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17/11/2016 | CEDH | N°001-169049

CEDH | CEDH, AFFAIRE V.M. ET AUTRES c. BELGIQUE, 2016, 001-169049


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE V.M. ET AUTRES c. BELGIQUE

(Requête no 60125/11)

ARRÊT

(Radiation)

STRASBOURG

17 novembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire V.M. et autres c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika Nußberger,
Khanlar Hajiyev,
Ganna Yudkivska,
Linos-Alexandre Sicilianos,
A

ndré Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie M...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE V.M. ET AUTRES c. BELGIQUE

(Requête no 60125/11)

ARRÊT

(Radiation)

STRASBOURG

17 novembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire V.M. et autres c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika Nußberger,
Khanlar Hajiyev,
Ganna Yudkivska,
Linos-Alexandre Sicilianos,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Yonko Grozev,
Carlo Ranzoni,
Mārtiņš Mits,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 28 septembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60125/11) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont sept ressortissants serbes, M. V.M., Mme S.G.M. et leurs cinq enfants, S.M., E.M., S.M., E.M. et E.M.M. (« les requérants »), ont saisi la Cour le 27 septembre 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section à laquelle l’affaire avait été attribuée a accédé à la demande de non-divulgation de leur identité formulée par les requérants (article 47 § 4 du règlement).

2. Les requérants étaient représentés par Me E. Néraudau, avocate au barreau de Nantes. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») était représenté par son agent, M. M. Tysebaert, ainsi que par sa coagente, Mme I. Niedlispacher, du service public fédéral de la Justice.

3. Les requérants alléguaient qu’ils avaient été soumis en Belgique à des conditions de vie contraires à l’article 3 de la Convention, qui avaient selon eux notamment provoqué le décès de leur fille aînée. Ils soutenaient par ailleurs que la mesure d’éloignement prise à leur encontre les avait exposés à un risque pour leur vie et leur intégrité physique et qu’ils n’avaient pas bénéficié d’un recours effectif à cet égard.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Par un arrêt rendu le 7 juillet 2015, une chambre de cette section composée de Işıl Karakaş, présidente, András Sajó, Nebojša Vučinić, Helen Keller, Paul Lemmens, Egidijus Kūris et Jon Fridrik Kjølbro, juges, ainsi que de Abel Campos, greffier adjoint de section, a déclaré la requête recevable et a conclu à la violation de l’article 3 à raison des conditions d’accueil des requérants (cinq voix contre deux), à la non-violation de l’article 2 pour ce qui est du décès de la fille des requérants (unanimité) et à la violation de l’article 13 combiné avec les articles 2 et 3 concernant l’effectivité du recours introduit contre la mesure d’éloignement (quatre voix contre trois). À l’arrêt de chambre était joint l’exposé des opinions dissidentes des juges Sajó, Keller et Kjølbro.

5. Le 7 octobre 2015, le Gouvernement a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre au titre de l’article 43 de la Convention. Le 14 décembre 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

8. Des observations ont également été reçues du gouvernement français, de Myria, le Centre fédéral migration, et des organisations non gouvernementales Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers (Ciré), Défense des enfants international (DEI) et Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI), que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

9. Le gouvernement serbe, informé de son droit d’intervenir dans la procédure (articles 36 § 1 de la Convention et 44 §§ 1 et 4 du règlement), n’a pas exprimé le souhait de s’en prévaloir.

10. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 25 mai 2016 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le gouvernement défendeur
Mme I. Niedlispacher,coagente,
MM.N. Jacobs, directeur adjoint, Agence fédérale pour l’accueil des
demandeurs d’asile (Fedasil),
D. Kootz, juriste senior, Fedasil,conseillers ;

– pour les requérants
MeE. Néraudau, avocate,conseil,
MM.L. Lebœuf, avocat, chercheur EDEM-UCL,
Y. Pascouau, directeur du European policy centre,
MmeA. Perrot,conseillers.

La Cour a entendu Me Néraudau et Mme Niedlispacher en leurs déclarations et en leurs réponses aux questions posées par les juges.

EN FAIT

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

11. Les requérants sont nés respectivement en 1981, 1977, 1999, 2001, 2004, 2007 et 2011. La fille aînée des requérants, S.M., est décédée postérieurement à l’introduction de la requête, le 18 décembre 2011.

