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18/12/2018 | CEDH | N°001-188371

CEDH | CEDH, AFFAIRE ARUTYUNOV c. RUSSIE, 2018, 001-188371


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ARUTYUNOV c. RUSSIE

(Requête no 5552/06)

ARRÊT

STRASBOURG

18 décembre 2018

DÉFINITIF

18/03/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Arutyunov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Polá

ková,
Jolien Schukking,
María Elósegui, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ARUTYUNOV c. RUSSIE

(Requête no 5552/06)

ARRÊT

STRASBOURG

18 décembre 2018

DÉFINITIF

18/03/2019

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Arutyunov c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Vincent A. De Gaetano, président,
Branko Lubarda,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Jolien Schukking,
María Elósegui, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 novembre 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 5552/06) dirigée contre la Fédération de Russie et un ressortissant de cet État, M. Oleg Amayakovich Arutyunov (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 décembre 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Mme Y.V. Yefremova, juriste à Moscou. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. M. Galperine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. Le requérant alléguait que le refus des autorités internes de rayer le numéro d’immatriculation de son véhicule du registre pertinent l’avait placé dans l’impossibilité de disposer de son bien, en violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

4. Le 30 octobre 2017, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1959 et réside à Chernogolovka (région de Moscou).

6. En 1998, le requérant acheta un véhicule d’occasion et le fit immatriculer auprès de l’inspection de la sécurité routière (« l’inspection »).

7. En septembre 2003, il conclut un contrat de vente de ce véhicule pour le prix de 30 000 roubles (RUB)[1] et il demanda à l’inspection de rayer du registre le numéro d’immatriculation de celui-ci (снять с учета по месту регистрации), formalité indispensable pour permettre à l’acheteur de faire immatriculer le véhicule à son nom. L’inspection rejeta sa demande aux motifs que le numéro figurant sur le moteur du véhicule apparaissait sur la liste des numéros de moteurs volés et que le marquage de ce numéro avait été apposé à un endroit inhabituel.

8. Une enquête préliminaire pour falsification ou destruction du numéro d’identification de véhicule fut ouverte. Les fonctionnaires du département de l’intérieur du district Tsentralny de Toula (« le département de l’intérieur ») saisirent le certificat d’immatriculation et ordonnèrent une expertise technique du moteur. Selon le rapport d’expertise, le marquage du numéro du moteur était authentique et n’avait pas subi de modifications.

9. Par trois décisions rendues respectivement le 19 janvier, le 20 mars et le 29 mai 2004, le chef du département de l’intérieur refusa d’ouvrir une enquête pénale en raison de l’absence de faits constitutifs d’une infraction. Néanmoins, l’inspection réitéra son refus de rayer du registre le numéro d’immatriculation du véhicule du requérant.

10. À une date non précisée dans le dossier, le requérant forma un recours contre cette décision de refus. Le 8 juillet 2005, le tribunal du district Tsentralny de Toula rejeta son recours. Le 10 novembre 2005, la cour régionale de Toula confirma ce jugement en appel. Les deux juridictions se référèrent à l’article 12 de l’ordonnance présidentielle relative à l’inspection de sécurité routière et à l’article 17 de la circulaire no 59 relative aux règles de l’immatriculation des véhicules terrestres (paragraphes 15, 19 et 21 ci-dessous), et considérèrent que le refus de l’inspection était légitime.

11. Le 22 décembre 2005, à la suite de plusieurs plaintes formulées par le requérant auprès de différentes autorités, le chef du département régional de l’Intérieur autorisa, à titre exceptionnel, les formalités d’immatriculation. Il expliqua que « selon (...) les vérifications menées par les fonctionnaires du département de l’intérieur (...), le moteur n’[avait] pas été volé, mais son numéro coïncid[ait] avec des numéros recherchés comme [appartenant à des moteurs] volés ».

12. En juin 2006, le requérant revendit sa voiture pour 6 000 RUB[2]. Lors de la vente, une mention fut insérée en marge du certificat d’immatriculation énonçant que le numéro de moteur du véhicule avait été inscrit par erreur sur la liste des numéros de moteurs volés.

