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15/11/2016 | CEDH | N°001-168942

CEDH | CEDH, AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2016, 001-168942


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requêtes nos 28859/11 et 28473/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
George Nicolaou,
Kristina

Pardalos,
Julia Laffranque,
Helen Keller,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris, ...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE DUBSKÁ ET KREJZOVÁ c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requêtes nos 28859/11 et 28473/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 novembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Dubská et Krejzová c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Işıl Karakaş,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
George Nicolaou,
Kristina Pardalos,
Julia Laffranque,
Helen Keller,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris,
Jon Fridrik Kjølbro,
Síofra O’Leary, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 2 décembre 2015 et le 15 septembre 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouvent deux requêtes (nos 28859/11 et 28473/12) dirigées contre la République tchèque et dont deux ressortissantes de cet État, Mmes Šárka Dubská et Alexandra Krejzová (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 4 mai 2011 et le 7 mai 2012 respectivement en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérantes ont été représentées par Me D. Záhumenský, avocat employé par l’organisation de défense des droits de l’homme Liga lidských práv, et par Me R. Hořejší, avocat à Prague. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm, du ministère de la Justice.

3. Les requérantes alléguaient que le droit tchèque n’autorisait pas les professionnels de santé à assister les femmes accouchant à domicile, ce qui pour elles emportait violation de l’article 8 de la Convention.

4. Le 11 décembre 2014, à la suite d’une audience sur la recevabilité et le fond (article 54 § 3 du règlement de la Cour – « le règlement »), une chambre de la cinquième section composée de Mark Villiger, président, Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ganna Yudkivska, André Potocki, Paul Lemmens et Aleš Pejchal, juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle concluait, par six voix contre une, à la non-violation de l’article 8 de la Convention. À l’arrêt se trouvaient jointes les opinions concordantes des juges Villiger et Yudkivska et l’opinion dissidente du juge Lemmens. Le 10 mars 2015, les requérantes ont demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 1er juin 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

5. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

6. Tant les requérantes que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement) sur le fond de l’affaire. En outre, les parties ont chacune soumis des commentaires écrits sur les observations de l’autre. Des observations ont également été reçues du gouvernement de la République slovaque, du gouvernement de la République de Croatie, de l’Ordre royal des sages-femmes (Royal College of Midwives – Royaume-Uni), du groupe d’étude international de l’Association mondiale de médecine périnatale (World Association of Perinatal Medicine), de l’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA) et de Mme Anna Šabatová, défenseure publique des droits (Veřejná ochránkyně práv), que le président avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement). Les parties ont répondu à ces observations (article 44 § 6 du règlement).

7. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 2 décembre 2015 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MM.V.A. Schorm, agent,
O. Hlinomaz, bureau de l’agent du Gouvernement,
ministère de la Justice,
MmesJ. Martinková, bureau de l’agent du Gouvernement,
ministère de la Justice,
D. Kopková, ministère de la Santé,
MM.J. Feyereisl, directeur de l’institut de soins mère-enfant,
président de la Société tchèque de gynécologie
et d’obstétrique,

P. Velebil, directeur du centre périnatal de l’institut de
soins mère-enfant, secrétaire scientifique de la Société
tchèque de gynécologie et d’obstétrique,conseillers ;

– pour Mme Dubská, requérante
MmesZ. Candigliota, conseil,
P. Janssen, professeure de santé maternelle et infantile,
école de la santé publique et des populations, université
de la Colombie-Britannique ; membre associé, département
de médecine familiale, d’obstétrique et de gynécologie
et école de sciences infirmières, université de la
Colombie-Britannique,
S. Sládeková, conseillères ;

– pour Mme Krejzová, requérante
M.R. Hořejší,conseil,
MmesA. Hořejší,
M. Pavlíková, conseillères.

Mme Krejzová, requérante, était également présente.

La Cour a entendu Mme Candigliota, Me Hořejší, M. Schorm et M. Velebil en leurs déclarations, ainsi que Mme Janssen en ses réponses aux questions posées par des juges.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Les requérantes sont nées en 1985 et en 1980 et résident à Jilemnice et à Prague respectivement.

A. La requête introduite par Mme Šárka Dubská

9. La requérante mit au monde son premier enfant à l’hôpital en 2007, sans aucune complication. Selon ses dires, lors de son accouchement le personnel médical présent la pressa d’accepter divers types d’interventions médicales alors qu’elle avait expressément formulé le souhait qu’on lui épargnât tout traitement médical non indispensable. On l’aurait également obligée à accoucher dans une position qu’elle trouvait inconfortable. Le bébé et elle auraient été en bonne santé, de sorte qu’elle aurait voulu quitter l’hôpital quelques heures après la naissance ; or un médecin lui aurait ordonné d’y rester et elle ne serait donc sortie que le lendemain, après avoir présenté une lettre de son pédiatre confirmant qu’elle prendrait soin de l’enfant.

10. En 2010, la requérante tomba enceinte de son deuxième enfant, dont la naissance était prévue pour la mi-mai 2011. La grossesse ne présentait aucune complication et les analyses et examens médicaux n’indiquaient aucun problème. Estimant que son accouchement à l’hôpital avait été éprouvant, l’intéressée décida qu’elle accoucherait à domicile et se mit en quête d’une sage-femme pour l’assister. Elle ne parvint toutefois à en trouver aucune qui fût disposée à l’aider à accoucher chez elle.

11. Le 5 avril 2011, elle écrivit à sa compagnie d’assurance maladie et à l’administration régionale (krajský úřad) de Liberec afin de leur demander une aide pour trouver une sage-femme.

12. Le 7 avril 2011, la compagnie d’assurance maladie lui répondit que la législation tchèque ne prévoyait pas la prise en charge par une compagnie d’assurance maladie publique des frais liés à un accouchement à domicile et qu’elle n’avait donc conclu aucun contrat avec des professionnels de santé assurant ce type d’actes. Elle indiqua en outre que la majorité des experts médicaux était défavorable aux accouchements à domicile.

13. Par une lettre du 13 avril 2011, l’administration régionale ajouta qu’en tout état de cause les sages-femmes inscrites au registre des professionnels de santé n’étaient légalement autorisées à pratiquer un accouchement qu’au sein d’un établissement doté de l’équipement technique requis par l’arrêté no 221/2010, et non chez des particuliers.

14. N’ayant trouvé aucun professionnel de santé pour l’assister, la requérante donna naissance à son fils seule chez elle, le 11 mai 2011.

15. Le 1er juillet 2011, elle forma un recours constitutionnel (ústavní stížnost), alléguant qu’elle avait été privée de la possibilité d’accoucher chez elle avec l’assistance d’un professionnel de santé et qu’elle avait de ce fait subi une violation de son droit au respect de sa vie privée.

16. Le 28 février 2012, la Cour constitutionnelle (Ústavní soud) écarta son recours, estimant contraire au principe de subsidiarité qu’elle statuât sur le fond de l’affaire dès lors que la requérante n’avait pas exercé tous les recours disponibles, dont l’action en protection des droits individuels fondée sur le code civil et la demande de contrôle juridictionnel basée sur l’article 82 du code de procédure administrative contentieuse. La juridiction constitutionnelle exprima néanmoins des doutes sur la conformité de la législation tchèque à l’article 8 de la Convention et invita les parties prenantes à entamer un débat sérieux et éclairé en vue d’une nouvelle législation. Neuf des quatorze juges ayant siégé joignirent à l’arrêt de la haute juridiction des opinions séparées marquant leur désaccord avec le raisonnement le sous-tendant. Ils considéraient pour la plupart que la Cour constitutionnelle aurait dû rejeter le recours au motif qu’il constituait une actio popularis et s’abstenir d’émettre un avis sur la constitutionnalité de la législation relative aux accouchements à domicile.

B. La requête introduite par Mme Alexandra Krejzová

17. La requérante est la mère de deux enfants qu’elle a mis au monde chez elle en 2008 et 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les sages‑femmes concernées ont pratiqué ces accouchements sans autorisation officielle.

18. La requérante a indiqué qu’elle avait décidé d’accoucher à domicile après avoir visité plusieurs hôpitaux, lesquels auraient tous écarté sa demande, à savoir qu’on la laissât accoucher en lui épargnant toute intervention médicale non strictement nécessaire. Les hôpitaux en question auraient également refusé d’accéder à son souhait de garder un contact ininterrompu avec le bébé dès la naissance, alors que la pratique courante consistait selon elle à retirer l’enfant à sa mère juste après l’accouchement pour le peser, le mesurer et le garder sous observation médicale pendant deux heures.

19. Lorsqu’elle introduisit la requête en l’espèce, la requérante était à nouveau enceinte et devait accoucher à la mi-mai 2012. Sa grossesse se déroulait sans complications et elle souhaitait à nouveau accoucher chez elle avec l’assistance d’une sage-femme. Elle ne parvenait toutefois à trouver aucune sage-femme disposée à l’aider, parce qu’un tel acte était passible d’une lourde amende pour services médicaux dispensés sans autorisation. Elle avait demandé à diverses autorités de l’aider à trouver une solution.

20. Par une lettre du 18 novembre 2011, le ministère de la Santé lui avait répondu qu’il ne fournissait pas de services médicaux à des particuliers et que la requérante devait se renseigner auprès de la municipalité de Prague (Město Praha) qui, faisant office d’administration régionale, enregistrait et délivrait les autorisations aux professionnels de santé.

21. Le 29 novembre 2011, la compagnie d’assurance maladie de la requérante avait informé celle-ci que le régime public ne prenait pas en charge la présence d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile.

22. Le 13 décembre 2011, la municipalité de Prague avait indiqué à la requérante qu’aucune sage-femme enregistrée à Prague n’était autorisée à donner des soins lors d’un accouchement à domicile.

23. Le 7 mai 2012, la requérante donna naissance à son enfant dans une maternité de Vrchlabí, à 140 km de Prague. Elle avait choisi cet hôpital parce qu’il avait la réputation de respecter les souhaits des parturientes. Tous ses souhaits n’auraient toutefois pas été respectés. L’accouchement se serait déroulé sans complications et l’enfant et elle auraient été en bonne santé ; la requérante aurait néanmoins été contrainte de rester à l’hôpital pendant soixante-douze heures. Le nouveau-né et elle auraient été séparés après la naissance et, avant la sortie de la maternité, les restes du cordon ombilical auraient été coupés contrairement au souhait qu’elle avait exprimé.

II. INFORMATIONS GÉNÉRALES SUR LES ACCOUCHEMENTS À DOMICILE EN RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

A. Instructions et mesures adoptées par le ministère de la Santé

24. Dans son bulletin no 2/2007 de février 2007, le ministère de la Santé publia des instructions pratiques énonçant ce qui suit :

« En République tchèque, le fait de pratiquer un accouchement est un service de santé qui n’est assuré qu’au sein d’un établissement de santé. Pareil établissement doit satisfaire aux prescriptions légales (...) et aux exigences définies par les textes réglementaires pertinents. »

25. Le 20 mars 2012, le ministère de la Santé constitua un comité d’experts en obstétrique, qu’il chargea d’étudier la question de l’accouchement à domicile. Au sein de ce comité étaient représentés les patients, les sages-femmes, les associations de médecins, le ministère de la Santé, le commissaire du gouvernement aux droits de l’homme et les compagnies d’assurance maladie publiques. Les représentants des associations de médecins boycottèrent les réunions, déclarant que la situation existante était satisfaisante et qu’il n’y avait pas lieu de changer quoi que ce fût. Le ministre de la Santé écarta ensuite les représentants des patients, des sages-femmes et du commissaire du gouvernement aux droits de l’homme, arguant que seul ce changement de composition permettrait au comité d’arrêter certaines conclusions.

26. Le 18 janvier 2013, le conseil gouvernemental pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes (Rada vlády pro rovné příležitosti žen a mužů), organe consultatif du gouvernement, recommanda d’éviter toute discrimination persistant à l’égard des femmes dans l’exercice par celles-ci de leur droit de choisir librement la méthode, les conditions et le lieu de leur accouchement. Il préconisait également de prévenir la discrimination envers les sages-femmes en permettant à celles-ci d’exercer pleinement leur profession au moyen de leur intégration dans le régime public d’assurance maladie. En outre, pour étayer sa position selon laquelle les femmes doivent pouvoir choisir le lieu de leur accouchement, le conseil renvoya aux recommandations du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, qui surveille la mise en œuvre de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes.

27. Dans son bulletin no 8/2013, qui a été publié le 9 décembre 2013 et a remplacé les instructions pratiques de 2007, le ministère de la Santé décrit la procédure que les prestataires de services de santé doivent suivre lorsque les nouveau-nés quittent un établissement de santé pour intégrer leur propre cadre de vie. Il indique que selon les spécialistes un nouveau-né ne doit pas quitter la maternité moins de soixante-douze heures après sa naissance. La nouvelle procédure permet la sortie d’un nouveau-né dans un délai plus court à la demande de son représentant légal, sous réserve que les conditions suivantes soient remplies :

« a) le représentant légal a, par écrit, retiré son accord concernant la fourniture de services médicaux au nouveau-né, ou a déclaré par écrit son désaccord concernant la fourniture de services médicaux, ou bien cet accord ou ce désaccord a été consigné dans le dossier médical du nouveau-né (...) ;

b) il est établi que le représentant légal a été dûment informé des conséquences possibles de la sortie de l’hôpital du nouveau-né moins de soixante-douze heures après sa naissance (...) ;

c) le représentant légal a été dûment informé que, dans l’intérêt du bon développement ultérieur du nouveau-né, les associations médicales spécialisées tchèques recommandent :

1. la réalisation d’un examen clinique dans les vingt-quatre heures consécutives à la sortie de la maternité du nouveau-né (...)

2. la réalisation d’un prélèvement sanguin dans les quarante-huit à soixante-douze heures consécutives à la naissance, aux fins du dépistage de dysfonctionnements métaboliques héréditaires (...) »

B. Données sur la mortalité périnatale

28. D’après les estimations fournies par l’Organisation mondiale de la santé pour 2004, la République tchèque figure parmi les pays qui affichent le plus faible taux de mortalité périnatale. Ce taux, qui indique le nombre d’enfants mort-nés et de décès survenant au cours de la première semaine de la vie, s’élevait à 0,4 % en République tchèque. Dans les autres pays européens, il variait entre 0,5 % (en Suède et en Italie) et 4,7 % (en Azerbaïdjan). Il était inférieur à 1 % dans la plupart des pays d’Europe. Selon le rapport de l’OMS de 2006, la mortalité périnatale constitue un indicateur important des soins à la mère ainsi que de la santé et de la nutrition maternelles. Par ailleurs, il reflète la qualité des soins obstétricaux et pédiatriques disponibles et permet des comparaisons entre différents pays. Le rapport recommandait en outre que, dans la mesure du possible, tous les fœtus et les nourrissons pesant au moins 500 g à la naissance, nés en vie ou non, fussent inclus dans les statistiques. Dans cette étude, les données communiquées sur les enfants mort-nés n’ont pas été ajustées pour tenir compte de ce facteur.

29. Selon le rapport européen sur la santé périnatale relatif à la santé et à la prise en charge des femmes enceintes et des bébés en Europe en 2010, publié en 2013 dans le cadre du projet Euro-Peristat, la République tchèque se classait parmi les pays présentant la plus faible mortalité chez les nouveau-nés au cours des vingt-sept premiers jours de la vie, avec un taux de 0,17 %. Les données relatives aux autres pays étudiés, pour la plupart membres de l’Union européenne, révélaient un taux allant de 0,12 % (en Islande) à 0,55 % (en Roumanie).

C. Poursuites pénales à l’encontre de sages-femmes

30. Il apparaît qu’en République tchèque aucune sage-femme n’a fait l’objet de poursuites simplement pour avoir pratiqué un accouchement à domicile. En revanche, plusieurs sages-femmes ont été poursuivies pour faute professionnelle dans le cadre d’un tel accouchement. Les requérantes évoquent les cas de Mmes Š. et K., qui sont toutes deux connues pour leur action en faveur de l’accouchement physiologique sans intervention médicale superflue et qui ont régulièrement pratiqué des accouchements à domicile.

31. Le 27 mars 2013, le tribunal de district (obvodní soud) de Prague 6 déclara Mme Š. coupable d’avoir causé par négligence le décès d’un bébé mort-né. Mme Š. fut condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement assortie d’un sursis de cinq ans, et se vit interdire pour trois ans l’exercice de la profession de sage‑femme. Le verdict de culpabilité prononcé contre Mme Š. reposait sur le fait qu’elle n’avait pas fermement conseillé à la mère de s’adresser à un établissement médical lorsque celle-ci, déjà en phase de travail chez elle, l’avait consultée par téléphone. Le tribunal estima donc que Mme Š. avait donné à la future mère des conseils inadéquats, et ce sans l’examiner. La condamnation fut confirmée en appel le 29 mai 2013 par le tribunal municipal (městský soud) de Prague, mais celui-ci réduisit la peine à quinze mois d’emprisonnement avec un sursis de trente mois et à une interdiction d’exercer la profession de sage-femme pendant deux ans.

32. Le 29 avril 2014, la Cour suprême (Nejvyšší soud) annula les jugements des juridictions inférieures. Le 23 mai 2016, Mme Š. fut finalement acquittée par le tribunal de district. La procédure est semble-t-il pendante devant la juridiction d’appel.

33. Le 21 septembre 2011, le tribunal de district de Prague 3 déclara Mme K. coupable d’avoir causé par négligence un préjudice corporel à un bébé qu’elle avait aidé à mettre au monde à domicile et qui avait cessé de respirer pendant l’accouchement. Le nourrisson était décédé quelques jours plus tard. Mme K. se vit infliger une peine de deux ans d’emprisonnement assortie d’un sursis de cinq ans, se vit interdire pour cinq ans l’exercice de la profession de sage-femme et fut condamnée à verser 2,7 millions de couronnes tchèques (CZK – soit 105 000 euros (EUR)) en remboursement des frais exposés par la compagnie d’assurance pour les soins prodigués à l’enfant jusqu’à son décès. Selon le tribunal, Mme K. avait commis une faute professionnelle en ce qu’elle n’avait pas appliqué les procédures normales à suivre pour les accouchements établies par l’ordre des médecins de la République tchèque (Česká lékařská komora), et sa conduite n’avait donc pas été conforme aux règles de l’art. La plainte pénale n’avait pas été déposée par les parents mais par un hôpital.

34. Le 24 juillet 2013, la Cour constitutionnelle annula tous les jugements rendus dans la cause de Mme K. au motif qu’il y avait eu violation de son droit à un procès équitable. Elle estima que les conclusions des juridictions ordinaires sur la culpabilité de Mme K. étaient trop subjectives et n’étaient pas étayées par des éléments de preuve allant au-delà de tout doute raisonnable ; elle y voyait une violation du principe de la présomption d’innocence. Elle indiqua notamment que les tribunaux s’étaient fiés aveuglément à une expertise qu’ils n’avaient pas soumise à un examen minutieux. Elle conclut que, sur la base de cette expertise, les tribunaux avaient appliqué un critère très strict de responsabilité pour juger de la conduite de Mme K., alors que nul ne pouvait dire clairement comment, dans la situation en cause, celle-ci aurait pu empêcher le décès du bébé. La haute juridiction ajouta qu’il était établi que l’intéressée avait tenté de secourir le nouveau-né et appelé une ambulance immédiatement après avoir découvert qu’il souffrait d’hypoxie. La Cour constitutionnelle jugea que l’obligation de prévoir toute complication pouvant surgir lors d’un accouchement et de pouvoir y réagir immédiatement, comme cela avait été exigé de Mme K., aboutirait à terme de facto à une interdiction absolue des accouchements à domicile. Dans ce contexte, elle déclara ce qui suit :

« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle pour l’accouchement à l’hôpital. »

III. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La loi sur la santé publique

35. D’après l’article 12 a) 1) de la loi sur la santé publique (no 20/1966 – zákon o péči o zdraví lidu), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, un établissement dispensant des soins de santé devait disposer de moyens humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de l’offre de soins. En vertu de l’article 12 a) 2) de la loi, le ministère de la Santé devait préciser par arrêté les exigences relatives aux moyens matériels, humains et techniques dont devaient être dotés les établissements de santé.

