TROISIÈME SECTION
AFFAIRE A.I. c. SUISSE
(Requête no 23378/15)
ARRÊT
STRASBOURG
30 mai 2017
DÉFINITIF
30/08/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire A.I. c. Suisse,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Helena Jäderblom, présidente,
Branko Lubarda,
Helen Keller,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides,
Jolien Schukking, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 mai 2017,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23378/15) dirigée contre la Confédération suisse et dont un ressortissant soudanais, A.I. (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 mai 2015 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La juge faisant office de président de la section à laquelle l’affaire fut attribuée a accédé à la demande de non‑divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).
2. Le requérant a été représenté par T. Hassan, exerçant à Zurich. Le gouvernement suisse (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, F. Schürmann, de l’Office fédéral de la justice.
3. Le requérant allègue que l’exécution de la décision des autorités suisses de l’éloigner vers le Soudan l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires aux articles 2 et 3 de la Convention.
4. Le 12 mai 2015, le requérant a saisi la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le 19 mai 2015, la juge faisant office de président de la section à laquelle l’affaire fut attribuée a décidé d’indiquer au Gouvernement, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers le Soudan pour la durée de la procédure devant la Cour.
5. Le 19 mai 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
6. Le requérant affirme être né en 1984 dans un village de l’État de Sannar, au Soudan. Il réside actuellement dans le canton de Zurich.
7. Le requérant allégua appartenir à l’ethnie peule, avoir été membre, depuis l’école secondaire, d’une organisation militant pour les droits des minorités et contre la discrimination au Darfour, être membre du Mouvement pour la justice et l’égalité (« JEM ») depuis 2005, avoir récolté de l’argent pour soutenir le Darfour, avoir régulièrement transmis cet argent à deux intermédiaires et avoir été recherché à son domicile par les autorités soudanaises suite à l’arrestation de ces deux intermédiaires. Il affirma avoir fui le Soudan le 21 juillet 2009, sur le conseil de sa mère et d’un membre du JEM, et être arrivé en Suisse après avoir transité par la Turquie, la Grèce et l’Italie.
8. Le requérant entra en Suisse le 7 juillet 2012 et y déposa une demande d’asile le lendemain. L’Office fédéral des migrations (désormais le Secrétariat d’État aux migrations [« SEM »]) auditionna le requérant les 12 juillet 2012, sommairement, et 14 avril 2014, conformément à l’article 29 de la loi sur l’asile. Le requérant affirmait que sa vie risquait d’être mise en danger en cas de retour au Soudan en raison de ses activités politiques en exil. Il faisait valoir qu’il était politiquement actif en Suisse en tant que membre du JEM et du Centre pour la paix et le développement au Darfour (Darfur Friedens- und Entwicklungs-Zentrum [DFEZ]). Il exposait qu’il s’occupait de l’organisation logistique des réunions hebdomadaires du JEM. Il indiquait avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy au sein d’une délégation d’opposants soudanais ; à une rencontre entre le JEM et des responsables de l’Organisation des Nations unies (« ONU ») dans le cadre d’un événement d’une organisation non gouvernementale (« ONG ») active dans le domaine de la promotion du respect du droit international humanitaire, en tant qu’assistant ; à une manifestation critique envers le gouvernement soudanais ; à une manifestation co-organisée par le JEM devant le siège du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), à Genève ; et à une conférence pour la paix au Darfour.
9. À l’appui de sa demande d’asile, le requérant fournit au SEM son certificat de naissance, une attestation de fin d’études et divers documents, notamment des photographies, concernant ses activités politiques en Suisse.
10. Par une décision du 10 juin 2014, le SEM considéra que le requérant n’avait pas la qualité de réfugié, rejeta sa demande d’asile et ordonna son renvoi de Suisse. Il exposait que les motifs de fuite allégués par le requérant n’étaient pas vraisemblables, soulignant en particulier que le requérant s’était contredit à plusieurs reprises et qu’il n’avait pas été en mesure de fournir des explications convaincantes à ce propos. Le requérant avait ainsi affirmé être devenu membre du JEM à l’école secondaire, puis en 2005, soit à l’âge de 21 ans. Il avait prétendu ne pas connaître les deux intermédiaires auxquels il affirmait avoir transmis l’argent récolté pour le Darfour, puis était revenu sur ses propos. Il avait indiqué que l’un des deux intermédiaires avait été arrêté, puis que tous deux l’avaient été. Il avait soutenu que sa mère lui avait conseillé de fuir le Soudan avant de prétendre que ce conseil émanait d’un membre du JEM. Le SEM considérait que certains propos du requérant n’étaient pas suffisamment détaillés. Le requérant n’avait ainsi pas pu donner le nom complet des intermédiaires en question malgré les quatre années de collaboration alléguées. Il affirmait les avoir rencontrés lors de son adhésion au JEM, à l’occasion d’une conférence, puis à une fête de mariage, sans être en mesure de donner des détails sur les événements en question. Le requérant n’avait nommé le leader du JEM que lors de la seconde audition. Le SEM indiquait encore que, en raison des risques encourus par ceux qui s’opposaient au régime en place, il était improbable que le requérant eût ouvertement démarché les gens en faveur du JEM comme il le prétendait. Il relevait qu’il n’était guère imaginable que le requérant eût immédiatement pris la fuite suite aux avertissements d’une personne qui lui était étrangère, sans chercher à se renseigner davantage, et qu’il n’était pas non plus plausible que le JEM eût fourni un passeport à son propre nom au requérant alors qu’il se disait recherché par les autorités soudanaises. S’agissant des activités politiques en exil du requérant, le SEM considérait que le profil du requérant, pas particulièrement prééminent, n’était pas de nature à attirer l’attention des services secrets soudanais. Il précisait que, du point de vue d’un observateur externe, les activités du requérant équivalaient à des mises en scène à l’attention des autorités suisses visant à l’obtention d’un permis de séjour en Suisse.
