TROISIÈME SECTION
AFFAIRE SOCIEDAD ANÓNIMA DEL UCIEZA c. ESPAGNE
(Requête no 38963/08)
ARRÊT
(Satisfaction équitable)
STRASBOURG
20 décembre 2016
DÉFINITIF
24/04/2017
Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l’affaire Sociedad Anónima del Ucieza c. Espagne,
La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :
Helena Jäderblom, présidente,
Luis López Guerra,
Helen Keller,
Branko Lubarda,
Pere Pastor Vilanova,
Alena Poláčková,
Georgios A. Serghides, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 29 novembre 2016,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38963/08) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont une société anonyme de cet État, la Sociedad Anónima del Ucieza (« la requérante »), a saisi la Cour le 4 août 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Par un arrêt du 4 novembre 2014 (Sociedad Anónima del Ucieza c. Espagne, no 38963/08, 4 novembre 2014 – « l’arrêt au principal »), la Cour a estimé que la requérante avait été privée, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, de son droit d’accès à la juridiction de cassation en raison de l’interprétation particulièrement rigoureuse d’une règle de procédure. Elle a en outre jugé que la requérante avait « été victime de l’exercice du droit d’immatriculation reconnu par la législation interne à l’Église catholique sans justification apparente » et que, dès lors, la requérante avait « supporté une charge spéciale et exorbitante », laquelle avait « rompu le juste équilibre devant régner entre, d’une part, les exigences de l’intérêt général et, d’autre part, la sauvegarde du droit au respect des biens » garanti par l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention. La Cour a également conclu qu’aucune question distincte ne se posait sous l’angle de l’article 14 combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (arrêt au principal, §§ 41, 102 et 117).
3. Invoquant l’article 41 de la Convention, la requérante demandait à la Cour de rétablir son droit de propriété et de déclarer nulles les décisions administratives et judiciaires rendues par les autorités et juridictions internes. Subsidiairement, elle réclamait 600 000 euros (EUR) au titre du préjudice qu’elle estimait avoir subi. Elle fournissait copie du rapport établi par l’expert désigné par le juge de première instance no 5 de Palencia selon lequel la valeur de l’église, bien qu’ « économiquement incalculable », était très élevée et dépassait les 600 000 EUR.
4. S’agissant des frais et dépens, la Cour a rejeté la demande de la requérante. Pour ce qui est du dommage moral et matériel, elle a estimé que la question de l’indemnisation du préjudice subi ne se trouvait pas en état. Elle a donc réservé la question et invité le Gouvernement et la requérante à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ce point et, notamment, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (arrêt au principal, § 121 et point 5 du dispositif).
5. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations.
EN DROIT
6. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage matériel
1. Dommage découlant de la violation de l’article 1 du Protocole no 1
a) Arguments des parties
i. La requérante
7. La requérante rappelle que la Cour a estimé dans l’arrêt au principal qu’elle avait été victime de l’exercice du droit d’immatriculation reconnu par la législation interne à l’Église catholique sans justification apparente et qu’elle avait ainsi été privée de sa propriété.
8. Elle réclame à cet égard une compensation intégrale de son préjudice matériel, équivalente à la valeur marchande de l’église cistercienne en cause. Elle indique que, dans son rapport d’expertise établi au mois de février 2000, l’expert désigné par le tribunal de première instance no 5 de Palencia a estimé que la valeur de l’église dépassait sans doute 600 000 EUR à cette date. Elle considère qu’à ce montant devrait s’ajouter la somme de 396 410 EUR, et que cette somme correspond aux intérêts légaux calculés jusqu’au 20 juin 2015, date à laquelle elle dit avoir présenté ses observations sur le terrain de l’article 41 de la Convention. Par ailleurs, elle expose que, à la suite de l’arrêt au principal, elle a fait effectuer en juin 2015 une nouvelle expertise, que celle-ci a estimé la valeur actuelle de l’église cistercienne à 1 341 878,64 EUR, et que cette évaluation a été faite selon le critère du « coût de substitution ou de reconstruction » de l’église en cause. Elle avance que l’Évêché a lui-même reconnu que la valeur de l’immeuble revendiqué s’élevait à 600 000 EUR (arrêt au principal, § 13). Elle ajoute que, même si son pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable, le montant retenu par le Tribunal suprême pour calculer les frais et dépens de la procédure était de 600 000 EUR.