36. L’article 18 § 1 de la loi indiquait que les soins ambulatoires – qui englobaient les consultations – étaient assurés par un médecin généraliste et des spécialistes dans des salles de consultation ou dans des établissements de soins ambulatoires partenaires.

B. La loi sur les soins dans les établissements de santé privés

37. L’article 4 § 1 de la loi sur les soins dans les établissements de santé privés (no 160/1992 – zákon o zdravotní péči v nestátních zdravotnických zařízeních), qui fut en vigueur jusqu’au 31 mars 2012, imposait aux établissements privés d’être dotés des moyens humains, matériels et techniques adaptés à la nature et à l’étendue de leur offre de soins.

38. L’article 4 § 2 b) donnait compétence au ministère de la Santé pour adopter un arrêté précisant les exigences relatives à l’équipement technique et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé privés.

39. L’article 5 § 2 a) de cette loi disposait qu’un établissement privé pouvait prodiguer les soins de santé visés dans la décision d’immatriculation de cet établissement.

40. L’article 14 indiquait que quiconque enfreignait la loi s’exposait à une amende, mais sans en préciser le montant.

C. La loi sur les professions paramédicales

41. Selon l’article 6 § 3 de la loi sur les professions paramédicales (no 96/2004 – zákon o nelékařských zdravotnických povoláních), entrée en vigueur le 1er avril 2004, l’exercice de la profession de sage-femme englobe entre autres tâches les accouchements physiologiques et les soins aux nouveau-nés.

D. L’arrêté no 424/2004 du ministère de la Santé

42. L’arrêté du ministère de la Santé sur les activités du personnel médical et d’autres spécialistes (vyhláška, kterou se stanoví činnosti zdravotnických pracovníků а jiných odborných pracovníků), qui fut en vigueur du 20 juillet 2004 au 13 mars 2011, définissait les tâches des professionnels de santé et d’autres secteurs. L’article 5 § 1 f) indiquait que les sages-femmes pouvaient pratiquer certains actes sans supervision professionnelle, dont les accouchements physiologiques en situation d’urgence et les épisiotomies si nécessaire.

E. L’arrêté no 221/2010 du ministère de la Santé

43. L’arrêté du ministère de la Santé sur les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des établissements de santé (vyhláška o požadavcích na věcné a technické vybavení zdravotnických zařízení), qui fut en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012, ne prévoyait la possibilité pour les sages-femmes de pratiquer des accouchements que dans des salles spécialement équipées à cet effet. Pareille salle devait avoir une superficie d’au moins 15 m2 et disposer de l’équipement indispensable suivant : a) un lit d’accouchement pour salle d’accouchement ou un autre dispositif approprié pour pratiquer un accouchement physiologique ; b) une lampe d’examen ; c) une pince stérile ou une bande élastique pour le cordon ombilical ; d) des ciseaux stériles ; e) un moniteur fœtal électronique ; f) un oxymètre de pouls ; g) un dispositif d’aspiration ; h) un laryngoscope et les instruments nécessaires pour dégager les voies respiratoires ; i) un lit pour les parturientes après l’accouchement ; j) un espace et une surface appropriés pour les soins aux nouveau-nés ; k) une balance pour peser les nouveau-nés ; l) un instrument de mesure de la taille des nouveau-nés ; m) une source d’oxygène médical. De plus, il devait y avoir une autre pièce d’au moins 8 m2 pour les soins à la mère et à l’enfant après la naissance, ainsi qu’une douche.

44. Ces installations devaient se trouver à une distance qui permît de pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à assurer la dernière phase de l’accouchement au sein d’un établissement de santé dispensant des soins en régime hospitalier et répondant aux exigences définies dans l’arrêté, et ce dans les quinze minutes suivant la découverte de complications.

45. En outre, l’arrêté permettait aux sages-femmes de mettre en place un « lieu d’exercice et de contact », qui devait être doté de l’équipement suivant : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme, et b) un téléphone portable.

46. Les sages-femmes devaient aussi posséder une sacoche contenant : a) un instrument de détection des bruits fœtaux ; b) du matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; c) un sphygmomanomètre ; d) un stéthoscope ; e) un thermomètre médical ; f) du matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire.

47. L’article 2 de l’arrêté accordait aux établissements de santé existant à la date de son entrée en vigueur un délai de douze mois à compter de cette date pour se conformer aux exigences relatives à l’équipement technique et matériel posées par ce texte.

L’arrêté no 234/2011, entré en vigueur le 31 août 2011, porta ce délai à vingt-huit mois.

F. La loi sur les services médicaux

48. La loi sur les services médicaux (no 372/2011 – zákon o zdravotních službách) est entrée en vigueur le 1er avril 2012. Elle a remplacé la loi sur la santé publique (paragraphes 35-36 ci-dessus), la loi sur les soins dans les établissements de santé privés (paragraphes 37-40 ci-dessus) et l’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).

49. D’après l’article 2 § 2 a), on entend par « services de santé » l’administration de soins de santé, au sens de la loi, par des professionnels de santé, ainsi que les actes pratiqués par d’autres professionnels dès lors que ces actes sont directement liés à l’administration de soins de santé.

50. L’article 2 § 4 a) 4) de la loi indique que l’on entend par « soins de santé » l’ensemble des actes et mesures de santé mis en œuvre à l’égard d’un individu, dont l’assistance lors d’un accouchement.

51. Selon l’article 4 § 1, on entend par « établissement de santé » une structure destinée à la fourniture de services de santé.

52. L’article 10 de la loi énonce que la fourniture de soins de santé dans le propre cadre de vie d’un patient – notamment à domicile – ne peut concerner que des actes auxquels ne sont pas applicables des conditions relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé.

53. Selon l’article 11 § 5 de cette loi, les services de santé ne peuvent être assurés que dans les établissements de santé indiqués dans l’autorisation relative à la fourniture de services de santé, excepté pour ceux qui sont dispensés dans le cadre de vie du patient. Dans ce cas, les prestataires de services de santé doivent disposer de leur propre lieu d’exercice et de contact pour soins à domicile.

54. L’article 11 § 6 indique qu’un établissement de santé doit posséder l’équipement technique et matériel nécessaire à la fourniture de services de santé. Cet équipement doit correspondre à la spécialisation de l’établissement ainsi qu’à la nature et à la forme des soins de santé qui y sont administrés. Les exigences relatives à l’équipement technique et matériel minimal nécessaire doivent être énoncées dans un arrêté d’application.

55. L’article 114 de la loi dispose qu’une personne fournissant un service de santé sans y être dûment autorisée s’expose à une amende pouvant aller jusqu’à 1 million de CZK (37 000 EUR).

G. Le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux

56. En ses passages pertinents, le rapport explicatif de la loi sur les services médicaux se lit ainsi :

« La (...) législation (...) appartien[t] à un ensemble de lois et règlements régissant les conditions juridiques destinées à garantir le droit constitutionnel de tous à la protection de la santé et le droit constitutionnel des citoyens à des soins médicaux gratuits au sens de l’article 31 de la Charte des droits et libertés fondamentaux, ainsi que le droit à la protection de la dignité humaine, et le droit à la vie privée et familiale et à l’intégrité physique (...)

La loi (...) définit les soins de santé professionnels (...) L’État doit réglementer [ces] soins de santé (...) ; il est tenu de veiller à l’accessibilité des services de santé et de garantir pour ces services un niveau satisfaisant de qualité et de sécurité. La condition permettant de remplir cette exigence est que les soins de santé professionnels ne peuvent être dispensés que par des prestataires de services de santé (...)

La loi (...) est l’un des éléments de la législation qui créé les conditions de l’exécution par la République tchèque de ses obligations en matière de protection de la santé et de fourniture de services de santé, telles qu’elles découlent (...) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (...) et de la Charte européenne (...) La loi prend également en considération la Convention relative aux droits de l’enfant (...)

Concernant la fourniture de services de santé, le patient se trouve sur un pied d’égalité avec le prestataire et avec le personnel médical, et a le droit de consentir ou non aux services de santé proposés, à la lumière des informations et conseils relatifs à ces services qui sont dûment fournis par le prestataire ou par une personne que le prestataire a désignée à cet effet (...)

Il est souvent plus efficace et judicieux de dispenser au patient des services de santé dans son propre cadre de vie. Celui-ci ne se limite pas nécessairement au domicile de l’intéressé ; il peut aussi s’agir d’un cadre de substitution, comme un foyer social ou un foyer pour enfants (...) Les services de santé assurés dans le cadre de vie du patient comprennent, d’une part, les soins à domicile et, d’autre part, les soins ambulatoires. Les soins à domicile ont un effet notable sur les changements touchant le système de protection médicale dans son ensemble car (...) ils permettent d’améliorer la vie des patients et de les maintenir plus longtemps dans leur environnement familier (...)

L’un des droits fondamentaux des patients est le droit au libre choix du prestataire de services de santé (...) La loi donne aux patients le droit de recevoir toutes les informations sur leur état de santé et sur les services de santé qui doivent leur être fournis (...)

Dans le cadre de l’attention portée à leur propre santé, les individus peuvent en fonction de leurs choix personnels recourir à d’autres mesures ; parmi celles-ci figurent les initiatives visant à améliorer et préserver la santé et d’autres initiatives relevant de l’ « auto-traitement » (...) La loi ne s’oppose pas à de telles mesures ; simplement, elle ne les définit pas comme faisant partie des soins de santé et des services de santé professionnels, dont la qualité est garantie par l’État. Cela tient principalement au fait qu’il n’est pas réalisable d’évaluer objectivement la qualité de ces soins et que dès lors il n’est pas possible d’en garantir la sécurité ou l’efficacité. Les services de santé ne peuvent donc être fournis que sur la base de la loi sur les services médicaux. »

H. L’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé

57. L’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement technique et matériel minimal des établissements de santé et des lieux d’exercice et de contact pour soins à domicile (vyhláška o požadavcích na minimální technické a věcné vybavení zdravotnických zařízení a kontaktních pracovišť domácí péče) est entré en vigueur le 1er avril 2012. Il a remplacé l’arrêté sur les exigences relatives à l’équipement matériel et technique des établissements de santé (paragraphes 43-47 ci-dessus).

58. Cet arrêté prévoit notamment la possibilité pour les sages‑femmes de pratiquer des accouchements dans des salles spécialement équipées à cette fin. Les exigences en matière d’équipement sont identiques à celles qui étaient définies dans l’arrêté no 221/2010. L’arrêté de 2012 contient toutefois une nouvelle prescription : en cas d’impossibilité de pratiquer une césarienne ou une intervention destinée à permettre la dernière phase de l’accouchement dans un établissement médical dispensant des soins en régime hospitalier dans les quinze minutes qui suivent la découverte de complications, il faut préparer une salle d’accouchement satisfaisant aux normes formulées dans le nouvel arrêté. De plus, le lieu où la sage-femme exerce doit lui aussi être équipé dans le respect des critères indiqués dans l’arrêté.

59. Concernant le « lieu d’exercice et de contact » pour les soins infirmiers d’ordre gynécologique ou obstétrical, l’arrêté exige que ce lieu comporte : a) du mobilier adapté au travail de sage-femme ; b) une armoire de classement si les dossiers médicaux ne sont pas conservés uniquement sous la forme électronique ; c) une connexion à un réseau public de téléphonie mobile ; d) un instrument de détection des bruits fœtaux ; e) du matériel jetable pour l’examen d’une femme enceinte ; f) un sphygmomanomètre ; g) un stéthoscope ; h) un thermomètre médical ; i) du matériel pour les premiers secours, notamment un dispositif de réanimation cardio-respiratoire, et j) une boîte pour le transport de matériel biologique. Le lieu d’exercice et de contact doit avoir une superficie d’au moins 10 m2 et être doté d’installations sanitaires pour les employés.

60. Les établissements de santé et les lieux d’exercice et de contact pour soins à domicile existant à la date de l’entrée en vigueur et répondant aux exigences du précédent arrêté se sont vu accorder un délai de neuf à douze mois pour se conformer aux prescriptions du nouveau texte.

I. L’arrêté no 99/2012 du ministère de la Santé

61. L’arrêté sur les exigences minimales applicables au personnel fournissant des services de santé (vyhláška o požadavcích na minimální personální zabezpečení zdravotních služeb) est entré en vigueur le 1er avril 2012. Le chapitre intitulé « Exigences applicables au personnel fournissant des soins à domicile » indique que les soins infirmiers d’ordre gynécologique et obstétrical doivent être dispensés par une sage-femme qualifiée pour exercer son métier de manière indépendante ou, lorsqu’il y a lieu de pratiquer des actes visés par une autre disposition juridique, par une sage-femme possédant une qualification particulière et compétente pour exercer son métier de manière indépendante (qualification en soins intensifs, en soins intensifs de néonatalogie, ou en soins de proximité).

IV. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine)

62. Les dispositions pertinentes de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine sont ainsi libellées :

Article 5 – Règle générale

« Une intervention dans le domaine de la santé ne peut être effectuée qu’après que la personne concernée y a donné son consentement libre et éclairé.

Cette personne reçoit préalablement une information adéquate quant au but et à la nature de l’intervention ainsi que quant à ses conséquences et ses risques.

La personne concernée peut, à tout moment, librement retirer son consentement. »

Article 6 – Protection des personnes n’ayant pas
la capacité de consentir

« (...) une intervention ne peut être effectuée sur une personne n’ayant pas la capacité de consentir, que pour son bénéfice direct.

Lorsque, selon la loi, un mineur n’a pas la capacité de consentir à une intervention, celle-ci ne peut être effectuée sans l’autorisation de son représentant, d’une autorité ou d’une personne ou instance désignée par la loi (...) »

Article 8 – Situations d’urgence

« Lorsqu’en raison d’une situation d’urgence le consentement approprié ne peut être obtenu, il pourra être procédé immédiatement à toute intervention médicalement indispensable pour le bénéfice de la santé de la personne concernée. »

63. De plus, le rapport explicatif de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine précise en son paragraphe 34 qu’ « [à] l’instar de l’article 4, [l’article 5] entend le terme « intervention » dans son sens le plus large, c’est-à-dire comme comprenant tout acte médical, en particulier les interventions effectuées dans un but de prévention, de diagnostic, de thérapie, de rééducation ou de recherche ».

B. La Convention relative aux droits de l’enfant

64. Les dispositions pertinentes de la Convention relative aux droits de l’enfant se lisent ainsi :

Article 3

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

2. Les États parties s’engagent à assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.

(...) »

Article 5

« Les États parties respectent la responsabilité, le droit et le devoir qu’ont les parents ou, le cas échéant, les membres de la famille élargie ou de la communauté, comme prévu par la coutume locale, les tuteurs ou autres personnes légalement responsables de l’enfant, de donner à celui-ci, d’une manière qui corresponde au développement de ses capacités, l’orientation et les conseils appropriés à l’exercice des droits que lui reconnaît la présente Convention. »

Article 6

« 1. Les États parties reconnaissent que tout enfant a un droit inhérent à la vie.

2. Les États parties assurent dans toute la mesure possible la survie et le développement de l’enfant. »

Article 18

« 1. Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement. La responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe au premier chef aux parents ou, le cas échéant, à ses représentants légaux. Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant.

(...) »

Article 24

« 1. Les États parties reconnaissent le droit de l’enfant de jouir du meilleur état de santé possible et de bénéficier de services médicaux et de rééducation. Ils s’efforcent de garantir qu’aucun enfant ne soit privé du droit d’avoir accès à ces services.

2. Les États parties s’efforcent d’assurer la réalisation intégrale du droit susmentionné et, en particulier, prennent les mesures appropriées pour :

a) Réduire la mortalité parmi les nourrissons et les enfants ;

(...)

d) Assurer aux mères des soins prénatals et postnatals appropriés ;

(...) »

C. Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes

65. Dans la section « Santé » de ses observations finales du 22 octobre 2010 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/5), le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a notamment formulé les recommandations suivantes :

« 36. Tout en reconnaissant la nécessité d’assurer le maximum de sécurité aux mères et aux nouveau-nés pendant l’accouchement et en relevant le faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie, le Comité prend acte d’informations faisant état d’ingérences dans les choix des femmes en matière de santé génésique dans les hôpitaux, notamment d’interventions médicales courantes, qui auraient souvent lieu sans le consentement préalable, libre et éclairé de la femme ou en dehors de toute prescription médicale, d’un accroissement rapide du taux de recours aux césariennes, de la séparation des nouveau-nés de leur mère pendant de longues heures sans motif lié à leur état de santé, d’un refus d’autoriser la mère et l’enfant à quitter l’hôpital dans les soixante-douze heures qui suivent l’accouchement et d’attitudes paternalistes de la part des médecins qui empêchent les femmes d’exercer leur liberté de choix. Il note également les informations selon lesquelles les femmes auraient peu de possibilités d’accoucher en dehors des hôpitaux.

37. Le Comité recommande à l’État partie de songer à adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de santé génésique, d’adopter un protocole normatif en matière de soins périnatals qui garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions médicales inopportunes, de faire en sorte que toutes les interventions ne puissent être effectuées qu’avec le consentement préalable libre et éclairé de la femme, de surveiller la qualité des soins dans les maternités, de dispenser une formation obligatoire à tous les personnels de santé au sujet des droits des patients et des normes éthiques connexes, de continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment en diffusant des informations, et d’envisager des mesures pour faire en sorte que les accouchements pratiqués en dehors des hôpitaux par des sages-femmes soient une option sans danger et abordable pour les femmes. »

66. Dans ses observations finales du 14 mars 2016 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), le Comité a émis les recommandations qui suivent :

« 4. Le Comité salue les progrès accomplis depuis l’examen, en 2010, du cinquième rapport périodique de l’État partie (CEDAW/C/CZE/CO/5) en ce qui concerne la mise en place des réformes législatives, notamment l’adoption de :

a) La loi no 372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre de ces services (loi sur les services de santé), telle que modifiée par la loi no 167/2012 Coll. ;

(...)

30. Le Comité se félicite du faible taux de mortalité périnatale dans l’État partie. Il relève toutefois avec préoccupation que, d’après certaines informations, les conditions dans lesquelles se déroulent les accouchements et les conditions prévalant dans les services obstétricaux continueraient de restreindre indûment le choix des femmes en matière de santé procréative, s’agissant notamment :

a) De la séparation injustifiée des nouveau-nés de leur mère sans raison médicale ;

b) De l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à domicile ;

c) De la pratique fréquente de l’épisiotomie sans nécessité médicale, contre la volonté de la mère qui préfère que le médecin s’abstienne d’y recourir ;

d) Des conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être fait appel aux services de sages-femmes à la place de ceux du médecin/gynécologue dans les cas où il n’y a aucun risque pour la santé.

