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10/04/2018 | CEDH | N°001-182360

CEDH | CEDH, AFFAIRE BRUDAN c. ROUMANIE, 2018, 001-182360


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BRUDAN c. ROUMANIE

(Requête no 75717/14)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2018

DÉFINITIF

10/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Brudan c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Faris Vehabović,
Iulia Motoc,
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Péter Paczolay, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 2...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE BRUDAN c. ROUMANIE

(Requête no 75717/14)

ARRÊT

STRASBOURG

10 avril 2018

DÉFINITIF

10/07/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Brudan c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Faris Vehabović,
Iulia Motoc,
Georges Ravarani,
Marko Bošnjak,
Péter Paczolay, juges,
et de Andrea Tamietti, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 mars 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 75717/14) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Lucia Brudan (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 novembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me G. Mateuț, avocat à Arad. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le 18 juin 2015, les griefs tirés de l’article 6 § 1 de la Convention concernant la durée excessive de la procédure et de l’article 13 de la Convention concernant le droit à un recours effectif ont été communiqués au Gouvernement, et la requête a été déclarée irrecevable pour le surplus conformément à l’article 54 § 3 du règlement de la Cour.

4. Le Gouvernement s’est opposé à l’examen de la requête par un comité. Après avoir examiné cette objection, la Cour l’a accueillie.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1958 et réside à Suatu.

6. Le 23 mars 2000, elle fut placée en détention provisoire dans une affaire d’escroquerie en lien avec des produits pétroliers. Six jours plus tard, elle fut renvoyée en jugement par un réquisitoire du parquet près le tribunal départemental de Cluj. Deux autres délits visant la requérante firent également l’objet dudit réquisitoire (faux et dilapidation). L’affaire concernait également deux tiers.

7. L’affaire fut enregistrée au rôle du tribunal départemental de Cluj, mais, par un jugement avant dire droit du 24 novembre 2000, la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») dessaisit le tribunal départemental de Cluj en faveur du tribunal départemental de Bihor. Le 12 janvier 2001, cette dernière juridiction inscrivit l’affaire à son rôle. Une expertise technique comptable fut ordonnée et réalisée en juin 2001.

8. Le 31 mars 2003, le tribunal départemental de Bihor condamna la requérante des chefs de faux et d’escroquerie à une peine de prison avec sursis. Le 20 avril 2004, la cour d’appel de Oradea, saisie d’un appel interjeté par la requérante, constata que certains délits (escroquerie et dilapidation) avaient fait l’objet d’une grâce présidentielle et elle confirma la peine initiale relative au délit de faux. La requérante forma un recours contre cette décision.

9. Par un arrêt du 3 novembre 2005, la Haute Cour admit le recours, cassa les deux décisions antérieures et renvoya l’affaire devant le tribunal départemental de Bihor pour un nouveau jugement. Elle reprocha aux juridictions ordinaires de ne pas avoir ordonné de nouvelle expertise, dans la mesure où l’expertise qui avait été conduite n’aurait pas répondu aux questions essentielles de l’affaire.

10. L’affaire fut à nouveau enregistrée au rôle du tribunal départemental de Bihor. À cette occasion, le tribunal entendit l’expert-comptable ayant réalisé l’expertise ainsi que d’autres témoins.

11. Le 15 mai 2008, le tribunal départemental de Bihor condamna la requérante à une peine de prison pour escroquerie et dilapidation, constata que la peine de prison avait fait l’objet d’une grâce présidentielle et ordonna la clôture des poursuites en ce qui concerne le délit de faux. Le parquet et la requérante interjetèrent appel de ce jugement.

12. Par un arrêt du 24 février 2009, la cour d’appel de Oradea fit droit à l’appel du parquet, cassa le jugement et renvoya l’affaire devant le tribunal départemental de Bihor. Elle constata que la prise en compte par le tribunal, dans son jugement de condamnation, du préjudice subi par la société dont la requérante était l’unique associée et administratrice, sans que ladite société eût été représentée pendant la procédure, avait empêché cette dernière entité de défendre ses droits.

13. Saisi à nouveau de l’affaire, le tribunal départemental de Bihor inscrivit l’affaire à son rôle le 17 mars 2009 et nomma, le 6 mai 2010, un représentant légal pour la société dont la requérante était l’unique associée afin de faire valoir ses droits dans la procédure. Le 18 octobre 2011, le tribunal ordonna la disjonction des instances visant l’affaire de la requérante. Un nouveau dossier relatif aux faits reprochés à la requérante fut constitué au rôle du tribunal départemental.

14. Le 28 septembre 2012, le tribunal condamna la requérante du chef de dilapidation continue, constata que la peine avait fait l’objet d’une grâce présidentielle, et ordonna la clôture des poursuites des chefs d’escroquerie et de faux pour cause de prescription de la responsabilité pénale. La requérante interjeta appel de ce jugement.

15. Par un arrêt du 24 janvier 2013, la cour d’appel de Oradea rejeta l’appel de la requérante et confirma le bien-fondé du jugement du tribunal.

16. La requérante se pourvut en cassation devant la Haute Cour, qui, le 28 juin 2013, fit droit à son recours, annula les deux décisions de justice antérieures et renvoya l’affaire devant le tribunal de première instance de Oradea. Pour arriver à cette conclusion, la Haute Cour constata que, en vertu d’une modification législative intervenue en 2006, le délit de dilapidation relevait de la compétence du tribunal de première instance et non de celle du tribunal départemental, et qu’aucun des délits reprochés à la requérante n’était de la compétence du tribunal départemental.

17. L’affaire fut enregistrée au rôle du tribunal de première instance de Oradea. Dans son jugement du 3 mars 2014, ce tribunal constata la prescription de la responsabilité pénale des chefs de dilapidation et de faux et mit fin au procès pénal pour ces chefs. Concernant le chef d’escroquerie, le tribunal acquitta la requérante en raison de la dépénalisation de ce délit. Par le même jugement, le tribunal ordonna la confiscation d’une somme d’argent. La requérante interjeta appel de ce jugement. Elle sollicita l’acquittement du chef de dilapidation (ayant eu pour conséquence la confiscation d’une somme d’argent) et du chef de faux.

18. Le 18 juin 2014, la cour d’appel de Oradea rejeta l’appel de la requérante et confirma le bien-fondé du jugement du tribunal de première instance de Oradea.

19. Selon les informations et documents fournis par le Gouvernement, pendant la procédure décrite ci-dessus, les avocats de la requérante ont sollicité, à dix-neuf reprises, l’ajournement des audiences pour impossibilité d’y participer. La requérante sollicita elle-même, à treize reprises, le report de l’audience afin de pouvoir désigner, à chaque fois, un avocat de son choix. L’état précaire de santé de la requérante fut également à l’origine de certains reports d’audience (un report en 2009 et onze reports entre 2010 et 2012). Enfin, du 18 janvier au 14 juin 2005, la procédure fut suspendue en raison d’une exception d’inconstitutionnalité soulevée par la requérante.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution

20. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution, telle que révisée le 31 octobre 2003, se lisent comme suit :

Article 21
Le libre accès à la justice

« (1) Toute personne peut s’adresser à la justice pour la protection de ses droits, de ses libertés et de ses intérêts légitimes.

