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28/11/2017 | CEDH | N°001-178948

CEDH | CEDH, AFFAIRE N. c. ROUMANIE, 2017, 001-178948


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE N. c. ROUMANIE

(Requête no 59152/08)

ARRÊT

STRASBOURG

28 novembre 2017

DÉFINITIF

28/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire N. c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Faris Vehabović,
Iulia Moto

c,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novemb...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE N. c. ROUMANIE

(Requête no 59152/08)

ARRÊT

STRASBOURG

28 novembre 2017

DÉFINITIF

28/02/2018

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire N. c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Ganna Yudkivska, présidente,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Faris Vehabović,
Iulia Motoc,
Carlo Ranzoni,
Georges Ravarani, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 novembre 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59152/08) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet État, M.N. (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 novembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a ordonné la non-divulgation de l’identité du requérant en vertu de l’article 47 § 4 du règlement de la Cour.

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me C. Cojocariu, avocat à Londres. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant dénonçait notamment l’internement psychiatrique, selon lui illégal et non justifié, auquel il est soumis depuis plus de seize ans, l’absence de garanties procédurales entourant le contrôle de la régularité de son internement ainsi que l’impossibilité d’obtenir une réparation pour le préjudice que lui aurait causé cette privation de liberté qu’il estime irrégulière. Il invoquait en particulier les articles 5, 6 et 8 de la Convention.

4. Le 11 septembre 2013 et le 19 octobre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement, d’abord sous l’angle de l’article 8 de la Convention puis sous l’angle des articles 5 et 6 de la Convention.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1959. Il est actuellement interné à l’hôpital psychiatrique de Săpoca, dans son centre situé dans la commune d’Ojasca (département de Buzău).

6. Depuis 1993, le requérant perçoit une pension pour invalidité de deuxième degré.

A. La procédure pénale engagée contre le requérant et l’internement psychiatrique de celui-ci

7. Le 29 janvier 2001, à la suite d’un article paru dans la presse nationale et d’une émission diffusée sur une chaîne de télévision nationale, la police judiciaire du commissariat no 20 de la police de Bucarest ouvrit des poursuites pénales contre le requérant. Celui-ci était accusé d’inceste et de corruption sexuelle à l’encontre de ses deux filles mineures, âgées de 15 et 16 ans. Il aurait eu un rapport sexuel avec sa fille aînée et aurait contraint ses deux filles à assister à son rapport sexuel avec son épouse.

8. Le même jour, le requérant fut entendu par la police en présence d’un avocat commis d’office au sujet des accusations portées contre lui avant d’être placé en garde à vue pour vingt-quatre heures.

9. Le 30 avril 2001, le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut entendu par un procureur au sujet des accusations en question.

10. Le même jour, le parquet, sur le fondement de l’article 114 §§ 1 et 2 du code pénal (CP), ordonna l’internement provisoire du requérant dans un hôpital psychiatrique en vue de la réalisation d’une expertise médicale ayant pour but d’évaluer la capacité de discernement de l’intéressé. Le parquet nota à cet égard que le diagnostic de psychose affective paranoïde avait été posé à plusieurs reprises au cours de la période 1994-1999. Il s’exprima dans ces termes :

« (...) en l’espèce, il y a des indices suffisants quant à l’état de santé précaire de l’accusé, lequel représente un danger particulièrement grave pour la société dès lors qu’il est susceptible de commettre de nouveaux actes antisociaux. »

11. Le même jour, le requérant fut admis à l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia de Bucarest. Il fut soumis à des examens psychiatriques qui conclurent, entre autres, qu’il présentait des tendances paranoïdes et impulsives avec un potentiel conflictuel majeur. En outre, les termes suivants furent employés pour décrire l’état du requérant : irritabilité, suspicion, tendances interprétatives, agressivité potentielle.

12. Un rapport d’expertise médico-légale fut dressé le 2 novembre 2001, établissant que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et de défaut de discernement. Il recommandait de mettre en place le traitement médical obligatoire prévu à l’article 113 du CP.

13. Une enquête préalable fut en outre ouverte contre le requérant du chef de viol sur son épouse.

14. Le parquet entendit l’épouse et les deux filles du requérant.

15. Par une décision du 27 février 2002, le parquet, considérant qu’il n’y avait pas de certificat médical et que la fille du requérant n’avait pas confirmé avoir eu un rapport sexuel avec son père, ordonna la clôture de la procédure pénale ouverte contre le requérant du chef d’inceste. Se fondant sur les déclarations de ses deux filles, il conclut également que le requérant avait contraint celles-ci à assister à un rapport sexuel qu’il avait eu avec son épouse et qu’il avait ainsi commis des actes de corruption sexuelle de mineurs, mais il décida la clôture de la procédure de ce chef en raison du défaut de discernement constaté chez le requérant par le rapport médico‑légal du 2 novembre 2001 (paragraphe 12 ci-dessus). Le parquet ordonna en outre un non-lieu du chef de viol, au motif que l’épouse du requérant n’avait pas déposé de plainte pénale contre celui-ci. Il renvoya enfin le dossier de l’affaire à la juridiction compétente en vue de la confirmation de la mesure de sûreté consistant en un internement médical.

16. Par une décision du 22 avril 2002, le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest confirma la mesure d’internement médical. Après avoir énuméré les accusations pénales portées contre le requérant, le tribunal s’exprima dans ces termes :

« Compte tenu des conclusions du rapport d’expertise médico-légale psychiatrique selon lesquelles N. souffre de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et est dépourvu de discernement en ce qui concerne les actes commis, et compte tenu des recommandations de la commission [ayant effectué l’expertise] en faveur de la prise de la mesure de sûreté à l’encontre de l’accusé, le tribunal accueille la demande [du parquet] et, en vertu de l’article 114 du CP, confirme la mesure d’internement médical provisoire et informe la direction sanitaire de Bucarest de la prise de la mesure. »

17. Le requérant n’assista pas l’audience et n’y fut pas représenté par un avocat.

18. La décision fut affichée sur la porte du domicile du requérant ainsi que dans les locaux de la mairie du 6e arrondissement de Bucarest, dans lequel se trouvait le domicile du requérant.

B. L’internement du requérant à l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia et à l’hôpital psychiatrique Poiana Mare

19. Du 30 janvier 2001 au 20 janvier 2003, le requérant était interné à l’hôpital psychiatrique Alexandru Obregia. Le 21 janvier 2003, il fut transféré à l’hôpital psychiatrique Poiana Mare où il demeura jusqu’au 29 janvier 2006. On administra au requérant un traitement à base de neuroleptiques et de tranquillisants.

C. Démarches en vue de l’annulation de la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002

1. Notification de la décision du 22 avril 2002 au requérant

20. À la fin de l’année 2006, N.T., qui s’était lié d’amitié avec le requérant lors de son hospitalisation à l’hôpital Poiana Mare, entreprit des démarches en vue de la nomination d’un curateur pour le requérant.

21. En mars 2007, il demanda à l’hôpital de Săpoca de lui délivrer une attestation indiquant la période d’internement du requérant, le diagnostic posé à son égard et le traitement médicamenteux administré.

22. Par une attestation établie le 5 mars 2007, le représentant de l’hôpital de Săpoca mentionnait que le requérant y était interné depuis le 30 janvier 2006 en vertu de la décision de justice no 588 du 22 avril 2002 prononcée par le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest.

23. Le 17 décembre 2007, le requérant demanda à l’administration de l’hôpital de Săpoca de lui communiquer une copie de la décision de justice « qui le tenait enfermé » (care mă ţine aici). Le 18 décembre 2007, la conseillère juridique de l’hôpital nota sur la demande « copie fournie » (dat copie).

24. Le 24 novembre 2008, le requérant réclama auprès du département juridique de l’hôpital une copie de son dossier juridique en vue de le faire parvenir à la Cour. D’après une lettre datée du 18 décembre 2008, la conseillère juridique communiqua au requérant, entre autres, une copie de la décision du 22 avril 2002 et du rapport d’expertise médico-légale du 2 novembre 2001. Le requérant confirma avoir reçu ces documents le 19 décembre 2008 par l’apposition de sa signature sur la lettre.

2. Le recours formé contre la décision du 22 avril 2002

25. Le 28 octobre 2008, le requérant forma un recours contre la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002 confirmant son internement psychiatrique. Il fut assisté par un avocat commis d’office.

26. Par un arrêt définitif du 14 novembre 2008, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours comme étant tardif. À cette fin, il nota que la décision contestée avait été notifiée au requérant à son domicile et qu’elle avait été affichée au siège de la mairie du 6e arrondissement de Bucarest (paragraphe 18 ci-dessus).

3. Les voies de recours extraordinaires engagées par le requérant

27. Le 25 novembre 2008, le requérant forma une contestation en annulation (contestaţie în anulare) contre la décision du 14 novembre 2008, arguant qu’il n’avait pas été présent aux débats tenus par le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest et que la décision que celui-ci avait prononcée le 22 avril 2002 ne lui avait pas été notifiée.

28. Le requérant fut entendu par le biais d’une commission rogatoire en présence d’un avocat commis d’office. Il déclara qu’il avait eu connaissance de l’existence d’une décision ordonnant son internement en 2005-2006 lorsqu’il avait formé un pourvoi en recours contre cette décision par le biais de son mandataire. Il ajouta que cette décision ne lui avait pas été communiquée dans le délai imparti et il n’avait pas pris connaissance du délai pour introduire son recours aux motifs qu’il était interné dans un hôpital psychiatrique et que le personnel ne lui avait pas donné de renseignements à cet égard.

29. Le requérant ne fut pas présent aux débats, mais il y fut représenté par un avocat commis d’office.

30. Par une décision définitive du 6 mai 2009, le tribunal départemental de Bucarest rejeta le recours du requérant comme étant manifestement mal fondé. Pour ce faire, il nota que le requérant avait été cité à comparaître par les tribunaux aussi bien au stade de l’examen du fond de l’affaire qu’au stade du recours. Il constata également que les autres arguments soulevés par le requérant ne correspondaient à aucun moyen susceptible d’être invoqué dans le cadre de la contestation en annulation.

31. Le requérant introduisit plusieurs demandes de révision des décisions du 22 avril 2002, du 14 novembre 2008 et du 6 mai 2009, qui furent toutes rejetées comme étant irrecevables.

D. Première confirmation de l’internement par le jugement du tribunal de première instance de Buzău du 11 septembre 2007

32. En mars 2007, après l’entrée en vigueur des modifications apportées au code de procédure pénale (CPP) exigeant un contrôle judiciaire périodique et automatique de la mesure d’internement (paragraphe 90 ci‑dessous), le juge délégué près le tribunal de première instance de Buzău (« le juge délégué ») ordonna la réalisation d’une expertise médico-légale psychiatrique.

33. En juillet 2007, la commission médicale compétente établit un rapport d’expertise fondé sur l’examen du requérant, sur la documentation médicale transmise par l’hôpital psychiatrique, sur le rapport du médecin traitant, sur une enquête sociale visant le requérant réalisée le 3 mai 2006, ainsi que sur la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002 et sur l’expertise médico‑légale du 2 novembre 2001.

La commission constata que, au cours de son internement, le requérant exprimait des idées de grandeur délirantes avec des rechutes psychotiques transitoires, qu’il s’appliquait à dissimuler les symptômes, qu’il avait un comportement calme, qu’il ne s’opposait pas au traitement, qu’il ne déclenchait pas de conflit parmi les autres patients et qu’il présentait un faible degré d’hostilité au cours du traitement. Elle indiqua que, lors de l’examen, il avait toutefois affiché une attitude hostile et dévoilé des idées délirantes d’injustice et son intention d’y remédier. Elle conclut que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et que, eu égard à la documentation médicale, à l’évolution de l’état du patient au cours de l’internement et à l’examen psychiatrique en cause, il était opportun de maintenir la mesure d’internement.

34. Le 15 août 2007, le juge délégué saisit le tribunal de première instance de Buzău d’une demande tendant au remplacement de la mesure d’internement prévue par l’article 114 du CP par la mesure de traitement médical obligatoire prévue par l’article 113 du CP.

35. Le 11 septembre 2007, le requérant, assisté par un avocat commis d’office, fut entendu par le tribunal. Il demanda sa libération. Son avocat plaida dans le même sens.

36. Par une décision du même jour, le tribunal de première instance de Buzău décida le maintien de l’internement psychiatrique du requérant. Il s’exprima dans ces termes :

« Par la décision pénale no 588 du 22 avril 2002, le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest a ordonné l’internement médical de N. au motif qu’il était accusé d’avoir commis l’infraction d’inceste, consistant en des rapports sexuels avec sa fille de 16 ans, au cours de l’année 2000, et celle de corruption sexuelle au motif que, le 21 janvier 2001, il aurait eu un rapport sexuel avec son épouse en présence de ses deux filles.

Du rapport d’expertise médico-légale psychiatrique [du juillet 2007], il ressort que le malade souffre de schizophrénie paranoïde avec évolution chronique et qu’il est conseillé de maintenir la mesure de sûreté prévue à l’article 114 du CP.

Eu égard à ce qui précède, le tribunal (...) décide le maintien de la mesure d’internement médical (article 114 du CP) prise à l’égard du malade N. »

37. Le requérant prit connaissance de cette décision au cours de l’été 2008, lorsqu’il fut soumis à un nouvel examen médico-légal. Il forma un recours.

38. Par une décision définitive du 19 décembre 2008, le tribunal départemental de Buzău, se référant à la motivation du tribunal de première instance, rejeta le recours comme étant manifestement mal fondé après avoir entendu le requérant, qui était assisté par un avocat commis d’office.

E. Contrôles automatiques et sur demande du requérant de la mesure d’internement

39. La mesure d’internement du requérant fut soumise à plusieurs contrôles judiciaires par le tribunal de première instance de Buzău et le tribunal départemental de Buzău. Comme il ressort des décisions qui ont été adoptées et dont la Cour dispose, le requérant fut entendu par les deux tribunaux au cours des procédures.

40. Il fut assisté par différents avocats commis d’office, qui, dans les procédures finalisées avant 2016, se bornèrent à renvoyer aux conclusions des expertises médico-légales effectuées et soit s’en remirent à la sagesse des tribunaux quant au maintien de la mesure soit s’opposèrent à la levée de celle-ci.

41. À l’exception des décisions adoptées après 2015, le dossier ne permet pas de savoir si les décisions antérieures avaient été notifiées au requérant.

42. Selon les rapports des expertises médico-légales effectuées à chaque contrôle, le requérant, qui n’aurait que partiellement reconnu être atteint d’une maladie psychique, était calme, ne s’opposait pas au traitement et ne déclenchait pas de conflit parmi les autres patients. En revanche, toujours selon les rapports, il contestait avec véhémence avoir commis les faits de nature pénale qu’on lui reprochait, estimant avoir été victime de machinations de son ex-épouse.

1. Contrôles menés en 2008

43. Par une décision du 13 octobre 2008, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement à l’égard du requérant. Il se référa à la décision du 22 avril 2002 et à un rapport d’expertise médico‑légale, réalisé après examen du requérant en mai 2008, qui recommandait le maintien de la mesure. Le 9 janvier 2009, sur recours du requérant, le tribunal départemental de Buzău confirma cette décision.

2. Contrôles menés en 2010

44. Par une décision du 18 février 2010, le tribunal de première instance de Buzău rejeta une demande du requérant tendant à la levée de la mesure d’internement. Le tribunal se référa à un rapport d’expertise médico-légale, réalisé après examen du requérant le même mois, qui recommandait le maintien de la mesure et qui décrivait le délire du requérant visant la création d’un nouvel État, l’absence de projets réalisables pour l’avenir et le caractère seulement partiel de sa soumission au traitement médicamenteux.

45. Par une décision du 1er avril 2010, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement à l’égard du requérant. Il se référa à la décision du 22 avril 2002 et à un rapport d’expertise médico‑légale, dressé après examen du requérant en décembre 2009, pour autant qu’il recommandait le maintien de la mesure et décrivait le délire du requérant visant la création d’un nouvel État et l’absence de projets réalisables pour l’avenir.

