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15/02/2018 | CEDH | N°001-180813

CEDH | CEDH, AFFAIRE GHEDIR c. FRANCE, 2018, 001-180813


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE GHEDIR c. FRANCE

(Requête no 20579/12)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

15 février 2018

DÉFINITIF

15/05/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ghedir c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Mārtiņš Mi

ts,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambr...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE GHEDIR c. FRANCE

(Requête no 20579/12)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

STRASBOURG

15 février 2018

DÉFINITIF

15/05/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ghedir c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Mārtiņš Mits,
Gabriele Kucsko-Stadlmayer,
Lәtif Hüseynov,
Lado Chanturia, juges,
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 23 janvier 2018,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 20579/12) dirigée contre la République française dont, entre autres, un ressortissant de cet État, M. Abdelkader Ghedir (« le requérant »), a saisi la Cour le 23 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Par un arrêt du 16 juillet 2015 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que l’article 3 de la Convention avait été violé dans son volet matériel. Elle a notamment conclu que les investigations internes avaient conduit à la réunion d’éléments contradictoires et troublants, tant dans les rapports d’expertises successifs que dans les témoignages sur les motifs et les conditions de l’interpellation et de la prise en charge du requérant. Elle a considéré que l’hypothèse de violences subies par l’intéressé avant son interpellation, admise comme plausible par la chambre de l’instruction, n’apparaissait pas suffisamment étayée pour être convaincante au vu des circonstances de l’espèce. Compte tenu de ces éléments, la Cour a estimé que les circonstances de l’espèce permettaient de caractériser l’existence d’un faisceau d’indices suffisant pour retenir une violation de l’article 3 de la Convention, en l’absence de fourniture par les autorités internes d’une explication satisfaisante et convaincante à l’origine des lésions du requérant dont les symptômes s’étaient manifestés alors qu’il se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police (cf. paragraphes 122-123 de l’arrêt au principal).

3. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les six mois, leurs observations sur cette question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir.

4. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN DROIT

5. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

I. DOMMAGE

A. Les arguments des parties

1. Le requérant

6. Les représentants du requérant précisent d’emblée qu’à la suite des mauvais traitements ayant fait l’objet d’un constat de violation de l’article 3, le requérant est diminué à l’extrême, physiquement et intellectuellement, avec un taux d’invalidité permanente partielle de 85%. Ils soulignent que la responsabilité internationale de la France est engagée et que, compte tenu de l’arrêt prononcé par la Cour le 16 juillet 2015, la position du Gouvernement, consistant à soutenir que les dommages ne seraient pas exclusivement imputables aux faits ayant entraîné un constat de violation de l’article 3 de la Convention, ne saurait être retenue. Ils rejettent donc l’idée d’appliquer un quelconque taux d’imputabilité pour réduire les sommes allouées, réclamant au contraire le respect du principe de restitutio in integrum pour le préjudice matériel. Par ailleurs, ils indiquent fonder les demandes pour le requérant sur la nomenclature dite « Dintilhac », qui est aujourd’hui appliquée par les juridictions françaises en matière d’indemnisation des victimes de dommages corporels, ainsi que sur une expertise médicale réalisée au mois de septembre 2016 par un médecin neurologue, expert près la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation. Ils qualifient le rapport déposé par ce dernier de contradictoire, dès lors qu’ils avaient prévenu le Gouvernement de la date de cette expertise.

7. Les représentants du requérant demandent tout d’abord le versement de 11 355 222,56 EUR au titre du préjudice matériel, qu’ils décomposent comme suit :

. pour les frais d’hospitalisation restés à sa charge malgré sa qualité d’assuré social, 3 932 EUR ;

