La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/10/2016 | CEDH | N°001-168275

CEDH | CEDH, AFFAIRE MURŠIĆ c. CROATIE, 2016, 001-168275


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE MURŠIĆ c. CROATIE

(Requête no 7334/13)

ARRÊT

STRASBOURG

20 octobre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Muršić c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika Nußberger,
Kristina Pardalos,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Paul Mah

oney,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,

Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Yonko Grozev,
Armen Harutyunyan,
Pauliine ...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE MURŠIĆ c. CROATIE

(Requête no 7334/13)

ARRÊT

STRASBOURG

20 octobre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Muršić c. Croatie,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Luis López Guerra,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Angelika Nußberger,
Kristina Pardalos,
Vincent A. De Gaetano,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,

Faris Vehabović,
Ksenija Turković,
Jon Fridrik Kjølbro,
Yonko Grozev,
Armen Harutyunyan,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Roderick Liddell, greffier,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 janvier et le 23 juin 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 7334/13) dirigée contre la République de Croatie et dont un ressortissant de cet État, M. Kristijan Muršić (« le requérant »), a saisi la Cour le 17 décembre 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me Z. Vidović, avocat à Varaždin. Le gouvernement croate (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme Š. Stažnik.

3. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant alléguait en particulier que ses conditions de détention avaient été inadéquates, en raison principalement d’un manque d’espace personnel.

4. Le 8 octobre 2013, le président de la première section, à laquelle la requête avait été attribuée (article 52 § 1 du règlement de la Cour, « le règlement »), a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Le 12 mars 2015, une chambre de ladite section composée de Isabelle Berro, présidente, Khanlar Hajiyev, Julia Laffranque, Linos-Alexandre Sicilianos, Erik Møse, Ksenija Turković et Dmitry Dedov, juges, ainsi que de Søren Nielsen, greffier de section, a rendu son arrêt dans lequel elle déclarait à l’unanimité la requête recevable quant au grief tiré de l’article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus, et concluait, à la majorité, à la non-violation de l’article 3 de la Convention. À l’arrêt se trouvait joint le texte de l’opinion dissidente du juge Sicilianos.

5. Le 10 juin 2015, le requérant a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 6 juillet 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Lors des dernières délibérations, Krzysztof Wojtyczek et Pauliine Koskelo, juges suppléants, ont remplacé Işıl Karakaş et Egidijus Kūris, empêchés (article 24 § 3 du règlement).

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement). Par ailleurs, des observations conjointes ont été reçues de l’Observatoire international des prisons – section française (OIP-SF), de la Ligue belge des droits de l’homme (LDH) et du Réseau européen de contentieux pénitentiaire (RCP), que le président avait autorisés le 7 octobre 2015 à intervenir dans la procédure écrite, ainsi que du Centre de documentation « L’altro diritto onlus », que le président avait autorisé le 20 octobre 2015 à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme à Strasbourg, le 6 janvier 2016 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmeŠ. Stažnik, représentante de la République
de Croatie devant la Cour européenne des droits
de l’homme,agente,
M.A. Mostovac, de la représentation de la République
de Croatie devant la Cour européenne des droits
de l’homme,
MmesM. Konforta, de la représentation de la République
de Croatie devant la Cour européenne des droits de
l’homme,
M. Barić, chef de section à la direction
de l’administration pénitentiaire
du ministère de la Justice, conseillers ;

– pour le requérant
MesZ. Vidović, avocat,conseil,
A. Vidović, avocate,conseillère.

La Cour a entendu en leurs déclarations Me Vidović et Mme Stažnik, et, en leurs réponses aux questions posées par les juges, Me Vidović et M. Mostovac.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1987 et réside à Kuršanec.

A. La genèse de l’affaire

10. Par un arrêt du tribunal du comté de Čakovec (Županijski sud u Čakovcu) du 19 juin 2008 confirmé par la Cour suprême (Vrhovni sud Republike Hrvatske) le 3 février 2009, le requérant fut condamné à deux ans d’emprisonnement pour vol à main armée.

11. Le 2 juillet 2010, le tribunal municipal de Čakovec (Općinski sud u Čakovcu) le condamna à un an d’emprisonnement pour vol simple. Cette condamnation fut confirmée par le tribunal du comté de Čakovec le 3 novembre 2010.

12. Le 26 août 2011, à la demande du requérant, une formation de trois juges du tribunal du comté de Čakovec prit en compte ces deux condamnations et prononça contre l’intéressé une peine unique de deux ans et onze mois d’emprisonnement.

B. Les conditions de détention du requérant à la prison de Bjelovar

13. Le 16 octobre 2009, le requérant fut transféré de la prison d’État de Turopolje (Kaznionica u Turopolju), où il était placé sous un régime de détention semi-ouvert, vers la prison de comté de Bjelovar (Zatvor u Bjelovaru), pour y purger la peine d’emprisonnement que lui avait imposée le tribunal du comté de Čakovec le 19 juin 2008 (paragraphe 10 ci-dessus). Selon un rapport de la prison d’État de Turopolje, ce transfert fut motivé par la mauvaise conduite du requérant, qui aurait notamment tenté de s’évader.

14. Le requérant demeura à la prison de Bjelovar jusqu’au 16 mars 2011, date à laquelle il fut transféré à la prison de comté de Varaždin (Zatvor u Varaždinu) en vertu d’une décision prise le 11 mars 2011 par la direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice (Ministarstvo pravosuđa, Uprava za zatvorski sustav).

15. Le requérant allègue que pendant son séjour à la prison de Bjelovar, il a été détenu dans des cellules surpeuplées. En particulier, pendant cinquante jours au total, dont vingt-sept jours consécutifs, il aurait disposé de moins de 3 mètres carrés (m²) d’espace personnel. De plus, pendant plusieurs périodes non consécutives, il aurait disposé d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m² (paragraphe 17 ci-dessous).

16. Le requérant ajoute que les cellules dans lesquelles il a été détenu étaient mal entretenues, humides et sales, et qu’elles ne disposaient pas de suffisamment de casiers et de chaises pour tous les détenus. Les sanitaires auraient été dans la même pièce que l’espace de vie, dont ils n’auraient pas été complètement séparés. Ils se seraient trouvés à cinquante centimètres environ de la table où les détenus prenaient leurs repas et il aurait constamment régné dans la cellule une mauvaise odeur. De plus, le requérant n’aurait pas eu la possibilité de travailler en prison et, de manière générale, il n’aurait pas disposé d’un accès suffisant à des activités récréatives et éducatives. Les détenus auraient été autorisés à circuler librement hors des cellules entre 16 heures et 19 heures, mais les installations situées hors des cellules auraient été qualitativement et quantitativement insuffisantes ; en particulier, il n’y aurait eu qu’une cour de promenade en plein air. Les détenus auraient été mal nourris et les conditions d’hygiène auraient été insatisfaisantes, considérant en particulier que les toilettes n’étaient pas séparées de l’espace de vie. Les détenus n’auraient pas non plus bénéficié d’un accès suffisant à l’eau chaude et ils n’auraient été autorisés à se doucher qu’une fois, ou parfois trois fois par semaine.

17. Le Gouvernement affirme qu’à la prison de Bjelovar le requérant a disposé en moyenne de 3,59 m² d’espace personnel, et qu’il y a été détenu dans quatre cellules différentes, dans les conditions précisées dans le tableau ci-dessous.

Le tableau indique pour chaque cellule la surface totale (chiffres communiqués par le Gouvernement) et la surface hors sanitaires (d’après la méthode de calcul exposée au paragraphe 114 ci-dessous). La taille des sanitaires (1,9 m²) a été calculée de manière approximative à partir des plans de la prison, que le Gouvernement a communiqués à la Cour et qui ne sont pas contestés par le requérant.

