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14/02/2017 | CEDH | N°001-171441

CEDH | CEDH, AFFAIRE MASLOVA c. RUSSIE, 2017, 001-171441


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MASLOVA c. RUSSIE

(Requête no 15980/12)

ARRÊT

STRASBOURG

14 février 2017

DÉFINITIF

14/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Maslova c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova, <

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Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvie...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE MASLOVA c. RUSSIE

(Requête no 15980/12)

ARRÊT

STRASBOURG

14 février 2017

DÉFINITIF

14/05/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Maslova c. Russie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Luis López Guerra, président,
Helena Jäderblom,
Helen Keller,
Dmitry Dedov,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 24 janvier 2017,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 15980/12) dirigée contre la Fédération de Russie et dont une ressortissante de cet État, Mme Lyubov Petrovna Maslova (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 mars 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Mme O. Sadovskaya, juriste du Comité contre la torture, une organisation non gouvernementale sise à Nijni Novgorod. Le gouvernement russe (« le Gouvernement ») a été représenté par M. G. Matiouchkine, représentant de la Fédération de Russie auprès de la Cour européenne des droits de l’homme.

3. La requérante se plaint de la mort de son frère dans un commissariat de police, alléguant qu’il y avait été retenu illégalement et qu’il y avait subi des mauvais traitements de la part des policiers.

4. Le 27 août 2014, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1961 et réside à Aksakovo (région d’Orenbourg).

A. L’arrestation et le décès du frère de la requérante

6. Le 19 décembre 2005, vers 14 heures, le frère de la requérante, M. Vasiliy Liamov, fut interpellé par l’officier de police P. à Aksakovo, dans la région d’Orenbourg. P. menotta M. Liamov et le fit monter dans un véhicule de police. Ensuite, un autre officier, A., prit place à bord de ce véhicule et ils se rendirent au commissariat de police de Buguruslan (ОВД по МО г. Бугуруслан и Бугурусланский район) (« le commissariat de police »), éloigné de 100 kilomètres. Lors de ce trajet, M. Liamov fut brutalisé.

7. Lorsque le véhicule parvint à destination, M. Liamov présentait des lésions l’empêchant de marcher. P. et A., assistés d’un autre officier, le portèrent alors à l’intérieur du commissariat de police. Ils l’allongèrent par terre, dans le hall, où il resta cinq heures sans assistance médicale. Plusieurs personnes passèrent à côté de lui sans lui prêter attention. Vers 21 heures, un officier de police s’approcha de M. Liamov et, ne détectant pas son pouls, demanda à ses collègues d’appeler une ambulance. Le médecin qui arriva sur place constata « la mort biologique » de M. Liamov. Dans le certificat dressé sur les lieux, l’équipe médicale de l’ambulance nota que, selon les dires des policiers, la victime, qui était restée allongée à côté du radiateur dans un état d’ébriété, s’était mise à râler et à uriner vingt minutes avant l’arrivée de l’ambulance. L’équipe médicale, qui comprenait un médecin, un aide-médecin et un chauffeur, ne constata aucune lésion corporelle.

8. Aucune décision ne fut rendue et aucun procès-verbal ne fut dressé à la suite de l’arrestation et de la détention de M. Liamov.

9. Le même jour, à 22 heures, l’enquêteur du service du procureur de Buguruslan procéda à un examen des lieux. Le lendemain, le médecin légiste D. examina le corps de M. Liamov et constata l’absence de lésions. Il conclut que le décès résultait d’une intoxication alcoolique.

10. La famille de M. Liamov demanda une nouvelle expertise.

B. L’instruction relative à l’incident et les décisions judiciaires

1. L’instruction engagée par le procureur

11. Le 26 décembre 2005, le procureur de Buguruslan ordonna l’ouverture d’une instruction pénale relative au décès de M. Liamov. Le même jour, l’enquêteur demanda une autopsie.

a) Le deuxième rapport d’expertise post mortem

12. L’expert constata la présence de plusieurs lésions corporelles, dont un traumatisme des vertèbres cervicales qui avait, selon lui, provoqué le décès de M. Liamov. Il expliqua que, pour causer cette lésion, la tête de la victime avait été renversée en arrière et tournée vers la droite. L’expert conclut que ce traumatisme avait entraîné la mort de M. Liamov en quelques minutes. Il ajouta que la victime ne pouvait pas s’être infligé elle‑même une telle blessure. Il releva également plusieurs autres lésions, notamment des égratignures sur le cou, les bras et le visage ainsi que des ecchymoses sur le visage et la jambe droite.

b) Le troisième rapport d’expertise post mortem

13. Le 22 février 2006, l’enquêteur ordonna une contre‑expertise médicolégale afin de savoir :

– si les blessures identifiées par le deuxième rapport d’expertise avaient été infligées du vivant de M. Liamov ;

– si les lésions ayant entraîné la mort avaient pu être le résultat des actes et/ou circonstances suivants : lutte entre M. Liamov et un policier, freinage brusque du véhicule, chute de la victime de son siège dans le véhicule, déplacement par les trois policiers de M. Liamov du véhicule jusqu’au commissariat de police, geste volontaire de la part des policiers consistant à lui tourner la tête avec les mains ;

– si les lésions susmentionnées avaient été causées avant 15 h 30, heure de l’arrivée de M. Liamov au commissariat de police ;

– si une assistance médicale rapide aurait pu sauver la vie de M. Liamov.

14. Le 12 avril 2006, la commission chargée de l’expertise, composée de quatre membres du bureau régional d’expertise médicolégale, ayant examiné les deux premiers rapports d’autopsie et les rapports d’analyses biologiques, conclut que toutes les lésions identifiées avaient été causées alors que la victime était vivante. Selon elle, le laps de temps séparant la blessure au cou de la mort pouvait aller de quelques minutes à une heure et demie. Elle observa que, compte tenu du procès-verbal d’examen du corps effectué sur les lieux du décès, il s’était écoulé de deux à quatre heures entre le décès de M. Liamov et ledit examen.

15. Elle expliqua qu’il lui était impossible de confirmer ou d’exclure l’une ou l’autre des hypothèses envisagées par l’enquêteur. Elle observa que, le traumatisme du cou lui ayant été fatal, la victime ne pouvait plus faire aucun geste.

c) Le complément d’information

16. À une date non précisée, l’affaire pénale dirigée contre les policiers P. et A. fut envoyée au tribunal pour examen. Le 27 juillet 2007, le tribunal de la ville de Buguruslan renvoya le dossier pénal au procureur pour un complément d’information. Le tribunal constata que l’acte d’accusation ne précisait pas avec clarté le rôle joué par les deux accusés, P. et A., dans la perpétration de l’infraction.