. pour les frais d’assistance par une tierce personne, compte tenu du fait qu’il n’a plus aucune autonomie, ne pouvant se déplacer, s’alimenter ni satisfaire ses besoins ou sa toilette sans une aide humaine extérieure et justifiant une assistance continue, en retenant des taux horaires de 20,30 EUR pour une tierce personne non spécialisée et de 30,45 EUR pour une aide spécialisée : d’une part, pour la période entre les mois de novembre 2007 et mars 2016, 344 657,91 EUR attestés par les pièces jointes, ainsi que 995 904 EUR au titre de la solidarité familiale effectivement apportée, soit un total de 1 330 561,90 EUR ; d’autre part, concernant la période postérieure au mois de mars 2016, en se fondant sur un point de rente de 35,232 pour un homme âgé de 33 ans, pour une durée annuelle de 412 jours afin de prendre en compte l’ensemble des congés, et sur des taux horaires de 20,30 EUR pour les personnes non qualifiées (une personne 20h/24) et de 30,45 EUR pour les personnes qualifiées le jour (deux personnes six heures par jour), avec un forfait nuit de 95 EUR pour six heures, taux auxquels ils ajoutent une majoration de 25% pour les dimanches et jours fériés, 9 798 669,10 EUR (ou 4 899 334,50 en capital, plus le versement d’une rente trimestrielle de 34 764,80 EUR). Les représentants du requérant précisent que s’il perçoit une prestation de compensation du handicap (PCH), renouvelable et allouée au niveau départemental jusqu’au 31 juillet 2021, cette prestation ne devrait pas être déduite des sommes allouées, dès lors qu’elle s’inscrit dans le cadre de la solidarité nationale et qu’elle ne revêt aucun caractère indemnitaire ;

. pour le préjudice professionnel, en se basant sur le salaire minimum légal évoluant dans le temps et forfaitairement fixé à 1 600 EUR, ainsi que sur l’âge de départ à la retraite fixé à soixante-deux ans, 748 800 EUR ;

. pour les dépenses consécutives à la réduction d’autonomie et indispensables en raison de son handicap (200 000 EUR forfaitaires pour un matériel de meilleur qualité que celui remboursé par la sécurité sociale, à renouveler dix fois au regard de son espérance de vie : fauteuil roulant, lève malade, lit médicalisé, brancard de douche ; 182 733 EUR pour les protections contre l’incontinence urinaire et anal ; 331 317 EUR pour un véhicule automobile à renouveler sept fois), ce qui a nécessité de nombreux travaux d’aménagement chez ses parents (55 858,03 EUR pour la création d’une salle de bain adaptée), 769 908 EUR, auxquels ils souhaitent ajouter un intérêt de 2,35%, soit 788 001,48 EUR ;

. pour un appel rectificatif de cotisation de sa mutuelle santé, qui facture désormais 400 EUR supplémentaires par an, 15 819,98 EUR.

8. Concernant le dommage moral, les représentants du requérant sollicitent une somme de 776 000 EUR, en raison des préjudices fonctionnels temporaires et permanents (respectivement 62 000 et 425 000 EUR), des souffrances endurées (60 000 EUR), des préjudices esthétiques temporaires et permanents (respectivement 4 000 et 15 000 EUR), ainsi que des préjudices d’agrément (10 000 EUR), sexuels (50 000 EUR), d’établissement (50 000 EUR) et exceptionnel (100 000 EUR).

2. Le Gouvernement

9. Le Gouvernement estime, sans méconnaître la portée et l’autorité de l’arrêt du 16 juillet 2015, ni la situation dramatique dans laquelle se trouve le requérant, qu’il serait légitime de considérer que l’état du requérant n’est pas exclusivement imputable aux faits ayant donné lieu au constat de violation de l’article 3 de la Convention, estimant que l’hypothèse d’un traumatisme antérieur reste plausible. Il propose dès lors de réduire toutes les sommes allouées au requérant en enlevant systématiquement 25%, par l’application d’un taux d’imputabilité de 75%. Par ailleurs, il ne s’estime pas lié par l’expertise médicale réalisée au mois de septembre 2016 par un médecin expert près la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation, dès lors que, bien qu’il ait été informé préalablement, le choix de l’expert et l’étendue de sa mission ont été définis unilatéralement par les conseils du requérant.