11. Le 10 juillet 2014, le requérant recourut contre cette décision auprès du Tribunal administratif fédéral (« TAF »), faisant valoir un risque de persécution en cas de retour au Soudan en raison de ses activités politiques en exil. Le requérant soutenait qu’il était un membre actif du JEM et du DFEZ, qu’il participait régulièrement aux rencontres, séances et manifestations organisées par ces mouvements, et qu’il s’occupait de la préparation des rencontres du JEM, notamment de prévenir les membres, de préparer la salle, les boissons et la nourriture. Il affirmait qu’il s’était entretenu de la situation au Darfour avec des leaders de l’opposition, lors de réunions en marge de l’ONU, et qu’il avait été photographié en leur compagnie, considérant que cela n’avait certainement pas échappé aux autorités soudanaises, notamment au Service national de la sûreté et du renseignement (National Intelligence and Security Service [« NISS »]). Il faisait valoir que son absence de fonction dirigeante au sein du JEM ne signifiait pas que les autorités soudanaises se désintéressaient de lui, soutenant par ailleurs qu’il ne pouvait pas être attendu de lui qu’il produisît des documents officiels attestant de l’hostilité des autorités soudanaises à son égard. Se référant à l’arrêt A.A. c. Suisse (no 58802/12, 7 janvier 2014), il prétendait qu’il serait faux de penser que les autorités soudanaises ne s’intéressaient qu’aux personnes dont l’activité politique était perçue comme une menace pour le régime en place, affirmant que le NISS surveillait les opposants en exil et que des activités mineures suffisaient pour être exposé à un risque de torture en cas de retour au Soudan. Dès lors, le requérant soutenait qu’il avait vraisemblablement été enregistré, ce d’autant plus que le JEM serait combattu par tous les moyens par le gouvernement soudanais, qu’il risquait d’être arrêté dès son arrivée à l’aéroport et qu’il n’avait pas d’alternative interne de fuite. Enfin, le requérant affirmait avoir rédigé deux articles en arabe, publiés sur internet en juin et juillet 2014, exposant des opinions très critiques à l’égard du gouvernement et des islamistes soudanais.
12. Lors de la procédure de recours, le requérant fournit au TAF des photographies prises lors d’une séance du JEM et des copies des deux articles en arabe mentionnés ci-dessus (paragraphe 11 ci-dessus), accompagnées de traductions en allemand.
13. Le TAF, statuant en dernière instance, rejeta le recours du requérant par un arrêt du 26 février 2015, notifié au requérant le 4 mars 2015. Il rappelait que l’engagement politique au sein du JEM au Soudan allégué par le requérant avait été qualifié d’invraisemblable et que ce dernier n’avait pas remis en cause cette qualification. Le TAF considérait qu’il convenait de se prononcer sur l’existence de motifs subjectifs survenus après la fuite. Il soulignait que le requérant, à l’exception de sa participation aux séances hebdomadaires du JEM, n’avait ni fait valoir ni documenté des activités politiques pour la période postérieure au 25 février 2014, et considérait dès lors que son engagement politique en exil n’était pas approfondi. Il ajoutait que le requérant ne pouvait être connu des autorités soudanaises en tant qu’opposant sur la seule base de son appartenance au JEM et de ses activités à l’interne de ce mouvement. Il indiquait, s’agissant de la participation du requérant à diverses conférences et manifestations critiques à l’égard du gouvernement soudanais, en tant qu’aide ou même sans aucune fonction spécifique, que ses activités ne pouvaient être qualifiées d’exposées ou prééminentes. Le TAF précisait que les moyens de preuve fournis n’étaient pas à même de remettre en cause les points précités. En particulier, il estimait que les deux articles critiques envers le gouvernement soudanais et l’islamisme, publiés sur internet, ne pouvaient être considérés comme mettant en danger le requérant. Il exposait que le nom de l’auteur des articles, qui sonnait de manière partiellement similaire à celui du requérant, se composait de quatre parties, alors que le requérant n’en avait indiqué que deux pour son nom lors de l’audition sur sa personne. Le TAF considérait dès lors que, en raison de ce nom divergeant, aucun lien ne pouvait être fait avec la personne du requérant. Il ajoutait que si les noms respectifs de l’auteur des articles en question et du requérant, tel qu’indiqué sur l’attestation qu’il avait fournie au SEM, se composaient des mêmes parties, l’ordre de ces dernières divergeait, ce qui soulevait de nouveaux doutes. Il indiquait que l’identité du requérant n’était pas établie, le certificat de naissance et l’attestation fournis par le requérant ne constituant pas des papiers d’identité au sens de l’article 1a de l’ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure. Dès lors, et faisant par ailleurs mention de la jurisprudence de la Cour, il concluait à l’absence de motifs de crainte de persécutions futures. Au surplus, le TAF considérait que rien ne s’opposait au renvoi du requérant vers le Soudan.
14. Au cours de la procédure devant la Cour, le requérant affirma encore, s’agissant de ses activités politiques en exil, avoir participé au Geneva Summit for Human Rights and Democracy en tant que membre du DFEZ, à l’assemblée générale du JEM, à un événement d’une ONG active en matière de promotion du respect du droit international humanitaire et à diverses manifestations. Il allégua qu’il participait régulièrement à la préparation d’une émission de radio diffusée sur une station locale, qu’il s’était exprimé sur les ondes à propos de la situation au Darfour et qu’il avait été nommé responsable média de la branche suisse du JEM. Il affirma avoir participé à l’organisation d’une manifestation critique envers le régime soudanais et à la manifestation en tant que telle, que son nom et numéro de téléphone étaient mentionnés sur la lettre d’invitation et que des lettres avaient été remises à diverses organisations internationales à cette occasion. Il allégua enfin avoir participé à une réunion des membres exécutifs du JEM dans les locaux de l’ONU à Genève.
15. Le requérant transmit à la Cour divers documents concernant ses activités politiques en Suisse, dont, en particulier, des photographies, un badge à son nom attestant de sa participation au Geneva Summit for Human Rights and Democracy pour le compte du DFEZ, un courrier du président de la section suisse du JEM attestant que le requérant était un membre actif du JEM, un courrier d’un membre du directoire du JEM et représentant en Allemagne de cette organisation décrivant le requérant comme un membre actif du JEM, responsable média de sa section suisse, et s’étant montré très actif au Soudan au sein d’une association d’étudiants du Darfour, un courrier du président de la section suisse du JEM indiquant que le requérant avait été actif politiquement au Soudan et dressant la liste des activités politiques du requérant en Suisse, notamment pour le compte du JEM, précisant qu’il avait été élu, puis réélu, responsable média de la section suisse du JEM, un courrier du leader du JEM attestant de l’appartenance du requérant au bureau exécutif de la section suisse du JEM, une invitation à une manifestation et un article publié sur internet la relatant, des lettres remises à diverses organisations internationales, et deux messages de menaces à l’encontre de l’un des organisateurs de ladite manifestation.
II. LE DROIT INTERNE, LA PRATIQUE INTERNE ET LES DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS
A. Le droit interne pertinent
16. Les articles 3 et 54 de la loi du 26 juin 1998 sur l’asile (« LAsi », RS 142.31) prévoient ce qui suit :
Article 3 : Définition du terme de réfugié
« 1. Sont des réfugiés les personnes qui, dans leur État d’origine ou dans le pays de leur dernière résidence, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social déterminé ou de leurs opinions politiques.