No de cellule

|

Période de détention

|

Nombre total de détenus

|

Surface totale

en m²

|

Espace personnel en m²

|

Surface hors sanitaires en m²

|

Espace personnel en m²

---|---|---|---|---|---|---

1/O

|

16.10-15.11.2009

|

6

|

19,7

|

3,28

|

17,8

|

2,96

1/O

|

16.11-19.11.2009

|

5

|

19,7

|

3,94

|

17,8

|

3,56

1/O

|

20.11.2009-05.02.2010

|

6

|

19,7

|

3,28

|

17,8

|

2,96

1/O

|

06.02-08.02.2010

|

5

|

19,7

|

3,94

|

17,8

|

3,56

1/O

|

09.02-10.04.2010

|

6

|

19,7

|

3,28

|

17,8

|

2,96

1/O

|

11.04.-20.04.2010

|

5

|

19,7

|

3,94

|

17,8

|

3,56

8/O

|

21.04.2010

|

8

|

22,88

|

2,86

|

20,98

|

2,62

8/O

|

22.04-29.04.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

30.04-02.05.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

03.05-05.05.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

06.05-07.05.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

08.05-09.05.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

10.05.-25.05.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

26.05.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

27.05-02.06.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

03.06-04.06.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

05.06-16.06.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

17.06-19.06.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

20.06-30.06.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

01.07-02.07.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

03.07-05.07.2010

|

8

|

22,88

|

2,86

|

20,98

|

2,62

8/O

|

06.07-17.07.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

18.07-13.08.2010

|

8

|

22,88

|

2,86

|

20,98

|

2,62

14.08-17.08.2010 Période passée à l’hôpital de la prison

8/O

|

18.08-26.08.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

27.08-30.08.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

4/O

|

31.08-02.09.2010

|

8

|

22,36

|

2,80

|

20,46

|

2,55

4/O

|

03.09.2010

|

7

|

22,36

|

3,19

|

20,46

|

2,92

8/O

|

04.09-06.09.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

07.09.2010

|

4

|

22,88

|

5,72

|

20,98

|

5,24

8/O

|

08.09-16.09.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

17.09.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

18.09.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

19.09-01.10.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

02.10-05.10.2010

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/I

|

06.10-07.10.2010

|

5

|

22,18

|

4,44

|

20,28

|

4,05

8/I

|

08.10-19.10.2010

|

4

|

22,18

|

5,55

|

20,28

|

5,07

8/I

|

20.10-21.10.2010

|

3

|

22,18

|

7,39

|

20,28

|

6,76

8/I

|

22.10-23.10.2010

|

4

|

22,18

|

5,55

|

20,28

|

5,07

8/I

|

24.10-25.10.2010

|

5

|

22,18

|

4,44

|

20,28

|

4,05

8/I

|

26.10-28.10.2010

|

6

|

22,18

|

3,70

|

20,28

|

3,38

8/I

|

29.10-30.10.2010

|

5

|

22,18

|

4,44

|

20,28

|

4,05

8/I

|

31.10-04.11.2010

|

6

|

22,18

|

3,70

|

20,28

|

3,38

4/O

|

05.11.2010

|

6

|

22,36

|

3,73

|

20,46

|

3,41

4/O

|

06.11-09.11.2010

|

5

|

22,36

|

4,47

|

20,46

|

4,09

4/O

|

10.11-13.11.2010

|

6

|

22,36

|

3,73

|

20,46

|

3,41

4/O

|

14.11-18.11.2010

|

7

|

22,36

|

3,19

|

20,46

|

2,92

4/O

|

19.11-26.11.2010

|

8

|

22,36

|

2,80

|

20,46

|

2,55

4/O

|

27.11-30.11.2010

|

7

|

22,36

|

3,19

|

20,46

|

2,92

8/O

|

01.12-03.12.2010

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

04.12-09.12.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

10.12-12.12.2010

|

8

|

22,88

|

2,86

|

20,98

|

2,62

8/O

|

13.12-21.12.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

22.12-24.12.2010

|

8

|

22,88

|

2,86

|

20,98

|

2,62

8/O

|

25.12-31.12.2010

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

01.01-16.01.2011

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

17.01-25.01.2011

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

26.01-27.01.2011

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

8/O

|

28.01-23.02.2011

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

24.02-25.02.2011

|

8

|

22,88

|

2,86

|

20,98

|

2,62

8/O

|

26.02-28.02.2011

|

7

|

22,88

|

3,27

|

20,98

|

2,99

8/O

|

01.03-15.03.2011

|

5

|

22,88

|

4,58

|

20,98

|

4,19

8/O

|

16.03.2011

|

6

|

22,88

|

3,81

|

20,98

|

3,49

| | | | | | |

18. Le Gouvernement expose que toutes les cellules dans lesquelles le requérant a été détenu étaient dotées d’une fenêtre laissant entrer l’air et la lumière naturels, d’un éclairage artificiel et du chauffage central, ainsi que d’un système de communication permettant aux détenus de contacter immédiatement le personnel pénitentiaire en cas de besoin. Dans toutes les cellules, les toilettes auraient été complètement séparées de l’espace de vie et équipées d’un système de ventilation. Toutes les cellules auraient disposé d’un point d’eau potable. Enfin, elles auraient été constamment entretenues et des travaux de rénovation et d’amélioration des infrastructures qui s’imposaient auraient été réalisés en 2007, en juillet 2009 et de mai à juillet 2010, puis en 2011, en 2012 et en 2013. Les détenus auraient eu accès à toutes les installations sanitaires nécessaires. Ils auraient pu prendre une douche trois fois par semaine et après les activités sportives. L’administration leur aurait fourni régulièrement les articles de toilette et d’hygiène dont ils avaient besoin, ainsi que de quoi nettoyer les cellules. Le linge de lit aurait été changé et lavé tous les quinze jours, voire plus souvent en cas de besoin. De plus, l’administration aurait fourni des vêtements aux détenus bien que ceux-ci fussent autorisés à porter leurs propres habits. Les menus auraient été établis à partir des conseils de nutritionnistes et la qualité de la nourriture aurait été constamment contrôlée par les autorités compétentes de l’État. Les détenus auraient reçu trois repas par jour, répondant aux besoins nutritionnels et contrôlés par le médecin de la prison. Ils auraient pu prendre ces repas dans leur cellule ou dans un réfectoire.

19. Le Gouvernement indique également que les détenus étaient autorisés à circuler librement hors de leur cellule matin et après-midi, et à utiliser les installations intérieures et extérieures de la prison de Bjelovar. En particulier, ils bénéficiaient de deux heures d’exercice en plein air par jour, et ils pouvaient de plus circuler librement hors de leur cellule dans l’enceinte de la prison entre 16 et 19 heures. Dans le cadre du régime ordinaire, les détenus se levaient à 7 heures les jours de semaine et à 7 h 30 les weekends et jours fériés. Ils se lavaient, faisaient leur lit, prenaient leur petit déjeuner, puis nettoyaient leur cellule. Ils pouvaient ensuite participer à différentes activités pendant leur temps libre jusqu’à 13 heures. Le déjeuner était servi entre 13 et 14 heures, et l’après-midi était généralement réservée à différentes activités de groupe et aux rencontres avec les avocats et le personnel pénitentiaire. De 16 à 19 heures, toutes les portes des cellules étaient rouvertes afin de permettre aux détenus de circuler dans la prison et utiliser les installations à leur gré. Le dîner était servi à partir de 19 heures, et il était suivi du rangement et du nettoyage des cellules et des autres locaux de la prison.

20. Le Gouvernement ajoute que la prison de Bjelovar comportait un espace récréatif situé dans la cour et que, outre les parties bitumées, cet espace comprenait également une pelouse. La cour aurait mesuré 305 m². L’espace récréatif aurait été doté d’un point d’eau potable et d’un éclairage artificiel ainsi que d’une protection contre les intempéries. Le gymnase aurait été ouvert de 8 heures à midi trente et de 14 à 18 heures, et le terrain de basketball aurait été accessible de 15 à 16 heures les jours de semaine, ainsi que le matin et l’après-midi les week‑ends. L’espace récréatif aurait également été équipé d’un court de badminton et de tables de ping-pong. Les détenus auraient pu emprunter des livres à la bibliothèque de Bjelovar, qui leur aurait aussi proposé d’autres services. L’administration pénitentiaire aurait par ailleurs organisé des cérémonies religieuses et des rencontres avec des associations culturelles et religieuses. Les cellules auraient toutes disposé de la télévision par câble, que les détenus auraient pu regarder de 7 à 23 heures les jours de semaine et de 7 heures 30 à minuit les week-ends et les jours fériés. Elles auraient aussi été équipées de récepteurs radio. En outre, les détenus auraient pu emprunter et regarder des films dans la prison, et jouer ensemble à des jeux de société. Ils auraient également pu recevoir des visites conjugales dans une pièce prévue à cet effet et se faire remettre diverses denrées provenant de l’extérieur de la prison. La prison de Bjelovar aurait aussi offert des possibilités de formation, mais le requérant aurait décidé de ne pas en profiter. Il aurait été possible d’exercer un travail rémunéré dans la prison, sous réserve des possibilités économiques, lesquelles auraient été limitées à l’époque en raison de la crise économique globale. Il aurait par ailleurs été possible de travailler hors de la prison, mais en raison de ses antécédents (tentatives d’évasion et mauvaise conduite), le requérant n’aurait pas pu se prévaloir de cette possibilité. Pendant son séjour à la prison de Bjelovar, le requérant aurait reçu régulièrement un traitement médical. Il aurait vu sa famille quatre fois à l’occasion des audiences tenues dans son procès à Čakovec où il était jugé pour une autre infraction que les vols pour lesquels il avait été condamné, et il aurait été autorisé à parler à ses proches au téléphone vingt minutes par semaine, plus dix minutes les jours fériés.

21. Le Gouvernement a communiqué à la Cour à l’appui de ses observations des photographies prises en 2007, 2010 et 2011 dans le cadre de la rénovation de la prison et de visites faites à cette occasion par différents responsables, ainsi que des plans de la prison et d’autres documents relatifs aux installations disponibles sur place et aux soins et à la nourriture fournis au requérant.

C. Les griefs du requérant relatifs à ses conditions de détention

22. Le 24 mars 2010, le requérant demanda à l’administration de la prison de Bjelovar, par l’intermédiaire d’un avocat, à être transféré à la prison de Varaždin, pour raisons personnelles et familiales.

23. Le 26 avril 2010, il saisit la direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice d’une réclamation contre l’administration de la prison de Bjelovar, alléguant de manière générale que celle-ci ne lui avait jamais offert la possibilité de rencontrer les responsables compétents pour prendre des décisions à son égard, que sa demande de transfert avait été ignorée, et que la nourriture de la prison présentait des insuffisances.

24. Le 6 mai 2010, le requérant renouvela sa demande de transfert vers la prison de Varaždin, exposant un certain nombre de raisons personnelles et familiales, notamment des difficultés financières empêchant sa famille de lui rendre visite à Bjelovar.

25. Le 14 juillet 2010, la direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice répondit au requérant. Elle jugeait ses griefs dépourvus de fondement à tous égards. Elle estimait qu’il avait bénéficié de possibilités suffisantes de parler à sa famille au téléphone, et lors des audiences tenues dans le cadre de son procès pénal en mars, avril et juillet 2010, et que la raison pour laquelle il n’avait pas travaillé à l’époque était qu’il n’y avait pas suffisamment de places de travail à la prison de Bjelovar. Elle observait que le requérant avait eu sept entretiens avec le directeur de la prison et vingt-cinq entretiens avec d’autres membres de l’administration de la prison de Bjelovar. Elle ajoutait que les repas étaient préparés en consultation avec des nutritionnistes et que l’alimentation des détenus était contrôlée en permanence par le médecin de la prison.

26. Le 24 août 2010, le requérant saisit une juge de l’application des peines du tribunal du comté de Bjelovar (Županijski sud u Bjelovaru) d’une plainte dans laquelle il incriminait ses conditions de détention. Il expliquait que l’élément crucial de sa démarche était son souhait d’être transféré dans un autre établissement plus proche de sa famille. Il se plaignait aussi, en particulier, que sa demande de travailler en prison fût demeurée sans réponse. Il était alors détenu avec sept autres personnes dans la cellule no 8, qui mesurait 18 m² au total. Selon lui, cette cellule était insuffisamment équipée et entretenue, et les conditions d’hygiène y étaient mauvaises ; notamment, il ne pouvait prendre de douche que trois fois par semaine.

27. Dans le cadre de l’examen de cette plainte, la juge de l’application des peines demanda à la prison de Bjelovar un rapport détaillé sur les conditions de détention du requérant.

28. Le 7 octobre 2010, après avoir obtenu le rapport de la prison et entendu le requérant en personne, la juge de l’application des peines rejeta les griefs de l’intéressé pour défaut de fondement. Elle jugea en particulier qu’il disposait de suffisamment d’espace personnel, étant donné qu’il partageait alors sa cellule avec quatre autres détenus. Elle estima aussi qu’il bénéficiait de conditions hygiéniques et sanitaires satisfaisantes, et qu’il ne travaillait pas parce qu’il n’y avait pas suffisamment de places de travail pour tous les détenus de la prison.

29. Le 15 octobre 2010, le requérant contesta la décision de la juge de l’application des peines devant une formation de trois juges du tribunal du comté de Bjelovar. Il soutenait que la juge avait commis des erreurs de fait, exposant que pendant certaines périodes la cellule no 8 avait été occupée par huit détenus.

30. Le 21 octobre 2010, la formation de trois juges du tribunal du comté de Bjelovar rejeta le recours du requérant pour défaut de fondement, validant le raisonnement de la juge de l’application des peines. Les juges expliquèrent que la norme relative à la surface minimale d’espace personnel requise en vertu de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement (4 m²) était un minimum recommandé qu’il fallait en principe respecter, mais qu’il n’y avait pas automatiquement violation des droits du détenu si, temporairement, cette norme n’était pas appliquée. La réduction de l’espace personnel du requérant dans la cellule no 8 n’ayant été que temporaire, ils estimèrent qu’il n’y avait pas eu violation des droits de l’intéressé.

31. Le 5 novembre 2010, le requérant contesta devant le tribunal du comté de Bjelovar la décision rendue par la formation de trois juges. Il arguait que pendant les six premiers mois de sa détention à la prison de Bjelovar, il avait été détenu avec cinq autres personnes dans la cellule no 1, qui mesurait 17,13 m² ; qu’il avait ensuite passé un mois avec six autres détenus dans la cellule no 8 au premier étage (17,13 m²) ; qu’il avait après cela été placé avec huit détenus dans une autre cellule de 17,13 m², également appelée « cellule no 8 », pendant six mois, et qu’au moment de son recours il était détenu avec six autres personnes dans la cellule no 4.

32. Le 20 novembre 2010, le requérant introduisit un recours devant la Cour constitutionnelle (Ustavni sud Republike Hrvatske), invoquant les articles 14 § 2 (égalité devant la loi), 26 (égalité devant les autorités de l’État) et 29 (droit à un procès équitable) de la Constitution. Il se plaignait de manière générale de ne pas disposer de suffisamment d’espace personnel ni de possibilités d’emploi à la prison de Bjelovar. Il alléguait également que l’article 74 § 3 de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement, garantissant aux détenus le droit à un espace personnel suffisant, n’avait pas été respecté dans son cas.

33. Le 26 novembre 2010, le requérant se plaignit auprès du médiateur (Pučki pravobranitelj) de ne pas avoir obtenu un transfert dans une prison plus proche de sa famille. Il se plaignait également, de manière générale, de ses conditions de détention.

34. Entre-temps, en novembre 2010, le requérant s’était joint à un groupe de détenus qui se plaignaient auprès de la juge de l’application des peines de leurs conditions générales de détention à la prison de Bjelovar.