12. Les requérants ont vécu la plus grande partie de leur vie en Serbie. Ils quittèrent ce pays en 2010 pour le Kosovo puis, en février 2010, ils se rendirent en France, où ils déposèrent des demandes d’asile. Le dépôt de leurs demandes fut enregistré par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 10 mai 2010 pour la requérante et le 18 mai 2010 pour le requérant. Le 4 juin 2010, leurs demandes furent rejetées au motif qu’ils n’avaient pas donné suite à la convocation de se présenter devant l’OFPRA le 31 mai 2010 et que leurs déclarations écrites, peu précises, ne permettaient pas de conclure au bien-fondé de leur demande.

13. Il ressort des informations fournies par les requérants qu’ils ont séjourné en France environ deux mois, apparemment à Mulhouse. Ils auraient bénéficié d’un hébergement uniquement la nuit et auraient dû quitter le foyer le matin. Leur fille S.M., handicapée motrice et cérébrale, aurait été transportée dans une poussette. Les requérants auraient quitté la France avant que l’OFPRA ne rende sa décision et seraient retournés au Kosovo, puis en Serbie, en mai 2010.

14. En mars 2011, ils se rendirent en Belgique, où ils déposèrent une demande d’asile le 1er avril 2011. Le même jour, l’Agence fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile (Fedasil) leur attribua une place dans une structure d’accueil, le centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Morlanwez.

15. Le 4 avril 2011, les requérants eurent un entretien à l’unité « Dublin » de l’Office des étrangers, au cours duquel ils firent état de leur parcours et des motifs de leur demande d’asile.

16. Le 12 avril 2011, les autorités belges adressèrent à la France une demande de reprise en charge en application du Règlement (CE) no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (« le règlement Dublin II »).

17. Dans un premier temps, la France refusa la reprise en charge au motif que les requérants avaient probablement quitté le territoire des États membres pendant plus de trois mois, ce qui constituait un motif de refus de les reprendre en charge en vertu de l’article 16 § 3 du règlement Dublin II. Les autorités belges ayant réitéré leur demande, le 6 mai 2011 les autorités françaises acceptèrent de reprendre la famille en charge. Elles indiquèrent que le transfert devait avoir lieu sous escorte au poste de frontière de Rekkem et demandèrent à être prévenues du transfert trois jours à l’avance.

18. Le 17 mai 2011, l’Office des étrangers prit à l’égard des requérants une décision de refus de séjour avec ordre de quitter le territoire dans un délai de sept jours vers la France (décision dite « annexe 26quater » d’après le nom du formulaire correspondant) au motif que la Belgique n’était pas responsable de l’examen de la demande d’asile en application de l’article 16 § 1 e) du règlement Dublin II et que la France avait accepté la reprise en charge. La décision indiquait que, étant donné que les requérants n’avaient fait état ni de craintes à l’égard des autorités françaises ni de vécu traumatisant en France et que la France était un pays respectueux des droits de l’homme, signataire de nombreuses conventions et doté de juridictions indépendantes auxquelles les requérants pourraient recourir, il n’y avait pas lieu que la Belgique se déclarât responsable de l’examen de la demande d’asile en application de l’article 3 § 2 du règlement Dublin II. Les requérants se virent délivrer des laissez-passer pour se rendre en France.

19. Le 26 mai 2011, le délai d’exécution de l’ordre de quitter le territoire fut prolongé jusqu’au 25 septembre 2011 en raison de la grossesse de la requérante.

20. En mai 2011, les requérants prirent contact avec une avocate pour contester la décision de transfert Dublin. Le 16 juin 2011, ils introduisirent devant le Conseil du contentieux des étrangers (CCE) par l’intermédiaire de leur conseil un recours en annulation, assorti d’une demande de suspension ordinaire de l’exécution de la décision. Ils y faisaient valoir plusieurs moyens d’annulation, notamment le défaut de mention de la base légale de leur transfert vers la France, ainsi que leurs craintes liées aux mauvaises conditions d’accueil lors de leur premier séjour en France et à un transfert éventuel vers la Serbie, et fournirent des preuves attestant leur sortie du territoire de l’Union européenne pour plus de trois mois.

21. À la suite de l’accouchement de la requérante fin juillet, le 5 août 2011 la famille se vit attribuer une place dans un nouveau centre d’accueil, celui de Saint-Trond, situé à 66 km de Bruxelles.