2. Sont notamment considérées comme de sérieux préjudices la mise en danger de la vie, de l’intégrité corporelle ou de la liberté, de même que les mesures qui entraînent une pression psychique insupportable. Il y a lieu de tenir compte des motifs de fuite spécifiques aux femmes.
3. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.
4. Ne sont pas des réfugiés les personnes qui font valoir des motifs résultant du comportement qu’elles ont eu après avoir quitté leur pays d’origine ou de provenance s’ils ne constituent pas l’expression de convictions ou d’orientations déjà affichées avant leur départ ni ne s’inscrivent dans leur prolongement. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.
Article 54 : Motifs subjectifs survenus après la fuite
L’asile n’est pas accordé à la personne qui n’est devenue un réfugié au sens de l’art. 3 qu’en quittant son État d’origine ou de provenance ou en raison de son comportement ultérieur. »
17. L’article 1a de l’ordonnance 1 sur l’asile relative à la procédure du 11 août 1999 (« OA 1 », RS 142.311) prévoit ce qui suit :
Article 1a : Définitions
« Au sens de la présente ordonnance, on entend par :
(...)
c. pièce d’identité ou papier d’identité : tout document officiel comportant une photographie délivré dans le but de prouver l’identité du détenteur ;
(...) »
18. Les autres dispositions de droit interne pertinentes ont été exposées dans les arrêts A.A. c. Suisse (précité, § 19) et M.A. c. Suisse (no 52589/13, §§ 30-34, 18 novembre 2014).
B. La pratique interne pertinente
19. Dans un arrêt E-678/2012 du 27 janvier 2016, le TAF reconnut la qualité de réfugié à un ressortissant soudanais membre à la fois du DFEZ et du JEM, en particulier en raison de ses activités politiques en exil. Dans cet arrêt, le TAF indiquait qu’il fallait considérer que les activités politiques en exil des requérants d’asile étaient connues du gouvernement soudanais, que les services secrets surveillaient et contrôlaient les mouvements d’opposition à l’étranger, que les renseignements obtenus étaient analysés au Soudan et qu’ils étaient, entre autres, mis à la disposition des militaires. Il considérait qu’une surveillance complète des activités politiques à l’étranger était susceptible de dépasser les capacités financières, techniques et en termes de personnel du gouvernement soudanais, mais que les personnes qui, en raison de circonstances particulières, se distinguaient du cercle plutôt anonyme des simples participants aux événements politiques des organisations en exil, pouvaient être ciblées par ledit gouvernement. Le TAF relevait aussi que le JEM était l’une des plus importantes organisations rebelles au Soudan et qu’il était combattu par tous les moyens par les autorités soudanaises. Il indiquait que, le JEM ayant acquis une certaine légitimité en lien avec le conflit au Darfour et le gouvernement soudanais étant discrédité, le danger que représentait cette organisation aux yeux des autorités soudanaises avait augmenté, ce qui avait dès lors entraîné un comportement plus sévère de leur part à l’encontre des membres du JEM. S’agissant du cas particulier, le TAF considérait que la crainte de l’intéressé d’être victime de sérieux préjudices de la part du régime soudanais en cas de retour dans son pays d’origine était justifiée. Pour en arriver à cette conclusion, le TAF prit en compte le degré d’exposition de l’intéressé résultant de ses activités pour le compte du JEM, le qualifiant toutefois de pas très important, son engagement depuis 2007 au sein de cette organisation, sa participation active aux événements que le JEM avait organisés, ses rencontres avec des politiciens en exil, ses contacts personnels avec un membre éminent de l’opposition ainsi que sa qualité de membre actif du DFEZ. Enfin, il accorda également de l’importance à l’appartenance du demandeur à la fois à l’élite culturelle et à une minorité ethnique.
C. Les documents internationaux pertinents
1. Rapports d’experts pour le compte des Nations unies
20. Dans son rapport du 28 juillet 2016, l’expert indépendant du Conseil des droits de l’homme des Nations unies relevait que des défis majeurs en matière de droits de l’homme subsistaient au Soudan. Malgré la tenue du dialogue national du Soudan (Sudan’s National Dialogue), boycotté par une part importante de l’opposition, dont le JEM, il existait une préoccupation croissante s’agissant des actions invasives du NISS et de leur impact sur l’exercice des droits civils et politiques et de nombreuses arrestations arbitraires et détentions au secret avaient été reportées. La peine de mort continuait à être appliquée, en particulier contre des membres des groupes armés du Darfour, tel le JEM. La situation des droits de l’homme demeurait précaire au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu. Des centaines de milliers de civils continuaient de souffrir des effets du conflit armé à travers des attaques directes, des déplacements et un accès limité à l’aide humanitaire.
21. Dans le résumé de leur rapport du 9 janvier 2017, un panel d’experts du Soudan constatait que le JEM n’avait plus de présence importante au Darfour en raison de la stratégie de contre-insurrection efficace du gouvernement soudanais, qu’il opérait désormais principalement au Soudan du Sud et qu’il s’engageait dans des activités de mercenaires et supposément criminelles dans ce pays.
2. Rapports du Secrétaire général des Nations unies concernant l’Opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour à l’attention du Conseil de sécurité des Nations unies
22. Dans son rapport du 23 décembre 2016, le Secrétaire général des Nations unies observe ce qui suit :
« Aucun conflit armé majeur n’a eu lieu au Darfour au cours de la période considérée. Toutefois, la situation est restée instable en l’absence de progrès vers un accord global à même de remédier aux causes profondes de la violence.
(...)
Aucun affrontement n’a été signalé entre le Gouvernement et les forces du Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE) et de la faction Minni Minawi de l’Armée de libération du Soudan (ALS/MM) depuis avril 2015 et avril 2016, respectivement. À la suite du cessez-le-feu proclamé par le Président, ces deux mouvements armés, en tant que membres du Front révolutionnaire soudanais, ont annoncé le 30 octobre qu’ils cessaient unilatéralement les hostilités à des fins humanitaires pour une durée de six mois. »
23. Dans son rapport du 23 mars 2017, le Secrétaire général des Nations unies relève ce qui suit :
« Au cours de la période considérée, les affrontements armés au Darfour continuent de baisser en intensité, et aucun combat de grande ampleur entre le Gouvernement et les groupes rebelles n’a été signalé, y compris dans le Jebel Marra. (...) Toutefois, les attaques contre les déplacés et les civils pour des questions de territoire, d’eau et de moyens de subsistance se sont poursuivies, en particulier celles commises par des milices armées. (...) L’ampleur globale des déplacements est restée la même. Malgré une amélioration des conditions de sécurité, la dynamique du conflit au Darfour a été la conséquence du caractère instable et imprévisible de la situation sur le terrain ainsi que de l’absence de progrès tangible en ce qui concerne la lutte contre les causes et les conséquences du conflit.
(...)
