquées de manière à ce que tous les intérêts en jeu soient portés à l’attention de la Cour. Ils estiment qu’autoriser les parents biologiques à représenter un enfant dont la vie familiale avec ses parents d’accueil ou ses parents adoptifs est protégée ne permet pas de sauvegarder de manière effective les droits de l’enfant découlant de la Convention.

200. Les parents adoptifs considèrent que la jurisprudence de la Cour envisage essentiellement la « vie familiale » comme une question de fait. Ils disent que, selon la Cour, il importe particulièrement de ménager un juste équilibre entre l’intérêt général et les nombreux intérêts particuliers en jeu lorsque l’enfant a tissé des liens familiaux avec deux familles différentes. Ils renvoient notamment à l’arrêt Moretti et Benedetti c. Italie (no 16318/07, 27 avril 2010). Il convient aussi d’après eux de tenir dûment compte des autres liens développés par l’enfant, notamment avec ses frères et sœurs.

201. Les parents adoptifs estiment par ailleurs que la Cour a dans sa jurisprudence fait du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant la considération primordiale ainsi que l’élément décisif dans les affaires de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et d’adoption. Ils pensent que la Grande Chambre devrait en l’espèce chercher à combiner la jurisprudence relative à la vie familiale entre l’enfant et les parents d’accueil et celle relative à la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant.

4. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

202. Le paragraphe premier de l’article 8 de la Convention garantit à toute personne le droit au respect de sa vie familiale. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour un parent et son enfant, être ensemble représente un élément fondamental de la vie familiale et des mesures internes qui les en empêchent constituent une ingérence dans le droit protégé par cette disposition. Pareille ingérence méconnaît cet article à moins qu’elle ne soit « prévue par la loi », ne vise un ou des buts légitimes au regard du paragraphe 2 de l’article 8 et ne puisse passer pour « nécessaire dans une société démocratique » (voir, entre autres, K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 151, CEDH 2001‑VII, et Johansen, précité, § 52).

203. La Cour doit statuer sur le respect de cette dernière condition en recherchant si, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, les motifs invoqués en justification de la mesure en cause étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 (voir, parmi beaucoup d’autres, Paradiso et Campanelli, précité, § 179). La notion de nécessité implique en outre que l’ingérence corresponde à un besoin social impérieux et, en particulier, qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi eu égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents en jeu (ibidem, § 181).

204. En ce qui concerne la vie familiale d’un enfant, la Cour rappelle qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (voir, entre autres, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010). Elle souligne d’ailleurs que dans les affaires dans lesquelles sont en jeu des questions de placement d’enfants et de restrictions du droit de visite, l’intérêt de l’enfant doit passer avant toute autre considération (Jovanovic, précité, § 77, et Gnahoré c. France, no 40031/98, § 59, CEDH 2000‑IX).

205. En même temps, il y a lieu de noter que la recherche de l’unité familiale et celle de la réunion de la famille en cas de séparation constituent des considérations inhérentes au droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8. Par conséquent, toute autorité publique qui ordonnerait une prise en charge ayant pour effet de restreindre la vie de famille est tenue par l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible (K. et T. c. Finlande, précité, § 178).

206. Dans les cas où les intérêts de l’enfant et ceux de ses parents seraient en conflit, l’article 8 exige que les autorités nationales ménagent un juste équilibre entre tous ces intérêts et que, ce faisant, elles attachent une importance particulière à l’intérêt supérieur de l’enfant, qui, selon sa nature et sa gravité, peut l’emporter sur celui des parents (voir, par exemple, Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 64, CEDH 2003‑VIII (extraits), ainsi que les références qui y sont citées).

207. De manière générale, d’une part, l’intérêt supérieur de l’enfant dicte que les liens entre lui et sa famille soient maintenus, sauf dans les cas où celle-ci se serait montrée particulièrement indigne : briser ce lien revient à couper l’enfant de ses racines. En conséquence, seules des circonstances tout à fait exceptionnelles peuvent en principe conduire à une rupture du lien familial et tout doit être mis en œuvre pour maintenir les relations personnelles et, le cas échéant, le moment venu, « reconstituer » la famille (Gnahoré, précité, § 59). D’autre part, il est certain que garantir à l’enfant une évolution dans un environnement sain relève de cet intérêt et que l’article 8 ne saurait autoriser un parent à prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de son enfant (voir, parmi beaucoup d’autres, Neulinger et Shuruk, précité, § 136, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 50, CEDH 2000‑VIII, et Maršálek c. République tchèque, no 8153/04, § 71, 4 avril 2006). Il existe un important consensus international autour de l’idée que l’enfant ne doit pas être séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant (voir l’article 9 § 1 de la Convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant, reproduit au paragraphe 134 ci-dessus). De plus, il appartient aux États contractants d’instaurer des garanties procédurales pratiques et effectives permettant de veiller à la protection et à la mise en œuvre de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir l’Observation générale no 14 (2013) du Comité des droits de l’enfant des Nations unies sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, paragraphes 85 et 87, cités au paragraphe 136 ci-dessus).

208. Par ailleurs, en principe, la décision de prise en charge doit être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (voir, par exemple, Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 81, série A no 130). L’obligation positive susmentionnée de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, par exemple, K. et T. c. Finlande, précité, § 178). Dans ce genre d’affaire, le caractère adéquat d’une mesure se juge à la rapidité de sa mise en œuvre, car le passage du temps peut avoir des conséquences irrémédiables sur les relations entre l’enfant et le parent qui ne vit pas avec lui (voir, entre autres, S.H. c. Italie, no 52557/14, § 42, 13 octobre 2015). Ainsi, une autorité qui serait responsable d’une situation de rupture familiale parce qu’elle a manqué à son obligation susmentionnée ne peut pas fonder la décision d’autorisation d’une adoption par l’absence de liens entre les parents et l’enfant (Pontes c. Portugal, no 19554/09, §§ 92 et 99, 10 avril 2012). Qui plus est, les liens entre les membres d’une famille et les chances de regroupement réussi se trouveront par la force des choses affaiblis si l’on dresse des obstacles empêchant des rencontres faciles et régulières des intéressés (Scozzari et Giunta, précité, § 174, et Olsson (no 1), précité, § 81). Toutefois, lorsqu’un laps de temps considérable s’est écoulé depuis que l’enfant a été placé pour la première fois sous assistance, l’intérêt qu’a l’enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l’emporter sur l’intérêt des parents à la réunion de leur famille (K. et T. c. Finlande, précité, § 155).

209. En ce qui concerne la substitution à l’accueil familial d’une mesure plus lourde comme une déchéance de l’autorité parentale accompagnée d’une autorisation d’adoption, qui entraîne la rupture définitive des liens juridiques des parents avec l’enfant, il y a lieu de rappeler que « [d]e telles mesures ne doivent être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et ne peuvent se justifier que si elles s’inspirent d’une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant » (voir, par exemple, Johansen, précité, § 78, et Aune, précité, § 66). La nature même de l’adoption implique que toute perspective réelle de réintégration dans la famille ou de réunification de la famille est exclue et que l’intérêt supérieur de l’enfant dicte au contraire qu’il soit placé à titre permanent au sein d’une nouvelle famille (R. et H. c. Royaume-Uni, no 35348/06, § 88, 31 mai 2011).

210. Lorsqu’elle recherche si les motifs ayant justifié les mesures litigieuses étaient pertinents et suffisants aux fins du paragraphe 2 de l’article 8 de la Convention, la Cour tiendra compte du fait que la conception que l’on a du caractère opportun d’une intervention des autorités publiques dans les soins à donner à un enfant varie d’un État à l’autre en fonction d’éléments tels que les traditions relatives au rôle de la famille et à l’intervention de l’État dans les affaires familiales, ainsi que des ressources que l’on peut consacrer à des mesures publiques dans ce domaine particulier. Il reste que le souci de l’intérêt supérieur de l’enfant revêt dans chaque cas une importance décisive. Il ne faut d’ailleurs pas perdre de vue que les autorités nationales bénéficient de rapports directs avec tous les intéressés, souvent dès le moment où des mesures de placement sont envisagées ou immédiatement après leur mise en œuvre. Il découle de ces considérations que la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux autorités internes dans l’exercice de leurs responsabilités en matière de réglementation des questions de prise en charge d’enfants par l’autorité publique et des droits des parents dont les enfants ont été ainsi placés, mais de contrôler sous l’angle de la Convention les décisions qu’elles ont rendues dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, par exemple, K. et T. c. Finlande, § 154, et Johansen, précité, § 64).

211. La marge d’appréciation laissée ainsi aux autorités nationales compétentes variera selon la nature des questions en litige et la gravité des intérêts en jeu tels que, d’une part, l’importance qu’il y a à protéger un enfant dans une situation jugée très dangereuse pour sa santé ou son développement et, d’autre part, l’objectif de réunir la famille dès que les circonstances le permettront. Dès lors, la Cour reconnaît que les autorités jouissent d’une grande latitude pour apprécier la nécessité de prendre en charge un enfant (voir, par exemple, K. et T. c. Finlande, précité, § 155, et Johansen, précité, § 64). Cette marge n’est toutefois pas illimitée. Ainsi, la Cour a dans certains cas attaché de l’importance à la question de savoir si, avant d’ordonner le placement d’un enfant, les autorités avaient d’abord tenté de prendre des mesures moins draconiennes, par exemple de soutien et de prévention, et si ces mesures s’étaient révélées vaines (voir, par exemple, Olsson (no 1), précité, §§ 72-74, R.M.S. c. Espagne, no 28775/12, § 86, 18 juin 2013, et Kutzner c. Allemagne, no 46544/99, § 75, CEDH 2002‑I). Il faut exercer un contrôle plus rigoureux à la fois sur les restrictions supplémentaires, comme celles apportées par les autorités aux droits et aux visites des parents, et sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et enfants au respect de leur vie familiale. Ces restrictions supplémentaires comportent le risque d’amputer les relations familiales entre les parents et un jeune enfant (K. et T. c. Finlande, précité, ibidem, et Johansen, précité, ibidem).

212. Dans les affaires de prise en charge par l’autorité publique, la Cour se penche également sur le processus décisionnel suivi par les autorités afin de déterminer s’il a été conduit d’une telle manière qu’elles ont pu être informées des vues et intérêts des parents biologiques et en tenir dûment compte, et que les parents ont pu en temps voulu exercer tout recours offert à eux (voir, par exemple, W. c. Royaume-Uni, 8 juillet 1987, § 63, série A no 121, et Elsholz, précité, § 52). Il échet dès lors de déterminer, en fonction des circonstances de chaque espèce et notamment de la gravité des mesures à prendre, si les parents ont pu jouer dans le processus décisionnel, considéré comme un tout, un rôle assez grand pour leur accorder la protection requise de leurs intérêts et ont été en mesure de faire valoir pleinement leurs droits (voir, par exemple, W. c. Royaume-Uni, précité, § 64, T.P. et K.M. c. Royaume-Uni [GC], no 28945/95, § 72, CEDH 2001‑V (extraits), Neulinger et Shuruk, précité, § 139, et Y.C. c. Royaume-Uni, no 4547/10, § 138, 13 mars 2012,). Il découle des considérations ci-dessus que l’exercice par les parents biologiques de voies de droit en vue d’obtenir le retour de l’enfant dans la famille ne peut en lui-même être retenu contre eux. De plus, un retard dans la procédure risque toujours en pareil cas de trancher le litige par un fait accompli avant même que le tribunal ait entendu la cause. Or un respect effectif de la vie familiale commande que les relations futures entre parent et enfant se règlent sur la seule base de l’ensemble des éléments pertinents, et non par le simple écoulement du temps (W. c. Royaume-Uni, précité, § 65).