(2) Aucune loi ne peut limiter l’exercice de ce droit.

(3) Les parties ont droit à un procès équitable et au règlement des litiges dans un intervalle de temps raisonnable.

(4) Les juridictions spéciales administratives sont facultatives et gratuites. »

B. Le code civil

21. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’ancien code civil roumain, en vigueur avant le 1er octobre 2011, se lisaient comme suit :

Article 998

« Tout fait quelconque de l’homme qui cause un dommage à autrui oblige à réparation celui par la faute duquel il est arrivé. »

Article 999

« Chacun est responsable du dommage qu’il a causé non seulement par ses actes, mais encore par sa négligence ou par son imprudence. »

22. Les dispositions pertinentes en l’espèce du nouveau code civil roumain, en vigueur à partir du 1er octobre 2011, se lisent comme suit :

Article 1349
La responsabilité civile délictuelle

« 1) Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite imposées par la loi ou la coutume et de s’abstenir de porter atteinte, par ses actions ou inactions, aux droits ou intérêts légitimes d’autrui.

2) Celui qui, avec discernement, méconnaît ce devoir, est responsable de tous les dommages et est tenu de les réparer intégralement.

3) Dans les situations expressément prévues par la loi, une personne doit réparer le dommage causé par les actes d’une autre personne (...) »

C. Le code de procédure pénale

23. L’article 4881 du code de procédure pénale (« CPP ») prévoit la possibilité, pour toute partie à une procédure pénale qui estime excessive la durée d’une enquête ou d’une procédure judiciaire, de formuler une contestation pour accélérer la procédure. Selon l’article 4881, la contestation peut être formulée dans un délai d’un an à compter du début des poursuites, ou dans un délai d’un an suivant le renvoi en jugement, pour les affaires pendantes en première instance, ou de six mois après l’introduction d’une voie de recours pour les voies ordinaires ou extraordinaires. La contestation est jugée par le juge des droits et libertés du tribunal de première instance compétent pour statuer sur l’affaire en première instance (pour les affaires au stade des poursuites pénales) ou par la juridiction hiérarchiquement supérieure (pour les affaires pendantes au rôle des tribunaux) ou par une autre formation (dans le cas de la Haute Cour). Le juge des droits et libertés doit examiner la durée de la procédure en question et se prononcer dans un délai de vingt jours maximum. Il peut fixer un délai dans lequel un procureur doit instruire l’affaire, ou enjoindre à un tribunal de statuer sur l’affaire. Ce jugement est motivé et n’est pas susceptible de recours. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er février 2014, date d’entrée en vigueur du CPP, et s’appliquent aux procédures engagées après cette date (article 105 de la loi no 255/2013 portant sur l’application de la loi no 135/2010 sur le code de procédure pénale).

D. Le code de procédure civile

24. Le code de procédure civile (« CPC ») prévoit, à ses
articles 522-526, la possibilité, pour toute partie à une procédure civile, de contester la durée excessive d’une procédure. La contestation doit être tranchée en chambre du conseil dans un délai de cinq jours par la formation qui a statué sur l’affaire. Lorsque le bien-fondé de la contestation est reconnu, le jugement définitif ainsi prononcé prévoit les mesures qui permettront de mettre fin à la situation de durée excessive constatée. Lorsque la contestation est rejetée, elle peut faire l’objet d’un recours devant la juridiction hiérarchiquement supérieure. Le recours est jugé en chambre du conseil dans une formation de trois juges, dans un délai de dix jours. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 15 février 2013, date d’entrée en vigueur du CPC, et s’appliquent seulement aux procédures engagées après cette date (article 3 de la loi no 76/2012 sur l’application de la loi no 134/2010 relative au CPC).

25. Le CPC prévoit également, à son article 483 § 2, que les décisions prononcées en appel, dans des litiges patrimoniaux dont la valeur ne dépasse pas 500 000 lei roumains, sont définitives et qu’elles ne peuvent pas faire l’objet d’un recours.

E. Sur les frais de justice et l’aide judiciaire

26. L’ordonnance du Gouvernement no 80/2013, entrée en vigueur le 29 juin 2013, régit les frais judiciaires que les justiciables doivent acquitter pour faire valoir leurs droits en justice.

27. Le CPC prévoit le principe selon lequel le remboursement des frais de justice (y compris la taxe de timbre) doit être à la charge de la partie perdante (article 453, premier alinéa). Le juge peut également ordonner la répartition des frais de justice entre les parties lorsque l’affaire n’a été que partiellement accueillie (article 453, deuxième alinéa). Le CPC prévoit également la possibilité, pour tout intéressé ne pouvant pas assumer les frais de justice, de bénéficier de l’aide judiciaire dans les conditions fixées par la loi spéciale sur l’aide judiciaire (article 90).

28. L’aide judiciaire est régie par l’ordonnance du Gouvernement no 51/2008 (« OUG no 51/2008 »), qui prévoit la possibilité, pour les personnes n’ayant pas des ressources suffisantes, d’obtenir des exemptions, des réductions, des échelonnements ou des ajournements de paiement des frais de justice (article 6). Les juridictions nationales ont compétence pour accorder l’aide judiciaire (article 11). L’OUG no 51/2008 a été adoptée afin de transposer, dans l’ordre juridique roumain, la Directive no 2003/8/CE du Conseil du 27 janvier 2003, visant à améliorer l’accès à la justice dans les affaires transfrontalières par l’établissement de règles minimales communes relatives à l’aide judiciaire accordée dans le cadre de telles affaires. L’OUG no 51/2008 prévoit également que l’aide judiciaire serve au paiement des honoraires d’avocat, d’expert, d’interprète ou d’huissier de justice (article 6). Elle prévoit les conditions permettant d’en bénéficier
(articles 8-10) ainsi que les voies de recours disponibles contre les décisions de refus (article 15). La demande d’aide judiciaire est exemptée du paiement de la taxe judiciaire (article 8).

II. LA PRATIQUE INTERNE PERTINENTE

29. Dans six arrêts prononcés entre mars 2010 et juin 2013, les juridictions nationales ont octroyé des indemnisations pour compenser le préjudice moral subi par les intéressés en raison de la durée excessive des procédures, en application du droit commun en matière de responsabilité civile délictuelle.

30. Dans un arrêt du 1er octobre 2013 (procédure interne no 14102/118/2011), la cour d’appel de Cluj a jugé qu’une procédure pénale ayant duré dix-sept ans, pour trois niveaux de juridiction, avait, malgré la complexité de l’affaire, méconnu l’exigence de délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. La somme octroyée (6 523 euros (EUR)) a été déterminée par rapport à la jurisprudence de la Cour en matière de satisfaction équitable. L’intéressé s’est vu rembourser partiellement les frais de justice exposés. Introduite le 1er mars 2012, la procédure a duré deux ans et sept mois pour deux degrés de juridiction.