Aucun affrontement n’a été signalé entre les forces gouvernementales et les groupes rebelles, y compris les factions Abdul Wahid et Minni Minawi de l’Armée de libération du Soudan (respectivement ALS-AW et ALS-MM) et le Mouvement pour la justice et l’égalité (MJE).
(...)
Le 8 mars 2017, après la libération, sous les auspices du Président ougandais, de 125 prisonniers de guerre soudanais par le Mouvement populaire de libération du Soudan-Nord (MPLS-N), le Président Al-Bashir a signé un décret par lequel il a gracié 259 combattants capturés au cours d’affrontements passés et, notamment, commué les peines de mort prononcées contre 66 membres de la faction Gibril Ibrahim du MJE (MJE-faction Gibril Ibrahim) et de l’ALS-MM. Le Président a également accordé une amnistie générale à 181 combattants du MJE-faction Gibril Ibrahim et à 12 membres de l’ALS-AW et de l’ALS-MM impliqués dans des combats contre les forces gouvernementales en 2015. »
3. Rapport 2015 du Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni sur les droits de l’homme et la démocratie
24. Dans son rapport du 21 avril 2016, le Bureau des Affaires étrangères et du Commonwealth du Royaume-Uni relevait que, de manière générale, il n’y avait pas eu d’amélioration significative sur le plan des droits de l’homme au Soudan en 2015. S’il y avait eu moins de combats que les années précédentes, en raison de cessez-le-feu, les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeaient avec des violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire commises par toutes les parties aux conflits, mais majoritairement par le gouvernement. Les pouvoirs et l’immunité des services de sécurité restaient préoccupants et le gouvernement manifestait peu de volonté d’entreprendre des réformes.
4. La jurisprudence pertinente de la Chambre d’immigration et d’asile du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni
25. La Chambre d’immigration et d’asile du Tribunal Supérieur du Royaume-Uni (the Immigration and Asylum Chamber of the United Kingdom Upper Tribunal « le Tribunal Supérieur du Royaume‑Uni »), dans sa décision IM and AI (Risks – membership of Beja Tribe, Beja Congress and JEM) Sudan (CG) [2016] UKUT 00188 (IAC) du 14 avril 2016, considérait que les informations consultées laissaient apparaître une distinction claire entre les personnes arrêtées pour une courte durée, questionnées, probablement intimidées, voire malmenées sans avoir subi ou risqué de subir un sérieux préjudice, et celles confrontées à un risque bien plus important de sérieux préjudice. Le Tribunal Supérieur du Royaume‑Uni indiquait qu’il fallait faire des distinctions parmi ceux dont l’activité politique n’était pas importante, ou pas perçue comme telle, ou qui n’avaient pas beaucoup d’influence. Il relevait que s’il suffisait de peu pour que le NISS ouvre un fichier, le fait même qu’autant de personnes fussent identifiées comme cibles potentielles impliquait toutefois inévitablement que le NISS distinguât entre ceux qu’il considère comme un réel danger et les autres. Le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni considérait que, pour rendre crédible un risque, il n’était pas suffisant que l’intérêt des autorités se limite au phénomène extrêmement commun d’arrestation et de détention qui, bien qu’intimidant et pensé pour être intimidant, n’atteignait pas le seuil de la persécution. Il considérait qu’il était clair que les autorités soudanaises s’appuyaient sur la récolte de renseignements sur les activités des membres de la diaspora qui incluaient la surveillance secrète. Il indiquait que la nature et l’étendue des activités de l’appelant donnaient des informations pour déterminer s’il était probable que ces activités attirent l’attention des autorités soudanaises, tout en gardant à l’esprit la probabilité que les autorités devraient distinguer parmi un groupe potentiellement important d’individus entre ceux qui justifient d’être ciblés et les autres. Il exposait qu’il convenait de dresser un tableau aussi complet que possible de la situation de l’appelant en prenant en considération tous les éléments pertinents, y compris ceux qui n’avaient pas été établis, même selon une norme de preuve inférieure. Il concluait que les coûts et efforts évidents qu’impliquaient la collecte de ces informations rendaient probable que ces ressources soient ciblées sur ceux qui présentaient les risques les plus évidents et, que dans une foule, il n’était pas probable que la surveillance vise à identifier les participants subalternes et plus probable qu’elle se concentre sur les dirigeants, les organisateurs, ceux qui étaient souvent ou régulièrement vus à ce genre d’événements et ceux présents à des événements qui soient susceptibles d’attirer une attention particulière de la part des officiels soudanais.
5. Informations sur le pays et directives du Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni
26. Dans deux documents publiés en août 2016, concernant le traitement des requérants d’asile soudanais à leur retour au Soudan et le traitement des personnes ayant été actives politiquement au Royaume-Uni, le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni indiquait que la Commission des réfugiés, affiliée au Ministère de l’Intérieur soudanais, était responsable de la surveillance des réfugiés soudanais à l’étranger et qu’elle entretenait vraisemblablement des liens étroits avec le NISS, lui-même responsable d’importantes violations des droits de l’homme au Soudan. Le Bureau de l’Intérieur précisait que le NISS était responsable du contrôle des frontières et qu’un amendement récent à la Constitution soudanaise lui permettait de remplir des tâches habituellement confiées aux forces armées. Il soulignait que les personnes suspectées de constituer une menace pour l’État pouvaient être détenues sans être inculpées durant 45 jours, que cette période pouvait être prolongée de trois mois et que les membres du NISS jouissaient de l’impunité pour les actes qu’ils commettaient dans l’exercice de leurs fonctions. S’agissant du retour des requérants d’asile déboutés ayant eu des activités politiques au Royaume-Uni, le Bureau de l’Intérieur relevait que le Tribunal Supérieur du Royaume-Uni, dans sa décision IM et AI du 14 avril 2016 (paragraphe 25 ci-dessus), n’avait pas défini une liste de facteurs de risques, mais avait en revanche insisté sur la nécessité d’examiner l’ensemble des faits. Le Bureau de l’Intérieur indiquait toutefois que les facteurs suivants, qui ne devaient pas être considérés comme une liste de contrôle exhaustive, pouvaient être pertinents : les autorités se sont déjà intéressées à la personne concernée par le passé, que ce soit au Soudan ou à l’étranger ; la personne concernée a promu des opinions hostiles au régime soudanais à travers divers médias en ligne ; la personne concernée a ou a eu des contacts avec des groupes de l’opposition en exil, y compris en participant à des réunions ou manifestations publiques, ou a un profil en ligne en lien avec des groupes de l’opposition ou une adresse email liée à ces groupes ; la nature du groupe d’opposition concerné et la mesure dans laquelle il est ciblé par le gouvernement ; les relations personnelles ou familiales de la personne concernée avec des figures notoires de l’opposition au régime soudanais.