213. La question de savoir si le processus décisionnel a suffisamment protégé les intérêts d’un parent dépend des circonstances propres à chaque affaire (voir, par exemple, Sommerfeld, précité, § 68). Aux fins de son examen de la présente espèce, la Cour note que, dans cette dernière affaire, elle était appelée à se pencher sur la question de savoir s’il eût fallu ordonner une expertise psychologique concernant la possibilité d’instaurer des visites entre l’enfant et le requérant. Elle a observé qu’il revenait en principe aux juridictions nationales d’apprécier les éléments rassemblés par elles, y compris la manière dont les faits pertinents ont été établis (Vidal c. Belgique, 22 avril 1992, § 33, série A no 235‑B). Ce serait aller trop loin que de dire que les juridictions internes sont toujours tenues de solliciter l’avis d’un psychologue sur la question de savoir s’il faut accorder un droit de visite à un parent n’exerçant pas la garde. En effet, la réponse à cette question dépend des circonstances propres à chaque cause et doit dûment tenir compte de l’âge et de la maturité de l’enfant concerné (Sommerfeld, précité, § 71).

b) Application au cas d’espèce des principes susmentionnés

214. Les parties ne contestent pas et la Cour estime établi de manière non équivoque que les décisions litigieuses prononcées au cours de la procédure engagée par la première requérante le 29 avril 2011 (paragraphe 81 ci-dessus), depuis la décision du bureau d’aide sociale du comté du 8 décembre 2011 jusqu’à celle du comité de sélection des pourvois de la Cour suprême du 15 octobre 2012, s’analysent en une ingérence dans l’exercice par les requérants du droit au respect de la vie familiale tel que garanti par le paragraphe premier de l’article 8 de la Convention. Il n’est par ailleurs pas contesté non plus que ces décisions étaient prévues par la loi, à savoir la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessus), et qu’elles poursuivaient des buts légitimes, à savoir la « protection de la santé ou de la morale » et « des droits et libertés » de X. La Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement. Cette ingérence remplissait donc deux des trois conditions permettant, au regard du second paragraphe de l’article 8, de la considérer comme justifiée. En l’espèce, le litige porte sur la troisième condition, c’est-à-dire sur la question de savoir si l’ingérence était « nécessaire dans une société démocratique ».

215. Gardant à l’esprit les limitations du champ de son examen décrites aux paragraphes 147 et 148 ci-dessus, la Cour centrera son attention sur le contrôle effectué par le tribunal de district, tel que reflété par son jugement du 22 février 2012, devenu définitif le 15 octobre 2012, date du rejet par le comité de sélection des pourvois de la Cour suprême du pourvoi formé par la première requérante (paragraphes 98-113, 118 et 121 ci-dessus).

216. La Cour relève tout d’abord que le tribunal de district était composé d’un juge professionnel, d’un assesseur non professionnel et d’un psychologue. Le tribunal a tenu une audience qui duré trois jours et à laquelle la première requérante a assisté, accompagnée de son avocat rémunéré grâce à l’aide judiciaire, et lors de laquelle vingt et un témoins, dont des experts, ont été entendus (paragraphe 98 ci-dessus). Par ailleurs, il a statué en tant qu’instance de recours et une procédure similaire à celle conduite devant lui avait précédemment été menée devant le bureau d’aide sociale du comté, dont la composition était semblable à la sienne et qui avait offert un raisonnement aussi détaillé que le sien (paragraphes 89-95 ci‑dessus). Son jugement a fait l’objet d’un contrôle dans le cadre de la procédure d’autorisation d’appel introduite devant la cour d’appel (paragraphes 114-118 ci-dessus), puis de l’examen opéré par le comité de sélection des pourvois de la Cour suprême (paragraphes 119-121 ci-dessus).

217. Dans son jugement, le tribunal de district a décidé de ne pas révoquer l’ordonnance de placement de X, de priver la première requérante de son autorité parentale à l’égard de X et d’autoriser l’adoption de celui-ci par ses parents d’accueil, sur le fondement respectif des articles 4-21 et 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance (paragraphe 122 ci-dessus). Tout en observant qu’il a justifié ses décisions par une pluralité de motifs, la Cour note qu’en vertu des dispositions susmentionnées, l’imposition des mesures litigieuses dépendait en grande partie du degré de capacité du parent biologique à s’occuper de l’enfant. Ainsi, l’article 4-21 posait comme condition préalable à la révocation de l’ordonnance de placement la forte probabilité que le parent fût capable de s’occuper correctement de l’enfant. Par ailleurs, l’article 4-20 disposait que l’adoption pouvait être autorisée si l’on devait considérer comme probable que le parent serait définitivement incapable de s’occuper correctement de l’enfant.

218. Le tribunal de district a analysé cette question principalement dans la partie de ses motifs consacrée à la demande de la requérante tendant à la révocation de l’ordonnance de placement. En résumé, il a jugé que la situation de l’intéressée s’était améliorée sur certains aspects (paragraphe 100 ci-dessus). Il a toutefois précisé que X était un enfant vulnérable qui avait vivement réagi dans les situations de rencontre mère-enfant (paragraphes 101-102 ci-dessus). Il a ajouté que les éléments de preuve recueillis avaient clairement démontré la persistance des limitations fondamentales qu’avait présentées la première requérante à l’époque où la cour d’appel avait statué dans le cadre de la procédure précédente. Il a estimé que l’aptitude de l’intéressée à gérer les visites ne s’était pas améliorée : elle avait déclaré qu’elle se battrait jusqu’à ce que l’enfant lui fût restitué et qu’elle ne considérait pas qu’une visibilité médiatique ainsi que des procédures judiciaires à répétition pussent se révéler nocives pour l’enfant à long terme (paragraphes 103-104 ci-dessus). De plus, les experts autres que le psychologue K.M. qui avaient déposé devant lui avaient recommandé de ne pas restituer X à sa mère (paragraphe 105 ci-dessus). Selon le tribunal de district, rien ne justifiait d’analyser plus avant d’autres arguments concernant l’aptitude de la première requérante à s’occuper de l’enfant dans la mesure où il était en tout état de cause exclu de lui restituer X compte tenu des problèmes graves qu’un départ de chez sa famille d’accueil entraînerait pour lui (paragraphe 106 ci-dessus).

219. Statuant sur la demande des services de protection de l’enfance tendant à faire déchoir la première requérante de son autorité parentale et à faire prononcer l’autorisation de l’adoption de X, le tribunal de district a fait siens les motifs que le bureau d’aide sociale avait exposés concernant les critères alternatifs énoncés au point a) de l’article 4-20 de la loi sur la protection de l’enfance, à savoir qu’il fallait considérer comme probable que la première requérante serait définitivement incapable de s’occuper correctement de X ou que X avait développé un attachement tel à l’égard de sa famille d’accueil et de son environnement que, sur la base d’une appréciation globale, il apparaissait qu’un retrait de l’enfant de son environnement pourrait entraîner pour celui-ci de graves problèmes (paragraphe 108 ci-dessus). En ce qui concerne les aptitudes parentales, il y a lieu de rappeler les constats suivants que le bureau d’aide sociale avait tirés. Le bureau avait conclu que rien dans le dossier n’indiquait que les aptitudes parentales de la première requérante s’étaient améliorées depuis l’arrêt rendu par la cour d’appel le 22 avril 2010. Il avait indiqué que l’intéressée ne se rendait pas compte qu’elle avait négligé X et qu’elle était incapable de se concentrer sur l’enfant et sur ce qui était le mieux pour lui. Il avait pris note des informations selon lesquelles la première requérante s’était mariée et avait eu un second enfant, mais n’avait pas jugé cet élément décisif pour ce qui était de la capacité de l’intéressée à s’occuper de X. Il avait ajouté que celui-ci était un enfant particulièrement vulnérable qui pendant les trois premières semaines de son existence avait été victime de graves négligences, de nature à mettre sa vie en péril. Il avait également tenu compte de la manière dont s’étaient déroulées les rencontres mère-enfant. De plus, dans la mesure où X vivait dans sa famille d’accueil depuis trois ans et ne connaissait pas la première requérante, il avait conclu que si X venait à être restitué à sa mère, il faudrait alors faire preuve, entre autres, d’une grande capacité d’empathie et de compréhension à l’endroit de l’enfant et des problèmes que celui-ci rencontrerait. Or il avait estimé que la première requérante et sa famille étaient complètement dépourvues de l’empathie et de la compréhension requises (paragraphe 90 ci-dessus).

220. La Cour est pleinement consciente de l’intérêt prépondérant de l’enfant dans le processus décisionnel. Le processus qui a abouti au retrait de l’autorité parentale et à l’autorisation de l’adoption révèle toutefois que les autorités internes n’ont pas cherché à se livrer à un véritable exercice de mise en balance entre les intérêts de l’enfant et ceux de sa famille biologique (paragraphes 207 et 208 ci-dessus), mais qu’elles se sont concentrées sur les intérêts de l’enfant au lieu de s’efforcer de concilier les deux ensembles d’intérêts en jeu, et que, de surcroît, elles n’ont pas sérieusement envisagé la possibilité d’une réunion de l’enfant et de sa famille biologique. Dans ce contexte, la Cour, en particulier, n’est pas convaincue que les autorités internes compétentes aient dûment pris en compte l’incidence potentielle du fait qu’au moment où la première requérante avait demandé la révocation de l’ordonnance de placement ou, à défaut, une extension de son droit de visite, sa vie était en train de connaître des changements notables : durant l’été et l’automne pendant lesquels s’était ouverte la procédure litigieuse, l’intéressée s’était mariée et avait eu un second enfant. À cet égard, la décision du tribunal de district s’appuyant dans une large mesure sur une appréciation du manque d’aptitudes parentales de la première requérante, la base factuelle sur laquelle reposait cette appréciation fait ressortir plusieurs insuffisances dans le processus décisionnel.

221. La Cour note que les décisions en cause ont été prises dans un contexte qui se caractérisait par des rencontres très limitées entre la première requérante et X. Le bureau d’aide sociale, dans sa décision du 2 mars 2009, et la cour d’appel, dans son arrêt du 22 avril 2010 (portant annulation du jugement rendu par le tribunal de district le 19 août 2009), se sont appuyés sur l’idée que le placement s’inscrirait très probablement dans le long terme et que X grandirait au sein de sa famille d’accueil (paragraphes 31, 43 et 75 ci-dessus). La cour d’appel a déclaré que les rencontres mère-enfant pouvaient ainsi servir à maintenir le contact entre la mère et le fils afin que celui-ci connût ses racines. Pour elle, le but de ces rencontres n’était pas l’établissement d’une relation en vue d’un retour à terme de l’enfant auprès de sa mère biologique (ibidem). Au sujet du régime de visite, la Cour note également que les modalités n’étaient pas particulièrement aptes à permettre à la première requérante de tisser librement des liens avec X, par exemple en raison des lieux où les visites étaient organisées et des personnes qui y assistaient. Alors même que, souvent, ces visites ne se passaient pas bien, il apparaît que presque rien n’a été fait pour tester d’autres modalités d’organisation. En bref, la Cour considère que les rares rencontres qui ont eu lieu entre les requérants depuis le placement de X en famille d’accueil n’ont fourni que peu d’éléments permettant de tirer des conclusions claires sur les aptitudes parentales de la première requérante.

