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19/01/2017 | CEDH | N°001-170372

CEDH | CEDH, AFFAIRE I.P. c. BULGARIE, 2017, 001-170372


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE I.P. c. BULGARIE

(Requête no 72936/14)

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2017

DÉFINITIF

19/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire I.P. c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Faris Vehabović, >Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni, juges
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2016,

...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE I.P. c. BULGARIE

(Requête no 72936/14)

ARRÊT

STRASBOURG

19 janvier 2017

DÉFINITIF

19/04/2017

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire I.P. c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Khanlar Hajiyev,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Faris Vehabović,
Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni, juges
et de Milan Blaško, greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 13 décembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 72936/14) dirigée contre la République de Bulgarie et dont un ressortissant de cet État, M. I.P. (« le requérant »), a saisi la Cour le 7 novembre 2014 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de l’ancienne quatrième section a décidé d’accorder d’office l’anonymat au requérant (article 47 § 3, in fine, du règlement de la Cour – « le règlement »).

2. Le requérant a été représenté par Me D. Fartunova, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme M. Dimitrova, du ministère de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier qu’il lui est impossible en droit bulgare de faire examiner la légalité du placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs auquel il a été soumis, ce qui serait contraire aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention.

4. Le 1er octobre 2015, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Le placement du requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs

5. Le requérant est né en 1999 et réside à Sofia.

6. Entre début 2012 et début 2014, la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (« la commission locale ») adopta six mesures éducatives sans placement en institution spécialisée à l’égard du requérant. Ces mesures, parmi lesquelles figuraient la mise sous surveillance par un éducateur social, l’interdiction de fréquenter certains lieux ou personnes et l’interdiction de changer de domicile, furent prises sur le fondement de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs.

7. Le 26 février 2014, ayant considéré que les mesures appliquées n’avaient pas d’impact positif sur le requérant et que celui-ci continuait à fréquenter un milieu criminogène et à manifester un comportement qualifié d’antisocial au sens de la loi précitée, la commission locale adressa au tribunal de district (Районен съд) de Sofia une proposition de placement du mineur dans un centre éducatif – internat. La commission locale indiquait en particulier que le requérant avait fugué de son domicile à plusieurs reprises, qu’il emportait sans autorisation des objets en or appartenant à sa famille et qu’il avait commis plusieurs vols et cambriolages seul ou avec des complices. Le 12 mars 2014, les services du ministère des Affaires intérieures reçurent une lettre de la part de la commission locale les informant de sa proposition.

8. Le 1er avril 2014, le requérant fugua de son domicile. Il fut retrouvé le 14 avril 2014 par la police. Par un mandat d’arrêt du même jour, la police ordonna sa détention pour une durée de vingt-quatre heures. Le 15 avril 2014, un officier de police soumit une proposition au procureur consistant à placer le requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs à Sofia, un établissement relevant des structures du ministère des Affaires intérieures et présentant les caractéristiques d’une maison d’arrêt pour mineurs. Cette proposition indiquait que le requérant faisait l’objet de douze enquêtes pour la commission d’infractions pénales ou d’actes visés dans la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs et ne se conformait pas aux mesures éducatives imposées et qu’il convenait de le considérer comme un enfant à risque. Le même jour, sur ordre du procureur, le requérant fut conduit par la police au foyer en question.

9. Toujours le 15 avril 2014, un juge du tribunal de district de Sofia fixa une audience pour la procédure judiciaire de placement en centre éducatif – internat, qui eut lieu le 29 avril 2014. À cette occasion, le tribunal entendit le requérant, assisté d’un avocat commis d’office, sa mère, une assistante sociale, une inspectrice de la brigade chargée des mineurs (Детска педагогическа стая) et un représentant de la commission locale. Le requérant exposa qu’il faisait partie d’un groupe de jeunes délinquants et exprima son souhait de corriger son comportement. Il expliqua en particulier qu’il était sous la mauvaise influence de ses fréquentations, qu’il voulait quitter ce cercle et poursuivre ses études. Il indiqua à cet égard qu’il souhaiter couper les liens avec ses amis et, à cette fin, faire l’objet d’un placement dans un centre éducatif – internat si cette mesure était considérée comme la meilleure pour lui. Il ajouta qu’il avait consulté des sites internet et appris qu’il existait un tel centre à Rakitovo. La mère du requérant confirma les problèmes de fréquentation rencontrés par son fils et fit part de son souhait d’éduquer son enfant avec une aide extérieure.

10. Par un jugement prononcé le même jour, le tribunal de district ordonna le placement du requérant dans un centre éducatif – internat pour une durée d’un an. Le requérant n’interjeta pas appel de ce jugement, qui acquit force de chose jugée le 14 mai 2014.

11. À cette dernière date, le jeune homme fut transféré du foyer d’accueil temporaire pour mineurs de Sofia au centre éducatif – internat de Rakitovo, dans la région de Pazardzhik, où il demeura jusqu’au 30 juin 2015.