ii. Le Gouvernement
9. Le Gouvernement estime qu’il est possible en l’espèce de procéder à la restituo in integrum du bien litigieux, et qu’il faudrait pour cela que l’immatriculation foncière faite par l’Évêché de Palencia soit déclarée nulle. Il expose que, en vue de l’obtention d’une déclaration de nullité, la Cour devrait donner à l’Évêché de Palencia, dans le cadre de la présente procédure, la possibilité d’exprimer son accord ou son désaccord sur une telle déclaration, ainsi que l’exige selon lui le droit interne pour l’annulation d’une immatriculation. Il ajoute que, le cas échéant, la Cour devrait ensuite ordonner que l’immatriculation en question soit déclarée nulle. Il explique que la possibilité pour l’Église d’immatriculer un bien immeuble moyennant un certificat établi par l’Évêché existait encore au moment des faits, mais que la loi 13/2015 du 24 juin 2015 portant modification de la loi hypothécaire, entrée en vigueur le 1er novembre 2015, l’a supprimée.
10. À titre subsidiaire, pour le cas où la Cour jugerait qu’il n’est pas possible de procéder à la restitutio in integrum, le Gouvernement plaide que la présomption de propriété de la requérante sur l’église cistercienne en cause est une présomption juris tantum, que le dommage susceptible d’être indemnisé est la « perte » de ladite présomption par la requérante depuis le 22 décembre 1994, date à laquelle l’immatriculation de l’église cistercienne par l’Évêché de Palencia serait intervenue. Il soutient que la requérante n’a pas bénéficié d’une acquisition de la propriété par usucapion et que, en tout état de cause, le montant réclamé par la requérante à titre de dommage matériel – à savoir 600 000 EUR – est exorbitant. Il soutient enfin que l’État espagnol n’a jamais été propriétaire de l’église en cause et que, dans ces conditions, il est difficilement défendable que l’État doive verser une indemnisation à la requérante, et ce, selon lui, sur le fondement d’une simple apparence de propriété constituant une présomption réfutable.
11. Dans ses observations en réponse présentées en septembre 2015, le Gouvernement indique en outre que les modifications apportées à la loi organique 6/1985 du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire et au code de procédure civile, relatives au nouveau recours en révision, devaient entrer en vigueur le 1er octobre 2015. Il précise que ces nouvelles dispositions doivent permettre d’entamer devant le Tribunal suprême une procédure en révision contre des décisions judiciaires définitives, que cette procédure peut être introduite lorsqu’un arrêt de la Cour a conclu à la violation des droits garantis par la Convention, et lorsque les conséquences de cette violation ne peuvent être effacées autrement que par ledit recours en révision.
b) Appréciation de la Cour
i. Les principes généraux applicables
12. La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’État défendeur l’obligation de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 32, CEDH 1999‑II). Les États contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux États contractants : assurer le respect des droits et libertés qui y sont garantis (article 1 de la Convention). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’État défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 20, CEDH 2001‑I).
ii. Application au cas d’espèce
13. En l’espèce, la Cour rappelle avoir conclu que la requérante a subi un préjudice en raison de l’immatriculation de son bien par l’Église catholique, que cette immatriculation était autorisée par la loi interne, que cette possibilité offerte à l’Église n’avait pas de justification apparente et que l’Évêché de Palencia n’avait pas contesté, dans les délais légaux (arrêt au principal, § 51), le droit de propriété de la requérante à l’époque de l’inscription par celle-ci de son bien au livre foncier. Dès lors, la requérante a « supporté une charge spéciale et exorbitante », que seule aurait pu rendre légitime la possibilité de contester utilement, et en tenant compte des dispositions applicables du droit hypothécaire, la mesure prise à son égard (arrêt au principal, § 101). Dans ces circonstances, seule la déclaration de nullité de l’inscription foncière en faveur de l’Évêché de Palencia placerait l’intéressée, autant que possible, dans une situation équivalente à celle où elle se trouverait si les exigences de l’article 1 du Protocole no 1 n’avaient pas été méconnues. Toutefois, la Cour note que, selon le Gouvernement, pour que ladite déclaration de nullité et l’inscription ultérieure de la propriété au registre foncier puissent intervenir, la requérante devrait introduire une nouvelle procédure devant les juridictions internes, l’Évêché de Palencia devrait être entendu dans le cadre de cette procédure et, à l’issue de cette dernière, la Cour devrait ordonner à l’État de procéder à l’inscription foncière en cause. Le cas échéant, la requérante devrait encore, afin de redonner effet utile à son titre de propriété à la suite de la réinscription foncière ainsi obtenue, entamer de nouveau une procédure judiciaire afin d’obtenir que soient déclarées nulles les décisions judiciaires rendues à son encontre (paragraphe 27 ci-dessous). La Cour note que, dans ses observations de septembre 2015, le Gouvernement indique en outre que la requérante devrait entamer une procédure en révision devant le Tribunal suprême contre les décisions judiciaires définitives rendues en l’espèce, conformément aux modifications apportées à la loi organique 6/1985 du 1er juillet 1985 sur le pouvoir judiciaire et au code de procédure civile, relatives au nouveau recours en révision, en vigueur depuis le 1er octobre 2015 (paragraphe 12 ci-dessus).