222. De plus, la Cour estime significatif qu’aucun rapport d’expertise actualisé n’ait été produit depuis ceux qui avaient été ordonnés au cours des procédures conduites entre 2009 et 2010 concernant la prise en charge de l’enfant par l’autorité publique, à savoir le rapport établi par la psychologue B.S. et la thérapeute familiale E.W.A., que les services de protection de l’enfance avaient sollicité et qui était consacré aux réactions de X aux rencontres mère-enfant du début du mois de septembre 2009 (paragraphe 58 ci-dessus), ainsi que le rapport établi par la psychologue M.S., que la cour d’appel avait mandatée le 15 novembre 2009 (paragraphe 61 ci-dessus). Le premier rapport remontait au 20 février 2010 et le second au 3 mars 2010 (paragraphes 62 et 63 ci-dessus respectivement). Au moment du prononcé du jugement du tribunal de district le 22 février 2012, ces deux rapports dataient de deux ans. Certes, aux côtés d’autres témoins tels que des membres de la famille, les psychologues B.S. et M.S. avaient elles aussi déposé à l’audience tenue par le tribunal de district en 2012 (paragraphe 98 ci-dessus). Ces deux psychologues n’avaient cependant procédé à aucun examen depuis ceux qu’elles avaient effectués préalablement à l’établissement de leurs rapports, lesquels remontaient au début de l’année 2010, et seulement un de ces rapports, celui de la psychologue M.S., était fondé sur les observations de l’interaction entre les requérants, réalisées à l’occasion de deux visites seulement (paragraphe 63 ci-dessus).

223. La Cour ne perd pas de vue le fait que les services de protection de l’enfance ont sollicité auprès de la première requérante, à propos de sa nouvelle famille, des informations que l’intéressée a apparemment refusé de leur donner (paragraphes 85 et 115 ci-dessus). Cela étant, elle note que l’avocat de la première requérante avait expressément demandé une nouvelle expertise mais que la cour d’appel a rejeté cette demande (paragraphes 114 et 118 ci-dessus). Le tribunal de district n’avait pas non plus ordonné d’office une nouvelle expertise au cours de la procédure conduite devant lui. S’il appartient en principe aux autorités internes de se prononcer sur la nécessité des rapports d’expertise (voir, par exemple, Sommerfeld, précité, § 71), la Cour estime que l’absence d’une expertise récente a considérablement restreint l’appréciation factuelle de la nouvelle situation de la première requérante et de ses aptitudes parentales à l’époque considérée. Dans ces conditions, contrairement à ce que le tribunal de district a semblé laisser entendre, on ne saurait raisonnablement reprocher à l’intéressée de ne pas avoir saisi que des procédures judiciaires à répétition pouvaient se révéler nocives pour l’enfant à long terme (paragraphes 104 et 218 ci-dessus).

224. De plus, il ressort du raisonnement exposé par le tribunal de district que celui-ci a apprécié les aptitudes parentales de la première requérante en tenant particulièrement compte des besoins de soins spéciaux de X eu égard à la vulnérabilité de celui-ci. Or, si la vulnérabilité de X avait été un motif essentiel dans la décision initiale de le placer en famille d’accueil (voir, par exemple, les paragraphes 31 et 42 ci-dessus), le jugement du tribunal de district n’indiquait pas comment ladite vulnérabilité avait pu perdurer alors que X vivait en famille d’accueil depuis l’âge de trois semaines. Par ailleurs, il n’analysait que de manière sibylline la nature de cette vulnérabilité, se contentant de la brève description qu’en avaient donnée des experts, à savoir que X était sujet au stress, qu’il avait besoin de beaucoup de calme, de sécurité et de soutien et aussi qu’il exprimait de la résistance et de la résignation lorsqu’il fallait rencontrer la première requérante, notamment face aux débordements émotionnels de celle-ci (paragraphes 101 à 102 ci‑dessus). De l’avis de la Cour, au vu de la gravité des intérêts en jeu, il appartenait aux autorités compétentes d’apprécier la vulnérabilité de X de manière plus approfondie au cours de la procédure ici en cause.

225. Dans ces conditions, compte tenu en particulier du caractère limité des éléments susceptibles d’être tirés des rencontres mère-enfant qui ont été organisées (paragraphe 221 ci-dessus), conjugué au fait que, malgré la nouvelle situation familiale de la première requérante, aucune nouvelle expertise des aptitudes parentales de celle-ci n’a été demandée alors qu’il s’agissait d’un point capital de l’appréciation du tribunal de district (paragraphes 222-223 ci-dessus), et au vu aussi de l’absence de motivation concernant la persistance de la vulnérabilité de X (paragraphe 224 ci‑dessus), la Cour considère que le processus à l’origine de la décision litigieuse du 22 février 2012 n’a pas été conduit de manière à ce que tous les avis et intérêts des requérants fussent dûment pris en compte. Elle estime donc que la procédure en cause n’a pas été entourée de garanties proportionnées à la gravité de l’ingérence et des intérêts en jeu.

226. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 8 de la Convention dans le chef des deux requérants.

2. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

227. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

228. Les requérants demandent chacun 25 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

229. Le Gouvernement prie la Cour, si elle venait à constater une violation, d’accorder une satisfaction équitable dans les limites fixées par l’article 41 de la Convention.

230. La Cour juge approprié en l’espèce d’accorder à la première requérante une somme pour l’angoisse et la détresse qu’elle a dû connaître à cause de la procédure par laquelle elle avait cherché à obtenir la restitution de X et de la procédure par laquelle les services de protection de l’enfance avaient demandé la déchéance de son autorité parentale à l’égard de X ainsi que l’autorisation de l’adoption de celui-ci. Elle alloue à la première requérante 25 000 EUR à ce titre. Concernant X, eu égard à l’âge qu’il avait à l’époque considérée et au fait qu’il n’a pas vécu les procédures en question de la même manière que la première requérante, elle estime qu’un constat de violation peut passer pour une satisfaction équitable suffisante.

B. Frais et dépens

231. Les requérants réclament par ailleurs 50 000 EUR pour leurs frais et dépens engagés devant les juridictions internes et devant la chambre ainsi que 9 564 EUR pour ceux occasionnés devant la Grande Chambre.

232. Le Gouvernement prie la Cour, si elle venait à constater une violation, d’accorder une satisfaction équitable dans les limites fixées par l’article 41 de la Convention.

233. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

234. En l’espèce, compte tenu des pièces en sa possession et des critères exposés ci-dessus, la Cour rejette la demande présentée au titre des frais et dépens engagés dans le cadre des procédures internes et de la procédure devant la chambre, faute pour les requérants d’avoir démontré la réalité de ces frais. Quant à ceux occasionnés devant la Grande Chambre, elle observe qu’en dehors des frais de déplacement, la demande est fondée sur un pacte de quota litis aux termes duquel la première requérante s’est engagée à verser à son avocat 9 000 EUR en cas de « succès devant la Cour européenne des droits de l’homme ». Pareils accords, qui ne font naître des obligations qu’entre l’avocat et son client, ne sauraient lier la Cour, laquelle doit évaluer le niveau des frais et dépens à rembourser non seulement par rapport à la réalité des frais allégués, mais aussi par rapport à leur caractère raisonnable (voir, par exemple, Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 2000‑XI). Ainsi la Cour axera son appréciation sur l’examen des autres éléments fournis par les requérants à l’appui de leurs prétentions. Selon l’article 60 § 2 du règlement, toute prétention présentée au titre de l’article 41 de la Convention doit être chiffrée, ventilée par rubrique et accompagnée des justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter la demande, en tout ou en partie (voir, entre autres, A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, § 281, CEDH 2010). En l’espèce, la demande n’ayant pas été contestée, la Cour estime raisonnable d’accorder la somme de 9 350 EUR pour la procédure devant la Grande Chambre. Compte tenu des circonstances, elle juge opportun de ne verser cette somme qu’à la seule première requérante.

C. Intérêts moratoires

235. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Rejette, par quinze voix contre deux, l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement ;
2. Dit, par treize voix contre quatre, qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention dans le chef des deux requérants ;
3. Dit, par seize voix contre une, que le constat d’une violation représente en soi une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral subi par le second requérant ;
4. Dit, par treize voix contre quatre,

a) que l’État défendeur doit verser à la première requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en couronnes norvégiennes (NOK) au taux applicable à la date du règlement :

1. 25 000 EUR (vingt-cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour préjudice moral ;
2. 9 350 EUR (neuf mille trois cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt sur cette somme, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg le 10 septembre 2019.

Søren PrebensenLinos-Alexandre Sicilianos
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Ranzoni, à laquelle se rallient les juges Yudkivska, Kūris, Harutyunyan, Paczolay et Chanturia ;

– opinion concordante du juge Kūris ;

– opinion dissidente commune aux juges Kjølbro, Poláčková, Koskelo et Nordén ;

– opinion dissidente commune aux juges Koskelo et Nordén.

L.A.S.
S.C.P.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE RANZONI À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES YUDKIVSKA, KŪRIS, HARUTYUNYAN, PACZOLAY ET CHANTURIA

(Traduction)

I.Introduction

1. J’ai voté avec la majorité pour un constat de violation de l’article 8 de la Convention. Je suis toutefois en partie en désaccord avec la motivation qui, à mon avis, n’analyse pas suffisamment les problématiques principales qui ont justifié le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. À cet égard, la majorité a opté pour une approche excessivement étroite, qui aboutit à un constat de violation « procédurale » très limitée.

2. La présente espèce peut être résumée de la manière suivante. Le 25 septembre 2008, la première requérante donna naissance à un fils, X, le second requérant. Elle vécut ensuite avec lui dans un centre familial. Le 17 octobre 2008, les autorités décidèrent de placer le bébé en accueil familial d’urgence et d’accorder à sa mère un droit de visite d’une heure et demie par semaine au maximum. Par une décision du bureau d’aide sociale du comté du 2 mars 2009, l’enfant fut placé en accueil familial ordinaire et le régime de visite de la mère fut porté à six visites de deux heures par an. Cette décision fut annulée par le tribunal de district mais, par un arrêt du 22 avril 2010, la cour d’appel confirma la décision de placement d’office qui avait été prise par le bureau d’aide sociale du comté et ramena le droit de visite de la mère à quatre visites de deux heures par an. L’enfant resta placé en famille d’accueil jusqu’à ce que le bureau d’aide sociale décidât, le 8 décembre 2011, de déchoir la mère de son autorité parentale et d’autoriser les parents d’accueil à adopter l’enfant. Saisi d’un appel par la première requérante, le tribunal de district confirma cette décision le 22 février 2012, et celle-ci devint définitive avec la décision rendue par le comité de sélection des pourvois de la Cour suprême le 15 octobre 2012.

3. Si la majorité concentre sa motivation sur la procédure qui a entouré la décision prise par le bureau d’aide sociale du comté le 8 décembre 2011 et, en particulier, sur le jugement rendu par le tribunal de district le 22 février 2012, les « véritables » questions qu’il fallait à mon avis aborder portaient sur la procédure antérieure à ces décisions ainsi que sur la situation juridique propre à la Norvège.