31. Le Comité renouvelle sa précédente recommandation faite à l’État partie d’envisager d’adopter dans les meilleurs délais une loi sur les droits des patients, y compris les droits des femmes en matière de santé procréative. Pour cela, l’État partie devrait :

a) Adopter des lignes directrices claires pour que la séparation des nouveau-nés d’avec leur mère soit subordonnée à des impératifs médicaux ;

b) Mettre en place un système de soins de santé prénatals qui permette d’évaluer efficacement la faisabilité d’un accouchement à domicile et la possibilité de faire ce choix ;

c) À la lumière de la récente adoption de la loi no 372/2011 Coll. relative aux services de santé et aux conditions d’offre de ces services, garantir sa mise en œuvre effective dans le respect de la Convention, notamment par l’adoption et [l’application] d’un protocole de soins pour les naissances sans problèmes qui garantisse le respect des droits des patients et permette d’éviter les interventions médicales inopportunes, faire en sorte que les interventions ne puissent être effectuées qu’avec le consentement préalable, libre et éclairé de la femme, contrôler la qualité des soins dispensés dans les maternités, prévoir une formation obligatoire à l’intention de tous les personnels de santé portant sur les droits des patients et les normes éthiques connexes et continuer de sensibiliser les patients à leurs droits, notamment en diffusant ces informations ;

d) Prendre des mesures, notamment d’ordre législatif, pour que les accouchements pratiqués par des sages-femmes en dehors des hôpitaux soient une option sans danger et abordable pour les femmes. »

V. ÉLÉMENTS DE DROIT COMPARÉ

67. D’après les informations dont la Cour dispose, l’accouchement programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et réglementé dans vingt États membres du Conseil de l’Europe (l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, le Danemark, l’Estonie, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la France, la Grèce, la Hongrie, l’Irlande, l’Islande, l’Italie, la Lettonie, le Liechtenstein, le Luxembourg, les Pays‑Bas, la Pologne, le Royaume-Uni, la Suède et la Suisse). Dans ces pays, le droit d’accoucher à domicile n’est jamais absolu et reste toujours subordonné au respect de certaines conditions médicales. De plus, dans quinze de ces États seulement, l’assurance maladie nationale prend en charge les accouchements à domicile.

68. Il ressort également que l’accouchement à domicile n’est pas réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois États membres (l’Albanie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Bosnie-Herzégovine, la Bulgarie, la Croatie, l’Espagne, la Finlande, la Géorgie, la Lituanie, Malte, la République de Moldova, Monaco, le Monténégro, le Portugal, la Roumanie, la Russie, Saint-Marin, la Serbie, la Slovaquie, la Slovénie, la Turquie et l’Ukraine). Il apparaît que dans certains de ces pays l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale nationale. Par ailleurs, l’étude n’a pas permis de découvrir de législation qui interdise l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Dans un très petit nombre d’États membres parmi ceux étudiés, des sanctions disciplinaires ou pénales sont possibles mais semblent toutefois rarement infligées.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

69. Les requérantes se plaignent que le droit tchèque n’autorisait pas les professionnels de santé à les assister pendant leur accouchement à domicile. Elles y voient une violation du droit au respect de la vie privée consacré par l’article 8 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

70. Le Gouvernement conteste la thèse des requérantes.

A. L’arrêt de la chambre

71. Dans son arrêt du 11 décembre 2014, la chambre a conclu à la non‑violation de l’article 8 de la Convention. Elle a estimé que donner la vie était un aspect particulièrement intime de la vie privée d’une mère, qui englobait des questions touchant à l’intégrité physique et morale, à l’acte médical, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à la santé. Elle a indiqué que les décisions concernant les conditions de l’accouchement, y compris le choix du lieu, relevaient donc de la vie privée de la mère aux fins de l’article 8. Elle a jugé qu’il convenait d’analyser les griefs des requérantes sous l’angle des obligations négatives et que l’impossibilité pour les intéressées de se faire assister par une sage-femme pour accoucher chez elles s’analysait en une ingérence dans l’exercice par elles de leur droit au respect de leur vie privée.

72. La chambre a ajouté que l’ingérence était prévue par la loi, étant donné que, même si la législation n’était pas tout à fait claire, les requérantes pouvaient néanmoins prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce, que l’assistance d’un professionnel de santé pour un accouchement à domicile n’était pas autorisée par la loi. Elle a dit que l’ingérence poursuivait un but légitime en ce qu’elle était destinée à protéger la santé et la sécurité des nouveau-nés et, au moins indirectement, celles des mères.

73. Sur le point de savoir si l’ingérence était nécessaire dans une société démocratique, la chambre a estimé que l’État défendeur devait jouir d’une ample marge d’appréciation en raison de la nécessité pour les autorités nationales de procéder à une analyse de données spécialisées et scientifiques concernant les risques afférents à l’accouchement à l’hôpital d’une part et à l’accouchement à domicile d’autre part, de la nécessité d’une grande implication de l’État due à la vulnérabilité des nouveau-nés et à leur dépendance à l’égard d’autres personnes, de l’absence d’une claire communauté de vues entre les États membres sur la question de l’accouchement à domicile et, enfin, de considérations générales de politique sociale et économique, notamment l’allocation de ressources à la création d’un système d’urgence adéquat pour les accouchements à domicile.

74. La chambre a dit que la situation en question avait pesé lourdement sur la liberté de choix des requérantes, alors que le Gouvernement s’était principalement intéressé à l’objectif légitime que constitue la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle a ajouté qu’en fonction de sa nature et de sa gravité, l’intérêt de l’enfant pouvait l’emporter sur celui du parent, lequel n’était pas autorisé en vertu de l’article 8 de la Convention à prendre des mesures préjudiciables à la santé et au développement de l’enfant. Pour la chambre, même si aucun conflit d’intérêts n’opposait généralement une mère et son enfant, on pouvait considérer que certains choix concernant le lieu, les conditions ou la méthode d’accouchement engendraient un risque accru pour la santé et la sécurité du nouveau-né, comme l’attestaient les chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals.

75. La chambre a estimé que si la majorité des études dont elle disposait sur la sécurité des accouchements à domicile indiquaient que ceux‑ci ne présentaient pas plus de risques que les accouchements à l’hôpital, cela n’était vrai que sous certaines conditions, c’est-à-dire si l’accouchement était « à faible risque », s’il se déroulait en présence d’une sage-femme qualifiée et non loin d’un hôpital pouvant accueillir la mère en cas d’urgence. La chambre en a déduit que dans une situation telle que celle prévalant en République tchèque, où les professionnels de santé n’avaient pas le droit d’aider les mères à accoucher à domicile et où aucune aide d’urgence spéciale n’était disponible, le risque pour la vie et la santé des mères et des nouveau-nés était en fait accru. Relevant cependant l’argument du Gouvernement selon lequel le risque pour les nouveau-nés était plus élevé en cas d’accouchement à domicile, la chambre a dit qu’il était vrai que même si une grossesse se déroulait apparemment sans complications, des difficultés inattendues nécessitant une intervention médicale spécialisée pouvaient survenir au moment de l’accouchement. Elle a conclu que dans ces conditions on ne pouvait affirmer que les mères concernées, dont les requérantes, avaient eu à supporter une charge disproportionnée et excessive et qu’en conséquence, en adoptant et en appliquant la politique relative aux accouchements à domicile, les autorités tchèques n’avaient pas outrepassé l’ample marge d’appréciation qui leur était accordée ni compromis le juste équilibre requis entre les intérêts concurrents.

76. Enfin, la chambre a observé qu’en dépit de cette conclusion les autorités devaient soumettre les dispositions pertinentes à un examen constant afin de prendre en compte les avancées médicales, scientifiques et juridiques.

B. Thèses des parties devant la Grande Chambre

1. Les requérantes

a) Sur les obligations négatives ou positives

i. Mme Dubská

77. La requérante soutient que la présente affaire concerne la protection de la santé des femmes et de leurs enfants, qui à son avis se trouve gravement compromise lorsque l’État autorise les femmes à accoucher chez elles tout en adoptant des règles qui les empêchent de bénéficier de l’assistance d’une sage-femme. Invoquant l’arrêt de la chambre, elle allègue que l’État a porté atteinte à sa vie privée. Elle estime que l’affaire peut être analysée à travers le prisme des obligations tant positives que négatives, mais qu’il convient d’apprécier l’espèce principalement sous l’angle des obligations négatives, l’interdiction faite aux sages-femmes d’aider les femmes à accoucher à domicile pouvant selon elle être perçue comme une ingérence dans l’exercice de son droit au respect de sa vie privée. Elle considère en d’autres termes que la politique suivie par l’État a eu pour conséquence directe de l’empêcher d’obtenir l’assistance d’une sage-femme lors de son accouchement.

ii. Mme Krejzová

78. La requérante déclare que l’impossibilité pratique à laquelle elle s’est heurtée de choisir un autre mode d’accouchement et l’obligation où elle s’est trouvée de se résigner à une prise en charge à l’hôpital – où elle aurait été soumise à des actes obstétricaux violents – ont constitué une grave violation de son droit à décider des conditions de son accouchement et une atteinte à son droit à l’intégrité physique et morale découlant de l’article 8 de la Convention. Tout en estimant que les circonstances de l’espèce plaident plutôt en faveur d’un examen sous l’angle des obligations positives de l’État, elle souhaite appliquer une approche globale à la question de savoir si le préjudice subi par elle se justifiait compte tenu des principes pertinents contenus dans la Convention, étant entendu selon elle que les principes sous-jacents de légalité, de légitimité et de proportionnalité sont inhérents aux obligations positives comme aux obligations négatives de l’État.

b) Sur la légalité de l’ingérence

i. Mme Dubská

79. La requérante soutient que l’ordre juridique tchèque permet l’interprétation selon laquelle l’assistance d’un professionnel de santé est autorisée lors d’un accouchement à domicile. Selon elle, dès lors qu’un cadre juridique régit les obligations des sages-femmes, le droit des femmes à l’autodétermination et à donner un consentement éclairé, et l’existence de soins à domicile – notamment l’assistance d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile –, il est possible d’affirmer que l’on dispose d’un socle juridique et institutionnel qui autorise les femmes à choisir le lieu de leur accouchement. Reconnaître la possibilité d’opter pour l’accouchement à domicile n’exigerait pas de règle précise et explicite ni le développement des services d’urgence existants. En outre, les services d’urgence seraient déjà accessibles à toutes les femmes en République tchèque, indépendamment du lieu où elles choisissent d’accoucher et de la présence ou de l’absence d’un professionnel de santé lors de l’accouchement.

80. La requérante affirme que la législation relative à l’accouchement à domicile garantit à la patiente la liberté de décider d’accoucher chez elle en toute légalité mais que cette législation, ou tout au moins l’interprétation qui en est faite, n’est pas claire et n’offre aucune certitude quant à la possibilité pour une sage-femme d’intervenir à domicile.

81. Elle indique que l’arrêté no 221/2010, qui était en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012, n’a pas modifié la réglementation sur l’accouchement à domicile ni interdit l’assistance lors d’un tel accouchement. Elle expose que l’arrêté mentionnait trois lieux d’exercice possibles pour les sages-femmes : ceux où les accouchements étaient autorisés, ceux où les accouchements physiologiques n’étaient pas autorisés, et les cabinets pour les soins à domicile. En fait, cet arrêté n’aurait pas interdit aux sages-femmes de pratiquer des accouchements à domicile, si bien qu’il aurait été malaisé de déterminer si une praticienne disposant d’un cabinet pour les soins à domicile pouvait ou non prêter son assistance lors d’un accouchement à domicile (donc en dehors de son lieu d’exercice). À ce sujet, la requérante ajoute que l’article 18 § 1 de la loi sur la santé publique autorisait les soins à domicile dans le cadre des soins de santé. Selon elle, l’arrêté en question n’encadrait pas avec précision les activités des sages‑femmes. La requérante indique que même une sage‑femme exerçant dans un lieu immatriculé où les accouchements n’étaient pas autorisés pouvait fort bien fournir une assistance lors d’un accouchement en milieu hospitalier et accompagner la future mère à l’hôpital (bien qu’elle n’en fût pas salariée) dès lors qu’elle avait conclu un contrat spécial avec l’établissement en question. L’arrêté n’aurait été en vigueur que jusqu’au 31 mars 2012 et il n’aurait donc rien pu changer à la situation ambiguë qui avait cours avant son adoption. En effet, en son article 2 § 1 il aurait accordé aux établissements de santé existant avant son entrée en vigueur une période transitoire de douze mois pour se conformer aux exigences qu’il posait. La requérante plaide à cet égard qu’à l’époque où elle a mis au monde son enfant l’arrêté n’était en vigueur que depuis huit mois et les établissements de santé existants – y compris les sages-femmes, qui se seraient heurtées à une procédure d’enregistrement floue et imprévisible – n’étaient pas encore tenus de s’y conformer.

82. Invoquant l’arrêt rendu par la Cour dans l’affaire Gillan et Quinton c. Royaume-Uni (no 4158/05, § 77, CEDH 2010 (extraits)), la requérante argue que la législation applicable ne fixait aucune limite aux décisions du ministère de la Santé relatives aux conditions auxquelles était subordonné l’exercice du métier de sage-femme en République tchèque. Par ailleurs, en l’absence, selon elle, de dispositions régissant directement l’accouchement à domicile, il n’y aurait pas eu de règles claires et transparentes pour les administrations régionales appelées à décider si une sage-femme pouvait se voir délivrer une autorisation et à définir ce que couvrait cette autorisation.

83. La requérante indique que ce n’est qu’après son accouchement que la loi sur les services médicaux (no 372/2011) a été adoptée et est entrée en vigueur (le 1er avril 2012), et qu’il en est de même pour l’arrêté no 92/2012. Elle estime que la teneur et les principes des dispositions juridiques sont restés inchangés. En effet, selon elle, la loi sur les services médicaux considère les soins à domicile comme l’une des formes de soins de santé possibles, et fait des soins infirmiers une variante de cette forme d’intervention (article 10). Or la définition des soins infirmiers engloberait clairement les soins dispensés pendant la grossesse et l’accouchement (article 5 § 2 g)). Quant à l’arrêté, il définirait l’équipement technique dont doivent disposer les sages-femmes donnant des soins à domicile (annexe 9 à l’arrêté). La loi contiendrait toutefois une nouvelle disposition, qui consacrerait le droit des patients de bénéficier de services de santé dans l’environnement le moins contraignant possible, sous réserve que la qualité et la sécurité de ces services soient garanties (article 28 § 3 k)). Ni la loi ni l’arrêté ne comporteraient de restrictions empêchant les sages-femmes de fournir, dans le cadre des soins à domicile, des services de santé à une femme qui accouche chez elle. Pourtant, le Gouvernement et d’autres autorités publiques feraient de la législation une interprétation qui interdit aux sages-femmes d’offrir une assistance pour des accouchements à domicile, ce qui aurait clairement un effet dissuasif sur les praticiennes et les conduirait à refuser d’apporter leur concours lors de tels accouchements. La loi ne serait ni accessible ni prévisible dans son application, dès lors qu’elle se prêterait à différentes interprétations. En conséquence, la requérante conteste la conclusion de la chambre selon laquelle elle aurait raisonnablement pu prévoir que la loi n’autorisait pas l’assistance d’un professionnel de santé lors d’un accouchement à domicile.

ii. Mme Krejzová

84. La requérante convient avec le Gouvernement qu’à la date à laquelle elle a mis son enfant au monde, en mai 2012, le droit tchèque n’autorisait pas les accouchements à domicile assistés. Elle plaide toutefois que pendant la majeure partie de sa grossesse c’était la législation en vigueur avant avril 2012 qui lui était applicable. Elle rappelle à cet égard qu’avant le 1er avril 2012 aucune disposition légale n’empêchait les sages-femmes de dispenser des soins lors d’un accouchement à domicile. Elle indique que pour pouvoir prodiguer des soins, une sage-femme devait notamment être titulaire d’une autorisation d’exercer lui permettant d’être assimilée à un prestataire de soins non public. Après l’adoption de l’arrêté no 221/2010, qui aurait imposé aux sages-femmes de disposer de moyens humains, matériels et techniques identiques à ceux dont sont équipées les salles d’accouchement dans les maternités, plus aucune sage‑femme n’aurait obtenu cette autorisation. Toutefois, malgré les obligations très lourdes qu’il aurait fait peser sur les praticiennes en matière d’équipement, cet arrêté n’aurait pas automatiquement rendu caduques les autorisations déjà délivrées. Ainsi, malgré la persistance de ces impératifs concernant l’équipement, certaines sages-femmes auraient pu en théorie poursuivre leur activité dans le respect des normes antérieures ou, plus exactement, dans le vide juridique qui aurait existé. En conséquence, les femmes enceintes n’auraient eu aucune certitude juridique sur le point de savoir si elles pouvaient bénéficier de l’assistance d’une sage-femme pour un accouchement à domicile et les praticiennes n’en auraient pas eu davantage quant à la question de savoir si elles étaient légalement autorisées à fournir pareille assistance. Cette situation serait contraire aux principes de prévisibilité et d’absence d’arbitraire.

85. En ce qui concerne la réglementation introduite en 2012, à savoir l’arrêté no 92/2012, qui de façon générale aurait également imposé de lourdes obligations aux sages-femmes en matière de moyens humains, matériels et techniques, la requérante soutient qu’elle n’a pas été adoptée selon la procédure obligatoire prévue pour l’adoption de textes réglementaires par le ministère de la Santé. Les ministères seraient en effet tenus de faire réaliser une étude d’impact pour tout nouveau règlement. Or, selon la requérante, ces études d’impact n’avaient pas été réalisées, et encore moins publiées, lorsque le processus d’adoption des arrêtés nos 221/2010 et 92/2012 a démarré, de sorte qu’il n’y aurait pas eu de contrôle effectif du public sur l’exercice du pouvoir législatif délégué au ministère de la Santé.

c) Sur l’existence d’un but légitime

i. Mme Dubská

86. La requérante considère que la chambre a admis à tort l’existence du « but légitime » invoqué par le Gouvernement. À ses yeux, la politique mise en œuvre par l’État n’a pas pour effet de protéger la santé et la vie des femmes et de leurs enfants, mais d’aggraver les risques auxquels leur santé et leur vie sont exposées. Il n’y aurait aucun lien logique entre le but légitime déclaré, à savoir la protection de la vie et de la santé des femmes et des enfants, et l’atteinte au droit à la protection de la vie privée que constituerait le fait d’empêcher un professionnel qualifié de fournir des soins lors d’un accouchement à domicile. Au contraire, cette interdiction ferait peser un risque accru sur la santé et la vie des femmes.

ii. Mme Krejzová

87. La requérante soutient qu’en l’espèce on ne pouvait poursuivre aucun but légitime en l’empêchant de bénéficier de l’assistance d’une sage‑femme.

88. Par définition, le principe de légitimité exigerait que le but poursuivi fût précis, ce qui supposerait que l’État eût une bonne connaissance du domaine spécifique à réglementer, ainsi que de ses dysfonctionnements ou de la marge d’amélioration. La requérante argue que la nécessité de bien connaître le domaine concerné est évidente en l’espèce, compte tenu de la question complexe en cause, nécessitant l’avis d’experts médicaux et des données scientifiques sur les risques relatifs de l’accouchement en milieu hospitalier ou à domicile. Elle estime que la législation spécifique adoptée par l’État a totalement privé les femmes de la possibilité de se faire aider par une sage-femme lors d’un accouchement programmé en dehors du milieu hospitalier, et qu’en conséquence il était raisonnable d’attendre que cette mesure fût suffisamment étayée par des données scientifiques et par l’avis d’experts pour être justifiée et satisfaire au critère de légitimité.