35. Par une lettre du 7 décembre 2010, le médiateur invita le requérant à étayer ses griefs.

36. Le requérant répondit à cette demande le 21 décembre 2010 en exposant que la juge de l’application des peines et la formation de trois juges du tribunal du comté de Bjelovar n’avaient pas dûment examiné ses griefs, et qu’il n’avait pas disposé en détention des 4 m² d’espace personnel requis par la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement.

37. En mars 2011, le requérant consulta un psychiatre, qui estima qu’il était frustré par sa détention et par l’impossibilité dans laquelle il se trouvait de voir sa famille.

38. Le 12 avril 2011, le médiateur répondit à la lettre du requérant datée du 21 décembre 2010. Il admettait que, selon les informations en sa possession, les conditions de détention du requérant à la prison de Bjelovar ne répondaient pas aux exigences en matière d’espace personnel énoncées dans la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement. Il notait par ailleurs que la cellule dans laquelle le requérant était détenu avait été rénovée en 2010 et qu’elle répondait à toutes les normes hygiéniques et sanitaires. Enfin, il relevait que, tout comme quatre-vingt-douze autres détenus, le requérant ne travaillait pas, le nombre de places de travail disponibles étant insuffisant pour tous les détenus.

39. Le 5 juin 2012, la Cour constitutionnelle déclara le recours constitutionnel du requérant (paragraphe 32 ci-dessus) irrecevable pour défaut manifeste de fondement. En sa partie pertinente, cette décision se lit ainsi :

« L’auteur du recours constitutionnel n’est pas parvenu à démontrer que le tribunal du comté de Bjelovar ait agi de manière contraire aux dispositions constitutionnelles relatives aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales ou interprété de manière arbitraire les dispositions légales pertinentes. La Cour constitutionnelle conclut donc que la présente affaire ne fait pas apparaître de problème de respect des droits constitutionnels de l’auteur du recours. Dès lors, elle n’a à se prononcer en l’espèce sur aucune question de droit constitutionnel (...) »

40. La décision de la Cour constitutionnelle fut notifiée au représentant du requérant le 18 juin 2012.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le droit interne pertinent

1. La Constitution

41. Les dispositions pertinentes de la Constitution de la République de Croatie (Ustav Republike Hrvatske, Journal officiel nos 56/1990, 135/1997, 8/1998, 113/2000, 124/2000, 28/2001, 41/2001, 55/2001, 76/2010, 85/2010 et 5/2011) sont ainsi libellées :

Article 23

« Nul ne peut être soumis à une quelconque forme de mauvais traitements (...) »

Article 25

« Toute personne privée de sa liberté ou condamnée doit être traitée avec humanité et respect pour sa dignité. »

42. En sa partie pertinente en l’espèce, l’article 62 de la loi constitutionnelle sur la Cour constitutionnelle (Ustavni zakon o Ustavnom sudu Republike Hrvatske, Journal officiel nos 99/1999, 29/2002, 49/2002) est ainsi libellé :

« 1. Toute personne peut saisir la Cour constitutionnelle d’un recours constitutionnel si elle estime que l’acte individuel (pojedinačni akt) d’un organe de l’État, d’une collectivité locale ou régionale, ou d’une personne morale détentrice de l’autorité publique qui a statué sur ses droits et obligations ou sur un soupçon ou une accusation relatifs à un acte criminel, a entraîné dans son chef une violation des droits de l’homme ou des libertés fondamentales ou du droit à des collectivités locales et régionales garanti par la Constitution (ci-après « droit constitutionnel ») (...) »

2. La loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement

43. Les dispositions pertinentes de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement (Zakon o izvršavanju kazne zatvora, Journal officiel nos 128/1999, 55/2000, 99/2000, 129/2000, 59/2001, 67/2001, 11/2002, 190/2003, 76/2007, 27/2008, 83/2009 et 18/2011) sont ainsi libellées :

Objectif de l’exécution des peines d’emprisonnement

Article 2

« L’exécution des peines d’emprisonnement a principalement pour objectif, tout en assurant le traitement humain de la personne qui purge une peine d’emprisonnement (« le détenu ») et le respect de sa dignité, de la préparer à vivre après sa remise en liberté conformément aux lois et aux règles sociales. »

Droits fondamentaux et restrictions de ces droits

Article 3

« 1) Les détenus jouissent de la protection des droits fondamentaux énoncés dans la Constitution de la République de Croatie, les accords internationaux et la présente loi.

2) Les droits fondamentaux des détenus peuvent être restreints par l’application d’une peine d’emprisonnement dans la limite de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif de l’exécution de la peine et dans le respect de la procédure énoncée dans la présente loi.

3) Les droits des détenus ne peuvent être restreints qu’à titre exceptionnel, et sous réserve que la restriction soit indispensable à la protection de l’ordre et de la sécurité dans une prison d’État ou une prison [de comté], ou pour la protection des autres détenus.

4) Toute restriction aux droits fondamentaux des détenus prévue dans la présente loi doit être proportionnée aux motifs pour lesquels elle est appliquée. »

Organes responsables de l’exécution des peines d’emprisonnement

Article 6

« 1) La tâche d’assurer l’exécution des peines d’emprisonnement est du ressort et de la compétence de la [direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice] et du juge de l’application des peines (...) ».

Interdiction des traitements illicites

Article 9

« 1) Les peines d’emprisonnement sont exécutées dans le respect de la dignité humaine des détenus. Sont prohibées et passibles de sanction toutes formes de torture, mauvais traitements ou humiliation et d’expériences médicales ou scientifiques sur la personne des détenus.

2) Les traitements prohibés en vertu du paragraphe 1 du présent article comprennent en particulier tout traitement disproportionné à la nécessité de maintenir l’ordre et la discipline dans les prisons d’État et les prisons [de comté], et tout traitement illicite et susceptible de causer des souffrances aux détenus ou de restreindre indûment leurs droits fondamentaux. ».

Droits des détenus

Article 14

« 1) Sous réserve des conditions énoncées dans la présente loi, tout détenu a le droit :

(...)

9) de passer au minimum deux heures par jour en plein air dans l’enceinte d’une prison d’État ou d’une prison [de comté] (...) ».

Plaintes

Article 15

« 1) Tout détenu a le droit de se plaindre des actes et des décisions des agents d’une prison d’État ou d’une prison [de comté].

2) Les plaintes sont introduites oralement ou par écrit auprès du directeur de la prison, ou auprès de la direction de l’administration pénitentiaire [du ministère de la Justice]. (...)

5) Toute plainte introduite par un détenu auprès du juge de l’application des peines est considérée comme une demande de protection judiciaire au sens de l’article 17 ci‑après. »

Protection judiciaire contre les actes et décisions de l’administration d’une prison d’État ou d’une prison [de comté]

Article 17

« 1) Tout détenu peut introduire une demande de protection judiciaire contre tout acte ou décision le privant de manière illicite de l’un quelconque des droits garantis par la présente loi ou restreignant ces droits de manière illicite.

2) Le juge de l’application des peines rejette la demande de protection judiciaire s’il estime qu’elle est infondée. Si la demande est fondée, le juge de l’application des peines ordonne qu’il soit remédié aux atteintes ou restrictions illicites faites aux droits [du détenu]. Si cela n’est pas possible, il constate une violation des droits et interdit sa répétition.

3) Le détenu et l’établissement pénitentiaire peuvent introduire un recours contre la décision du juge de l’application des peines (...) ».

Hébergement des détenus

Article 74

« 1) Les détenus doivent être hébergés dans des conditions répondant aux normes de santé, d’hygiène et d’espace, et adaptées au climat.

2) Ils doivent, en principe, être hébergés dans des pièces séparées. Les détenus dont on pense qu’ils n’auront pas les uns sur les autres une mauvaise influence peuvent être hébergés dans la même pièce. Chaque détenu doit avoir son propre lit. Les détenus doivent passer leur temps libre dans des pièces de vie, avec d’autres détenus.

3) Les lieux d’hébergement des détenus doivent être secs, propres et suffisamment grands. Dans chaque dortoir, chaque détenu doit disposer d’un espace de 4 mètres carrés et 10 mètres cube au minimum.

4) Toutes les pièces dans lesquelles les détenus vivent ou travaillent doivent être suffisamment éclairées par la lumière du jour et la lumière artificielle pour qu’ils puissent lire et travailler sans que leur vue en souffre.

5) Les prisons d’État et les prisons [de comté] doivent être équipées d’installations sanitaires permettant aux détenus de satisfaire leurs besoins physiologiques dans un environnement propre et adéquat régulièrement et à chaque fois que nécessaire.

6) Les détenus doivent toujours avoir accès à de l’eau potable. »

Hygiène personnelle et nettoyage des locaux

Article 76

« 1) Tous les locaux des prisons d’État et des prisons [de comté] doivent être bien entretenus et régulièrement nettoyés.

2) Les tâches visées au paragraphe 1 du présent article sont effectuées par des détenus dans la limite de deux heures par jour, et ne donnent pas lieu à compensation financière.

3) Les détenus doivent pouvoir se laver tous les jours. Ils doivent veiller à leur hygiène personnelle. Les prisons d’État et les prisons [de comté] [leur] fournissent de l’eau et des articles de toilette pour leur hygiène personnelle, ainsi que du linge, des vêtements, des chaussures et du linge de lit propres. Le port de la barbe, de la moustache et de cheveux longs peut être exceptionnellement interdit pour des raisons de sécurité ou de santé.

4) Le contrôle de l’hygiène et de la propreté personnelles est effectué par un docteur en médecine ou un autre professionnel de la santé. »

Repas

Article 78

« 1) Des repas préparés de manière appropriée et servis à intervalles réguliers doivent être proposés aux détenus. La qualité et la quantité de la nourriture doivent répondre aux exigences en matière de nutrition et d’hygiène et être adaptées à l’âge du détenu, à son état de santé, à la nature de son travail et, selon les possibilités de la prison d’État ou [de comté], à ses préférences religieuses et culturelles. (...) »

Emploi des détenus

Article 80

« 1) Les détenus ont le droit de travailler, sous réserve de leur état de santé, de leurs compétences et des possibilités à la prison d’État ou [de comté]. (...) »

Emploi du temps libre

Article 96

« 1) Les prisons d’État et les prisons [de comté] doivent mettre à la disposition [des détenus] un espace et des équipements [leur] permettant d’occuper utilement [leur] temps libre.

2) Les prisons d’État et les prisons [de comté] doivent organiser différentes sortes d’activités pour répondre aux besoins physiques, spirituels et culturels des détenus.

3) Les détenus emploient leur temps libre à participer à des ateliers organisés [par les prisons d’État et les prisons de comté] (peinture, activités techniques, musique, littérature, théâtre, journalisme, informatique, clubs de débats, exercice, etc.).

4) Les activités organisées pendant le temps libre sont déterminées dans le programme d’exécution des peines.

5) Sous réserve des possibilités de la prison d’État ou [de comté], chaque détenu peut organiser son temps libre de manière à pratiquer une activité de son choix à ses propres frais, à condition que cela ne mette pas en péril la sécurité et l’ordre et que cela ne dérange pas les autres détenus. (...) »

B. La pratique pertinente

44. Dans les rapports annuels périodiques qu’il a établis de 2009 à 2011, le médiateur croate faisait état du problème général de la surpopulation carcérale en Croatie, y compris à la prison de Bjelovar, indiquant qu’il s’agissait de l’un des principaux problèmes organisationnels du système pénitentiaire et que ce problème était à l’origine de la majorité des plaintes et des violations de droits des détenus. Il observait que les prisons répondaient en général au problème en transformant divers locaux en dortoirs et cellules et en laissant aux détenus une plus grande liberté de circulation dans l’enceinte de l’établissement. Dans tous ses rapports, il soulignait la nécessité d’assurer de manière adéquate le respect des droits des détenus garantis par le droit interne et les normes internationales.