II.Les insuffisances qui ont marqué la période antérieure à décembre 2011

4. Selon la jurisprudence de la Cour, une décision de prise en charge doit être considérée comme une mesure temporaire et doit en principe concorder avec le but ultime d’unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant (paragraphes 207-208 de l’arrêt). En l’espèce, toutefois, la procédure interne a dès le départ ignoré ce but ultime. Le 21 novembre 2008, deux mois après la naissance de l’enfant et un mois après la délivrance de l’ordonnance de placement d’urgence, le bureau de l’enfance, de la jeunesse et des affaires familiales déclara que l’enfant avait besoin « d’adultes stables qui pouvaient bien s’occuper de lui » (paragraphe 30). Sept jours plus tard, la municipalité, dans sa demande d’une ordonnance de placement, supposa « que le placement en question s’inscrirait dans le long terme et que X grandirait probablement en famille d’accueil » et que les aptitudes maternelles de la première requérante seraient « limitées » (paragraphe 31).

5. Même à ce stade précoce, les autorités ne poursuivaient pas le but de réunir l’enfant et sa mère. Dans sa décision du 2 mars 2009, soit quatre mois et demi après la délivrance de l’ordonnance de placement d’urgence, le bureau envisageait que l’enfant grandirait dans sa famille d’accueil. Il souligna que cela signifiait « que les parents d’accueil de X deviendraient ses parents psychologiques et que le régime de visite devait être défini de manière à éviter de perturber le processus d’attachement [entre les parents d’accueil et l’enfant], qui était déjà bien avancé » (paragraphe 43). Le 22 avril 2010 – dix-huit mois après la délivrance de l’ordonnance de placement d’urgence – la majorité de la cour d’appel confirma que le but des visites n’était pas d’établir une relation en vue d’un retour de l’enfant auprès de sa mère biologique à terme (paragraphe 75).

6. Qui plus est, les autorités n’ont aucunement facilité l’instauration de bonnes relations entre la mère et son fils. Au contraire, les visites étaient extrêmement limitées – successivement six puis quatre visites de deux heures par an – et elles devaient avoir lieu sous surveillance et en présence de la mère d’accueil, parfois même chez la famille d’accueil. En pareilles circonstances, il est évident que ces rencontres n’ont pas permis d’instaurer une atmosphère positive ni de faciliter le moindre rapprochement entre la mère et l’enfant. L’argument des autorités selon lequel l’enfant réagirait moins vivement et la qualité des contacts s’améliorerait si les rencontres devenaient moins fréquentes (paragraphe 75) ne peut relever que du cynisme.

7. Les autorités internes n’ont jamais considéré le placement de l’enfant en famille d’accueil comme une mesure temporaire qui poursuivait le but ultime de réunir la mère et son enfant, et elles n’ont pas sérieusement entrepris de soutenir la première requérante dans l’optique d’améliorer ses capacités maternelles. À cet égard, elles ont méconnu la jurisprudence de la Cour ainsi que les obligations qui leur incombaient respectivement.

8. L’attitude des autorités concorde avec le droit interne, fixant un seuil très bas pour la décision de confier un enfant à l’autorité publique, mais un seuil extrêmement élevé pour celle de mettre un terme à cette prise en charge (voir, en particulier, l’article 4-21 de la loi sur la protection de l’enfance, mentionnée au paragraphe 122). Pour que l’ordonnance de placement soit révoquée, il faut que les parents démontrent qu’il est « très probable » qu’ils seront en mesure de s’occuper correctement de l’enfant. Pareille exigence est problématique à la lumière de la jurisprudence de la Cour et de l’obligation incombant à l’État de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible (paragraphe 208). Par ailleurs, la loi sur la protection de l’enfance semble consentir aux autorités un pouvoir discrétionnaire sans limite. De plus, même si dans un cas précis les parents parvenaient à remplir cette exigence, leurs tentatives seraient vaines si « l’enfant a[vait] développé avec les personnes partageant sa vie et avec son environnement un attachement tel (...) qu’un retrait (...) de son environnement pourrait entraîner pour [lui] de graves problèmes (voir, là encore, l’article 4-21 de la loi). En d’autres termes, le simple passage du temps rend des plus improbables la perspective d’une révocation de l’ordonnance de placement.

III.L’approche retenue par la majorité et mon opinion sur l’affaire

9. La majorité axe sa motivation sur l’analyse de la procédure de 2011-2012 qui a abouti à la déchéance de l’autorité parentale de la première requérante sur son fils et à l’autorisation de l’adoption de celui-ci. Plus précisément, la majorité centre son examen sur le contrôle effectué par le tribunal de district, qui a conduit à sa décision du 22 février 2012 (paragraphe 215). L’arrêt ne traite toutefois pas en tant que telles des défaillances relatives à la période comprise entre la délivrance de l’ordonnance de placement d’urgence en octobre 2008 et la décision rendue par le bureau d’aide sociale du comté en décembre 2011. Il les mentionne brièvement aux paragraphes 220 et 221, mais uniquement dans le but d’expliquer les insuffisances qui ont marqué la procédure devant le tribunal de district en 2012, notamment le fait que les rares rencontres qui avaient eu lieu entre les requérants n’ont fourni que peu d’éléments à partir desquels tirer des conclusions claires concernant les capacités parentales de la mère. Cet aspect, conjugué à l’absence de rapports d’expertise actualisés, a amené la majorité à conclure que le processus décisionnel ayant abouti à la décision du tribunal de district du 22 février 2012 était défaillant, et à y voir une violation procédurale de l’article 8 de la Convention.

10. J’estime qu’un constat de violation de l’article 8 ne se concilie pas facilement avec une approche aussi étroite et j’aurais préféré une appréciation plus large de l’affaire, qui permette de s’intéresser au « tableau d’ensemble ».

11. L’arrêt se contente d’examiner le processus décisionnel devant le tribunal de district, lequel a, le 22 février 2012, confirmé la décision du bureau d’aide sociale du comté de déchoir la première requérante de son autorité parentale et d’autoriser l’adoption. Cependant, s’il est vrai que le processus décisionnel devant le tribunal de district a pu présenter des insuffisances, il convient également de reconnaître qu’à ce stade – alors que l’enfant vivait déjà depuis trois ans et quatre mois chez ses parents d’accueil – la juridiction interne était dans une certaine mesure pieds et poings liés en raison des faits et procédures antérieurs, ainsi que sous l’effet du simple passage du temps. Elle se trouvait en quelque sorte devant un fait accompli. À ce moment-là, un exercice de mise en balance entre les intérêts de l’enfant et ceux de sa famille biologique aurait inévitablement conduit au maintien de l’enfant dans sa famille d’accueil. Comme les experts l’ont confirmé et comme le tribunal l’a admis, l’enfant avait développé à l’égard de ses parents d’accueil, de son frère d’accueil et de l’environnement de sa famille d’accueil en général un attachement tel que devoir les quitter aurait entraîné pour lui de graves problèmes, puisque c’était au sein de sa famille d’accueil qu’il avait principalement développé un sentiment de sécurité et d’appartenance, et qu’il voyait en ses parents d’accueil ses parents psychologiques (voir, en particulier, le paragraphe 106 de l’arrêt).

12. La Cour ne devrait pas ignorer la réalité de la vie et elle ne devrait pas opter pour une appréciation formaliste de la décision du tribunal de district du 22 février 2012 ni exagérer l’importance, en particulier, de l’absence de rapports d’expertise actualisés. On peut en effet sérieusement douter qu’un nouveau rapport sur les capacités de la mère eût pu à ce moment-là l’emporter sur l’intérêt supérieur de l’enfant à rester vivre chez ses parents d’accueil. Les principales défaillances, dont les autorités portent la responsabilité, ne se sont pas produites pendant la procédure conduite en 2011-2012, mais plutôt aux stades antérieurs.

13. L’arrêt ne se penche pas directement sur ces principales défaillances, faute de la compétence requise (paragraphe 147). Si, à strictement parler, il est vrai que la Cour n’est pas compétente pour examiner en tant que telle la compatibilité avec l’article 8 de la Convention des décisions qui étaient antérieures à l’arrêt de la cour d’appel du 22 avril 2010 ou qui ont été contrôlées par cet arrêt, cela n’exclut néanmoins pas la possibilité que ces défaillances antérieures soient examinées directement.

14. La majorité (renvoyant à Jovanovic c. Suède, no 10592/12, § 73, 22 octobre 2015, et à Mohamed Hasan c. Norvège, no 27496/15, § 121, 26 avril 2018) concède au paragraphe 148 que, dans son contrôle de la procédure relative aux décisions rendues en 2011-2012, la Cour était tenue de replacer cette procédure et ces décisions dans leur contexte, ce qui signifie forcément qu’elle a dû dans une certaine mesure s’intéresser aux procédures et décisions antérieures. Si j’accepte cette assertion en tant que telle, je suis en désaccord avec la conception étroite qu’a la majorité des « procédures connexes » de même qu’avec son interprétation restrictive de l’expression « une certaine mesure ».

15. L’arrêt cantonne son examen au processus décisionnel qui a entouré directement la décision rendue par le tribunal de district le 22 février 2012. À mon avis, la Cour aurait dû analyser l’intégralité du processus au cours duquel les différentes procédures se sont enchaînées pour aboutir en fin de compte à la décision litigieuse. Dans une affaire telle que la présente espèce en particulier, ce « processus » devrait s’envisager plus largement. Il englobe non seulement la procédure judiciaire définitive, mais également les procédures antérieures qui ont eu lieu devant les autorités administratives et qui étaient intrinsèquement liées à la procédure qui devait déboucher plus tard sur la décision litigieuse. Par conséquent, les « procédures connexes » devraient inclure tous les actes, omissions et décisions pertinents des autorités qui ont ouvert la voie aux décisions de justice définitives, ont formé la base factuelle et/ou juridique dont ces décisions ne peuvent être dissociées et en ont dans une large mesure prédéterminé l’issue.

16. À cet égard, la Cour a déclaré dans des affaires antérieures que la nécessité de l’ingérence devait être examinée à la lumière de l’ensemble de l’affaire (voir, par exemple, Paradiso et Campanelli c. Italie [GC], no 25358/12, § 179, 24 janvier 2017). La Cour ne saurait se contenter d’examiner isolément les décisions critiquées (Olsson c. Suède (no 1), 24 mars 1988, § 68, série A no 130). Les décisions relatives au retrait de l’autorité parentale de la première requérante et à l’autorisation de l’adoption doivent donc être replacées en contexte, ce qui signifie à mon avis qu’elles doivent être rattachées directement à la procédure antérieure ainsi qu’aux faits correspondants. Il me semble que l’expression « l’ensemble de l’affaire » devrait, du moins dans les circonstances de la présente espèce, être comprise dans ce sens large, c’est-à-dire comme ne se limitant pas à la procédure judiciaire définitive mais comme englobant au contraire tout le processus qui a entouré une affaire donnée ainsi que les conséquences effectives des décisions qui ont été prises durant ce processus.

17. Cette approche trouve un appui dans la jurisprudence de la Cour. Examinons donc dans quelle mesure, dans d’autres affaires, la Cour s’est intéressée aux « procédures connexes ».

18. Dans l’affaire Gnahoré c. France (no 40031/98, CEDH 2000‑IX), la requête a été introduite en 1997 et concernait entre autres le grief d’un père se plaignant du rejet, qui avait été décidé en 1996, de sa demande de révocation d’une ordonnance de placement. Or, l’examen de la Cour ne s’est pas limité à cette procédure mais a aussi explicitement englobé l’ordonnance de placement initiale datant de 1992, les mesures ultérieures ainsi que plusieurs reconductions de l’ordonnance de placement (ibidem, §§ 56-58).