13. Au cours de l’année 2007, le requérant assigna en justice l’inspection et le ministère des Finances en demandant la réparation du dommage qu’il aurait subi en raison du refus prolongé de rayer du registre le numéro d’immatriculation de son véhicule et de la rétention du certificat d’immatriculation. Le 31 juillet 2007, le juge de paix de Toula rejeta son action en se référant au jugement du 8 juillet 2005 (paragraphe 10 ci‑dessus). Il considéra qu’aucune faute ne pouvait être imputée aux fonctionnaires de l’inspection.

14. Le 16 octobre 2007, le tribunal du district Tsentralny confirma ce jugement en appel. Il considéra en particulier que, bien que le véhicule du requérant ait été immatriculé en 1998 et circulait librement jusqu’en 2003, l’inspection pouvait contrôler les véhicules et interdire leur mise en circulation à tout moment.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

15. Selon l’article 12 de l’ordonnance présidentielle no 711 du 15 juin 1998 relative à l’inspection de la sécurité routière, cette dernière a le droit de s’opposer à la circulation des véhicules dont les numéros d’identification ont été dissimulés, falsifiés ou modifiés. À cette fin, elle peut rejeter les demandes relatives aux formalités d’immatriculation.

16. Depuis 1996, l’immatriculation des véhicules terrestres a été régie par trois circulaires du ministère de l’Intérieur successives. Entre janvier 1996 et mars 2003 s’appliquait la circulaire no 624, entre mars 2003 et janvier 2009 la circulaire no 59 et, depuis janvier 2009, la circulaire no 1001.

17. Les formalités d’immatriculation d’un véhicule comprennent, entre autres, l’immatriculation, la radiation du registre du numéro d’immatriculation précédemment attribué audit véhicule (снятие с учета по месту регистрации). L’acquéreur du véhicule est tenu de faire immatriculer celui-ci dans un délai de cinq jours à compter de l’acquisition du véhicule ou de la radiation du registre du numéro d’immatriculation précédemment attribué audit véhicule. Depuis janvier 2009, ce délai est de dix jours.

18. Lors de l’examen de la demande d’immatriculation, l’inspection examine le véhicule et vérifie les caractéristiques indiquées dans le certificat d’immatriculation ainsi que dans d’autres documents qui lui sont présentés, et elle décide si le véhicule peut être mis en circulation.

19. L’inspection ne doit pas procéder aux formalités d’immatriculation si elle découvre des indices de dissimulation, de modification ou de destruction du marquage apposé par le constructeur sur les pièces du véhicule ou des plaques d’immatriculation, des indices de falsification des documents présentés, si elle remarque des différences entre les caractéristiques du véhicule et celles indiquées sur les documents fournis, ou encore si elle dispose d’informations selon lesquelles le véhicule ou ses pièces ont été volés (article 1.18 de la circulaire no 624, article 17 de la circulaire no 59, et article 3 de la circulaire no 1001). Les autres conséquences des cas précités diffèrent en fonction de la circulaire applicable.

20. Selon la circulaire no 624, l’inspection devait saisir les documents présentés et les plaques d’immatriculation et transmettre les informations aux services de police. En revanche, elle pouvait procéder aux formalités d’immatriculation sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale ou d’une décision de non-lieu à poursuivre (articles 1.18 et 1.18.1 de la circulaire).

21. Selon la circulaire no 59, l’inspection devait saisir les documents présentés et les plaques d’immatriculation et les transmettre aux services de police. Elle pouvait procéder aux formalités d’immatriculation uniquement à l’égard de véhicules dont les modifications du marquage avaient été causées par l’usure ou la corrosion, sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale et d’un rapport d’expertise technique expliquant ces modifications (article 17 de la circulaire).