45. Dans un rapport général sur les conditions de détention en Croatie (no U-X-5464/2012, 12 juin 2014), la Cour constitutionnelle croate a constaté l’existence d’un problème de surpopulation carcérale et donné pour instruction aux autorités compétentes de prendre plus de mesures en amont pour assurer à tous les types de détenus des conditions de détention adéquates, conformément au droit interne et aux normes internationales en vigueur dans ce domaine. En ses parties pertinentes, ce rapport se lit ainsi :

« Conclusions

13. La Cour constitutionnelle souligne que les autorités publiques sont tenues de prendre des mesures normatives et des mesures d’application effectives, assurant que chaque détenu soit placé dans des conditions de nature à garantir le respect de sa dignité humaine. Nonobstant les limitations financières dont font l’objet les dépenses affectées dans le budget au système de justice pénale, et compte tenu de la crise économique, il y a lieu d’adopter une position financière appropriée quant à la construction de nouveaux lieux de détention et aux autres investissements en matière d’infrastructures pour le système pénitentiaire.

13.1. La Cour constitutionnelle observe que les autorités publiques sont tenues d’assurer aux personnes qui purgent une peine d’emprisonnement ou qui se trouvent en détention [provisoire] un espace personnel minimum conforme à la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement ou aux normes que [la Cour européenne des droits de l’homme] a énoncées dans l’arrêt Ananyev et autres c. Russie (10 janvier 2012). Ces normes sont les suivantes : chaque détenu doit disposer d’un espace personnel pour dormir dans la cellule, chaque détenu doit disposer d’au moins 3 m² d’espace au sol, et la surface totale de la cellule doit permettre aux détenus de se déplacer librement entre les meubles.

(...) »

III. LES TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Les normes du Conseil de l’Europe en ce qui concerne la surpopulation carcérale

1. Le Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants (« le CPT »)

a) Le rapport explicatif à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants

46. En sa partie pertinente, le rapport explicatif à la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT/Inf/C (89) 1 [FR]) est ainsi libellé :

« 27. La jurisprudence de la Cour et de la Commission européennes des Droits de l’Homme relative à l’article 3 [de la Convention européenne des droits de l’homme] fournit un guide au [CPT]. Toutefois, les activités de ce dernier sont orientées vers la prévention et non vers l’application d’exigences juridiques à des situations concrètes. Le comité ne devra pas chercher à intervenir dans l’interprétation et l’application de cet article 3. »

b) Les rapports généraux

47. La partie pertinente du 1er rapport général d’activités du CPT, adopté le 31 janvier 1991 et publié le 20 février 1991 (CPT/Inf (91) 3 [FR]), est ainsi libellée :

« 47. Le fait que la « prévention » constitue la pierre angulaire de tout le système de surveillance institué par la Convention implique quatre importantes conséquences.

48. Premièrement, le CPT doit toujours examiner les conditions générales de détention au sein des pays visités. Il doit vérifier non seulement si des abus sont effectivement commis mais aussi être attentif aux « indicateurs » ou « signes avant-coureurs » d’éventuels abus futurs. Par exemple, il est tenu d’examiner – et examine effectivement – de près les conditions matérielles de détention (l’espace dont disposent les détenus ; l’éclairage et la ventilation ; les installations sanitaires ; les repas et la literie ; les soins médicaux assurés par les autorités, etc.) ainsi que les conditions sociales (par exemple, les relations avec les autres détenus et le personnel chargé de l’application des lois ; les liens avec la famille, les travailleurs sociaux, le monde extérieur en général, etc.). Le CPT accorde aussi une attention particulière à l’existence et à l’étendue de certaines garanties fondamentales contre les mauvais traitements au sein du pays visité : par exemple, notification de la garde à vue ; accès à un avocat ; accès à un médecin ; possibilités de porter plainte pour mauvais traitements ou en raison des conditions de détention.

49. Deuxièmement, il n’est souvent pas possible de comprendre et d’apprécier les conditions dans lesquelles des personnes sont privées de liberté dans un pays donné si l’on ne replace pas ces conditions dans leur contexte général (historique, social et économique). Il faut, certes, que la dignité de l’homme soit effectivement respectée dans tous les États parties à la Convention. Cependant, chacun de ces États connaît un contexte différent expliquant peut-être qu’ils ne réagissent pas tous de la même manière aux questions touchant les droits de l’homme. Il s’ensuit que le CPT, pour s’acquitter de sa tâche de prévention des abus, doit fréquemment s’attacher aux causes profondes de conditions générales ou particulières, propices aux mauvais traitements.

50. La troisième conséquence est étroitement liée aux deux premières. Dans certains cas, le CPT pourrait – après avoir examiné les conditions de détention dans tel ou tel pays – ne pas considérer opportun de se limiter à suggérer l’adoption de mesures immédiates ou à court terme (comme par exemple, des dispositions d’ordre administratif) voire des mesures telles des modifications législatives. Il pourrait juger indispensable de recommander l’adoption de mesures à long terme, du moins toutes les fois que des conditions inadmissibles se sont révélées dans un pays, par suite de facteurs profondément enracinés dont il est impossible d’atténuer le jeu par la simple action judiciaire ou législative ou le recours à d’autres techniques juridiques. En pareil cas, des actions coordonnées dans le domaine de l’éducation et des stratégies similaires à long terme pourraient s’avérer essentielles.

51. Une quatrième conséquence découlant de l’ensemble des observations formulées plus haut est que le CPT, pour s’acquitter avec efficacité de sa fonction de prévention, doit tendre vers un degré de protection plus élevé que celui que la Commission européenne et la Cour européenne des Droits de l’Homme retiennent lorsqu’elles se prononcent dans des affaires concernant les mauvais traitements aux personnes privées de liberté et leurs conditions de détention. »

48. Dans un document intitulé « Normes du CPT » (CPT/Inf/E (2002) 1 – Rev. 2015), le CPT a résumé les normes pertinentes découlant de ses rapports généraux, afin de « préciser clairement et par avance aux autorités nationales ses vues sur la manière dont les personnes privées de liberté doivent être traitées et, plus généralement, inciter à la discussion en ce domaine ». La partie pertinente de ce document concernant les conditions de détention (pp. 19-26, renvois omis) se lit ainsi :

« II. Prisons

Emprisonnement

Extrait du 2e rapport général [CPT/Inf (92) 3], publié en 1992

(...)

46. La question du surpeuplement relève directement du mandat du CPT. Tous les services et activités à l’intérieur d’une prison seront touchés si elle doit prendre en charge plus de prisonniers que le nombre pour lequel elle a été prévue. La qualité générale de la vie dans l’établissement s’en ressentira, et peut-être dans une mesure significative. De plus, le degré de surpeuplement d’une prison, ou dans une partie de celle-ci, peut être tel qu’il constitue, à lui seul, un traitement inhumain ou dégradant.

47. Un programme satisfaisant d’activités (travail, enseignement et sport) revêt une importance capitale pour le bien-être des prisonniers. Cela est valable pour tous les établissements, qu’ils soient d’exécution des peines ou de détention provisoire. Le CPT a relevé que les activités dans beaucoup de prisons de détention provisoire sont extrêmement limitées. L’organisation de programmes d’activités dans de tels établissements, qui connaissent une rotation assez rapide des détenus, n’est pas matière aisée. Il ne peut, à l’évidence, être question de programmes de traitement individualisé du type de ceux que l’on pourrait attendre d’un établissement d’exécution des peines. Toutefois, les prisonniers ne peuvent être simplement laissés à leur sort, à languir pendant des semaines, parfois des mois, confinés dans leur cellule, quand bien même les conditions matérielles seraient bonnes. Le CPT considère que l’objectif devrait être d’assurer que les détenus dans les établissements de détention provisoire soient en mesure de passer une partie raisonnable de la journée (8 heures ou plus) hors de leur cellule, occupés à des activités motivantes de nature variée. Dans les établissements pour prisonniers condamnés, évidemment, les régimes devraient être d’un niveau encore plus élevé.

48. L’exercice en plein air demande une mention spécifique. L’exigence d’après laquelle les prisonniers doivent être autorisés chaque jour à au moins une heure d’exercice en plein air, est largement admise comme une garantie fondamentale (de préférence, elle devrait faire partie intégrante d’un programme plus étendu d’activités). Le CPT souhaite souligner que tous les prisonniers sans exception (y compris ceux soumis à un isolement cellulaire à titre de sanction) devraient bénéficier quotidiennement d’un exercice en plein air. Il est également évident que les aires d’exercice extérieures devraient être raisonnablement spacieuses et, chaque fois que cela est possible, offrir un abri contre les intempéries.

(...)

50. Le CPT souhaite ajouter qu’il est particulièrement préoccupé lorsqu’il constate dans un même établissement une combinaison de surpeuplement, de régimes pauvres en activités et d’un accès inadéquat aux toilettes ou locaux sanitaires. L’effet cumulé de telles conditions peut s’avérer extrêmement néfaste pour les prisonniers.

(...)

Extrait du 7e rapport général [CPT/Inf (97) 10], publié en 1997

12. Au cours de plusieurs visites effectuées en 1996, le CPT a été confronté une fois de plus au fléau du surpeuplement carcéral, phénomène qui ronge les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe. Souvent, le surpeuplement est particulièrement aigu dans les prisons où sont incarcérées des personnes en détention provisoire (c’est‑à‑dire des personnes en attente d’être jugées) ; toutefois, dans quelques pays, le CPT a trouvé que le problème avait contaminé tout le système pénitentiaire.

13. Ainsi que le CPT l’a souligné dans son 2e Rapport Général, la question du surpeuplement relève directement du mandat du Comité (cf. CPT/Inf (92) 3, paragraphe 46).

Une prison surpeuplée signifie, pour le détenu, être à l’étroit dans des espaces resserrés et insalubres ; une absence constante d’intimité (cela même lorsqu’il s’agit de satisfaire aux besoins naturels) ; des activités hors cellule limitées à cause d’une demande qui dépasse le personnel et les infrastructures disponibles ; des services de santé surchargés ; une tension accrue et, partant, plus de violence entre détenus comme entre détenus et personnel. Cette énumération est loin d’être exhaustive.

À plus d’une reprise, le CPT a été amené à conclure que les effets néfastes du surpeuplement avaient abouti à des conditions de détention inhumaines et dégradantes.

(...)

15. Le problème du surpeuplement carcéral est suffisamment grave pour justifier une coopération au niveau européen dans le but d’élaborer des contre-stratégies. En conséquence, le CPT s’est réjoui d’apprendre que des travaux sur ce sujet ont récemment débuté sous les auspices du Comité Européen pour les Problèmes Criminels (CDPC). Le CPT espère que l’aboutissement de cette activité sera traité comme un objectif prioritaire.

Extrait du 11e rapport général [CPT/Inf (2001) 16], publié en 2001

(...)

Surpeuplement carcéral

28. Le phénomène du surpeuplement carcéral continue de ronger les systèmes pénitentiaires à travers l’Europe et mine gravement les tentatives faites pour améliorer les conditions de détention. Les effets négatifs du surpeuplement carcéral ont déjà été mis en exergue dans des rapports généraux d’activités précédents. Au fur et à mesure de l’extension de son champ d’activité à travers le continent européen, le CPT a été confronté à d’énormes taux d’incarcération et, en conséquence, à un surpeuplement carcéral grave. Le fait qu’un État incarcère un si grand nombre de ses citoyens ne peut s’expliquer de manière convaincante par un taux de criminalité élevé ; l’attitude générale des membres des services chargés de l’application des lois et des autorités judiciaires doit, en partie, en être responsable.