89. La requérante ajoute qu’en fait depuis 1992 les femmes tchèques pouvaient recourir en toute légalité aux services d’une sage-femme pour accoucher à domicile, et ce jusqu’à ce que les mesures adoptées en 2010 et 2012 les privent du droit de décider des circonstances de leur accouchement. Le Gouvernement aurait donc eu deux décennies pour recueillir des données scientifiques sur les actes effectués par les sages‑femmes en dehors d’une structure hospitalière et pour analyser cette pratique en profondeur. Or il n’aurait même jamais indiqué avoir réalisé pareille analyse de fond. Ainsi, lorsqu’en 2010 et 2012 il aurait privé les femmes du droit de choisir les circonstances de la naissance de leur enfant, le Gouvernement n’aurait eu aucune connaissance ni des inconvénients et risques liés aux accouchements à domicile assistés auxquels la législation en question entendait mettre fin, ni du but positif recherché.

d) Sur la nécessité dans une société démocratique

i. Mme Dubská

90. La requérante considère qu’il y a lieu de distinguer la présente espèce des affaires Stübing c. Allemagne (no 43547/08, 12 avril 2012) et A, B et C c. Irlande ([GC], no 25579/05, CEDH 2010), toutes deux évoquées par la chambre. La Cour aurait estimé dans les arrêts en question que ces affaires concernaient des questions de nature « morale » et que l’affaire A, B et C c. Irlande avait trait à des problèmes particulièrement « sensibles » dans le pays en cause, ce qui l’aurait conduite à reconnaître une ample marge d’appréciation à l’État malgré l’existence d’une approche commune ou d’un consensus au sein des États membres.

91. Les questions en jeu dans la présente affaire n’auraient pas de caractère moral ou sensible, et la République tchèque n’aurait pas laissé entendre qu’il en était ainsi ou que le but ou l’intérêt poursuivi par l’ingérence de l’État dans l’exercice des droits de la requérante découlant de l’article 8 était la protection de la morale publique. De plus, la chambre aurait fait fausse route en affirmant qu’il n’existait pas d’approche commune claire en ce qui concerne l’assistance de professionnels qualifiés pour les accouchements à domicile. En fait, selon la requérante, sur trente‑deux États membres du Conseil de l’Europe étudiés, seize autoriseraient expressément cette assistance à certaines conditions, cinq l’admettraient dans la pratique sans toutefois avoir adopté de dispositions expresses, tandis que dans deux autres une législation autorisant les accouchements à domicile serait actuellement à l’étude. La requérante estime que les États membres ont, dans une large mesure, une communauté de vues sur le fait que le meilleur moyen de protéger l’intérêt des femmes désireuses d’accoucher chez elles consiste à autoriser les sages-femmes à les assister.

92. La requérante considère par ailleurs que l’approche répressive adoptée par la République tchèque peut avoir des répercussions sur la possibilité pour les femmes d’exercer d’autres droits fondamentaux, comme le droit à la vie et le droit à la santé. Elle est d’avis qu’en rendant les accouchements à domicile moins sûrs pour les mères, l’État fait peser un risque sur ces autres droits, ce qui plaiderait en faveur d’une marge d’appréciation étroite. Elle ajoute que l’avis d’experts internationaux sur la santé maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés auprès des parturientes confirme l’approche qui, d’après elle, fait l’objet d’un consensus au sein des États membres. À cet égard, elle renvoie à des avis émanant de l’Organisation mondiale de la santé.

93. La requérante estime que la chambre, lorsqu’elle admet que la pratique de la plupart des hôpitaux tchèques est discutable quant au respect des choix des mères, use d’un doux euphémisme pour décrire un traitement qui constituerait souvent un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la Convention. De l’avis de la requérante, une femme qui accouche à l’hôpital en République tchèque risque fort de subir des actes irrespectueux de ses choix, voire, comme cela arriverait souvent, préjudiciables à sa santé et à celle du nouveau-né. De surcroît, les tribunaux internes se montreraient régulièrement incapables de protéger les femmes dont les droits auraient été violés dans des maternités tchèques. Il s’agirait là d’un type de violence qui, dans le contexte tchèque, serait minimisé ou totalement ignoré.

94. La requérante considère par ailleurs qu’en empêchant les sages‑femmes et autres professionnels qualifiés d’assister les femmes qui accouchent à domicile, l’État applique une politique non conforme aux normes internationales relatives à l’élimination de la mortalité et de la morbidité maternelles et infantiles évitables. Elle ajoute, sans donner de précisions, que la situation en République tchèque va à l’encontre des obligations qui incombent à l’État en vertu du droit de l’Union européenne.

ii. Mme Krejzová

95. La requérante estime que le droit pour une femme de choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde touche à la notion générale de choix, qui aurait une dimension quantitative et une dimension qualitative, lesquelles devraient l’une et l’autre être présentes simultanément.

96. Il ne prêterait pas à controverse entre les parties que la loi sur les services médicaux et l’arrêté no 92/2012 interdisent aux sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement se déroulant en dehors du milieu hospitalier et que la requérante était contrainte d’accoucher à l’hôpital si elle voulait bénéficier de l’assistance de personnel médical qualifié. Le système en place pour l’accouchement en République tchèque ne proposerait donc qu’une seule option, de sorte qu’il serait par essence incompatible avec l’idée que la femme doit pouvoir choisir les circonstances dans lesquelles elle souhaite accoucher.

97. La requérante soutient que les problématiques liées à la grossesse et à l’accouchement, et au degré de liberté des femmes à cet égard, soulèvent également d’importantes questions concernant les relations hommes‑femmes. Elle argue que le domaine des droits génésiques des femmes, qui selon elle est par définition féminin, est passé sous l’emprise des hommes. Elle estime que la raison en est notamment que la profession médicale a transformé l’accouchement et déplacé le cadre de celui-ci, ce qui aurait affaibli le rôle naturel des femmes. Le déplacement en question aurait introduit, dans le domaine de la grossesse et de la naissance, une nouvelle hiérarchie qui ne cadrerait pas avec la prise en charge de l’accouchement par les sages-femmes, basée sur une approche globale et féminine. Dans cette discipline dominée par les hommes que serait l’obstétrique biomédicale, le corps de la femme perdrait son intimité fondamentale et deviendrait vulnérable face à un expert médical de sexe masculin agissant comme une sorte d’autorité publique.

98. La requérante considère que la grossesse et l’accouchement sont les aspects les plus intimes de la vie d’une femme, alors que, dans cet acte délicat qu’est la mise au monde d’un enfant, elle est obligée par la force des choses de mettre à nu devant des tiers son corps et ses émotions les plus profondes. Le droit d’une personne à l’autodétermination engloberait sa liberté de décider si et dans quelle mesure elle veut ou non montrer son corps à tel ou tel tiers. À cet égard les parturientes ne pourraient pas ipso facto exercer le même contrôle sur leur corps au motif qu’elles seraient obligées pendant l’accouchement de partager avec d’autres ce qu’elles ont de plus intime. Le droit de la femme à l’autodétermination serait naturellement limité dans ce contexte, si bien que des mécanismes destinés à compenser ces limitations seraient nécessaires. Le droit de la femme de choisir les conditions dans lesquelles elle met son enfant au monde serait l’un de ces principaux mécanismes. La requérante estime donc que son droit de décider des conditions de son accouchement est destiné à compenser la limitation de son droit à l’autodétermination, et qu’en conséquence il ne peut en principe subir d’autres restrictions découlant de la marge d’appréciation du Gouvernement, laquelle devrait pour cette raison être étroite.

99. Concernant l’existence d’un consensus européen en la matière, la requérante indique que sur trente-trois États parties à la Convention, quatre seulement, dont la République tchèque, tiennent pour illégal les accouchements assistés en dehors d’une structure hospitalière et rendent passibles de sanctions les professionnels de santé qui les pratiquent. De même que l’existence d’un consensus européen restreindrait la marge d’appréciation du Gouvernement sur la base d’un critère quantitatif, l’idée que la Convention est un instrument vivant restreindrait plus encore l’étendue de cette marge sur la base d’un critère qualitatif. La marge d’appréciation serait d’autant plus étroite que des valeurs communes aux États membres seraient identifiées à la lumière non seulement de la Convention mais aussi d’autres instruments internationaux – même non contraignants ou non ratifiés par la majorité des États parties à la Convention –, et également de la pratique générale, du climat moral et des comportements observés dans les États membres.

100. La requérante soutient par ailleurs que confier à l’hôpital le monopole des soins n’améliore pas la sécurité des nouveau-nés mais accroît les risques pour les mères, y compris le risque d’actes obstétricaux violents, et que les accouchements à domicile n’ont pas d’incidence négative sur la mortalité périnatale.

101. Concernant le juste équilibre qu’il y aurait lieu de ménager entre intérêts privés et publics concurrents, l’accouchement à domicile serait une solution plus sûre que l’accouchement à l’hôpital pour les femmes ayant une grossesse à faible risque en ce qu’il n’impliquerait pas d’actes invasifs, systématiques et néfastes, et l’intérêt public à protéger la santé et la sécurité des femmes enceintes ne pourrait donc pas passer pour primer l’intérêt privé de la requérante. La santé et la sécurité des nouveau-nés ne constitueraient pas davantage l’intérêt public en jeu. Il serait en fait établi que l’accouchement médicalisé en milieu hospitalier et l’accouchement à domicile assisté sont équivalents du point de vue de la santé et de la sécurité des nouveau-nés. En conséquence, une prise en charge obstétricale de la naissance n’étant pas, selon la requérante, plus sûre qu’un accouchement à domicile assisté, cet aspect ne pourrait pas davantage constituer un intérêt public légitime de nature à l’emporter sur le droit pour la requérante de choisir les conditions de son accouchement.

102. La requérante soutient qu’il existe d’autres motifs étayant le défaut de proportionnalité et l’absence d’un juste équilibre entre intérêts concurrents : l’obligation de se résoudre à recevoir des soins médicaux non désirés, les effets négatifs des mesures prises par le Gouvernement sur les accouchements hors milieu hospitalier ou encore le manquement du Gouvernement aux obligations lui incombant en vertu de traités internationaux.

2. Le Gouvernement

103. D’emblée, le Gouvernement informe la Cour des évolutions récentes intervenues dans les domaines de l’obstétrique, du métier de sage‑femme et des droits connexes des femmes. Il indique qu’en 2014 a été créé un comité gouvernemental d’experts composé de spécialistes issus de diverses disciplines pertinentes, parmi lesquels des représentants des patients, d’associations de sages-femmes, d’associations de médecins, du ministère de la Santé, de compagnies d’assurance maladie publiques et d’avocats. Ce comité se pencherait principalement sur la complexité du système tchèque de soins obstétricaux et de soins dispensés par des sages‑femmes, notamment sur la question du respect des droits et des souhaits des femmes, dont le droit de choisir entre différentes options pour accoucher. Il aurait vocation à agir en tant qu’organe spécialisé et serait habilité à adresser des recommandations, y compris d’ordre législatif, au gouvernement par le biais du Conseil gouvernemental pour l’égalité des chances entre les femmes et les hommes.

104. Le Gouvernement indique par ailleurs que, dans une déclaration officielle publiée en 2015, la Société tchèque de gynécologie et d’obstétrique a dégagé les principes directeurs suivants relativement aux soins obstétricaux dispensés en République tchèque : prestation de ces soins par des médecins et par des sages-femmes uniquement dans des locaux dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants ; coopération étroite entre médecins et sages-femmes dans le domaine des soins obstétricaux ; pour les grossesses physiologiques, adoption d’une pratique laissant aux sages-femmes à titre principal le soin de se charger des accouchements ; prestation de soins selon des protocoles régulièrement mis à jour et reflétant les tendances scientifiques et internationales ; respect des droits de la patiente à l’intimité, à l’autonomie et à des soins assurés dans le respect de sa personne.

105. Le Gouvernement évoque également divers articles scientifiques, publiés depuis 2013 par l’American Journal of Obstetrics and Gynecology, qui traiteraient de nouvelles études sur la sécurité de l’accouchement dans différents cadres et avec l’assistance de différents professionnels de l’accouchement. D’après les conclusions de ces recherches, les accouchements à domicile présenteraient un bilan moins bon que les accouchements dans des établissements de santé dûment équipés, indépendamment des professionnels présents. L’accouchement à domicile ne satisferait donc pas aux normes actuelles concernant la sécurité des patients en matière de soins obstétricaux dès lors qu’il présenterait un risque accru, inutile, évitable et irrémédiable de dommages pour les parturientes, les fœtus et les nouveau-nés.

a) Sur les obligations négatives ou positives

106. Le Gouvernement soutient que l’affaire doit être examinée sur le seul terrain des obligations positives, que le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé et qu’en pareil cas les autorités n’infligent pas de sanctions. Il estime qu’en conséquence la principale question en l’espèce est de savoir si l’État doit élargir l’étendue actuelle des soins de santé fournis aux femmes qui accouchent en République tchèque. Il considère que, d’une manière générale, la prestation de soins de santé est un domaine dans lequel la réglementation constitue la norme, et qu’ainsi l’État peut garantir une certaine qualité et un certain niveau dans les soins de santé tant privés que publics. Il est d’avis que pour « permettre » l’assistance de professionnels de santé lors des accouchements à domicile, il faudrait que l’État mette en place un cadre législatif et administratif considérable et prenne d’autres mesures, notamment qu’il réforme le système des soins d’urgence.

107. À titre subsidiaire, et se référant en particulier à l’affaire Hristozov et autres c. Bulgarie (nos 47039/11 et 358/12, CEDH 2012 (extraits)), le Gouvernement propose à la Cour de ne pas trancher la question de savoir si ce sont des obligations positives ou négatives de l’État qui sont en jeu.

108. Dans l’hypothèse où la Cour déciderait d’examiner la présente espèce sous l’angle des obligations négatives, le Gouvernement plaide que le droit en vigueur n’interdit pas aux femmes enceintes d’accoucher à leur domicile privé, que les autorités ne les sanctionnent pas pour cela et qu’en conséquence il n’y a pas eu d’ingérence dans l’exercice du droit des requérantes au respect de leur vie privée.

b) Sur la légalité de l’ingérence

109. Les dispositions de la loi sur les services médicaux établiraient clairement que l’assistance d’un professionnel de santé pour un accouchement relève des soins qui sont l’apanage des établissements de santé satisfaisant à des exigences minimales expressément définies dans l’arrêté d’application. La règle selon laquelle les soins doivent être fournis dans des établissements de santé dotés de l’équipement adéquat, dans les lieux précisés dans l’autorisation pertinente, serait assortie de dérogations explicites, concernant notamment les soins prodigués dans le propre cadre de vie du patient (par exemple à domicile) et les soins d’urgence. L’assistance lors d’un accouchement programmé ne serait couverte par aucune de ces dérogations. En particulier, elle ne relèverait pas des soins de santé dispensés dans le cadre de vie du patient tel que défini à l’article 10 de la loi sur les services médicaux, en ce que cette disposition indiquerait expressément que pour les soins de santé fournis dans le cadre de vie du patient seuls sont autorisés les actes médicaux auxquels ne sont pas applicables les conditions relatives à l’équipement technique et matériel nécessaire à leur réalisation dans un établissement de santé. Or l’assistance lors d’un accouchement serait soumise à ces conditions.

110. Dès lors, les autorités régionales ne délivreraient pas et ne pourraient pas délivrer à une sage-femme une autorisation de prestation de services de santé « sur le terrain » lui permettant de fournir pareils services lors d’accouchements à domicile. À défaut d’autorisation, un prestataire de soins de santé n’aurait pas le droit d’assurer des services de santé.

111. En outre, le cadre juridique pertinent assurerait la sécurité juridique et la prévisibilité en ce qu’il établirait les exigences précises et dénuées d’ambiguïté que doivent remplir une sage-femme ou un médecin pour pouvoir assister une femme lors de tout accouchement prévu. Contrairement au droit hongrois, que la Cour aurait critiqué dans l’affaire Ternovszky c. Hongrie (no 67545/09, 14 décembre 2010) pour son défaut de prévisibilité, la législation tchèque disposerait que les professionnels de santé, y compris les sages-femmes, ne peuvent pratiquer un accouchement que dans des locaux adéquatement équipés et définirait clairement les exigences à remplir pour la fourniture de ces soins.

c) Sur l’existence d’un but légitime

112. Le Gouvernement soutient que la politique en cause vise à protéger la santé et la sécurité de l’enfant pendant et après l’accouchement et, à tout le moins indirectement, celles de la mère. Selon lui, ces intérêts reflètent les buts légitimes généraux que sont la protection de la santé et la protection des droits d’autrui.

d) Sur la nécessité dans une société démocratique

113. Le Gouvernement soutient que, pour préserver l’intérêt public que constitue la protection de la santé et de la vie, l’une des tâches essentielles de l’État consiste à assurer et maintenir des soins de santé d’un certain niveau et d’une certaine qualité, qu’ils soient dispensés dans le cadre du régime public ou du régime privé. Il considère donc que l’État ne doit pas être contraint d’autoriser un type de soins de santé qu’il n’estime pas sûr.

114. Le Gouvernement ajoute que le droit interne applicable vise à garantir que les soins de santé soient fournis dans des « lieux d’accouchement sûrs » – c’est-à-dire des locaux dotés de l’équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants –, de façon à réduire au minimum les risques pour la santé et la vie des nouveau-nés et des mères en cas de complications soudaines. Il affirme que l’abaissement de ces normes médicales est de nature à accroître les risques liés aux soins administrés tout au long de l’accouchement et à amoindrir leur niveau et leur qualité.

115. Le Gouvernement indique que le conflit entre les demandes des requérantes et les obligations découlant du droit à la vie et du droit à la santé conforte son opinion selon laquelle le droit au respect de la vie privée ne peut être interprété dans un sens si large qu’il exigerait de l’État la mise en place d’un cadre autorisant la fourniture de soins de santé lors d’un accouchement à domicile, alors même que les autorités, en collaboration avec des spécialistes de l’obstétrique et du métier de sage-femme, ont selon lui établi que la politique de l’État la plus opportune et répondant au solide intérêt public susmentionné consiste à offrir des soins gratuits et accessibles permettant des accouchements dans des lieux possédant l’équipement médical adéquat et la capacité de réagir rapidement aux urgences. Le Gouvernement considère que la simple assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile est insuffisante. En effet, en cas de complications soudaines, le nouveau-né pourrait se trouver exposé à des risques pourtant évitables. Selon le Gouvernement, les professionnels de santé, y compris les sages‑femmes, ne peuvent gérer efficacement de telles complications dans des logements privés, qui à son avis ne sont pas adéquatement équipés à cette fin et qui, souvent, ne sont pas situés à proximité immédiate d’un établissement dispensant des soins plus performants. En d’autres termes, pour le Gouvernement, dans le cas de naissances prévues pour se dérouler à domicile, les soins de santé ne seraient pas fournis dans un lieu sûr pour l’accouchement.

116. Le Gouvernement ajoute que la législation en cause dispose qu’un professionnel de santé ne peut pratiquer un accouchement prévu que dans des locaux dotés d’un équipement adéquat et situés à proximité immédiate d’un établissement où sont dispensés des soins plus performants. Selon lui, il faut voir dans ces exigences non pas des mesures empêchant spécifiquement les sages-femmes d’intervenir lors d’un accouchement à domicile, mais des normes minimales nécessaires pour la prestation de soins pendant tout accouchement prévu. Les exigences minimales en question ne seraient pas excessives et poursuivraient efficacement l’objectif qui consiste à réduire au minimum les risques de complications graves en permettant de les détecter à temps et de mettre en œuvre une solution rapide.