B. Les autres faits pertinents

12. Le 23 mai 2014, le requérant signa un pouvoir à son avocate afin de permettre à celle-ci de demander l’accès à tous les documents relatifs à son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, ainsi qu’en centre éducatif – internat, et de faire des copies de ces documents.

13. Par une lettre du 29 mai 2014, l’avocate du requérant demanda au directeur des services de la police de Sofia de lui fournir des copies des documents en question. Par une lettre du 25 juin 2014, celui-ci répondit que le pouvoir présenté ne comportait pas le consentement parental et qu’il n’était donc pas valable au regard de la loi bulgare. Il précisait que, dans une lettre adressée au directeur du centre éducatif – internat, la mère du requérant s’était explicitement opposée à tout contact avec des « organisations non gouvernementales ou similaires ».

14. Le 4 juillet 2014, l’avocate du requérant forma un recours contre ce refus auprès du ministère de l’Intérieur, arguant en particulier que l’introduction d’une requête devant la Cour n’était pas conditionnée par le consentement des parents et que le refus des autorités de fournir des documents pertinents pourrait être interprété comme un obstacle à l’exercice du droit de recours individuel de son client. Par un arrêté du 27 août 2014, le ministre de l’Intérieur rejeta le recours, considérant que, selon le droit interne, l’avocate du requérant n’avait pas été valablement autorisée à représenter ce dernier.

15. Le 9 septembre 2014, l’avocate du requérant contesta l’arrêté du ministre devant le tribunal administratif (административен съд) de Sofia. Par une décision du 29 juillet 2015, celui-ci refusa de donner suite à la procédure au motif que le pouvoir de représentation n’était pas signé par un parent ou un curateur. Le requérant attaqua cette décision auprès de la Cour administrative suprême.

16. Par une décision en date du 26 octobre 2015, cette dernière constata, entre autres, que le requérant se trouvait en conflit d’intérêts avec sa mère et que le tribunal administratif était tenu de désigner un représentant ad hoc en vue de la protection de ses intérêts. Par conséquent, la Cour administrative suprême annula la décision de la première instance et renvoya l’affaire en vue de la poursuite de la procédure devant celle-ci. Par une lettre du 20 novembre 2015, l’avocate du requérant informa la haute juridiction que ce dernier renonçait à poursuivre la procédure étant donné que sa requête auprès de la Cour avait été communiquée au gouvernement bulgare.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. La loi de 1958 sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs (Закон за борба срещу противообществените прояви на малолетни и непълнолетни)

17. La loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs qualifie d’antisocial tout comportement dangereux pour la société, contraire à la loi, à la morale ou aux bonnes mœurs (article 49a). La loi n’énumère pas les comportements susceptibles de recevoir cette qualification, mais la pratique judiciaire et la criminologie considèrent comme relevant de celle-ci toute une variété d’actes lorsqu’ils sont commis par un mineur, même s’ils ne sont pas incriminés par le droit pénal. Il en va ainsi de la prostitution, de l’emploi de substances narcotiques, de l’abus d’alcool, du vagabondage, de la mendicité, de l’absentéisme scolaire ou des fugues répétées du domicile des parents ou des personnes exerçant la garde. Considérés comme moins dangereux pour l’ordre public que les infractions pénales, ces actes appellent tout de même des mesures de défense sociale dont l’application relève de la compétence de « commissions locales de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs » (Б. Станков, Малолетни, непълнолетни, противообществени прояви, престъпления, отговорност, Варна, 2008 г., стр. 33-35).

18. La loi prévoit toute une série de mesures éducatives pouvant être imposées aux mineurs ayant manifesté de tels comportements. La plus sévère d’entre elles est le placement dans un centre éducatif – internat (article 13, alinéa 1, point 13), un établissement à caractère public. La procédure est déclenchée par la commission locale de lutte contre les comportements antisociaux des mineurs, à qui il revient de soumettre au tribunal de district une proposition de placement. Ce tribunal tient une audience à huis clos en présence du mineur concerné dans un délai d’un mois. Il peut ordonner la mesure éducative demandée ou pas, décider d’une autre mesure éducative, mettre fin à la procédure ou bien renvoyer l’affaire au procureur lorsqu’il estime que les actes en cause constituent des infractions pénales. Sa décision peut être revue en appel devant le tribunal régional dans un délai de quatorze jours après son prononcé (article 21, alinéa 1, point 2, et article 24a).

19. La même loi prévoit également, en son article 34, l’existence des foyers d’accueil temporaire pour mineurs, qui dépendent du ministère de l’Intérieur. Peuvent y être placés les mineurs dont le domicile ne peut être identifié, ceux qui ont été pris en flagrant délit de vagabondage, de mendicité, de prostitution, d’abus d’alcool, de trafic ou de consommation de stupéfiants, ceux qui ont quitté sans autorisation un établissement d’éducation ou de traitement obligatoire, ceux qui ont présenté un comportement antisocial, ou encore ceux qui sont incontrôlables au point que leur maintien sous la garde de leurs parents n’est plus envisageable (article 35). En principe, la durée du séjour dans ce type de foyer ne peut excéder quinze jours. Les placements d’une durée supérieure à vingt-quatre heures doivent être ordonnés par un procureur. À titre exceptionnel, celui-ci peut prolonger la durée du placement jusqu’à deux mois. La loi n’indique pas que la légalité d’un placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs est susceptible de faire l’objet d’un contrôle par les tribunaux. Les foyers d’accueil temporaires pour mineurs organisent, entre autres, des examens médicaux, psychologiques et pédagogiques, et ils préparent des recommandations à l’attention des organes compétents en matière d’éducation des mineurs ou le placement de ceux-ci dans les établissements adéquats (article 36).