14. Dans ces conditions, la Cour estime que la restitutio in integrum du bien litigieux selon les modalités proposées par le Gouvernement ne paraît pas appropriée pour effacer les conséquences des violations constatées dans son arrêt au principal.
15. En premier lieu, contrairement à ce qu’affirme le Gouvernement, la Cour ne peut en aucun cas inviter l’Évêché de Palencia à intervenir, en tant que tierce partie, dans la présente procédure relative à la satisfaction équitable, afin que ce dernier se prononce sur la déclaration de nullité de l’inscription foncière à l’origine du litige que la Cour a déjà jugée contraire à l’article 1 du Protocole no 1 (arrêt au principal, § 102 et point 3 du dispositif).
16. En second lieu, la Cour constate que la requérante a déjà engagé une procédure visant à obtenir que la nullité de l’immatriculation en cause soit prononcée et qu’elle en a été déboutée par des décisions judiciaires que la Cour a estimées contraires à l’article 1 du Protocole no 1 et à l’article 6 de la Convention (arrêt au principal, § 10 et suivants). Il n’incombe pas à la Cour, à la suite des constats de violation en cause, de contraindre la requérante, dans une affaire qui remonte à 1994, à introduire, comme le Gouvernement l’indique, de nouvelles voies de recours internes en exécution de son arrêt définitif afin d’obtenir reconnaissance, par les juridictions internes, des droits que la Cour lui a déjà reconnus. La Cour ne peut obliger l’intéressée à engager, soit une nouvelle procédure afin d’obtenir que l’inscription foncière soit déclarée nulle et, au cas où elle obtiendrait gain de cause, à engager encore d’autres procédures en revendication de propriété, tel que le Gouvernement l’indique dans ses observations initiales, soit une procédure en révision comme le Gouvernement l’indique dans ses observations de septembre 2015. En tout état de cause, il faut rappeler que la règle selon laquelle les voies de recours internes doivent être épuisées ne s’applique pas aux demandes de satisfaction équitable soumises à la Cour en vertu de l’article 41 (anciennement 50) de la Convention (De Wilde, Ooms et Versyp c. Belgique (article 50), 10 mars 1972, § 16, série A no 14, Salah c. Pays-Bas, no 8196/02, § 67, CEDH 2006‑IX (extraits), et Dimitrovi c. Bulgarie (satisfaction équitable), no 12655/09, § 16, 21 juillet 2016).
17. Dans ces circonstances, la Cour considère que la meilleure forme de réparation consiste en l’octroi par l’État d’une indemnité pour le dommage matériel et le dommage moral que l’intéressée a subi du fait de l’ingérence dans son droit de propriété.
18. Concernant le montant de l’indemnisation, la Cour rappelle que, dans l’affaire Guiso-Gallisay c. Italie ((satisfaction équitable) [GC], no 58858/00, 22 décembre 2009), la Cour a jugé opportun de revoir la jurisprudence élaborée dans l’arrêt Papamichalopoulos et autres c. Grèce ((article 50), 31 octobre 1995, série A no 330-B) en adoptant une nouvelle approche concernant les critères d’indemnisation dans les affaires relatives à une privation illégale du droit de propriété. Il en va de même pour les privations légales mais non justifiées dudit droit. La Cour a ainsi considéré que l’indemnisation devait correspondre à la valeur pleine et entière du bien immeuble en cause au moment de la privation des droits dérivés de l’inscription foncière, telle qu’établie par l’expertise ordonnée par la juridiction compétente au cours de la procédure interne (Yianopulu c. Turquie (satisfaction équitable), no 12030/03, § 17, 31 mai 2016). En l’espèce, la Cour prend en compte le rapport établi en février 2000 par l’expert désigné par le tribunal de première instance no 5 de Palencia et dont l’estimation a servi de base au calcul des frais et dépens devant le Tribunal suprême.