117. En outre, renvoyant à divers exemples de bonne pratique, le Gouvernement conteste la conclusion de la chambre selon laquelle la pratique de la plupart des hôpitaux régionaux est discutable quant au respect du choix des mères. Il estime que l’importance requise a été accordée aux intérêts liés à la vie privée qui sont en jeu et que la politique tchèque en matière de naissance a été élaborée de manière à atteindre un juste équilibre prenant en considération les intérêts des enfants et des mères. À son avis, on peut observer dans les maternités tchèques une tendance nette et avérée à prendre en compte les droits des femmes enceintes, y compris le droit de choisir parmi un large éventail de conditions d’accouchement.

118. Le Gouvernement attire l’attention de la Cour sur le rapport européen de 2013 sur la santé périnatale, selon lequel la République tchèque enregistrerait le plus faible taux de mortalité fœtale et, avec l’Islande et Chypre, le plus faible taux de mortalité néonatale précoce d’Europe (paragraphe 29 ci-dessus). Il estime que la République tchèque doit principalement ce bilan, qu’il juge objectivement exceptionnel, à son système sophistiqué de soins obstétricaux de haut niveau et à la législation en vigueur garantissant que ces soins de santé (c’est-à-dire l’assistance lors d’un accouchement) sont dispensés uniquement dans des locaux dûment équipés. Il indique à ce sujet que ces soins sont accessibles gratuitement à toutes les femmes enceintes.

119. Globalement, le Gouvernement se dit fermement convaincu qu’en raison de la nature même de la problématique en cause, qui à son avis met en jeu des questions complexes de politique de santé, notamment des aspects scientifiques et spécialisés et des considérations générales de politique économique, l’État bénéficie d’une ample marge d’appréciation, qu’il n’aurait pas outrepassée en l’espèce.

120. En outre, il conteste les observations de certains tiers intervenants. Pour lui, celles de la défenseure publique des droits ne constituent pas une source d’informations fiable aux fins de l’espèce, en particulier parce qu’elles renverraient à quelques rares plaintes pour des mauvais traitements que des femmes allègueraient avoir subis dans des maternités tchèques. Ces plaintes représenteraient une fraction négligeable par rapport à l’ensemble des naissances enregistrées dans le pays et n’auraient pas encore complètement été examinées et tranchées par la défenseure publique elle‑même.

121. Le Gouvernement s’inscrit également en faux contre une partie des informations figurant dans les observations de l’Union tchèque des sages‑femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA).

122. Concernant enfin l’Ordre royal des sages-femmes, qui prônerait un système semblable à celui en vigueur au Royaume-Uni, le Gouvernement déclare qu’il existe en Europe des cultures et des systèmes de santé qui présentent des différences considérables, certains pays affichant d’ailleurs un bilan plus satisfaisant que le Royaume-Uni. De l’avis du Gouvernement, ce tiers intervenant a omis de préciser que la République tchèque enregistre l’un des plus faibles taux de mortalité périnatale d’Europe et que le bilan correspondant du Royaume-Uni est bien moins positif. Le système de santé britannique ne permettrait pas d’obtenir de meilleurs résultats objectifs. Selon le Gouvernement, la Cour ne doit pas se prononcer sur les diverses modalités pratiques d’organisation des systèmes de santé.

3. Les observations des tierces parties

a) Le gouvernement de la République de Croatie

123. Le gouvernement croate indique que l’accouchement à domicile fait l’objet en Croatie d’un dispositif législatif semblable à celui qui est en vigueur en République tchèque.

124. À la lumière de l’ensemble des constats scientifiques dont il a connaissance, il estime qu’un accouchement prévu pour se dérouler à domicile demeure une option moins sûre qu’un accouchement ayant entièrement lieu en milieu hospitalier. Il observe que, selon la commission pour la médecine périnatale du ministère de la Santé de la République de Croatie, les hôpitaux sont les lieux les plus sûrs pour pratiquer un accouchement, en ce qu’ils offrent à la mère comme au nouveau-né les meilleures garanties en matière de protection de la santé et de la vie. Il ajoute qu’à ce titre la question de savoir si l’État doit autoriser son personnel médical à participer à des accouchements à domicile relève de la marge d’appréciation de l’État, ce qui pour le gouvernement croate signifie que chaque partie contractante doit être absolument libre de décider elle‑même, en fonction de sa propre évaluation de nombreux facteurs pertinents, s’il y a lieu ou non d’offrir cette possibilité à ses citoyens. À son avis, les parties contractantes ne doivent pas être contraintes de prendre des dispositions pour l’accouchement à domicile, et l’esprit de la Convention n’exige pas la mise en œuvre dans chaque partie contractante de mesures législatives ou de pratiques en ce sens. Pour le tiers intervenant, cela ne signifie pas pour autant qu’une partie contractante doive totalement négliger le fait qu’un grand nombre de femmes se sentent mal à l’aise en milieu hospitalier et que certains effets négatifs liés à l’accouchement peuvent être en rapport avec ce sentiment de malaise et de crainte.

125. Le gouvernement croate considère toutefois que la solution à ce problème ne réside pas dans l’obligation de prendre des mesures en faveur de l’accouchement à domicile assisté. À son avis, la mise en œuvre de mesures visant à améliorer le niveau de confort à l’hôpital peut constituer un compromis. Il existe selon lui divers moyens possibles de combiner les avantages des deux systèmes : faire de l’hôpital un environnement accueillant ; donner au compagnon ou aux proches parents la possibilité d’assister à l’accouchement ; permettre aux accouchées de garder leur nouveau-né dans leur chambre ; avant et pendant le travail, respecter les choix des parturientes quant aux actes médicaux proposés ; enfin, laisser les femmes adopter d’autres positions pendant les contractions.

126. Le respect des souhaits des femmes concernant les aspects susmentionnés, dans le contexte de l’article 8 de la Convention, relèverait sans conteste de la Convention, ce qui ne serait pas le cas de l’accouchement à domicile assisté.

b) Le gouvernement de la République slovaque

127. Le gouvernement slovaque souscrit sans réserve à la conclusion de la chambre selon laquelle il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 8 de la Convention. Il considère par ailleurs qu’il est plus indiqué d’examiner l’affaire du point de vue des obligations positives de l’État que de ses obligations négatives.

128. Renvoyant à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à l’article 12 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, à l’article 24 de la Convention relative aux droits de l’enfant et aux paragraphes 15, 90 et 94 de l’Observation générale no 15 (2013) concernant cette dernière convention, le gouvernement slovaque estime que les États sont tenus par une solide obligation positive de réglementer et d’organiser leur système de prestation de soins de santé liés à la naissance. Selon lui, cela consiste notamment à mettre en place une formation satisfaisante pour tous les prestataires de soins de santé et les autres personnes concernées, à surveiller et imposer le respect des droits médicaux, matériels et fondamentaux et d’autres normes pertinentes et, dans ce contexte, à mettre en œuvre un système de suivi et de réexamen constants de ces normes. À son avis, le but recherché doit être la protection et la jouissance du droit à la vie et du droit à la santé de la femme, ainsi que de l’enfant.

129. Le gouvernement slovaque se dit conscient non seulement de l’obligation positive pour l’État de protéger la vie et la santé de l’enfant et d’offrir à celui-ci les meilleurs soins de santé possibles, mais également des responsabilités connexes. À son avis, il peut se révéler impossible de remplir cette obligation en cas d’accouchement à domicile. La réglementation slovaque obligerait les prestataires de soins de santé à disposer de l’équipement matériel et technique requis par les règles pertinentes. Les sages-femmes qualifiées ne seraient habilitées à intervenir individuellement dans un établissement de santé qu’en cas d’accouchement physiologique nécessitant une épisiotomie. L’accouchement à domicile exposerait la mère et l’enfant à des risques que l’équipement de base d’un domicile ne suffirait pas à pallier.

130. En République slovaque, le taux d’accouchements hors d’un établissement de santé s’élèverait à 0,36 % (198 naissances) selon les données les plus récentes (de 2013), de sorte qu’il ne serait pas possible de livrer une évaluation statistique du niveau de sécurité correspondant à ce mode d’accouchement. Les statistiques émanant de pays d’Europe occidentale qui autorisent l’accouchement à domicile montreraient qu’une part importante de ces accouchements exigent un transfert à l’hôpital : ainsi, en Allemagne en 2013, pas moins de 11,3 % des accouchements à domicile auraient requis une hospitalisation (pendant le processus d’accouchement) et dans 0,1 % des cas l’enfant serait né pendant le transfert.

131. En outre, selon le gouvernement slovaque, la plupart des naissances ne se déroulent pas comme prévu et elles peuvent donner lieu à une situation imprévisible et présenter un risque grave pour la santé et la vie de la mère et de l’enfant. Il serait impossible de prévoir si une grossesse va aboutir à un accouchement physiologique ou nécessiter une intervention rapide, voire une intervention chirurgicale en urgence. En tout état de cause, la naissance serait un processus dynamique susceptible de se compliquer à n’importe quel stade, ce qui ferait peser une menace directe sur la vie du fœtus et, bien entendu, de la parturiente. Aucune de ces complications ne pourrait être résolue à domicile, comme l’attesteraient les naissances qui entraînent des séquelles durables, pour l’enfant ou pour la mère. Des problèmes tels qu’une hypoxie aiguë chez l’enfant, ou une embolie ou une hémorragie chez la mère, ne pourraient pas être traités en dehors d’un établissement de santé. En outre, on ne prendrait pas en compte la tendance au recul constant de l’âge auquel les femmes ont un enfant, avec les complications qui en découleraient. Selon des statistiques fournies par le centre national pour l’information en matière de santé, en 2013 en République slovaque, 6 292 nouveau-nés auraient eu besoin de soins dans des établissements spécialisés en néonatalogie ; en d’autres termes, environ un nouveau-né sur huit ou neuf aurait eu besoin de soins intensifs spécialisés.

132. Concernant l’ample marge d’appréciation dont jouirait l’État dans le domaine en question, le gouvernement slovaque admet qu’une approche humanisée est préférable pendant l’accouchement et en cas d’évolution des conditions de la naissance, mais il estime que pareille approche n’est possible que dans un établissement de santé. Selon lui, on ne peut qu’insister sur la nécessité de protéger les chances de survie et les droits de l’enfant – dont le droit à la santé –, qui seraient moins bien garantis en cas de naissance en dehors d’un établissement de santé. La plupart des femmes optant pour un accouchement dans un cadre domestique évoqueraient le besoin d’intimité, la possibilité de choisir la méthode et la position pour accoucher et de refuser tel ou tel type d’intervention médicale pendant l’accouchement, le besoin de s’appuyer sur la présence d’une personne proche et l’importance pour la mère de ne pas être séparée de l’enfant. Le gouvernement slovaque indique à cet égard que le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a demandé aux États de soutenir l’initiative « un hôpital accueillant pour la mère et le nourrisson » (Mother and Baby Friendly Hospital Initiative – MBFHI), dans le cadre de laquelle l’OMS et l’UNICEF auraient énoncé les critères applicables aux maternités et services de néonatalogie des établissements de santé. Tout en coopérant avec les organisations susmentionnées, la République slovaque aurait depuis 1996 mis en œuvre des projets de qualité en matière de soins périnataux, qui passeraient par l’action en faveur de l’accouchement physiologique, une approche comportementale des soins infirmiers aux nouveau-nés et aux mères, le soutien à l’allaitement et une attention particulière à l’insécabilité du lien mère-enfant. Il appartiendrait à tout prestataire de soins de santé de veiller à humaniser autant que possible la naissance. Certains prestataires auraient reconstruit des établissements de santé de manière à pouvoir proposer d’autres méthodes d’accouchement (par exemple l’accouchement en position verticale ou dans l’eau), adapter les modalités de l’accouchement à la demande de la mère et offrir des chambres séparées permettant à l’époux ou à d’autres membres de la famille d’être présents pendant l’accouchement et tout au long du séjour dans l’établissement. Le gouvernement slovaque ajoute que dans toute salle d’accouchement la mère et le nouveau-né doivent être mis au contact l’un de l’autre immédiatement après la naissance, mesure qui selon lui est un point essentiel de l’initiative MBFHI. Pour ce qui est du soutien à l’allaitement, l’initiative MBFHI serait tenue au sein de l’Union européenne pour un modèle de bonnes pratiques concernant les soins à la mère et au nouveau-né après l’accouchement. Cette initiative exigerait notamment qu’une fois séché, et dans la demi-heure suivant la naissance, le nouveau-né soit placé sur le corps de la mère, et que tous deux puissent rester ensemble en vue d’un allaitement « à la demande ».

133. Le gouvernement slovaque considère que cette approche de la naissance, à son avis semblable à celle adoptée en République tchèque, est conforme à l’idée qu’il faut respecter et soutenir activement les droits des femmes en rapport avec l’accouchement. Par ailleurs, il reconnaît pleinement les droits de l’enfant découlant des instruments internationaux, qui selon lui tendent à ménager un équilibre entre les intérêts de la mère et de l’enfant, d’une part, et l’intérêt de la société à protéger leur santé et leur bien-être, d’autre part.

c) L’Ordre royal des sages-femmes

134. L’Ordre royal des sages-femmes déclare être la seule organisation syndicale professionnelle du Royaume-Uni dirigée par des sages-femmes pour les sages-femmes. Il indique que son rôle consiste à promouvoir et développer l’art et la science des sages-femmes ainsi qu’à améliorer l’efficacité de ses membres et protéger leurs intérêts.

135. Il aurait toujours défendu la même position sur la sécurité de l’accouchement à domicile, considéré par lui comme un choix sûr pour les femmes qui ont des grossesses sans complications.

136. Dans le cadre de la politique actuelle du gouvernement, l’ensemble des hôpitaux du Royaume-Uni seraient censés proposer l’option de l’accouchement à domicile, et les femmes auraient le droit de s’adresser elles-mêmes aux services d’accouchement à domicile de leur secteur. Interprétant la common law, les tribunaux nationaux auraient modifié leur approche de la négligence médicale et affirmé qu’il appartient aux femmes de décider des soins de santé maternelle qui leur sont dispensés. Le conseil des professions d’infirmier et de sage-femme, autorité nationale de réglementation du métier de sage-femme, aurait reconnu que l’on ne peut forcer les femmes à accoucher à l’hôpital contre leur volonté. Il aurait donc été admis que les sages-femmes ont une obligation professionnelle d’assister les femmes qui donnent naissance à leur enfant en dehors de l’hôpital.

137. Les naissances à domicile ne seraient pas expressément encadrées par le droit national : la capacité des sages-femmes à fournir des soins à des femmes à domicile relèverait implicitement de leurs compétences générales et tous les soins dispensés par elles, sans considération de lieu, seraient soumis au contrôle de l’autorité professionnelle de réglementation et au droit général. Les règles relatives aux modalités pratiques de l’accouchement à domicile seraient énoncées par l’organe de réglementation compétent et par l’employeur de la sage-femme.

138. L’Ordre royal des sages-femmes soutient qu’interdire l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile emporte les conséquences suivantes : i) un accouchement à domicile sans l’assistance d’une personne formée ferait peser un risque sur la santé des femmes et des bébés en cas de complications ; ii) en l’absence de réglementation des qualifications et des compétences des personnes intervenant pour les accouchements à domicile, les femmes risqueraient de se faire assister par une personne non formée en la matière et non soumise au contrôle d’une autorité de réglementation ; iii) il y aurait un frein au transfert à l’hôpital en cas de complications pendant l’accouchement en ce que la sage-femme, ou une autre personne ayant fourni son assistance, risquerait d’être dénoncée aux autorités ; iv) le transfert à l’hôpital en situation d’urgence serait entravé par l’absence de procédures adéquates d’orientation et de gestion des dossiers, l’hôpital n’ayant aucune trace du passé obstétrical de la patiente, de l’évolution du travail ou de la nature d’une éventuelle complication ; v) l’accouchement à domicile serait stigmatisé, et le personnel hospitalier traiterait souvent les femmes transférées de chez elles à l’hôpital avec suspicion et irrespect et pourrait retarder des soins urgents.

d) Le groupe d’étude international de l’Association mondiale de médecine périnatale

139. Le groupe d’étude international indique que l’Association mondiale de médecine périnatale et l’Académie internationale de médecine périnatale comptent en leur sein des sommités scientifiques et hospitalières dans le domaine des soins médicaux aux femmes enceintes, aux fœtus et aux nouveau-nés. Il précise avoir débuté en 2013 ses travaux scientifiques sur les accouchements prévus pour se dérouler à domicile.

140. Selon les conclusions de ses études, les accouchements prévus pour se dérouler à domicile présenteraient des risques accrus inutiles et évitables pour le nouveau-né et la mère. Une femme enceinte menant sa grossesse à terme assumerait librement l’obligation éthique, vis-à-vis du fœtus et de l’enfant à naître, de choisir pour l’accouchement un lieu qui ne comporte pas de risques inutiles. Son autonomie serait donc légitimement restreinte par cette obligation éthique.

141. La conclusion formulée dans la déclaration conjointe de l’Ordre royal des obstétriciens et gynécologues et de l’Ordre royal des sages‑femmes, selon laquelle un accouchement prévu pour se dérouler à domicile constitue une « option sûre pour de nombreuses femmes », ne résisterait pas à un examen attentif de la mise en œuvre de cette option en l’absence d’un accès immédiat à des soins hospitaliers. Pareil scénario comporterait inévitablement un risque lié au transfert à l’hôpital. De plus, on aurait rapporté un taux de mortalité périnatale plus de huit fois supérieur en cas de transfert du domicile vers un service d’obstétrique. Le laps de temps qui s’écoulerait inévitablement, même avec le meilleur des systèmes de transfert du domicile à l’hôpital, et même entre la période de travail et d’accouchement et l’arrivée en salle d’opération, entraînerait un risque accru de mortalité et de morbidité tant pour le nouveau-né que pour la mère.

142. Le groupe d’étude international évoque une tradition existant de longue date aux Pays-Bas, qui consisterait à organiser l’accouchement à domicile de façon optimale, avec des sages-femmes bien formées et un système de transfert vers des hôpitaux situés à courte distance. Or 49 % des femmes primipares et 17 % des femmes multipares seraient transportées à l’hôpital pendant le travail. Les indications les plus fréquentes seraient le besoin d’antalgiques et une période de travail qui se prolonge.

143. Souvent, un accouchement prévu pour se dérouler à domicile ne serait pas à la hauteur de sa raison d’être, à savoir une meilleure satisfaction de la patiente. De par leur responsabilité professionnelle, les médecins et sages-femmes hospitaliers seraient tenus de prendre des mesures pour améliorer le niveau de satisfaction de la patiente en créant un cadre rappelant l’accouchement à domicile et adéquatement doté en personnel, non seulement pour garantir la sécurité de la patiente – qui serait l’aspect primordial de la responsabilité professionnelle –, mais aussi pour son bien‑être. Une femme enceinte aurait en effet le droit de décider et de contrôler ce qu’il advient de son corps pendant la grossesse et l’accouchement. Cependant, un point de vue plus approprié sur le plan clinique consisterait à dire que le médecin ou la sage-femme ont une obligation indépendante, au regard de l’intégrité professionnelle, de protéger la femme enceinte, le fœtus et le nouveau-né. Leur rôle consisterait à définir et présenter d’autres options médicalement raisonnables pour la gestion de la grossesse, autrement dit une gestion clinique qui, selon des données probantes, présente un net avantage.