B. La loi de 1988 sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage

20. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi sur la responsabilité de l’État et des communes pour dommage (Закон за отговорността на държавата и общините за вреди, titre modifié en 2006 – « la loi sur la responsabilité de l’État »), telles qu’elles étaient en vigueur jusqu’au mois de décembre 2012, ainsi que la jurisprudence des tribunaux internes en la matière, ont été résumées dans les arrêts Kandjov c. Bulgarie (nº 68294/01, §§ 35-39, 6 novembre 2008) et Botchev c. Bulgarie (nº 73481/01, §§ 37-39, 13 novembre 2008).

21. À la suite de l’adoption d’amendements législatifs publiés dans le Journal officiel le 11 décembre 2012 et entrés en vigueur le 15 décembre 2012, l’article 2 de cette loi se lit désormais comme suit dans ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 2

« (1) L’État est responsable du dommage causé aux particuliers par les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux en cas de :

(...)

2. violation des droits garantis par l’article 5 §§ 2-4 de la Convention (...) »

Selon l’article 7 de la loi, l’action en responsabilité doit être dirigée contre l’autorité publique responsable du dommage alléguée.

22. Le contexte de l’adoption des amendements législatifs en question est décrit dans l’arrêt Toni Kostadinov c. Bulgarie (no 37124/10, § 49, 27 janvier 2015). Les motifs de la loi précisent en particulier que les modifications se sont avérées nécessaires pour prévoir un droit à compensation pour tous les cas de méconnaissance des paragraphes 1 à 4 de l’article 5 de la Convention et se conformer ainsi aux exigences de l’article 5 § 5, à la suite de nombreux arrêts de la Cour qui ont constaté une violation de cette disposition.

23. En annexe de ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête, le Gouvernement présente les décisions adoptées par les tribunaux internes entre décembre 2014 et décembre 2015 sur une action civile en dédommagement introduite le 21 janvier 2013. Cette dernière dénonçait, entre autres, le maintien d’une personne en détention, en juin 2010, sur ordre d’un procureur et au-delà du délai légal de soixante-douze heures, un défaut de ce procureur de traduire l’intéressé aussitôt devant un juge, ainsi que l’impossibilité qui en découlait d’introduire un recours contre cette détention. Au cours de la procédure en question, qui a concerné trois instances, les juridictions nationales ont reconnu que la personne intéressée avait subi une violation de ses droits protégés par l’article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention et lui ont octroyé une indemnisation pour le dommage moral subi (реш. № 958 от 13.12.2014 г. по гр. д. № 1437/2014 г. на РС Пазарджик ; реш. № 233 от 17.04.2015 г. по в. гр. д. № 113/2015 г. на ОС Пазарджик ; опред. № 1365 от 1.12.2015 г. на ВКС по гр. д. № 3626/2015 г., IV г. о., ГК).

24. La loi sur la responsabilité de l’État dispose par ailleurs en son article 1, alinéa 1, que :

« L’État et les communes sont responsables des dommages causés aux particuliers ou aux personnes morales du fait des actes, actions ou inactions illégaux de leurs autorités ou agents dans le cadre ou à l’occasion de l’accomplissement de leurs fonctions en matière administrative. (...) »

25. La jurisprudence interne considère que l’Assemblée nationale ne peut être tenue pour responsable en application de cette disposition pour l’adoption ou le défaut d’adoption d’une norme législative (опр. № 3837 от 16.03.2012 г. по адм. д. № 3256/2012 г., ВАС, III о.; опр. № 1900 от 11.02.2014 г. по адм. д. № 1038/2014 г., ВАС, I о.).

C. La participation des mineurs dans les procédures judiciaires et la désignation d’un représentant ad hoc en cas de conflit d’intérêts

26. En vertu de l’article 15, alinéa 8 de la loi sur la protection de l’enfance (Закон за закрила на детето), adoptée en 2000, l’enfant bénéficie du droit de recours dans toutes les procédures concernant ses droits et intérêts, ainsi que du droit à l’aide judiciaire. Selon l’article 28, alinéa 2 du code de procédure civile (CPC) de 2007, les mineurs âgés de quatorze à dix-huit ans peuvent agir en justice personnellement mais avec le consentement de leurs parents ou curateurs.