19. Dans l’affaire K. et T. c. Finlande ([GC], no 25702/94, CEDH 2001‑VII), deux enfants ont fait l’objet d’une prise en charge d’urgence en juin 1993 puis, un mois plus tard, d’une prise en charge « ordinaire » par l’autorité publique. Si ces dernières décisions ont été confirmées par la justice, aucun recours n’a en revanche été introduit contre les premières. La Cour a admis que les décisions de prise en charge d’urgence avaient été entérinées lorsqu’elles avaient été muées en décisions de prise en charge ordinaire, ce qui avait dispensé les requérants de former un recours séparé (ibidem, § 145). Elle a donc examiné aussi les décisions de placement d’urgence, même si elle avait été saisie de la requête plus d’un an après la délivrance de ces décisions, et même si elle a estimé qu’il existait des différences de fond et de procédure entre ces deux procédures et si les décisions y afférentes étaient de nature différente.

20. Dans l’affaire Zhou c. Italie (no 33773/11, 21 janvier 2014), la requérante se plaignait de l’adoption de son enfant, qui avait été décidée par la justice en 2010. La Cour a toutefois considéré que le point décisif en l’espèce consistait à savoir si, avant de supprimer le lien de filiation maternelle, les autorités nationales avaient pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant pût mener une vie familiale normale au sein de sa propre famille (ibidem, § 49). Elle a donc examiné toutes les décisions qu’avaient précédemment prises les autorités concernant le placement de l’enfant en famille d’accueil et le droit de visite de la mère.

21. Dans l’affaire Jovanovic (précitée), la Cour a commencé par déclarer irrecevables les griefs portant sur la décision de confier l’enfant à l’autorité publique. Cependant, dans son appréciation des griefs relatifs à la décision ultérieure de ne pas mettre fin à la prise en charge, la Cour a néanmoins examiné en détail la procédure qui avait abouti à la première ordonnance de placement et a conclu que la décision des autorités nationales de placer l’enfant d’office était « clairement justifiée » (ibidem, § 78). Ainsi, la Cour ne s’est pas bornée à resituer ces dernières décisions dans le simple contexte de la procédure précédente mais elle a pris une position explicite concernant la justification des décisions antérieures, alors même qu’elle avait déclaré irrecevables les griefs correspondants.

22. Enfin, récemment, dans l’affaire Mohamed Hasan (précitée), la Cour a tout d’abord limité son examen à la procédure portant sur la déchéance de l’autorité parentale et l’adoption, déclarant que la procédure antérieure relative au placement n’était pertinente que pour autant que la Cour devait l’analyser pour les besoins de son examen de la procédure ultérieure. Cependant, dans une sorte d’obiter dictum, la Cour a déclaré qu’il n’existait aucune raison de supposer que les questions procédurales soulevées par la procédure de placement antérieure aient eu des conséquences telles sur la procédure d’adoption ultérieure « ou [sur] l’affaire dans son ensemble, que la Cour dût les examiner plus avant lors de son appréciation des griefs formulés par la requérante contre la déchéance de l’autorité parentale et l’adoption » (ibidem, § 151).

23. Le critère susmentionné est en revanche respecté dans la présente espèce. La procédure de placement antérieure qui a été menée de 2008 à 2011 a effectivement eu des conséquences déterminantes sur les décisions qui ont été prises lors de la procédure ultérieure de 2011-2012, et la Cour devait donc les examiner plus avant au moment de son appréciation des griefs formulés par les requérants contre la déchéance de l’autorité parentale et l’adoption.

24. En pareille situation, la Cour est tenue de rechercher minutieusement, comme indiqué entre autres dans l’affaire Zhou susmentionnée, si les autorités internes, avant de supprimer le lien de filiation entre le parent et l’enfant, ont pris toutes les mesures nécessaires et adéquates que l’on pouvait raisonnablement exiger d’elles pour que l’enfant pût mener une vie familiale normale au sein de sa propre famille. Ce faisant, elle doit tenir compte de toutes les procédures antérieures qui étaient intrinsèquement liées à cette décision finale, que ces décisions antérieures aient été officiellement prises dans le même cadre formel de la procédure d’adoption ou au contraire lors d’une procédure distincte qui aurait précédé celle-ci.

25. Comme indiqué ci-dessus, en l’espèce, les autorités ont dès le départ omis de poursuivre l’objectif de réunir l’enfant et sa mère, et elles ont au contraire immédiatement envisagé que l’enfant grandirait au sein de sa famille d’accueil. Cette hypothèse sous-jacente se retrouve comme un fil rouge à tous les stades de la procédure à partir de la délivrance de l’ordonnance de placement d’urgence. La décision prise par le tribunal de district le 22 février 2012 – alors que l’enfant vivait déjà depuis trois ans et quatre mois chez ses parents d’accueil – semble simplement avoir été la conséquence « automatique » et « inéluctable » de tous les faits et décisions antérieurs. En d’autres termes, les défaillances qui se sont produites à partir d’octobre 2008 ont conduit à conclure de facto en 2011-2012 que la relation entre les requérants était rompue.

26. Cet aspect forme également un élément essentiel de l’opinion dissidente jointe à l’arrêt de la chambre. La minorité y soulignait que les décisions de placer l’enfant avaient « inexorablement conduit à celles qui [avaient] abouti à l’adoption, qu’elles [étaient] à l’origine du passage du temps qui [était] si préjudiciable à la réunification d’une cellule familiale, qu’elles [avaient] influencé l’appréciation au fil du temps de l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elles [avaient] placé la première requérante dans une position qui se trouvait inévitablement en conflit avec celle des autorités qui avaient ordonné puis prolongé le placement ainsi qu’avec celle des parents d’accueil, lesquels avaient eux intérêt à favoriser leur relation avec l’enfant dans l’optique de finir par l’adopter ». Si elle ne remettait pas en question les décisions prises par les autorités internes concernant le placement, la minorité disait qu’il n’était « pas possible d’ignorer l’enchaînement des événements qui [avaient] précédé l’adoption et y [avaient] conduit » (paragraphe 18 de l’opinion séparée). Je souscris pleinement à ces considérations.

27. Qui plus est, il y a lieu de souligner qu’apprécier le « processus » qui a été mené au niveau national ainsi que les motifs qui ont été avancés par les autorités internes ne veut pas dire s’attacher exclusivement aux actes de procédure, comme l’a fait la majorité de la chambre et aussi, dans une certaine mesure, celle de la Grande Chambre. Les exigences procédurales ne poursuivent pas de but en elles-mêmes mais se conçoivent plutôt comme un moyen de protéger un individu contre tout acte arbitraire des autorités publiques. Il s’agit donc de regarder ce qu’il y a derrière les formalités d’une procédure et au-delà. De même, il convient d’examiner la conduite et les objectifs des autorités. L’examen de la procédure ne saurait se résumer en tout et pour tout à une appréciation de la forme prise par les décisions finales. Si au niveau national, comme en l’espèce, les autorités se sont d’emblée contentées de se livrer à une appréciation « formaliste », sans chercher à prendre en compte, sur un plan concret et matériel, tous les intérêts en jeu et sans mettre ces intérêts en balance à la lumière de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 8 de la Convention, la procédure considérée « dans son ensemble », avec les actes et les décisions antérieurs pertinents, n’a pas été conduite de manière satisfaisante et ne s’est pas accompagnée de garanties proportionnées à la gravité des ingérences et des intérêts en jeu.

IV.Conclusion

28. J’aurais beaucoup hésité à voter en faveur d’un constat de violation de l’article 8 de la Convention si j’avais été contraint de suivre l’approche retenue par la majorité et de cantonner mon examen formel à la procédure de contrôle qui a conduit à la décision rendue par le tribunal de district le 22 février 2012, à un moment où l’enfant vivait déjà avec ses parents d’accueil depuis trois ans et quatre mois. Cependant, en adoptant un angle plus large pour examiner l’affaire telle qu’elle a été portée devant la Cour et en m’intéressant aux « véritables » questions liées aux procédures qui ont précédé ladite décision, et qui constituaient la véritable source du problème, je n’ai eu aucun mal à me rallier à la majorité au sujet de l’issue de cette requête et à conclure à une violation de l’article 8 dans le chef des deux requérants.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE KŪRIS

(Traduction)

1. Je me suis rallié, avec d’autres collègues, à l’opinion concordante du juge Ranzoni. Je ne formulerai ici que quelques observations supplémentaires.

2. Nombreux sont ceux qui relèvent que la jurisprudence en général (pas uniquement celle de la Cour de Strasbourg) prend un tour de plus en plus « analytique » au sens disruptif du terme, dans la mesure où les faits dont se plaignent les justiciables et, par conséquent, l’application du droit à ces faits, ont tendance à être fractionnés en petits sous-ensembles qui sont ensuite traités séparément. Dans une affaire de Grande Chambre récente (portant sur un objet différent), deux collègues et moi-même avons exprimé notre désaccord avec la décision prise par la majorité de diviser, de manière artificielle et très formaliste, la période considérée en deux parties et de ne faire porter son examen que sur la seconde, en la traitant comme une période distincte, alors que tout ce qui avait pu se passer pendant cette seconde « période » trouvait son origine dans la période précédente (je renvoie à l’opinion séparée, cosignée par les juges Yudkivska et Vehabović et par moi-même, qui est jointe à l’arrêt Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, 20 mars 2018). Dans la présente espèce, un problème structurel similaire a été créé.

3. Quel que soit l’angle sous lequel nous la regardions, la réalité forme un tout. C’est un fait, et une question de principe. Si le présent arrêt admet que « lorsqu’elle examinera la procédure relative à la décision prise par le bureau d’aide sociale du comté le 8 décembre 2011 et aux décisions statuant sur les recours formés contre celle-ci, et notamment le jugement prononcé par le tribunal de district le 22 février 2012, la Cour devra replacer cette procédure et ces décisions dans leur contexte, ce qui la conduira inévitablement à s’intéresser dans une certaine mesure aux procédures et décisions antérieures » (paragraphe 148, italiques ajoutés), il est difficile de dire à quoi correspond cette « mesure » et ce que l’on entend par « s’intéresser ».

Les juridictions ne doivent pas laisser d’ambiguïté dans leurs jugements ou arrêts. Ici, on a introduit une ambigüité délibérément.

4. Je présume que cette ambigüité a quelque chose à voir avec la formule qui est répétée et employée dans tant d’affaires, selon laquelle « le contenu et l’objet de l’« affaire » renvoyée devant la Grande Chambre sont délimités par la décision de la chambre sur la recevabilité » (paragraphe 144 du présent arrêt). Si, bien souvent, il n’y a pas de problème de coïncidence de vues entre la chambre et la Grande Chambre sur l’objet – temporel ou matériel – d’une affaire, tel n’est pas toujours le cas (sur ce point, je renvoie à mon opinion séparée jointe à l’arrêt Paroisse gréco-catholique Lupeni et autres c. Roumanie [GC], no 76943/11, 29 novembre 2016). Cet « élagage » du grief des requérants est excessivement mécanique. Il est opéré sans que la Grande Chambre se soit elle-même penchée sur la question. Qui plus est, l’arrêt de la chambre qui conclut à l’irrecevabilité d’une partie du grief d’un requérant ne devient jamais définitif. Ainsi, aucune base légale ne voit en réalité jamais le jour pour cet « élagage ».

Bien que la volonté de la Cour de « s’intéresser [dans une mesure non précisée] aux procédures et décisions antérieures » (lesquelles, du moins formellement, ne sont pas examinées sous l’angle de leur conformité avec l’article 8 de la Convention) permette de s’affranchir des limites rigides imposées à la Grande Chambre par la chambre (par le biais de son arrêt qui ne deviendra jamais définitif), ne serait-il pas rationnel et juste, à un moment donné, de rechercher si ces limites elles-mêmes sont justifiées ? En effet, tant que cette question ne sera pas correctement posée et examinée, la Grande Chambre se trouvera constamment obligée d’inventer des formules astucieuses pour contourner l’obstacle qu’elle a elle-même érigé. Ce qui est en jeu en pareil cas, c’est l’exhaustivité de l’examen de l’affaire effectué par la Cour.