31. Dans un arrêt du 29 octobre 2013 (procédure interne no 10818/302/2012), la cour d’appel de Bucarest, après avoir rappelé les critères fixés par la jurisprudence de la Cour en matière de délai raisonnable d’une procédure et de recours effectif, au sens des articles 6 § 1 et 13 de la Convention, a jugé qu’une procédure pénale ayant duré neuf ans et trois mois, pour deux degrés de juridiction, avait méconnu les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention et elle a octroyé au demandeur la somme de 2 000 EUR en réparation du dommage moral ainsi subi. La cour d’appel a souligné l’obligation positive de l’État de créer une voie de recours permettant d’examiner la durée de la procédure, engageant ainsi sa responsabilité objective. Introduite le 22 novembre 2011, la procédure a duré un an et six mois pour trois degrés de juridiction.

32. Dans un arrêt du 4 novembre 2013 (procédure interne no 6726/99/2012), la cour d’appel de Iaşi a confirmé un jugement du tribunal départemental de Iaşi qui avait octroyé la somme de 54 606 EUR au demandeur pour compenser le préjudice moral subi, entre autres, en raison de la durée excessive (plus de dix ans) d’une procédure pénale. Le demandeur s’est vu rembourser intégralement les frais de justice engagés. Introduite le 9 juillet 2012, la procédure en responsabilité civile délictuelle a duré un an, trois mois et vingt-six jours, pour deux degrés de juridiction.

33. Dans un arrêt du 4 décembre 2013 (procédure interne no 2613/100/2012), la cour d’appel de Cluj a estimé que, malgré la complexité de l’affaire, la durée d’environ neuf ans d’une procédure pénale avait méconnu l’exigence du délai raisonnable et elle a octroyé la somme de 9 000 EUR au demandeur pour préjudice moral. Cette somme a été déterminée à la lumière de la jurisprudence de la Cour. Introduite le 10 avril 2012, la procédure a duré un an, sept mois et vingt-cinq jours, pour deux degrés de juridiction.

34. Dans un arrêt du 27 janvier 2014 (procédure interne no 1422/89/2012), la cour d’appel de Constanţa a jugé excessive la durée d’une procédure pénale qui s’est déroulée pendant cinq ans, quatre mois et onze jours, pour deux degrés de juridiction. Elle a octroyé une indemnité de 3 262 EUR en réparation du préjudice moral subi par le demandeur en raison, entre autres, de la durée de la procédure en cause. Jugeant l’affaire sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle, la cour d’appel de Constanţa a constaté que la durée importante de la procédure était en soi suffisante pour permettre de constater l’existence d’un préjudice, même en l’absence d’autres preuves. L’intéressé s’est vu rembourser intégralement les frais de justice exposés. Introduite le 27 avril 2012, la procédure a duré un an et neuf mois, pour deux degrés de juridiction.

35. Dans un arrêt du 29 janvier 2014 (procédure interne no 16613/197/2012), le tribunal départemental de Braşov a considéré qu’une durée de trois ans et deux mois, pour un degré de juridiction, dans une action en partage des biens communs toujours pendante, avait méconnu l’exigence de délai raisonnable, au sens de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 21 de la Constitution, confirmant ainsi la réparation du préjudice moral à hauteur de 3 600 EUR (dont 1 800 EUR à la charge des autorités et 1 800 EUR à la charge de la partie défenderesse). Le tribunal a fait référence aux critères établis dans la jurisprudence de la Cour en la matière, ainsi qu’à la responsabilité de nature objective de l’État. Il a ajouté qu’une procédure s’étendant sur une durée aussi importante ne nécessitait aucune preuve pour qu’il pût être fait droit à une action en responsabilité de l’État. L’intéressé s’est vu rembourser intégralement les frais de justice exposés. Introduite le 3 mars 2011, la procédure a duré deux ans, dix mois et vingt-huit jours, pour deux degrés de juridiction.

36. Dans un arrêt du 30 janvier 2014 (procédure interne no 8230/3/2010, décision mise au net le 22 septembre 2014), la Haute Cour, confirmant les décisions rendues par les juridictions inférieures, a critiqué l’absence, en droit roumain, d’une procédure permettant de dénoncer la durée excessive et de réparer le préjudice ainsi subi en vertu de l’article 13 de la Convention. Sur ce point, la Haute Cour a fait référence à la jurisprudence pertinente de la Cour (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 152, CEDH 2000‑XI, Abramiuc c. Roumanie, no 37411/02, §§ 128-132, 24 février 2009, et Paroisse gréco-catholique Sfântul Vasile Polonă c. Roumanie, no 65965/01, §§ 94 et 106, 7 avril 2009). Selon la Haute Cour, en l’absence d’une voie de recours, il revenait aux juridictions nationales, dans le respect des garanties prévues à l’article 6 § 1 de la Convention, d’apprécier et d’établir les procédures et les modalités de traitement de telles demandes. Toujours selon la Haute Cour, dans une telle situation, la responsabilité de l’État était de nature objective en ce qui concerne les préjudices engendrés par l’organisation et le déroulement défectueux des procédures. D’après la Haute Cour, cette responsabilité était également fondée sur l’obligation positive de l’État de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’assurer le respect des droits.

37. Afin de déterminer la période à considérer, la Haute Cour a rappelé que, en matière pénale, le « délai raisonnable » prévu à l’article 6 § 1 débutait dès l’instant où une personne se trouvait « accusée », une approche correspondant aussi à la notion de « répercussion importante sur la situation du suspect » en renvoyant à l’affaire Reinhardt et Slimane-Kaïd c. France (31 mars 1998, § 93, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II). Afin d’apprécier le caractère raisonnable de la durée de la procédure, la Haute Cour a analysé les circonstances de la cause et les critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, et le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (Tudorache c. Roumanie, no 78048/01, § 23, 29 septembre 2005). Elle a également cherché à répondre à la question de savoir si un juste équilibre avait été ménagé entre l’exigence de célérité des procédures et le principe d’une bonne administration de la justice. Afin d’établir le montant du dédommagement, la Haute Cour, à l’instar des tribunaux inférieurs, a tenu compte des critères développés par la Cour dans sa jurisprudence en matière de satisfaction équitable. Elle a jugé excessive la durée globale de la procédure pénale en cause, à savoir environ onze ans, pour trois degrés de juridiction, et elle a ordonné la réparation du préjudice moral à hauteur de 2 180 EUR. Introduite le 15 février 2010, la procédure a duré trois ans, onze mois et quinze jours, pour trois degrés de juridiction.

38. Dans un arrêt du 4 mars 2014 (procédure interne no 5568/83/2011), la cour d’appel de Oradea, s’appuyant sur la responsabilité civile délictuelle de nature objective de l’État, a octroyé au demandeur la somme de 17 444 EUR pour réparer, entre autres, le dommage moral subi en raison de la durée d’une procédure pénale – environ sept ans, pour trois degrés de juridiction. L’intéressé s’est vu rembourser partiellement les frais de justice engagés. Introduite le 7 juillet 2011, la procédure a duré deux ans, sept mois et vingt-huit jours, pour deux degrés de juridiction.