27. D’après l’article 29, alinéa 4, du CPC, en cas de conflit d’intérêts entre une personne représentée et son représentant, le tribunal désigne un représentant ad hoc. Selon la jurisprudence interne, cette disposition est appliquée dans certaines situations de conflit d’intérêts entre un mineur et son représentant légal. Un représentant ad hoc est par exemple désigné en cas de placement d’un mineur chez ses grands-parents (Решение на РС - Горна Оряховица от 20.06.2011 г. по гр. д. № 854/2011 г. ; Решение на РС - Горна Оряховица от 28.12.2011 г. по гр. д. № 2389/2011 г. ; Решение на РС - Горна Оряховица от 8.04.2013 г. по гр. д. № 192/2013 г.) ou en famille d’accueil (Решение на РС - Бяла от 28.07.2011 г. по гр. д. № 511/2011 г.), ou encore en matière de transaction immobilière (Решение на РС - Горна Оряховица от 19.02.2010 г. по гр. д. № 1873/2009 г.). Il apparaît de plus que le défaut de désignation d’un représentant ad hoc constitue un manquement substantiel aux règles régissant la procédure en matière d’établissement de la paternité (Решение на ВС № 297 от 15.04.1987 г. по гр. д. № 168/87 г., II г. о.), de litiges entre parents adoptifs et parents biologiques (Решение на ВС № 1381 от 10.05.1982 г. по гр. д. № 954/82 г., II г. о.), ou encore de litiges patrimoniaux (Решение № 643 от 27.07.2000 г. на ВКС по гр. д. № 27/2000 г., II г. о. ; Определение на ОС – Велико Търново от 5.11.2008 г. по в. ч. гр. д. № 963/2008).

III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

La Convention relative aux droits de l’enfant, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies (résolution 44/25 du 20 novembre 1989)

28. La Convention relative aux droits de l’enfant a été ratifiée par la Bulgarie le 3 juin 1991. Ses dispositions pertinentes en l’espèce se lisent ainsi :

Article 37

« Les États parties veillent à ce que :

(...)

d) Les enfants privés de liberté aient le droit d’avoir rapidement accès à l’assistance juridique ou à toute assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu’une décision rapide soit prise en la matière. (...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 4 DE LA CONVENTION

29. Le requérant allègue avoir été privé d’un recours pour faire contrôler la légalité de son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, auquel il a été soumis du 15 avril au 14 mai 2014.

30. Il invoque l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

31. Le Gouvernement soulève des exceptions tirées notamment de l’incompatibilité ratione materiae de ce grief avec la Convention et donc de l’inapplicabilité de son article 5, ainsi que du non-respect de la règle des six mois et de celle du non-épuisement des voies de recours internes.

1. Sur l’applicabilité de l’article 5 de la Convention

32. Le Gouvernement soutient en premier lieu que, même en admettant que le placement du requérant, le 15 avril 2014, en foyer d’accueil temporaire pour mineurs a eu lieu contre la volonté du requérant, cette situation a changé au cours des jours suivants puisque, à l’audience tenue le 29 avril 2014 devant le tribunal de district, le requérant et sa mère auraient exprimé le souhait pour le mineur d’être placé dans un centre éducatif – internat (paragraphe 9 ci-dessus). En renvoyant aux arrêts Storck c. Allemagne (no 61603/00, § 74, CEDH 2005‑V) et Stanev c. Bulgarie ([GC], no 36760/06, § 117, CEDH 2012), le Gouvernement estime en effet qu’à cette dernière date le requérant a explicitement consenti à son placement en institution fermée et que par conséquent la situation dénoncée par lui ne pouvait plus être considérée comme une privation de liberté. Il conclut que l’article 5 de la Convention n’est pas applicable, à tout le moins, à la période postérieure au 29 avril 2014 et que le requérant ne pouvait donc se prévaloir d’un droit de recours au sens de l’article 5 § 4 de la Convention en ce qui concerne cette période. Pour ce qui est de la période antérieure, le Gouvernement estime que le grief a été introduit en dehors du délai de six mois (paragraphe 36 ci-dessous).

33. Le requérant réplique que, dans une situation identique à celle en cause dans la présente affaire, il n’est pas nécessaire de procéder à un examen séparé sur l’existence ou non de l’élément subjectif caractérisant une détention pour déterminer si la mesure litigieuse a constitué une privation de liberté. Il ajoute qu’en tout état de cause il n’a jamais consenti à son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs et précise qu’à l’audience évoquée par le Gouvernement il a émis le souhait d’être placé dans un centre éducatif – internat, tel que celui de Rakitovo. Il considère ainsi que le consentement qu’il avait exprimé ne concernait que le placement dans cette dernière institution, précisant que celui-ci a été exécuté à partir du 15 mai 2014, et qu’il ne pouvait être interprété comme une renonciation à son droit à un recours judiciaire sur la légalité du placement, qu’il qualifie de forcé, ayant précédé cette mesure.