46. Bien que cela n’ait pas été mentionné par le tribunal, il ressort en outre de ce rapport que le médecin traitant avait décelé chez le requérant un délire érotomaniaque centré sur son ex-épouse, délire qui aurait dénoté une incapacité totale de réintégration sociale et qui aurait été susceptible de conduire à des conflits ou des situations pouvant évoluer de manière imprévisible et dangereuse en cas de retour dans l’appartement qu’il avait habité avec sa famille. Le rapport relevait en outre que l’ami du requérant, qui avait été présent à la plupart des réunions des commissions médicales, se portait vivement en faveur de la remise en liberté du requérant, assurant qu’il l’accueillerait pour une période indéfinie dans l’appartement qu’il habitait avec sa mère. La commission d’évaluation douta toutefois de la réalité de ce soutien venant de la part d’une personne atteinte elle-même de problèmes psychiatriques. Le rapport faisait en revanche état d’un rejet clair du requérant par ses filles et son ex-épouse et mentionnait que le requérant, en dépit du rejet de son ex-épouse et du fait que lui-même considérait son internement comme le fruit d’une machination de celle-ci, entendait refaire sa vie avec elle s’il était remis en liberté.

47. Par une décision du 22 avril 2010, le tribunal de première instance de Buzău rejeta une deuxième demande de mise en liberté du requérant au motif que sa décision du 18 février 2010 était devenue entre-temps définitive et était passée en force de chose jugée. Au cours de la procédure, un rapport médico-légal fut établi le 9 mars 2010, comportant des conclusions similaires à celui rendu en décembre 2009 (paragraphe 45 ci‑dessus).

3. Contrôles menés en 2013

48. En novembre 2010, en mai et en novembre 2011 et en avril 2012, le juge délégué demanda au centre médico-légal de Buzău d’effectuer des expertises psychiatriques pour réexaminer périodiquement la nécessité de maintenir l’internement psychiatrique du requérant.

49. Le centre médico-légal examina le requérant aux dates susmentionnées, mais ne dressa et n’envoya ses rapports qu’en novembre 2013. Les rapports confirmèrent le diagnostic établi à l’égard du requérant et proposèrent le maintien de la mesure d’internement.

50. Par quatre décisions séparées adoptées le 17 et le 19 décembre 2013, le tribunal de première instance, citant la jurisprudence de la Cour en matière d’internement des personnes atteintes de troubles mentaux, maintint la mesure d’internement. Il se référa aux conclusions des rapports médico‑légaux susmentionnés. Dans sa décision du 17 décembre 2013, le tribunal prit de plus en compte un rapport médico-légal dressé après un examen du requérant réalisé quelques jours auparavant, en décembre 2013. Il se référa de surcroît, de manière générale, au « but des mesures de sûreté qui était de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale », et conclut que les conditions requises par l’article 434 § 1 du CPP étaient remplies.

4. Contrôles judiciaires menés en 2014

51. Par trois décisions séparées du 4 février 2014, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement du requérant, sur la base de trois rapports d’expertise médico-légale psychiatrique dressés après examen du requérant en novembre 2012, en mai 2013 et en novembre 2013. La Cour ne dispose pas des rapports et des décisions précitées.

52. Le 1er juillet 2014, l’hôpital psychiatrique de Săpoca saisit les juridictions nationales d’une action tendant à la déclaration d’incapacité du requérant et de son placement sous tutelle (voir paragraphe 77 et suivants ci‑dessous pour le déroulement de la procédure).

5. Contrôle mené en 2015

53. Par une décision du 19 février 2015, citant la jurisprudence de la Cour en matière d’internement des personnes atteintes de troubles mentaux, le tribunal de première instance de Buzău maintint la mesure d’internement à l’égard du requérant. Il se référa à un rapport d’expertise médico-légale, réalisé après examen du requérant en septembre 2014, qui recommandait le maintien de la mesure, ainsi qu’au « but des mesures de sûreté qui était de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale ».

54. Le dispositif de la décision fut notifié au requérant le 26 février 2015.

55. En avril 2015, le requérant saisit l’Inspection judiciaire du Conseil supérieur de la magistrature, dénonçant la pratique du tribunal de première instance de Buzău consistant selon lui à contrôler de manière rétroactive la nécessité de maintenir la mesure d’internement. Par une décision du 15 juin 2015, l’Inspection judiciaire classa la plainte du requérant. Elle confirma l’existence de la pratique dénoncée par le requérant, mais souligna qu’elle trouvait son origine dans le retard avec lequel les autorités médicales avaient transmis leurs rapports d’expertise et non pas dans une quelconque méconnaissance par les juges de leurs attributions.

6. Contrôles menés en 2016

a) Les décisions des tribunaux

56. Le 3 septembre 2015, le juge délégué demanda au centre médico‑légal de Buzău d’effectuer une nouvelle expertise psychiatrique en vue du contrôle périodique de la nécessité de maintenir l’internement psychiatrique du requérant. Celui-ci forma une action séparée demandant le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement médical obligatoire.

57. Le 23 septembre 2015, la commission médico-légale examina le requérant. L’avocat du requérant le représentant dans la présente requête devant la Cour envoya une lettre motivée à la commission par laquelle il plaidait vivement en faveur du remplacement de la mesure prise à l’égard de son client.

58. Le 1er octobre 2015, la commission dressa son rapport d’expertise médico-légale recommandant le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement médical obligatoire. Elle souligna que la persistance du délire lié à la création d’un nouvel État et l’absence de soutien socio-familial, facteur favorisant la réinsertion sociale, la surveillance du traitement médical ainsi que la gestion des besoins quotidiens du requérant centrés sur le nouvel État, avaient justifié le maintien de l’internement jusqu’à ce moment-là. Elle nota que le requérant ne s’était pas montré agressif contre les autres ou contre lui-même au cours de son internement. Elle salua dans ce contexte les démarches effectuées par l’hôpital de Săpoca en vue du placement sous tutelle du requérant qu’elle considéra comme opportunes dans la perspective de la mise en liberté, eu égard au rejet du requérant par sa famille (son frère, sa sœur, son ex-épouse et ses filles). Elle recommanda enfin que les services de protection sociale du secteur dans lequel se trouvait le domicile du requérant fussent informés qu’ils avaient à prendre les mesures nécessaires en vue de la libération de celui-ci.

59. Le 22 octobre 2015, le tribunal de première instance de Buzău, chargé du contrôle, ordonna la réalisation d’une nouvelle expertise médico‑légale par l’Institut national de médecine légale de Bucarest (« l’IML »).

60. Le 10 novembre 2015, le requérant fut soumis à un examen médical au sein de l’IML.

61. Le 12 avril 2016, l’IML rendit son rapport d’expertise, qui indiquait notamment :

– que le requérant souffrait de délire chronique sans aucune perspective d’amélioration, avec au contraire une aggravation future de la maladie due au vieillissement ;

– que la manifestation de la maladie chez le requérant ne permettait pas de conclure à un risque de danger social, mais que l’absence de projets réalisables pour l’avenir augurait de conflits futurs, d’un risque de dégradation sociale avancée et d’une impossibilité de surveiller l’évolution de sa maladie ;

– que le requérant était dépourvu de soutien social de la part de sa famille ou de toute autre personne de confiance.

Dans ces conditions, la commission d’expertise médico-légale indiquait se trouver face à un véritable dilemme d’ordre psychiatrique et déontologique. Elle estimait en effet que si, d’un point de vue psychiatrique, le requérant pouvait être remis en liberté à condition d’être soumis à un traitement médical obligatoire sur le fondement de l’article 109 du CP, cette mesure était inconcevable en l’absence de tout soutien social. En conséquence, elle proposait le maintien provisoire de l’internement jusqu’à ce que les services de protection sociale fussent à même d’assurer le transfert vers une institution spécialisée capable de garantir au requérant des conditions de vie et un traitement adéquats.

62. Par une décision du 27 mai 2016, le tribunal de première instance de Buzău, se référant aux conclusions du rapport médico-légal du 12 avril 2016, (paragraphe 61 ci-dessus), ordonna le maintien de la mesure d’internement.

63. Le requérant contesta cette décision devant le tribunal départemental de Buzău. Il fut représenté par un avocat commis d’office, qui plaida pour le respect de la volonté du requérant. Entendu par le tribunal, le requérant déclara qu’il cohabiterait avec son ex-épouse et une de ses filles dans l’appartement où celles-ci habitaient. Il précisa qu’il bénéficiait d’une pension de retraite.

64. Par un arrêt du 29 août 2016, le tribunal départemental de Buzău confirma la décision du 27 mai 2016. Il s’exprima dans ces termes :

« Étant donné que l’état de santé du malade n’a pas connu d’amélioration, que les membres de la famille ne peuvent pas surveiller la poursuite du traitement médical, et eu égard à la nature des faits qui ont été reprochés et qui ont justifié l’internement médical, il s’avère impossible de faire peser sur les membres de la famille contre lesquels [le requérant] a commis des actes antisociaux une cohabitation avec celui-ci.

Néanmoins, l’administration de l’établissement [où le requérant est interné] doit informer les services d’assistance sociale censés s’occuper du transfert [du requérant] vers une institution spécialisée à même de garantir ses conditions de vie et son traitement. »

b) Les mesures prises par les autorités hospitalières et administratives nationales

65. Le 6 septembre 2016, la direction de l’hôpital Săpoca invita la direction générale de l’assistance sociale et la protection de l’enfance du 6e arrondissement de Bucarest (« la DGASPC ») à prendre des mesures d’assistance au bénéfice du requérant conformément aux instructions contenues dans le rapport médico-légal du 12 avril 2016.

66. Par une lettre du 29 septembre 2016, la DGASPC répondit que
l’ex-épouse du requérant l’avait informée qu’elle entendait n’être aucunement impliquée dans le processus de mise en liberté du requérant. En outre, la DGASPC indiqua qu’elle avait saisi les services d’assistance sociale du département où habitait la sœur du requérant pour un éventuel placement de celui-ci chez elle. Elle indiqua également que le seul centre du 6e arrondissement de Bucarest accueillant les personnes atteintes d’un handicap neuropsychique était dans l’impossibilité d’accueillir le requérant faute de place. Enfin, elle précisa que ses démarches auprès d’autres centres spécialisés ou auprès de simples structures résidentielles s’étaient révélées infructueuses.

67. Le 15 novembre 2016, la direction de l’hôpital Săpoca s’adressa également à la mairie de la commune d’Unguriu, qui avait été chargée entre-temps de la tutelle du requérant (paragraphe 79 ci-dessous). Elle lui rappela le caractère temporaire de l’application de la mesure de sûreté et ses obligations d’entreprendre des démarches dans l’intérêt du requérant, notamment en vue de son éventuel placement dans une institution spécialisée après sa mise en liberté.

68. Le 21 novembre 2016, la mairie d’Unguriu répondit que la décision de placement sous tutelle du requérant n’était pas définitive et qu’elle ne pouvait dès lors prendre de mesure à l’égard de l’intéressé.

7. Contrôles menés en 2017

a) La décision de remplacement de la mesure d’internement

69. Le 12 septembre 2016, le requérant subit un nouvel examen médico‑légal.

70. Le rapport d’expertise médico-légale établi le 25 janvier 2017 recommanda le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement médical obligatoire, eu égard à « la faible dangerosité (sous traitement), à la bonne compliance, à l’absence d’incidents, [et] à la longue durée de la surveillance ». L’expertise mentionnait en particulier :

– l’existence d’un seul thème délirant, bizarre, systématisé, impliquant la création d’un « État uni somalien », mais n’empiétant pas sur le respect des règles de l’hôpital ;

– l’absence de situations conflictuelles ou d’incidents suggérant un comportement potentiellement agressif ;

– une bonne coopération thérapeutique au cours de l’internement, malgré un acquiescement purement formel à l’existence de sa maladie et à la nécessité d’un traitement ;

– l’absence d’antécédents antisociaux – à l’exception des faits reprochés lors de l’internement – ou de consommation de substances psychoactives (drogues, alcool) ;

– l’influence négative de la prolongation de l’internement pour des raisons sociales sur l’évolution de la maladie et l’état physiologique du requérant, et

– le placement sous tutelle du requérant.

L’expertise souligna néanmoins le risque de décompensation de la maladie impliquant d’éventuelles conséquences sociales négatives en cas de suivi inadéquat du requérant par l’organisme qui s’était vu confier la tutelle de celui-ci.

71. Le 21 février 2017, le requérant fut entendu par le tribunal de première instance de Buzău. Il était représenté par un avocat commis d’office, qui plaida pour le remplacement de la mesure d’internement.

72. Par une décision définitive du même jour, le tribunal de première instance de Buzău ordonna le remplacement de la mesure d’internement par la mesure de traitement obligatoire jusqu’au rétablissement du requérant. Il se référa au rapport d’expertise médico-légale du 25 janvier 2017 (paragraphe 70 ci-dessus), ainsi qu’au « but des mesures de sûreté qui était de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale ».

b) Les mesures prises par les autorités hospitalières et administratives nationales

73. Le 7 mars 2017, le requérant demanda à pouvoir rester placé de manière continue jusqu’à la résolution de sa situation sociale.

74. Le 8 mars 2017, l’avocat du requérant devant la Cour envoya une lettre à l’hôpital de Săpoca prônant, à terme, dans le cadre de la mise à exécution de la décision du 21 février 2017, la réinsertion du requérant dans la société et non son placement dans une structure résidentielle. Il souligna que la mise en liberté du requérant en l’absence de soutien adéquat condamnerait celui-ci au vagabondage, à l’indigence et à la dégradation physique et psychique. Enfin, il sollicita la création d’une commission interdisciplinaire chargée d’identifier les mesures à prendre pour lui, suivant en cela le modèle adopté par d’autres pays en vue de la désinstitutionnalisation des personnes internées.

75. Le 9 mars 2017, le requérant fut transféré au sein du même hôpital dans la section destinée aux personnes atteintes de maladies chroniques.

76. Le 14 mars 2017, la direction de l’hôpital Săpoca invita la DGASPC à prendre des mesures d’assistance au bénéfice du requérant conformément à la décision définitive ordonnant le remplacement de la mesure d’internement. Elle saisit également deux fondations sises à Bucarest aux mêmes fins, sans succès.

F. La procédure de déclaration d’incapacité et le placement sous tutelle

77. Le 1er juillet 2014, l’hôpital psychiatrique de Săpoca avait saisi le tribunal de première instance de Pătârlagele d’une action tendant à la déclaration d’incapacité du requérant et de son placement sous tutelle.

78. Le 7 juillet 2014, en vertu de l’article 167 du nouveau CC, le tribunal avait nommé curateur spécial du requérant une avocate du barreau local.

79. Par une décision du 30 août 2016, le tribunal de première instance de Pătârlagele avait décidé le placement sous tutelle du requérant. Personne n’ayant accepté d’être tuteur, le tribunal avait confié cette tâche au service compétent de la mairie de la commune d’Unguriu sur le territoire duquel est sis l’hôpital psychiatrique de Săpoca, notant que, selon un rapport d’expertise médico-légale établi le 9 octobre 2015, le requérant, en raison de sa maladie psychique, était dépourvu des qualités psychiques nécessaires pour accomplir seul les actes de la vie quotidienne et pour prendre, s’agissant de ses droits et obligations civils, des décisions en connaissance de cause et en anticipant les conséquences de celles-ci.

80. Le requérant ayant interjeté appel de cette décision devant le tribunal départemental de Buzău, ce dernier, par décision du 5 décembre 2016, nomma un nouveau curateur spécial aux fins de la procédure et, par décision du 6 février 2017, ordonna une nouvelle expertise médico-légale afin de déterminer si le discernement du requérant était anéanti ou seulement altéré.

81. Le tribunal départemental accepta en outre, à la demande de l’avocat du requérant le représentant devant la Cour, de saisir la Cour constitutionnelle d’une exception d’inconstitutionnalité de l’article 164 § 1 du CC au motif qu’il autorisait uniquement la déclaration d’incapacité totale d’une personne, excluant l’ajustement de la protection juridique en fonction des capacités mentales de la personne en cause.

82. La procédure est actuellement pendante devant le tribunal départemental de Buzău.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code pénal

83. Les dispositions pertinentes de l’ancien CP, en vigueur avant le 1er février 2014, se lisaient ainsi :

Article 111 – Le but des mesures de sûreté

« Les mesures de sûreté ont pour but de mettre fin à un état de danger et de prévenir la commission d’actes prévus par la loi pénale (faptelor prevăzute de legea penală).