144. La patiente aurait le droit de faire son choix parmi les solutions médicalement raisonnables. Dans l’hypothèse où elle les rejetterait toutes mais resterait une patiente, alors son refus ne représenterait pas le simple exercice d’un droit négatif à la non-ingérence ; il serait plus complexe, étant combiné à un droit positif à bénéficier des services de personnel hospitalier et des ressources offertes par la société et les structures de soins. Insister sur la mise en œuvre de droits illimités pour la femme enceinte de contrôler le lieu de l’accouchement serait une erreur éthique qui, à ce titre, n’aurait pas sa place dans la médecine périnatale professionnelle.

145. En conclusion, les accouchements prévus pour se dérouler à domicile ne se concilieraient pas avec l’intégrité professionnelle dès lors que les risques accrus associés à cette option seraient évitables dans le cadre d’un accouchement censé avoir lieu à l’hôpital. La future mère ne jouirait pas d’une liberté absolue dans la détermination du lieu de l’accouchement assisté en raison de son obligation éthique, vis-à-vis de l’enfant à naître, de protéger les intérêts de celui-ci en matière de santé. Elle pourrait remplir cette obligation en prévoyant un accouchement à l’hôpital mais non un accouchement à domicile. Le principe de précaution justifierait la réduction des risques pour les personnes vulnérables lorsque l’effort requis est minime. Un accouchement programmé pour se dérouler à l’hôpital protégerait le fœtus et le nouveau-né des risques afférents à un accouchement prévu à domicile, risques contre lesquels les bébés ne pourraient se protéger eux-mêmes. Pour la future mère, la charge représentée par un accouchement censé avoir lieu à l’hôpital serait minime. En conséquence, un accouchement prévu pour se dérouler à domicile ne serait pas compatible avec le principe de précaution.

e) L’Union tchèque des sages-femmes (Unie porodních asistentek – UNIPA)

146. L’UNIPA indique être une association professionnelle de sages‑femmes indépendantes.

147. Elle décrit d’abord les associations professionnelles de sages‑femmes existant en République tchèque. Elle déclare rassembler les sages‑femmes et étudiantes sages-femmes de tout le pays, et mentionne également la Confédération tchèque des sages-femmes (Česká konfederace porodních asistentek – ČKPA), qui regrouperait les sages-femmes en petites sections sur une base régionale. Ces deux organisations coopéreraient étroitement en vue de développer et promouvoir en République tchèque le métier de sage-femme comme modèle viable de soins de santé liés à la maternité. L’UNIPA signale en outre l’association tchèque des sages‑femmes (Česká společnost porodních asistentek – ČSPA), organisation qui aurait été créée en 2014 et rassemblerait d’autres membres de professions médicales et paramédicales.

148. L’UNIPA expose que la loi a expressément interdit la prestation de soins par des sages-femmes dans le cadre d’accouchements à domicile et que de tels soins sont aussi prohibés dans les cabinets de sage-femme et les maisons de naissance en raison des exigences techniques excessives imposées par les textes réglementaires. La politique de l’État et la pratique des hôpitaux empêcheraient donc les sages-femmes de pratiquer en toute légalité un accouchement hors du cadre hospitalier. De plus, l’État autoriserait uniquement le modèle des soins obstétricaux, de sorte qu’une sage-femme souhaitant fournir une assistance pour un accouchement serait contrainte de le faire à l’hôpital, de se conformer à ce modèle et à des règles obstétricales et d’exercer sous la supervision et suivant les instructions préalables d’un médecin. En pareil cas, la sage-femme serait également tenue d’entretenir une relation de travail avec l’hôpital. Par essence un tel système empêcherait les sages-femmes de dispenser les soins propres à leur métier et d’accomplir leurs tâches légales.

149. L’UNIPA déclare que, sur les 6 000 sages-femmes qualifiées et titulaires d’une autorisation d’exercer que compte le pays, aucune n’a obtenu l’autorisation technique permettant d’accomplir l’ensemble des tâches d’une sage-femme, notamment l’assistance lors d’un accouchement, et qu’en conséquence aucune n’a été autorisée par l’État à pratiquer en toute indépendance et sans instruction préalable d’un médecin les actes liés à l’accouchement. L’UNIPA ajoute que d’un point de vue purement juridique et technique aucune restriction ne vise actuellement l’existence de maisons de naissance, mais qu’en pratique les importantes exigences relatives aux moyens techniques, matériels et humains réduisent cette option à néant. Le tiers intervenant indique qu’il y a bien eu une tentative pour faire enregistrer une maison de naissance à Brno, mais que les pouvoirs publics compétents ont émis une réponse négative malgré le projet d’installer cet établissement à proximité immédiate d’un hôpital local.

150. Le monopole que les médecins exerceraient dans le domaine des soins obstétricaux entraînerait une incapacité du système de santé à distinguer les soins primaires et les soins secondaires à la mère et à l’enfant. Cette absence de distinction entre ces niveaux de soins déboucherait par la force des choses sur une prestation de soins standardisés à l’ensemble des femmes, sans prise en compte de la variété de leurs besoins spécifiques. En conséquence, le système ne ferait pas de différence entre les mères présentant un faible risque spontané, pour lesquelles on pourrait raisonnablement prévoir un accouchement sans complications, et les mères dont la grossesse indiquerait l’existence d’un état pathologique.

151. L’UNIPA indique ensuite à la Cour qu’il n’existe pas de normes professionnelles nationales applicables aux soins de sage-femme, circonstance qui en particulier exposerait les praticiennes à un risque accru de voir engager leur responsabilité professionnelle, tant au civil qu’au pénal. Évoquant deux procédures pénales dirigées contre des sages-femmes, l’UNIPA considère que si celles-ci ont été innocentées, leur renommée et celle de la profession de sage-femme ont néanmoins subi un préjudice irréparable.

152. L’UNIPA déclare enfin que l’État n’a pas recueilli de données statistiques solides sur les pratiques de tel ou tel hôpital et sur les accouchements se déroulant en dehors d’un établissement médical. À son avis, cela limite le choix offert aux futures mères quant au lieu de l’accouchement. De plus, il n’y aurait pas de méthode exhaustive d’information des futures mères au sujet des soins de santé liés à l’accouchement qui sont assurés par les services publics. En conséquence, les femmes n’auraient pas connaissance des différentes options qui se présentent à elles pendant la grossesse et l’accouchement. Ces informations ne seraient accessibles que dans le cadre de cours payants de préparation à l’accouchement.

f) La défenseure publique des droits (Veřejná ochránkyně práv)

153. La défenseure publique des droits (médiatrice) déclare que son rôle consiste principalement à protéger les individus contre des comportements soit illégaux soit pour une raison quelconque inappropriés, et contre l’inactivité des autorités et d’autres organes publics (en d’autres termes, à contrôler et inspecter l’administration publique). En même temps, la défenseure publique agirait en tant qu’organe national défendant l’égalité (organe national pour l’égalité de traitement et la protection contre la discrimination) en vertu des directives pertinentes de l’Union européenne (directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique et directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail). Par ailleurs, la défenseure publique visiterait systématiquement les lieux où les personnes sont privées de liberté (en application du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants) et contrôlerait les retours forcés ou expulsions d’étrangers en vertu de la directive 2008/115/CE du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

154. La défenseure publique livre à la Cour un aperçu des affaires qui lui ont été soumises, sans fournir de données statistiques.

155. La première catégorie de plaintes porterait sur des actes pratiqués pendant le travail et l’accouchement au sein d’un établissement médical, actes que les femmes concernées auraient décrits comme non respectueux de leur dignité et de leur intimité. Plus précisément, des femmes se seraient plaintes de certaines interventions réalisées sans leur consentement, de l’obligation de payer une somme d’argent pour que leur propre doula (accompagnante à la naissance) pût être présente, de la promiscuité dans la salle d’accouchement et du non-respect de leurs souhaits quant à la possibilité de manger, boire, bouger ou choisir une position particulière pour accoucher, sur le lit ou hors du lit. Certaines plaintes porteraient également sur le suivi constant de l’enfant à naître, la séparation entre la mère et l’enfant juste après la naissance ou dans les quarante-huit heures consécutives, et le défaut de prise en compte du plan de naissance soumis par la mère.

156. La deuxième catégorie de plaintes examinées par la défenseure publique porterait sur l’impossibilité d’accoucher avec une assistance professionnelle en dehors d’un établissement médical, et sur l’ambiguïté de la réglementation relative à l’accouchement à domicile.

157. La défenseure publique aurait reçu en 2003 la première plainte à ce sujet. La plaignante en question y aurait fait état de l’impossibilité de mettre au monde un enfant avec l’assistance d’une sage-femme en dehors d’un établissement médical, et de ce que les prestations de la sage-femme n’étaient pas remboursées par la caisse publique d’assurance maladie. L’issue donnée à cette plainte n’a pas été indiquée. La défenseure publique déclare que même si le droit tchèque n’interdit pas expressément l’accouchement en dehors d’un établissement médical, cette possibilité est pratiquement exclue par l’arrêté no 92/2012 du ministère de la Santé. Elle considère que les exigences légales relatives à l’équipement minimal des établissements médicaux et des centres de soins à domicile ne peuvent pas en principe être remplies lors d’un accouchement qui se déroule à domicile ou dans un autre cadre. Elle est d’avis que les salles d’accouchement satisfaisant aux conditions définies par la législation se trouvent ainsi exclusivement dans des établissements de santé. Elle indique à cet égard que certaines futures mères auraient trouvé suffisant que leur accouchement dans l’établissement médical fût pratiqué par « leur » sage-femme. Or les établissements médicaux n’autoriseraient que les accouchements pratiqués par des sages-femmes avec lesquelles ils ont conclu un contrat, et de tels contrats seraient souvent impossibles à obtenir.

158. La troisième catégorie de plaintes adressées à la défenseure publique concernerait les difficultés administratives rencontrées par les parents d’un enfant né en dehors d’un établissement de santé. Dans de nombreux cas, il aurait été difficile d’obtenir un acte de naissance ou une allocation parentale.

159. Enfin, la défenseure publique mentionne des plaintes de sages‑femmes portant sur des dispositions juridiques qui dans les faits les auraient empêchées d’intervenir lors d’un accouchement en dehors d’un établissement médical.

C. Appréciation de la Cour

1. Sur l’applicabilité de l’article 8 de la Convention

160. Les requérantes en l’espèce formulent leur grief sur le terrain de l’article 8 de la Convention et le Gouvernement ne conteste pas l’applicabilité de cette disposition dans la procédure devant la Grande Chambre.

161. La Cour note que les requérantes souhaitaient se faire assister par une sage-femme pour accoucher à domicile. La question qui se pose en l’espèce est donc de savoir si le droit de décider des conditions d’un accouchement relève de l’article 8 (voir aussi le paragraphe 74 de l’arrêt de la chambre).

162. La Grande Chambre confirme que la notion de « vie privée » est une notion large (paragraphe 73 de l’arrêt de la chambre). Elle rappelle à cet égard avoir déclaré dans l’affaire Odièvre c. France ([GC], no 42326/98, § 29, CEDH 2003‑III) que « [l]a naissance, et singulièrement les circonstances de celle-ci, relève de la vie privée de l’enfant, puis de l’adulte, garantie par l’article 8 de la Convention ». Par ailleurs, dans l’affaire Ternovszky (précitée, 14 décembre 2010), la Cour a dit que « les conditions dans lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la vie privée d’une personne aux fins de cette disposition ».

163. La Cour estime que, si l’article 8 ne peut être interprété comme conférant un droit d’accoucher à domicile en tant que tel, le fait qu’il soit impossible en pratique pour les femmes de se faire assister pour accoucher à leur domicile privé relève de leur droit au respect de la vie privée et, dès lors, de l’article 8. En effet, donner la vie est un moment unique et délicat dans la vie d’une femme. La mise au monde d’un enfant englobe des questions touchant à l’intégrité physique et morale, aux soins médicaux, à la santé génésique et à la protection des informations relatives à la santé. Ces questions, y compris le choix du lieu de l’accouchement, sont donc fondamentalement liées à la vie privée d’une femme et elles relèvent de cette notion aux fins de l’article 8 de la Convention.

2. Sur le point de savoir s’il convient d’examiner l’affaire sous l’angle des obligations négatives ou des obligations positives de l’État

164. Les parties divergent sur la question de savoir s’il convient d’examiner l’affaire sous l’angle d’une ingérence dans l’exercice par les requérantes des droits découlant de l’article 8 de la Convention ou sur le terrain de l’obligation positive pour l’État de protéger les droits des intéressées. En effet, la problématique centrale en l’espèce peut être envisagée soit sous l’angle d’une restriction de la liberté des requérantes de choisir les conditions de leur accouchement, qui s’analyserait en une ingérence dans leur exercice du droit au respect de la vie privée, soit sous celui d’un manquement de l’État à son obligation de mettre en place un cadre réglementaire approprié garantissant le respect des droits des personnes se trouvant dans la situation des requérantes et, ainsi, à son obligation positive de garantir le respect de leur vie privée (voir, mutatis mutandis, Hristozov et autres, précité, § 117).

165. Eu égard à la nature et à la teneur des griefs des requérantes, la Grande Chambre juge approprié de considérer – à l’instar de la chambre – que la présente espèce concerne une atteinte au droit pour les requérantes de recourir à l’assistance de sages-femmes pour accoucher à domicile. En effet, la loi faisait peser sur ces praticiennes des menaces de sanctions qui en pratique les dissuadaient de prêter pareille assistance. En tout état de cause, comme la Cour l’a déjà déclaré, les principes applicables à la justification au regard de l’article 8 § 2 sont comparables quelle que soit l’approche choisie pour l’analyse (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 88, CEDH 2011, avec d’autres références).

166. Pour déterminer si cette ingérence a emporté violation de l’article 8 de la Convention, la Cour doit rechercher si elle était justifiée au regard du second paragraphe de cet article, c’est-à-dire si elle était « prévue par la loi » et « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre l’un ou l’autre des « buts légitimes » énumérés à l’article 8.

3. L’ingérence était-elle « prévue par la loi » ?

167. La Cour rappelle que toute atteinte à un droit garanti par la Convention doit avoir une base en droit interne. En outre, la « loi » doit être suffisamment accessible et énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite : en s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé (A, B et C c. Irlande, précité, § 220, avec d’autres références).

168. En l’espèce, les parties ne contestent pas que les dispositions juridiques internes qui constituent la base légale de l’ingérence litigieuse étaient accessibles aux requérantes. La Cour ne voit aucune raison d’en disconvenir.

169. En ce qui concerne la prévisibilité de ces dispositions, la Cour note tout d’abord que l’ordre juridique tchèque n’interdit pas l’accouchement à domicile en tant que tel. Elle observe ensuite que la loi sur les soins dans les établissements de santé privés, qui était en vigueur lorsque Mme Dubská a mis au monde son deuxième enfant, en avril 2011, réglementait les établissements de santé privés et prévoyait l’imposition de sanctions à tout prestataire de soins qui enfreindrait la loi, sans pour autant indiquer le montant de l’amende susceptible d’être infligée. La loi donnait compétence au ministère de la Santé pour définir les exigences relatives à l’équipement technique et matériel dont devaient être dotés les établissements de santé en question. Le ministère a donc pris l’arrêté no 221/2010 – en vigueur du 1er septembre 2010 au 31 mars 2012 – qui énonçait les conditions précises à remplir pour pouvoir exercer la profession de sage-femme de façon indépendante et définissait notamment trois catégories possibles de lieux d’exercice pour les sages-femmes : ceux où l’accouchement n’était pas autorisé, ceux où il était autorisé, et les lieux d’exercice et de contact qui devaient être dotés de mobilier adapté au travail de sage-femme et d’un téléphone portable. L’arrêté précisait également le contenu de la sacoche de la sage-femme (paragraphes 43-46 ci-dessus). Par ailleurs, la loi sur les professions paramédicales, qui était en vigueur lorsque chacune des deux requérantes a accouché et qui l’est encore à ce jour, a édicté les exigences relatives à la pratique indépendante du métier de sage-femme, donnant compétence au ministère de la Santé pour définir les activités des praticiennes. Le ministère a alors pris l’arrêté no 424/2004, plus tard remplacé par l’arrêté no 55/2011, d’après lesquels les sages-femmes pouvaient pratiquer seules certains actes comme les accouchements physiologiques, y compris des épisiotomies si nécessaire.

170. La loi sur les services médicaux est entrée en vigueur peu avant que Mme Krejzová donnât naissance à son troisième enfant, en mai 2012. Elle a abrogé la loi sur les soins dans les établissements de santé privés et l’arrêté no 221/2010. Elle énonce qu’une personne ne peut fournir des services de santé que si elle est titulaire de l’autorisation requise, excepté dans des situations particulières. Les établissements de santé visés dans l’autorisation doivent être dotés de l’équipement adapté aux services assurés, qui doit être précisé dans un arrêté du ministère de la Santé. Une personne qui dispense des soins de santé d’une manière non conforme à cette loi est passible d’une amende pour infraction à la loi, qui par ailleurs définit un certain nombre de sanctions concrètes. L’équipement essentiel dont doivent disposer les sages‑femmes dans les lieux où elles sont appelées à assister une parturiente est énoncé dans l’arrêté no 92/2012, qui indique notamment trois catégories distinctes de lieux d’exercice pour les sages‑femmes : ceux où l’accouchement n’est pas autorisé, ceux où il est autorisé, et les lieux d’exercice et de contact pour les soins infirmiers d’ordre gynécologique et obstétrical (voir aussi le paragraphe 82 de l’arrêt de la chambre).

171. La Cour admet que, si des doutes ont pu surgir quant à la clarté de certaines dispositions législatives en vigueur à l’époque pertinente, les requérantes – en s’entourant au besoin de conseils éclairés – étaient néanmoins en mesure de prévoir à un degré raisonnable dans les circonstances de l’espèce que leurs domiciles privés ne pouvaient satisfaire aux exigences en matière d’équipement énumérées successivement dans les deux textes réglementaires susmentionnés, et qu’en conséquence les dispositions en question ne permettaient pas à un professionnel de santé de fournir une assistance lors d’un accouchement prévu pour se dérouler à domicile.

En conséquence, l’ingérence litigieuse était prévue par la loi.

4. L’ingérence poursuivait-elle un but légitime ?

172. Contrairement aux requérantes, la Cour considère qu’il n’y a aucune raison de douter que la politique de l’État tchèque consistant à encourager les femmes à accoucher à l’hôpital, telle qu’elle ressort de la législation nationale pertinente, vise à protéger la santé et la sécurité de la mère et de l’enfant pendant et après l’accouchement.

173. On peut en conséquence affirmer que l’ingérence litigieuse poursuivait le but légitime de la protection de la santé et des droits d’autrui au sens de l’article 8 § 2 de la Convention.

5. L’ingérence était-elle nécessaire dans une société démocratique ?

174. Une ingérence est considérée comme « nécessaire dans une société démocratique » pour atteindre un but légitime si elle répond à un « besoin social impérieux » et, en particulier, si elle est proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent « pertinents et suffisants » (voir, mutatis mutandis, Fernández Martínez c. Espagne [GC], no 56030/07, § 124, CEDH 2014 (extraits)).

175. À cet égard, la Cour rappelle que le mécanisme de contrôle institué par la Convention a un rôle fondamentalement subsidiaire et reconnaît que les autorités nationales jouissent d’une légitimité démocratique directe en ce qui concerne la protection des droits de l’homme. En outre, grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’État se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour évaluer les besoins et le contexte locaux (voir, par exemple, Maurice c. France [GC], no 11810/03, § 117, CEDH 2005‑IX, avec d’autres références).