34. La Cour rappelle qu’elle a déjà constaté, dans l’affaire A. et autres c. Bulgarie (no 51776/08, § 103, 29 novembre 2011), qu’un placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs peut être considéré comme une mesure privative de liberté au sens de l’article 5 de la Convention étant donné qu’un tel établissement est rattaché au ministère de l’Intérieur et qu’il présente des caractéristiques similaires à celles des maisons d’arrêt. Se tournant vers l’affaire qui lui est soumise, la Cour relève que, si le Gouvernement ne conteste pas l’existence d’un élément objectif propre à une privation de liberté, il soutient que l’élément subjectif devrait aussi entrer en jeu lorsqu’il s’agit de la détention des mineurs et renvoie, à cet égard, à l’analyse opérée par elle dans le contexte de détention en relation avec la santé mentale (paragraphe ci-dessus). La Cour estime cependant qu’il n’est pas nécessaire d’adopter une position de principe sur cette question en l’espèce puisque, en tout état de cause, il n’est pas établi, comme le suggère le Gouvernement, que le requérant et sa mère ont consenti à la mesure de placement litigieuse. En effet, il apparaît clairement que le consentement exprimé par le requérant lors de l’audience du 29 avril 2014 avait pour seul sujet un placement à visée éducative, à savoir un placement dans un centre éducatif – internat. Cet établissement ayant un statut légal à vocation spécifique en matière d’éducation surveillée, la Cour ne peut retenir que les déclarations du requérant en question pouvaient être entendues comme un consentement à un placement dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs, une structure du ministère des Affaires intérieures (paragraphes 8, 18-19 ci-dessus).

35. Eu égard à ce qui précède, la Cour ne voit pas de raison de s’écarter de son constat établi dans l’affaire A. et autres, précitée (ibidem), et elle conclut que la mesure de placement du requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs peut être qualifiée de privation de liberté au sens de l’article 5 de la Convention. En conséquence, l’exception d’incompatibilité ratione materiae soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

2. Sur le respect de la règle des six mois

36. Le Gouvernement estime ensuite que la requête est tardive. Selon lui, le délai des six mois a commencé à courir le 29 avril 2014, date de la décision du tribunal de district relative au placement du requérant dans un centre éducatif – internat. Considérant que le tribunal a opéré, dans cette décision, un contrôle de la légalité de la détention ordonnée par le procureur, le Gouvernement soutient que la situation continue dont se plaint le requérant a pris fin à cette dernière date.

37. Le requérant affirme, quant à lui, que la situation en cause a pris fin le 14 mai 2014, soit le jour de son transfert à l’établissement de Rakitovo, date qu’il estime pertinente au regard du calcul du délai de six mois.

38. La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, s’agissant d’un grief relatif à l’absence de recours pour dénoncer une situation qui perdure, telle une période de détention, le délai de six mois énoncé à l’article 35 § 1 de la Convention commence lorsque cette situation prend fin, à la faveur par exemple d’une remise en liberté (Jėčius c. Lituanie, no 34578/97, § 44, CEDH 2000‑IX). En l’espèce, la Cour relève que le requérant est demeuré dans le foyer d’accueil temporaire pour mineurs jusqu’au 14 mai 2014, soit jusqu’à la date de son placement au centre éducatif – internat de Rakitovo, et que c’est donc cet évènement qui a marqué la fin de la mesure dénoncée en l’espèce. Il convient dès lors de retenir cette date pour point de départ du délai de six mois. Par conséquent, la date de l’introduction de la requête, le 7 novembre 2014, se situe dans ce délai.

39. Partant, l’exception de tardiveté soulevée par le Gouvernement doit être rejetée.

3. Sur l’épuisement des voies de recours internes

40. Le Gouvernement soutient enfin que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit interne. Il précise que le requérant ne s’est pas prévalu du recours instauré en décembre 2012 par l’amendement à l’article 2, alinéa 1, point 2 de la loi sur la responsabilité de l’État alors que celui-ci lui aurait permis d’obtenir la reconnaissance de la violation alléguée de son droit garanti par l’article 5 § 4 de la Convention, ainsi qu’une réparation du préjudice subi. Il indique que ce recours existait déjà au moment de l’introduction de la requête, le 7 novembre 2014, et qu’il pouvait être considéré comme effectif. Le Gouvernement reconnaît que la jurisprudence développée à la suite de ce nouveau recours est rare. Il demande toutefois à la Cour de tenir pour preuve de l’effectivité de ce recours les décisions internes rendues dans le cadre d’une affaire examinée entre le 13 décembre 2014 et le 1er décembre 2015 dans laquelle les trois juridictions qui en étaient saisies ont reconnu une violation des droits protégés par l’article 5 §§ 1, 3 et 4 de la Convention et ont octroyé une indemnisation à l’intéressé (paragraphe 23 ci-dessus).

41. Le requérant conteste l’effectivité de la voie de droit évoquée par le Gouvernement. Il soutient que ce nouveau recours prévu par l’article 2, alinéa 1, point 2 de la loi sur la responsabilité de l’État n’est que de nature indemnitaire et qu’une indemnisation accordée pour une violation de l’article 5 § 4 ne serait pas suffisante pour effacer les conséquences de cette violation. Le requérant ajoute qu’en tout état de cause il n’aurait pas eu accès aux tribunaux pour dénoncer la violation alléguée de l’article 5 § 4 de la Convention car, selon la législation nationale, il n’aurait pu engager une action qu’avec le consentement de sa mère. Il n’indique pas si sa mère a refusé de donner un tel consentement, et il affirme qu’il ne pouvait agir seul ou avec son avocate au motif que les autorités internes avaient refusé de lui délivrer les documents relatifs à sa détention (paragraphes 13-15 ci-dessus). Ces documents lui auraient été communiqués par la Cour en même temps que les observations du Gouvernement sur sa requête.