2. Le premier jugement condamnant P. et A.

17. Le 28 décembre 2007, le tribunal de la ville de Buguruslan condamna P. et A. Il les reconnut coupables, d’une part, d’abus de pouvoir, aggravé de violences et d’utilisation d’armes ou de moyens de contrainte spéciaux ayant eu de graves conséquences, une infraction prévue par l’article 286 § 3 a), b) et c) du code pénal russe et, d’autre part, de voies de fait ayant entraîné la mort, une infraction prévue par l’article 111 § 4 du code pénal. Une peine de sept ans d’emprisonnement assortie d’une interdiction d’occuper des postes au sein du ministère de l’Intérieur pendant trois ans leur fut infligée.

18. Le 26 février 2008, la cour régionale d’Orenbourg annula le jugement du tribunal de la ville de Buguruslan. Dans sa décision, la cour observait que le tribunal n’avait ni éclairci le rôle de chaque accusé dans la perpétration de l’infraction ni expliqué comment la victime avait subi les lésions corporelles constatées. Elle renvoya l’affaire pour un nouvel examen.

19. Le 11 avril 2008, le tribunal du district de Buguruslan renvoya l’affaire au procureur de Buguruslan pour un complément d’information.

3. La deuxième phase de l’instruction et le deuxième jugement

20. Le 22 septembre 2009, un enquêteur du département régional du Comité d’instruction indiqua que P. et A. avaient commis en réunion les infractions prévues par les articles 286 § 3 a), b) et c) et 111 § 4 du code pénal et les inculpa de ces chefs. Le 23 septembre 2009, l’enquêteur mit hors de cause les policiers S. et Lo., accusés de négligence grave, au motif que P. et A. les avaient induits en erreur en affirmant que M. Liamov, ivre, n’avait pas besoin d’assistance médicale.

21. Le 13 décembre 2010, le tribunal de Buguruslan condamna P. à cinq ans d’emprisonnement pour abus de pouvoir et violences ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner. De plus, le tribunal prononça à son encontre une peine d’interdiction d’occuper un poste au sein du ministère de l’Intérieur pendant trois ans et le condamna à verser à la requérante 150 000 roubles (RUB) à titre de dommage moral.

22. Le tribunal acquitta A. Il jugea que ce dernier avait agi conformément à la loi car, induit en erreur par P., il avait cru de bonne foi conduire un individu coupable d’une infraction administrative au commissariat de police, ce qui faisait partie de ses attributions de policier. En ce qui concerne les violences volontaires, le tribunal releva que A. niait avoir frappé M. Liamov, que P., se prévalant de son droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination, gardait le silence au sujet des faits litigieux, et qu’il n’y avait eu aucun témoin des agissements incriminés. Il conclut à l’absence de toute preuve d’implication de A. dans les faits précités.

23. Le 15 février 2011[1], la cour régionale d’Orenbourg confirma le jugement en ce qu’il acquittait A. et l’annula en ce qu’il condamnait P. À la suite de l’annulation de la condamnation de P., l’affaire fut renvoyée pour un nouvel examen.

4. Le troisième jugement condamnant P.

24. Le tribunal du district de Buguruslan, statuant comme juridiction de renvoi, examina les accusations dirigées contre P. Par un jugement du 11 juillet 2011, il condamna ce dernier pour abus de pouvoir aggravé, une infraction prévue par l’article 286 § 3 a) et b) du code pénal. Le tribunal établit que P. avait interpellé et frappé M. Liamov. Le tribunal précisa que, comme l’avait déclaré P., M. Liamov s’était endormi dans le véhicule et que, à leur arrivée au commissariat de police, P. l’avait lui-même transporté dans le hall et déposé à côté d’un radiateur. Le tribunal établit que les lésions corporelles identifiées par l’expert légiste avaient été infligées alors que M. Liamov était vivant et les qualifia de dommage à la santé de gravité moyenne. Le tribunal conclut que les blessures constatées n’avaient pu être infligées que par P. au cours du trajet jusqu’au commissariat de police.

25. Le tribunal écarta la version de la défense selon laquelle ces blessures avaient été subies par M. Liamov dans d’autres circonstances et conclut que P. était l’auteur des lésions en cause. Pour arriver à cette conclusion, le tribunal s’appuya sur le rapport d’expertise, selon lequel ces lésions ne pouvaient pas résulter d’une chute de M. Liamov de toute sa hauteur, sur les explications des témoins attestant ne pas avoir vu de lésions avant l’interpellation, et, enfin, sur l’explication de P., qui n’avait pas nié avoir recouru à la force pour maîtriser l’intéressé. Le tribunal qualifia les agissements de P. d’abus de pouvoir et expliqua qu’aucun texte légal relatif aux attributions de policier de ce dernier ne lui permettait de commettre des actes susceptibles de causer un dommage à la santé d’une personne et de nuire à l’autorité de l’institution publique.

26. Eu égard au chef de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner, le tribunal acquitta P. Il releva que ce dernier, se prévalant de son droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination, gardait le silence. Le tribunal fonda son jugement sur d’autres preuves. Il établit que M. Liamov était décédé après 20 heures, alors qu’il avait été conduit au commissariat de police à 16 heures. Il ajouta que plusieurs témoins avaient vu M. Liamov « râler, souffler, bredouiller et même parler ». Le tribunal, ayant confronté ces données avec les rapports d’experts qui certifiaient qu’une personne atteinte d’une telle fracture ne pouvait survivre plus d’une heure et demie, conclut que la mort de M. Liamov avait été causée non par les agissements de P. mais par une autre personne et dans d’autres circonstances.

27. En ce qui concerne l’interpellation de M. Liamov, illégale selon l’acte d’accusation, le tribunal observa que tant l’interpellation que la procédure suivie par P. étaient conformes à la loi. En effet, il releva que l’ivresse publique était passible d’une peine d’emprisonnement en vertu de l’article 20.21 du code des infractions administratives. Il conclut que P. avait agi dans les limites de ses attributions et que les manquements constatés à la procédure en cause (absence de procès‑verbaux) ne conféraient pas aux actes de P. un caractère illégal. Il jugea donc que la responsabilité de ce dernier ne pouvait pas être engagée de ce chef.