Les mesures de sûreté sont prises à l’égard de personnes qui ont commis des actes prévus par la loi pénale.

Les mesures de sûreté peuvent être prises à l’encontre de personnes à l’égard desquelles aucune peine n’est prononcée (...) »

Article 113 – Le traitement médical obligatoire

« Si l’auteur allégué d’une infraction (făptuitorul) présente un danger pour la société à cause d’une maladie ou de l’intoxication chronique causée par l’alcool, des stupéfiants ou d’autres substances, il peut être obligé de se présenter régulièrement pour un traitement médical jusqu’à son rétablissement.

Si la personne à l’égard de laquelle une telle mesure a été prise ne se présente pas régulièrement pour son traitement, il est possible d’appliquer à son égard la mesure d’internement médical.

(...)

Cette mesure peut être prise provisoirement, y compris au cours des poursuites pénales ou du jugement. »

Article 114 – L’internement médical

« Si l’auteur allégué d’une infraction souffre d’une maladie mentale ou est toxicomane et s’il se trouve dans un état qui présente un danger pour la société, la mesure d’internement dans un institut médical spécialisé peut être prise jusqu’à son rétablissement.

Cette mesure peut être prise provisoirement, y compris au cours des poursuites pénales ou du jugement. »

84. L’article 110 régissant l’internement médical du nouveau CP, entré en vigueur le 1er février 2014, énonce que cette mesure dure jusqu’au rétablissement de la personne internée ou jusqu’à une amélioration de son état de nature à mettre fin au danger qu’elle peut présenter.

B. Le code de procédure pénale

1. L’adoption des mesures de sûreté

85. Les dispositions pertinentes de l’article 162 de l’ancien CPP, en vigueur à l’époque de la décision de l’internement du requérant, étaient ainsi libellées :

Article 162 – L’adoption des mesures de sûreté

« Pendant toute la durée du procès pénal, le procureur ou le tribunal qui constate que le suspect ou l’inculpé est dans une des situations prévues par les articles 113 ou 114 du CP ordonne provisoirement la mesure de sûreté adéquate.

Le procureur ou le tribunal prend les mesures nécessaires en vue de l’exécution de la mesure d’internement provisoire et, dans le même temps, saisit la commission médicale compétente pour recueillir son avis sur l’internement des malades mentaux et des toxicomanes dangereux.

La mesure d’internement provisoire dure jusqu’à sa confirmation par le tribunal.

Cette confirmation s’effectue sur le fondement de l’avis de la commission médicale.

(...)

La décision de justice par laquelle l’internement a été confirmé peut être attaquée séparément par un recours. Le recours n’est pas suspensif d’exécution. »

86. La loi no 281/2003, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, a modifié l’article 162 : désormais, seul le tribunal peut ordonner l’internement ; un nouveau paragraphe a été ajouté, qui exige la prise des mesures de sûreté prévues aux articles 113 et 114 avant l’audition des suspects ou des inculpés en présence de leur avocat et du procureur.

87. De nouvelles modifications avaient été apportées par la loi no 356/2006, entrée en vigueur le 6 septembre 2006. Selon ces modifications, la mesure provisoire d’internement ne pouvait dépasser cent quatre-vingts jours au cours des poursuites pénales et l’avis de la commission médicale compétente nécessaire en vue de la confirmation de la mesure devait parvenir au tribunal dans un délai de quarante-cinq jours à compter de la saisine de la commission. Par ailleurs, l’intéressé pouvait demander à être examiné par un médecin spécialiste qu’il avait lui-même désigné et dont les conclusions étaient communiquées au tribunal statuant sur l’internement.

2. La mise à exécution de la mesure d’internement

88. Les dispositions pertinentes de l’ancien CPP étaient ainsi libellées à l’époque de la décision de l’internement du requérant :

Article 432

« La mesure de sûreté de l’internement médical ordonnée par une décision définitive est mise à exécution par la notification de son dispositif et d’une copie du rapport médico-légal à l’unité sanitaire du département dans lequel habite la personne contre laquelle la mesure a été prise. »

3. La modification de la mesure d’internement

89. Les dispositions pertinentes de l’ancien CPP étaient ainsi libellées à l’époque de la décision de l’internement du requérant :

Article 433

« (...)

2. L’unité sanitaire dans laquelle l’intéressé est interné doit, si l’internement s’avère n’être plus nécessaire, en informer le tribunal sis dans la circonscription dans laquelle est située l’unité sanitaire. »

Article 434

« Le tribunal, après avoir saisi le procureur conformément à l’article 433 § 2 et après avoir recueilli les conclusions du procureur, de l’avocat et, si cela se révèle nécessaire, de la personne internée, ordonne soit la levée de la mesure soit son remplacement par la mesure de traitement médical obligatoire.

La levée ou le remplacement de la mesure d’internement peuvent être demandés tant par la personne internée que par le procureur. Dans ces cas, la juridiction sollicite l’avis de l’unité sanitaire dans laquelle se trouve la personne internée.

Si la personne internée n’a pas un avocat choisi par elle, elle bénéficie d’un avocat commis d’office (...) »

Article 435

« Lorsque la mesure d’obligation de traitement médical ou d’internement médical a été prise de manière provisoire au cours des poursuites pénales ou du jugement, la mise à exécution est faite par le procureur ou par l’instance judiciaire ayant pris cette mesure.

Les dispositions prévues aux articles 430-434 s’appliquent mutatis mutandis. »

90. À la suite des modifications apportées par la loi no 356/2006, entrée en vigueur le 6 septembre 2006, l’article 434 prévoyait que le tribunal était tenu d’entendre la personne internée si la comparution devant le tribunal était possible, ainsi que le spécialiste ayant dressé le rapport médico-légal utilisé dans la cause, pour autant que cela se révélait utile. Lorsque le remplacement ou la levée de la mesure étaient demandés par la personne internée ou par le procureur, le tribunal devait ordonner la réalisation d’un rapport médico-légal et non plus demander l’avis de l’unité sanitaire dans laquelle la personne visée était internée. En outre, le juge délégué près le tribunal de première instance du secteur où se trouvait l’unité sanitaire dans laquelle l’intéressé était interné vérifiait périodiquement, mais au minimum tous les six mois, si l’internement demeurait nécessaire. À cette fin, le juge délégué ordonnait la réalisation d’un rapport médico-légal sur l’état de santé de la personne internée et, à sa réception, saisissait le tribunal afin que celui-ci se prononçât sur le maintien, le remplacement ou la levée de la mesure.

91. Le nouveau CPP est entré en vigueur le 1er février 2014. Son article 569 § 3 prévoit désormais que le juge délégué vérifie, au moins tous les douze mois, si l’internement demeure nécessaire.

4. La citation des personnes internées dans un établissement médical

92. L’article 177 § 5 du CPP, applicable jusqu’au 1er février 2014, était ainsi libellé :

« Les malades hospitalisés ou internés dans un établissement médical sont cités à comparaître par le truchement de l’administration [de l’hôpital ou de l’établissement]. »

L’article 259 § 6 du CPP, en vigueur à ce jour, contient des dispositions similaires.

93. L’article 198 § 4 c) et f) du CPP en vigueur jusqu’au 1er février 2014 prévoyait que le juge pouvait infliger une amende à un expert judiciaire (personne physique ou morale) qui tergiversait ou manquait à son obligation de soumettre un rapport au tribunal. L’article 283 § 4 c) et f) du nouveau CPP contient des dispositions similaires.

C. Dispositions relatives à l’interdiction civile, à la tutelle et à la curatelle

94. Les dispositions du code de la famille concernant les personnes faisant l’objet d’une mesure d’interdiction civile, en vigueur à l’époque de l’internement du requérant, peuvent se lire comme suit :

Article 142

« Toute personne qui, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, se trouve privée du discernement lui permettant de faire valoir ses intérêts sera frappée d’interdiction. (...) »

Article 149

« Le tuteur a l’obligation de prendre soin de la personne frappée d’interdiction afin d’accélérer son rétablissement et d’améliorer ses conditions de vie (...).

L’autorité de tutelle, en accord avec le service de santé publique compétent et en fonction des circonstances, devra décider si la personne dépourvue de [capacité juridique] sera soignée à son domicile ou dans une institution médicale. »

Article 152

« En dehors des autres situations prévues par la loi, l’autorité de tutelle doit nommer un curateur dans les cas suivants :

(a) Lorsque, en raison de la vieillesse, de sa maladie ou d’une infirmité physique, une personne disposant de [la capacité juridique] n’est pas en mesure de gérer personnellement ses biens ou de défendre ses intérêts de manière adéquate et, pour des raisons sérieuses, n’est pas en mesure de désigner elle-même un représentant ;

(b) Lorsque, en raison de sa maladie ou pour d’autres motifs, une personne disposant de [la capacité juridique] n’est pas en mesure, ni personnellement ni par le biais d’un représentant, de prendre les mesures nécessaires dans des situations d’urgence.

(...) »

Article 153

« Dans les cas prévus à l’article 152, la curatelle ne porte pas atteinte à la capacité de la personne représentée par le curateur. »

95. Le nouveau code civil a été publié au Journal officiel no 511 du 24 juillet 2009, puis republié au Journal officiel no 505 du 15 juillet 2011. Il est entré en vigueur le 1er octobre 2011. Son titre III régit, entre autres, les mesures de protection des personnes majeures qui sont dans l’incapacité de pourvoir seules à leurs intérêts et reprend, pour l’essentiel, les dispositions de l’ancien code de la famille pertinentes en l’espèce.

Ainsi, l’article 164 de ce code énonce que « toute personne qui, en raison de son aliénation mentale ou de sa débilité mentale, se trouve privée du discernement lui permettant de faire valoir ses intérêts, sera frappée d’interdiction par décision de justice (interdicţie judecătorească) ».

L’article 170 énonce que le juge des tutelles (instanţa de tutelă) doit désigner un tuteur par la décision de justice ordonnant l’interdiction.

Selon l’article 167, en cas de besoin, et ce jusqu’à la mesure d’interdiction par décision définitive de justice, le juge des tutelles peut désigner un curateur spécial pour prendre soin et pour représenter la personne pour laquelle l’interdiction est réclamée, ainsi que pour gérer ses biens.

L’article 178 régit la curatelle qui doit être instituée entre autres si, en raison de la maladie, une personne, bien que disposant de la capacité juridique, n’est pas en mesure de défendre ses intérêts de manière adéquate et, pour des raisons objectives, n’est pas en mesure de désigner elle-même un représentant.

D. La loi no 487/2002 sur la santé mentale et la loi no 448/2006 sur la protection des personnes atteintes d’un handicap

96. Les dispositions pertinentes des lois susmentionnées et la pratique interne pertinente en l’espèce relative à la protection des personnes atteintes de troubles psychiques sont en partie décrites dans les arrêts C.B. c. Roumanie (no 21207/03, § 37, 20 avril 2010), Parascineti c. Roumanie (no 32060/05, §§ 25 et 29, 13 mars 2012), Cristian Teodorescu c. Roumanie (no 22883/05, §§ 30-40, 19 juin 2012) et B. c. Roumanie (no 2), no 1285/03, §§ 42 et suivants, 19 février 2013).

E. Dispositions relatives à la réparation du préjudice causé par une privation illégale de liberté

97. L’article 504 du CPP, en vigueur jusqu’au 1er février 2014, régissant l’action en réparation de préjudice moral dirigée contre l’État en cas d’erreur judiciaire ou de privation de liberté illégale, ainsi que les décisions nos 45/1998 et 417/2004 de la Cour constitutionnelle portant sur l’interprétation de celui-ci sont exposés dans les arrêts Oprea c. Roumanie (no 26765/05, §§ 10-11, 10 décembre 2013) et Visan c. Roumanie (no 15741/03, §§ 17-18, 24 avril 2008). L’article 504 du CPP énonce que, pour pouvoir donner lieu à réparation, la privation ou la restriction illégale de liberté doit avoir été constatée, selon le cas, par une ordonnance du procureur portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté, par un non-lieu ou par une décision du tribunal portant révocation de la mesure privative ou restrictive de liberté.

98. Les dispositions pertinentes en l’espèce du nouveau CPP, entré en vigueur le 1er février 2014, sont ainsi libellées :

Article 539 – Le droit à la réparation du préjudice
en cas de privation illégale de liberté

« 1. La personne qui a été illégalement privée de liberté pendant le procès pénal a droit à la réparation de son préjudice.

2. La privation illégale de liberté doit être établie, le cas échéant, par une ordonnance du procureur, par une décision avant dire droit définitive du juge des droits et des libertés ou du juge de la chambre préliminaire, ou bien par une décision avant dire droit définitive ou une décision définitive du tribunal compétent pour se prononcer en l’affaire. »

Article 540 § 1 – La nature et l’étendue de la réparation

« Pour établir le montant de la réparation, [le tribunal] tient compte de la durée de la privation illégale de liberté ainsi que des conséquences sur la personne [privée de liberté] et sa famille (...) »

Article 541 § 2 – L’action en réparation du préjudice

« L’action peut être introduite dans un délai de six mois à compter de la date à laquelle la décision du tribunal est devenue définitive, ainsi qu[‘à compter de la date de] l’ordonnance ou [d]es décisions avant dire droit des autorités judiciaires par lesquelles il a été fait constat de l’erreur judiciaire ou de la privation illégale de liberté (...) »

99. La pratique interne pertinente en l’espèce relative à l’application directe par les tribunaux roumains des dispositions de la Constitution et de l’article 5 § 5 de la Convention dans des procédures engagées aux fins de réparation du préjudice subi lors de privations de liberté considérées comme illégales est décrite dans l’affaire Dragomir c. Roumanie ((déc.) no 59064/11, §§ 10-14, 3 juin 2014).

III. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

100. Les dispositions pertinentes en l’espèce de plusieurs documents adoptés dans la cadre de l’Organisation des Nations unies, du Conseil de l’Europe et de l’Union européenne sont décrites dans l’arrêt M.S. c. Croatie (no 2) (no 75450/12, §§ 45-61, 19 février 2015). Certains documents présentant une pertinence particulière pour la présente affaire figurent ci‑dessous.

A. Les Nations unies

101. La Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (« la CDPH »), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006 (Résolution A/RES/61/106), a pour objet de promouvoir, protéger et assurer la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales par les personnes handicapées et de promouvoir le respect de leur dignité intrinsèque. Elle a été ratifiée, à la fin septembre 2016, par 44 des 47 États membres du Conseil de l’Europe. La Roumanie l’a ratifiée le 31 janvier 2011. Les dispositions pertinentes en l’espèce de cette Convention se lisent ainsi :

Article 13 – Accès à la justice

« 1. Les États Parties assurent l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, sur la base de l’égalité avec les autres, y compris par le biais d’aménagements procéduraux et d’aménagements en fonction de l’âge, afin de faciliter leur participation effective, directe ou indirecte, notamment en tant que témoins, à toutes les procédures judiciaires, y compris au stade de l’enquête et aux autres stades préliminaires.

2. Afin d’aider à assurer l’accès effectif des personnes handicapées à la justice, les États Parties favorisent une formation appropriée des personnels concourant à l’administration de la justice, y compris les personnels de police et les personnels pénitentiaires. »

Article 14 – Liberté et sécurité de la personne

« 1. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres :

a) Jouissent du droit à la liberté et à la sûreté de leur personne ;

b) Ne soient pas privées de leur liberté de façon illégale ou arbitraire ; ils veillent en outre à ce que toute privation de liberté soit conforme à la loi et à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté.