176. En conséquence, c’est au premier chef aux autorités nationales qu’il revient de se prononcer sur le point de savoir où se situe le juste équilibre à ménager lorsqu’elles apprécient la nécessité, au regard d’un intérêt général, d’une ingérence dans les droits des individus protégés par l’article 8 de la Convention. Il s’ensuit que, lorsqu’ils adoptent des lois visant à concilier des intérêts concurrents, les États doivent en principe pouvoir choisir les moyens qu’ils estiment les plus adaptés au but de la conciliation ainsi recherchée (Odièvre, précité, § 49, Van der Heijden c. Pays-Bas [GC], no 42857/05, § 56, 3 avril 2012).

177. S’il appartient aux autorités nationales d’évaluer en premier lieu la nécessité d’une ingérence, c’est à la Cour qu’il revient de trancher en définitive la question de savoir si, dans telle ou telle affaire, l’ingérence était « nécessaire » au sens que l’article 8 de la Convention attribue à ce terme (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008, Van der Heijden, précité, § 57).

178. Les autorités nationales jouissent en principe d’une certaine marge d’appréciation à cet égard. L’ampleur de cette marge dépend d’un certain nombre d’éléments déterminés par les circonstances de la cause. Cette marge est d’autant plus étroite que le droit en cause est important pour garantir à l’individu la jouissance effective des droits fondamentaux ou d’ordre intime qui lui sont reconnus. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge laissée à l’État est également restreinte. Lorsqu’au sein des États membres du Conseil de l’Europe il n’y a de consensus ni sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ni sur les meilleurs moyens de le protéger, la marge d’appréciation est plus large, surtout lorsque sont en jeu des questions morales ou éthiques délicates (Van der Heijden, précité, §§ 55-60, avec d’autres références, et Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 169, CEDH 2015, avec d’autres références).

179. Une ample latitude est d’ordinaire laissée à l’État pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est d’utilité publique en matière économique ou en matière sociale, et la Cour respecte en principe la manière dont l’État conçoit les impératifs de l’utilité publique, sauf si son jugement se révèle « manifestement dépourvu de base raisonnable » (Stec et autres c. Royaume‑Uni [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 52, CEDH 2006‑VI, avec d’autres références, Shelley c. Royaume-Uni (déc.), no 23800/06, 4 janvier 2008, et Hristozov, précité, § 119).

180. Dans le cas d’espèce, la Cour est appelée à déterminer si l’impossibilité pratique où se sont trouvées les requérantes de se faire assister par un professionnel de santé pour accoucher à domicile a ménagé un juste équilibre entre, d’une part, le droit des requérantes au respect de leur vie privée au regard de l’article 8 de la Convention et, d’autre part, l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant pendant et après l’accouchement, ainsi que la santé et la sécurité de la mère (paragraphe 174 ci-dessus). Autrement dit, la Cour doit rechercher si, en adoptant une législation qui ne permettait pas en pratique une telle assistance, l’État défendeur a outrepassé la marge d’appréciation dont il jouissait.

181. Le Gouvernement soutient que l’État bénéficiait en l’espèce d’une ample marge d’appréciation. Les requérantes plaident qu’une approche répressive de l’accouchement à domicile risque de porter atteinte aux droits à la vie et à la santé des femmes et que, en rendant l’accouchement à domicile moins sûr pour les femmes, l’État peut mettre ces droits en péril. De plus, les intéressées estiment que le droit des femmes de décider des conditions de leur accouchement – droit qui à leurs yeux compense la limitation de leur droit à l’autodétermination dans un tel moment – n’autorise pas en principe d’autres restrictions au nom de la marge d’appréciation du Gouvernement, qui, selon elles, est nécessairement étroite en la matière. En outre, les requérantes considèrent que l’accouchement à domicile fait l’objet d’un consensus au sein des États membres, ce qui, d’après elles, est confirmé par l’avis d’experts internationaux sur la santé maternelle et l’importance de la présence de professionnels qualifiés auprès des parturientes. Pour les requérantes, l’existence de ce consensus européen devrait conduire à réduire la marge d’appréciation de l’État.

182. Si l’accouchement à domicile ne soulève pas en soi des questions morales et éthiques très délicates (voir, a contrario, A, B et C c. Irlande, précité), on peut dire néanmoins qu’il touche à un intérêt général important dans le domaine de la santé publique. De plus, la responsabilité de l’État en la matière implique nécessairement un plus large pouvoir pour celui-ci d’énoncer des règles sur le fonctionnement du système de santé, englobant les établissements de santé tant publics que privés. Dans ce contexte, la Cour observe que la présente affaire porte sur une question complexe de politique de santé exigeant une analyse par les autorités nationales de données spécialisées et scientifiques sur les risques respectifs de l’accouchement à l’hôpital et de l’accouchement à domicile. En outre, des considérations générales de politique sociale et économique entrent en jeu, notamment l’affectation de moyens financiers, dès lors qu’il peut s’avérer nécessaire de retirer des ressources budgétaires du système général des maternités pour les consacrer à la mise en place d’un cadre pour l’accouchement à domicile (voir, mutatis mutandis, Maurice, précité, § 84, avec d’autres références, et Stec et autres, précité, § 52).

183. D’autre part, et contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Cour estime qu’il ne se dégage pas au sein des États membres du Conseil de l’Europe de consensus en faveur de l’accouchement à domicile qui aurait pour corollaire un rétrécissement de la marge d’appréciation de l’État. Elle relève en particulier que l’accouchement programmé pour se dérouler à domicile est prévu par le droit interne et réglementé dans vingt États membres, mais que le droit de choisir ce mode d’accouchement n’est jamais absolu et reste toujours subordonné au respect de certaines conditions médicales. De plus, dans quinze de ces États seulement, une assurance maladie nationale prend en charge les accouchements à domicile. La Cour observe également que l’accouchement à domicile n’est pas réglementé ou est sous-réglementé dans vingt-trois autres États membres. Dans certains de ces pays, l’accouchement à domicile est pratiqué, mais sans cadre juridique et sans couverture médicale nationale. En outre, la Cour n’a pas relevé l’existence d’une législation qui interdise expressément l’assistance d’une sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Dans un très petit nombre d’États membres parmi ceux étudiés, des sanctions disciplinaires ou pénales sont possibles mais semblent toutefois rarement infligées.

184. À la lumière de ces considérations, la Cour estime que la marge d’appréciation à accorder aux autorités nationales en l’espèce doit être large, sans pour autant être illimitée. Elle doit en effet contrôler si, eu égard à cette marge d’appréciation, l’ingérence atteste d’une mise en balance proportionnée des intérêts concurrents en jeu (A, B et C c. Irlande, précité, § 238, avec une autre référence). Dans une affaire issue d’une requête individuelle, la Cour n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait une législation ou une pratique contestées, mais elle doit autant que possible se limiter, sans oublier le contexte général, à traiter les questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie (S.H. et autres c. Autriche, précité, §§ 91-92, avec d’autres références). Elle n’a donc pas à substituer sa propre appréciation à celle des autorités nationales compétentes s’agissant de déterminer le meilleur moyen de réglementer les questions relatives aux conditions de l’accouchement. Elle doit plutôt rechercher, en se fondant sur le critère susmentionné du juste équilibre, si en l’espèce l’ingérence de l’État est compatible avec l’article 8 de la Convention.

185. Les requérantes en l’espèce avaient toutes deux exprimé le souhait d’accoucher à domicile avec l’assistance d’une sage-femme. La Cour reconnaît que, par l’effet des dispositions législatives en vigueur à l’époque des faits, les intéressées se sont trouvées dans une situation qui a lourdement pesé sur leur liberté de choix : elles étaient tenues soit d’accoucher à l’hôpital soit, si elles souhaitaient accoucher chez elles, de le faire sans l’aide d’une sage‑femme et, dès lors, avec les risques que cela comportait pour elles-mêmes et pour leur nouveau-né (voir aussi les paragraphes 93 et 95 de l’arrêt de la chambre). La Cour note à cet égard que, si aucun conflit d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant, on peut considérer que certains choix opérés par les mères quant au lieu, aux conditions ou à la méthode d’accouchement engendrent un risque accru pour la santé et la sécurité des nouveau-nés, dont le taux de mortalité n’est pas négligeable – comme l’attestent les chiffres relatifs aux décès périnatals et néonatals – malgré tous les progrès accomplis en matière de soins médicaux (voir aussi le paragraphe 94 de l’arrêt de la chambre).

186. À cet égard, la Cour prend acte de l’argument du gouvernement défendeur, auquel souscrivent le gouvernement de la République de Croatie et celui de la République slovaque, consistant à dire que le risque pour les mères et les nouveau-nés (paragraphes 124 et 131 ci-dessus) est plus élevé en cas d’accouchement à domicile qu’en cas d’accouchement dans une maternité dotée de tout le personnel nécessaire et adéquatement équipée sur les plans technique et matériel, et que même si une grossesse se déroule sans complications et peut donc être tenue pour une grossesse « à faible risque », des difficultés inattendues peuvent survenir au moment de l’accouchement et nécessiter sur-le-champ une intervention médicale spécialisée, telle qu’une césarienne ou une assistance spéciale pour le nouveau-né. La Cour ajoute que l’ensemble des soins médicaux urgents qui sont nécessaires peuvent être assurés dans une maternité mais non dans le cadre d’un accouchement à domicile, même en présence d’une sage-femme (voir aussi le paragraphe 97 de l’arrêt de la chambre). Sur ce point il y a lieu de noter que la République tchèque n’a pas mis en place de système d’assistance d’urgence spécialisée pour les accouchements à domicile. Contrairement à ce qu’affirment les requérantes (paragraphe 79 ci-dessus), la Cour estime que l’absence d’un tel système est de nature à accroître les risques pesant sur les femmes qui accouchent à domicile ainsi que sur leurs bébés.

187. Il ressort également des éléments dont la Cour dispose que, dans les États où l’accouchement à domicile est autorisé, certaines conditions préalables doivent être remplies : la grossesse doit être à « faible risque » ; il faut qu’une sage-femme qualifiée soit présente lors de l’accouchement et puisse déceler toute complication et, si nécessaire, faire transporter la mère à l’hôpital pendant le travail ; enfin, ce transfert doit être assuré dans un délai très court (voir aussi le paragraphe 96 de l’arrêt de la chambre). Par conséquent, et comme le soutiennent les requérantes, un accouchement à domicile sans l’assistance d’un professionnel de santé est de nature à accroître les risques pesant sur la vie et la santé de la mère et du nouveau‑né.

188. La Cour observe, comme le Gouvernement l’indique également, que les requérantes auraient pu choisir d’accoucher dans l’une des maternités locales, où leurs souhaits auraient en principe été pris en compte. Cependant, selon les observations des requérantes tirées de leur propre expérience (paragraphes 9 et 23 ci-dessus), il semblerait que dans nombre de ces hôpitaux les femmes enceintes sont admises et prises en charge sur les plans médical et médicamenteux dans des conditions discutables, et que dans plusieurs établissements locaux les souhaits des futures mères ne sont pas pleinement respectés (voir aussi le paragraphe 95 de l’arrêt de la chambre). Ces commentaires semblent confirmés en substance par le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes qui, dans ses observations finales du 22 octobre 2010, s’est dit préoccupé par les conditions régnant lors des accouchements et dans les services d’obstétrique en République tchèque et a adressé au Gouvernement un certain nombre de recommandations en la matière (paragraphe 65 ci‑dessus ; voir aussi les paragraphes 56 et 95 de l’arrêt de la chambre).

189. La Cour considère qu’elle ne peut ignorer ces préoccupations pour déterminer si les autorités ont ménagé un juste équilibre entre les intérêts concurrents en jeu. Par ailleurs, elle reconnaît que depuis 2014 le Gouvernement a pris des initiatives en vue d’améliorer la situation, notamment en créant un comité gouvernemental d’experts dans les domaines de l’obstétrique, du métier de sage-femme et des droits connexes des femmes. La Cour prend note également de la récente déclaration – publiée en août 2015 – de la Société tchèque de gynécologie et d’obstétrique (paragraphes 103-104 ci-dessus). Dans ce contexte, elle juge opportun d’inviter les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière de santé génésique, notamment en garantissant des conditions adéquates aux patientes comme au personnel médical des maternités de tout le pays.

190. En conclusion, et eu égard à la marge d’appréciation de l’État (paragraphe 184 ci-dessus), la Cour estime que l’ingérence dans l’exercice par les requérantes du droit au respect de leur vie privée n’était pas disproportionnée.

191. En conséquence, il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

Dit, par douze voix contre cinq, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 15 novembre 2016.

Johan CallewaertGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion dissidente commune aux juges Sajó, Karakaş, Nicolaou, Laffranque et Keller.

G.R.
J.C.

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SAJÓ, KARAKAŞ, NICOLAOU, LAFFRANQUE ET KELLER

(Traduction)

I. Introduction

1. Nous regrettons de ne pouvoir souscrire à l’avis de la majorité de la Grande Chambre selon lequel il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention en l’espèce. Nous estimons que la législation tchèque pertinente rend l’accouchement à domicile de facto impossible en posant des exigences excessivement rigides quant à l’équipement nécessaire pour un accouchement, auxquelles seuls les hôpitaux peuvent satisfaire. Il s’ensuit une ingérence dans l’exercice de la liberté de choix des mères, ingérence qui n’est pas proportionnée dans une société démocratique. Le système en question est de plus préjudiciable à la santé des mères et de leurs nouveau‑nés, et il les prive de la possibilité de recevoir l’indispensable assistance d’une sage-femme lors d’une naissance à domicile.

2. La majorité reconnaît à juste titre que choisir les circonstances de son accouchement relève de l’article 8 de la Convention. Nous partageons également l’avis de nos collègues selon lequel le droit tchèque, dans sa rédaction actuelle, implique une ingérence dans l’exercice par les requérantes du droit à bénéficier de l’assistance d’une sage-femme pour un accouchement à domicile. Malgré quelques hésitations, nous pouvons admettre que cette ingérence était prévue par la loi et, en théorie, qu’elle poursuivait un but légitime. Nous parvenons toutefois à une conclusion différente de celle de la majorité en ce qui concerne le critère de proportionnalité.

3. Nous commencerons par examiner le cadre général de la Convention, appliqué à un contexte de « multipolarité » des droits de l’homme (section II). Nous analyserons ensuite la jurisprudence de la Cour sur l’accouchement à domicile (section III) et soulignerons quelques spécificités des services obstétricaux en République tchèque (section IV) ainsi que les risques liés à l’accouchement à domicile (section V). Nous en viendrons ensuite aux principaux arguments qui conduisent la majorité à un constat de non‑violation de l’article 8 (section VI). L’application des principes généraux pertinents à la situation concrète des requérantes (section VII) nous amène à la conclusion (section VIII) que l’ingérence en cause était disproportionnée.

II. Le cadre général de la Convention

4. Nous nous trouvons en l’espèce face à une situation manifeste de « multipolarité » des droits de l’homme : différents droits sont ici en jeu, à savoir, d’un côté, la liberté pour les futures mères de choisir la manière dont elles souhaitent accoucher (qui relève de l’article 8 de la Convention) et, de l’autre, le droit à la vie des mères et des nouveau-nés au regard de l’article 2 de la Convention. L’État est tenu de fournir le cadre nécessaire pour garantir ces deux aspects, c’est-à-dire de respecter le choix de la mère et de protéger le droit à la vie de la mère et de l’enfant.

5. La majorité déclare à juste titre que la question de l’accouchement à domicile touche à un intérêt général important dans le domaine de la santé publique (paragraphe 182 de l’arrêt). La difficulté est de ménager un juste équilibre entre le droit des requérantes au respect de leur vie privée et l’intérêt de l’État à protéger la santé et la sécurité de l’enfant et de la mère (paragraphe 180 de l’arrêt). En cas de conflit entre des droits protégés par la Convention, la jurisprudence de la Cour reconnaît explicitement que les États membres jouissent en général d’une certaine marge d’appréciation (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, §§ 40–49, CEDH 2003‑III, et Dickson c. Royaume-Uni [GC], no 44362/04, §§ 77–85, CEDH 2007‑V).

6. Cette marge d’appréciation est également applicable, notamment, au législateur. Or la législation nationale n’échappe pas au contrôle de la Cour, car la Convention impose des limites au cadre juridique fixé par l’État. L’existence d’une marge d’appréciation ne doit pas être assimilée à une quelconque « carte blanche » donnée au législateur national, car une telle démarche aurait pour effet de vider de toute substance les droits garantis par la Convention. Dans une affaire soulevant des questions au regard de l’article 8 de la Convention, il y a lieu de prendre en compte un certain nombre de facteurs pour se prononcer sur l’ampleur de la marge d’appréciation devant être reconnue à l’État. Lorsqu’un aspect particulièrement important de l’existence ou de l’identité d’un individu se trouve en jeu, la marge accordée à l’État est d’ordinaire restreinte. Par contre, lorsqu’il n’y a pas de consensus au sein des États membres du Conseil de l’Europe, que ce soit sur l’importance relative de l’intérêt en jeu ou sur les meilleurs moyens de le protéger, en particulier lorsque l’affaire soulève des questions morales ou éthiques délicates, la marge d’appréciation est plus large (S.H. et autres c. Autriche [GC], no 57813/00, § 94, CEDH 2011).

7. Nous observons tout d’abord que la décision relative à la façon dont une future mère souhaite accoucher constitue une question fondamentale au regard de l’article 8 de la Convention. L’accouchement représente l’un des aspects les plus intimes de la vie d’une femme. À cet égard nous partageons l’avis de la majorité, qui décrit la mise au monde d’un enfant comme un moment unique et délicat dans la vie d’une femme (paragraphe 163 de l’arrêt). Deuxièmement, nous tenons à insister sur le fait qu’aucun conflit d’intérêts n’oppose généralement une mère et son enfant (paragraphe 185 de l’arrêt). En d’autres termes, nous ne doutons pas que dans des circonstances ordinaires une mère choisira la meilleure option pour mettre au monde son enfant, en tenant compte de sa propre santé et de celle du bébé. Troisièmement, la Cour doit toujours soumettre les interdictions absolues ou globales au contrôle le plus strict. Dans l’affaire Costa et Pavan c. Italie (no 54270/10, § 68, 28 août 2012), qui portait sur l’interdiction en Italie de recourir au diagnostic génétique préimplantatoire (DPI), la Cour a rappelé qu’elle pouvait examiner la compatibilité avec la Convention de mesures internes même dans des domaines où l’État jouit d’une ample marge d’appréciation. Dans l’affaire en question, la Cour a conclu que les mesures adoptées n’avaient pas été proportionnées dès lors que, même si la voie de l’avortement thérapeutique était ouverte aux requérants, ils n’avaient pas accès à un DPI (ibidem, §§ 69-70). Autrement dit, la Cour doit s’assurer que le législateur national a tenu compte des différentes questions en jeu (S.H. et autres c. Autriche, précité, § 117) et que le cadre législatif final ne débouche pas sur un résultat paradoxal.

8. Dès lors qu’en général toutes les femmes enceintes qui souhaitent accoucher à domicile en République tchèque, comme ce fut le cas des requérantes, sont contraintes de le faire sans l’aide d’un professionnel de santé, le cadre juridique – qui ainsi frappe d’une interdiction de facto l’accouchement à domicile – produit en pratique un résultat paradoxal et contre-productif en ce que l’enfant et la mère se trouvent exposés à un risque si celle-ci choisit d’accoucher chez elle (ce qu’au bout du compte la majorité admet également, dans la dernière phrase du paragraphe 187 de l’arrêt).