28. Le tribunal condamna P. à trois ans de prison ferme, soit le quantum minimum de la sanction prévue par l’article 286 § 3 du code pénal. Le tribunal prit en compte des circonstances atténuantes telles que le casier judiciaire vierge de P., la participation de ce dernier à des opérations militaires pour lesquelles il avait été décoré, le service irréprochable dont il avait fait preuve au sein de la police, son état de santé et sa situation familiale, notamment l’existence d’enfants mineurs à sa charge. En outre, observant que P. était retraité, le tribunal le condamna à une peine accessoire d’interdiction d’occuper des postes au sein du ministère de l’Intérieur pendant trois ans.

29. Le tribunal rejeta l’action civile introduite par la requérante en sa qualité de partie civile pour le dommage causé par la mort de son frère, au motif que P. n’était pas responsable du décès de M. Liamov.

30. Tant le ministère public et la requérante que le défenseur de P. se pourvurent en cassation. Le ministère public reprochait au tribunal d’avoir prononcé une peine trop faible. La requérante se plaignait de l’acquittement de P.

31. Le 6 septembre 2011, la cour régionale d’Orenbourg modifia le jugement attaqué en ajoutant au dispositif une injonction à l’autorité chargée de l’enquête d’engager une instruction afin d’identifier la personne responsable des voies de fait ayant entraîné la mort de M. Liamov. La cour confirma le jugement pour le surplus. Concernant la sanction, la cour releva que l’article 286 § 3 du code prévoyait une peine de trois à dix ans d’emprisonnement. Par conséquent, elle jugea que la sanction prononcée, conforme à l’article susmentionné, n’était pas trop faible.

5. Le déroulement ultérieur de l’instruction

32. La requérante forma un recours, conformément aux dispositions de l’article 124 du code de procédure pénale, auprès du procureur du district de Buguruslan. Dans sa lettre à cet effet, datée du 15 février 2012, elle se plaignait que les autorités chargées de l’enquête ne s’étaient pas conformées à l’injonction de la justice visant à identifier l’auteur des voies de fait.

33. Le 29 février 2012, l’adjoint du procureur lui répondit que, en effet, elle n’avait pas été informée de l’évolution de l’enquête. Il ajouta qu’il avait demandé aux autorités concernées « de redresser ces irrégularités ».

34. Le 23 mars 2012, l’enquêteur du département régional du Comité d’instruction ordonna la suspension de l’instruction, en application de l’article 208 du code de procédure pénale, au motif que le délai imparti pour l’instruction avait expiré. Le même jour, il ordonna aux policiers du commissariat de police de Buguruslan de « prendre les mesures nécessaires pour établir (...) ce qui s’était passé ainsi que pour identifier la (les) personne(s) ayant commis [l]’infraction ».

35. Le 9 juin 2012, la requérante forma un recours sur la base de l’article 124 du code de procédure pénale auprès du procureur du district de Buguruslan. Elle se plaignait de l’absence de motivation de la décision attaquée et soutenait qu’avoir chargé de l’enquête les policiers du commissariat de police éventuellement impliqués dans l’incident était contraire au principe d’impartialité et d’indépendance de l’instruction.

36. Le 15 juin 2012, le procureur par intérim rejeta le recours.

37. La requérante forma un recours en justice soulevant les mêmes objections que celles mentionnées dans son recours auprès du procureur.

38. Le 10 septembre 2012, le tribunal de Buguruslan accueillit ce recours au motif que la décision en cause n’était pas suffisamment motivée. Il releva notamment que celle-ci ne comportait ni le descriptif des actes d’instruction accomplis pour identifier l’auteur de l’infraction ni l’appréciation des preuves recueillies et les motifs pour lesquels l’enquêteur n’avait pas prorogé le délai imparti pour l’instruction. Le tribunal ordonna le renvoi du dossier au Comité d’instruction afin « de redresser [les] irrégularités identifiées ».

39. Le 18 septembre 2012 et les 28 janvier et 30 octobre 2013, l’enquêteur du département régional du Comité d’instruction rendit des décisions ordonnant la suspension de l’instruction pour les mêmes motifs que ceux invoqués dans ses décisions précédentes.

40. La requérante forma des recours en justice contre les décisions susmentionnées. Le tribunal de Buguruslan accueillit les recours formés contre les décisions du 18 septembre 2012 et du 28 janvier 2013 par deux décisions du 21 janvier et du 24 octobre 2013, pour les mêmes motifs que dans ceux cités dans la décision du 10 septembre 2012 (paragraphe 38 ci‑dessus). Il ordonna la levée de la suspension et émit une injonction ordonnant de reprendre l’instruction.

41. Cependant, le 6 mai 2014, le tribunal valida la dernière décision de l’enquêteur, en date du 30 octobre 2013, rédigée en des termes similaires à ceux des décisions précédentes. Le tribunal releva que l’enquêteur avait interrogé la partie lésée ainsi que les témoins Lo. et S. Étant donné que ces actes d’instruction n’avaient pas permis d’identifier l’auteur de l’infraction, le tribunal conclut que la décision de l’enquêteur attaquée était conforme à la loi, bien fondée et argumentée. En outre, se prononçant sur l’allégation de partialité des policiers, le tribunal considéra que l’enquêteur n’avait pas d’autres agents de police à sa disposition. Le 10 juillet 2014, la cour régionale d’Orenbourg confirma cette décision en appel.

42. Le 10 octobre 2014, l’adjoint au chef du département régional du Comité d’instruction annula la décision du 30 octobre 2013 (paragraphe 41 ci‑dessus) et ordonna la reprise de l’instruction. Dans cette décision, l’adjoint constatait que l’instruction avait des chances d’aboutir. En outre, afin d’assurer l’indépendance de l’instruction, il ordonna de transférer le dossier à la division spécialisée en la matière au sein du département régional du Comité d’instruction et, pour accomplir les actes d’instruction, de faire appel aux policiers rattachés au département régional d’Orenbourg du ministère de l’Intérieur. Il prorogea le délai de l’instruction d’un mois.