2. Les États Parties veillent à ce que les personnes handicapées, si elles sont privées de leur liberté à l’issue d’une quelconque procédure, aient droit, sur la base de l’égalité avec les autres, aux garanties prévues par le droit international des droits de l’homme et soient traitées conformément aux buts et principes de la présente Convention, y compris en bénéficiant d’aménagements raisonnables. »

Article 19 – Autonomie de vie et inclusion dans la société

« Les États Parties à la présente Convention reconnaissent à toutes les personnes handicapées le droit de vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes, et prennent des mesures efficaces et appropriées pour faciliter aux personnes handicapées la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société, notamment en veillant à ce que :

a) Les personnes handicapées aient la possibilité de choisir, sur la base de l’égalité avec les autres, leur lieu de résidence et où et avec qui elles vont vivre et qu’elles ne soient pas obligées de vivre dans un milieu de vie particulier ;

b) Les personnes handicapées aient accès à une gamme de services à domicile ou en établissement et autres services sociaux d’accompagnement, y compris l’aide personnelle nécessaire pour leur permettre de vivre dans la société et de s’y insérer et pour empêcher qu’elles ne soient isolées ou victimes de ségrégation ;

c) Les services et équipements sociaux destinés à la population générale soient mis à la disposition des personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres, et soient adaptés à leurs besoins. »

102. En septembre 2015, lors de sa 14e session, le Comité des droits des personnes handicapées a adopté les Lignes directrices relatives à l’article 14 de la Convention sur les droits des personnes handicapées, qui ont remplacé la Déclaration qu’il avait adoptée sur le même sujet en septembre 2014 (voir, pour les extraits pertinents en l’espèce, Hiller c. Autriche, no 1967/14, § 36, 22 novembre 2016). Les parties pertinentes en l’espèce de ces Lignes directrices se lisent ainsi (traduction du greffe) :

« III. Interdiction absolue de la détention fondée sur une déficience

6. Il subsiste des pratiques en vertu desquelles des États parties autorisent la privation de liberté en raison d’une déficience, réelle ou supposée. À cet égard, le Comité a établi que l’article 14 ne ménage aucune exception qui permette de placer une personne en détention en raison d’une déficience, réelle ou supposée. Cependant, dans divers États parties la législation – y compris les lois sur la santé mentale – prévoit encore des cas où il est possible de placer une personne en détention en raison d’une déficience, réelle ou supposée, dès lors que d’autres motifs justifient cette mesure, par exemple la circonstance que la personne concernée est estimée dangereuse pour elle-même ou pour autrui. Cette pratique est incompatible avec l’article 14 [de la CDPH] ; elle est par essence discriminatoire et constitue une privation arbitraire de liberté.

(...) [L’]article 14 § 1 b) [de la CDPH] interdit la privation de liberté fondée sur une déficience, réelle ou supposée, même si l’on s’appuie sur des facteurs ou critères complémentaires pour justifier la privation de liberté (...)

9. La jouissance du droit à la liberté et à la sûreté de la personne est cruciale pour la mise en œuvre de l’article 19 [de la CDPH], consacré au droit de vivre de manière autonome et à être intégré dans la société. Le Comité a souligné ce lien avec l’article 19. Il a exprimé sa préoccupation concernant le placement en institution de personnes handicapées et l’absence de services d’aide dans la société, et a recommandé la mise en place de tels services ainsi que de stratégies efficaces de désinstitutionnalisation, en consultation avec les organisations qui défendent les personnes handicapées. Par ailleurs, il a préconisé l’affectation de crédits supplémentaires visant à permettre la mise à disposition de services suffisants dans le milieu local.

IV. Internement non volontaire ou non consenti
dans un établissement de santé mentale

10. L’internement non volontaire d’une personne handicapée pour raisons de santé est contraire à l’interdiction absolue visant la privation de liberté fondée sur une déficience (article 14 § 1 b) [de la CDPH]) et au principe du consentement libre et éclairé de la personne concernée aux soins de santé (article 25 [de la CDPH]). Le Comité a maintes fois déclaré que les États parties doivent abroger les dispositions qui autorisent l’internement non volontaire d’une personne handicapée dans un établissement de santé mentale sur le fondement d’une déficience, réelle ou supposée. L’internement non volontaire dans un centre de santé mentale va de pair avec la négation de la capacité juridique de l’intéressé à prendre des décisions concernant des soins, un traitement et l’admission dans un hôpital ou un établissement, et dès lors emporte violation de l’article 12 combiné avec l’article 14 [de la CDPH] (...)

VIII. Placement en détention d’une personne estimée inapte à être jugée
dans le cadre du système de justice pénale et/ou pénalement irresponsable

16. Le Comité a établi que les déclarations indiquant qu’une personne est inapte à subir un procès ou ne peut être reconnue pénalement responsable dans le cadre d’un système de justice pénale, ainsi que la mise en détention d’une personne sur le fondement de telles déclarations, sont contraires à l’article 14 de la [CDPH] dès lors qu’elles privent la personne concernée de son droit de se défendre et des garanties applicables à tout justiciable. Le Comité a également demandé aux États parties de supprimer ces déclarations de leur système de justice pénale. Il a recommandé que « toute personne handicapée qui a été accusée d’une infraction et (...) détenue dans une prison ou un établissement, sans faire l’objet d’un procès, soit autorisée à se défendre contre les accusations pénales portées contre elle, et qu’elle se voie offrir soutien et aménagements nécessaires pour faciliter sa participation effective », ainsi que les aménagements procéduraux destinés à lui assurer un procès équitable et le respect des droits de la défense (...)

XI. Mesures de sûreté

20. Le Comité s’est penché sur les mesures de sûreté imposées aux individus jugés irresponsables en raison d’une « aliénation mentale » et de l’impossibilité de les déclarer pénalement responsables. Le Comité a également recommandé la suppression des mesures de sûreté, y compris celles qui s’accompagnent d’un traitement médical et psychiatrique forcé en établissement. Il a aussi exprimé sa préoccupation concernant les mesures de sûreté qui impliquent une privation de liberté d’une durée indéterminée et l’absence des garanties habituelles dans le cadre du système de justice pénale. »

103. Dans ses constatations adoptées le 2 septembre 2016, dans le cadre de la communication no 7/2012, entamée par Marlon James Noble contre l’Australie, le Comité des droits des personnes handicapées a conclu à la violation de l’article 14 § 1 b) de la CDPH au motif que le requérant, atteint de déficiences intellectuelles, avait été incarcéré dans une prison, et ce après que la procédure pénale ouverte à son encontre du chef de plusieurs agressions sexuelles avait été clôturée au motif qu’il avait été déclaré dépourvu de discernement (unfit to plead). Le Comité a souligné que les autorités nationales avaient reconnu que la prison n’était pas l’environnement approprié pour le plaignant, mais que son incarcération se justifiait par l’absence de voies alternatives et de services sociaux disponibles. Le Comité a conclu que la détention de l’intéressé avait été imposée après l’examen par les autorités nationales des conséquences éventuelles de son handicap intellectuel, en l’absence de toute condamnation pénale, faisant ainsi de son handicap la cause principale de sa détention, en méconnaissance de l’article 14 § 1 b) de la CDPH. Dans ses constatations, le Comité a en outre critiqué l’impossibilité pour le plaignant de voir examiner les charges portées à son encontre et de se disculper éventuellement de son statut d’agresseur sexuel, et ce en raison de son handicap intellectuel. Il a indiqué que cette situation révélait un traitement discriminatoire et qu’elle s’analysait en une méconnaissance à l’égard du plaignant du droit d’accès à la justice et du droit à un procès équitable.

104. Le rapport, présenté en juillet 2005 par le Rapporteur spécial sur le droit de toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mental susceptible d’être atteint devant la Commission des droits de l’homme des Nations unies à la suite de la visite qu’il a effectuée en Roumanie du 23 au 27 août 2004 (E/CN.4/2005/51/Add.4), contient notamment ces remarques :

« 65. Une des principales préoccupations du Rapporteur spécial tient au fait que les soins de santé mentale continuent d’être largement assurés dans de vastes institutions psychiatriques ne disposant pas de services de réadaptation adéquats et à l’insuffisance des services de soins et d’aide aux personnes présentant des troubles mentaux au niveau communautaire. Le système centralisé de placement en institution va à l’encontre du droit des personnes souffrant de troubles mentaux d’être traitées et soignées, dans la mesure du possible, dans la communauté dans laquelle elles vivent, et de travailler dans cette dernière. Le Rapporteur spécial souligne que le droit à la santé comporte le droit de bénéficier de soins, notamment de soins de santé mentale, géographiquement accessibles, conçus pour améliorer l’état de santé des patients et d’une qualité scientifique et médicale satisfaisante. »

105. Le rapport présenté en avril 2016 par le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté au Conseil des droits de l’homme des Nations unies sur la mission qu’il avait menée en Roumanie du 2 au 11 novembre 2015 (A/HRC/32/31/Add.2) est ainsi libellé dans ces parties pertinentes en l’espèce :

(Traduction du greffe)

« 45. (...) La Roumanie présente encore un niveau élevé du nombre d’adultes atteints d’un handicap placés en institution. Bien que la désinstitutionnalisation des personnes handicapées ait été depuis longtemps un objectif stratégique, très peu de mesures concrètes ont été prises pour atteindre cet objectif. Selon les autorités, au moins 17 567 adultes handicapés sont placés dans des structures résidentielles depuis 30 juin 2015.

46. Le Rapporteur spécial a visité deux structures résidentielles dans le département de Prahova. Dans l’une d’elles, destinée au rétablissement et à la réadaptation des adultes atteints d’une déficience mentale, le directeur a déclaré de manière claire qu’il n’y avait eu rétablissement ou réadaptation d’aucun des résidents. Les résidents sont donc voués à rester dans ces structures jusqu’à leur mort, sans aucune chance de vivre au sein la société. La structure que le Rapporteur spécial a visitée est plutôt la règle et non l’exception. Les représentants des directions des deux structures visitées ont évoqué leur intérêt pour la désinstitutionnalisation de leurs résidents, mais ont conclu que cela n’était pas réalisable en raison d’obstacles tels que l’opposition des résidents locaux à l’intégration de personnes handicapées au sein de leurs communautés et l’absence de moyens locatifs pour ces personnes. Il apparaît en outre que des investissements sont réalisés pour rénover et agrandir les structures existantes plutôt que pour construire les infrastructures et les services susceptibles de permettre aux personnes handicapées de vivre de manière indépendante. »

B. Le Conseil de l’Europe

106. Le 30 novembre 2016, le Conseil de l’Europe a adopté sa nouvelle Stratégie sur le handicap 2017-2023, dont l’objectif global est la réalisation de l’égalité, de la dignité et de l’égalité des chances pour les personnes handicapées. Cette stratégie exige de garantir à celles-ci l’autonomie, la liberté de choix, et la participation pleine et effective à la vie de la société et de la communauté (point 16). Le document de la stratégie vise à guider et soutenir le travail et les activités qui sont réalisés par le Conseil de l’Europe, ses États membres et d’autres parties prenantes, aux niveaux tant national que local, et qui visent à mettre en œuvre la CDPH (point 17).

107. Dans son rapport publié le 24 septembre 2015 à la suite de sa visite en juin 2014 à l’hôpital psychiatrique de Săpoca, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) notait, par rapport à la surpopulation caractérisant les diverses unités de l’hôpital :

« 124. (...) En outre, le CPT est d’avis qu’il conviendrait d’apporter une réponse structurelle et de développer des politiques favorisant la désinstitutionnalisation et permettant la mise en place d’une offre de soins alternative étoffée (hôpitaux de jour, maisons communautaires, etc.) de proximité. Cela ne pourrait que contribuer efficacement à diminuer la pression constante pesant sur les capacités d’accueil de l’Hôpital psychiatrique de Săpoca. À cet égard, après la visite les autorités roumaines ont également fait savoir que des démarches avaient été initiées auprès des autorités locales afin de mettre en place des unités de soins médico-sociales et des services communautaires qui permettraient de réduire le surpeuplement de l’hôpital et d’apporter une réponse plus adaptée aux besoins de soins de certains patients. »

Pour ce qui était des garanties offertes aux personnes concernées par des mesures de sûreté, le CPT indiquait :

« 151. (...) L’examen des dossiers personnels des patients a fait apparaître qu’ils étaient bien tenus. Les délais de procédures étaient respectés, et un avocat était présent lors des audiences judiciaires. La décision judiciaire de maintien de placement était notifiée par écrit à l’hôpital et au patient. Les entretiens avec des patients ont fait apparaître qu’ils étaient généralement entendus par la commission d’évaluation et informés du maintien de leur placement dans l’établissement. Les patients pouvaient s’y présenter assistés de leur avocat. La présence des patients, et de leurs avocats, n’était toutefois pas mentionnée dans les procès-verbaux de la commission. Le CPT recommande aux autorités roumaines de veiller à ce que désormais les procès-verbaux citent expressément les parties convoquées et celles présentes. »

S’agissant notamment de la révision de la mesure d’internement, le CPT relevait que ce qui suit :

« En pratique, il y a un rapport du médecin traitant, une audition par une commission d’évaluation comprenant l’expert légiste, un à trois psychiatres de l’hôpital concerné, le psychiatre traitant – qui ne participe pas à la décision – et un secrétaire. »

108. Dans son rapport publié le 8 juillet 2014, le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, à la suite de sa visite en Roumanie du 31 mars au 4 avril 2014 (CommDH(2014)14), fait part de son inquiétude liée au fait que, en dépit des garanties existantes, les personnes handicapées ne bénéficient pas la plupart du temps d’un contrôle judiciaire de leur placement dans une institution (§§ 14-25). Il renvoie à cet égard à la jurisprudence de la Cour, aux conclusions du CPT consécutives à ses visites en Roumanie ou à celles de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (« FRA »).

En outre, il souligne que l’obstacle majeur à la vie en société des personnes handicapées est l’absence d’alternative au placement dans des institutions, lequel représente finalement un arrangement à vie pour la majorité des personnes concernées (§§ 26-27).

EN DROIT

I. QUESTION PRÉLIMINAIRE SUR L’OBJET DE L’AFFAIRE

109. La Cour relève que, dans les observations supplémentaires qui lui sont parvenues les 17 octobre et 18 novembre 2016, le requérant a soulevé de nouveaux griefs. Ainsi, sur le terrain de l’article 3 de la Convention, il a dénoncé l’absence d’un plan thérapeutique et d’un traitement médical adéquat tout au long de son internement, ainsi que les effets que cette attitude aurait eus à son égard. En outre, sur le terrain de l’article 8 de la Convention, il s’est plaint de différents aspects concernant la procédure de déclaration d’incapacité et le placement sous tutelle. Enfin, sous l’angle de l’article 6 § 2 de la Convention, il a indiqué que les tribunaux nationaux qui ont prolongé son internement avaient fait référence aux infractions qu’il aurait commises, et ce, selon lui, en méconnaissance du principe de la présomption d’innocence.

110. La Cour constate que ces griefs, formulés après la communication de la présente requête au gouvernement défendeur, ne constituent pas un aspect des griefs sur lesquels les parties ont échangé leurs observations (Piryanik c. Ukraine, no 75788/01, §§ 19-20, 19 avril 2005, Nuray Şen c. Turquie (no 2), no 25354/94, §§ 199-200, 30 mars 2004, et Gallucci c. Italie, no 10756/02, §§ 55-57, 12 juin 2007). De plus, la Cour observe que le requérant a précisé lui-même qu’il envisageait d’introduire une requête séparée pour ce qui est des griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention. Compte tenu de ces considérations, à ce stade de la procédure, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner les griefs précités dans le cadre du présent arrêt.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

111. Le requérant se plaint du caractère irrégulier de son internement et des modalités du contrôle périodique de cette mesure, de ce qu’il n’a pas été informé des raisons de son internement et qu’il n’a pas pu obtenir de réparation pour sa privation de liberté qu’il estime contraire à la Convention. Il invoque les paragraphes 1, 2, 4 et 5 de l’article 5 de la Convention, qui disposent notamment :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

(...)

2. Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5. Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

A. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 1 de la Convention

112. Le requérant estime qu’il a subi une privation de liberté arbitraire et non justifiée. Il dénonce en premier lieu le caractère vague de la loi en vigueur à la date de son internement, estimant qu’elle conférait au procureur des pouvoirs discrétionnaires non soumis à un contrôle juridictionnel et très peu de garanties procédurales à la personne internée. Il soutient également que son internement a été décidé en l’absence d’un examen sérieux des accusations pénales portées à son encontre et en l’absence de l’examen médico-légal préalable qui serait requis en cas d’internement non urgent. Il considère que le procureur et le tribunal ayant prononcé la décision du 22 avril 2002 ont fait preuve de mauvaise foi en accréditant la thèse, fallacieuse à ses yeux, selon laquelle le rapport d’expertise médico-légale du 11 novembre 2001 avait proposé son internement. Enfin, il expose que les autorités nationales n’ont aucunement exploré la possibilité d’adopter des mesures alternatives en l’espèce.