III. L’arrêt Ternovszky c. Hongrie

9. Dans l’affaire Ternovszky c. Hongrie (no 67545/09, § 22, 14 décembre 2010), la Cour a déclaré pour la première fois que « les conditions dans lesquelles on donne la vie font indéniablement partie intégrante de la vie privée d’une personne ». Elle a poursuivi comme suit : « lorsque des choix liés à l’exercice d’un droit au respect de la vie privée interviennent dans un domaine régi par la loi, l’État doit par la réglementation offrir une protection juridique adéquate au droit en question (...). Il est vrai qu’à cet égard l’État jouit d’une ample marge d’appréciation ; la réglementation doit cependant ménager un juste équilibre entre les intérêts de la société et le droit en jeu. Dans le contexte d’un accouchement à domicile, considéré comme une question de choix personnel de la mère, cela implique que la mère ait droit à un cadre juridique et institutionnel permettant son choix, excepté lorsque d’autres droits rendent nécessaire la restriction de ce choix » (ibidem, § 24, italique ajouté).

10. Nous ne contestons pas que le droit d’opter pour l’accouchement à domicile n’est jamais absolu. Tous les pays examinés dans l’étude de droit comparé de la Cour (paragraphes 67-68 de l’arrêt) subordonnent ce droit à certaines conditions complémentaires. Cependant, il n’est pas compatible avec la Convention qu’une sage-femme ou un professionnel de santé coure le risque d’être poursuivi pour avoir pratiqué un accouchement à domicile lege artis. Dans l’arrêt Ternovszky c. Hongrie, la Cour a conclu dans ce contexte à la violation de l’article 8 de la Convention. En conséquence, il faut qu’il existe une possibilité réelle de choisir l’accouchement à domicile ; dans le cas contraire, l’article 8 de la Convention est en soi violé.

11. Les cadres juridiques respectifs de la République tchèque et de la Hongrie sont légèrement différents. En République tchèque, il n’existe aucune disposition qui sanctionne les sages-femmes. Cependant, l’équipement requis par la loi sur les services médicaux et l’arrêté no 92/2012 empêche les mères de se faire aider par une sage-femme lors d’un accouchement à domicile. Le droit de ces deux pays – malgré des règles différentes – rend l’accouchement à domicile assisté impossible dans le cas de la Hongrie et peu sûr dans le cas de la République tchèque. Les parents concernés ne jouissent donc pas non plus d’une possibilité réelle de choisir dans ce dernier État, car un accouchement à domicile sans sage‑femme met indéniablement en danger la vie de la mère et de l’enfant. Dès lors, le droit tchèque empêche de facto l’accouchement à domicile et a un effet dissuasif sur les mères qui souhaitent mettre au monde leur enfant chez elles.

12. En outre, certains pays, inspirés par les documents internationaux pertinents et la jurisprudence de la Cour, ont récemment modifié leur législation de manière à respecter le droit de choisir les circonstances et le lieu d’un accouchement (ainsi, l’Estonie, en 2014, a basé sa réglementation sur la définition de l’accouchement normal donnée par l’OMS). En atténuant les principes dégagés dans l’affaire Ternovszky, l’arrêt rendu en l’espèce risque d’envoyer un signal qui brouille cette tendance. Cela ne cadre pas avec la position de la majorité, exprimée au paragraphe 189 de l’arrêt, où la Cour invite les autorités tchèques à poursuivre leurs progrès en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et scientifiques.

IV. Les particularités des services obstétricaux en République tchèque

13. Avant d’examiner de plus près le raisonnement de la Cour, nous souhaitons nous pencher sur le cadre plus large de la question soulevée par l’espèce. Il y a deux aspects importants : le mécontentement largement partagé face au non-respect des choix des femmes pendant l’accouchement dans les hôpitaux tchèques, et la dimension économique des soins obstétricaux dispensés.

14. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a reçu plusieurs plaintes dirigées contre la République tchèque au sujet d’interventions médicales inutiles pratiquées en l’absence d’un consentement préalable, libre et éclairé des femmes, en particulier pendant l’accouchement. Le comité a recommandé que l’on laisse aux femmes le choix du lieu de l’accouchement et, dans ses observations du 14 mars 2016 sur la République tchèque (CEDAW/C/CZE/CO/6), il a explicitement mentionné l’imposition de restrictions injustifiées aux accouchements à domicile ainsi que les conditions trop restrictives dans lesquelles il peut être fait appel aux services de sages-femmes plutôt qu’à ceux de médecins dans les cas où il n’y a aucun risque pour la santé (observations du Comité, § 30, p. 10).

15. Il ne faut pas prendre à la légère les attitudes condescendantes, chez les professionnels de santé, car elles peuvent emporter violation du droit d’un individu à l’autodétermination au regard de la Convention[1]. Par le passé, la Cour a explicitement reconnu l’obligation d’associer les individus aux décisions concernant leur traitement médical (Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, §§ 70-83, CEDH 2004‑II, et Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, §§ 114-130, CEDH 2007‑I).

16. À cet égard, on peut déjà percevoir des signes préoccupants dans la jurisprudence de notre Cour en ce qui concerne la situation en République tchèque. Ainsi, la Cour a conclu à la violation de l’article 8 dans une affaire qui portait sur une mesure judiciaire provisoire exigeant le retour à l’hôpital d’un nouveau-né et de sa mère, laquelle venait d’accoucher et était rentrée chez elle immédiatement après, et sur l’absence de recours permettant de se plaindre de cette mesure provisoire (Hanzelkovi c. République tchèque, no 43643/10, 11 décembre 2014). Dans cette affaire, la Cour a dit en particulier que la prise en charge d’un nouveau-né dès sa naissance était une mesure extrêmement dure et qu’il fallait généralement des raisons impérieuses pour qu’un bébé puisse être soustrait à sa mère contre la volonté de celle-ci.

17. En empêchant indirectement les sages-femmes de pratiquer des accouchements à domicile, par le biais de la loi – et de ses exigences excessivement rigoureuses concernant l’équipement disponible –, l’État octroie au secteur de la santé publique et aux hôpitaux un monopole de facto dans ce domaine. Si pareil monopole de l’État va de pair avec une restriction sévère à un droit essentiel de l’article 8, alors il mérite un contrôle minutieux de la Cour. En effet, dans l’élaboration du cadre législatif de l’État, il se peut que des intérêts économiques aient joué un rôle plus décisif que la protection du nouveau-né.

18. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a invité la République tchèque à prendre des mesures au niveau législatif pour que les accouchements pratiqués par des sages-femmes en dehors des hôpitaux soient une option sans danger et abordable pour les femmes (CEDAW/C/CZE/CO/6, p. 10, § 31). Comme nous le verrons ci‑après, il existe certainement en la matière des mesures moins intrusives – et ne sacrifiant pas l’intérêt de l’État à protéger les mères et leurs nouveau‑nés – que celles actuellement imposées par le cadre législatif.

V. Les risques liés à l’accouchement à domicile

19. Concernant les risques liés à l’accouchement à domicile, nous estimons, contrairement à la majorité (paragraphe 186 de l’arrêt), que l’argument relatif à la santé publique avancé par le Gouvernement n’est pas convaincant en soi.

20. Comme l’a souligné l’Ordre royal des sages-femmes, accoucher à domicile sans l’aide d’une sage-femme augmente les risques pour la mère et l’enfant, et les femmes risquent d’hésiter à se faire transporter à l’hôpital en cas de complications survenant lors d’un tel accouchement, à cause de la stigmatisation subie par celles qui font ce choix (paragraphe 138 de l’arrêt).

21. Qui plus est, les données statistiques fournies par le gouvernement tchèque permettent d’aboutir à un argument différent lorsqu’on les compare aux informations dont on dispose pour d’autres pays. Même si la République tchèque possède l’un des plus faibles taux de mortalité sur les vingt‑sept premiers jours de la vie, taux qui s’établit à 0,17 %, le chiffre est inférieur ou à peine supérieur dans un certain nombre de pays autorisant l’accouchement à domicile[2]. Ce taux est par exemple de 0,16 % en Suède et de 0,12 % en Islande, pays où l’on pratique l’accouchement à domicile programmé et assisté.

22. En outre, la Cour n’a pas tenu compte des tendances internationales allant dans le sens de l’accouchement à domicile assisté, ni des efforts déployés pour réglementer le métier de sage-femme. Dès 1996, l’OMS déclarait ce qui suit dans un rapport (WHO/FRH/MSM/96.24) :

« Les Pays-Bas sont un pays industrialisé doté d’un système officiel d’accouchement à domicile. L’incidence des accouchements à domicile diffère sensiblement selon les régions, et même d’une grande ville à une autre. Une étude de la mortalité périnatale n’a permis d’établir aucun lien entre l’hospitalisation régionale lors de l’accouchement et la mortalité périnatale régionale (Treffers et Laan 1986). Une étude effectuée dans la province de Gelderland comparait le « résultat obstétrical » des accouchements à domicile et celui des accouchements en milieu hospitalier. Pour les primipares avec une grossesse à faible risque, un accouchement à domicile était aussi sûr qu’un accouchement en milieu hospitalier. Pour les multipares à faible risque, le résultat d’un accouchement à domicile était nettement meilleur que le résultat d’un accouchement en milieu hospitalier (Wiegers et al. 1996). Rien ne prouve que ce système de soins pour les femmes enceintes puisse être amélioré par une médicalisation accrue des accouchements (Buitendijk 1993). » (p. 13)

23. Dans son rapport de 2011 sur la législation et la réglementation relatives au métier de sage-femme (« Legislation and Regulation of Midwifery – Making Safe Motherhood Possible »), l’OMS a même déclaré ceci : « des éléments solides étayent aujourd’hui la récente recommandation selon laquelle, aux fins de rendre la grossesse plus sûre, il faudrait que toutes les femmes disposent d’un professionnel qualifié pendant la grossesse [et] l’accouchement (...) » (p. 7 – traduction du greffe).

24. Pour toutes ces raisons, nous estimons qu’une future mère qui est informée, qui est en bonne santé et qui a une grossesse à faible risque peut raisonnablement opter pour un accouchement à domicile assisté par une sage-femme et que ce choix ne comporte de risque excessif ni pour la mère ni pour le bébé.

VI. Marge d’appréciation et consensus sur la non-interdiction de l’accouchement à domicile

25. S’agissant du raisonnement de la Cour, nous souhaitons évoquer la marge d’appréciation dont l’État disposait dans cette affaire particulière (paragraphes 178 et suivants de l’arrêt). Si nous pensons comme la majorité que selon la jurisprudence il convient d’accorder une ample marge d’appréciation aux autorités nationales, nous parvenons à cette conclusion par un raisonnement légèrement différent, qui nous amène à constater que l’ingérence litigieuse n’est pas nécessaire dans une société démocratique.

26. Comme nous l’avons indiqué ci-dessus (paragraphe 5), les États jouissent d’ordinaire d’une grande marge d’appréciation lorsque sont en concurrence des intérêts privés et des intérêts publics ou plusieurs droits découlant de la Convention. Puisque tel est le cas en l’espèce, nous disons que – contrairement à l’approche de la majorité – il n’est pas nécessaire de rechercher s’il existe au sein des États membres un consensus sur l’accouchement à domicile pour déterminer l’ampleur de la marge d’appréciation laissée à l’État.

27. Lorsque les États jouissent d’une ample marge d’appréciation dans le contexte de l’article 8 de la Convention, une ingérence dans l’exercice des droits consacrés par cette disposition ne peut être justifiée que s’il existe des « motifs pertinents et suffisants » (Zaieţ c. Roumanie, no 44958/05, § 50, 24 mars 2015, Hanzelkovi, précité, § 72, Winterstein et autres c. France, no 27013/07, §§ 75-76, 17 octobre 2013, et S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, § 101, CEDH 2008-V). Dans le cadre de l’examen d’une affaire, il faut donc que la Cour tienne dûment compte des intérêts de l’individu (Hatton et autres c. Royaume-Uni [GC], no 36022/97, § 99, CEDH 2003‑VIII). Nous estimons qu’en l’espèce la Cour n’a pas fait preuve d’une prudence suffisante à cet égard (voir les paragraphes 29 et suivants, ci-dessous).

28. À supposer même que la Cour ait été appelée à rechercher en l’espèce s’il existait au sein des États un consensus relatif à l’accouchement à domicile, nous n’adhérons pas à la façon dont la majorité traite cette question. Lorsque près de 50 % des États membres prévoient et réglementent l’accouchement à domicile (vingt États membres sur les quarante-trois étudiés), que celui-ci n’est pas réglementé ou est sous‑réglementé dans vingt-trois États membres, mais qu’aucun des quarante-trois États étudiés ne possède de législation interdisant l’assistance d’une sage-femme lors d’un tel accouchement (paragraphe 68 de l’arrêt), alors il existe bel et bien au sein des États membres un consensus en faveur de la non‑interdiction de l’accouchement à domicile.

29. Pour ce qui est de la proportionnalité d’une interdiction de facto de l’accouchement à domicile, nous souscrivons à la position de la Cour constitutionnelle tchèque, qui a déclaré ce qui suit :

« (...) un État démocratique moderne fondé sur la prééminence du droit repose sur la protection de libertés individuelles et inaliénables, dont la délimitation a un rapport étroit avec la dignité humaine. Ces libertés, qui comprennent la liberté dans les activités personnelles, vont de pair avec une part de risque acceptable. Le droit des parents de choisir librement le lieu et le mode d’accouchement n’est limité que par l’intérêt à voir l’accouchement bien se passer et à protéger la santé de l’enfant, cet intérêt ne pouvant toutefois être interprété comme une préférence inconditionnelle pour l’accouchement à l’hôpital. » (décision no.I. ÚS 4457/12, citée au paragraphe 34 de l’arrêt). »

30. Ainsi, malgré l’ample marge d’appréciation dont dispose l’État, un cadre législatif prévoyant une seule et unique option pour l’accouchement, à savoir en milieu hospitalier, ne peut être considéré comme proportionné et il constitue à nos yeux une ingérence non nécessaire de l’État dans l’exercice par les femmes de leurs droits découlant de l’article 8 de la Convention. De plus, nous relevons que pour l’heure – la majorité refuse de le reconnaître – aucune maison de naissance n’a été ouverte en République tchèque, en raison des importantes exigences relatives aux moyens techniques, matériels et humains qui sont imposées à ces établissements (paragraphe 149 de l’arrêt).

VII. Le contexte des causes de Mme Dubská et de Mme Krejzová

31. Venons-en aux circonstances particulières des deux causes. Après une mauvaise expérience vécue lors de son premier accouchement à l’hôpital, Mme Dubská décida de mettre au monde son deuxième enfant seule, chez elle. Sa deuxième grossesse, jusqu’à la naissance de son fils en mai 2011, se déroula sans complications (paragraphe 10 de l’arrêt). Elle ne put néanmoins trouver de sage-femme pour l’aider à accoucher.

32. Mme Krejzová avait donné naissance à ses deux premiers enfants chez elle, en 2008 et en 2010, avec l’assistance d’une sage-femme. Les sages-femmes concernées avaient toutefois pratiqué ces accouchements sans autorisation officielle. Lorsque Mme Krejzová fut à nouveau enceinte en 2011, elle ne parvint à trouver aucune sage-femme disposée à l’aider, parce qu’un tel acte était passible d’une lourde amende (paragraphe 19 de l’arrêt). Les autorités nationales avec lesquelles elle prit contact refusèrent de lui proposer une solution. Elle fut donc contrainte d’accoucher à l’hôpital. Ces deux exemples sont une illustration parfaite de l’effet dissuasif qu’entraîne la législation tchèque en matière d’accouchement à domicile.

33. Dans les deux cas, les grossesses des requérantes n’ont comporté ni risques ni complications exigeant un accouchement à l’hôpital. Il est vrai sans doute que même une grossesse « à faible risque » peut donner lieu à des difficultés inattendues au moment de l’accouchement, mais l’argument du Gouvernement résumé au paragraphe 186 de l’arrêt ne peut en soi justifier une interdiction de facto absolue dans de telles circonstances. L’argument lui-même est discutable, car le taux de mortalité périnatale dans les pays autorisant l’accouchement à domicile avec l’assistance d’une sage‑femme est quelquefois même inférieur, ou à peine supérieur, au taux affiché par la République tchèque (paragraphe 21 ci-dessus). De plus, la Cour constitutionnelle tchèque a elle-même déclaré qu’il existait en la matière une part de risque acceptable (paragraphe 29 ci-dessus).

34. Dès lors, nous disons qu’en ce qui concerne les grossesses « à faible risque » il est possible et raisonnable d’autoriser les parents à choisir les circonstances de l’accouchement tout en protégeant les intérêts de l’enfant couverts par l’article 2 de la Convention. Cela exige toutefois de l’État qu’il veille à ce que les sages-femmes puissent prêter leur assistance à un accouchement, ou du moins signifie qu’il ne doit pas les en empêcher.

VIII. Conclusions

35. En conclusion, nous considérons que le modèle d’accouchement unique envisagé par la législation tchèque litigieuse, qui ne laisse guère d’autre choix aux futures mères que d’accoucher à l’hôpital, est en soi problématique au regard de l’article 8 de la Convention. À notre avis, le fait d’empêcher les sages-femmes d’aider les deux requérantes à accoucher à domicile – qui plus est dans le contexte de grossesses à faible risque, chez des femmes qui avaient déjà enfanté – n’était justifié dans une société démocratique par aucun argument convaincant lié à la santé publique.

36. Pour l’avenir, nous ne pouvons qu’insister sur l’invitation que la Cour adresse au législateur tchèque, à savoir de « poursuivre [ses] progrès en assurant un suivi constant des dispositions juridiques pertinentes, de manière à veiller à ce qu’elles reflètent les avancées médicales et scientifiques tout en respectant pleinement les droits des femmes en matière de santé génésique, notamment en garantissant des conditions adéquates aux patientes comme au personnel médical des maternités de tout le pays » (paragraphe 189, dernière phrase, italique ajouté).

* * *

[1]. Voir, dans le même sens, l’opinion de Lord Kerr et de Lord Reed (à laquelle se sont ralliés Lord Neuberger, Lord Clarke, Lord Wilson et Lord Hodge) dans Montgomery (Appellant) v Lanarkshire Health Board (Respondent) (Scotland) [2015] UKSC 11 (11 mars 2015), paragraphe 81 : « Les développements sociaux et juridiques évoqués plus haut ne vont pas dans le sens d’un modèle de relation médecin-patient basé sur le paternalisme médical. Ils ne vont pas non plus dans le sens d’un modèle dans le cadre duquel le patient serait considéré comme entièrement tributaire des informations fournies par le médecin. En revanche ils vont dans le sens d’une approche du droit qui, au lieu de traiter le patient comme s’en remettant à son médecin (et donc comme étant prompt à lui intenter un procès en cas d’issue décevante), le traite dans la mesure du possible en adulte qui est capable de saisir que le succès d’un traitement médical est incertain et que ce traitement peut comporter des risques, qui assume la responsabilité de la prise de risques concernant sa propre existence et qui vit avec les conséquences de ses choix. »

[2]. Annexe C2, « Neonatal Mortality Rate for annual deaths » (nombres et taux pour 1 000 enfants nés vivants), du rapport European Perinatal Health Report: Health and Care of Pregnant Women and Babies in Europe in 2010, mai 2013


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-168942
Date de la décision : 15/11/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : DUBSKÁ ET KREJZOVÁ
Défendeurs : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ZAHUMENSKY D. ; HOREJSI R.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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