43. La suite de cette instruction n’a pas été communiquée à la Cour.

C. L’action civile en responsabilité de l’État introduite par la requérante

44. À une date non précisée, la requérante introduisit contre le Trésor public une action civile visant à se faire indemniser du dommage moral qu’elle alléguait avoir subi en raison du décès de son frère. Dénonçant une violation de l’article 2 et de l’article 3 de la Convention, elle demandait 995 976 RUB de dommages et intérêts.

45. Par une décision du 8 février 2012, le tribunal du district Leninski d’Orenbourg rejeta cette action. Il estima que M. Liamov était décédé après avoir été interpellé et emmené au commissariat de police par P. Se référant au jugement du 11 juillet 2011, par lequel P. avait été acquitté du chef de violences ayant entraîné la mort, le tribunal constata l’absence d’illégalité des actes de P. et de lien de causalité entre les actes en cause et le décès de M. Liamov. La requérante interjeta appel.

46. Par un arrêt du 25 avril 2012, la cour régionale d’Orenbourg annula, en appel, la décision du tribunal pour deux motifs. D’une part, elle nota que les départements concernés du ministère de l’Intérieur n’avaient pas été cités à comparaître alors que le tribunal avait connu de l’affaire les concernant. Ces derniers auraient dû, selon la cour, présenter des explications quant à l’origine des lésions de M. Liamov. D’autre part, la cour déclara qu’elle n’était pas convaincue par le raisonnement du tribunal. Elle releva que M. Liamov avait reçu des coups ayant entraîné la mort alors qu’il se trouvait au commissariat de police. Les officiers de police n’auraient pas suivi la procédure légale prévue dans ce cas de figure, qui imposait de fouiller le délinquant administratif interpellé, de dresser un procès‑verbal de l’arrestation et de faire appel à une assistance médicale. Cette situation aurait duré plusieurs heures, c’est-à-dire jusqu’à 21 h 15, heure à laquelle l’équipe médicale arrivée avec l’ambulance avait constaté la mort de M. Liamov. Se référant à la jurisprudence pertinente de la Cour concernant les articles 2 et 3 de la Convention, la cour régionale releva qu’il incombait aux défendeurs d’expliquer l’origine des blessures ayant causé la mort de M. Liamov. Faute de telles explications, la cour conclut à la violation de l’article 2 de la Convention, notamment de l’obligation procédurale qui en découle, et de l’article 3 et de la Convention à l’égard de M. Liamov. Elle déclara la responsabilité de l’État dans le décès de M. Liamov. La cour ordonna au ministère des Finances de verser à la requérante 170 000 RUB (environ 4 370 euros (EUR)) à titre de dommage moral.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

47. Les dispositions du code de procédure pénale russe relatives à l’enquête préliminaire, à l’ouverture de l’instruction pénale et à l’examen judiciaire des recours formés par la voie prévue par l’article 125 dudit code contre les décisions des autorités chargées de l’instruction sont décrites dans l’arrêt Lyapin c. Russie (no 46956/09, § 99, 24 juillet 2014).

48. Selon l’article 286 § 1 du code pénal, la commission par un fonctionnaire d’actes excédant manifestement ses pouvoirs et portant atteinte aux droits et intérêts de personnes physiques ou morales ou aux intérêts de la société ou de l’État, est qualifié d’abus de pouvoir (превышение должностных полномочий). Selon le paragraphe 3 du même article, l’acte prévu par le paragraphe 1 s’il a été commis avec violence ou menace de violence (a) ; s’il a été commis avec l’utilisation d’armes ou de moyens de contrainte spéciaux (b), ou s’il a eu des conséquences graves (c) est puni d’une peine allant de trois à dix ans d’emprisonnement assortie d’une interdiction d’occuper certains postes pour un délai pouvant aller jusqu’à trois ans.

49. Selon l’article 111 § 4 du code pénal, les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sont punies d’une peine allant jusqu’à quinze ans d’emprisonnement.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION DANS LEUR VOLET MATÉRIEL

50. La requérante allègue que son frère, retenu au commissariat de police de Buguruslan, a été victime de mauvais traitements infligés par des policiers et que ces violences ont entraîné sa mort. Elle se plaint en outre que les policiers dudit commissariat de police n’ont pas pris toutes les mesures nécessaires pour protéger la vie de son frère. Elle déplore en particulier que celui-ci soit resté pendant plusieurs heures à l’agonie dans le hall du commissariat de police sans qu’une ambulance ne soit appelée.

La requérante invoque à cet égard les articles 2 et 3 de la Convention qui, dans leur parties pertinentes, sont ainsi libellés :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. (...) »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Les thèses des parties

1. Sur la qualité de victime de la requérante

51. Le Gouvernement estime, premièrement, que la requérante ne peut se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention. Il fait observer que le policier P., qui a causé des lésions corporelles à M. Liamov, a été condamné au pénal pour abus de pouvoir, une infraction prévue par l’article 286 du code pénal russe. Le Gouvernement est convaincu que l’élément matériel de l’infraction d’abus de pouvoir couvre tous les agissements dont la requérante se plaint ; aucune autre infraction n’a donc lieu d’être imputée à P.

52. Le Gouvernement argue, deuxièmement, que la violation des articles 2 et 3 de la Convention a été reconnue explicitement et qu’une indemnité raisonnable a été accordée et versée à la requérante à ce titre (paragraphe 46 ci-dessus). Le Gouvernement estime que le caractère adéquat de l’indemnité doit être apprécié en tenant compte, entre autres, du niveau de vie dans la région pertinente. Il indique à cet égard que le minimum vital dans la région d’Orenbourg en 2012 était de 5 717 RUB par mois (soit environ 80 EUR).

53. Le Gouvernement soutient que, dès lors que la violation a été reconnue et l’indemnité payée, la requérante ne peut se prétendre victime des violations alléguées.

54. La requérante estime que la décision de justice lui allouant une indemnité à raison de la violation des articles 2 et 3 de la Convention et celle condamnant l’auteur des mauvais traitements à trois ans de prison ferme ne sont pas de nature à lui ôter la qualité de victime. En effet, elle considère que les autorités russes n’ont identifié que les responsables des lésions corporelles et non les auteurs du meurtre. À cet égard, la requérante cite le passage pertinent à ses yeux du jugement du 11 juillet 2011, selon lequel le coup mortel avait été porté « dans des circonstances différentes [de celles pour lesquelles P. a été condamné] ». Elle déplore que, six ans après ce tragique événement, ces circonstances n’aient toujours pas été élucidées et que, après l’acquittement de P. et A. du chef de violences ayant entraîné la mort, les autorités nationales n’aient apporté aucune autre explication.