10. Tout en soulignant que les sommes versées au requérant par l’État français et différents organismes doivent être déduites, il évalue le préjudice matériel total à 6 505 290 EUR avant déduction, selon le détail suivant :

. sur les dépenses de santé passées et actuelles, il est d’accord pour retenir le montant demandé par le requérant, à savoir 3 932 EUR, auquel il veut toutefois appliquer un taux d’imputabilité de 75%, soit une somme finale de 2 949 EUR ;

. sur l’assistance par une tierce personne, il relève que plusieurs expertises réalisées au cours de l’instruction et de la procédure devant la Commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) permettent de conclure à la nécessité de la présence d’une tierce personne non spécialisée 24h/24, ainsi que la présence de deux auxiliaires de vie trois heures par jour ; il estime également nécessaire de distinguer : d’une part, une période dite « passée », du mois de novembre 2007 au mois de mars 2016, pour laquelle il propose, au vu des frais réellement exposés, une somme totale de 371 466,48 EUR, qu’il entend réduire en appliquant le taux d’imputabilité de 75% qu’il soutient, ainsi que l’aide financière versée par le département depuis le 1er août 2006, la PCH, pour un montant de 260 384,28 EUR, soit une somme finale de 18 215,58 EUR ; d’autre part, une seconde période dite « future » débutant en avril 2016, pour laquelle il propose 5 737 067,40 EUR, qu’il réduit par le calcul du taux d’imputabilité de 75% qu’il souhaite voir appliqué par la Cour, ainsi qu’en déduisant la PCH dont le versement court jusqu’en juillet 2021, pour un montant de 1 321 009 EUR, soit un total de 2 981 790,80 EUR. Il propose de verser cette dernière somme sous la forme d’un paiement en capital à hauteur d’un million d’euros et le reste sous la forme d’une rente trimestrielle de 14 062,43 EUR jusqu’en 2021. Concernant plus spécialement le calcul des 5 737 067,40 EUR, le Gouvernement se fonde sur un point de rente de 35,232 pour un homme âgé de 33 ans, pour une durée annuelle de 412 jours afin de prendre en compte l’ensemble des congés (comme préconisé par l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, ONIAM), et sur des taux horaires supérieurs au référentiel indicatif de l’ONIAM, soit 15 EUR le jour et 11 EUR la nuit, portés à 20 EUR pour des tierces personnes spécialisées, auxquels il ajoute une majoration de 25% pour les dimanches et jours fériés. Le Gouvernement conteste toutefois l’indemnisation des proches demandée par le requérant. Il indique également à la Cour que les provisions versées par la CIVI, d’un montant global de 490 000 EUR, ont fait l’objet d’une demande de restitution par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) : alors que le Gouvernement pensait la péremption acquise et, partant, que le requérant pourrait conserver cette somme, la CIVI, dans une décision du 4 juillet 2017, a déclaré irrecevable la demande de constatation de la péremption d’instance et considéré que le requérant ne remplissait pas les conditions lui permettant d’être indemnisé par la CIVI, dès lors qu’il n’était pas établi qu’il avait été victime de faits présentant le caractère d’une infraction ;

. sur les autres dépenses liées à la perte d’autonomie, il propose de retenir, au maximum, les sommes de 38 736 EUR pour les travaux immobiliers au domicile des parents, de 15 609 EUR pour l’adaptation du véhicule automobile et de 69 655 EUR pour le renouvellement de ce dernier. Il note que les matériels techniques, comme le fauteuil roulant, le coussin, le lève-personne, etc. ont été pris en charge directement par la sécurité sociale et qu’il est malvenu à faire valoir qu’ils lui causent un inconfort justifiant une somme forfaitaire pour acquérir des biens de meilleure qualité ;

. sur l’appel rectificatif de la mutuelle du requérant, le Gouvernement estime que la demande n’est pas étayée ;

. sur les pertes de gains professionnels futurs, il distingue : d’une part, la période du 30 juin 2007, date de consolidation de son état, au 1er avril 2016, date de liquidation du préjudice, au cours de laquelle il n’occupait aucun emploi, sous réserve de postes ponctuels et à très court terme ; d’autre part, une seconde période, débutant après le 1er avril 2016, il propose une somme de 268 824,52 EUR, fixée en fonction du salaire minimum légal, à laquelle il veut à nouveau appliquer un taux d’imputabilité de 75%, soit au final 201 618,39 EUR.