22. La circulaire no 1001 augmente le nombre de cas où l’inspection peut, par exception, procéder aux formalités d’immatriculation sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale. Il s’agit désormais non seulement des cas des véhicules affectés par la corrosion ou l’usure mais aussi, par exemple, ceux des véhicules volés puis restitués à leurs propriétaires avec des modifications du marquage apposé sur les pièces, ou encore le cas des numéros d’identification de véhicules coïncidant avec des numéros d’identification de véhicules signalés comme volés. Dans ce dernier cas, à compter du 20 janvier 2011, l’inspection peut procéder aux formalités d’immatriculation sur présentation d’une décision de refus d’ouvrir une enquête pénale confirmant que les numéros d’identification des véhicules présentés ne sont en réalité pas ceux de véhicules signalés comme volés et que le marquage sur les pièces et les documents présentés est authentique.

23. Selon l’arrêté du Gouvernement du 23 octobre 1993 no 1090, le conducteur d’un véhicule terrestre à moteur doit posséder et présenter à la demande des policiers, entre autres, les documents justificatifs de l’immatriculation du véhicule (регистрационные документы).

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

24. Le requérant dénonce le refus des autorités internes de rayer du registre le numéro d’immatriculation du véhicule. Il estime que cette décision l’a mis dans l’impossibilité prolongée de vendre son bien, en violation, selon lui, de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Sur la recevabilité

25. La Cour doit préalablement déterminer si le requérant peut se prétendre victime d’une violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention compte tenu du fait que, en décembre 2005, les autorités lui ont permis de rayer le numéro d’immatriculation de son véhicule du registre.

26. La Cour rappelle qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006‑V). Elle note cependant que, en l’espèce, les autorités n’ont à aucun moment reconnu une violation de la Convention et qu’elles ont rejeté l’action en indemnisation introduite par le requérant. Aussi la Cour estime-t-elle que le fait pour les autorités d’avoir finalement autorisé le requérant, à titre d’exception, à faire rayer le numéro d’immatriculation de son véhicule du registre ne suffit pas pour lui retirer la qualité de victime (Sildedzis c. Pologne, no 45214/99, § 32, 24 mai 2005). Partant, le requérant peut toujours se prétendre victime de la violation alléguée.

27. Constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

28. Le Gouvernement considère que le refus de l’inspection de procéder aux formalités demandées par le requérant était conforme aux dispositions internes et qu’il était justifié. Il argue que les formalités d’immatriculation ne régissent que la mise en circulation routière des véhicules et ne peuvent pas être assimilées aux formalités d’enregistrement du droit de propriété sur les biens. Le Gouvernement avance aussi que l’acquisition du véhicule par le requérant n’obligeait pas l’inspection de procéder à l’immatriculation.

29. Le requérant indique que les autorités ont bien immatriculé son véhicule en 1998 sans avoir décelé d’irrégularités et que, jusqu’en 2003, il s’en servait sans que les autorités ne lui aient adressé le moindre reproche à cet égard. Il allègue que le numéro de moteur de sa voiture a été inscrit par erreur sur la liste des moteurs volés, et que, selon le rapport d’expertise de 2003, le numéro du moteur n’était ni falsifié ni modifié et qu’aucune enquête pénale n’avait été ouverte à cet égard. Aussi considère-t-il que l’ingérence des autorités dans son droit au respect des biens ne poursuivait aucun but légitime. Le requérant estime que le refus de l’inspection était arbitraire et qu’il lui a fait supporter une charge excessive incompatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

2. Appréciation de la Cour

30. La Cour constate qu’il ne prête pas à discussion entre les parties que le véhicule était le « bien» du requérant au sens de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention et que le refus des autorités de procéder aux formalités d’immatriculation a constitué une ingérence dans le droit du requérant au respect de son bien. Elle estime que cette mesure relève d’une réglementation de l’usage des biens, au sens du deuxième paragraphe de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (Yaroslavtsev c. Russie, no 42138/02, § 31, 2 décembre 2004).