55. S’agissant de l’indemnité qui lui a été octroyée, la requérante soutient que celle-ci lui a été allouée à titre de dommage moral pour les mauvais traitements subis par son frère et non pour la mort de ce dernier.

2. Sur la tardiveté de la requête

56. À titre subsidiaire, le Gouvernement estime que la requête est tardive car elle a été introduite en 2012, c’est-à-dire plus de sept ans après le décès de M. Liamov. Selon lui, étant donné que la requérante dénonçait depuis des années l’ineffectivité de l’enquête nationale, elle aurait dû introduire sa requête dans un délai de six mois après qu’elle se soit rendu compte de l’ineffectivité des voies de recours internes. Le Gouvernement invite donc la Cour à déclarer la requête irrecevable.

57. La requérante ne fait aucun commentaire à ce sujet et prie la Cour de conclure à la recevabilité de sa requête.

3. Sur le fond

58. Se fondant sur les conclusions de l’enquête interne, la requérante estime qu’il a été établi que son frère avait subi des violences qui lui ont causé de graves souffrances physiques. Elle qualifie ces violences de torture au sens de l’article 3 de la Convention. En outre, elle argue que, selon les conclusions de l’enquête, son frère était resté cinq heures dans le hall du commissariat de police, gisant à terre, sans que les douze policiers en service qui étaient présents dans le commissariat de police n’aient tenté de lui fournir une assistance médicale. La requérante qualifie cette inaction de la part des policiers de violation des articles 2 et 3 de la Convention.

B. L’appréciation de la Cour

1. Sur la recevabilité

a) Sur la qualité de victime de la requérante

59. La Cour réaffirme qu’une décision ou une mesure favorable au requérant ne suffit en principe à lui retirer la qualité de « victime » que si les autorités nationales ont reconnu, explicitement ou en substance, puis réparé la violation de la Convention (Dalban c. Roumanie [GC], no 28114/95, § 44, CEDH 1999-VI, et Scordino c. Italie (no 1) [GC], no 36813/97, § 180, CEDH 2006-V).

60. Elle rappelle que, dans les affaires où il est allégué que la mort a été infligée volontairement ou qu’elle est survenue à la suite d’une agression ou de mauvais traitements, l’octroi d’une indemnité ne saurait dispenser les États contractants de leur obligation de mener des investigations pouvant conduire à l’identification et à la punition des responsables (Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 165, CEDH 2011, et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 130, 14 avril 2015).

61. Il découle de ce qui précède qu’il appartient à la Cour de vérifier, d’une part, s’il y a eu reconnaissance par les autorités, au moins en substance, d’une violation d’un droit protégé par la Convention et, d’autre part, si le redressement peut être considéré comme approprié et suffisant. La Cour a déjà eu l’occasion d’indiquer que le statut de victime d’un requérant peut dépendre du montant de l’indemnisation qui lui a été accordée au niveau national pour la situation dont il se plaint devant la Cour (Scordino (no 1), précité, § 202, et Cocchiarella c. Italie [GC], no 64886/01, § 93, CEDH 2006-V). La Cour peut parfaitement accepter qu’un État qui s’est doté de différents recours accorde des sommes qui, tout en étant inférieures à celles fixées par la Cour, ne sont pas déraisonnables (Scordino (no 1), précité, § 206, Dubjakova c. Slovaquie (déc.), no 67299/01, 19 octobre 2004, et Shilbergs c. Russie, no 20075/03, § 72, 17 décembre 2009). Pour évaluer le caractère raisonnable du montant de l’indemnisation allouée au niveau national, la Cour examine, sur la base des éléments dont elle dispose, ce qu’elle aurait accordé dans la même situation pour une violation des articles invoqués.

62. En l’espèce, la Cour note que la cour régionale d’Orenbourg, après avoir conclu à la violation des articles 2 et 3 de la Convention, a alloué à la requérante 4 370 EUR à titre de dommage moral. La Cour observe que pareil montant représente environ 10 % de ce qu’elle octroie généralement dans des affaires russes similaires (voir, par exemple, Dalakov c. Russie, no 35152/09, § 94, 16 février 2016, Nazyrova et autres c. Russie, nos 21126/09, 63620/09, 64811/09, 32965/10 et 64270/11, § 179, 9 février 2016, et Khachukayevy c. Russie, no 34576/08, § 85, 9 février 2016 ; dans toutes ces affaires, la Cour a alloué 60 000 EUR à titre de dommage moral). Le montant octroyé par la cour régionale d’Orenbourg est donc manifestement déraisonnable par rapport à la jurisprudence de la Cour.

63. La Cour considère dès lors que cet élément suffit à lui seul pour conclure que la requérante n’a pas perdu sa qualité de victime au sens de l’article 34 de la Convention. Elle rejette donc l’exception du Gouvernement.

b) Sur la tardiveté de la requête

64. La Cour rappelle que, en règle générale, le délai de six mois commence à courir à la date de la décision définitive intervenue dans le cadre du processus d’épuisement des voies de recours internes. Toutefois, lorsqu’il est clair d’emblée que le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois prend naissance à la date des actes ou mesures dénoncés ou à la date à laquelle l’intéressé en prend connaissance ou en ressent les effets ou le préjudice. En outre, l’article 35 § 1 de la Convention ne saurait être interprété d’une manière qui exigerait qu’un requérant saisisse la Cour de son grief avant que la situation relative à la question en jeu n’ait fait l’objet d’une décision définitive au niveau interne. En cas de décès, les proches requérants sont censés prendre des mesures pour se tenir au courant de l’état d’avancement de l’enquête, ou de sa stagnation, et introduire leurs requêtes avec la célérité voulue dès lors qu’ils savent, ou devraient savoir, qu’aucune enquête pénale effective n’est menée (Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, §§ 157-158, CEDH 2009).