6. Rapport commun du Service danois de l’immigration et du Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni
27. Dans leur rapport commun d’août 2016 portant sur la situation des personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, le Service danois de l’immigration et le Bureau de l’Intérieur du Royaume-Uni indiquaient que les personnes présentant un profil politique retournant au Soudan étaient susceptibles d’être questionnées et arrêtées à leur arrivée à l’aéroport international de Khartoum. Ils soulignaient qu’avoir demandé l’asile à l’étranger ne posait pas de problèmes avec les autorités soudanaises, lors du retour, pour les personnes provenant du Darfour, du Kordofan du Sud et du Nil Bleu, à l’exception des personnes revenant d’Israël. Ces personnes ne rencontraient pas de difficultés accrues en raison d’un long séjour à l’étranger ou du fait qu’elles voyageaient avec des documents d’identités provisoires et l’appartenance ethnique d’une personne n’affectait pas le traitement reçu à son arrivée à l’aéroport international de Khartoum. Plusieurs sources expliquaient que les passagers arrivant audit aéroport passaient par deux types de contrôle : un contrôle des documents et des permis de séjour auprès d’un bureau de l’immigration puis un contrôle de sécurité effectué par le NISS.
7. Rapport 2015 du Département d’État des États-Unis d’Amérique sur les pratiques en matière de droits de l’homme
28. Dans son rapport du 13 avril 2016, le Département d’État des États‑Unis d’Amérique indiquait que le conflit entre le gouvernement et les rebelles au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu se prolongeait et que toutes les parties aux conflits commettaient des violations des droits de l’homme. En janvier 2015, de nouveaux amendements à la Constitution élargissaient le mandat du NISS, lui confiant des tâches précédemment réservées aux forces armées, alors que l’impunité demeurait un problème courant dans toutes les branches des forces de sécurité. Le Département d’État indiquait encore que les forces de sécurité avaient arrêté trois hommes accusés d’avoir transmis des informations au JEM au Darfour‑Occidental en juillet 2015, que l’un d’entre eux avait prétendument été torturé à mort et que les deux autres restaient en détention. Par ailleurs, 76 membres du JEM étaient encore emprisonnés à la fin 2015.
8. Rapports d’ONG
29. Dans son rapport mondial du 12 janvier 2017, Human Rights Watch exposait que le bilan du Soudan en matière de droits de l’homme restait épouvantable pour 2016 et relevait que les autorités bloquaient la participation de membres de la société civile à des événements internationaux tel l’examen périodique universel au Conseil des droits de l’homme à Genève.
30. Dans son rapport international 2016/2017 du 22 février 2017, Amnesty International indiquait que la situation sécuritaire et humanitaire au Darfour, dans le Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu demeurait désespérée et que des indices suggéraient que des armes chimiques avaient été utilisées par les forces gouvernementales au Darfour.
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION
31. Le requérant allègue qu’un renvoi vers le Soudan emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention, qui se lisent ainsi :
Article 2
« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.
(...) »
Article 3
« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »
32. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.
A. Sur la recevabilité
1. Thèses des parties
33. Le Gouvernement observe que le recours du requérant auprès du TAF concernait uniquement ses activités politiques en Suisse, soit des motifs postérieurs à sa fuite du Soudan. Il fait ainsi valoir que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes pour ses griefs portant sur des motifs survenus avant sa fuite.
34. Le requérant s’oppose à cette thèse. Il prétend ne pas avoir fait appel de la décision du SEM du 10 juin 2014, dans la mesure où elle considérait que les motifs de fuite allégués ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance, uniquement pour des raisons tactiques, indiquant ne pas avoir été en mesure de fournir des preuves écrites au cours de la procédure de recours. Il fait valoir que ses allégations à propos de ses activités politiques au Soudan doivent être prises en compte dans le cadre de l’examen de la sincérité de son engagement politique en exil.
35. Le Gouvernement affirme par ailleurs que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes également s’agissant des faits intervenus après le prononcé de l’arrêt du TAF du 26 février 2015. Il prétend que le requérant aurait pu faire valoir ces nouveaux faits en déposant une demande de reconsidération ou une nouvelle demande d’asile.
2. Appréciation de la Cour
36. La Cour considère que la substance du grief du requérant concerne ses activités sur place. Elle relève par ailleurs que c’est cet élément que le requérant a fait valoir devant le TAF et que ce dernier a examiné dans son arrêt du 26 février 2015. De plus, dans la mesure où le requérant fait valoir un grief sur la base de ses motifs de fuite, la Cour n’identifie pas d’élément justifiant de remettre en cause l’appréciation du SEM selon laquelle les allégations du requérant quant à ses motifs de fuite ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance (paragraphe 10 ci-dessus). Elle souligne que le SEM, après avoir auditionné à deux reprises le requérant, les 12 juillet 2012, sommairement, et 14 avril 2014, sur ses motifs d’asile, a rendu une décision détaillée réfutant de manière convaincante les arguments du requérant (F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, §§ 117-118, CEDH 2016). La Cour considère que le requérant n’a pas fait valoir d’arguments à même de remettre en cause cette appréciation. Les lettres de deux responsables du JEM en Allemagne et en Suisse (paragraphe 15 ci-dessus) indiquent certes que le requérant se serait montré politiquement actif au Soudan, mais lesdits responsables ne prétendent pas que le requérant y ait été actif pour le compte du JEM ou qu’il y ait été inquiété par les autorités soudanaises. De plus, les activités du requérant au Soudan alléguées dans leurs lettres ne sont pas exposées de manière détaillées. La Cour rappelle enfin, comme l’a souligné le Gouvernement, que le requérant n’avait pas interjeté recours auprès du TAF contre la décision du SEM du 10 juin 2014 en ce qu’elle considérait invraisemblables les motifs de fuite allégués (paragraphes 11 et 13 ci-dessus).
37. Il s’ensuit que le grief portant sur les motifs de fuite est manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention, de sorte que la requête doit être, sur ce point, rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.
38. S’agissant du reste de la requête, à savoir le grief tiré des articles 2 et 3 de la Convention concernant les activités sur place du requérant, et de l’exception d’irrecevabilité tirée du défaut d’épuisement des voies de recours internes en lien avec les faits survenus après l’arrêt du TAF du 26 février 2015, la Cour rappelle que, aux termes de l’article 55 du règlement, si la Partie contractante défenderesse entend soulever une exception d’irrecevabilité, elle doit le faire, pour autant que la nature de l’exception et les circonstances le permettent, dans ses observations sur la recevabilité de la requête soumises au titre de l’article 54 du règlement (comparer avec N.C. c. Italie [GC], no 24952/94, § 44, CEDH 2002-X, CEDH 2004‑III, Sejdovic c. Italie [GC], no 56581/00, § 41, CEDH 2006‑II, Mooren c. Allemagne [GC], no 11364/03, § 57, 9 juillet 2009, et Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, § 69, CEDH 2010).