113. Le requérant indique ensuite que les contrôles périodiques de son internement s’apparentent à une parodie de justice et que, en tout état de cause, son internement est désormais illégal au vu des conclusions des rapports d’expertise médico-légale établis après les examens auxquels il aurait été soumis en septembre et en novembre 2015 (paragraphes 58 et 61 ci-dessus).

1. Sur la recevabilité

a) Arguments des parties

i. Le Gouvernement

114. Le Gouvernement excipe en premier lieu du non-épuisement des voies de recours internes. Il argue que le requérant n’a pas formé de recours contre la décision interne du 22 avril 2002 ordonnant son internement dans le délai prévu par le droit interne. Il se réfère aux conclusions du tribunal départemental de Bucarest du 14 novembre 2008 établissant que la décision litigieuse avait été notifiée au requérant dans le respect des normes légales et que, dès lors, son recours formé en octobre 2008 contre cette décision était tardif (paragraphe 26 ci-dessus).

Indiquant que la Cour a déjà jugé qu’« il faut, dans le cas des malades mentaux, tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne » (V.D. c. Roumanie, no 7078/02, § 87, 16 février 2010), le Gouvernement estime toutefois que cette protection accrue que les autorités nationales doivent assurer aux personnes vulnérables, dont font partie les personnes handicapées (voir, mutatis mutandis, M.B. c. Roumanie, no 43982/06, § 52, 3 novembre 2011), trouve à s’appliquer uniquement dans des situations exceptionnelles dans lesquelles la maladie empêcherait absolument un requérant de faire valoir ses droits. Or, en l’espèce, selon le Gouvernement, cela n’était pas le cas pour le requérant, qui, à partir de 2008, aurait engagé plusieurs actions judiciaires au niveau interne et devant la Cour, et ce sans l’assistance d’un avocat.

115. Dans ses observations supplémentaires du 6 juillet 2015, le Gouvernement estime que, à supposer même que la notification de la décision du 22 avril 2002 n’ait été pas réalisée en bonne et due forme, le grief concernant la mesure initiale d’internement devrait être rejeté pour non-respect du délai de six mois. Il précise à cet égard que le requérant a pris connaissance de cette décision au plus tard le 18 décembre 2007, date à laquelle la conseillère juridique de l’hôpital de Săpoca lui en aurait communiqué une copie (paragraphe 23 ci-dessus).

ii. Le requérant

116. Le requérant renvoie à la jurisprudence de la Cour, exposant que lors de l’examen de l’épuisement des voies de recours internes, il convient de prendre en compte la vulnérabilité de certaines personnes, notamment leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court (A.M.M. c. Roumanie, no 2151/10, § 59, 14 février 2012). Il invite également la Cour à tenir compte des difficultés rencontrées par les personnes atteintes d’un handicap mental en Roumanie lorsqu’elles tentent d’obtenir une réparation pour une violation des droits de l’homme (voir, notamment, Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie [GC] (no 47848/08, § 151, CEDH 2014).

117. Il ajoute que le délai de six mois ne peut commencer à courir qu’à partir du moment où l’intéressé a une connaissance effective et suffisante de la décision interne définitive. Par ailleurs, il expose que c’est à l’État qui excipe de l’inobservation du délai de six mois qu’il appartient d’établir la date à laquelle un requérant a eu connaissance de la décision interne définitive (Baghli c. France, no 34374/97, §§ 29-31, CEDH 1999‑VIII). Il indique qu’en l’espèce la décision définitive portant sur son internement est celle rendue le 14 novembre 2008 par le tribunal départemental de Bucarest (paragraphe 26 ci-dessus).

118. Le requérant argue que, en tout état de cause, la décision du 22 avril 2002 ne lui a été communiquée que le 19 décembre 2008, ainsi que cela ressortirait de la mention qu’il aurait apposée et confirmée par sa signature sur une lettre de l’hôpital datée du 18 décembre 2008 (paragraphe 24 ci-dessus).

119. Le requérant considère que la mention « copie fournie » dont était revêtue la lettre antérieure du 18 décembre 2007, à laquelle se réfère le Gouvernement, n’apporte aucun éclaircissement sur le point de savoir si un document avait été effectivement transmis et, dans l’affirmative, à qui il avait été transmis et de quel document il s’agissait précisément. Il ajoute que la notification alléguée de la décision litigieuse, le 18 décembre 2007, ne correspondait à aucune procédure de communication d’actes procéduraux prévue par le droit interne. Il expose que, selon l’article 177 § 5 du CPP en vigueur à l’époque des faits, la citation à comparaître d’une personne internée se faisait par le truchement de l’établissement médical (paragraphe 92 ci-dessus). Or, ajoute le requérant, en l’espèce, le règlement relatif à l’organisation et au fonctionnement de l’hôpital ne comportait qu’une brève disposition quant au rôle du département juridique censé fournir un conseil juridique aux patients sur demande. Dans ces conditions, le requérant estime que l’hôpital ne notifie pas les documents juridiques d’office et dans un délai raisonnable après avoir répertorié tous ces éléments dans un registre approprié. Bien au contraire, il ne le ferait qu’à la demande des patients, ce qui, aux yeux du requérant, est de nature à porter atteinte à leur accès à la justice.

b) Appréciation de la Cour

120. La Cour rappelle que la règle des six mois a pour finalité de servir la sécurité juridique et de veiller à ce que les affaires soulevant des questions au regard de la Convention soient examinées dans un délai raisonnable, tout en évitant aux autorités et autres personnes concernées d’être pendant longtemps dans l’incertitude (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 39, 29 juin 2012, et Jeronovičs c. Lettonie [GC], no 44898/10, § 74, CEDH 2016). En outre, cette règle fournit au requérant potentiel un délai de réflexion suffisant pour lui permettre d’apprécier l’opportunité d’introduire une requête et, le cas échéant, de déterminer les griefs et arguments précis à présenter (O’Loughlin et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 23274/04, 25 août 2005), indiquant aux particuliers comme aux autorités la période au-delà de laquelle le contrôle de la Cour ne s’exerce plus (Tahsin Ipek c. Turquie (déc.), no 39706/98, 7 novembre 2000). Seuls les recours normaux et effectifs peuvent être pris en compte, car un requérant ne peut pas repousser le délai strict imposé par la Convention en essayant d’adresser des requêtes inopportunes à des instances ou institutions qui n’ont pas le pouvoir ou la compétence nécessaires pour accorder sur le fondement de la Convention une réparation effective concernant le grief en question (Fernie c. Royaume-Uni (déc.), no 14881/04, 5 janvier 2006).

121. En outre, s’agissant d’apprécier si un requérant s’est conformé à l’article 35 § 1, il importe de garder à l’esprit que les exigences contenues dans cette disposition concernant la règle des six mois et celle de l’épuisement des voies de recours internes doivent être entendues en étroite corrélation (Jeronovičs, précité, § 75). Lorsqu’il est clair d’emblée qu’un requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois commence à courir à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice. Il incombe alors à la Cour de déterminer, compte tenu des différents enjeux, à quel moment un requérant qui entend porter un grief devant elle est censé introduire sa requête (Sabri Güneş, précité, § 54).

122. La Cour rappelle qu’elle n’a pas la possibilité de ne pas appliquer la règle des six mois (Belaousof et autres c. Grèce, no 66296/01, § 38, 27 mai 2004). Il ne saurait dès lors être reproché au Gouvernement d’avoir soulevé cette exception tardivement dans ses observations supplémentaires du 6 juillet 2015.

123. En l’espèce, la Cour note que la mesure de l’internement définitif a été ordonnée par le tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest dans sa décision du 22 avril 2002, qui a été affichée sur la porte du domicile du requérant ainsi que dans les locaux de la mairie du 6e arrondissement, dans lequel se situait le domicile du requérant (paragraphe 18 ci-dessus). Le recours que le requérant a formé contre cette décision a été rejeté par un arrêt du 24 novembre 2008 du tribunal départemental de Bucarest comme étant tardif au motif que la décision rendue en première instance avait été communiquée au requérant selon les dispositions légales en vigueur et que celui-ci avait omis de la contester dans le délai imparti (paragraphe 26 ci-dessus). Il convient donc d’établir la date à laquelle le requérant a effectivement pris connaissance de la décision du 22 avril 2002.

124. À cet égard, elle note qu’il ressort de l’attestation délivrée en mars 2007 par l’hôpital de Săpoca à N.T., l’ami du requérant qui entendait entreprendre des démarches en vue de la nomination d’un curateur pour celui-ci, qu’il fut informé que le requérant était interné à l’hôpital susmentionné en vertu de la décision du 22 avril 2002. Qui plus est, il apparaît que le département juridique de l’hôpital a fait droit à la demande du requérant du 17 décembre 2007, par laquelle il sollicitait la communication d’une copie de la décision de justice « qui le tenait enfermé ». En effet, le lendemain, la conseillère juridique de l’hôpital a apposé sur la demande la mention « copie fournie » (paragraphe 23 ci‑dessus). Or la Cour n’a pas de raison valable de douter qu’à cette date-là la personne chargée des affaires juridiques de l’hôpital avait effectivement communiqué au requérant une copie de la décision du 22 avril 2002.

125. Dès lors, la Cour conclut que le requérant, qui a introduit la présente requête le 26 novembre 2008, n’a pas respecté le délai de six mois pour porter devant elle le grief tiré de l’article 5 § 1 de la Convention, pour autant que celui-ci concerne la conformité de la mesure initiale d’internement du 22 avril 2002 avec cette disposition. En conséquence, elle accueille l’exception du Gouvernement tirée du non-respect du délai de six mois et elle considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner de surcroît l’exception tirée du non-épuisement des voies de recours internes. Il s’ensuit que cette partie du grief est tardive et qu’elle doit être rejetée, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

126. En revanche, pour autant que le grief se rapporte au maintien de l’internement après la décision du tribunal de première instance de Buzău du 11 septembre 2007, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle déclare donc cette partie du grief recevable.

2. Sur le fond

a) Arguments des parties

i. Le requérant

127. Le requérant estime que sa détention est arbitraire et injustifiée et qu’elle est fondée uniquement sur son handicap mental, ce qui, à ses yeux, est contraire aux exigences de la jurisprudence de la Cour ainsi qu’à l’article 14 § 1 b) de la CDPH (paragraphes 101-102 ci-dessus) ou la jurisprudence récente du Comité des droits des personnes handicapées (paragraphe 103 ci-dessus). Il soutient en outre que, au cours de son internement, les autorités n’ont jamais examiné la possibilité de prendre des mesures moins restrictives à son égard.

128. En premier lieu, le requérant souligne que le danger qu’il est susceptible de représenter pour la société, au sens de l’article 114 du CP ou de l’article 110 du nouveau CP, n’a jamais fait l’objet d’un contrôle rigoureux. Il argue que les rapports médico-légaux effectués en l’espèce ont perpétué et consolidé les vices qui ont, selon lui, entaché la mesure initiale d’internement, laquelle se serait référée à l’ensemble des accusations portées contre lui alors qu’une seule de celles-ci aurait été retenue par le parquet à la fin de l’enquête, à savoir celle de corruption sexuelle. Il estime que le rappel incessant, dans ces rapports médico-légaux, de l’infraction d’inceste qu’il aurait commise, a eu un puissant effet de stigmatisation de nature à influer la perception des médecins et des juges quant à sa potentielle dangerosité. Il ajoute que, du reste, l’accusation de corruption sexuelle n’a jamais fait l’objet d’un contrôle juridictionnel en raison de la clôture de l’enquête pénale ouverte à son encontre pour absence de preuves et défaut de discernement du suspect. À l’appui de ses allégations, le requérant cite notamment l’argument avancé par le tribunal départemental de Buzău dans son arrêt du 29 août 2016 relatif aux actes antisociaux qu’il aurait commis sur les membres de sa famille (paragraphe 64 ci-dessus). De l’avis du requérant, l’argument précité non seulement méconnaît le principe de la présomption d’innocence, mais il annule, de surcroît, tout effet des deux rapports médico-légaux réalisés dans la procédure finalisée avec l’arrêt précité, dont l’un aurait proposé sa libération et l’autre aurait estimé que la prolongation de l’internement n’avait plus de base légale.

129. De plus, le requérant expose que les rapports médico-légaux, qui seraient plus ou moins identiques, ne sont pas centrés non plus sur l’existence et la mise en œuvre d’un plan thérapeutique apte à favoriser son retour au sein de la société une fois constaté une amélioration de son état de santé de nature à mettre fin à sa dangerosité, au sens des dispositions du CP. Or, estime le requérant, l’absence d’un tel plan thérapeutique ne fait que renforcer le volet punitif de la mesure et anéantir les volets préventif et médical qu’un internement psychiatrique présupposerait pourtant. Dans ces conditions, selon le requérant, son internement vise plutôt à exprimer l’indignation publique par rapport aux faits qui lui étaient reprochés qu’à prévenir le risque réel et imminent qui découlerait de sa mise en liberté, ce qui serait contraire à l’article 5 § 1 e) de la Convention.

130. Le requérant considère par ailleurs que tant les experts médico‑légaux que les tribunaux ont donné une interprétation erronée du rapport médico-légal du 2 novembre 2001 qui avait proposé, selon eux, l’internement médical (article 114 du CP), alors que, en réalité, ce rapport envisageait uniquement le traitement médical de spécialité (article 113 du CP).

131. En deuxième lieu, le requérant conteste les motifs avancés par les experts médico-légaux pour empêcher son retour au sein de la société : la crainte qu’il commette des violences domestiques, l’absence de soutien social à son égard et sa négation de sa maladie ou de sa culpabilité pour les faits reprochés.

132. Il estime que la crainte qu’il commette des violences domestiques ne suffit pas pour justifier l’internement, d’autant plus que l’État roumain aurait adopté une législation spéciale pour répondre à cette problématique, comprenant des mesures précises autres que l’internement psychiatrique. Pareille crainte est, selon le requérant, d’autant moins justifiée que les autorités n’auraient aucunement examiné son argument selon lequel il avait été victime de machinations de son ex-épouse.

133. Le requérant ajoute que l’absence alléguée d’un réseau de soutien social susceptible de favoriser sa réinsertion dans la société ne constitue pas non plus un motif déterminant de refus de lever la mesure. Il expose que son internement continu depuis de nombreuses années a eu comme conséquence logique la perte du contact avec les membres de sa famille ou avec ses amis. Il estime qu’en tout état de cause, les autorités ne peuvent ignorer qu’il est le propriétaire d’un appartement à Bucarest et qu’il bénéficie de l’aide de son ami N.T.

134. Le requérant critique également les expertises médico-légales pour autant qu’elles tirent des conséquences du fait qu’il ne reconnaît pas être malade ou qu’il nie avoir commis les actes reprochés dans l’enquête pénale, en particulier l’inceste. Il souhaite souligner que ces mêmes expertises attestent le calme de son comportement et l’absence d’attitude violente tout au long de son internement.

135. En troisième lieu, aux yeux du requérant, les rapports médico‑légaux établis à l’automne 2015 (paragraphes 58 et 61 ci-dessus) ainsi que celui réalisé en janvier 2017 (paragraphe 70 ci-dessus) ont confirmé qu’il ne souffre pas d’un trouble revêtant un caractère ou une ampleur légitimant l’internement au sens de l’article 5 § 1 e) de la Convention. Il ajoute que ces rapports ont souligné qu’aucun changement n’était intervenu dans sa maladie, conclusion qui, à ses yeux, remet en question les conclusions constantes des rapports antérieurs.

136. Dans ce contexte, il estime que l’injonction adressée dans les considérants de l’arrêt du 29 août 2016 aux services d’assistance sociale en vue de la préparation de sa libération aurait dû être accompagnée d’une mention soulignant son caractère urgent, sa portée, le calendrier de sa mise à exécution et l’obligation de rendre des comptes des résultats. Par ailleurs, il indique que le dispositif de l’arrêt ne mentionne aucune obligation de trouver des alternatives à la détention. Il considère que, après l’adoption de cet arrêt, les mesures prises par les autorités nationales afin de trouver des aménagements adéquats pour sa libération ont été très timides, leur stratégie principale consistant à ses yeux en des efforts de réintégration dans sa famille malgré l’opposition manifeste de celle-ci à l’accueillir.