Peut-être doit-on à une heureuse coïncidence qu’en l’espèce une issue acceptable (un constat de violation de l’article 8) ait été trouvée, alors même qu’un processus qui aurait dû être examiné comme un tout a été scindé en deux parties, l’une ayant fait l’objet d’une analyse formelle tandis que l’autre ne suscitait qu’un simple « intérêt ».

5. Si le processus en question avait été examiné comme formant un tout (c’est-à-dire si l’on ne s’était pas contenté de « s’intéresser » à la période initiale), il serait apparu avec encore plus d’évidence que le problème fondamental en l’espèce ne résidait pas seulement et pas tellement dans les circonstances concrètes de l’affaire de la requérante, mais plutôt, pour adopter une formulation très modérée, dans certaines spécificités de la politique norvégienne qui a sous-tendu les décisions litigieuses ainsi que le processus dans son ensemble.

On peut difficilement voir une coïncidence dans le fait que tant de tierces parties sont intervenues dans l’affaire. Parmi elles figurent des États dont les autorités ont eu à gérer les conséquences pour leurs ressortissants mineurs de décisions prises par le Barnevernet (service de protection de l’enfance) norvégien.

Sapienti sat.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES KJØLBRO, POLÁČKOVÁ, KOSKELO ET NORDÉN RELATIVE AU FOND DE L’AFFAIRE

(Traduction)

1. Nous regrettons de ne pas pouvoir nous joindre à la majorité lorsqu’elle conclut à la violation de l’article 8 en l’espèce.

2. Nos positions respectives divergent au sujet de la recevabilité de la requête pour autant qu’elle porte sur le droit de la première requérante de présenter le grief au nom du second requérant. En ce qui concerne le fond de l’affaire telle que déclarée recevable par la majorité, en revanche, nous partageons le même point de vue.

3. Pour l’essentiel, nous nous retrouvons dans la position prise par la majorité dans l’arrêt de la chambre, lequel est selon nous soigneusement réfléchi et bien motivé, et aussi en accord avec ce que doit être le rôle de cette Cour (paragraphes 111-130 de l’arrêt de la chambre).

4. Dans les paragraphes qui suivent, nous souhaiterions toutefois livrer quelques réflexions supplémentaires sur l’objet de la présente espèce et l’approche adoptée par la majorité.

Quelques observations sur les principes généraux de la Cour

5. Nous notons tout d’abord que la présente espèce soulève des questions auxquelles la Cour consacre depuis longtemps des principes généraux dans sa jurisprudence. L’histoire de ces principes est en partie influencée par l’évolution de l’environnement sociétal et juridique qui éclaire l’approche retenue par la Cour concernant les droits des personnes en tant qu’individus, membres d’une famille et enfants. La complexité de ces problématiques, la dynamique des développements factuels et juridiques sous-jacents ainsi que la diversité des valeurs et des circonstances contextuelles qui prévalent en la matière sont autant d’éléments qui ont contribué à créer une situation dans laquelle, aujourd’hui, les principes généraux tels qu’ils sont énoncés par la Cour sont émaillés non seulement de quelques ambiguïtés inévitables mais aussi de tiraillements indéniables et de véritables contradictions, tant « en interne » qu’avec les instruments juridiques spécialisés pertinents, en particulier la Convention internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE).

6. Ces tiraillements et contradictions portent notamment sur la question de savoir comment concilier le caractère « sacré » de la famille biologique et l’intérêt supérieur de l’enfant, tel qu’inscrit dans la CIDE comme dans bon nombre de dispositions constitutionnelles adoptées ultérieurement au niveau national, ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Nul doute en effet que l’on ne peut, pour justifier le retrait d’un enfant à ses parents naturels, arguer que pareille mesure permettrait à l’enfant d’être placé dans un environnement plus bénéfique à son éducation. Il est un principe indiscutable : la soustraction d’un enfant aux soins de son ou de ses parents naturels obéit à un critère de nécessité évalué à l’aune de l’intérêt supérieur de l’enfant et elle ne doit s’envisager qu’en ultime recours. Il est tout aussi indiscutable que les autorités internes doivent disposer d’une ample marge d’appréciation lorsqu’il s’agit de déterminer si l’intérêt supérieur de l’enfant dicte de confier celui-ci à l’autorité publique. À cet égard, les difficultés et les tiraillements apparaissent principalement lorsque des mesures de long terme sont envisagées.

7. Dans les principes généraux tels qu’énoncés dans l’arrêt de la chambre, il est rappelé à titre de principe directeur que la décision de prise en charge doit être considérée comme une mesure temporaire, à suspendre dès que les circonstances s’y prêtent, et que tout acte d’exécution doit concorder avec un but ultime : unir à nouveau le parent par le sang et l’enfant. L’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 105 de l’arrêt de la chambre). De même, selon le présent arrêt, « la recherche de l’unité familiale et celle de la réunion de la famille (...) constituent des considérations inhérentes au droit au respect de la vie familiale garanti par l’article 8 », et « toute autorité publique qui ordonnerait une prise en charge ayant pour effet de restreindre la vie de famille est tenue par l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible » (paragraphe 205).

8. La manière dont l’arrêt de la chambre formule cette position illustre bien ce dilemme. Dans cette approche, la réunion du ou des parents naturels avec l’enfant constitue le but « intrinsèque » et « ultime » et le « principe » directeur à suivre. Ce principe directeur est soumis à la condition que le « but ultime » (réunir la famille biologique) soit mis « en balance » avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant. Cela donne l’impression que le « but ultime » de réunir la famille biologique peut supplanter l’intérêt supérieur de l’enfant. Avec la CIDE ainsi qu’avec les autres dispositions comparables, notamment constitutionnelles, désormais présentes dans bon nombre d’ordres juridiques internes, cette position a toutefois évolué et l’intérêt supérieur de l’enfant est maintenant reconnu comme une considération principale, ou primordiale, fondée sur le besoin de protection particulier qu’ont les enfants en tant qu’êtres humains dépendants et vulnérables. Cela implique que l’intérêt supérieur de l’enfant peut, lorsque les circonstances l’exigent, l’emporter sur le but de réunir l’enfant et son ou ses parents biologiques.

9. Ces deux approches trouvent à n’en pas douter leur origine dans l’histoire et le contexte propres à chacun de ces instruments juridiques. La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) est ancrée dans la protection et la mise en balance des droits de toute personne relevant de la juridiction d’un État, y compris celles qui forment une famille, tandis que la CIDE vise à renforcer et à protéger les enfants en tant que titulaires de droits individuels distincts. Il faut se garder d’exagérer ou au contraire d’ignorer les tiraillements susmentionnés entre ces instruments. Dans tous les cas, il convient de s’efforcer de concilier les droits de chacun des individus concernés. Les possibilités existantes en la matière se heurtent toutefois fatalement à des limites, et il faut parfois en fin de compte décider quelle considération privilégier. Dans ce sens, le choix sera différent selon que le précepte déterminant est que la réunion de la famille biologique peut l’emporter sur l’intérêt supérieur de l’enfant ou au contraire que l’intérêt supérieur de l’enfant peut être prioritaire, même si cela suppose de renoncer au but de réunir l’enfant et son ou ses parents biologiques.

10. Indéniablement, ce point de principe demeure une pierre d’achoppement pour la Cour. Celle-ci a par conséquent du mal à formuler des principes généraux présentant toute la clarté et la cohérence voulues.

11. Les tiraillements susmentionnés se manifestent aussi d’une autre manière. D’un côté, la Cour est, à juste titre, soucieuse de l’impact que peut avoir le passage du temps sur les perspectives de réunion de la famille. Ainsi, elle dit que l’obligation positive de prendre des mesures afin de faciliter la réunion de la famille dès que cela sera vraiment possible s’impose aux autorités compétentes dès le début de la période de prise en charge et avec de plus en plus de force, mais doit toujours être mise en balance avec le devoir de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 209 du présent arrêt). D’un autre côté, la Cour admet également que le passage du temps peut jouer contre pareille réunification. Elle dit ainsi que lorsqu’un laps de temps considérable s’est écoulé depuis que l’enfant a été placé pour la première fois sous assistance, l’intérêt qu’a l’enfant à ne pas voir sa situation familiale de facto changer de nouveau peut l’emporter sur l’intérêt des parents à la réunion de leur famille (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 155, CEDH 2001‑VII). Dans ce contexte, la Cour énonce donc clairement que l’intérêt supérieur de l’enfant peut finir par l’emporter sur le « but ultime » de la réunification.

12. Les tiraillements susmentionnés se manifestent également lorsque la Cour dit que « en principe, l’intérêt de l’enfant dicte de préserver les liens familiaux, sauf lorsque des raisons impérieuses justifient de briser ceux-ci » (paragraphe 157 du présent arrêt). Or, surtout lorsque la situation impose de confier un nouveau-né à l’autorité publique et de le maintenir en famille d’accueil pendant une longue période, il arrive que la vie familiale et les liens familiaux que connaît l’enfant de facto soient presque exclusivement ceux que lui offre sa famille d’accueil plutôt que son ou ses parents biologiques. Dans ce sens également, la question ultime peut être celle de savoir quelle perspective, entre celle de l’enfant et celle des parents biologiques, et (par conséquent) quelle vie de famille, doit être privilégiée.

13. Ces tiraillements au niveau des principes généraux constituent forcément une source de réelles difficultés pour les autorités internes dans plusieurs États contractants, à commencer par ceux dont la Constitution fait de l’intérêt supérieur de l’enfant une considération centrale.

L’approche retenue par la majorité

14. En l’espèce, la position choisie par la majorité est présentée comme étant soucieuse du processus décisionnel au niveau interne. Le paragraphe clé (paragraphe 220) révèle toutefois que le problème sous-jacent tel que le perçoit effectivement la majorité est un problème de fond, à savoir le fait que les autorités internes « se sont concentrées sur les intérêts de l’enfant » et « n’ont pas sérieusement envisagé » la possibilité d’une réunion de l’enfant avec sa famille biologique. Ce passage clé illustre et met en évidence les tiraillements évoqués ci-dessus, tout en traduisant le point de vue adopté par la majorité actuelle sur la question des principes.

15. Nous estimons qu’il est problématique que la Cour procède ainsi, substituant en réalité ses propres préférences à l’appréciation effectuée par les autorités internes, alors même que ces dernières se sont livrées à un examen minutieux de l’affaire dans le cadre de procédures qui ont été menées par des juridictions composées à la fois de magistrats et d’experts du domaine et qui se sont fondées sur d’abondants éléments de preuve. Le fait que la Cour soit extrêmement mal placée pour endosser un rôle de « quatrième instance » dans ce type de situation ne constitue pas le seul aspect problématique. Un problème plus profond tient à ce qu’en donnant la priorité à ses propres préférences concernant les modalités de prise en considération et de mise en balance des intérêts conflictuels en jeu, la Cour réduit concrètement la marge d’appréciation qu’il importe de préserver, surtout dans les cas où les autorités internes doivent prendre en compte des droits et des intérêts individuels qui pourraient bien se révéler contradictoires et où les avis peuvent diverger sur la manière de concilier au mieux, étant donné les circonstances, les valeurs et les principes pertinents ainsi que des considérations antagonistes. Ce constat vaut d’autant plus dans des circonstances telles que celles de la présente affaire, où les autorités internes sont tenues par des obligations positives à l’égard d’un enfant vulnérable.