11. Le Gouvernement s’oppose aux autres demandes formulées par le requérant.

12. S’agissant du dommage moral, le Gouvernement considère, au vu des circonstances de l’espèce et des pièces versées, que la somme allouée ne devrait pas dépasser 375 000 EUR, soit 500 000 EUR auxquels il souhaite voir appliquer le taux d’imputabilité de 75% qu’il propose.

B. L’appréciation de la Cour

13. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI). Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001-I, et Pascaud c. France (satisfaction équitable), no 19535/08, § 32, 8 novembre 2012)

14. La Cour rappelle en outre que, dans son arrêt au principal du 16 juillet 2015, elle a considéré en l’espèce que l’article 3 de la Convention avait été violé dans son volet matériel. Elle a jugé que les circonstances de l’espèce permettaient de caractériser l’existence d’un faisceau d’indices suffisant pour retenir une violation de l’article 3 de la Convention, en l’absence de fourniture par les autorités internes d’une explication satisfaisante et convaincante à l’origine des lésions du requérant dont les symptômes s’étaient manifestés alors qu’il se trouvait entre les mains des fonctionnaires de police.

15. Partant, il existe un lien de causalité entre la violation constatée et les dommages qui en découlent pour le requérant. À ce titre, la Cour rappelle également que, dans son arrêt sur le fond du 16 juillet 2015, elle a expressément écarté l’hypothèse d’un traumatisme antérieur, en jugeant qu’elle « n’apparai[ssai]t pas suffisamment étayée pour être convaincante au vu des circonstances de l’espèce » (§ 122). Par conséquent, elle considère que la proposition du Gouvernement, qui consiste à appliquer un taux d’imputabilité de 75% aux sommes allouées au requérant pour en réduire le montant, au motif que l’hypothèse d’un traumatisme antérieur resterait plausible et que l’état du requérant ne serait donc pas exclusivement imputable aux faits ayant donné lieu au constat de violation de l’article 3 de la Convention (paragraphe 9 ci-dessus), ne saurait être retenue.

16. La Cour entend, comme il se doit, apprécier le caractère raisonnable des différents éléments soumis à son appréciation concernant le préjudice matériel (voir, mutatis mutandis, Vermeire c. Belgique (article 50), 4 octobre 1993, § 13, série A no 270-A, Motais de Narbonne c. France (satisfaction équitable), no 48161/99, § 21, 27 mai 2003, et Pascaud, précité, § 38). Or, les observations des parties amènent la Cour à relever ce qui suit.

17. S’agissant tout d’abord des dépenses de santé passées et actuelles, elle note que les parties s’entendent sur le montant de 3 932 EUR.

18. Elle constate également que les parties s’accordent sur la nécessité de l’intervention quotidienne d’une tierce personne, 24h/24, ainsi que sur certaines bases de calcul, à savoir : un point de rente de 35,232 (basé sur l’espérance de vie), une durée annuelle de 412 jours, une majoration de 25% des taux horaires les dimanches et jours fériés. En revanche, elles s’opposent sur le taux horaire de jour comme de nuit pour la rémunération des tierces personnes spécialisées ou non, sur le nombre d’heures nécessitant l’intervention d’une tierce personne spécialisée, sur l’indemnisation de proches du requérant qui l’auraient assisté, ainsi que sur la déduction ou non de la prestation de compensation du handicap (PCH) allouée au niveau départemental depuis le 1er août 2006 et jusqu’au 31 juillet 2021. Ainsi, tant le requérant que le Gouvernement parviennent à une somme de 344 657,91 EUR pour une première période allant de novembre 2007 à mars 2016 (le Gouvernement proposant en outre une somme de 26 808,57 EUR pour la phase allant de février à novembre 2007), sous réserve toutefois pour le Gouvernement de déduire la PCH versée à hauteur de 260 384 EUR. Quant aux besoins actuels et futurs de tierces personnes, le requérant les évalue à 8 468 107 EUR, tandis que le Gouvernement les estime à 5 737 077 EUR, dont il entend notamment déduire la PCH d’un montant prévisible de 1 321 009 EUR jusqu’en 2021, soit 4 416 068 EUR.