22. Les requérants comparurent à l’audience tenue le 26 août 2011 devant le CCE sur leur recours en annulation de l’ordre de quitter le territoire.

23. Le 22 septembre 2011, invoquant l’état de santé de leur fille S.M., ils introduisirent une demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales sur la base de l’article 9ter de la loi sur les étrangers. Cette demande fut déclarée irrecevable par l’Office des étrangers, le 30 septembre 2011, au motif que le certificat médical fourni à l’appui attestait l’existence d’une pathologie et du traitement estimé nécessaire mais, contrairement aux prescriptions de la loi, il ne contenait aucun énoncé quant au degré de gravité de la maladie de la jeune S.M. Les requérants n’eurent connaissance de cette décision que bien plus tard, dans le cadre de la procédure devant la Cour.

24. À l’expiration du délai accordé dans l’ordre de quitter le territoire, les requérants furent exclus du centre d’accueil de Saint-Trond, qu’ils quittèrent le 27 septembre 2011. Ils rejoignirent Bruxelles en train et se rendirent place Gaucheret, où d’autres familles rom se trouvaient. Ils passèrent plusieurs jours sur cette place.

25. Le 29 septembre 2011, l’avocate des requérants saisit le Délégué général de la Communauté française aux droits de l’enfant et sollicita son assistance pour trouver une solution d’hébergement pour la famille. Le 5 octobre, à la suite de l’intervention du Délégué général auprès des institutions, les requérants furent installés dans le centre de transit de Woluwe-Saint-Pierre, à Bruxelles.

26. Le 7 octobre 2011, Fedasil leur désigna un centre d’accueil à Bovigny, à 160 km de Bruxelles. Des titres de transport pour le train et le bus ainsi que des explications furent fournis aux requérants afin qu’ils puissent s’y rendre.

27. Devant la Cour, les requérants ont soutenu qu’ils s’étaient rendus au centre de Bovigny mais qu’on avait refusé de les y accueillir au motif que leurs documents (leurs « annexes ») n’étaient pas en ordre. Le Gouvernement a déclaré quant à lui que les requérants étaient attendus au centre de Bovigny mais qu’ils ne s’y étaient pas présentés. Dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre, le Gouvernement a produit des échanges de correspondance entre Fedasil et les employés du centre indiquant qu’une chambre avec un lit bébé avait été préparée pour les requérants, que leur déplacement par navette de la gare jusqu’au centre avait été organisé et que leur place avait été gardée plusieurs jours avant d’être réattribuée.

28. La famille se rendit ensuite à la Gare du Nord à Bruxelles et y demeura pendant plus de deux semaines, avant d’accepter un programme de retour volontaire et de retourner en Serbie, le 25 octobre 2011.

29. La fille aînée des requérants y décéda d’une infection pulmonaire le 18 décembre 2011.

30. Par un arrêt du 29 novembre 2011, le CCE annula l’ordre de quitter le territoire (paragraphe 18 ci-dessus) au motif que la décision n’avait pas correctement établi sur quelle base légale la France avait été désignée comme État responsable. Concernant le risque de traitements contraires à l’article 3 évoqué par les requérants, le CCE considéra qu’un tel risque n’était pas établi. Il souligna que devant l’autorité administrative les requérants n’avaient pas signalé de difficultés particulières concernant l’accueil organisé par les autorités françaises, notamment quant à l’accès à des soins pour leurs enfants, et qu’ils n’avaient présenté aucun élément corroborant leurs allégations relatives à leurs conditions d’hébergement. Concernant la situation globale de l’accueil en France, le CCE constata que les intéressés n’avaient pas fait état de circonstances dont la partie défenderesse avait ou aurait dû avoir connaissance, les éléments présentés devant lui ayant été considérés comme imprécis et incomplets.

31. L’État belge se pourvut en cassation devant le Conseil d’État. Dans un premier temps, le pourvoi fut déclaré admissible. Il fut toutefois finalement déclaré irrecevable le 28 février 2013 en raison de l’absence d’intérêt à agir de l’État, étant donné que les requérants avaient quitté le territoire belge depuis plus de trois mois et que la Belgique n’était plus responsable de la détermination de l’État responsable en application du règlement Dublin II.