16. En l’espèce, il apparaît clairement que la manière dont la majorité a décelé des « insuffisances procédurales » découle en réalité du point de vue adopté sur le fond, qui conduit à reprocher aux autorités internes de s’être « concentrées sur les intérêts de l’enfant » au lieu de privilégier son retour au sein de sa famille biologique. La majorité se considère ainsi en mesure de conclure que « l’absence d’une expertise récente a considérablement restreint l’appréciation factuelle » (paragraphe 223 du présent arrêt) et que les éléments susceptibles d’être tirés des rencontres mère-enfant présentaient un caractère « limité » (paragraphe 225).

17. Qui plus est, la majorité remet même en question les conclusions des juridictions internes concernant la vulnérabilité (particulière) de X (l’enfant). Sur ce point, nous renvoyons au paragraphe 224 de l’arrêt, où la majorité laisse percevoir ses doutes sur la manière dont « ladite vulnérabilité avait pu perdurer alors que X vivait en famille d’accueil depuis l’âge de trois semaines », passage qui doit être comparé avec la conclusion formulée à cet égard par le bureau d’aide sociale du comté reproduite au paragraphe 90, qui mentionne les « négligences graves, de nature à mettre sa vie en péril » dont l’enfant a fait l’objet durant « les trois premières semaines de son existence ». Sur ce plan, nos réserves dépassent le problème du fonctionnement de la Cour en mode de « quatrième instance ». On ne peut exiger des membres de la Cour qu’ils soient familiarisés avec la psychologie de l’enfant en général ou avec les travaux de recherche consacrés aux effets à long terme des négligences subies par les nourrissons en particulier. De surcroît, nous estimons qu’il est très problématique que la Cour remette en question les conclusions sur la vulnérabilité particulière de l’enfant que les autorités internes, fortes d’une expertise professionnelle qui fait manifestement défaut à cette Cour, ont rendues après avoir recueilli les preuves y afférentes. D’autant plus que la majorité n’a pas soulevé cette question au cours de la procédure devant la Cour, et qu’elle n’a donc pas offert aux parties la possibilité de faire la lumière sur la « nature de la vulnérabilité » de X (l’enfant), que la Cour est apparemment incapable de cerner et à laquelle elle ne croit guère. La Cour devrait veiller à ce que les questions qui sont considérées comme particulièrement importantes fassent l’objet d’un débat contradictoire.

18. En résumé, en l’espèce, force est de conclure que la majorité n’apprécie guère l’issue que l’affaire a trouvée au niveau interne et qu’elle cherche à répondre aux objections ou aux réserves sur le fond en prétextant des insuffisances procédurales. Or, les jugements de valeur et les préférences sous-jacents méritent d’être exposés avec davantage de transparence.

Notre position

19. Premièrement, en nous cantonnant ici au contexte spécifique des décisions litigieuses (refus de révoquer l’ordonnance de placement, déchéance des droits parentaux, autorisation d’adopter l’enfant donnée aux parents d’accueil), nous souscrivons à la jurisprudence de la Cour selon laquelle des mesures qui privent totalement un parent de sa vie familiale avec son enfant et qui renoncent ainsi au but de réunir la famille ne devraient « être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et ne peuvent se justifier que si elles s’inspirent d’une exigence primordiale touchant à l’intérêt supérieur de l’enfant » (voir, par exemple Jansen c. Norvège, no 2822/16, § 93, 6 septembre 2018, et Aune c. Norvège, no 52502/07, § 66, 28 octobre 2010).

20. À notre avis, il n’existe aucune base qui permette à la Cour de conclure que les décisions litigieuses n’étaient pas conformes aux exigences susmentionnées ou de dire que le processus décisionnel interne était entaché d’insuffisances significatives.

21. Bien que la Cour ne se penche que sur la série de décisions la plus récente, datant de 2012, il ne faut pas oublier que l’affaire est bien plus ancienne et qu’elle a commencé avec les mesures de soutien mises en place avant même la naissance de X (l’enfant), lesquelles ont été suivies de mesures d’assistance intensives après la naissance, destinées à enseigner à la mère comment assumer la responsabilité du bébé et s’occuper de lui. Il ne faut pas non plus oublier que la prise en charge a été décidée parce que l’assistance ainsi fournie, quoiqu’intensive, n’a pas donné les résultats escomptés. En effet, des faits extrêmement graves se sont produits, qui ont justifié l’adoption des mesures de prise en charge au nom de la protection de la vie et de la santé de l’enfant. L’exposé des faits dans le présent arrêt permet largement de se faire une idée de la difficulté de la tâche qui a été celle des autorités internes. En particulier, il y a lieu de noter que bien que la première requérante n’ait pas contesté la confirmation de l’ordonnance de placement par la cour d’appel en 2010, il apparaît qu’elle n’a pas compris pourquoi les mesures imposées avaient été jugées nécessaires et qu’elle a continué de percevoir l’action des autorités comme une « conspiration » dirigée contre elle (paragraphes 77, 90 et 101 du présent arrêt). Il apparaît également que ces difficultés ont rejailli sur les rencontres mère-enfant, l’hostilité de la première requérante à l’égard des services de protection de l’enfance et de la mère d’accueil tendant à prendre le pas sur l’attention portée à son enfant (paragraphes 90 et 101-103).

22. En ce qui concerne en particulier l’absence de demande d’une nouvelle expertise au sujet des récentes améliorations présumées de la situation de la mère et de ses aptitudes parentales (paragraphe 223 du présent arrêt), nous ne considérons pas que les circonstances de la cause justifiaient de s’écarter de l’approche habituelle, qui veut que ce soient les juridictions nationales qui apprécient les éléments rassemblés par elles, y compris les moyens d’établir les faits pertinents (voir, en particulier, Sommerfeld c. Allemagne [GC], no 31871/96, § 71, CEDH 2003‑VIII (extraits)). Nous estimons qu’il est plutôt aberrant de reprocher, à l’instar de la majorité, au tribunal de district de ne pas avoir commandité une nouvelle expertise. Le tribunal de district était informé de l’évolution favorable de la situation de la mère et il n’était pas contesté qu’aux côtés de son époux et avec l’aide d’un travailleur social, celle-ci était capable d’élever sa fille. Cependant, étant donné l’absence frappante d’empathie et de compréhension de la part de la mère à l’égard de X, qui avait été constatée par le bureau d’aide sociale du comté et le tribunal de district, ainsi que les problèmes que l’enfant aurait selon eux rencontrés s’il avait dû être restitué à sa mère (paragraphes 90 et 101 du présent arrêt), conjugués au fort sentiment d’attachement social et psychologique que l’enfant avait développé envers ses parents d’accueil, nous ne pouvons nous rallier à la conclusion selon laquelle, dans les circonstances de la présente espèce, l’absence d’une nouvelle expertise peut être considérée comme une insuffisance significative du processus décisionnel interne.

23. Au vu des faits de la cause tels que consignés dans le présent arrêt, il est clair que les autorités internes se sont trouvées confrontées à de graves questions concernant l’enfant et son intérêt supérieur. La Cour aurait tort de sous-estimer la complexité et la difficulté engendrées par de telles circonstances. Dans ce contexte, il faut à notre avis se garder de reprocher aux autorités de s’être « concentrées sur les intérêts de l’enfant ». Nous ne sommes pas en mesure de percevoir une base suffisante qui permettrait à la Cour de conclure que, dans les circonstances particulières de la cause, les autorités se sont fourvoyées ou qu’elles se sont de manière injustifiée abstenues de chercher à réunir l’enfant et sa famille biologique (la mère). S’il est vrai que les mesures litigieuses ont reposé sur une appréciation de ce qui était nécessaire pour répondre à l’intérêt supérieur de l’enfant, nous pouvons admettre qu’en l’espèce, à la lumière des faits de la cause et de l’examen minutieux dont ils ont fait l’objet pendant la procédure interne, des circonstances exceptionnelles justifiaient les mesures lourdes qui ont été prises, pour des raisons qui tenaient à l’exigence primordiale de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant (paragraphe 19 ci-dessus).

OPINION DISSIDENTE COMMUNE À LA JUGE KOSKELO ET AU JUGE NORDÉN SUR LA QUESTION DU DROIT DE LA PREMIÈRE REQUÉRANTE DE REPRÉSENTER LE SECOND REQUÉRANT

(Traduction)

1. Dans le présent arrêt, nous avons voté contre le point 1 du dispositif, par lequel la majorité rejette l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement concernant la capacité de la première requérante (la mère) d’agir devant la Cour aussi au nom du second requérant (l’enfant). Nous considérons qu’il existe dans les circonstances de l’espèce entre les intérêts de la mère et ceux de l’enfant un conflit qui est d’une nature telle qu’il exclut que la mère représente son enfant dans la procédure devant la Cour. À cet égard, la présente affaire illustre des problématiques qui, à notre avis, appellent à modifier la pratique qui est celle de la Cour jusqu’ici.

Observations générales

2. Les enfants sont titulaires de droits en vertu de la Convention, mais l’application des garanties procédurales à leurs droits pose des difficultés particulières parce que, en tant que mineurs, ils sont incapables d’agir par eux-mêmes en qualité de requérants devant la Cour. La jurisprudence reconnaît que la situation des enfants au regard de l’article 34 appelle un examen attentif parce que les enfants dépendent généralement d’autres personnes pour soumettre leurs griefs et représenter leurs intérêts et qu’ils n’ont pas nécessairement l’âge ou la capacité requis pour autoriser que des démarches soient concrètement engagées en leur nom (A.K. et L. c. Croatie, no 37956/11, § 47, 8 janvier 2013, et P., C. et S. c. Royaume-Uni (déc.), no 56547/00, 11 décembre 2001). La Cour a conclu qu’il fallait éviter d’adopter une approche restrictive et purement technique dans ce domaine et qu’il y avait lieu de tenir compte, en particulier, des liens entre l’enfant concerné et ses « représentants », de l’objet et du but de la requête ainsi que de l’existence éventuelle d’intérêts conflictuels (S.P., D.P., A.T. c. Royaume-Uni, no 23715/94, décision de la Commission du 20 mai 1996, non publiée, Giusto, Bornacin et V. c. Italie (déc.), no 38972/06, CEDH 2007-V, et Moretti et Benedetti c. Italie, no 16318/07, § 32, 27 avril 2010). Ainsi, dans l’affaire N.Ts. et autres c. Géorgie, no 71776/12, §§ 55-59, 2 février 2016), par exemple, la Cour a considéré que la situation des mineurs justifiait de reconnaître la qualité pour agir (locus standi) d’une proche qui l’avait saisie uniquement au nom des mineurs en question et non en son propre nom.

3. Dans les situations de prise en charge par l’autorité publique, la Cour craint qu’il existe un risque que l’intérêt de l’enfant ne soit pas porté à son attention et que l’enfant soit privé d’une protection effective des droits qu’il tient de la Convention. En cas de différend entre un parent biologique et l’État au sujet des intérêts d’un mineur dans une affaire de privation du droit de garde, l’État, en qualité de titulaire du droit de garde, ne saurait être considéré comme le garant des droits conventionnels de l’enfant, ce qui justifie de reconnaître au parent naturel la qualité pour agir (locus standi) devant la Cour au nom de son enfant, alors même que ce parent n’est peut-être plus titulaire de droits parentaux en droit interne (Lambert et autres c. France [GC], no 46043/14, § 94, CEDH 2015 (extraits), Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 138, CEDH 2000‑VIII, et Sahin c. Allemagne (déc.), no 30943/96, 12 décembre 2000).