19. En outre, les parties s’accordent sur l’existence d’un préjudice professionnel et de conséquences liées à la réduction d’autonomie du requérant entraînant l’achat de matériels techniques adaptés. Elles s’opposent toutefois sur le montant de la somme à accorder, le requérant sollicitant respectivement 748 800 EUR et 788 001,48 EUR, alors que le Gouvernement estime ces préjudices à respectivement 268 824 EUR et 124 000 EUR.

20. Dans ces conditions, la Cour estime que les divers éléments constituant le préjudice matériel subi par le requérant ne peuvent se prêter à un calcul exact dans les circonstances de l’espèce. Or, dans une telle hypothèse, elle peut être amenée à les examiner globalement (Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, 27 octobre 1993, § 40, série A no 274, Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, § 29, CEDH 2000-IV, et Pascaud, précité, § 48). Pour ce faire, elle entend tenir compte à la fois de la réalité de l’ensemble des préjudices matériels considérables subis par le requérant, en lien direct avec les faits ayant donné lieu au constat de violation de l’article 3 de la Convention, mais également, d’une part, de ce qu’une partie de ses dépenses de santé et de matériel technique est prise en charge en sa qualité d’assuré social et, d’autre part, du fait qu’il perçoit des sommes au titre de la PCH, depuis le 1er août 2006 et jusqu’au mois d’août 2021, pour un total de 1 581 393 EUR.

21. Quant au dommage moral, la Cour estime qu’il a été considérable, de sorte que l’octroi d’une somme importante à ce titre est justifié. Par ailleurs, elle rappelle que la proposition du Gouvernement, qui consisterait à appliquer un taux d’imputabilité de 75% aux sommes allouées au requérant pour en réduire le montant, ne saurait être retenue (paragraphe 15 ci‑dessus). Toutefois, elle estime que le requérant ne justifie pas de toutes les sommes qu’il réclame à ce titre.

22. Dès lors, dans le cadre d’une appréciation globale et compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que le montant du préjudice matériel et moral subi par le requérant peut être fixé à 6 500 000 EUR.

II. FRAIS ET DÉPENS

23. Les représentants du requérant demandent une somme de 77 889 EUR au titre des frais et dépens. Ils précisent qu’ils se sont élevés à 50 979 EUR pour la procédure devant les juridictions internes et qu’ils ont été pris en charge par les autorités de tutelle successives, à l’instar des honoraires relatifs à la défense du requérant devant la Cour, d’un montant respectif de 11 960 et 2 990 EUR pour ses deux avocats. Ils estiment qu’il serait inéquitable de laisser au requérant, ainsi qu’à ses proches, la charge des frais qu’il a dû exposer pour la défense de ses intérêts.

24. Le Gouvernement considère que la somme demandée est excessive et que les factures produites ne mentionnent pas les actes effectués. Il propose d’allouer une somme de 25 000 EUR.

25. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des justificatifs en sa possession et des critères susmentionnés, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 25 000 EUR pour la procédure devant les juridictions internes, ainsi que la somme demandée de 14 950 EUR pour la procédure devant elle, soit un total de 39 950 EUR.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 6 500 000 EUR (six millions cinq cent mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommages matériel et moral ;

ii. 39 950 EUR (trente-neuf mille neuf cent cinquante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 février 2018, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-180813
Date de la décision : 15/02/2018
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Dommage matériel et préjudice moral - réparation (Article 41 - Lien de causalité;Préjudice moral;Évaluation globale;Dommage matériel;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : GHEDIR
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : URSULET A. ; THUAN DIT DIEUDONNE G.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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