39. Dans un arrêt du 17 mars 2014 (procédure interne no 7323/111/2012), la cour d’appel de Oradea a octroyé au demandeur une indemnité de 3 000 EUR pour le dommage moral subi, entre autres, en raison des retards survenus dans le cadre d’une procédure pénale qui avait duré environ huit ans, pour trois degrés de juridiction. L’intéressé s’est vu rembourser intégralement les frais de justice engagés. Introduite le 27 février 2012, la procédure a duré deux ans et dix-neuf jours, pour deux degrés de juridiction.

40. Dans un arrêt du 1er avril 2014 (procédure interne no 5530/90/2012), la cour d’appel de Piteşti a rejeté l’action et a constaté que l’intéressé aurait dû invoquer la responsabilité civile délictuelle de l’État au lieu des dispositions relatives à l’erreur judiciaire, dans un litige portant sur la durée excessive de la procédure. Introduite le 9 juillet 2012, la procédure a duré un an, huit mois et vingt-deux jours, pour deux degrés de juridiction.

41. Dans un arrêt du 2 avril 2014 (procédure interne no 1169/83/2009), la Haute Cour a jugé qu’une interdiction de quitter le territoire qui avait été imposée pendant neuf ans, trois mois et vingt-sept jours avait emporté violation du droit à la liberté de circulation du simple fait de sa durée. Constatant une superposition du grief tiré de la durée excessive de l’instruction et de celui tiré de la durée déraisonnable de l’interdiction subie, la Haute Cour a estimé qu’il n’était plus nécessaire d’analyser les critères en matière de délai raisonnable et elle a confirmé un arrêt ayant octroyé à l’intéressée la somme de 50 000 EUR en réparation du dommage moral subi. L’intéressée s’est vu rembourser partiellement les frais de justice exposés. Introduite à une date non précisée en 2009, la procédure a duré environ cinq ans, pour trois degrés de juridiction.

42. Dans un arrêt du 4 novembre 2014 (procédure interne no 3546/91/2013), la Haute Cour a jugé, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, que la somme de 5 000 EUR représentait une réparation équitable du préjudice subi en raison d’une procédure pénale ayant duré environ deux ans. L’intéressé s’est vu rembourser intégralement les frais de justice exposés. Introduite le 10 juin 2013, la procédure a duré un an, quatre mois et vingt-cinq jours, pour trois degrés de juridiction.

43. Dans un arrêt du 5 décembre 2014 (procédure interne no 19796/117/2012), la Haute Cour a constaté que, malgré la complexité particulière de l’affaire en question, une durée de procédure d’environ treize ans, pour trois degrés de juridiction, ne se justifiait pas et qu’elle découlait de défaillances graves du système judiciaire. La haute juridiction a engagé la responsabilité civile délictuelle de l’État et a octroyé à l’intéressé une indemnité de 4 806 EUR en réparation du dommage moral ainsi subi. Référence a été faite également à l’absence, dans la législation nationale, d’un recours spécifique permettant de dénoncer la durée excessive d’une procédure, ainsi qu’aux principes découlant de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 21 de la Constitution en matière de durée raisonnable d’une procédure. L’intéressé s’est vu rembourser partiellement les frais de justice engagés. Introduite le 21 décembre 2012, la procédure a duré un an, onze mois et quatorze jours, pour trois degrés de juridiction.

44. Dans un arrêt du 18 décembre 2014 (procédure interne no 4216/83/2013), la cour d’appel de Oradea a octroyé au demandeur la somme de 43 691 EUR en réparation, entre autres, du préjudice moral subi en raison de retards dans la procédure. Elle a estimé que, malgré la complexité de la procédure pénale, la durée de celle-ci (six ans, onze mois et neuf jours, pour trois degrés de juridiction) demeurait excessive. Introduite le 25 juillet 2013, la procédure a duré un an, quatre mois et
vingt-quatre jours, pour deux degrés de juridiction.

45. Dans un arrêt du 14 janvier 2015 (procédure interne no 3547/91/2013), la Haute Cour a rappelé la responsabilité objective de l’État et le devoir des juridictions nationales de statuer sur des demandes relatives à la durée excessive de la procédure. Considérant qu’une durée de douze ans pour une procédure pénale dépassait le délai raisonnable exigé par l’article 6 § 1 de la Convention, la Haute Cour a ordonné une réparation de 5 000 EUR pour le préjudice moral subi. Le demandeur s’est vu rembourser intégralement les frais de justice exposés. Introduite le 11 juin 2013, la procédure a duré un an, sept mois et quatre jours, pour trois degrés de juridiction.

46. Dans un arrêt du 26 février 2015 (procédure interne no 17330/117/2012), la Haute Cour a jugé que la durée de la procédure pénale en cause (environ treize ans, pour trois degrés de juridiction) avait outrepassé le délai raisonnable exigé par l’article 6 § 1 de la Convention et par l’article 21 § 3 de la Constitution. En conséquence, elle a octroyé au demandeur la somme de 6 553 EUR en réparation du dommage moral subi. La Haute Cour a rappelé que le caractère raisonnable d’une procédure devait tenir compte, entre autres de la complexité de l’affaire, du nombre des parties impliquées, du nombre de délits à analyser et de la complexité des éléments de preuve. Selon la Haute Cour, on ne peut retenir le fait, pour les parties, d’avoir utilisé les moyens procéduraux leur permettant de défendre leurs intérêts pour exclure la responsabilité de l’État à l’égard de la durée excessive de la procédure. L’intéressé s’est vu rembourser partiellement les frais de justice engagés. Introduite le 29 novembre 2012, la procédure a duré deux ans, deux mois et vingt-huit jours, pour trois degrés de juridiction.

47. Dans un arrêt du 3 mars 2015 (procédure interne no 3790/90/2013), la cour d’appel de Piteşti a octroyé au demandeur une indemnité de 5 000 EUR en réparation, entre autres, du préjudice moral subi en raison de la durée de la procédure pénale, à savoir huit ans et quatre mois, pour trois degrés de juridiction. L’intéressé s’est vu rembourser intégralement les frais de justice engagés. Introduite le 30 avril 2013, la procédure a duré un an, dix mois et trois jours, pour deux degrés de juridiction.

48. Dans un arrêt du 5 mars 2015 (procédure interne no 2991/87/2012), la Haute Cour a noté que l’intéressé avait été indemnisé à la suite d’un arrêt de la Cour constatant la durée excessive d’une procédure pénale, et elle l’a indemnisé pour le restant de la procédure (sept ans, cinq mois et
vingt-neuf jours, pour deux degrés de juridiction) qui n’était pas couverte par l’arrêt de la Cour, lui octroyant 2 500 EUR pour le dommage moral subi. La Haute Cour a rappelé que l’État avait une responsabilité objective à l’égard du déroulement défectueux des procédures et qu’il lui appartenait, en vertu du principe de subsidiarité, de mettre en place un recours interne spécifique permettant de remédier à la durée excessive d’une procédure. Introduite le 1er juin 2012, la procédure a duré deux ans, neuf mois et trois jours, pour trois degrés de juridiction.