137. Enfin, le requérant ne manque pas d’observer également que, même après l’adoption de l’arrêt du 21 février 2017, les tentatives des autorités nationales ont toutes échoué, retardant probablement sa libération sine die. Il estime que, eu égard à son statut de personne vulnérable, il appartient aux autorités nationales de trouver les solutions adaptées lui permettant de vivre au sein de la société, et ce d’autant plus qu’il aurait été privé de liberté de manière illégale depuis plus de seize ans. Il considère enfin que sa situation est une bonne illustration de l’absence totale en Roumanie de moyens et de procédures de nature à assurer la transition de l’institutionnalisation vers la vie en société des personnes, en dépit du degré élevé d’institutionnalisation à long terme (paragraphes 105 et 108 ci-dessus).

ii. Le Gouvernement

138. Renvoyant en premier lieu à la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement estime qu’il faut reconnaître aux autorités nationales une certaine liberté de jugement quand elles se prononcent sur l’internement d’un individu comme « aliéné », car il leur incombe au premier chef d’apprécier les preuves produites devant elles dans un cas donné (Luberti c. Italie, 23 février 1984, § 27, série A no 75).

139. Il indique ensuite que, en l’espèce, l’internement du requérant repose sur des expertises médico-légales attestant la maladie dont il souffre. Il estime que ces expertises, mentionnant l’incidence de ladite maladie sur sa vie sociale, sur sa santé et sur ses intérêts matériels ou d’une autre nature, ont permis aux autorités judiciaires de conclure que le requérant représentait un danger pour sa famille, ce qui s’opposait à son retour à la maison. De plus, il indique que les juridictions nationales ont analysé si des mesures alternatives pouvaient être prises à l’égard du requérant, mais qu’elles ont conclu que, dans les circonstances particulières de l’affaire, des mesures moins sévères n’étaient pas suffisantes pour sauvegarder à la fois l’intérêt public et celui du requérant.

140. Enfin, le Gouvernement mentionne que, à la suite de l’adoption des arrêts définitifs du 29 août 2016 et du 21 février 2017, les autorités nationales s’efforcent de trouver des solutions adéquates pour la situation du requérant.

b) Appréciation de la Cour

i. Principes généraux

141. La Cour rappelle que l’article 5 consacre un droit fondamental, la protection de l’individu contre toute atteinte arbitraire de l’État à son droit à la liberté. Les alinéas a) à f) de l’article 5 § 1 contiennent une liste exhaustive des motifs pour lesquels une personne peut être privée de sa liberté ; pareille mesure n’est pas régulière si elle ne relève pas de l’un de ces motifs. De plus, seule une interprétation étroite cadre avec le but de cette disposition : assurer que nul ne soit arbitrairement privé de sa liberté (voir, parmi beaucoup d’autres, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 170, CEDH 2000-IV, et Khlaifia et autres c. Italie [GC], no 16483/12, § 88, CEDH 2016).

142. La Cour rappelle en outre que l’article 5 § 1 de la Convention requiert d’abord la « régularité » de la détention litigieuse, y compris l’observation des voies légales. En la matière, la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en respecter les normes de fond comme de procédure, mais elle exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but de l’article 5 : protéger l’individu contre l’arbitraire (Herczegfalvy c. Autriche, 24 septembre 1992, § 63, série A no 244).

143. De plus, la privation de liberté est une mesure si grave qu’elle ne se justifie que lorsque d’autres mesures, moins sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l’intérêt personnel ou public exigeant la détention. Il ne suffit donc pas que la privation de liberté soit conforme au droit national, encore faut-il qu’elle soit nécessaire dans les circonstances de l’espèce (Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000-III).

144. En ce qui concerne la privation de liberté des personnes atteintes de troubles mentaux, un individu ne peut passer pour « aliéné » et subir une privation de liberté que si les trois conditions suivantes au moins se trouvent réunies : premièrement, son aliénation doit avoir été établie de manière probante ; deuxièmement, le trouble doit revêtir un caractère ou une ampleur légitimant l’internement ; troisièmement, l’internement ne peut se prolonger valablement sans la persistance de pareil trouble (Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 39, série A no 33, Varbanov c. Bulgarie, no 31365/96, § 45, CEDH 2000‑X, et Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 114, CEDH 2008).

145. Quant à la deuxième condition citée ci-dessus, la détention d’une personne souffrant de troubles mentaux peut s’imposer non seulement lorsque l’intéressé a besoin, pour guérir ou pour voir son état s’améliorer, d’une thérapie, de médicaments ou de tout autre traitement clinique, mais également lorsqu’il s’avère nécessaire de le surveiller pour l’empêcher, par exemple, de se faire du mal ou de faire du mal à autrui (Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 52, CEDH 2003-IV, et Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 146, CEDH 2012).

146. La Cour rappelle également que, dans certaines circonstances, le bien-être d’une personne atteinte de troubles mentaux peut constituer un facteur additionnel à prendre en compte, outre des éléments médicaux, lors de l’évaluation de la nécessité de placer cette personne dans une institution. Néanmoins, le besoin objectif d’un logement et d’une assistance sociale ne doit pas conduire automatiquement à l’imposition de mesures privatives de liberté. Aux yeux de la Cour, toute mesure de protection devrait refléter autant que possible les souhaits des personnes capables d’exprimer leur volonté. Le manquement à solliciter l’avis de l’intéressé peut donner lieu à des situations d’abus et entraver l’exercice des droits des personnes vulnérables ; dès lors, toute mesure prise sans consultation préalable de la personne concernée exige en principe un examen rigoureux (Stanev, précité, § 153).

147. Enfin, la Cour souligne qu’elle dit invariablement devoir prendre en considération les instruments et rapports internationaux pertinents pour interpréter les garanties offertes par la Convention et déterminer s’il existe dans le domaine concerné une norme européenne commune. C’est à la Cour qu’il appartient de décider des instruments et rapports internationaux qu’elle juge dignes d’attention ainsi que du poids qu’elle entend leur accorder (Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 176, CEDH 2010, et A.-M.V. c. Finlande, no 53251/13, § 74, 23 mars 2017). Dans la présente affaire, la Cour considère comme étant pertinentes les dispositions de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées (paragraphe 101 ci-dessus), telle qu’interprétée par le Comité des droits des personnes handicapées (paragraphes 102-103 ci-dessus), ainsi que les autres documents internationaux pertinents cités aux paragraphes 100 et 106-108 ci-dessus.

ii. Application de ces principes en l’espèce

148. Pour examiner si le maintien de l’internement psychiatrique du requérant était régulier au regard de l’article 5 § 1 de la Convention, la Cour doit vérifier si cette mesure était conforme au droit interne, si elle entrait dans le champ d’application de l’une des exceptions à la liberté individuelle prévues aux alinéas a) à f) de cette disposition et, enfin, si elle était justifiée au regard de l’une de ces exceptions.

149. La Cour constate d’emblée que nul ne conteste que le requérant fait l’objet d’une privation de liberté qui tombe dans le champ d’application de l’article 5 § 1 e) de la Convention, l’intéressé ayant été atteint de troubles mentaux confirmés par un bon nombre d’expertises médico-légales. Dès lors, la première des conditions requises par la jurisprudence de la Cour pour la détention d’un « aliéné » (paragraphe 144 ci-dessus) est remplie. Il reste à examiner si la maladie du requérant revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement et si, dans les circonstances particulières de l’affaire relatives aux conclusions des dernières expertises médico‑légales, l’internement du requérant pouvait être prolongé valablement.

α) Sur le point de savoir si le trouble dont est atteint le requérant justifiait le maintien de son internement après 2007

150. La Cour constate que le premier contrôle de la légalité de l’internement prolongé du requérant, qui a eu lieu le 11 septembre 2007, est intervenu après des changements législatifs tendant à la consolidation des droits des personnes handicapées. Il s’agissait d’un premier contrôle après la confirmation de cette mesure par un tribunal, le 22 avril 2002. Dans ces conditions, un examen extrêmement rigoureux et complet s’imposait pour permettre de répondre à la question de savoir si le trouble psychiatrique du requérant revêtait un caractère ou une ampleur légitimant l’internement. Or l’analyse des contrôles effectués en l’espèce révèle que cela n’a pas été le cas.

151. La Cour observe que la législation nationale requiert, pour justifier l’internement, que la maladie mentale rende la personne concernée dangereuse pour la société (paragraphes 83-84 ci-dessus). Elle rappelle également que, si l’article 5 § 1 e) autorise le placement d’une personne souffrant de troubles mentaux sans qu’il y ait nécessairement un traitement médical en vue (Hutchison Reid, précité, § 52), une telle mesure doit toutefois être dûment justifiée par la gravité de l’état de santé de l’intéressé afin que sa propre protection ou la protection d’autrui soit assurée.

152. S’agissant du premier contrôle de la mesure d’internement, la Cour note que le tribunal de première instance de Buzău a fondé sa décision sur le simple renvoi à deux éléments principaux. Premièrement, il a fait référence aux accusations pénales portées initialement contre le requérant, à savoir l’inceste et la corruption sexuelle. Deuxièmement, il s’est référé aux conclusions de l’expertise médicale réalisée en juillet 2007, laquelle était fondée essentiellement sur le fait que le requérant souffrait de schizophrénie paranoïde (paragraphe 36 ci-dessus).

153. S’agissant des accusations portées contre le requérant, la lecture de la décision du 11 septembre 2007 laisse apparaître que le tribunal s’est reposé entièrement sur les pièces du dossier pénal constitué par le parquet. Or force est de constater que le procureur avait écarté l’accusation d’inceste pour défaut de preuves, ne retenant que l’accusation de corruption sexuelle. Il a ultérieurement décidé de classer la procédure en ce qui concerne ce dernier chef en raison de l’absence de discernement du requérant. Ce classement n’a jamais été soumis à un contrôle juridictionnel. À supposer que la référence à ces accusations puisse correspondre aux considérations du tribunal quant à la dangerosité requise par l’article 114 du CP, la Cour note que ces accusations n’ont pas fait l’objet d’un examen contradictoire par une juridiction. Aussi ce renvoi apparaît-il aux yeux de la Cour comme ne suffisant pas pour établir la dangerosité du requérant.

154. Pour le reste, il apparaît que le tribunal s’est référé purement et simplement aux conclusions de l’expertise médico-légale, qui proposait le maintien de l’internement, une approche que la Cour a critiquée dans plusieurs affaires (Plesó c. Hongrie, no 41242/08, § 64, 2 octobre 2012 – affaire concernant la légalité de l’internement –, et Ivinović c. Croatie, no 13006/13, § 40, 18 septembre 2014 – affaire concernant la déclaration d’incapacité juridique).

155. La Cour considère que cette approche a conduit le tribunal à ne pas procéder à un examen rigoureux du point essentiel pour l’internement, à savoir la dangerosité du requérant. En effet, le tribunal n’a aucunement établi que le requérant était dangereux pour lui-même ou pour les autres, en raison notamment de sa pathologie psychiatrique (voir, mutatis mutandis, Gajcsi c. Hongrie, no 34503/03, § 21, 3 octobre 2006). En outre, ni le tribunal ni les autorités médicales ne rapportent d’actes de violence de la part du requérant pendant son internement (voir, mutatis mutandis, Stanev, précité, § 157). Tout au contraire, l’examen médical effectué en juillet 2007 a conclu que le requérant avait un comportement calme, qu’il ne s’opposait pas au traitement, qu’il ne déclenchait pas de conflit parmi les autres patients et qu’il présentait un faible degré d’hostilité au cours du traitement (paragraphe 33 ci-dessus).

156. La Cour observe ensuite que les contrôles ultérieurs n’ont pas apporté de clarification quant à la potentielle dangerosité du requérant, le tribunal de première instance de Buzău ayant suivi dans son examen la même approche formaliste et superficielle. Les recours formés à deux reprises par le requérant devant le tribunal départemental de Buzău contre les décisions du premier tribunal ou les procédures séparées entamées par le requérant lui-même n’ont pas non plus apporté d’éclaircissement.

157. Qui plus est, ni les autorités médicales ni le tribunal lui-même n’ont examiné si des mesures alternatives auraient pu être appliquées en l’espèce (voir, mutatis mutandis, Mihailovs c. Lettonie, no 35939/10, § 149 in fine, 22 janvier 2013, et Atudorei c. Roumanie, no 50131/08, § 153, 16 septembre 2014).

158. À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que l’internement du requérant va à l’encontre du droit national. En effet, selon l’article 114 du CP et l’article 110 du nouveau CP, une mesure d’internement ne peut être prise à l’encontre d’une personne que lorsque celle-ci présente un danger pour la société.

159. De surcroît, la Cour considère une telle détention sujette à caution surtout au vu des dispositions de l’article 14 § 1 b) de la CDPH, qui énoncent qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie en soi une privation de liberté (paragraphe 101 ci-dessus).

160. En tout état de cause, la Cour observe avec intérêt que la question de la dangerosité du requérant a fait récemment l’objet du contrôle par les autorités nationales. En effet, il ressort des dernières expertises médico‑légales qu’aucune présomption de danger social ne pouvait caractériser la situation du requérant (paragraphes 58, 61 et 70 ci-dessus). La Cour observe que les autorités nationales n’ont toutefois pas mis en évidence les éléments factuels à l’origine de ce changement d’appréciation quant à la dangerosité du requérant.

161. Dans ces conditions, il apparaît que, à tout le moins depuis 2007, quand le premier des contrôles périodiques a été effectué, l’internement du requérant était dépourvu de base légale et qu’il n’était pas justifié par l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention.

β) Sur la nécessité de prolonger l’internement du requérant après le 29 août 2016

162. La Cour observe que les conclusions des dernières expertises médico-légales ont placé les médecins face à un dilemme d’ordre psychiatrique et déontologique quant à l’éventuelle libération du requérant, compte tenu de ce que les dispositions légales nationales portant sur les mesures de sûreté exigeaient que l’interné présentât un danger pour la société, ce qui n’était pas le cas de celui-ci. Dans un premier temps, en août 2016, le tribunal départemental de Buzău a fait preuve de prudence et a déclaré qu’en principe il devait être mis un terme à l’internement du requérant dans un hôpital psychiatrique, mais il continuait toutefois d’y être interné de manière transitoire, en attendant une place dans une structure appropriée et adaptée à ses besoins (paragraphe 64 ci-dessus). Dans un deuxième temps, six mois plus tard, en février 2017, le tribunal de première instance de Buzău a ordonné la mise en liberté du requérant (paragraphe 72 ci-dessus).

163. La Cour rappelle qu’elle a déjà été appelée à examiner la compatibilité des circonstances de l’élargissement des personnes internées avec l’article 5 § 1 e) de la Convention. Ainsi, dans les affaires Luberti c. Italie (23 février 1984, série A no 75) et Johnson c. Royaume-Uni (24 octobre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VII), les requérants devaient être libérés étant donné qu’ils ne souffraient plus d’un trouble mental exigeant l’internement. Dans l’affaire Kolanis c. Royaume-Uni (no 517/02, CEDH 2005‑V), la libération de la requérante n’était considérée comme opportune qu’à la condition que le traitement fût maintenu ou qu’un suivi fût mis en place, ce qui était nécessaire pour protéger la santé de l’intéressée et la sécurité d’autrui. La Cour a conclu que, s’il n’était pas exclu que la fixation de conditions puisse justifier le report d’une libération qui, au regard du droit interne, est appropriée ou réalisable, il est essentiel que des garanties adéquates existent afin que toute prolongation de la détention soit conforme au but de l’article 5 § 1 de la Convention.