EN DROIT

32. Dans ses observations devant la Grande Chambre, la représentante des requérants a informé la Cour qu’elle avait maintenu les communications avec les requérants presque jusqu’à la fin de la procédure devant la chambre mais qu’elle n’avait plus de contacts avec eux depuis lors. À l’audience tenue le 25 mai 2016, elle a confirmé que, malgré plusieurs tentatives de sa part, elle n’avait pas été en mesure de rétablir le contact avec les requérants, dont la résidence actuelle lui était inconnue. Elle soutient que la Cour devrait néanmoins poursuivre l’examen de la requête et argue qu’elle a été autorisée à représenter les requérants pour l’ensemble de la procédure. La représentante souligne que le contact avec des personnes en situation de précarité comme les requérants est toujours difficile et qu’il serait injustifié que le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre à l’initiative du Gouvernement ait pour effet de priver les intéressés du bénéfice de l’arrêt de la chambre qui a statué en leur faveur.

33. Le Gouvernement n’a pas expressément commenté la question de la poursuite de l’examen de l’affaire par la Cour ; il souligne néanmoins qu’en raison de la perte de contact avec leur avocate les requérants n’ont pas été en mesure de formuler des observations sur les nouvelles pièces produites devant la Grande Chambre qui démontrent, de l’avis du Gouvernement, que les intéressés ne se sont pas présentés au centre d’accueil de Bovigny (paragraphe 27 ci-dessus).

34. Au vu de ces circonstances, la Cour estime devoir d’abord examiner la nécessité de poursuivre l’examen de la requête au regard des critères définis à l’article 37 de la Convention. Cette disposition est libellée comme suit :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou

b) que le litige a été résolu ; ou

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.

2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. »

35. La Cour rappelle que le représentant d’un requérant doit non seulement produire une procuration ou un pouvoir écrit (article 45 § 3 du règlement de la Cour) mais qu’il importe également que les contacts entre le requérant et son représentant soient maintenus tout au long de la procédure. De tels contacts sont essentiels à la fois pour approfondir la connaissance d’éléments factuels concernant la situation particulière du requérant et pour confirmer la persistance de l’intérêt du requérant à la continuation de l’examen de sa requête (Sharifi et autres c. Italie et Grèce, no 16643/09, § 124, 21 octobre 2014, et, mutatis mutandis, Ali c. Suisse, 5 août 1998, § 32, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V).

36. En l’espèce, la Cour constate que les requérants n’ont pas maintenu le contact avec leur avocate et qu’ils ont omis de la tenir informée de leur lieu de résidence ou de lui fournir un autre moyen de les joindre. Elle considère que ces circonstances permettent de conclure que les requérants ont perdu leur intérêt pour la procédure et n’entendent plus maintenir la requête, au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention (Ibrahim Hayd c. Pays-Bas (déc.), no 30880/10, § 10, 29 novembre 2011, Kadzoev c. Bulgarie (déc.), no 56437/07, § 7, 1er octobre 2013, M.H. et autres c. Chypre (déc.), no 41744/10, § 14, 14 janvier 2014, et M.Is. c. Chypre (déc.), no 41805/10, § 20, 10 février 2015).

37. S’il est vrai que la représentante des requérants dispose d’un pouvoir l’autorisant à les représenter pour l’ensemble de la procédure devant la Cour, cette circonstance ne justifie pas à elle seule la poursuite de la procédure (Ali, précité, § 32, et Ramzy c. Pays-Bas (radiation), no 25424/05, § 64, 20 juillet 2010). Il apparaît en l’espèce que les derniers échanges entre les requérants et leur avocate sont antérieurs à l’arrêt rendu par la chambre le 7 juillet 2015 et que les requérants n’ont connaissance ni de cet arrêt ni du renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. Dans ces circonstances, la Cour considère que la représentante des requérants ne saurait, de manière significative, continuer la procédure devant elle, en l’absence d’instruction de la part de ses clients, notamment en ce qui concerne les questions factuelles soulevées par les nouveaux documents produits par le Gouvernement (voir Ali, § 32, Ramzy, § 64, et M.H. et autres, § 14, tous précités).