49. Dans un arrêt du 6 mai 2015 (procédure interne no 3028/245/2013) la cour d’appel de Iaşi a confirmé un jugement du tribunal de première instance ayant ordonné le versement d’une indemnité (5 436 EUR) en réparation d’une instruction d’une durée de trois ans, neuf mois et sept jours. La cour d’appel a invoqué la responsabilité objective de l’État et l’absence d’une voie de recours susceptible de remédier à la durée excessive d’une procédure. Introduite le 29 mai 2012, la procédure a duré deux ans, onze mois et sept jours, pour trois degrés de juridiction.

50. Dans un arrêt du 14 mai 2015 (procédure interne no 254/102/2013**), la Haute Cour a confirmé un arrêt de la cour d’appel de Târgu-Mureş, qui, sans nier la complexité de la procédure pénale en cause, a jugé excessive sa durée d’environ neuf ans et a alloué au demandeur la somme de 9 000 EUR en réparation du dommage moral subi. Introduite le 14 janvier 2013, la procédure a duré deux ans, trois mois et vingt-huit jours, pour trois degrés de juridiction.

51. Dans un arrêt du 18 novembre 2015 (procédure interne no 19867/63/2011*), la cour d’appel de Craiova a confirmé un jugement du tribunal départemental de Dolj. Fondant son raisonnement sur la responsabilité objective de l’État, le tribunal a octroyé au demandeur une indemnité d’un montant de 5 000 EUR, en plus de l’indemnisation que celui-ci avait reçue à la suite d’un arrêt de la Cour constatant la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison d’une procédure pénale ayant duré quinze ans, huit mois et vingt-sept jours, pour trois degrés de juridiction. Introduite le 10 novembre 2011, la procédure a duré quatre ans et neuf jours, pour deux degrés de juridiction.

III. LES DOCUMENTS PERTINENTS DU CONSEIL DE L’EUROPE

52. Le Comité des Ministres a adopté lors de sa 1259e réunion
(7-8 juin 2016) une décision dans le cadre de l’examen de l’exécution du groupe d’arrêts Nicolau c. Roumanie (requête no 1295/02) et Stoianova et Nedelcu c. Roumanie (requête no 77517/01). La partie pertinente en l’espèce de cette décision se lit comme suit :

« Les délégués

(...)

2. se félicitent des mesures générales d’envergure adoptées pour résoudre le problème de la durée excessive des procédures civiles et pénales ; invitent les autorités roumaines à continuer à suivre de près l’impact de ces mesures et à fournir des données statistiques complètes permettant au Comité des Ministres d’évaluer pleinement la situation ;

3. relèvent avec satisfaction que les parties intéressées peuvent désormais obtenir l’accélération des procédures grâce aux recours spécifiques introduits à cet effet par les nouveaux Codes de procédure civile et pénale et encouragent les autorités à évaluer l’opportunité d’étendre l’application de ces recours aux procédures engagées avant l’entrée en vigueur de ces Codes ;

4. sans préjuger de l’évaluation que la Cour européenne sera amenée à en faire dans les affaires actuellement pendantes devant elle, notent avec intérêt le recours indemnitaire développé par la jurisprudence nationale depuis l’arrêt Vlad et autres ;

5. au vu des progrès réalisés dans l’exécution de ces arrêts, adoptent la Résolution finale CM/ResDH(2016)151 telle qu’elle figure en annexe et décident de poursuivre l’examen des questions en suspens dans le cadre de l’affaire Vlad et autres et des affaires restantes de ces groupes. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 6 § 1 ET 13 DE LA CONVENTION

53. La requérante allègue que la procédure pénale qui a été engagée à son encontre le 23 mars 2000 et qui s’est terminée par l’arrêt du 18 juin 2014 a outrepassé le délai raisonnable et a ainsi violé l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie pertinente en l’espèce est ainsi libellée :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

54. La requérante dénonce également l’absence, au niveau interne, d’un recours effectif permettant de se plaindre d’un dépassement du délai raisonnable. Elle voit dans cette absence une violation de l’article 13 de la Convention, qui se lit comme suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la recevabilité

55. Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, au sens de l’article 35 § 1 de la Convention, quant au grief soulevé sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et relatif à la durée excessive de la procédure pénale engagée à l’encontre de la requérante. Selon le Gouvernement, la requérante aurait dû saisir les tribunaux internes d’une action en responsabilité civile délictuelle afin de demander une réparation pour cause de durée excessive de la procédure.

56. La requérante n’a formulé aucune observation à ce sujet.

57. La Cour estime que la question de savoir si la requérante devait, avant de la saisir, épuiser la voie de recours interne visée par le Gouvernement est étroitement liée à celle de l’existence d’un recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention (voir, entre autres, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 75, 10 septembre 2010, Vlad et autres c. Roumanie, nos 40756/06, 41508/07 et 50806/07, § 103, 26 novembre 2013, Panju c. Belgique, no 18393/09, § 47, 28 octobre 2014, et Valada Matos das Neves c. Portugal, no 73798/13, § 58, 29 octobre 2015). Partant, la Cour joint l’exception soulevée par le Gouvernement à l’examen au fond du grief tiré de la violation de l’article 13 de la Convention ; elle reprendra donc ci-après son examen sur ce point dans le cadre de l’examen du fond de cette partie de la requête.

58. Constatant en outre que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Épuisement des voies de recours internes et violation alléguée de l’article 13 de la Convention

(a) Thèse des parties

59. La requérante soutient, dans sa requête introductive, qu’elle ne disposait pas d’un recours effectif pour se plaindre, devant les tribunaux internes, d’une violation du principe du délai raisonnable.

60. Le Gouvernement indique que, à la suite de l’adoption par la Cour de l’arrêt Vlad et autres (précité), la pratique des tribunaux internes a beaucoup évolué, offrant aux intéressés, y compris la requérante, la possibilité de saisir les tribunaux d’une action civile en indemnisation contre l’État, sur le terrain de la responsabilité civile délictuelle (dans ce cas, il s’agirait d’une responsabilité objective de l’État, indépendante de l’établissement d’une faute). Selon le Gouvernement, les tribunaux internes saisis de ce type de litige appliquent de plus en plus souvent les règles de la responsabilité objective de l’État et font également application directe de la Convention.

61. Le Gouvernement verse au dossier vingt-sept exemples de jurisprudence dans lesquels les tribunaux internes ont décidé, entre 2010 et 2015, avec célérité, d’indemniser les requérants pour la durée excessive des procédures dont ils ont fait l’objet. Selon le Gouvernement, une telle action est accessible à tout un chacun. Le montant des indemnités dans les exemples de jurisprudence fournis serait, d’après le Gouvernement, conforme, voire supérieur, à celui octroyé par la Cour dans des affaires similaires. Enfin, le Gouvernement ajoute que d’autres voies de recours sont prévues dans les codes de procédure afin de remédier aux durées excessives des procédures : le recours en accélération de la procédure prévu aux articles 522-526 du CPC et 4881 du CPP, et le recours en indemnisation pour toute condamnation ou privation de liberté illégale (article 504 de l’ancien CPP).