39. La Cour note que le Gouvernement a soulevé cette exception d’irrecevabilité au moment de soumettre à la Cour ses observations supplémentaires, le 17 mars 2016, en réponse à des observations complémentaires du requérant datées du 8 février 2016, soit après s’être prononcé sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête, le 3 juillet 2015. De plus, la Cour ne décèle aucune circonstance exceptionnelle dans le cas d’espèce. En effet, le Gouvernement avait déjà été informé de l’existence de faits nouveaux postérieurs à l’arrêt du TAF du 26 février 2015, notamment lorsque la présente requête lui fut communiquée, et n’avait alors pas formulé d’exception d’irrecevabilité dans ses observations du 3 juillet 2015 portant sur la recevabilité et le bien-fondé de la requête. La Cour rejette dès lors l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement. Elle applique le même raisonnement pour les exceptions d’irrecevabilité similaires soulevées les 16 janvier et 6 avril 2017 par le Gouvernement.
40. La Cour constate, par ailleurs, que le grief tiré de la violation des articles 2 et 3 concernant les activités sur place du requérant n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
B. Sur le fond
1. Thèse des parties
a) Le requérant
41. Le requérant fait valoir un risque de voir sa vie mise en danger en cas de renvoi vers le Soudan et en particulier d’être interrogé, détenu et torturé par les agents du NISS dès son arrivée à l’aéroport de Khartoum. Il allègue que les personnes qui s’opposent au régime soudanais, indépendamment de l’importance de leur profil politique, courent un risque de persécutions du fait de la surveillance systématique des activités politiques en exil par les autorités soudanaises. Il considère que ses activités politiques en Suisse ne sauraient être qualifiées de faibles. Il affirme être un membre actif de la section suisse du JEM, depuis son arrivée en Suisse à l’été 2012, et du DFEZ, avoir représenté ces deux organisations au cours de ses deux participations au Geneva Summit for Human Rights and Democracy, participer régulièrement aux événements qu’elles organisent, avoir rencontré des figures éminentes de l’opposition en exil et être en contact personnel avec le leader du JEM. Le requérant ajoute qu’il serait d’autant plus fortement exposé depuis qu’il est devenu, en mars 2015, responsable média de la section suisse du JEM. Il allègue que les articles qu’il a publiés démontrent que son engagement politique est sincère et qu’il ne craint pas de le rendre public. S’agissant des risques de persécution pour les membres du JEM, le requérant se réfère à A.A. c. France (no 18039/11, 15 janvier 2015) et A.F. c. France (no 80086/13, 15 janvier 2015), et fait valoir que cette organisation combat militairement le régime soudanais et qu’elle entretient des contacts avec l’ONU. Il est en outre d’avis que les autorités soudanaises n’accordent guère d’importance au fait qu’il ne soit pas originaire du Darfour.
42. En réponse aux observations du Gouvernement, le requérant précise qu’il collabore régulièrement avec une radio locale sur laquelle s’expriment plusieurs membres du JEM. S’agissant de la divergence entre le nom de l’auteur des articles critiques envers le régime soudanais que le requérant affirme avoir publiés et le nom qu’il a communiqué aux autorités suisses, le requérant affirme que le nom de l’auteur des articles, composé de quatre parties, contient, en plus du sien, les noms de ses père, grand-père et arrière‑grand-père. Il ajoute qu’il n’existe pas de translittération officielle de son nom arabe et que celui-ci est susceptible de s’écrire de différentes manières en allemand et en anglais. A propos de son identité, qu’il tient pour établie, le requérant concède avoir indiqué une fausse date de naissance lors de l’audition sur sa personne, mais fait valoir qu’il avait remis son certificat de naissance, soulignant que les autorités suisses n’avaient pris aucune mesure afin d’en vérifier l’authenticité ni n’avaient spécifié le moindre élément indiquant qu’il s’agissait d’un faux. Concernant sa fonction de responsable média du JEM, le requérant affirme s’occuper du suivi des publications de la presse arabe sur le Darfour et de transmettre le contenu des séances du JEM aux autres membres et à la diaspora soudanaise.
43. Dans ses observations complémentaires, le requérant fait valoir qu’il a participé à plusieurs manifestations à Genève et que son cas s’assimile à celui traité dans l’arrêt du TAF E-678/2012 du 27 janvier 2016 (paragraphe 19 ci-dessus) reconnaissant la qualité de réfugié à un ressortissant soudanais membre à la fois du DFEZ et du JEM. Il allègue avoir participé à l’organisation d’une manifestation suite à laquelle l’un des organisateurs aurait reçu deux messages de menaces émanant des services secrets soudanais et avoir participé à une réunion des membres exécutifs du JEM.
b) Le Gouvernement
44. Le Gouvernement rappelle que le requérant, dans son recours auprès du TAF, avait lui-même admis ne pas occuper de fonction dirigeante au sein du JEM et du DFEZ. Il affirme qu’il n’y a pas lieu de croire que la participation du requérant à des séances internes du JEM et son rôle dans leur organisation aient été rendus publics et aient par conséquent attiré l’intérêt des autorités soudanaises. Il soutient que la participation du requérant à des événements en lien avec des conférences de l’ONU ne témoignait pas d’un engagement politique particulièrement exposé. S’agissant des articles que le requérant affirme avoir publiés, le Gouvernement relève que le nom de leur auteur ne correspond pas à celui communiqué par le requérant aux autorités suisses, le premier nom contenant quatre parties contre seulement deux pour le second, et que l’identité du requérant n’avait pas pu être établie, celui-ci n’ayant remis aucun document d’identité au sens de la législation pertinente aux autorités suisses. Par ailleurs, le Gouvernement doute de l’authenticité du certificat scolaire soumis par le requérant en raison d’informations divergeant avec celles figurant sur son certificat de naissance. Quant à la nomination du requérant à la fonction de responsable média, le Gouvernement souligne que deux dates ont été citées pour cet événement et que le requérant n’a fourni aucune description de son cahier des charges dans cette fonction. Le Gouvernement affirme par ailleurs que l’attention des autorités soudanaises devrait se concentrer en premier lieu sur les personnes qui, en raison de circonstances particulières, se démarquent du cercle plutôt anonyme des simples participants à des évènements politiques de l’opposition soudanaise. Il fait en outre valoir que les faits du cas d’espèce diffèrent sensiblement de ceux à l’origine de l’arrêt A.A. c. Suisse, précité.