Dans de telles circonstances, investir des sommes considérables dans le parc pénitentiaire ne constitue pas une solution. Il faut, plutôt, revoir les législations et pratiques en vigueur en matière de détention provisoire et de prononcé des peines, ainsi que l’éventail des sanctions non privatives de liberté disponible. Telle est précisément l’approche préconisée par la Recommandation No R (99) 22 du Comité des Ministres sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale. Le CPT espère vivement que les principes énoncés dans ce texte essentiel seront effectivement appliqués par les États membres ; la mise en œuvre de cette Recommandation mérite d’être étroitement surveillée par le Conseil de l’Europe. »

c) Les normes fondamentales minimales du CPT en matière d’espace vital individuel dans les établissements pénitentiaires

49. Sur la base des normes qu’il avait souvent utilisées dans de nombreux rapports de visite de pays, le CPT a décidé en novembre 2015 d’énoncer clairement sa position et ses normes en matière d’espace vital minimum à octroyer à chaque détenu : tel était l’objectif du document intitulé « Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT » (CPT/Inf (2015) 44, 15 décembre 2015).

50. Le CPT précise dans ce document que les cellules y mentionnées sont les cellules ordinaires destinées à l’hébergement des détenus, ainsi que les cellules spéciales, telles que les cellules disciplinaires et les cellules de sûreté, d’isolement ou de mise à l’écart, mais que le document ne couvre pas les salles d’attente ou les espaces analogues utilisés pour de très courtes durées (dans les commissariats de police, les établissements psychiatriques, les centres de rétention pour étrangers, etc.). Il souligne que la question des normes concernant l’espace vital individuel n’est pas simple, que ces normes diffèrent en fonction du type d’établissement, et que par ailleurs il faut faire une distinction en fonction du niveau d’occupation prévu pour l’hébergement en question (selon qu’il s’agit d’une cellule individuelle ou d’une cellule collective pour deux à quatre détenus) et du régime auquel les détenus sont soumis.

51. Le CPT indique ensuite qu’il a élaboré dans les années 1990 une norme de type « règle de base » pour l’espace vital minimum dont un détenu devrait bénéficier dans une cellule, que cette norme est de 4 m² d’espace vital par détenu dans une cellule collective, à l’exclusion de l’espace réservé dans la cellule aux installations sanitaires, mais que c’est une norme minimale, et qu’il a donc décidé de promouvoir des normes souhaitables concernant les cellules collectives destinées à quatre détenus au maximum en ajoutant aux 6 m² minimum d’espace vital pour une cellule individuelle 4 m² par détenu supplémentaire.

52. En ce qui concerne la distinction à faire entre normes minimales et traitements inhumains et dégradants, le CPT explique ceci (renvois omis) :

« 19. La Cour européenne des droits de l’homme est saisie d’un nombre croissant de plaintes de détenus affirmant que leur détention se déroule dans des conditions inhumaines ou dégradantes car ils doivent partager leur cellule avec un grand nombre de détenus, ce qui leur laisse très peu d’espace vital. Dans ses arrêts, la Cour est dans l’obligation de déterminer si le fait de placer des personnes en détention dans des cellules offrant à chaque détenu un espace vital limité (moins de 4 m² la plupart du temps) constitue ou non une violation de l’article 3 de la CEDH.

20. En tant qu’organisme de suivi à caractère préventif, le CPT a un rôle différent à jouer. Il ne lui incombe pas de dire si une certaine situation constitue ou non une peine ou un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Cependant, au cours de ses visites, le Comité s’est trouvé en présence de conditions de détention qui dépassaient l’entendement et qui étaient, ainsi qu’il les a qualifiées dans un rapport de visite, un « affront à une société civilisée ». C’est pourquoi, dans un certain nombre de rapports de visite, il a déclaré, face à des situations de grave surpopulation carcérale, qu’elles pouvaient être considérées comme constituant un « traitement inhumain et dégradant ».

21. Le CPT n’a jamais revendiqué le caractère « absolu » de ses normes en matière de taille des cellules. Autrement dit, il ne considère pas de manière systématique qu’un écart mineur par rapport à ses normes constitue en soi un traitement inhumain et dégradant pour le ou les détenus concernés tant que l’on est en présence d’autres facteurs qui, eux, sont positifs, par exemple le fait que les détenus passent une partie considérable de la journée en dehors de leur cellule (en participant à des ateliers, des cours ou d’autres activités). Dans ces cas-là aussi, le CPT recommanderait néanmoins que la norme minimale soit respectée.

22. Par ailleurs, pour que le Comité considère les conditions de détention comme pouvant constituer un traitement inhumain et dégradant, il faut que les cellules soient extrêmement surpeuplées ou, comme dans la plupart des cas, qu’elles réunissent un certain nombre de critères négatifs, par exemple qu’il n’y ait pas assez de lits pour tous les détenus, qu’elles soient insalubres, infestées de vermine, que l’aération ou l’éclairage ou le chauffage y soient insuffisants, qu’il n’y ait pas de sanitaires intégrés et qu’en conséquence il faille utiliser des seaux pour satisfaire les besoins naturels. De fait, la probabilité qu’un lieu de détention soit très surpeuplé mais en même temps bien aéré, propre et équipé d’un nombre suffisant de lits est extrêmement faible. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le CPT énumère souvent les facteurs qui rendent les conditions de détention épouvantables, plutôt que de mentionner simplement l’espace vital insuffisant. En outre – mais certainement pas dans tous les cas – d’autres facteurs sans lien direct avec les conditions de détention sont pris en compte par le CPT lorsque celui-ci évalue une situation particulière. Au nombre de ces facteurs figurent le peu de temps passé hors cellule et généralement un régime d’activités peu varié ; peu de temps pour se dépenser physiquement en plein air ; aucun contact avec les proches pendant plusieurs années, etc.

23. À l’annexe du présent document figure une liste non exhaustive de facteurs (autres que ceux liés à l’espace vital par détenu) à prendre en compte lors d’une évaluation des conditions de détention en milieu carcéral.

Conclusion

24. Le présent document vise à donner des lignes directrices aux praticiens et autres parties prenantes, en indiquant clairement quelles sont les normes minimales du CPT en matière d’espace vital par détenu dans une cellule donnée. En fin de compte, c’est aux tribunaux qu’il appartient de déterminer si une personne donnée a éprouvé des souffrances qui ont atteint le seuil des traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 de la CEDH, en tenant compte de toutes les sortes de facteurs, y compris la constitution personnelle de l’intéressé. Le nombre de mètres carrés par personne n’est que l’un des facteurs, quoique souvent un facteur très significatif, voire décisif.

25. Des conditions de détention qui offrent aux détenus moins de 4 m² par personne dans des cellules collectives ou moins de 6 m² dans des cellules individuelles (dans un cas comme dans l’autre sans tenir compte de l’annexe sanitaire) ont constamment été critiquées par le CPT, et les autorités ont été régulièrement appelées à agrandir (ou à mettre hors service) des cellules individuelles ou à diminuer le nombre de détenus dans des cellules collectives. Le CPT souhaite que ces normes minimales en matière d’espace vital soient appliquées systématiquement à l’ensemble des établissements pénitentiaires des États membres du Conseil de l’Europe et espère voir de plus en plus de pays s’efforcer de respecter les normes « souhaitables » lorsqu’il s’agit de cellules collectives. »

53. En annexe au document figure une liste non exhaustive de facteurs à prendre en compte lors de l’évaluation des conditions de détention en milieu carcéral :

« État d’entretien et propreté

– Les cellules, y compris le mobilier, devraient être dans un état d’entretien satisfaisant et tous les efforts possibles devraient être faits pour que la propreté et l’hygiène soient respectées dans les secteurs d’hébergement.

– Il faut lutter énergiquement contre toute infestation par la vermine.

– Les produits d’entretien et articles d’hygiène nécessaires devraient être fournis aux détenus.

Accès à la lumière du jour, à une aération et à du chauffage

– Tous les lieux d’hébergement de détenus (qu’il s’agisse de cellules individuelles ou de cellules collectives) devraient bénéficier d’un accès à la lumière du jour ainsi qu’à un éclairage artificiel qui soit suffisant pour permettre au minimum à une personne de lire.

– De même, il faut une aération suffisante pour assurer le renouvellement constant de l’air dans les cellules individuelles ou collectives.

– Les cellules devraient être chauffées convenablement.

Installations sanitaires

– Chaque cellule devrait posséder au minimum un WC et un lavabo. Dans les cellules collectives, les sanitaires devraient être entièrement cloisonnés (c’est-à-dire jusqu’au plafond).

– Dans les quelques établissements pénitentiaires où il n’existe aucun sanitaire intégré, les autorités doivent impérativement garantir aux détenus la possibilité d’accéder sans difficulté à des toilettes chaque fois qu’ils en ont besoin. De nos jours, aucune personne détenue en Europe ne devrait être contrainte de faire ses besoins dans un seau hygiénique, pratique qui est dégradante tant pour les détenus que pour les membres du personnel qui doivent superviser une telle procédure.

Possibilité de se dépenser physiquement en plein air

– Le CPT considère que chaque détenu devrait bénéficier de la possibilité de se dépenser physiquement en plein air au minimum une heure par jour. Les cours de promenade devraient être spacieuses et convenablement équipées pour donner aux détenus la possibilité réelle de se dépenser physiquement (par exemple, de pratiquer une activité sportive) ; elles devraient aussi être aménagées de façon à permettre le repos (par exemple, un banc) et être pourvues d’un abri (...) protégeant [les détenus] contre les intempéries.

Activités motivantes

– Le CPT recommande depuis longtemps que soit proposé aux détenus tout un éventail d’activités motivantes et variées (travail, formation professionnelle, études, sport et loisirs). À cet effet, le CPT déclare depuis les années 1990 que l’objectif devrait être que les prévenus passent huit heures ou plus par jour en dehors de leur cellule occupés à de telles activités et que, pour les détenus condamnés, le régime soit encore plus favorable. »

d) Les rapports du CPT relatifs à la Croatie

54. Le CPT s’est rendu en Croatie à quatre reprises (en 1998, en 2003, en 2007 et en 2012), mais il n’est jamais allé à la prison de Bjelovar. Dans le rapport relatif à la dernière visite, effectuée en 2012 (rapport CPT/Inf (2014) 9), il a évoqué de manière générale le problème de la surpopulation carcérale et les mesures prises par les autorités internes pour y remédier. Les passages pertinents de ce rapport se lisent ainsi (traduction du greffe) :

« B. Établissements pénitentiaires

1. Remarques préliminaires

(...)

a. Surpopulation carcérale

27. Le nombre total de détenus en Croatie est passé de 1 200 à 5 400 (soit une augmentation de plus de 25 %) depuis la dernière visite du CPT en 2007, alors que la capacité d’accueil nominale des établissements pénitentiaires n’a augmenté que de 400 places environ (elle est actuellement de 3 771 places). Il y a donc un problème de plus en plus grave de surpopulation carcérale. La délégation a observé l’impact négatif de cette situation sur plusieurs aspects de la vie carcérale dans les établissements visités, notamment dans les prisons de comté de Zagreb et de Sisak. Alors que ces établissements (zatvori) étaient à l’origine destinés à accueillir des personnes placées en détention provisoire ou purgeant des peines de six mois ou moins, 50 % des individus qui y sont détenus actuellement purgent des peines de prison d’une durée allant jusqu’à cinq ans. À la prison de comté de Zagreb, l’augmentation du nombre de détenus a eu pour conséquence, par exemple, que des locaux précédemment affectés à des activités en commun ont été transformés en cellules.