38. Dans la mesure où la représentante des requérants explique cette situation par leurs conditions de vie précaires en Serbie, la Cour observe, d’une part, que les intéressés sont retournés dans leur pays de manière volontaire et que leur départ de Belgique ne semble pas avoir entraîné la perte de contact avec leur avocate. Cette dernière affirme en effet avoir maintenu la communication avec eux pendant la durée de la procédure devant la chambre. En l’espèce, la perte de contact n’était donc pas la conséquence des actions du gouvernement défendeur (voir, a contrario, Diallo c. République tchèque, no 20493/07, §§ 44-47, 23 juin 2011). D’autre part, rien n’indique que les conditions de précarité dans lesquelles les requérants ont vécu en Serbie étaient de nature à empêcher les intéressés de maintenir une forme de contact avec leur avocate, au besoin par l’intermédiaire d’un tiers, pendant une aussi longue période (voir Sharifi et autres, précité, §§ 131-132, et M.H. et autres, décision précitée, § 14).

39. La Cour prend également note du souci de la représentante des requérants qui indique qu’en cas de radiation de l’affaire du rôle par la Grande Chambre, les requérants perdraient le bénéfice de l’arrêt rendu par la chambre. Il ressort en effet des dispositions pertinentes de la Convention que lorsqu’une demande de renvoi a été acceptée par le collège de la Grande Chambre, l’arrêt rendu par la chambre ne devient pas définitif (article 44 § 2 de la Convention, a contrario) et ne produit donc aucun effet juridique. Cet arrêt sera écarté pour être remplacé par le nouvel arrêt de la Grande Chambre rendu conformément à l’article 43 § 3 de la Convention (K. et T. c. Finlande [GC], no 25702/94, § 140, CEDH 2001‑VII), auquel les États parties seront tenus de se conformer en vertu de l’article 46 § 1. Cette situation qui, dans le cas d’espèce, s’avère préjudiciable aux requérants est cependant la conséquence de leur absence de contact avec leur avocate et non de l’exercice par le Gouvernement de la possibilité, prévue à l’article 43 § 1 de la Convention, de solliciter le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. La Cour rappelle par ailleurs que, si les circonstances le justifient, les requérants ont la faculté de demander la réinscription au rôle de l’affaire sur le fondement de l’article 37 § 2 de la Convention.

40. À la lumière de ce qui précède et conformément à l’article 37 § 1 a) de la Convention, la Cour doit conclure que les requérants n’entendent plus maintenir leur requête. Elle considère par ailleurs qu’aucune circonstance particulière touchant au respect des droits garantis par la Convention ou ses Protocoles n’exige la poursuite de l’examen de la requête en vertu de l’article 37 § 1 in fine.

41. Il y a donc lieu de rayer l’affaire du rôle.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Décide, par douze voix contre cinq, de rayer la requête du rôle.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 17 novembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Johan CallewaertGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente du juge Ranzoni à laquelle se rallient les juges López Guerra, Sicilianos et Lemmens.

G.R.
J.C.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE RANZONI
À LAQUELLE SE RALLIENT LES JUGES LÓPEZ GUERRA, SICILIANOS ET LEMMENS

1. Je peux sans hésitation souscrire à l’arrêt jusqu’au paragraphe 40, première phrase, et à la conclusion de la majorité selon laquelle il y a lieu de conclure en l’espèce que les requérants n’entendent plus maintenir leur requête, au sens de l’article 37 § 1 a) de la Convention. Néanmoins, à mon avis, la Grande Chambre aurait dû poursuivre l’examen de la requête en vertu de l’article 37 § 1 in fine car il existe en l’espèce des circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui dépassent la situation particulière des requérants.

2. Dans un arrêt rendu récemment par la Grande Chambre, F.G. c. Suède (no 43611/11, CEDH 2016), la Cour a considéré que les circonstances de l’espèce justifiaient que l’affaire fût rayée du rôle en application de l’article 37 § 1 c) étant donné que la décision d’expulsion ne risquait plus d’être exécutée, mais elle a néanmoins décidé de poursuivre l’examen de la requête pour les motifs suivants :

« 81. La Cour rappelle que, le 2 juin 2014, l’affaire a été renvoyée à la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention, qui dispose qu’une affaire peut faire l’objet d’un tel renvoi si elle soulève une « question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général ».

82. La Cour note que d’importantes questions se trouvent en jeu dans la présente affaire, notamment en ce qui concerne les obligations que doivent remplir les parties à une procédure d’asile. Par son impact, l’espèce dépasse donc la situation particulière du requérant, contrairement à la plupart des affaires d’expulsion semblables qui sont examinées par une chambre. »

3. Des considérations similaires valaient en l’espèce. Le collège de la Grande Chambre a accepté le renvoi de cette affaire devant la Grande Chambre. Ce faisant, il a en substance reconnu que l’affaire soulevait des questions graves relatives à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore des questions graves de caractère général.