45. Le Gouvernement soutient que les allégations du requérant s’agissant de son implication dans les émissions d’une radio locale, pas suffisamment étayées, et ses activités en tant que responsable média, peu visibles de l’extérieur de l’organisation et ne lui conférant dès lors pas un profil politique marqué, n’étaient pas susceptibles d’attirer l’attention des autorités soudanaises.
46. En réponse aux observations complémentaires du requérant, le Gouvernement soutient que le requérant ne saurait se réclamer de l’arrêt du TAF E-678/2012 du 27 janvier 2016, les faits à l’origine de cet arrêt étant différents de ceux dont il est question dans le cas d’espèce. S’agissant des menaces supposément proférées par les services secrets à l’encontre des organisateurs d’une manifestation, le Gouvernement affirme notamment que, adressées à une tierce personne, elles ne visaient pas le requérant, dont le nom ne correspondait par ailleurs pas à celui figurant sur l’invitation. Le Gouvernement est enfin d’avis que la lettre du leader du JEM attestant de l’appartenance du requérant au bureau exécutif de la section suisse du JEM constitue un simple courrier de complaisance et qu’elle n’indique pas dans quelle mesure et par quelles activités concrètes le requérant serait devenu un opposant sérieux et potentiellement dangereux pour le régime.
2. Appréciation de la Cour
47. La Cour observe d’emblée que les griefs allégués sous l’angle des articles 2 et 3 de la Convention sont indissociables et examinera donc les deux articles simultanément (voir notamment, mutatis mutandis, F.G. c. Suède, précité, § 110, Tatar c. Suisse, no 65692/12, § 45, 14 avril 2015, T.A. c. Suède, no 48866/10, § 37, 19 décembre 2013, et K.A.B. c. Suède, no 886/11, § 67, 5 septembre 2013).
a) Principes généraux
48. La Cour rappelle que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, par exemple, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006‑XII, et J.K. et autres c. Suède [GC], no 59166/12, § 79, CEDH 2016). Cependant, l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124‑125, et J.K. et autres c. Suède, précité, § 79).
49. Si le requérant n’a pas encore été expulsé, la date à retenir pour l’appréciation doit être celle de l’examen de l’affaire par la Cour (J.K. et autres, précité, § 83, et Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V). Une évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu’il faut prendre en compte des informations apparues après l’adoption par les autorités internes de la décision définitive (voir, par exemple, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, §§ 87-95, CEDH 2008, J.K. et autres, précité, § 83, et Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 215, 28 juin 2011).
b) Application de ces principes au cas d’espèce
50. S’agissant de la situation générale au Soudan, la Cour a récemment rappelé dans l’arrêt A.A. c. Suisse (précité, §§ 39-40), que la situation des droits de l’homme dans ce pays était alarmante, en particulier pour les opposants politiques. Elle a également noté, dans les arrêts A.A. c. France (précité, §§ 55-56) et A.F. c. France (précité, § 49) que la situation s’était encore détériorée depuis le début de l’année 2014. La Cour relève par ailleurs qu’il n’y a pas eu depuis lors d’amélioration significative de la situation. Les conflits au Darfour, au Kordofan du Sud et dans le Nil Bleu ont ainsi perduré et engendré d’importants dommages parmi les populations civiles, même si les combats, notamment au Darfour, étaient moins nombreux. Les rapports internationaux consultés font également état de ce que les individus suspectés d’appartenir à des mouvements rebelles, notamment au JEM, ou de les soutenir, continuent d’être arrêtés, détenus et torturés par les autorités soudanaises (paragraphes 20 à 30 ci-dessus). De plus, il apparaît que les individus encourant un risque de mauvais traitement ne sont pas uniquement les opposants au profil marqué, mais toute personne s’opposant ou étant suspectée de s’opposer au régime en place (A.A. c. France, précité, § 56, A.F. c. France, précité, § 49, et A.A. c. Suisse, précité, § 40). La Cour a enfin indiqué qu’il était reconnu que le gouvernement soudanais surveillait les activités des opposants politiques à l’étranger (A.A. c. Suisse, précité, § 40).
51. La Cour note que le requérant est membre du JEM et du DFEZ, en Suisse, depuis plusieurs années. Le Gouvernement remet en cause la sincérité de son engagement politique et affirme que ses activités en exil n’ont pas atteint une importance suffisante pour attirer l’attention des autorités soudanaises. En ce qui concerne les activités sur place, la Cour a reconnu qu’il est généralement très difficile d’apprécier si une personne s’intéresse sincèrement à l’activité en question ou si elle ne s’y est engagée que pour justifier après coup sa fuite (voir, par exemple, A.A. c. Suisse, précité). Dans des cas similaires, la Cour a cherché à savoir si le requérant s’était engagé dans des activités sur place à un moment où il était prévisible qu’il dépose une demande d’asile dans le futur, si le requérant était un activiste politique avant de fuir son pays d’origine ou s’il avait joué un rôle important afin de rendre son cas public dans l’État défendeur (voir A.A. c. Suisse, précité, § 41, S.F. et autres c. Suède, précité, §§ 66-67, et N. c. Finlande, no 38885/02, § 165, 26 juillet 2005). Cependant, la Cour rappelle que compte tenu de l’importance qu’elle attache à l’article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage qui résulterait si le risque de mauvais traitements ou de torture se matérialisait, elle préfère analyser le grief du requérant sur la base des activités politiques qu’il a effectivement menées (A.A. c. Suisse, précité, § 41).
52. S’agissant de la crédibilité des allégations du requérant ayant trait à ses activités politiques en Suisse, la Cour considère que, malgré certaines incohérences, notamment s’agissant des messages de menaces censés émaner des services secrets soudanais, elle ne saurait être remise en cause, les propos du requérant ayant été constants tout au long de la procédure et documentés par de nombreux moyens de preuve. Les autorités internes n’ont d’ailleurs pas fondamentalement remis en cause le récit du requérant sur ses activités sur place, se contentant de mettre en doute la sincérité et le caractère exposé de son engagement. Toutefois, concernant plus particulièrement les articles critiquant notamment le gouvernement soudanais que le requérant aurait publiés sur internet, la Cour est d’avis que le requérant, qui n’a ni été appelé à se prononcer sur les doutes du TAF quant à son identité ni été interrogé par le SEM à ce propos après que ce dernier avait reçu des documents relatifs à l’identité du requérant lors de son audition sur les motifs, a fourni des explications crédibles sur les divergences observées à propos des différentes variantes de son nom, de sorte qu’il ne saurait être exclu que le requérant soit l’auteur desdits articles. Il revenait dès lors au TAF d’examiner si leur publication sur internet était susceptible de mettre le requérant en danger. S’agissant de la promotion au poste de responsable média de la section suisse du JEM alléguée par le requérant, la Cour relève que le Gouvernement, qui a certes exprimé des réserves en lien avec la date de cet événement et l’absence de description du cahier des charges du requérant, n’a pas fondamentalement remis en cause la promotion du requérant. Dès lors, à la lumière des lettres émanant de responsables en exil du JEM et malgré certaines incohérences, le requérant a rendu vraisemblable qu’il occupait désormais une telle position. Par conséquent, la Cour doit examiner si les activités du requérant sont susceptibles de lui faire courir un danger en cas de renvoi vers le Soudan.