65. La Cour relève que, en l’espèce, la requérante a introduit sa requête devant elle le 5 mars 2012, c’est-à-dire cinq mois et vingt-neuf jours après le prononcé de l’arrêt du 6 septembre 2011 par lequel la cour régionale d’Orenbourg avait confirmé la condamnation du policier accusé de mauvais traitements à l’égard de la victime (paragraphe 31 ci-dessus). Étant donné que le Gouvernement n’a pas précisé la date exacte ou la période à partir de laquelle la requérante aurait dû se rendre compte de « l’ineffectivité de l’enquête nationale » et, par conséquent, introduire sa requête, la Cour se trouve dans l’impossibilité de reprocher à l’intéressée de l’avoir saisie dans un délai de plus de six mois après le jugement définitif. Partant, elle rejette cette exception.

c) Conclusion

66. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

2. Sur le fond

a) Principes généraux

67. La Cour rappelle que l’article 2 figure parmi les articles primordiaux de la Convention et qu’aucune dérogation au titre de l’article 15 n’y est autorisée en temps de paix. Elle souligne que la première phrase de l’article 2 impose aux États contractants l’obligation non seulement de s’abstenir de donner la mort intentionnellement ou par le biais d’un recours à la force disproportionné aux buts légitimes mentionnés aux alinéas a) à c) du second paragraphe de cette disposition, mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de leur juridiction (Kleyn et Aleksandrovich c. Russie, no 40657/04, § 42, 3 mai 2012, et Giuliani et Gaggio, [GC], no 23458/02, § 174, CEDH 2011).

68. Les obligations des États contractants prennent une dimension particulière à l’égard des personnes détenues, celles-ci se trouvant entièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de les protéger. La Cour en a déduit, sur le terrain de l’article 3 de la Convention, que, le cas échéant, il incombe à l’État de fournir une explication convaincante quant à l’origine de blessures survenues en garde à vue ou à l’occasion d’autres formes de privations de liberté, cette obligation étant particulièrement stricte lorsque la personne meurt (Slimani c. France, no 57671/00, § 27, CEDH 2004‑IX (extraits)). En l’absence d’une telle explication, la Cour est en droit de tirer des conclusions pouvant être défavorables au gouvernement défendeur (El‑Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 152, CEDH 2012, et Mikheïev c. Russie, no 77617/01, § 102, 26 janvier 2006).

69. Face à des personnes détenues ou placées en garde à vue, donc se trouvant dans une situation de dépendance, la Cour a admis une obligation de protection de la santé impliquant de dispenser avec diligence des soins médicaux, lorsque l’état de santé de la personne le nécessite, afin de prévenir une issue fatale (Scavuzzo-Hager et autres c. Suisse, no 41773/98, § 65, 7 février 2006).

70. La Cour doit se montrer particulièrement vigilante dans les cas où sont alléguées des violations des articles 2 et 3 de la Convention (voir, mutatis mutandis, Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 32, série A no 336). Lorsque ces dernières donnent lieu à des poursuites pénales devant les juridictions internes, il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité pénale se distingue de la responsabilité de l’État au titre de la Convention. La compétence de la Cour se borne à déterminer la seconde. La responsabilité au regard de la Convention découle des dispositions de celle‑ci, qui doivent être interprétées à la lumière de l’objet et du but de la Convention et eu égard à toute règle ou tout principe de droit international pertinents. Il ne faut pas confondre responsabilité d’un État à raison des actes de ses organes, agents ou employés et questions de droit interne concernant la responsabilité pénale individuelle, dont l’appréciation relève des juridictions internes. Il n’entre pas dans les attributions de la Cour de rendre des verdicts de culpabilité ou d’innocence au sens du droit pénal (Giuliani et Gaggio, précité, § 182, et Avşar c. Turquie, no 25657/94, § 284, CEDH 2001‑VII).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

71. La Cour note qu’il a été établi par le tribunal de district que le policier P. a outrepassé ses pouvoirs et commis des actes ayant causé un dommage à la santé de M. Liamov (paragraphe 25 ci-dessus). Elle relève que la cour régionale, statuant sur l’action civile de la requérante, a reconnu que les policiers du commissariat de police n’avaient pas respecté l’obligation légale à laquelle ils étaient tenus dans de telles circonstances et qui consistait notamment à demander une assistance médicale (paragraphe 46 ci-dessus).

72. La Cour relève en outre que la cour régionale avait constaté une violation des articles 2 et 3 de la Convention dans leurs volets tant procédural que matériel puisque les autorités compétentes n’avaient pas été en mesure d’expliquer l’origine des blessures ayant causé la mort de M. Liamov (ibidem). La Cour estime que ces conclusions reviennent à reconnaître que les mauvais traitements infligés à M. Liamov et la mort de ce dernier constituaient une violation des articles 2 et 3 de la Convention. Il lui reste à déterminer si les autorités nationales ont fourni une réparation appropriée et suffisante pour la violation des articles 2 et 3 et si elles se sont conformées à leurs obligations matérielles et procédurales découlant des articles susmentionnés (voir, mutatis mutandis, Kasap et autres c. Turquie, no 8656/10, § 56, 14 janvier 2014).

73. S’agissant de l’indemnisation, la Cour réitère son constat selon lequel celle-ci était insuffisante (paragraphes 62 ci-dessus).

74. Eu égard aux constats des juridictions internes quant à la responsabilité du policier P. en raison des mauvais traitements infligés à M. Liamov (paragraphes 25 et 71 ci-dessus) et à la responsabilité de l’État relative à l’absence d’assistance médicale à la victime et au décès de celle‑ci (paragraphes 46 et 62 ci-dessus), la Cour estime qu’elle ne dispose d’aucun élément pour s’écarter desdits constats. Partant, elle conclut à la violation des articles 2 et 3 dans leur volet matériel.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION DANS LEUR VOLET PROCÉDURAL

75. La requérante se plaint que l’enquête menée pour élucider les circonstances dans lesquelles son frère a été victime de mauvais traitements et est décédé n’a pas été effective. Elle invoque à cet égard les articles 2, 3 et 13 de la Convention. La Cour estime que, dans les circonstances de la présente espèce, ce grief, tel qu’il est formulé par la requérante, appelle un examen sur le terrain des seuls articles 2 et 3 de la Convention, dont les parties pertinentes en l’espèce sont citées au paragraphe 50 ci-dessus.