4. Comme dans F.G. c. Suède, je pense que d’importantes questions se trouvaient en jeu dans la présente affaire et que la Grande Chambre aurait dû saisir l’opportunité de se prononcer sur certains principes.

5. Tout d’abord, la Grande Chambre aurait dû profiter de l’occasion qu’offrait la présente affaire pour préciser ou ajuster le concept de « vulnérabilité ». Dans sa jurisprudence, la Cour a en effet pris en compte la vulnérabilité des requérants tant pour apprécier si le seuil de gravité justifiant l’application de l’article 3 avait été atteint, une plus grande vulnérabilité justifiant un seuil de tolérance plus bas, que pour définir l’ampleur des obligations positives pesant sur l’État, une vulnérabilité accrue impliquant un devoir de protection plus important (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 251, CEDH 2011, et Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 119, CEDH 2014 (extraits)).

6. Dans l’arrêt M.S.S., la Cour a considéré que les demandeurs d’asile font partie d’un groupe de la population « particulièrement défavorisé et vulnérable ». Toutefois, force est de constater que les demandeurs d’asile peuvent présenter un degré de vulnérabilité différent en fonction des moyens de subsistance dont ils disposent, du type de traitements ou de persécutions dont ils ont été ou risquent d’être victimes, de leur âge, de leur situation familiale, de leur état de santé ou de leur condition de handicap. Comme le juge Sajó l’a dit à juste titre dans son opinion dissidente dans l’affaire M.S.S. c. Belgique et Grèce, « bien que bon nombre d’entre eux soient des personnes vulnérables, les demandeurs d’asile ne sauraient être qualifiés inconditionnellement de groupe particulièrement vulnérable. [...] Les demandeurs d’asile sont loin d’être une catégorie homogène, si tant est qu’elle constitue un groupe ».

7. Même si la vulnérabilité des requérants en l’espèce était, à mon avis, indéniable, la Grande Chambre aurait pu saisir l’occasion pour préciser cette notion.

8. Par ailleurs, dans son arrêt, la chambre a relevé que les requérants s’étaient trouvés « dépassés par la situation » et qu’il appartenait aux autorités belges « de se montrer davantage diligentes dans la recherche d’une solution d’hébergement » (paragraphe 151 de l’arrêt de la chambre). Le Gouvernement a indiqué cependant que la circonstance que les requérants n’étaient pas familiers avec la procédure n’était pas de nature à avoir pour conséquence qu’ils fussent dépassés par la situation.

9. Les autorités nationales ont certes la responsabilité d’assurer l’accueil des demandeurs d’asile et l’examen de leurs demandes. Cependant, à mon avis, les demandeurs d’asile doivent également satisfaire à certaines obligations et faire des démarches raisonnables, tant que ces obligations sont adaptées à leur situation concrète. La présente affaire soulevait des questions de caractère général concernant les différentes responsabilités relatives aux conditions d’accueil des demandeurs d’asile, auxquelles la Grande Chambre aurait pu répondre.

10. Je note, enfin, que l’affaire posait des questions importantes concernant les notions d’« effectivité » du recours et de « grief défendable » en matière d’expulsion d’étrangers, notamment en cas de transferts effectués en application du règlement Dublin. Il aurait été souhaitable que la Grande Chambre s’exprimât sur ces points en vue de clarifier, voire de préciser les réponses à donner à des questions dont l’intérêt dépasse les faits de l’espèce, surtout dans le contexte actuel.

11. Pour conclure, je regrette que la majorité n’ait pas admis l’existence, dans la présente affaire, de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles au sens de l’article 37 § 1 in fine qui auraient exigé la poursuite de l’examen de la requête. La Grande Chambre aurait dû saisir l’opportunité de développer les principes concernant les points mentionnés ci-dessus ou, pour le moins, de préciser et d’ajuster la jurisprudence de la Cour.

12. Pour ces raisons j’ai voté contre la radiation de la requête du rôle.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-169049
Date de la décision : 17/11/2016
Type d'affaire : radiation du rôle
Type de recours : Radiation du rôle (Article 37-1 - Radiation du rôle;Article 37-1-c - Poursuite de l'examen non justifiée)

Parties
Demandeurs : V.M. ET AUTRES
Défendeurs : BELGIQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : NERAUDAU E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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