(b) Appréciation de la Cour

(i) Principes généraux

62. La Cour rappelle que, en vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [l]es Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention », la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la Convention reviennent au premier chef aux autorités nationales. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (voir, parmi d’autres, Cocchiarella c. Italie ([GC], no 64886/01, § 38, CEDH 2006‑V), et Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, § 49, 18 juin 2013).

63. La Cour rappelle également que le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la voie de recours interne, sous peine de vider de toute substance les droits garantis par l’article 6 § 1 de la Convention. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 45, CEDH 2001-VIII). La remarque vaut particulièrement pour les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, vu la place éminente que le droit à un procès équitable, avec toutes les garanties prévues par cette disposition, occupe dans une société démocratique (Valada Matos das Neves, précité, § 68).

64. La Cour rappelle encore que l’article 13 garantit un recours effectif devant une instance nationale permettant de se plaindre d’une méconnaissance de l’obligation, imposée par l’article 6 § 1, d’entendre les causes dans un délai raisonnable (Kudła c. Pologne [GC] (no 30210/96, § 156, CEDH 2000‑XI).

65. Lorsque le droit à un procès dans un délai raisonnable est en cause, un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Sürmeli c. Allemagne [GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006‑VII, et Vassilios Athanasiou et autres c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010). Si le premier type de recours est préférable car il est de nature préventive, un recours indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif (Kudła, précité, § 158, Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, § 17, CEDH 2002‑VIII, Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 187, CEDH 2006‑V, et McFarlane, précité, § 108).

66. S’agissant du caractère approprié et suffisant du redressement, la Cour rappelle que, même si un recours doit être regardé comme « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une réparation adéquate pour les retards déjà accusés, cette conclusion n’est valable que pour autant que l’action indemnitaire demeure elle-même un recours efficace, adéquat et accessible permettant de sanctionner la durée excessive d’une procédure judiciaire (Mifsud, précité, § 17).

67. Pour déterminer si le redressement de la violation était approprié et suffisant, la Cour se livre à un examen de la durée de la procédure d’indemnisation, du montant de l’indemnisation éventuellement accordé ainsi que, le cas échéant, du retard dans le paiement de ladite indemnité (Cocchiarella, précité, §§ 86-107). En effet, la nature même du recours indemnitaire exige une décision rapide (Cocchiarella, précité, § 97).

68. Quant à l’accessibilité d’une action, la Cour rappelle, entre autres, qu’elle n’a jamais exclu que les intérêts d’une bonne administration de la justice puissent justifier d’imposer une restriction financière à l’accès d’une personne à un tribunal (Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 59, CEDH 2001‑VI). Il n’en reste pas moins qu’une limitation de l’accès à un tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elle tend à un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (Weissman et autres c. Roumanie, no 63945/00, § 36, CEDH 2006‑VII (extraits)).

69. Pour résumer, lorsque l’on recherche si un recours indemnitaire représente un recours « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, les critères dégagés par la jurisprudence de la Cour sont les suivants (Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99, CEDH 2009, et Valada Matos das Neves, précité, § 73) :

a) l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai raisonnable ;

b) l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue exécutoire ;

c) les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la Convention ;

d) les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;

e) le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires.

(ii) Application de ces principes à la présente espèce

70. Sans préjuger la question de savoir s’il y a eu ou non dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief de la requérante concernant la durée de la procédure pénale constitue prima facie un grief « défendable », celle-ci ayant duré plus de quatorze ans. La requérante avait donc droit à un recours effectif à cet égard (Panju, précité, § 52).

71. Dans l’affaire à l’étude, la Cour limitera son examen à l’effectivité de l’action en responsabilité civile délictuelle, en tant que voie de recours au sens de l’article 35 de la Convention, telle qu’invoquée par le Gouvernement dans son exception préliminaire. Bien qu’elle se félicite de l’introduction de recours spécifiques tendant à accélérer les procédures, la Cour ne saurait spéculer sur l’effectivité de ce type de recours, faute de disposer de suffisamment d’éléments permettant d’effectuer une telle analyse.

(α) Sur l’efficacité de l’action en responsabilité civile délictuelle

72. La Cour rappelle d’abord qu’elle a déjà constaté que l’ordre juridique roumain n’offrait pas aux intéressés un recours effectif, au sens de l’article 13 de la Convention, leur permettant de se plaindre de la durée excessive d’une procédure pénale aux fins de l’article 6 § 1 de la Convention (Vlad et autres, précité, §§ 114-119).

73. La Cour observe ensuite que, plus de quatre ans après ce constat, le Gouvernement plaide en l’espèce que l’action en responsabilité civile délictuelle est devenue effective grâce à une évolution de la pratique des tribunaux internes (paragraphes 29-51 ci-dessus). La Cour n’exclut pas que l’exercice de ce recours puisse conduire, au terme de l’évolution de la jurisprudence, à un résultat conforme aux prescriptions de l’article 13 de la Convention (voir Tsoukalas c. Grèce, no 12286/08, § 43, 22 juillet 2010, et, mutatis mutandis, Leandro Da Silva c. Luxembourg, no 30273/07, §§ 49 et suivants, 11 février 2010). Compte tenu de ces éléments, la Cour estime qu’il est opportun d’effectuer un nouvel examen de la compatibilité de la pratique actuelle des tribunaux internes avec les critères se dégageant de sa jurisprudence en la matière. Cet examen se limite aux exemples de jurisprudence qui n’ont pas été couverts par l’analyse de la Cour dans l’affaire Vlad et autres (précitée), soit ceux résumés aux paragraphes 30-51 ci-dessus.

74. Le Gouvernement est convaincu que les actions en responsabilité civile délictuelle pour durée excessive de procédure remplissent l’exigence de célérité et il renvoie aux vingt-sept exemples de jurisprudence présentés en l’espèce. La requérante ne se prononce pas à ce sujet.

75. La Cour note que, en l’espèce, ainsi que cela ressort des exemples de jurisprudence pertinents en l’espèce fournis par le Gouvernement :

– dix procédures en responsabilité civile délictuelle ont duré moins de deux ans, pour deux ou parfois trois degrés de juridiction (paragraphes 31, 32, 33, 34, 40, 42, 43, 44, 45 et 47 ci-dessus) ;

– huit procédures ont duré un peu plus de deux ans, pour deux ou parfois trois degrés de juridiction (paragraphes 30, 35, 38, 39, 46, 48, 49 et 50
ci-dessus) ;

– deux procédures ont duré quatre ans environ, pour deux ou trois degrés de juridiction (paragraphes 37 et 51 ci-dessus), et

– une procédure a duré cinq ans, pour trois degrés de juridiction (paragraphe 41 ci-dessus).

76. À cet égard, la Cour note que, bien qu’il n’existe pas, dans la législation en vigueur, de délai spécifique en ce qui concerne le prononcé d’une décision dans ce type de litige, le temps que les juridictions internes ont mis pour examiner les actions en responsabilité civile délictuelle visant la durée excessive des procédures invoquées par le Gouvernement ne semble pas s’être prolongée de manière significative (comparer avec Valada Matos das Neves, précité, §§ 92-93).