42. La Cour rappelle que la règle énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention impose aux requérants l’obligation d’utiliser en premier lieu les recours normalement disponibles et suffisants dans l’ordre juridique interne de leur pays pour leur permettre d’obtenir la réparation des violations qu’ils allèguent. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (voir, parmi beaucoup d’autres, Salman c. Turquie [GC], nº [21986/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2221986/93%22%5D%7D), § 81, CEDH 2000‑VII, et İlhan c. Turquie [GC], nº [22277/93](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2222277/93%22%5D%7D), § 58, CEDH 2000‑VII).

43. Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours qu’il suggère était effectif et disponible tant en théorie qu’en pratique (Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I, et McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 107, 10 septembre 2010). Une fois cela démontré, c’est au requérant qu’il revient d’établir que le recours évoqué par le Gouvernement a bien été employé ou que, pour une raison quelconque, il n’était ni adéquat ni effectif compte tenu des faits de la cause ou encore que certaines circonstances particulières le dispensaient de l’obligation de l’exercer (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil).

44. Le simple fait de nourrir des doutes quant aux perspectives de succès d’un recours donné qui n’est pas de toute évidence voué à l’échec ne constitue cependant pas une raison valable pour justifier la non-utilisation de ce recours. Au contraire, il existe un intérêt à soumettre la question aux juridictions internes afin de leur permettre de développer les droits existants en usant de leur pouvoir d’interprétation (Ciupercescu c. Roumanie, no 35555/03, § 169, 15 juin 2010, et Delijorgji c. Albanie, no 6858/11, § 58, 28 avril 2015). Cela est en particulier le cas lorsqu’une nouvelle disposition légale a été adoptée dans l’objectif spécifique de créer un recours susceptible de porter remède à un type de grief, afin de permettre aux juridictions nationales de faire application de cette disposition (Gürceğiz c. Turquie, no 11045/07, § 31, 15 novembre 2012).

45. La Cour rappelle que, en matière de privation de liberté, une action en réparation, capable d’aboutir à une reconnaissance de la violation alléguée et à l’attribution d’une indemnisation, est en principe un recours effectif qui doit être épuisé dans les cas où la situation litigieuse qui est incompatible avec l’article 5 de la Convention a déjà pris fin, si l’efficacité en pratique de ce recours a été dûment établie (Gavril Yossifov c. Bulgarie, no 74012/01, § 42, 6 novembre 2008, et Rahmani et Dineva c. Bulgarie, no 20116/08, § 66, 10 mai 2012). La Cour a déjà appliqué ce principe dans des affaires où étaient en cause la régularité de la détention en droit interne au regard de l’article 5 § 1 de la Convention (Gavril Yossifov, précité, § 43, et Rahmani et Dineva, précité, §§ 67-71), la justification d’une détention prolongée au regard de l’article 5 § 3 (Varnas c. Lituanie, no 42615/06, § 89, 9 juillet 2013, et Demir c. Turquie (déc.), no 51770/07, §§ 28-35, 16 octobre 2012) ou le droit à un examen « à bref délai » du recours judiciaire concernant la légalité de la détention, garanti par l’article 5 § 4 (Knebl c. République tchèque, no 20157/05, §§ 105-106, 28 octobre 2010, Osváthová c. Slovaquie, no 15684/05, §§ 57-59, 21 décembre 2010, et Delijorgji, précité, § 81).

46. La Cour relève à cet égard que, en décembre 2012, l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État a été modifié pour prévoir un droit à compensation pour toute violation de l’article 5, paragraphes 1 à 4 de la Convention (paragraphes 21-22 ci-dessus). Elle note avec satisfaction que, comme cela ressort des motifs de la loi modificative, ces changements ont été adoptés dans le but d’assurer la conformité du droit interne avec les principes dégagés par la jurisprudence de la Cour.