53. La Cour considère, à la lumière de l’affaire A.A. c. Suisse (précitée) et des documents internationaux consultés (paragraphes 20 à 30 ci-dessus), que la surveillance par les services secrets soudanais des activités des opposants politiques à l’étranger ne saurait être qualifiée de systématique et que, pour évaluer si des individus peuvent être suspectés de soutenir des organisations d’opposition au régime soudanais et encourent des risques de mauvais traitements et de torture en cas de renvoi vers le Soudan en raison de leurs activités politiques en exil, il convient de tenir compte, notamment, des facteurs suivants : l’éventuel intérêt, par le passé, des autorités soudanaises pour ces individus, que ce soit au Soudan ou à l’étranger ; l’appartenance de ces individus, au Soudan, à une organisation s’opposant au régime en place et la nature de cette organisation ; leur appartenance à une organisation d’opposition dans leur pays de résidence, la nature de celle-ci et la mesure dans laquelle elle est ciblée par le gouvernement ; la nature de l’engagement politique de ces individus dans leur pays de résidence, notamment leur participation à des réunions ou manifestations publiques et leur activité sur internet ; et leurs liens personnels ou familiaux avec des membres éminents de l’opposition en exil.
54. Dans le cas d’espèce, s’agissant de la question de l’intérêt des autorités soudanaises pour le requérant et plus particulièrement des motifs de fuite allégués par le requérant, la Cour rappelle qu’elle n’a pas identifié d’élément justifiant de remettre en cause l’appréciation des autorités internes selon laquelle les allégations du requérant ne satisfaisaient pas aux exigences de vraisemblance (paragraphe 36 ci-dessus). Le requérant n’a pas non plus allégué avoir été actif politiquement à l’étranger au cours des trois années séparant sa fuite du Soudan et son arrivée en Suisse. La Cour considère dès lors qu’aucun élément n’atteste un quelconque intérêt des autorités soudanaises pour le requérant alors qu’il résidait encore au Soudan ou à l’étranger, avant son arrivée en Suisse.
55. La Cour relève par ailleurs, comme le TAF dans son arrêt E‑678/2012 du 27 janvier 2016 (paragraphe 19 ci-dessus), que le JEM est l’un des principaux mouvements de rébellion au Soudan et que le danger qu’il représente aux yeux des autorités soudanaises a augmenté du fait de la légitimité qu’il a acquise en lien avec le conflit au Darfour, entraînant un comportement plus sévère de la part des autorités soudanaises à l’encontre des membres du JEM. L’appartenance du requérant au JEM, depuis son arrivée en Suisse à l’été 2012, constitue dès lors un facteur de risques de persécutions. La Cour ajoute qu’il en va de même de l’appartenance du requérant au DFEZ, ayant déjà constaté une violation de l’article 3 de la Convention en cas de renvoi d’un militant de cette organisation vers le Soudan (A.A. c. Suisse, précité).
56. La Cour note que l’engagement politique du requérant, déjà non négligeable au vu de son rôle dans l’organisation des séances hebdomadaires du JEM et de sa participation régulière aux événements du JEM et du DFEZ en Suisse, s’est encore intensifié avec le temps, comme en témoigne sa participation à des conférences internationales à Genève portant sur la situation en matière de droits de l’homme au Soudan, ses articles critiques à l’égard du régime soudanais et sa nomination au poste de responsable média du JEM (voir, mutatis mutandis, A.A. c. Suisse, précité, § 42). Si le profil politique du requérant ne saurait être qualifié de très exposé, du fait notamment qu’il n’a jamais fait de discours au nom d’une organisation d’opposition lors de ces conférences, il convient toutefois de tenir compte de la situation spécifique du Soudan (A.A. c. Suisse, précité, § 42). En effet, comme l’a rappelé la Cour, il apparaît que les individus encourant un risque de mauvais traitement ne sont pas uniquement les opposants au profil marqué, mais toute personne s’opposant ou étant suspectée de s’opposer au régime en place (paragraphe 50 ci-dessus). Il est de plus reconnu que le gouvernement soudanais surveille les activités de ses opposants politiques à l’étranger (A.A. c. Suisse, précité §§ 40 et 43).
57. La Cour note que le requérant ne saurait, sur la seule base des photographies du requérant en compagnie du leader du JEM, prises en marge de réunions de ce mouvement, se réclamer de liens personnels ou familiaux avec des membres éminents de l’opposition en exil de nature à pouvoir le mettre en danger. Elle relève toutefois que le requérant a, de par son engagement au sein du JEM, été amené à côtoyer de façon régulière les dirigeants de la branche suisse de ce mouvement.
58. Vu ce qui précède, la Cour ne peut pas exclure que le requérant ait, en tant qu’individu et de par ses activités politiques en exil, attiré l’attention des services de renseignements soudanais. Elle est d’avis qu’il pourrait être suspecté d’être affilié à une organisation s’opposant au régime soudanais. Elle considère dès lors qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le requérant risquerait d’être détenu, interrogé et torturé à son arrivée à l’aéroport de Khartoum et qu’il lui serait impossible de se relocaliser dans le pays. En conséquence, la Cour estime qu’il y a aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention en cas de mise à exécution de la mesure de renvoi du requérant vers le Soudan.
II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
60. Le requérant n’a présenté aucune demande de satisfaction équitable. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.
B. Frais et dépens
61. Le requérant demande 6 018 francs suisses (CHF) (soit environ 5 648 euros (EUR)) pour les frais et dépens engagés devant la Cour.
62. Le Gouvernement ne conteste pas ce montant.
63. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 5 648 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.
C. Intérêts moratoires
64. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR
65. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.
66. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphe 4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard (voir dispositif).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des articles 2 et 3 de la Convention liés aux activités sur place du requérant, et irrecevable le restant de la requête ;
2. Dit qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention en cas de renvoi du requérant vers le Soudan ;
3. Décide que la mesure provisoire indiquée par la Cour en application de l’article 39 de son règlement reste en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;
4. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme suivante, à convertir en francs suisses au taux applicable à la date du règlement, 5 648 EUR (cinq mille six cent quarante-huit euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 30 mai 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Stephen PhillipsHelena Jäderblom
GreffierPrésidente