31. La Cour rappelle que toute mesure d’ingérence dans les droits protégés par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention doit être opérée selon les voies légales, poursuivre un ou plusieurs buts légitimes et être proportionnée. En l’espèce, elle observe que le refus des autorités de procéder aux formalités d’immatriculation était fondé sur l’article 12 de l’ordonnance présidentielle et sur l’article 17 de la circulaire no 59 applicable à l’époque (paragraphes 15, 19 et 21 ci-dessus). Elle relève ainsi que la mesure en question était prévue par la loi, au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Elle note également que cette mesure poursuivait un but légitime de prévention des infractions pénales. Reste à déterminer si elle a été proportionnée, c’est-à-dire si elle a respecté un juste équilibre entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu.

32. La Cour rappelle que la vérification de l’existence d’un juste équilibre exige un examen global des différents intérêts en cause, ce qui peut appeler une analyse du comportement des parties, des moyens employés par l’État et leur mise en œuvre, en particulier l’obligation des autorités d’agir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (voir, par exemple, Moskal c. Pologne, no 10373/05, §§ 69-74, 15 septembre 2009, et Bidzhiyeva c. Russie, no 30106/10, § 64, 5 décembre 2017).

33. En l’espèce, la Cour relève que la bonne foi du requérant ne prête pas à controverse et qu’elle n’a jamais été remise en cause au niveau interne. Quant à l’attitude des autorités, elle observe que, en vertu de la réglementation interne, l’inspection était tenue de contrôler les véhicules et les documents afférents à ceux-ci au moment où le requérant l’avait acquis et avait demandé son immatriculation, à savoir en 1998, et de refuser de procéder aux formalités d’immatriculation le cas échéant (paragraphes 18‑21 ci-dessus). Elle note que l’inspection n’a décelé aucune circonstance justifiant le refus de l’immatriculation à ce moment-là. Elle considère ainsi que, en procédant à l’immatriculation du véhicule, les autorités ont donné au requérant un espoir légitime de continuer à jouir paisiblement de son bien.

34. La Cour observe de surcroît que l’inscription du numéro du moteur sur la liste des numéros de moteurs volés avait été faite par erreur, que le marquage du numéro était authentique malgré qu’il fût apposé dans un endroit inhabituel. Elle note que la circulaire no 59, en vigueur jusqu’en 2009, interdisait purement et simplement à l’inspection de procéder aux formalités d’immatriculation demandées par le requérant. Elle constate à cet égard que les juridictions ayant examiné le recours du requérant se sont bornées à vérifier uniquement si la décision de l’inspection était conforme à l’article 17 de la circulaire no 59.

35. La Cour considère que cette disposition légale, qui imposait une interdiction absolue et automatique de procéder aux formalités d’immatriculation et qui ne permettait pas aux autorités de prendre en compte ni leur propre erreur (paragraphes 11, 12 et 34 ci-dessus), ni de pondérer les différents intérêts en jeu, a entraîné pour le requérant, dont la bonne foi est incontestable, l’impossibilité de vendre son véhicule pendant une période de deux ans et trois mois. Elle estime qu’une telle interdiction a imposé au requérant une charge excessive, incompatible avec les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention (voir aussi, mutatis mutandis, Andonoski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 16225/08, § 38, 17 septembre 2015).

Partant, il y a eu violation de cette disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

36. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

37. Le requérant réclame 2 599 690 roubles russes[3] (RUB) au titre du préjudice matériel qu’il estime avoir subi. Il indique que ce montant correspond aux frais d’un parking payant entre 2003 et 2005 (25 120 RUB) et à un manque à gagner correspondant à la différence entre le prix de vente initialement convenu et le prix de la vente en 2006 (24 000 RUB), le tout multiplié par dix pour cent (taux de pourcentage moyen appliqué par la banque centrale russe entre 2003 et 2018) et par les quinze années s’étant écoulées entre le premier contrat de vente du véhicule et la date des observations du requérant. Il réclame en outre 50 000 EUR pour le préjudice moral qu’il dit avoir subi, en exposant qu’il avait eu besoin de vendre rapidement le véhicule afin de payer les soins médicaux de son épouse malade et que, la vente n’ayant pas pu avoir lieu en 2003, il n’a pas pu faire soigner sa femme qui est décédée en 2009.