4. Si cette approche est compréhensible et justifiable à la lumière du souci essentiel d’assurer aux mineurs un accès à la Cour, elle n’en soulève pas moins des problèmes dans les situations dans lesquelles le parent biologique qui souhaite ester au nom de son enfant se trouve lui-même impliqué dans les faits de la cause d’une manière qui oppose ses intérêts à ceux de son enfant au lieu de les concilier.

5. Ce point nous amène au cœur du problème. La nécessité d’assurer une protection effective des droits des mineurs au regard de la Convention s’accompagne de deux exigences essentielles : en premier lieu, il doit être possible de saisir la Cour de griefs portant sur une violation alléguée de droits conventionnels dans le chef d’un enfant ; en second lieu, les intérêts de l’enfant doivent être correctement représentés dans la procédure qui est engagée en son nom. Il ne suffit pas de s’attacher au premier aspect pour protéger de manière effective les droits des enfants. Le second aspect prend toute son importance précisément lorsque les circonstances de la cause indiquent qu’il pourrait exister un conflit entre les intérêts de la personne qui agit au nom de l’enfant, que ce soit son parent biologique ou quelqu’un d’autre, et ceux de l’enfant lui-même.

6. Surtout dans les cas où les services de protection de l’enfance sont intervenus, il est d’autant plus nécessaire de distinguer la position du parent et celle de l’enfant que les perspectives de l’un et de l’autre peuvent diverger. Dans la perspective du parent, toute mesure, notamment si elle est imposée contre sa volonté, constitue une ingérence dans la vie de famille entre le parent et l’enfant, tandis que dans la perspective de l’enfant, ces mesures traduisent le respect des obligations positives que les autorités de l’État doivent honorer à son égard afin de protéger ses droits et intérêts vitaux, tout en entraînant une ingérence dans sa vie de famille existante. Du fait du contexte en lui-même et de sa complexité, il se peut que ces deux perspectives, celle du parent et celle de l’enfant, ne se rejoignent pas sur la question de la nécessité et de la justification des mesures litigieuses.

7. Il est d’autant plus important de veiller à ce que l’enfant soit dûment représenté dans la procédure devant la Cour lorsque, comme cela est souvent le cas, les questions à résoudre conduisent à rechercher si l’intérêt supérieur de l’enfant a bénéficié d’une protection adéquate au niveau interne. La notion d’intérêt supérieur de l’enfant est vaste, multidimensionnelle et complexe. Elle recouvre divers éléments qui, dans les circonstances propres à une affaire, peuvent se trouver dans une situation de tension ou de conflit les uns avec les autres. La perception de ce qui constitue l’intérêt supérieur de l’enfant dans des situations spécifiques peut dépendre de la perspective adoptée, surtout pour les personnes impliquées, et être déterminée par le propre intérêt de la personne concernée. Lorsqu’un conflit grave se déclare entre un parent biologique et les autorités publiques de protection de l’enfance au sujet de l’intérêt d’un enfant, la réalité est que ni ces autorités ni le parent dont les actes ou les omissions sont en cause ne peuvent être considérés comme étant détachés de ce conflit. Si l’on veut que les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant soient pris au sérieux, il faut que l’enfant soit représenté de manière indépendante par une personne qui ne soit pas partie au conflit sous-jacent et qui soit capable d’adopter la perspective de l’enfant dans l’affaire.

8. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée il y a déjà trois décennies et en vigueur depuis presque aussi longtemps, a établi que l’enfant est un sujet de droits individuels distincts. Comme l’indique son préambule, « l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée » (citant la Déclaration des droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1959). Par conséquent, la norme essentielle de l’intérêt supérieur de l’enfant renferme une importante composante procédurale, qui se trouve également énoncée dans l’Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale. Dans ce document, le comité des droits de l’enfant des Nations unies déclare, entre autres : « [l]’enfant a besoin d’une représentation juridique adéquate quand son intérêt supérieur doit être officiellement évalué et déterminé par un tribunal ou un organe équivalent. En particulier, l’enfant qui fait l’objet d’une procédure administrative ou judiciaire donnant lieu à une évaluation de son intérêt supérieur doit, outre un tuteur ou un représentant chargé d’exposer ses vues, se voir attribuer un conseil juridique s’il y a un risque de conflit entre les parties impliquées dans la décision. »

9. Devant cette Cour, la nécessité qu’un enfant soit représenté individuellement et de manière indépendante lorsqu’il existe un conflit entre son intérêt et celui du parent qui entend agir à la fois en son propre nom ainsi qu’en celui de l’enfant n’a pas reçu jusqu’ici l’attention qu’elle mérite. Il apparaît que l’affaire X, Y et Z c. Royaume-Uni (22 avril 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-II) est la première affaire traitée par la Cour dans laquelle, dans un contexte différent de celui de la présente espèce, il a été fait référence aux situations de conflit entre les intérêts des parents et ceux de l’enfant ; dans son opinion concordante, le juge Pettiti a ainsi observé que si des cas semblables devaient se présenter à l’avenir, « il serait sans doute opportun [pour la Commission] et la Cour de suggérer aux parties l’intervention d’un avocat spécialement chargé des seuls intérêts de l’enfant ». Cette suggestion est toutefois restée sans effet sur les pratiques de la Cour.

10. Il nous apparaît clairement que des changements sont nécessaires à cet égard, mais aussi que le cadre légal actuel qui régit la procédure devant la Cour ne permet pas de répondre à la nécessité de veiller à ce que les enfants bénéficient à la fois d’un accès à la procédure et d’une représentation appropriée et indépendante devant la Cour. À cet égard, il semble judicieux d’opérer une distinction entre la recevabilité d’une requête introduite au nom d’un enfant par un parent biologique (ou par une autre personne), d’une part, et le droit de représenter l’enfant aux fins de soumettre des observations relatives au bien-fondé des allégations de violation de droits garantis par la Convention dans le chef de cet enfant, d’autre part.

11. La Cour ainsi que les Parties contractantes devraient se saisir de cette question dans le but d’élaborer des solutions et des pratiques adéquates en tenant compte également de l’impératif de respecter les conditions énoncées à l’article 35 § 1 de la Convention (voir, à cet égard, la récente opinion concordante commune aux juges Koskelo, Eicke et Ilievski dans l’affaire A et B c. Croatie, no 7144/15, 20 juin 2019).

Notre appréciation en l’espèce

12. En venant au présent cas, la majorité « ne décèle pas en l’espèce d’intérêts conflictuels qui lui imposeraient de rejeter la requête pour autant qu’elle a été introduite par la [mère] au nom [de l’enfant] » (paragraphe 159 de l’arrêt). Nous ne pouvons pas être d’accord avec cette assertion, laquelle n’est de surcroît accompagnée ni d’une explication ni d’une motivation.

13. Au contraire, l’existence d’intérêts conflictuels est à notre avis patente à la lumière des faits de la cause. Lors de l’analyse de cette question spécifique – et nonobstant la position prise concernant la portée de l’examen mené par la Cour sur le fond (avec laquelle nous sommes d’accord), à savoir que cet examen doit se limiter à la procédure qui a abouti au jugement rendu par le tribunal de district le 22 février 2012, devenu définitif ultérieurement – il est également pertinent de tenir compte du contexte dans lequel furent prises les mesures adoptées par les services de protection de l’enfance à l’égard du second requérant. Les faits de la cause tels qu’établis par les juridictions internes montrent que pendant la grossesse de la première requérante, il avait été détecté que l’intéressée aurait besoin d’assistance et de soutien lorsque l’enfant serait né. Après la naissance, elle fut accueillie dans un établissement spécialisé afin d’y recevoir cette assistance et ce soutien, pour une durée prévisionnelle de trois mois. Dès les premiers jours, les responsables de l’établissement exprimèrent une inquiétude grandissante au sujet de la capacité de la mère à s’occuper du nouveau-né et à répondre à ses besoins élémentaires, notamment d’alimentation et d’hygiène. La situation était grave, le nourrisson perdant énormément de poids. Afin de le protéger, le personnel fut contraint d’introduire une surveillance 24 heures sur 24, et notamment de réveiller la mère pendant la nuit afin qu’elle nourrît son enfant (paragraphe 20 du présent arrêt). Cependant, moins de trois semaines après le début du séjour qui devait durer trois mois, la mère annonça son intention de quitter l’établissement avec son bébé, et c’est la raison pour laquelle la mesure de placement d’urgence initiale fut imposée à ce moment-là (ibidem).

14. Ainsi, les faits qui ont donné lieu à la présente affaire sont partis d’une situation dans laquelle l’assistance et le soutien donnés à la mère ont dû céder la place à des mesures de prise en charge d’urgence, le comportement de la mère et son intention de renoncer à cette assistance et à ce soutien ayant entraîné un risque réel de mauvais traitements potentiellement attentatoires à la vie du nouveau-né. Pourtant, les faits tels qu’ils ressortent du dossier de l’affaire révèlent également que la mère était incapable de comprendre, même au moment de la procédure litigieuse devant le tribunal de district, pourquoi ces mesures avaient été prises et n’était pas consciente de la négligence dont elle avait fait preuve à l’égard du nouveau-né (paragraphes 101 et 220 du présent arrêt). Elle avait au contraire l’impression que les mesures imposées reposaient sur des mensonges (comme en témoigne sa plainte formée devant le gouverneur du comté, paragraphe 77 de l’arrêt) et les qualifiait de conspiration ourdie contre elle (déclaration devant le bureau d’aide sociale du comté de 2011, paragraphe 90 de l’arrêt).

15. Si pareilles circonstances ne sont pas constitutives d’un conflit propre à exclure que la mère agisse devant la Cour pour représenter non seulement sa propre position mais aussi les intérêts de son enfant, il est difficile d’imaginer ce qui pourrait en être un. Les intérêts en jeu de part et d’autre ne sont pas similaires, mais au contraire fortement antagonistes. Ni le fait que le problème soulevé devant la Cour concerne une décision interne ayant eu pour effet de rompre les liens juridiques entre la mère et l’enfant, ni la jurisprudence de la Cour selon laquelle il est en principe dans l’intérêt de l’enfant que les liens familiaux soient préservés, ni même le fait que la procédure interne a été menée à une époque où la mère disposait de droits parentaux à l’égard de l’enfant (paragraphes 156-157) ne suffisent à l’emporter sur l’existence d’intérêts conflictuels qui découlent des faits spécifiques de la cause. À notre avis, on ne peut pas ignorer ce type de conflit lorsque l’on cherche à déterminer si le parent peut agir au nom de l’enfant tout au long de la procédure devant cette Cour.

Conclusion

16. Nous pensons que les faits révèlent l’existence d’un conflit entre des intérêts opposés qui est à la fois manifeste et grave. Dans ces conditions, la première requérante n’aurait pas dû être autorisée à représenter son enfant devant la Cour.

17. Il est grand temps que la Cour reconsidère son approche et ses pratiques sur la question de savoir s’il faut permettre à un parent biologique d’agir au nom de son enfant même lorsque les circonstances de la cause révèlent l’existence d’un conflit effectif ou potentiel entre les intérêts de l’un et de l’autre. Si la Cour, conformément à la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, entend véritablement faire sienne l’idée que les enfants sont des sujets de droits individuels distincts et qu’il est nécessaire de faire de leur intérêt supérieur une considération primordiale, il apparaît utile de modifier aussi les pratiques procédurales.


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