19. La Cour observe que le caractère adéquat d’un dédommagement risque de diminuer si le paiement de celui-ci fait abstraction d’éléments susceptibles d’en réduire la valeur tel que, en l’occurrence, l’écoulement d’un laps de temps considérable depuis la fixation de la valeur de l’église par l’expert auprès du Tribunal suprême. Elle rappelle toutefois qu’elle a conclu, dans son arrêt au principal, à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 uniquement en ce que la requérante a été victime de l’exercice par l’Église catholique du droit d’immatriculation que lui reconnaissait de manière injustifiée la législation interne, alors même que l’Église n’a pas contesté, dans les délais légaux, le droit de propriété de la requérante à l’époque où cette dernière avait inscrit son bien au livre foncier. La Cour prend par ailleurs en considération le montant retenu par les tribunaux espagnols pour fixer les frais et dépens afférents à la procédure (paragraphe 8 ci-dessus) ainsi que le fait qu’il n’existe pas, en Espagne, de marché pour la vente d’une église cistercienne.
20. Compte tenu de ces éléments, la Cour estime raisonnable d’accorder à la requérante 600 000 EUR au titre du dommage matériel.
2. Dommage découlant de la violation de l’article 6 de la Convention
a) Les arguments des parties
21. La requérante estime avoir subi un préjudice patrimonial en raison des frais et dépens qu’elle a engagés devant les juridictions internes. Elle chiffre ce préjudice à 116 477,36 EUR. Elle indique que, même si son pourvoi en cassation a été déclaré irrecevable, le montant retenu pour fixer les frais et dépens était de 600 000 EUR.
22. Le Gouvernement s’oppose à cette prétention et considère que, la restitutio in integrum étant possible par divers moyens prévus dans la législation espagnole, il n’y a pas lieu d’accorder de satisfaction équitable en application de l’article 41 de la Convention.
b) Appréciation de la Cour
23. Concernant l’indemnité pour préjudice matériel réclamée par la requérante au titre des frais et dépens qu’elle dit avoir engagés dans la procédure interne, la Cour renvoie à la conclusion figurant au paragraphe 124 de l’arrêt au principal ainsi qu’au point 6 du dispositif de cet arrêt.
B. Dommage moral
1. Les arguments des parties
24. Pour ce qui est du dommage moral qu’elle estime avoir subi, la requérante s’en remet à la sagesse de la Cour, tant pour les griefs tirés de l’article 1 du Protocole no 1 que pour ceux concernant l’article 6 de la Convention.
25. De son côté, le Gouvernement estime que la restituo in integrum est possible et que, après une déclaration de nullité de l’immatriculation faite par l’Église (paragraphe 9 ci-dessous), la requérante bénéficierait de nouveau de la présomption juris tantum de propriété. Il ajoute qu’elle pourrait ensuite revendiquer la propriété de l’église cistercienne en exerçant une action en revendication ou qu’elle pourrait, le cas échéant, s’opposer à une action déclarative de propriété exercée par l’Église. Dans son mémoire de septembre 2015, le Gouvernement fait référence au nouveau recours en révision censé être entré en vigueur le 1er octobre 2015 (paragraphe 11 ci‑dessus).
2. L’appréciation de la Cour
26. S’agissant des demandes de la requérante au titre du dommage moral qu’elle estime avoir subi, la Cour rappelle qu’elle ne peut pas exclure, au vu de sa propre jurisprudence et à la lumière de sa pratique, qu’il puisse y avoir, pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire (Comingersoll S.A. c. Portugal [GC], no 35382/97, §§ 31 et suivants, CEDH 2000‑IV).
27. Dans la présente affaire, la Cour estime que l’impossibilité de voir annuler l’immatriculation de l’église cistercienne en cause, intervenue plus de seize ans après que la requérante avait procédé à l’inscription foncière du même bien, a fait subir à celle-ci des désagréments considérables et une incertitude prolongée, ne serait-ce que sur la conduite des affaires courantes de la société, ainsi que des frais et dépens conséquents. S’agissant du préjudice moral, la Cour considère qu’il ne saurait être exigé de l’intéressée, pour les raisons exposées au paragraphe 13 ci-dessus, qu’elle exerce les voies de recours que nécessiterait, selon le Gouvernement, la restitutio in integrum qu’il suggère, après son constat de violation de la Convention. Elle estime que, compte tenu de la violation constatée en l’espèce, une indemnité pour préjudice moral doit être accordée à la requérante. Statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, elle décide de lui allouer 15 600 EUR à ce titre.
C. Intérêts moratoires
28. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Dit,
a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :
i. 600 000 EUR (six cent mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage matériel ;
ii. 15 600 EUR (quinze mille six cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
2. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 décembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Fatoş AracıHelena Jäderblom
Greffière adjointePrésidente