A. Les thèses des parties

1. En ce qui concerne l’article 2 de la Convention

76. La requérante soutient que l’instruction préliminaire n’a pas respecté les normes élaborées dans la jurisprudence de la Cour et, plus particulièrement, qu’elle n’a pas été prompte. Elle souligne que l’enquête a connu de longues périodes d’inactivité et qu’elle est même toujours pendante. Elle estime que l’instruction n’a pas été approfondie car les décisions de l’enquêteur la clôturant ont à maintes reprises été annulées par le tribunal – notamment par les décisions du 10 septembre 2012 et des 21 janvier et 24 octobre 2013 – et le dossier a été renvoyé pour un complément d’information. De surcroît, selon la requérante, l’enquête n’a pas été indépendante car la tâche consistant à identifier les personnes responsables des violences ayant entraîné la mort de M. Liamov sans intention de la donner a été confiée au personnel du commissariat de police impliqué dans l’incident. Enfin, la requérante avance qu’elle n’avait pas été informée du déroulement de l’instruction et notamment des décisions visant à suspendre l’enquête et à lever la suspension de celle-ci.

2. En ce qui concerne l’article 3 de la Convention

77. La requérante soutient que l’instruction préliminaire relative à l’allégation de violation de l’article 3 de la Convention n’a pas non plus été effective au sens dudit article. Plus particulièrement, elle estime le quantum de la peine prononcée par le tribunal – trois ans d’emprisonnement – disproportionné à la gravité de l’infraction.

B. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

78. La Cour rappelle que l’obligation de protéger le droit à la vie qu’impose l’article 2, combinée avec le devoir général incombant à l’État en vertu de l’article 1 de la Convention de reconnaître à toute personne relevant de sa juridiction les droits et libertés définis dans la Convention, implique et exige de mener une forme d’enquête officielle effective lorsque le recours à la force, notamment par des agents de l’État, a entraîné mort d’homme (McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 161, série A no 324, et Kaya c. Turquie, 19 février 1998, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1998-I). De même, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, de graves sévices illicites et contraires à l’article 3 de la Convention, cette disposition requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil 1998‑VIII).

79. Quand un individu a perdu la vie aux mains d’un agent de l’État dans des circonstances suspectes, les autorités internes compétentes doivent soumettre l’enquête menée sur les faits à un contrôle particulièrement strict (Armani Da Silva c. Royaume-Uni [GC], no 5878/08, § 234, 30 mars 2016, et Enoukidze et Guirgvliani c. Géorgie, no 25091/07, § 277, 26 avril 2011).

80. L’effectivité exige ensuite que les autorités prennent les mesures raisonnables à leur disposition pour assurer l’obtention des preuves relatives aux faits en question, y compris, entre autres, les dépositions des témoins oculaires, des expertises et, le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures et une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès. Toute déficience de l’enquête affaiblissant sa capacité à établir la cause du décès ou les responsabilités risque de faire conclure qu’elle ne répond pas à cette norme (Al-Skeini et autres, précité, § 166, et Giuliani et Gaggio, précité, § 301).

81. L’obligation d’enquête découlant des articles 2 et 3 de la Convention est une obligation de moyens et non de résultat. L’enquête doit permettre d’identifier et – le cas échéant – de sanctionner les responsables (Giuliani et Gaggio, précité, § 301, et Mustafa Tunç et Fecire Tunç, précité, § 172). Il s’ensuit donc que l’article 2 ne garantit pas un droit d’obtenir qu’un tiers soit poursuivi – ou condamné – pour une infraction pénale. L’article 2 n’implique pas le droit d’obtenir que des tiers soient poursuivis ou condamnés au pénal (Giuliani et Gaggio, précité, § 306) ou une obligation de résultat supposant que toute poursuite doive se solder par une condamnation, voire par le prononcé d’une peine déterminée. En effet, si la Cour reconnaît le rôle des cours et tribunaux nationaux dans le choix des sanctions à infliger à des agents de l’État pour homicide, elle doit conserver sa fonction de contrôle et intervenir dans les cas où il existe une disproportion manifeste entre la gravité de l’acte et la sanction infligée (Armani Da Silva, précité, § 238, Kasap et autres, précité, § 59, A. c. Croatie, no 55164/08, § 66, 14 octobre 2010, Ali et Ayşe Duran c. Turquie, no 42942/02, § 66, 8 avril 2008, et Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 123, CEDH 2010).

82. La tâche de la Cour consiste plutôt à vérifier, eu égard à la procédure dans son ensemble, si et dans quelle mesure les autorités internes ont soumis l’affaire à l’examen scrupuleux que requiert l’article 2 de la Convention (Armani Da Silva, précité, § 257).

83. Quant aux agents chargés de l’enquête, l’effectivité requiert en premier lieu que les personnes responsables de la conduite de l’enquête soient indépendantes de celles éventuellement impliquées dans le décès : elles doivent, d’une part, ne pas leur être subordonnées d’un point de vue hiérarchique ou institutionnel et, d’autre part, être indépendantes en pratique (Slimani, précité, § 32, McKerr c. Royaume-Uni, no 28883/95, § 112, CEDH 2001‑III, et Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 325, CEDH 2007‑II). De surcroît, une exigence de célérité et de diligence raisonnables est implicite dans ce contexte (Indelicato c. Italie, no 31143/96, § 37, 18 octobre 2001, et Al‑Skeini et autres, précité, § 167).

2. Application de ces principes en l’espèce

a) En ce qui concerne l’article 2 de la Convention

84. S’agissant de l’enquête menée au sujet du décès de la victime, la Cour relève que la justice nationale, ayant constaté que les circonstances du décès n’avaient pas été élucidées (paragraphes 24-27 ci-dessus), a enjoint à l’autorité compétente de continuer l’enquête afin d’identifier l’auteur des violences ayant entraîné la mort de M. Liamov (paragraphe 31 ci-dessus).

85. La Cour relève que les juridictions nationales ont, à maintes reprises, constaté qu’il y avait une possibilité de poursuivre l’instruction relative aux violences ayant entraîné la mort de l’intéressé (paragraphes 38, 40 et 42 ci‑dessus).

86. Eu égard à son rôle subsidiaire par rapport au système national, la Cour ne voit aucune raison de s’écarter des constats des juridictions nationales. Dès lors, la tâche qui s’impose à elle est celle d’analyser si le déroulement de l’enquête en cause répond aux critères d’effectivité élaborés dans sa jurisprudence.

87. S’agissant de l’argument de la requérante tenant au manque d’indépendance de l’enquêteur du Comité d’instruction, la Cour constate en effet que ce dernier a confié l’accomplissement des actes d’instruction visant à l’identification des auteurs de l’infraction au personnel même du commissariat de police de Buguruslan (paragraphe 34 ci‑dessus).