47. La Cour n’estime cependant pas devoir, à l’occasion de la présente affaire, obliger le requérant à tester l’effectivité de principe du nouveau recours indemnitaire. Elle observe en effet que, selon l’article 2 de la loi, l’État est responsable des dommages causés par « les organes d’enquête pénale, le parquet et les tribunaux », et que l’article 7 de la loi spécifie par ailleurs que l’action en responsabilité doit être dirigée contre l’autorité publique responsable du dommage (paragraphe 21 ci-dessus). Or, dans la présente espèce, la violation de l’article 5 § 4 de la Convention alléguée par le requérant ne résulte pas de l’action ou de la carence d’une des autorités qui sont mentionnées à l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État mais de l’absence, dans le droit interne, d’une procédure de contrôle juridictionnel de la détention effectuée dans un foyer d’accueil temporaire pour mineurs. Dès lors, il est difficile de concevoir celle qui, parmi les autorités mentionnées à l’article 2 de la loi aurait pu être considérée comme responsable de la situation dénoncée par le requérant afin que celui-ci puisse diriger contre elle son action en responsabilité. En effet, les autorités du parquet ne pouvaient être considérées comme responsables, le procureur compétent ayant ordonné la détention dans le cadre de ses pouvoirs. Quant aux juridictions, le requérant ne pouvait déterminer celle qui aurait pu être tenue responsable dans la mesure où aucune n’était compétente, en vertu du droit interne, pour examiner de tels recours. La Cour observe à cet égard que ni les nouvelles dispositions de la loi adoptées en 2012 ni les motifs de leur adoption ne précisent contre quelle institution devrait être dirigée une action en responsabilité dans pareil cas. La Cour note au demeurant que l’exemple de jurisprudence présenté par le Gouvernement dans laquelle la disposition susmentionnée a été appliquée ne concerne pas une situation comparable à celle de l’espèce dans la mesure où il apparaît que le constat de violation de l’article 5 § 4 établi par les tribunaux et l’octroi d’une indemnisation à cet égard concernait une détention ordonnée par le procureur au-delà du délai légal de soixante‑douze heures, le défaut de traduire « aussitôt » l’intéressé devant un juge et l’impossibilité qui en découlait d’introduire un recours contre cette détention (paragraphes 23 et 40 ci-dessus). La situation litigieuse révélait dès lors un dysfonctionnement du système régissant la détention examinée en raison du fait que le procureur avait outrepassé ses pouvoirs légaux, et non le défaut du législateur de prévoir un contrôle juridictionnel de la détention, comme cela semble être le cas en l’espèce.

48. Dans ces circonstances, la Cour ne peut que conclure que l’action sur le fondement de l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, invoquée par le Gouvernement, ne constitue pas, dans les circonstances de la présente espèce, un recours accessible et effectif, susceptible d’apporter un redressement au requérant pour son grief tiré de l’absence de recours judiciaire pour contrôler la légalité de sa détention, qu’il considère comme étant une violation de la Convention. Elle estime par ailleurs douteux que l’article 1 de la loi sur la responsabilité de l’État, qui prévoit la responsabilité des autorités de l’administration, soit applicable à la situation du requérant, l’action législative ou le défaut de légiférer n’étant pas à première vue assimilables à « l’accomplissement de [...] fonctions en matière administrative » susceptible d’engager la responsabilité des autorités (paragraphes 24 et 25 ci-dessus).

49. Au vu de ces observations, et sans préjuger de l’effectivité de principe de l’action en réparation prévue à l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État, la Cour considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’action en question ne constituait pas un recours effectif dont l’épuisement était requis au titre de l’article 35 § 1 de la Convention. Partant, il convient de rejeter l’exception soulevée.

50. Compte tenu de ce constat, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’argument du requérant selon lequel ce recours ne lui était pas accessible en raison de son statut de mineur (paragraphe 41 ci-dessus).

51. Par ailleurs, constatant que la requête n’est pas manifestement mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour la déclare recevable.

B. Sur le fond

52. Le Gouvernement reconnaît que le requérant a été détenu le 14 avril 2014 sur ordre d’un procureur et que cet ordre ne pouvait faire l’objet d’un contrôle judiciaire. Il admet que, au cours de la période allant du 14 au 29 avril 2014, le requérant n’a pas bénéficié d’un recours permettant de vérifier la régularité de cette détention, comme le prévoit l’article 5 § 4 de la Convention. Il indique par ailleurs que la procédure suivie devant le tribunal de district concernait la nécessité et la légalité d’un placement en vue d’une éducation surveillée et, par conséquent, il considère que la décision adoptée par cette juridiction le 29 avril 2014 comportait un contrôle judiciaire. Dans ce contexte, le Gouvernement estime que le placement en foyer d’accueil temporaire peut dans certaines situations être vu comme une phase préparatoire au placement à plus long terme dans une institution éducative. Il ajoute que les mineurs placés dans ce type de foyer bénéficient d’une assistance psychologique et pédagogique prévue par la loi (paragraphe 19 ci-dessus).

53. Le requérant maintient que le droit interne ne prévoyait pas de recours juridictionnel permettant de contrôler l’ordre de détention du procureur et qu’au cours de l’audience du 29 avril 2014 le tribunal de district n’a pas eu à se prononcer sur cette détention. Il indique que l’article 24a de la loi sur la lutte contre les comportements antisociaux des mineurs limite les compétences du tribunal de district de sorte que, selon lui, ce dernier ne peut examiner une question autre que celle de la demande de la commission locale d’adoption de mesures éducatives (paragraphe 18 ci‑dessus). Enfin, le requérant ajoute que le nouveau recours introduit par l’article 2 de la loi sur la responsabilité de l’État ne peut non plus être vu comme un recours répondant aux exigences de l’article 5 § 4 de la Convention puisque les tribunaux saisis sur son fondement ne seraient pas compétents pour se prononcer sur la légalité de la détention en cause et ne pourraient donc ordonner, le cas échéant, l’élargissement immédiat.

54. La Cour rappelle que les principes de la jurisprudence applicables en l’espèce se trouvent résumés dans les arrêts Stanev (précité, §§ 168-170) et A. et autres (précité, §§ 105‑106).