Dans l’arrêt Johnson (précité), la Cour s’est exprimée ainsi :

« 63. Pour la Cour, il faut aussi reconnaître à l’autorité responsable une latitude comparable pour décider si, eu égard à toutes les circonstances pertinentes et aux intérêts en jeu, il convient réellement d’ordonner la libération immédiate et absolue d’une personne ne présentant plus le trouble mental qui lui a valu d’être internée. Cette autorité doit pouvoir conserver un certain contrôle sur les progrès de cette personne après son retour à la vie dans la communauté et donc assortir sa libération de certaines conditions. On ne saurait non plus exclure qu’une condition particulière nécessite dans certains cas un ajournement de l’élargissement en raison de la nature de cette condition et des motifs qui ont conduit à l’imposer. L’existence de garanties revêt donc la plus haute importance, en sorte que le report de la libération soit conforme au but de l’article 5 § 1 et à la restriction énoncée à l’alinéa e) (paragraphe 60 ci-dessus), et en particulier qu’il n’ait pas une durée excessive. »

Dans l’arrêt Kolanis (précité), la Cour s’est exprimée dans ces termes :

« 71. Ainsi que le montrent les événements survenus en l’espèce, le traitement jugé nécessaire pour la libération sous conditions peut ne pas être disponible, auquel cas on ne saurait interpréter l’article 5 § 1 e) comme exigeant la libération de la requérante sans que les conditions nécessaires à sa propre protection et à celle du public soient remplies, ou comme imposant aux autorités une obligation absolue de veiller à ce que les conditions soient respectées. Il n’y a pas non plus lieu de rechercher en l’espèce à quel niveau se situe l’obligation d’assurer un traitement hors milieu hospitalier pour que les décisions de libération rendues par la commission de contrôle psychiatrique deviennent effectives. Dans la situation à l’étude, le fait qu’une autorité locale ne mette pas en œuvre tous les moyens qui sont à sa disposition (best efforts) ou le fait qu’un psychiatre commette un manquement à son devoir en refusant de suivre un patient en dehors d’un établissement hospitalier seraient l’objet d’un contrôle juridictionnel. La Cour n’a donc pas la conviction que les autorités locales ou les médecins aient pu délibérément ou arbitrairement faire obstacle à la sortie de patients sans fournir de justification ou d’excuse adéquate, ni que les choses se soient passées ainsi dans la présente affaire. »

En l’absence de garanties adéquates pour la protection des requérants, et notamment en l’absence d’un contrôle juridictionnel assurant que la libération des intéressés ne souffrait d’aucun retard excessif, la Cour a conclu soit à la violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention dans l’arrêt Johnson (précité) soit à la violation de l’article 5 § 4 dans l’arrêt Kolanis (précité).

164. Dans la présente affaire, la Cour note d’emblée que, dans son arrêt définitif du 29 août 2016, le tribunal départemental de Buzău, bien qu’il eût souligné la nécessité de mettre fin à l’internement du requérant, n’indiquait aucune base légale pour ordonner le maintien de l’internement de celui-ci dans l’hôpital psychiatrique (comparer avec Johnson, § 59, et Stanev, §§ 149-150, arrêts précités). De plus, après l’adoption du jugement définitif du 21 février 2017 ordonnant la mise en liberté du requérant, ni les autorités nationales ni le Gouvernement n’ont fait référence à la procédure applicable à la situation du requérant, permettant d’abord l’évaluation de ses besoins et, ensuite, sa mise en liberté ou son transfert vers un autre centre adapté à ses besoins ainsi identifiés. La possibilité d’une libération graduelle ou conditionnelle n’a pas été évoquée non plus.

165. La Cour considère que, même si le requérant a consenti à rester interné aussi longtemps que les services sociaux n’avaient pas trouvé de solution adaptée à sa situation (paragraphe 73 ci-dessus), accord auquel s’ajoute la lettre qu’a rédigée son représentant dans le même sens (paragraphe 74 ci-dessus), le requérant devrait bénéficier des garanties adéquates pour sa protection, lesquelles devraient notamment mener sans retard injustifié à sa libération.

166. À la lumière des circonstances factuelles de la présente affaire, la Cour estime que la mise à exécution des décisions susmentionnées soulève des problèmes supplémentaires sur le terrain de l’article 5 § 1 de la Convention. Bien que ces décisions s’inspirent des pratiques qui tendent à être adoptées ces dernières années au niveau international et qui militent pour que les personnes handicapées soient traitées et soignées, dans la mesure du possible, au sein de la société (voir l’article 19 de la CDPH –paragraphe 101 ci-dessus –, les Lignes directrices du Comité des droits des personnes handicapées – paragraphe 102 ci-dessus –, la Stratégie du Conseil de l’Europe sur le handicap 2017-2023 – paragraphe 106 ci-dessus, et, mutatis mutandis, W.D. c. Belgique, no 73548/13, § 113, 6 septembre 2016), en pratique, la libération du requérant ne s’est pas réalisée.

167. En tout état de cause, d’après les informations dont la Cour dispose, il apparaît qu’aucune évaluation rigoureuse des besoins concrets du requérant et des mesures appropriées de protection sociale n’a encore été effectuée à ce jour. De plus, les démarches effectuées par les autorités nationales se sont révélées infructueuses en raison du manque de structures d’accueil. Cette situation reflète des réalités ayant cours en Roumanie qui ont déjà été décrites par des organismes internationaux (paragraphes 104‑105 et 107 ci-dessus). Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que le maintien de l’internement du requérant après l’adoption par le tribunal départemental de Buzău de l’arrêt du 29 août 2016 était arbitraire au regard de l’article 5 § 1 e) de la Convention.

γ) Conclusion

168. Compte tenu des considérations qui précèdent, la Cour conclut qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1 e) de la Convention, tant pour ce qui est du maintien de l’internement du requérant après 2007 que pour ce qui est de sa continuation après le 29 août 2016.

B. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 2 de la Convention

169. Le requérant reproche aux autorités de ne pas l’avoir informé des raisons de son arrestation le 29 janvier 2001, et ce alors qu’il aurait été entendu le même jour et le lendemain par les autorités judiciaires.

170. Le Gouvernement ne soumet pas d’observations à cet égard.

171. Comme elle l’a rappelé ci-dessus, la Cour n’a pas la possibilité d’écarter l’applicabilité de la règle des six mois, par exemple au motif qu’un Gouvernement n’a pas formulé d’exception préliminaire fondée sur cette règle (paragraphe 122 ci-dessus).

172. Elle observe que le requérant a bien été entendu par la police judiciaire et par le procureur les 29 et 30 janvier 2001, en présence d’un avocat commis d’office, mais uniquement au sujet des accusations portées contre lui. En revanche, le 11 septembre 2007, il était présent aux débats devant le tribunal de première instance de Buzău qui se prononçait pour la première fois sur l’opportunité de maintenir la mesure d’internement. À cette occasion, le requérant, assisté par un avocat, a été entendu par le tribunal au sujet de son internement (paragraphe 35 ci-dessus). La Cour considère que les renseignements qui ont alors été fournis au requérant sur les motifs de sa privation de liberté remplissaient les exigences de l’article 5 § 2 de la Convention.

173. Compte tenu de ce que la présente requête a été introduite le 26 novembre 2008, soit plus de six mois après l’audience du 11 septembre 2007, la Cour considère que le grief du requérant tiré de l’article 5 § 2 de la Convention est tardif et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

C. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention

174. Le requérant dénonce l’impossibilité de contester la mesure d’internement provisoire prise par le parquet le 30 janvier 2001, l’absence d’un quelconque contrôle juridictionnel de la nécessité de maintenir la mesure d’internement après sa confirmation par la décision du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest du 22 avril 2002, et ce jusqu’au 11 septembre 2007, ainsi que le caractère irrégulier, formaliste ou superficiel des contrôles effectués après cette dernière date. Il invoque à cet égard l’article 5 § 4 de la Convention.

1. Sur la recevabilité

175. La Cour rappelle à nouveau qu’elle doit appliquer d’office la règle des six mois, alors même qu’un Gouvernement n’a pas formulé d’exception préliminaire fondée sur cette règle (paragraphe 122 ci-dessus).

176. Pour les besoins du présent grief, la Cour se borne à constater que la mesure d’internement visant le requérant a fait l’objet d’un premier contrôle automatique plus d’un an avant l’introduction de la présente requête, soit le 11 septembre 2007 (paragraphe 36 ci-dessus), sur la base de la nouvelle législation interne exigeant des contrôles automatiques d’une telle mesure. Dès lors, elle considère que, pour autant que le grief du requérant se rapporte à la période antérieure à cette date, il doit être rejeté pour non-respect du délai de six mois, en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

177. Pour autant que le grief se rapporte aux contrôles postérieurs à cette date, la Cour constate qu’il n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle le déclare donc recevable.

2. Sur le fond

a) Arguments des parties

i. Le requérant

178. En premier lieu, le requérant allègue que les contrôles périodiques réalisés par les autorités après 2007 ont été superficiels et entachés de plusieurs vices et qu’ils n’ont pas respecté les exigences de célérité. Il indique en particulier qu’entre 2010 et fin 2013 aucun contrôle judiciaire n’a été réalisé, alors que la loi aurait exigé qu’un contrôle fût effectué tous les six mois (paragraphe 90 ci-dessus). D’après le requérant, ce n’est qu’après la communication de la présente requête au Gouvernement, à la fin de l’année 2013, que le tribunal de première instance de Buzău s’est penché sur l’arriéré des rapports médico-légaux couvrant la période 2010-2012 et envoyés en bloc par les autorités médicales, au cours de quatre audiences tenues les 17 et 19 décembre 2013. De même, le 4 février 2014, le tribunal aurait examiné trois autres rapports médico-légaux couvrant la période 2012-2013. Enfin, un laps de temps d’environ dix-huit mois se serait écoulé entre le contrôle judiciaire effectué en février 2015 et le contrôle suivant, réalisé par l’arrêt définitif du 29 août 2016.

179. En deuxième lieu, le requérant soutient que l’assistance juridique que lui ont prodiguée les avocats commis d’office n’a pas été effective. Il dénonce notamment l’attitude passive de ces avocats, l’absence de tout conseil de leur part dans la procédure et de toute entrevue avant les audiences. Ces avocats soit s’en seraient remis à la sagesse des tribunaux quant au maintien de la mesure d’internement, soit se seraient opposés à la levée de celle-ci. Ils n’auraient ni réclamé l’administration de nouvelles preuves ni fait des démarches pour former des recours contre les décisions rendues en première instance.

180. En troisième lieu, le requérant estime que le Gouvernement n’a pas démontré que l’hôpital psychiatrique de Săpoca avait mis en place un mécanisme de notification des documents juridiques concernant la situation des personnes internées de nature à faire respecter leurs droit procéduraux.

181. Enfin, sur le terrain du même article, le requérant allègue que les tribunaux nationaux n’ont pas procédé à un examen sérieux des derniers rapports d’expertise médico-légale en ayant à l’esprit notamment que le droit interne n’autorisait pas le maintien dans un hôpital psychiatrique d’une personne ne représentant pas de danger.

ii. Le Gouvernement

182. Le Gouvernement indique d’abord que, après 2007, plusieurs contrôles judiciaires automatiques ont eu lieu en conformité avec les dispositions du droit national et que le procès décisionnel a été à chaque fois équitable. Il précise que les autorités judiciaires, qui auraient à chaque fois entendu le requérant, ont rendu des décisions motivées, basées sur des rapports d’expertise médico-légale, et que, au cours de ces procédures, contradictoires et dénuées d’arbitraire, les tribunaux ont examiné si des mesures alternatives étaient envisageables après avoir procédé à la mise en balance de l’intérêt général et de l’intérêt du requérant. Enfin, le requérant aurait bien été assisté par un avocat commis d’office dans chaque procédure.

183. De surcroît, le Gouvernement argue que le requérant a pu introduire des actions séparées demandant la levée de la mesure et que celles-ci ont été examinées par les tribunaux compétents (paragraphes 44 et 47 ci-dessus).

b) Appréciation de la Cour

i. Principes généraux

184. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 reconnaît aux personnes détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 50, série A no 181-A). La « juridiction » chargée de ce contrôle ne doit pas posséder des attributions simplement consultatives, mais doit être dotée de la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d’ordonner la libération en cas de détention illégale (Stanev, § 168, et Khlaifia et autres, § 128, arrêts précités).

185. Les formes de contrôle juridictionnel qui satisfont aux exigences de l’article 5 § 4 peuvent varier d’un domaine à l’autre et dépendent du type de privation de liberté en question. Il ne revient pas à la Cour de demander quel pourrait être le système le plus approprié dans le domaine examiné (Chtoukatourov, précité, § 123).

186. Il n’en demeure pas moins que l’article 5 § 4 garantit un recours qui doit être accessible à l’intéressé et permettre de contrôler le respect des conditions à remplir pour qu’il y ait, au regard de l’article 5 § 1 e), « détention régulière » d’une personne pour aliénation mentale (Ashingdane c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 52, série A no 93). L’exigence de la Convention selon laquelle un acte de privation de liberté doit être susceptible d’un contrôle juridictionnel indépendant revêt une importance fondamentale eu égard à l’objectif qui sous-tend l’article 5 de la Convention, à savoir la protection contre l’arbitraire. Sont en jeu ici la protection de la liberté physique des individus ainsi que la sûreté de la personne (Varbanov, précité, § 58). En cas de détention pour maladie mentale, des garanties spéciales de procédure peuvent s’imposer pour protéger ceux qui, en raison de leurs troubles mentaux, ne sont pas entièrement capables d’agir pour leur propre compte (voir, entre autres, Winterwerp, § 60, et Stanev, § 170, arrêts précités).

187. Parmi les principes concernant les « aliénés » qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 5 § 4 figurent notamment les suivants :

a) en cas de détention pour une durée illimitée ou prolongée, l’intéressé a en principe le droit, au moins en l’absence de contrôle judiciaire périodique et automatique, d’introduire « à des intervalles raisonnables » un recours devant un tribunal pour contester la « légalité » – au sens de la Convention – de son internement ;

b) l’article 5 § 4 exige que la procédure appliquée revête un caractère judiciaire et qu’il offre à l’individu en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint ; pour déterminer si une procédure offre des garanties suffisantes, il faut avoir égard à la nature particulière des circonstances dans lesquelles elle se déroule ;

c) les instances judiciaires relevant de l’article 5 § 4 ne doivent pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 § 1 prescrit pour les litiges civils ou pénaux. Encore faut-il que l’intéressé ait accès à un tribunal et l’occasion d’être entendu lui-même ou, au besoin, moyennant une certaine forme de représentation (Megyeri c. Allemagne, 12 mai 1992, § 22, série A no 237‑A, et Stanev, précité, § 171).

ii. Application de ces principes en l’espèce

188. La Cour observe d’abord que la procédure instituée par la législation roumaine pertinente, entrée en vigueur en septembre 2006 (paragraphes 90-91 ci-dessus), s’analyse en un contrôle judiciaire périodique et automatique des motifs de l’internement similaire à celui qui était en cause dans d’autres affaires examinées auparavant par la Cour (Herczegfalvy, précité, §§ 74-78, et Magalhães Pereira c. Portugal, no 44872/98, §§ 40-51, CEDH 2002‑I). Par ailleurs, l’interné dispose, à tout moment, de la possibilité de demander la levée de la mesure et sa mise en liberté (paragraphes 44, 47 et 89-90 ci-dessus).

189. La Cour se doit maintenant d’analyser si les deux procédures offertes par le système national remplissent les exigences de l’article 5 § 4 de la Convention. Au vu des principes dégagés par sa jurisprudence (paragraphes 184-187 ci-dessus), et tenant compte des arguments du requérant, la Cour examinera notamment la périodicité des contrôles de la mesure d’internement et la question du caractère suffisant de l’assistance juridique offerte au requérant.

α) La périodicité des contrôles

190. La Cour rappelle que, dans son arrêt Herczegfalvy (précité, § 75), elle a dit que la seconde condition de l’article 5 § 4 implique non seulement que les juridictions compétentes statuent « à bref délai », mais aussi que leurs décisions se suivent à un rythme raisonnable. Dans cette affaire, ainsi que dans l’affaire Magalhães Pereira (précitée, § 48), des contrôles intervenus au bout de quinze mois, de deux ans ou de plus de deux ans et demi ont amené la Cour à conclure à la violation de cette disposition.