88. La Cour a déjà été amenée à examiner cet aspect de l’indépendance de l’enquête (Kopylov c. Russie, no 3933/04, § 138, 29 juillet 2010). Étant donné que cet enquêteur a fait appel au personnel du commissariat de police pour accomplir les actes d’instruction, les policiers eux-mêmes étaient amenés à recueillir des preuves contre leurs collègues, voire contre leur propre personne. La Cour estime qu’une telle situation est incompatible avec le principe d’indépendance de l’enquête tel qu’il est consacré par sa jurisprudence (paragraphe 91 ci-dessus). Elle ajoute que, de surcroît, le Comité d’instruction a finalement reconnu le caractère insatisfaisant de la situation puisqu’il a retiré cette affaire du ressort du commissariat de police concerné et a recommandé de recourir, pour accomplir les actes d’instruction, aux policiers d’une autre unité du ministère de l’Intérieur (paragraphe 42 ci‑dessus).

89. Concernant le caractère approfondi ou non de l’instruction, la Cour suit les conclusions des tribunaux nationaux, qui ont systématiquement annulé les décisions de clôture de l’instruction au motif que celle‑ci présentait toujours des chances de succès et que certains actes d’instruction s’imposaient (paragraphes 38 et 40 ci-dessus). Elle constate en outre que le Comité d’instruction avait abouti au même constat (paragraphe 42 ci‑dessus). Se fondant sur cette analyse des autorités nationales et, puisque les actes d’instruction suggérés semblent ne pas avoir été accomplis, la Cour conclut que l’instruction relative aux violences ayant entraîné la mort de M. Liamov n’a pas eu un caractère approfondi.

90. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que l’enquête n’a pas été effective au sens de l’article 2 de la Convention. Partant, elle conclut à la violation du volet procédural de cet article.

b) En ce qui concerne l’article 3 de la Convention

91. La Cour note que dans ses observations concernant le volet procédural de l’article 3 de la Convention (paragraphe 77 ci-dessus), la partie requérante n’a pas formulé de doléances précises quant à d’éventuelles carences de l’enquête concernant les mauvais traitements, à l’exception de celle relative au quantum de la peine ; ses griefs étaient concentrés sur celles relatives au décès (paragraphe 76 ci‑dessus).

92. S’agissant de l’argument de la requérante relatif à la disproportion entre la peine prononcée et la gravité de l’infraction, la Cour relève à cet égard que P. a été condamné à trois ans de prison ferme (paragraphe 28 ci‑dessus) (voir, a contrario, Gäfgen, précité, § 123, dans lequel les responsables furent condamnés à des amendes quasi symboliques, et Kopylov, précité, § 141, dans lequel les policiers furent condamnés à une peine d’emprisonnement inférieure au minimum prévu par la loi et, de plus, assortie d’un sursis).

93. La Cour note que le tribunal a en outre prononcé une sanction pénale accessoire consistant à interdire à l’auteur des mauvais traitements d’occuper des postes au sein de la police, ce qui comportait un effet dissuasif supplémentaire (voir, a contrario, Gäfgen, précité, § 125, où les policiers responsables furent mutés à des postes à responsabilité dans les services de police).

94. Eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la Cour estime qu’il n’y a pas en l’espèce de disproportion manifeste entre la gravité de l’acte commis et la sanction infligée.

95. Enfin, la Cour relève que l’enquête menée au plan national a permis d’établir les circonstances dans lesquelles les mauvais traitements avaient été infligés à la victime et d’identifier l’auteur de ceux-ci (paragraphe 24 ci‑dessus). Elle souligne également que, eu égard à la gravité des lésions corporelles subies par M. Liamov, le tribunal avait qualifié les agissements du policier P. d’abus de pouvoir, une infraction prévue par l’article 286 du code pénal (paragraphe 25 ci-dessus).

96. La Cour conclut que l’enquête relative aux mauvais traitements a été menée à son terme et a abouti à la condamnation pénale – conforme tant à la loi nationale qu’à la jurisprudence élaborée par elle en la matière – de la personne responsable.

97. Par conséquent, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu, en l’espèce, violation du volet procédural de l’article 3 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 DE LA CONVENTION

98. La requérante se plaint enfin que son frère a été privé de sa liberté, en violation de la loi nationale en vigueur. En effet, il aurait été interpellé et emmené au commissariat de police sans qu’aucun document justifiant sa détention n’ait été dressé. La requérante invoque l’article 5 de la Convention qui, dans sa partie pertinente en l’espèce, est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales (...) »

99. Le Gouvernement estime que la requête est irrecevable pour les motifs exposés précédemment (paragraphe 53 ci-dessus).

100. La requérante combat cette thèse. Se fondant sur l’absence de procès-verbaux consignant l’arrestation de son frère, elle soutient que ce dernier a été interpellé et détenu en méconnaissance de l’article 5 de la Convention.

101. La Cour relève que ce grief est lié à celui tiré des articles 2 et 3 de la Convention examinés ci-dessus et qu’il doit donc lui aussi être déclaré recevable.

102. Eu égard à ses constats relatifs aux articles 2 et 3 de la Convention (paragraphes 74 et 90 ci-dessus), la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’examiner séparément le grief tiré de l’article 5 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

103. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

104. S’agissant de la satisfaction équitable, la requérante invite la Cour à lui allouer une somme en adéquation avec sa jurisprudence en la matière.

105. Le Gouvernement laisse cette question à la discrétion de la Cour.

106. La Cour rappelle que le montant qu’elle accordera au titre du dommage moral peut être inférieur à celui fixé par sa jurisprudence lorsque le requérant a déjà obtenu une indemnisation au niveau national. Eu égard à son constat (paragraphe 63 ci-dessus), la Cour estime nécessaire de déduire du montant qu’elle accorde à ce titre dans des affaires similaires la somme perçue par le requérant en vertu de la décision de justice nationale (Kopylov précité, § 180). Compte tenu des circonstances de la cause, la Cour accorde à la requérante 50 600 euros (EUR) au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

107. La requérante ne demande aucune somme à ce titre. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui en accorder une.

C. Intérêts moratoires

108. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation des articles 2 et 3 de la Convention dans leur volet matériel ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 2 de la Convention dans son volet procédural ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural ;

5. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 5 de la Convention ;

6. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 50 600 EUR (cinquante mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 14 février 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Stephen PhillipsLuis López Guerra
GreffierPrésident

* * *

[1]. Le texte de cet arrêt n’a pas été versé au dossier.


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