77. Pour ce qui est du versement de l’indemnité, bien que les parties ne formulent aucune observation à ce sujet, la Cour rappelle que les décisions définitives de justice ayant pour débiteur l’État roumain doivent être exécutées d’office et promptement (Fondation Foyers des élèves de l’Église réformée et Stanomirescu c. Roumanie, nos 2699/03 et 43597/07, § 55, 7 janvier 2014). Elle estime qu’il n’y a pas de raisons de douter de la diligence des autorités roumaines dans le paiement des indemnités.

78. Quant au respect de l’équité de la procédure en indemnisation, la Cour, après avoir analysé les exemples de jurisprudence présentés, ne décèle aucune apparence d’atteinte à l’équité dans le déroulement de ce type de procédure.

79. En ce qui concerne les frais et dépens, la Cour constate que, si les personnes souhaitant engager une action contre l’État pour obtenir réparation en raison de la durée excessive d’une procédure doivent s’acquitter des frais judiciaires à cette fin (paragraphe 26 ci-dessus), la législation nationale prévoit également l’octroi de l’aide judiciaire sous la forme d’exemptions, de réductions, d’échelonnements ou d’ajournements de paiement des frais de justice pour les personnes n’ayant pas des ressources suffisantes (paragraphe 28 ci-dessus). De plus, c’est la partie qui perd l’action ou le recours qui doit, en principe, acquitter les frais de justice y afférents (paragraphe 27 ci‑dessus). Il ressort des copies des décisions internes produites en l’espèce que les frais de justice ont été remboursés intégralement ou partiellement dans douze des exemples (paragraphes 30, 32, 34, 35, 38, 39, 41, 42, 43, 45, 46 et 47 ci-dessus). Dans les exemples restants, les informations fournies ne permettent pas de déceler si des demandes de remboursement ont été formulées. Compte tenu de ces constats, la Cour estime que la législation nationale en matière de frais de justice apparaît comme suffisamment accessible aux personnes souhaitant dénoncer, par l’intermédiaire d’actions en responsabilité civile délictuelle, la durée excessive des procédures.

80. Pour ce qui est ensuite du montant de l’indemnité, la Cour comparera d’abord les montants octroyés par les tribunaux internes avec ceux octroyés par la Cour dans des situations similaires, pour ensuite analyser la façon dont les tribunaux internes apprécient le caractère raisonnable de la durée d’une procédure.

81. Ainsi que cela ressort des exemples de jurisprudence présentés par le Gouvernent en l’espèce, les tribunaux internes ont octroyé, dans la majorité de ces cas, des montants supérieurs à ceux octroyés par la Cour dans des affaires similaires. Ainsi, dans seize exemples de jurisprudence, les montants octroyés par les tribunaux internes sont supérieurs aux réparations accordées par la Cour dans des affaires similaires (paragraphes 32-35, 38-39 et 41-50 ci-dessus) et dans seulement quatre affaires les montants ainsi octroyés représentaient 80 % à 90 % des montants normalement octroyés par la Cour dans ce type d’affaires (paragraphes 30-31, 37 et 51 ci-dessus). La Cour considère dès lors que la réparation interne est adéquate, car elle s’aligne sur les montants qu’elle-même octroie.

82. La Cour note que, pour apprécier le caractère raisonnable de la durée des procédures, les tribunaux internes ont retenu différents critères. Ils ont ainsi relevé ce qui suit :

– l’État a l’obligation positive, sur le terrain des articles 6 et 13 de la Convention, de créer un recours spécifique pour permettre aux intéressés de se plaindre de la durée excessive de la procédure ; en l’absence d’un tel recours, il incombe aux juridictions nationales, en vertu de l’article 13 de la Convention, d’analyser de tels griefs sur le terrain de la responsabilité objective de l’État (paragraphes 31, 36, 43, 48 et 49 ci-dessus) ;

– la responsabilité civile objective vise à garantir les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention (paragraphes 35 et 36 ci-dessus) ;

– la procédure en l’espèce s’est étendue sur une période si longue qu’aucune preuve n’était nécessaire pour démontrer l’existence d’un préjudice (paragraphes 34, 35 et 41 ci-dessus) ;

– le caractère raisonnable d’un délai doit être apprécié en tenant compte, entre autres, des critères établis par la Convention, tels que la complexité de l’affaire, le comportement des parties et celui des autorités compétentes, le nombre des parties et des délits à analyser (paragraphes 31, 37, 42, 43, 44, 46 et 50 ci-dessus) ;

– en l’espèce, l’intéressé aurait dû invoquer la responsabilité civile délictuelle de l’État plutôt que les dispositions relatives à l’erreur judiciaire (paragraphe 40 ci‑dessus) ;

– l’utilisation par une personne de multiples moyens procéduraux lui permettant de défendre ses droits n’exclut pas la responsabilité de l’État en ce qui concerne la durée excessive d’une procédure (paragraphe 46
ci-dessus).

83. Observant les critères pris en considération par les juridictions nationales aux fins d’apprécier le caractère raisonnable des procédures, la Cour constate que la jurisprudence des tribunaux internes a beaucoup évolué au cours des dernières années et, en particulier, depuis l’arrêt Vlad et autres (précité).

84. La Cour constate en outre que cette jurisprudence s’est consolidée avec l’arrêt du 30 janvier 2014 de la Haute Cour, dans lequel les critères de base à utiliser dans ce type de recours ont été énoncés (paragraphes 36-37 ci-dessus). Par la suite, ces principes ont été repris par les juridictions appelées à se prononcer sur des actions en responsabilité civile délictuelle visant la durée excessive des procédures (paragraphes 40, 43-46 et 48-51
ci-dessus).

85. La Cour observe que ces principes correspondent à ceux qu’elle a elle-même fixés dans les affaires portant sur le respect du « délai raisonnable » visé à l’article 6 § 1 de la Convention. Il ressort de cette évolution jurisprudentielle que la recommandation que la Cour a faite sous l’angle de l’article 46 de la Convention dans l’arrêt Vlad et autres (précité, § 164) a été respectée, l’action en responsabilité civile délictuelle étant consacrée par les tribunaux internes en tant que recours suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. De plus, le caractère strictement indemnitaire du recours mis en place ne saurait passer pour une insuffisance rédhibitoire, en terme d’effectivité, du système choisi par l’État défendeur pour se conformer aux exigences de l’article 46 dans l’arrêt Vlad et autres (précité).

86. Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que l’action en responsabilité civile délictuelle, sur le fondement de l’article 1349 du nouveau code civil (articles 998-999 de l’ancien code civil), telle qu’interprétée constamment par les juridictions internes (voir paragraphes 30-51 ci-dessus), représente une voie de recours efficace pour dénoncer la durée excessive des procédures se déroulant devant les juridictions pénales ou civiles.