191. En l’espèce, la Cour note que des contrôles judiciaires de la nécessité du maintien de l’internement ont été réalisés en septembre 2007, octobre 2008, février et avril 2010, décembre 2013, février 2014, février 2015 et mai 2016. Elle constate que le tribunal a eu besoin de longs laps de temps, de quinze mois (février 2015 – mai 2016), de seize mois (octobre 2008 – février 2010) voire de trois ans et huit mois (avril 2010 ‑ décembre 2013) pour examiner s’il était nécessaire de maintenir l’internement. Or, le Gouvernement n’a pas démontré l’existence, en l’espèce, de motifs exceptionnels de nature à justifier la durée des périodes en question (Musiał c. Pologne [GC], no 24557/94, § 48, CEDH 1999‑II).

192. En outre, la Cour observe avec inquiétude la pratique consistant à vérifier la nécessité du maintien de la mesure d’internement de manière rétrospective, sur la base d’éléments médicaux obtenus longtemps à l’avance (par exemple plus d’un, deux ou trois ans auparavant) et ne reflétant donc pas nécessairement l’état de la personne internée au moment de la décision. Elle estime que pareil intervalle entre l’examen médico-légal et la décision subséquente peut se heurter en soi au principe qui sous-tend l’article 5 de la Convention, à savoir prémunir l’individu contre l’arbitraire quand une mesure privative de liberté se trouve en jeu (Musiał, précité, § 50, et Magalhães Pereira, précité, § 49).

193. De surcroît, la Cour souligne que, en procédant ainsi, le tribunal de première instance n’a pas satisfait non plus aux normes de procédure de la législation nationale concernant le contrôle périodique obligatoire des motifs de l’internement ; le délai de six mois ou, à compter du 1er février 2014, celui de douze mois, prévus par le CPP, qui sont à cet égard sans équivoque, n’ont pas été respectés (paragraphes 90-91 ci-dessus) (Magalhães Pereira, précité, § 50).

194. Enfin, pour autant que les retards susmentionnés puissent être expliqués par la nécessité d’obtenir les expertises médico-légales requises, la Cour observe qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que le tribunal se soit enquis de l’avancement du travail des experts (comparer avec Kuttner c. Autriche, no 7997/08, § 42, 16 juillet 2015). Force est en outre de constater que, selon les dispositions du droit roumain applicables, il était loisible au tribunal d’infliger des amendes aux experts ne respectant pas leur obligation de soumettre un rapport, mais qu’il n’en a rien fait en l’occurrence (paragraphe 93 ci-dessus).

195. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les intervalles auxquels les tribunaux se sont prononcés sur la nécessité de maintenir l’internement du requérant n’ont pas rempli l’exigence de « bref délai » prévue à l’article 5 § 4 de la Convention.

β) L’assistance juridique

196. La Cour rappelle qu’une personne détenue dans un établissement psychiatrique pour avoir accompli des actes constitutifs d’infractions pénales, mais dont les troubles mentaux empêchent de la juger responsable, doit, sauf circonstances exceptionnelles, jouir de l’assistance d’un homme de loi dans les procédures ultérieures relatives à la poursuite, la suspension ou la fin de son internement. L’importance de l’enjeu pour elle – sa liberté – combinée à la nature même de son mal – une aptitude mentale diminuée – dicte cette conclusion (Megyeri, précité, § 23). Nul ne conteste que, en l’espèce, le requérant présentait des troubles mentaux qui l’empêchaient de mener une instance judiciaire de manière adéquate et qu’il a bénéficié, au cours des contrôles périodiques de son internement, de l’assistance d’un avocat commis d’office. Or, comme la Cour l’a souligné à maintes reprises, la nomination d’un conseil n’assure pas à elle seule l’effectivité de l’assistance qu’il peut procurer à l’intéressé (Magalhães Pereira, précité, § 60), parce qu’une assistance juridique effective des personnes handicapées appelle un devoir de contrôle renforcé de leurs représentants en justice par les juridictions internes compétentes (M.S. c. Croatie (no 2), no 75450/12, § 154, 19 février 2015).

197. En l’espèce, la Cour constate que dans la grande majorité des cas, les avocats commis d’office soit ont plaidé en faveur du maintien de l’internement, soit s’en sont remis à la sagesse des tribunaux. Loin de dicter la manière dont un avocat devrait traiter les affaires dans lesquelles il représente une personne atteinte de troubles mentaux, la Cour considère qu’il y a eu un manque d’assistance effective tout au long des procédures de contrôle de la nécessité de l’internement du requérant. À l’appui de ce constat, la Cour observe que, lors de chaque procédure, le requérant a été représenté par un avocat différent. De plus, elle prend en compte l’argument du requérant, non démenti par le Gouvernement, qui évoque l’absence de toute entrevue avec ses différents avocats avant les audiences tenues par les tribunaux, ce qui dénote un manque total de concertation entre le requérant et ceux-ci (voir, mutatis mutandis, Sýkora c. République tchèque, no 23419/07, § 108, 22 novembre 2012, et les affaires qui y sont citées, ainsi que M.S. c. Croatie (no 2), précité, § 155).

198. Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut que, dans les procédures menées en vue du contrôle juridictionnel périodique de la nécessité de son internement, le requérant n’a pas bénéficié d’une assistance juridique adéquate.

γ) Conclusion

199. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que les procédures menées en vue du contrôle juridictionnel du maintien de l’internement du requérant n’ont pas offert des garanties suffisantes au sens de l’article 5 § 4 de la Convention. Il y a donc eu violation de cette disposition.

D. Sur la violation alléguée de l’article 5 § 5 de la Convention

200. Le requérant se plaint ensuite de ne pas avoir la possibilité d’obtenir une réparation pour le préjudice qu’il estime avoir subi en raison de la privation de sa liberté, irrégulière à ses yeux.

201. Le Gouvernement rétorque que le requérant peut saisir les tribunaux internes d’une action en réparation du préjudice allégué, soit sur le fondement des dispositions pénales relatives à la réparation pour privation illégale de liberté (l’article 504 de l’ancien CPP ou l’article 539 du nouveau CPP) soit directement sur le fondement de la Constitution et de la Convention (Dragomir c. Roumanie (déc.), no 59064/11, 3 juin 2014).

202. La Cour rappelle que l’article 5 § 5 se trouve respecté dès lors que l’on peut demander réparation du chef d’une privation de liberté opérée dans des conditions contraires aux paragraphes 1, 2, 3 ou 4 (Wassink c. Pays-Bas, 27 septembre 1990, § 38, série A no 185-A, et Houtman et Meeus c. Belgique, no 22945/07, § 43, 17 mars 2009). Le droit à réparation énoncé au paragraphe 5 suppose donc qu’une violation de l’un de ces autres paragraphes ait été établie par une autorité nationale ou par les institutions de la Convention. À cet égard, la jouissance effective du droit à réparation garanti par cette dernière disposition doit se trouver assurée à un degré suffisant de certitude (Ciulla c. Italie, 22 février 1989, § 44, série A no 148 ; N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 49, CEDH 2002‑X, et Stanev, précité, § 182).

203. Se tournant vers la présente espèce, la Cour relève que, eu égard à son constat de violation des paragraphes 1 et 4 de l’article 5, le paragraphe 5 de cette disposition trouve à s’appliquer.

204. Elle rappelle que, pour qu’elle conclue à la violation de l’article 5 § 5, il doit être établi que le constat de violation d’un des autres paragraphes de l’article 5 ne pouvait, avant l’arrêt concerné de la Cour, ni ne peut, après cet arrêt, donner lieu à une demande d’indemnité devant les juridictions nationales (Brogan et autres c. Royaume-Uni, 29 novembre 1988, §§ 66-67, série A no 145‑B, et Stanev, précité, § 184).

205. À cet égard, la Cour note que, selon les dispositions du CPP, toute réparation est envisagée dans le contexte d’une procédure pénale menée contre l’intéressé et qu’elle est conditionnée à la constatation de l’illégalité de la détention par une ordonnance du parquet ou par la décision d’un tribunal (paragraphe 97 et 98 ci-dessus). Or il ressort du dossier que les autorités judiciaires roumaines n’ont à aucun moment considéré la mesure d’internement en cause comme illégale ou autrement contraire à l’article 5 de la Convention. La thèse du Gouvernement consiste d’ailleurs à dire que l’internement du requérant était conforme au droit interne. Dès lors, la Cour conclut qu’aucune compensation ne peut être réclamée par le requérant en vertu des dispositions susmentionnées pour la violation de l’article 5 § 1, faute de reconnaissance de l’irrégularité de la détention par les autorités nationales.

206. Toutefois, la Cour note l’argument du Gouvernement (paragraphe 201 ci-dessus) selon lequel il a été pallié en pratique par les tribunaux au cadre restrictif du CPP, plusieurs décisions de justice internes montrant une nette tendance des tribunaux à octroyer une réparation en cas de privation illégale de liberté, par la référence à la Constitution ou à la Convention (Dragomir, décision précitée, §§ 10-14 et 28).

207. En outre, la Cour rappelle que le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de recours internes (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 71, Recueil 1996‑IV, et Tomuleţ c. Roumanie (déc.), no 1558/05, 16 novembre 2010).

208. En l’espèce, sur la base des informations produites par le Gouvernement dans l’affaire Dragomir précitée, la Cour considère que le requérant ne saurait alléguer qu’il est certain de l’échec d’une action tendant à l’octroi d’une réparation, fondée sur les dispositions de la Constitution et celles de la Convention, à tout le moins après le prononcé du présent arrêt. En définitive, la Cour rappelle que s’il y a un doute sur l’efficacité d’un recours interne, c’est là un point qui doit être soumis aux tribunaux (Roseiro Bento c. Portugal (déc.), no 29288/02, 30 novembre 2004, et Kirilov c. Bulgarie (déc.), no 15158/02, 29 avril 2008).

209. N’apercevant pas d’arguments permettant de conclure de prime abord à l’inefficacité du recours précité dans le cas particulier du requérant de la présente affaire, la Cour conclut que le présent grief est manifestement mal fondé. Il s’ensuit qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

210. Le requérant se plaint que, bien que la procédure pénale engagée à son encontre ait finalement été clôturée en raison de son absence de discernement, il a été reconnu coupable de la commission de l’infraction de corruption sexuelle de mineurs par la décision du parquet du 27 février 2002. Or il estime que cette décision, qui a été rendue par un organe qui, selon lui, n’était pas « un tribunal indépendant et impartial », n’a pas été soumise ultérieurement à un contrôle judiciaire. Il allègue ensuite que la décision précitée n’était fondée que sur des moyens de preuve peu convaincants, et qu’il n’a pu ni prendre part à la procédure directement ni être représenté par un avocat commis d’office. En outre, il affirme qu’il n’a appris de l’existence de cette décision que le 19 décembre 2008, lorsque la décision du 22 avril 2002 du tribunal de première instance du 6e arrondissement de Bucarest lui a été communiquée (paragraphe 24 ci‑dessus). Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera (...) du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

211. Le Gouvernement combat cette thèse.

212. Indépendamment du point de savoir à quelle date le requérant a pris connaissance de la décision du 27 février 2002, la Cour observe que, par cette décision, le parquet a ordonné la clôture de la procédure engagée à l’encontre du requérant de différents chefs d’accusation. Dès lors, le requérant ne saurait se prétendre victime d’une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté, en application de l’article 35 § 4.

IV. SUR L’APPLICATION DES ARTICLES 46 ET 41 DE LA CONVENTION

A. Article 46 de la Convention

213. Aux termes de l’article 46 de la Convention

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution. »

214. Le requérant demande à la Cour d’enjoindre à l’État défendeur de le remettre en liberté et de préparer à tout prix, compte tenu de la durée de son internement, sa transition de la vie dans une institution vers la vie au sein de la société, en lui assurant le soutien nécessaire à l’exercice de la capacité juridique, à la recherche d’un logement et au bénéfice d’une assistance psychologique, et ce conformément aux bonnes pratiques internationales. Il se réfère à cet égard aux Lignes directrices européennes communes sur la transition des soins en institution vers les soins de proximité, publiées en novembre 2012 par le Groupe européen d’experts sur la transition des soins en institution vers les soins de proximité.

215. La Cour rappelle qu’en vertu de l’article 46 de la Convention les Parties contractantes se sont engagées à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé d’en surveiller l’exécution. Il en découle notamment que l’État défendeur reconnu responsable d’une violation de la Convention ou de ses Protocoles est appelé non seulement à verser aux intéressés les sommes allouées à titre de satisfaction équitable, mais aussi à choisir, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales ou, le cas échéant, individuelles à adopter dans son ordre juridique interne afin de mettre un terme à la violation constatée par la Cour et d’en effacer autant que possible les conséquences (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, et Stanev, précité, § 254). La Cour rappelle également qu’il appartient au premier chef à l’État en cause, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique interne pour s’acquitter de son obligation au regard de l’article 46 de la Convention (Scozzari et Giunta, précité, et Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I).

216. Toutefois, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à lui indiquer le type de mesures, individuelles ou générales, qu’il pourrait prendre pour mettre un terme à la situation constatée (voir, parmi beaucoup d’autres, Stanev, précité, § 255).

217. En l’espèce, la Cour considère qu’il est nécessaire, au regard de son constat de violation de l’article 5, d’indiquer des mesures individuelles d’exécution du présent arrêt. Elle rappelle avoir conclu à la violation de cette disposition en raison du non-respect de la condition exigeant que toute privation de liberté soit ordonnée selon les « voies légales » et en raison de l’absence de justification de celle-ci au regard de l’alinéa e) de l’article 5 § 1. Elle a également relevé des défaillances dans la vérification de la persistance des troubles justifiant l’internement.

218. La Cour estime que, pour effacer les conséquences de la violation des droits du requérant, les autorités devraient mettre à exécution sans retard l’arrêt définitif du tribunal départemental de Buzău du 21 février 2017 ordonnant la mise en liberté du requérant dans des conditions adaptées à ses besoins.

219. En outre, la Cour estime que les lacunes identifiées dans la présente affaire sont susceptibles de donner lieu à l’avenir à d’autres requêtes bien fondées. Dès lors, elle recommande à l’État défendeur d’envisager les mesures générales garantissant que l’internement des individus dans des hôpitaux psychiatriques soit légal, justifié et dépourvu d’arbitraire. De même, les personnes internées doivent bénéficier devant un tribunal d’un recours présentant des garanties adéquates, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de la détention.

B. Article 41 de la Convention

220. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

221. Le requérant réclame 1 200 000 euros (EUR) pour le préjudice moral qu’il estime avoir subi en raison de sa privation de liberté, selon lui illégale et abusive, depuis plus de seize ans.

222. Le Gouvernement est d’avis que la somme réclamée par le requérant est excessive dès lors que la requête aurait été communiquée initialement sous l’angle du seul article 8 de la Convention.

223. La Cour rappelle qu’elle a conclu, sur le terrain de l’article 5 § 1 de la Convention, que le requérant a subi une privation de liberté illégale et abusive, à tout le moins à partir de 2007. En outre, les procédures menées en vue du contrôle juridictionnel du maintien de l’internement du requérant n’ont pas offert les garanties suffisantes requises par l’article 5 § 4 de la Convention. Eu égard à ce qui précède, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 30 000 EUR pour dommage moral.

B. Frais et dépens

224. Le requérant demande également 8 910 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour, correspondant aux honoraires de son représentant, à verser directement à ce dernier.

225. Dans ses observations parvenues à la Cour le 6 juillet 2015, le Gouvernement estimait que la somme réclamée était excessive dès lors que l’avocat du requérant ne serait intervenu dans la présente procédure qu’après la communication du requérant à l’État défendeur et que les observations soumises auraient porté d’une manière extensive sur des griefs tirés de la violation de l’article 5 de la Convention qui ne lui auraient pas été communiqués à l’époque.

226. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’accorder au requérant la somme de 8 060 EUR pour la procédure devant la Cour, qui correspond au montant réclamé moins la somme de 850 EUR déjà versée à son avocat au titre de l’assistance judiciaire. Cette somme est à virer directement sur le compte bancaire du représentant du requérant.

C. Intérêts moratoires

227. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1 et 4 pour autant qu’ils se rapportent au maintien de l’internement du requérant après la décision du tribunal de première instance de Buzău du 11 septembre 2007, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 30 000 EUR (trente mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur, au taux applicable à la date du règlement, pour dommage moral,

ii. 8 060 EUR (huit mille soixante euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser directement à l’avocat du requérant ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 28 novembre 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Marialena TsirliGanna Yudkivska
GreffièrePrésidente


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