Conscient du problème toujours croissant de surpopulation dans ses prisons et de la nécessité d’y remédier, le gouvernement croate a adopté un Plan d’action pour l’amélioration du système pénitentiaire de la République de Croatie pour 2009-2014 qui prévoit la construction de nouveaux lieux de détention à Glina, Zagreb et Šibenik, ce qui représente un total de 2 072 places supplémentaires. D’autres mesures sont aussi prévues, notamment de nouveaux recrutements et le renforcement des formations initiale et continue du personnel. La délégation a visité le bâtiment récemment inauguré de la prison d’État de Glina, qui peut accueillir jusqu’à 420 détenus, ainsi que le site de construction d’une nouvelle aile à la prison de comté de Zagreb, aile qui, une fois terminée en 2016, permettra à la prison de disposer de 382 places supplémentaires. Des représentants du ministère de la Justice ont informé la délégation que cette extension avait été financée à l’aide d’un prêt de la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB) et qu’une autre demande de prêt avait été déposée auprès de la CEB pour la construction à Šibenik d’une nouvelle prison d’État, d’une capacité prévue de 1 270 places.

28. Ces mesures démontrent une volonté de la part des autorités croates de traiter le problème de la surpopulation carcérale. Toutefois, comme l’a déjà souligné le CPT dans ses précédents rapports aux autorités croates, la création de nouvelles infrastructures d’accueil ne peut constituer une solution durable au problème de la surpopulation carcérale, tout au moins si elle ne s’accompagne pas de politiques visant à limiter ou à moduler le nombre de personnes envoyées en prison. À cet égard, le Comité prend note des efforts déployés par le ministère de la Justice depuis 2007 pour mettre en place un système de probation de niveau national en élaborant un cadre juridique qui permette aux procureurs, aux tribunaux et aux offices de probation d’élargir la portée des mesures alternatives aux peines privatives de liberté telles que les travaux d’intérêt général et les mesures de contrôle des délinquants, et d’appliquer ces mesures alternatives à un plus grand nombre de personnes. Au moins 15 % des personnes détenues après condamnation actuellement (proportion qui correspond aux détenus purgeant des peines inférieures ou égales à un an) pourraient potentiellement bénéficier de mesures non privatives de liberté une fois que la nouvelle loi sur la probation aura été adoptée.

Le CPT recommande aux autorités croates de continuer de s’efforcer de réduire la surpopulation carcérale, en tenant compte des recommandations adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, en particulier des Recommandations Rec(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, Rec(2006)13 concernant la détention provisoire et Rec(2010)1 sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation. Le Comité souhaiterait recevoir des informations mises à jour sur l’impact des mesures prises pour traiter le problème de la surpopulation carcérale.

Prisons

Remarques préliminaires

Recommandations

– les autorités croates devraient continuer de s’efforcer de réduire la surpopulation carcérale, en tenant compte des recommandations adoptées par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe, en particulier des Recommandations Rec(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, Rec(2006)13 concernant la détention provisoire et Rec(2010)1 sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation (paragraphe 28).

Conditions de détention de la population générale des prisons

Recommandations

(...)

– les autorités croates devraient prendre des mesures pour réduire le taux d’occupation des cellules dans toutes les prisons visitées (ainsi que dans les autres prisons de Croatie), de manière à fournir au moins 4 m² d’espace vital à chaque détenu dans les cellules collectives ; dans ce chiffre, la surface occupée par les installations sanitaires à l’intérieur de la cellule ne doit pas être comptée (paragraphe 36) ;

– les plus petites cellules (7 m²) de la prison de comté de Zagreb ne devraient pas héberger plus d’une personne (paragraphe 36) ;

(...)

– les autorités croates devraient améliorer le programme d’activités, y compris les possibilités d’emploi et de formation professionnelle, proposé aux détenus à la prison d’État de Glina, dans les prisons de comté de Zagreb et Sisak et, le cas échéant, dans d’autres prisons de Croatie (paragraphe 40) ;

(...) »

2. Le Comité des Ministres

a) Les règles pénitentiaires européennes

55. Les règles pénitentiaires européennes exposent des recommandations du Comité des Ministres aux États membres du Conseil de l’Europe quant aux normes minimales à appliquer dans les prisons. Les règles pénitentiaires européennes de 1987 (annexées à la Recommandation R(87)3) ont été adoptées le 12 février 1987. Le 11 janvier 2006, le Comité des Ministres, considérant que la recommandation de 1987 devait « être révisée et mise à jour de façon approfondie pour pouvoir refléter les développements qui [étaient] survenus dans le domaine de la politique pénale, les pratiques de condamnation ainsi que de gestion des prisons en général en Europe », a adopté la recommandation Rec(2006)2 sur les règles pénitentiaires européennes, comprenant en annexe une nouvelle version des règles pénitentiaires. En ses passages pertinents, cette nouvelle version est ainsi libellée :

« Partie I

Principes fondamentaux

1. Les personnes privées de liberté doivent être traitées dans le respect des droits de l’homme.

2. Les personnes privées de liberté conservent tous les droits qui ne leur ont pas été retirés selon la loi par la décision les condamnant à une peine d’emprisonnement ou les plaçant en détention provisoire.

3. Les restrictions imposées aux personnes privées de liberté doivent être réduites au strict nécessaire et doivent être proportionnelles aux objectifs légitimes pour lesquelles elles ont été imposées.

4. Le manque de ressources ne saurait justifier des conditions de détention violant les droits de l’homme.

5. La vie en prison est alignée aussi étroitement que possible sur les aspects positifs de la vie à l’extérieur de la prison.

6. Chaque détention est gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société libre des personnes privées de liberté.

(...)

Champ d’application

10.1. Les Règles pénitentiaires européennes s’appliquent aux personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation.

10.2. En principe, les personnes placées en détention provisoire par une autorité judiciaire et les personnes privées de liberté à la suite d’une condamnation ne peuvent être détenues que dans des prisons, à savoir des établissements réservés aux détenus relevant de ces deux catégories.

10.3 Les Règles s’appliquent aussi aux personnes :

a. détenues pour toute autre raison dans une prison ; ou

b. placées en détention provisoire par une autorité judiciaire ou privées de liberté à la suite d’une condamnation, mais qui sont, pour une raison quelconque, détenues dans d’autres endroits.

(...)

Partie II

Conditions de détention

(...)

Répartition et locaux de détention

(...)

18.1. Les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement des détenus pendant la nuit, doivent satisfaire aux exigences de respect de la dignité humaine et, dans la mesure du possible, de la vie privée, et répondre aux conditions minimales requises en matière de santé et d’hygiène, compte tenu des conditions climatiques, notamment en ce qui concerne l’espace au sol, le volume d’air, l’éclairage, le chauffage et l’aération.

18.2. Dans tous les bâtiments où des détenus sont appelés à vivre, à travailler ou à se réunir :

a. les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que les détenus puissent lire et travailler à la lumière naturelle dans des conditions normales, et pour permettre l’entrée d’air frais, sauf s’il existe un système de climatisation approprié ;

b. la lumière artificielle doit être conforme aux normes techniques reconnues en la matière ; et

c. un système d’alarme doit permettre aux détenus de contacter le personnel immédiatement.

18.3. Le droit interne doit définir les conditions minimales requises concernant les points répertoriés aux paragraphes 1 et 2.

18.4. Le droit interne doit prévoir des mécanismes garantissant que le respect de ces conditions minimales ne soit pas atteint à la suite du surpeuplement carcéral.

18.5. Chaque détenu doit en principe être logé pendant la nuit dans une cellule individuelle, sauf lorsqu’il est considéré comme préférable pour lui qu’il cohabite avec d’autres détenus.

18.6. Une cellule doit être partagée uniquement si elle est adaptée à un usage collectif et doit être occupée par des détenus reconnus aptes à cohabiter.

18.7. Dans la mesure du possible, les détenus doivent pouvoir choisir avant d’être contraints de partager une cellule pendant la nuit.

18.8. La décision de placer un détenu dans une prison ou une partie de prison particulière doit tenir compte de la nécessité de séparer :

a. les prévenus des détenus condamnés ;

b. les détenus de sexe masculin des détenus de sexe féminin ; et

c. les jeunes détenus adultes des détenus plus âgés.

18.9. Il peut être dérogé aux dispositions du paragraphe 8 en matière de séparation des détenus afin de permettre à ces derniers de participer ensemble à des activités organisées. Cependant les groupes visés doivent toujours être séparés la nuit, à moins que les intéressés ne consentent à cohabiter et que les autorités pénitentiaires estiment que cette mesure s’inscrit dans l’intérêt de tous les détenus concernés.

18.10. Les conditions de logement des détenus doivent satisfaire aux mesures de sécurité les moins restrictives possible et compatibles avec le risque que les intéressés s’évadent, se blessent ou blessent d’autres personnes.

(...)

Hygiène

19.1. Tous les locaux d’une prison doivent être maintenus en état et propres à tout moment.

19.2. Les cellules ou autres locaux affectés à un détenu au moment de son admission doivent être propres.

19.3. Les détenus doivent jouir d’un accès facile à des installations sanitaires hygiéniques et protégeant leur intimité.

19.4. Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse les utiliser, à une température adaptée au climat, de préférence quotidiennement mais au moins deux fois par semaine (ou plus fréquemment si nécessaire) conformément aux préceptes généraux d’hygiène.

19.5. Les détenus doivent veiller à la propreté et à l’entretien de leur personne, de leurs vêtements et de leur logement.

19.6. Les autorités pénitentiaires doivent leur fournir les moyens d’y parvenir, notamment par des articles de toilette ainsi que des ustensiles de ménage et des produits d’entretien.

(...)

Vêtements et literie

(...)

21. Chaque détenu doit disposer d’un lit séparé et d’une literie individuelle convenable, entretenue correctement et renouvelée à des intervalles suffisamment rapprochés pour en assurer la propreté.

Régime alimentaire

22.1. Les détenus doivent bénéficier d’un régime alimentaire tenant compte de leur âge, de leur état de santé, de leur état physique, de leur religion, de leur culture et de la nature de leur travail.

(...)

Régime pénitentiaire

25.1. Le régime prévu pour tous les détenus doit offrir un programme d’activités équilibré.

25.2. Ce régime doit permettre à tous les détenus de passer chaque jour hors de leur cellule autant de temps que nécessaire pour assurer un niveau suffisant de contacts humains et sociaux.

25.3. Ce régime doit aussi pourvoir aux besoins sociaux des détenus.

(...)

Travail

26.1. Le travail en prison doit être considéré comme un élément positif du régime carcéral et en aucun cas être imposé comme une punition.

26.2. Les autorités pénitentiaires doivent s’efforcer de procurer un travail suffisant et utile.

(...)

Exercice physique et activités récréatives

27.1. Tout détenu doit avoir l’opportunité, si le temps le permet, d’effectuer au moins une heure par jour d’exercice en plein air.

27.2. En cas d’intempérie, des solutions de remplacement doivent être proposées aux détenus désirant faire de l’exercice.

27.3. Des activités correctement organisées – conçues pour maintenir les détenus en bonne forme physique, ainsi que pour leur permettre de faire de l’exercice et de se distraire – doivent faire partie intégrante des régimes carcéraux.

27.4. Les autorités pénitentiaires doivent faciliter ce type d’activités en fournissant les installations et les équipements appropriés.

27.5. Les autorités pénitentiaires doivent prendre des dispositions spéciales pour organiser, pour les détenus qui en auraient besoin, des activités particulières.

27.6. Des activités récréatives – comprenant notamment du sport, des jeux, des activités culturelles, des passe-temps et la pratique de loisirs actifs – doivent être proposées aux détenus et ces derniers doivent, autant que possible, être autorisés à les organiser.

27.7. Les détenus doivent être autorisés à se réunir dans le cadre des séances d’exercice physique et de la participation à des activités récréatives.

Éducation

28.1. Toute prison doit s’efforcer de donner accès à tous les détenus à des programmes d’enseignement qui soient aussi complets que possible et qui répondent à leurs besoins individuels tout en tenant compte de leurs aspirations.

(...)