38. Le Gouvernement considère que la somme réclamée par le requérant pour le préjudice moral est excessive et que celle réclamée pour le préjudice matériel n’est pas fondée, car aucune faute ne pouvait être imputée aux autorités. Quant à la majoration des montants en fonction du pourcentage appliqué par la banque centrale, le Gouvernement estime qu’une telle méthode de calcul a été « inventée » par le requérant et que la somme proposée par l’intéressé ne lui a jamais été alloué par les instances internes.

39. La Cour constate que le refus des autorités de rayer le numéro d’immatriculation du véhicule du requérant a fait échouer la vente de la voiture en 2003 (paragraphes 7 et 12 ci-dessus) et a occasionné des frais de parking qui sont dûment documentés. Cependant, la Cour ne peut pas accepter le calcul proposé par le requérant pour la majoration des sommes demandées car il est fondé sur des données sans aucun rapport avec les frais supportés par l’intéressé entre septembre 2003 et décembre 2005, à savoir la période de la violation continue de son droit au respect de ses biens. Compte tenu des éléments dont elle dispose, la Cour alloue au requérant 2 000 EUR au titre du préjudice matériel.

40. La Cour relève par ailleurs que le requérant allègue avoir subi un dommage moral essentiellement du fait du décès de son épouse, ce qui n’a aucun lien avec la violation constatée. Elle considère par ailleurs que le requérant a subi un certain préjudice moral du fait de la violation de son droit au respect de ses biens, et elle décide d’allouer au requérant 2 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

41. Le requérant demande 260 RUB pour les taxes judiciaires et 5 821 RUB pour les frais liés à sa requête devant la Cour, comprenant les frais postaux et ceux de la préparation de la requête et de la traduction. Il demande également 3 750 EUR pour les honoraires de sa représentante Mme Yefremova devant la Cour, à allouer dans le cas où la Cour rendrait un arrêt de violation dans son affaire.

42. Le Gouvernement estime que la demande de 260 RUB n’a pas de lien avec la requête introduite par le requérant. En revanche, il considère que la demande de 5 821 RUB est dûment étayée. Quant aux frais de représentation devant la Cour, le Gouvernement soutient que le requérant n’a aucune obligation légale ou conventionnelle de les payer.

43. La Cour rappelle qu’un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La réalité des honoraires d’un représentant est établie si le requérant les a payés ou doit les payer.

44. En l’espèce, la Cour constate que le requérant n’a pas produit de convention d’honoraires avec Mme Yefremova ou un autre document montrant qu’il avait l’obligation juridique de payer lesdits honoraires. Dans ces circonstances, la Cour ne voit rien qui puisse l’amener à admettre la réalité des frais dont le remboursement est demandé. Il s’ensuit que cette partie de la demande du requérant pour frais et dépens doit être rejetée.

45. Quant aux autres frais dont le remboursement est demandé par le requérant, la Cour estime qu’ils ont été en partie nécessaires et justifiés. Compte tenu des éléments dont elle dispose, la Cour lui alloue une somme totale de 80 EUR.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement) :

i. 2 000 EUR (deux mille euros) pour dommage matériel ;

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

iii. 80 EUR (quatre-vingts euros), plus tout montant pouvant être dû par à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 18 décembre 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıVincent A. De Gaetano
Greffière AdjointePrésident

* * *

[1]. Équivalent à près de 857 euros (EUR) à l’époque des faits.

[2]. Équivalent à près de 176 EUR à l’époque des faits.

[3]. Équivalent à près de 36 820 euros (EUR) à la date des observations.


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-188371
Date de la décision : 18/12/2018
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (Article 1 al. 2 du Protocole n° 1 - Réglementer l'usage des biens)

Parties
Demandeurs : ARUTYUNOV
Défendeurs : RUSSIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : YEFREMOVA Y.V.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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