55. Quant au respect de l’article 5 § 4 de la Convention, la Cour observe d’abord que le droit bulgare ne prévoit pas un recours général de type habeas corpus. Elle rappelle avoir constaté, dans l’affaire A. et autres (précitée, § 107) qu’il n’existait pas non plus en Bulgarie un recours spécifique pour le placement des mineurs dans les foyers tels que celui en question. Selon la loi interne, restée inchangée depuis l’affaire susmentionnée, le placement initial des mineurs dans ces établissements est décidé par les organes du ministère de l’Intérieur ou par le procureur (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour note en l’espèce que la décision de placement litigieuse a été prise par le procureur à la suite d’une proposition des services du ministère de l’Intérieur (paragraphe 8 ci‑dessus). Elle relève que le Gouvernement reconnaît que ces organes ont agi dans le cadre de l’exercice du pouvoir exécutif de l’État, qu’ils ne présentaient pas les garanties que l’article 5 § 4 de la Convention exige d’un « tribunal » et que leurs actes n’étaient pas susceptibles d’un contrôle judiciaire. Dès lors, le contrôle de la « légalité » du placement en cause ne se trouvait pas incorporé à la décision prise par le procureur le 15 avril 2014.

56. Par ailleurs, la Cour prend note de la position du Gouvernement selon laquelle la décision du tribunal de district du 29 avril 2014 incorporait un contrôle sur la légalité de la détention du requérant ordonnée le 15 avril 2014 par le procureur. La Cour constate, à partir des éléments du dossier, que cette décision judiciaire avait pour seul objet la demande de la commission locale de placer le requérant dans un centre éducatif – internat, un établissement destiné à accueillir des mineurs nécessitant une éducation surveillée. Elle observe que le tribunal n’a pas examiné les circonstances dans lesquelles le procureur avait ordonné le placement du requérant en foyer d’accueil temporaire pour mineurs et qu’il ne s’est pas non plus prononcé sur la légalité de cette décision. Par ailleurs, il ne ressort pas du droit interne que le tribunal avait la compétence pour le faire dans le cadre de cette procédure et pour ordonner, le cas échéant, l’élargissement du mineur ou pour statuer sur la durée de la mesure imposée. Si l’article 5 § 1 de la Convention n’empêche pas une mesure provisoire de garde qui serve de préliminaire à un régime d’éducation surveillée sans en revêtir elle-même le caractère (Bouamar c. Belgique, 29 février 1988, § 50, série A no 129), la Cour estime que l’article 5 § 4 de la Convention renferme un droit indépendant et imposant à l’État l’obligation d’instaurer un recours judiciaire permettant d’examiner explicitement toute privation de liberté. En l’espèce, la Cour observe que les autorités internes n’ont fait aucun rapprochement entre la détention décidée par le procureur et la procédure judiciaire en cours relative à la demande de mesure éducative avec placement. Même à supposer que cela ait été le cas, la Cour ne peut arriver à la conclusion que le tribunal de district a examiné l’ordre du procureur du 15 avril 2014 dans sa décision du 29 avril 2014, d’une part, en raison de l’absence de tout élément du dossier démontrant que cette détention a été portée à sa connaissance et, d’autre part, en raison de l’état de la législation pertinente délimitant les compétences du tribunal et excluant le recours judiciaire contre l’ordre du procureur (paragraphes 18 et 19 ci-dessus).

57. Dès lors, eu égard à l’état du droit interne applicable et aux circonstances de l’espèce, la Cour conclut que le requérant n’a pas bénéficié d’un contrôle judiciaire sur la légalité de sa détention du 15 avril au 14 mai 2014.

58. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

60. Le requérant réclame 4 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi en raison de sa détention pendant un mois sans possibilité d’examen judiciaire de cette mesure.

61. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Cour sur ce point.

62. La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral à raison de l’absence d’un recours qui lui aurait permis de faire examiner la légalité de son placement en foyer d’accueil temporaire pour mineurs, comme le prévoit l’article 5 § 4 de la Convention. Ce constat justifie l’octroi d’une indemnité. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour estime qu’il y a lieu d’accorder au requérant 3 000 EUR à ce titre.

B. Frais et dépens

63. Le requérant demande également 3 950 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour. Il présente des justificatifs correspondant à des frais de poste (30 EUR) et à des frais de conseil et de représentation pour un total de quarante-neuf heures de travail rémunérées à 80 EUR de l’heure. Il demande par ailleurs que le montant octroyé par la Cour à ce titre soit versé directement sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare.

64. Le Gouvernement conteste ces prétentions.

65. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable la somme de 2 000 EUR tous frais confondus pour la procédure devant elle et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

66. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

3. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en levs bulgares, au taux applicable à la date du règlement :

i. 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 2 000 EUR (deux mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens, à verser directement sur le compte bancaire du Comité Helsinki bulgare,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 janvier 2017, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Milan BlaškoAngelika Nußberger
Greffier adjointPrésidente


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-170372
Date de la décision : 19/01/2017
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : I.P.
Défendeurs : BULGARIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : FARTUNOVA D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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