Partie VIII

Détenus condamnés

Objectif du régime des détenus condamnés

102.1. Au-delà des règles applicables à l’ensemble des détenus, le régime des détenus condamnés doit être conçu pour leur permettre de mener une vie responsable et exempte de crime.

102.2. La privation de liberté constituant une punition en soi, le régime des détenus condamnés ne doit pas aggraver les souffrances inhérentes à l’emprisonnement.

Application du régime des détenus condamnés

103.1. Le régime des détenus condamnés doit commencer aussitôt qu’une personne a été admise en prison avec le statut de détenu condamné, à moins qu’il n’ait déjà été entamé avant.

103.2. Dès que possible après l’admission, un rapport complet doit être rédigé sur le détenu condamné décrivant sa situation personnelle, les projets d’exécution de peine qui lui sont proposés et la stratégie de préparation à sa sortie.

103.3. Les détenus condamnés doivent être encouragés à participer à l’élaboration de leur propre projet d’exécution de peine.

103.4. Ledit projet doit prévoir dans la mesure du possible :

a. un travail ;

b. un enseignement ;

c. d’autres activités ; et

d. une préparation à la libération.

(...)

Travail des détenus condamnés

105.1. Un programme systématique de travail doit contribuer à atteindre les objectifs poursuivis par le régime des détenus condamnés.

(...)

Éducation des détenus condamnés

106.1. Un programme éducatif systématique, comprenant l’entretien des acquis et visant à améliorer le niveau global d’instruction des détenus, ainsi que leurs capacités à mener ensuite une vie responsable et exempte de crime doit constituer une partie essentielle du régime des détenus condamnés.

(...) »

b) La Recommandation R(99)22

56. Les passages pertinents de la Recommandation R(99)22 du Comité des Ministres aux États membres concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, adoptée le 30 septembre 1999, sont ainsi libellés :

« Le Comité des Ministres (...),

Considérant que le surpeuplement des prisons et la croissance de la population carcérale constituent un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et l’ensemble du système de justice pénale sous l’angle tant des droits de l’homme que de la gestion efficace des établissements pénitentiaires ;

Considérant que la gestion efficace de la population carcérale est subordonnée à certaines circonstances telles que la situation globale de la criminalité, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, l’éventail des peines prévues par les textes législatifs, la sévérité des peines prononcées, la fréquence du recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté, l’usage de la détention provisoire, l’efficience et l’efficacité des organes de la justice pénale et, en particulier, l’attitude du public vis-à-vis de la criminalité et de sa répression ;

Affirmant que les mesures destinées à lutter contre le surpeuplement des prisons et à réduire la taille de la population carcérale devraient s’inscrire dans une politique pénale cohérente et rationnelle axée sur la prévention du crime et des comportements criminels, l’application effective de la loi, la sécurité et la protection du public, l’individualisation des sanctions et des mesures et la réintégration sociale des délinquants ;

Considérant que ces mesures devraient être conformes aux principes fondamentaux des États démocratiques régis par le principe de la prééminence du droit, et inspirés par l’objectif primordial de la garantie des droits de l’homme, conformément à la Convention européenne des Droits de l’Homme et à la jurisprudence des organes chargés de veiller à son application ;

Reconnaissant, en outre, que ces mesures requièrent l’appui des responsables politiques et administratifs, des juges, des procureurs et du grand public, ainsi qu’une information équilibrée sur les fonctions de la sanction, sur l’efficacité relative des sanctions et mesures privatives et non privatives de liberté et sur la réalité des prisons ;

Tenant compte de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants ;

(...)

Recommande aux gouvernements des États membres :

– de prendre toutes les mesures appropriées, lorsqu’ils revoient leur législation et leur pratique relatives au surpeuplement des prisons et à l’inflation carcérale, en vue d’appliquer les principes énoncés dans l’annexe à la présente recommandation ;

– d’encourager la diffusion la plus large possible de la présente recommandation et du rapport sur le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale établi par le Comité européen pour les problèmes criminels.

Annexe à la Recommandation R(99)22

I. Principes de base

1. La privation de liberté devrait être considérée comme une sanction ou mesure de dernier recours et ne devrait dès lors être prévue que lorsque la gravité de l’infraction rendrait toute autre sanction ou mesure manifestement inadéquate.

2. L’extension du parc pénitentiaire devrait être plutôt une mesure exceptionnelle, puisqu’elle n’est pas, en règle générale, propre à offrir une solution durable au problème du surpeuplement. Les pays dont la capacité carcérale pourrait être globalement suffisante mais mal adaptée aux besoins locaux devraient s’efforcer d’aboutir à une répartition plus rationnelle de cette capacité.

3. Il convient de prévoir un ensemble approprié de sanctions et de mesures appliquées dans la communauté, éventuellement graduées en termes de sévérité ; il y a lieu d’inciter les procureurs et les juges à y recourir aussi largement que possible.

4. Les États membres devraient examiner l’opportunité de décriminaliser certains types de délits ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peines privatives de liberté.

5. Afin de concevoir une action cohérente contre le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, une analyse détaillée des principaux facteurs contribuant à ces phénomènes devrait être menée. Une telle analyse devrait porter, notamment, sur les catégories d’infractions susceptibles d’entraîner de longues peines de prison, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, les attitudes et préoccupations du public ainsi que les pratiques existantes en matière de prononcé des peines.

II. Faire face à la pénurie de places dans les prisons

6. Il convient, pour éviter des niveaux de surpeuplement excessifs, de fixer, pour les établissements pénitentiaires, une capacité maximale.

7. En présence d’une situation de surpeuplement, il y a lieu d’accorder une importance particulière à la notion de dignité humaine, à la volonté des administrations pénitentiaires d’appliquer un traitement humain et positif, à la pleine reconnaissance des rôles du personnel, et à la mise en œuvre d’une gestion moderne et efficace. Conformément aux Règles pénitentiaires européennes, une attention particulière devrait être accordée à l’espace dont disposent les détenus, à l’hygiène et aux installations sanitaires, à une nourriture suffisante et convenablement préparée et présentée, aux soins médicaux et aux possibilités de faire de l’exercice en plein air.

8. Il convient, en vue de contrebalancer certaines des conséquences négatives du surpeuplement des prisons, de faciliter dans la mesure du possible le contact des détenus avec leurs familles et de faire appel le plus possible au soutien de la communauté.

9. Un usage aussi large que possible devrait être fait des modalités spécifiques d’exécution des peines privatives de liberté, notamment des régimes de semi-liberté et des régimes ouverts, des congés pénitentiaires ou des placements extra-muros en vue de contribuer au traitement des détenus et à leur réinsertion, au maintien du lien avec leur famille ou avec d’autres membres de la communauté, ainsi qu’à l’atténuation des tensions dans les établissements pénitentiaires.

(...)

V. Mesures à mettre en œuvre au-delà du procès pénal

La mise en œuvre des sanctions et mesures appliquées dans la communauté – L’exécution des peines privatives de liberté

22. Pour faire des sanctions et des mesures appliquées dans la communauté des alternatives crédibles aux peines d’emprisonnement de courte durée, il convient d’assurer leur mise en œuvre efficiente (...)

24. La libération conditionnelle devrait être considérée comme une des mesures les plus efficaces et les plus constructives qui non seulement réduit la durée de la détention mais contribue aussi de manière non négligeable à la réintégration planifiée du délinquant dans la communauté.

(...) »

c) Les normes adoptées en application des arrêts de la Cour

57. Dans son rapport de 2014 sur la surveillance de l’exécution des arrêts et décisions de la Cour européenne des droits de l’homme ([https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680592af2](https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=0900001680592af2)), le Comité des Ministres s’est exprimé ainsi, relativement à l’exécution de deux arrêts rendus contre l’Italie (Sulejmanovic c. Italie, no 22635/03, 16 juillet 2009, et Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, 8 janvier 2013) :

« En réponse à cette décision du CM, les autorités ont fourni des informations complémentaires en avril, notamment sur l’adoption de différentes mesures structurelles prises afin de se conformer aux arrêts dans ces affaires, accompagnées des données statistiques démontrant une diminution importante et continue de la population carcérale et une augmentation de l’espace de vie jusqu’à au moins 3 m2 par personne détenue. À sa réunion de juin, le CM s’est félicité de la création d’un recours préventif dans le délai fixé par l’arrêt pilote Torreggiani et autres et, afin d’en permettre une pleine évaluation, a invité les autorités à fournir des informations complémentaires sur sa mise en œuvre, en particulier à la lumière du suivi qu’elles prévoient d’exercer dans ce contexte. Il a également pris note des informations sur les mesures prises pour créer un recours indemnitaire par le biais d’un décret-loi, qui sera adopté vers fin juin. »

3. Le Comité européen pour les problèmes criminels

58. Dans son Commentaire sur les règles pénitentiaires européennes, le Comité européen pour les problèmes criminels a expliqué la portée des exigences énoncées dans ces règles en matière d’hébergement et de régime pénitentiaires. La partie pertinente de ce commentaire se lit ainsi :

« La Règle 18 contient quelques éléments nouveaux. Le premier, à la Règle 18.3, vise à obliger les gouvernements à inscrire dans le droit interne des normes spécifiques en ce domaine.

Ces normes doivent tenir compte à la fois des exigences générales de respect de la dignité humaine et des considérations pratiques en matière de santé et d’hygiène. Le CPT, dans son analyse des conditions d’hébergement et de l’espace au sol disponible dans les établissements pénitentiaires de divers pays, a commencé à indiquer quelques standards minimaux. Il les estime à 4 m² par détenu dans un dortoir et 6 m² dans une cellule. Elles doivent cependant être modulées en fonction des résultats d’analyses plus approfondies du système pénitentiaire ; il convient notamment de prendre en compte le temps que les détenus passent effectivement dans leur cellule. Ces valeurs minimales ne doivent pas être considérées comme la norme. Bien que le CPT n’ait jamais établi directement de telle norme, il y a des indications qu’il considère de taille souhaitable une cellule individuelle de 9 à 10 m². Il s’agit d’un domaine dans lequel le CPT peut continuer à apporter des éléments utiles en s’appuyant sur le travail déjà effectué à cet égard. Il est nécessaire de procéder à un examen détaillé des dimensions des cellules pouvant être considérées comme acceptables pour l’hébergement d’un certain nombre de détenus. Le nombre d’heures que les détenus passent enfermés dans leur cellule doit être pris en compte dans la définition des dimensions appropriées. Même dans le cas des détenus passant une grande partie de leur temps en dehors de leur cellule, il convient de définir clairement un espace minimum conforme au respect de la dignité humaine.

(...)

La Règle 25 souligne que les autorités pénitentiaires ne doivent pas concentrer leur attention uniquement sur certaines règles spécifiques comme celles qui portent sur le travail, l’éducation et l’exercice physique mais doivent examiner l’ensemble du régime de détention de chaque détenu et veiller à ce que celui-ci reste conforme aux normes fondamentales de respect de la dignité humaine. [Ces activités (...) devraient couvrir (...) la période d’une journée normale de travail]. Il est inacceptable, par exemple, que les détenus passent 23 heures sur 24 dans leur cellule. Le CPT a indiqué que les diverses activités auxquelles participent les détenus doivent les occuper en dehors de leur cellule au moins huit heures par jour (...) »

B. Les normes pertinentes des Nations unies

59. L’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Mandela), qui figure dans le document A/C.3/70/L.3 (29 septembre 2015), est un ensemble de normes fondamentales de traitement des détenus adopté par l’Assemblée générale des Nations unies. En ses parties pertinentes, il prévoit ceci :

« I. Règles d’application générale

Principes fondamentaux

Règle 1

Tous les détenus sont traités avec le respect dû à la dignité et à la valeur inhérentes à la personne humaine. Aucun détenu ne doit être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, et tous les détenus sont protégés contre de tels actes, qui ne peuvent en aucun cas être justifiés par quelque circonstance que ce soit. La sûreté et la sécurité des détenus, du personnel, des prestataires de services et des visiteurs doivent être assurées à tout moment.