(β) Sur la nécessité d’épuiser cette voie de recours en l’espèce

87. La Cour doit maintenant déterminer si la requérante dans la présente affaire aurait dû épuiser cette voie de recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette question est étroitement liée à la date à laquelle l’arrêt du 30 janvier 2014 a acquis un degré de certitude juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (Van der Kar et Lissaur van West c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000, et Giummarra et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001). La Cour rappelle que, lorsque le recours interne est le fruit d’une évolution jurisprudentielle, le respect du principe d’équité commande de prendre en compte un laps de temps raisonnable, nécessaire aux justiciables pour avoir effectivement connaissance de la décision interne qui la consacre. La durée de ce délai varie en fonction des circonstances, en particulier de la publicité dont ladite décision a fait l’objet (Leandro Da Silva, précité, § 49).

88. En l’espèce, la Cour estime raisonnable de penser que l’arrêt du 30 janvier 2014 de la Haute Cour, qui a été mis au net le 22 septembre 2014 et qui, à partir de cette date, était consultable sur la base de données de la jurisprudence de la Haute Cour[1] ne pouvait plus être ignoré du public six mois après sa mise au net. C’est donc à partir du 22 mars 2015 qu’il doit être exigé de l’intéressée qu’elle ait usé de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette conclusion vaut pour les procédures terminées comme pour celles qui sont toujours pendantes au niveau national, la jurisprudence interne ne distinguant pas les procédures pendantes de celles qui sont achevées.

89. La Cour rappelle que lorsque le recours interne dans des affaires relatives à la durée de procédure est le résultat d’une évolution jurisprudentielle, l’épuisement des voies de recours internes s’apprécie, sauf exception, à la date d’introduction de la requête devant elle. Or, en l’espèce, à la date de l’introduction de la requête, le recours en question n’avait pas encore le degré de certitude exigé par la Cour pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Leandro Da Silva, précité, §§ 51-53).

(γ) Conclusion

90. Par conséquent, il ne saurait être reproché à la requérante de n’avoir pas épuisé, avant de saisir la Cour, un recours qui ne présentait pas à ce moment-là les caractères de certitude et d’efficacité requis (voir, mutatis mutandis, Zutter c. France (déc.), no 30197/96, 27 juin 2000, et, a contrario, Xynos c. Grèce, no 30226/09, §§ 56-58, 9 octobre 2014).

91. Partant, l’exception de non-épuisement soulevée par le Gouvernement ne saurait être retenue en l’espèce. Puisqu’il n’y avait aucun remède effectif disponible, la Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.

2. Sur la violation alléguée de l’article 6 § 1 de la Convention

92. La requérante dénonce la durée excessive de la procédure pénale engagée à son encontre le 23 mars 2000 et clôturée par l’arrêt du 18 juin 2014.

93. Selon le Gouvernement, il est fort probable que la Cour ne considère pas la durée de plus de quatorze ans de la procédure comme raisonnable. Le Gouvernement indique qu’il faut néanmoins garder à l’esprit que c’est cette même durée qui a contribué à mener à la prescription de la responsabilité pénale de la requérante, ce qui, d’après lui, constitue un avantage pour l’intéressée. Quant au comportement des parties, le Gouvernement soutient que la requérante a essayé, par tous les moyens, d’allonger la durée de la procédure, et il renvoie aux incidents ayant émaillé la procédure menée devant les tribunaux internes (paragraphe 19 ci-dessus). Il se réfère à cet égard à l’affaire Lazariu c. Roumanie (no 31973/03, §§ 149-150, 13 novembre 2014), répétant que le comportement de la requérante a contribué, d’une manière significative, à la longueur de la procédure.

94. La Cour rappelle que la durée « raisonnable » d’une procédure doit s’apprécier suivant les circonstances de la cause et à l’aide des critères suivants : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes, ainsi que l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, parmi beaucoup d’autres, Pélissier et Sassi c. France [GC], no 25444/94, § 67, CEDH 1999‑II, et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000‑VII).

95. La Cour observe en l’espèce que la procédure a débuté le 23 mars 2000 (paragraphe 6 ci-dessus) et qu’elle a pris fin le 18 juin 2014, avec l’arrêt de la cour d’appel de Oradea (paragraphe 18 ci-dessus). Cette procédure a donc duré quatorze ans, deux mois et vingt-six jours, pour trois degrés de juridiction.

96. La Cour rappelle ensuite que, dans l’arrêt de principe Vlad et autres (précité), elle est parvenue à un constat de violation au sujet de questions similaires à celles qui font l’objet de la présente affaire.

97. Pour ce qui est de la prescription pénale évoquée par le Gouvernement, la Cour constate que, même si la durée de la procédure a contribué à mener à la prescription de la responsabilité pénale pour un délit, la requérante ne s’est pas contentée de cette solution et a sollicité l’acquittement pour le restant des délits dans son appel devant la cour d’appel de Oradea (paragraphe 17 ci-dessus in fine) (voir, a contrario, Gagliano Giorgi c. Italie, no 23563/07, § 57, CEDH 2012 (extraits)). De plus, la procédure litigieuse a eu des conséquences négatives pour la requérante, qui s’est vu confisquer une somme d’argent (paragraphes 17-18 ci-dessus). En outre, la question de la durée de la procédure n’a jamais été examinée par les juridictions internes (voir, a contrario, Gagliano Giorgi, précité, § 64) et la requérante n’a pas non plus eu la possibilité d’être indemnisée pour le préjudice subi du fait de la durée excessive de la procédure (McHugo c. Suisse, no 55705/00, § 30, 21 septembre 2006).

98. La Cour estime, à l’instar du Gouvernement, que, par son comportement, la requérante a contribué à la durée de la procédure. L’intéressée a été à l’origine de plusieurs demandes de report de la procédure (dix-neuf demandes d’ajournement formulées par les conseils de la requérante pour impossibilité de participer à différentes audiences, treize demandes d’ajournement formulées par la requérante afin d’engager un conseil, et douze demandes ajournement pour raisons médicales (paragraphe 19 ci-dessus). Toutefois, même si ces périodes ne sont pas à imputer à l’État, les ajournements en question ne suffisent pas à justifier la durée globale de la procédure, à savoir quatorze ans, deux mois et
vingt-six jours, pour trois degrés de juridiction, qui ne peut pas passer pour raisonnable au regard des exigences de l’article 6 de la Convention (voir, entre autres, Cunha Martins Da Silva c. Portugal, no 69062/13, § 18, 28 février 2017).

99. Après examen de l’ensemble des éléments qui lui ont été soumis, la Cour ne décèle aucun fait ou argument propre à la convaincre de parvenir à une conclusion différente de celle qui a été la sienne dans l’arrêt Vlad et autres (précité) quant au bien-fondé du grief en question. Compte tenu de sa jurisprudence en la matière, elle estime qu’en l’espèce la durée de la procédure litigieuse est excessive et qu’elle n’a pas répondu à l’exigence du « délai raisonnable ».

Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

100. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

101. La requérante n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 avril 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Andrea TamiettiGanna Yudkivska
Greffier adjointPrésidente

* * *

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