(...)

Règle 4

1. Les objectifs des peines d’emprisonnement et mesures similaires privant l’individu de sa liberté sont principalement de protéger la société contre le crime et d’éviter les récidives. Ces objectifs ne sauraient être atteints que si la période de privation de liberté est mise à profit pour obtenir, dans toute la mesure possible, la réinsertion de ces individus dans la société après leur libération, afin qu’ils puissent vivre dans le respect de la loi et subvenir à leurs besoins.

2. À cette fin, les administrations pénitentiaires et les autres autorités compétentes doivent donner aux détenus la possibilité de recevoir une instruction et une formation professionnelle et de travailler, et leur offrir toutes les autres formes d’assistance qui soient adaptées et disponibles, y compris des moyens curatifs, moraux, spirituels, sociaux, sanitaires et sportifs. Tous les programmes, activités et services ainsi proposés doivent être mis en œuvre conformément aux besoins du traitement individuel des détenus.

(...)

Locaux de détention

Règle 12

1. Lorsque les détenus dorment dans des cellules ou chambres individuelles, celles-ci ne doivent être occupées la nuit que par un seul détenu. Si pour des raisons spéciales, telles qu’une suroccupation temporaire, il devient nécessaire pour l’administration pénitentiaire centrale de déroger à cette règle, il n’est pas souhaitable que deux détenus occupent la même cellule ou chambre.

2. Lorsqu’on recourt à des dortoirs, ceux-ci doivent être occupés par des détenus soigneusement sélectionnés et reconnus aptes à être logés dans ces conditions. La nuit, ils seront soumis à une surveillance régulière, adaptée au type d’établissement considéré.

Règle 13

Tous les locaux de détention et en particulier ceux où dorment les détenus doivent répondre à toutes les normes d’hygiène, compte dûment tenu du climat, notamment en ce qui concerne le volume d’air, la surface minimale au sol, l’éclairage, le chauffage et la ventilation.

Règle 14

Dans tout local où les détenus doivent vivre ou travailler :

a) Les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que le détenu puisse lire et travailler à la lumière naturelle et être agencées de façon à permettre l’entrée d’air frais, avec ou sans ventilation artificielle;

b) La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre au détenu de lire ou de travailler sans altérer sa vue.

Règle 15

Les installations sanitaires doivent être adéquates pour permettre au détenu de satisfaire ses besoins naturels au moment voulu, d’une manière propre et décente.

Règle 16

Les installations de bain et de douche doivent être suffisantes pour que chaque détenu puisse être à même et tenu de les utiliser, à une température adaptée au climat et aussi fréquemment que l’exige l’hygiène générale selon la saison et la région géographique, mais au moins une fois par semaine sous un climat tempéré.

Règle 17

Tous les locaux fréquentés régulièrement par les détenus doivent être correctement entretenus et être maintenus en parfait état de propreté à tout moment.

Hygiène personnelle

Règle 18

1. Les détenus sont tenus de veiller à leur propreté personnelle et doivent pour ce faire disposer d’eau et des articles de toilette nécessaires à leur santé et à leur hygiène corporelle.

2. Afin de permettre aux détenus d’avoir une bonne apparence personnelle qui leur donne confiance en eux, des services doivent être prévus pour assurer le bon entretien des cheveux et de la barbe et les hommes doivent pouvoir se raser régulièrement.

Vêtements et literie

Règle 19

1. Tout détenu qui n’est pas autorisé à porter ses vêtements personnels doit recevoir une tenue qui soit adaptée au climat et suffisante pour le maintenir en bonne santé. Cette tenue ne doit en aucune manière être dégradante ou humiliante.

(...)

Règle 21

Chaque détenu doit disposer, en conformité avec les normes locales ou nationales, d’un lit individuel et d’une literie individuelle convenable, propre à son arrivée puis bien entretenue et renouvelée assez souvent pour en assurer la propreté.

Alimentation

Règle 22

1. Tout détenu doit recevoir de l’administration pénitentiaire aux heures habituelles une alimentation de bonne qualité, bien préparée et servie, ayant une valeur nutritive suffisant au maintien de sa santé et de ses forces.

2. Chaque détenu doit pouvoir disposer d’eau potable lorsqu’il en a besoin.

Activité physique et sportive

Règle 23

1. Chaque détenu qui n’est pas occupé à un travail en plein air doit avoir, si le temps le permet, une heure au moins par jour d’exercice physique approprié en plein air.

2. Les jeunes détenus et les autres détenus dont l’âge et la condition physique le permettent doivent recevoir pendant la période réservée à l’exercice une éducation physique et récréative. Le terrain, les installations et l’équipement nécessaires devraient être mis à leur disposition.

(...)

II. Règles applicables à des catégories spéciales

A. Détenus condamnés

(...)

Privilèges

Règle 95

Un système de privilèges adapté aux différents groupes de détenus et aux différentes méthodes de traitement doit être mis en place dans chaque prison afin d’encourager la bonne conduite, de développer le sens des responsabilités et de susciter l’intérêt et la coopération des détenus en vue de leur traitement.

Travail

Règle 96

1. Les détenus condamnés doivent avoir la possibilité de travailler et de participer activement à leur réadaptation, sous réserve de l’avis d’un médecin ou autre professionnel de la santé ayant les qualifications requises concernant leur aptitude physique et mentale.

2. Il faut fournir aux détenus un travail productif suffisant pour les occuper pendant la durée normale d’une journée de travail.

(...)

Éducation et loisirs

Règle 104

1. Des dispositions doivent être prises pour poursuivre l’éducation de tous les détenus capables d’en profiter, y compris l’instruction religieuse dans les pays où cela est possible. L’instruction des détenus analphabètes et des jeunes détenus doit être obligatoire et devra recevoir une attention particulière de la part de l’administration pénitentiaire.

(...)

Règle 105

Des activités récréatives et culturelles doivent être organisées dans toutes les prisons pour assurer le bien-être physique et mental des détenus. »

C. Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR)

60. Sur la base des différentes visites qu’il a effectuées dans des lieux de détention où il a contrôlé les conditions de détention et le traitement des détenus, le CICR a publié en 2005 un document intitulé « Eau, assainissement, hygiène et habitat dans les prisons », qui a été mis à jour en 2012. Par ailleurs, le CICR a organisé en 2009 une table ronde internationale relative à la progression de l’établissement de lignes directrices internationales. À la lumière des débats tenus dans ce cadre, il a publié le document « Eau, assainissement, hygiène et habitat dans les prisons – Guide complémentaire » (disponible à l’adresse suivante : [www.icrc.org](https://www.icrc.org/fr)).

61. Dans ce guide, le CICR observe qu’il n’existe pas de norme universelle régissant l’espace habitable à allouer aux détenus mais que des recommandations s’appliquant à plusieurs groupes de pays ont néanmoins été formulées par un certain nombre d’organisations et de forums. Il note qu’en l’absence de normes universelles, des réglementations nationales ont été élaborées par de nombreux pays mais que les prescriptions varient beaucoup. Par exemple, indique-t-il, en Europe les spécifications vont de 4 m² (en Albanie) à 12 m² (en Suisse), certains pays requièrent davantage d’espace pour les détenus en attente de jugement, dans d’autres pays, il est exigé d’avoir plus d’espace pour les femmes (en Islande, Pologne et Slovénie, par exemple), et d’autres pays encore font une distinction entre détenus adultes et détenus mineurs (la Hongrie et la Lettonie, par exemple).

62. En l’absence de norme universelle, le CICR a élaboré sur la base de son expérience des spécifications relatives à l’aménagement de l’espace alloué à chaque détenu. Pour les détenus qui partagent une cellule ou un dortoir, il recommande un espace de 3,4 m² par personne, y compris les lits superposés et les toilettes. Il souligne toutefois que ces chiffres correspondent à des spécifications recommandées et qu’il ne s’agit pas de normes, et que, dans la pratique, l’espace au sol dont chaque détenu devrait disposer ne peut pas être évalué uniquement sur la base de la mesure d’une surface spécifique : pour évaluer les exigences en matière d’espace, il faut prendre en compte un certain nombre d’autres facteurs, y compris des facteurs relevant de la gestion ou variant en fonction des installations et des services disponibles dans la prison. Selon le CICR, il faut adopter une approche globale permettant d’obtenir un tableau plus exact de la réalité vécue par les détenus.

63. Le CICR considère donc que l’espace ne constitue en soi qu’un moyen limité de mesurer la qualité de la vie carcérale et d’évaluer les conditions de détention. Il explique dans le guide que l’espace n’est qu’un des éléments à considérer pour évaluer les conditions dans lesquelles les détenus sont incarcérés, et que les normes relatives à l’espace ne peuvent pas être spécifiées séparément de celles qui portent sur l’environnement global. Ainsi, précise-t-il, dans toute situation, le caractère approprié ou inapproprié des spécifications qu’il recommande dépend de plusieurs autres facteurs : les besoins individuels spécifiques des détenus (par exemple, les besoins des prisonniers jeunes, vieux ou malades, des femmes ou des personnes handicapées) ; l’état des bâtiments ; le temps passé dans la zone de logement ; la fréquence et l’étendue des possibilités offertes aux détenus en termes d’exercice physique, de travail et de participation à d’autres activités en dehors de la zone de logement ; le nombre de personnes dans la zone de logement (qui doit permettre une certaine intimité tout en évitant l’isolement) ; la quantité de lumière naturelle et le caractère adéquat de la ventilation ; les autres activités qui se déroulent dans la zone de logement (cuisson des aliments, lavage et séchage du linge et des vêtements, par exemple) ; les autres services à disposition (toilettes et douches, par exemple) et le niveau de surveillance devant être exercée.

64. En ce qui concerne le temps passé dans la cellule ou le dortoir, le CICR souligne que plus un détenu doit passer de temps dans un espace confiné au cours d’une période de 24 heures, plus grande est la surface dont il a besoin. En d’autres termes, plus un détenu passe d’heures chaque jour en dehors de la zone de logement, dans un environnement offrant toute sécurité où il participe à des activités positives, plus grande est la possibilité d’atténuer les effets négatifs de l’enfermement dans un espace restreint. Le CICR précise que sont considérés comme « activités positives » le travail et l’éducation, le fait de recevoir des visites, la participation à un exercice organisé ou à une activité sportive, le fait de passer de longues périodes de temps non structuré dans les zones d’exercice en plein air ainsi que la pratique d’un passe-temps et la participation à des programmes d’activités récréatives.

65. Le CICR fait aussi une distinction en ce qui concerne les exigences en matière d’hébergement entre le temps normal et les situations d’urgence (crises politiques, catastrophes naturelles, incendies, émeutes, crises sanitaires nécessitant l’isolement d’un grand nombre de détenus ou autres événements impliquant le transfert de détenus d’une prison ayant subi des dégâts vers un autre établissement). Il note que les participants à la table ronde ont unanimement recommandé de revenir sur la spécification qu’il avait recommandée en situation d’urgence, soit 2 m² par personne. Plutôt que de fixer un minimum standard, ils ont recommandé de formuler des orientations destinées à faciliter le retour aussi rapide que possible à des conditions normales dans la prison (en termes, notamment, d’espace minimum). Ils ont en particulier souligné qu’il était nécessaire en pareil cas d’éviter que des restrictions introduites pour faire face à une situation d’urgence n’évoluent en situation de carence chronique.

EN DROIT

I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT

A. Thèses des parties

66. Devant la Grande Chambre, le Gouvernement excipe, comme devant la chambre, du non‑épuisement des voies de recours internes (voir le paragraphe 37 de l’arrêt de chambre). Il argue que dans son recours constitutionnel le requérant n’a pas donné de détails sur les conditions selon lui inadéquates de sa détention ni invoqué les dispositions pertinentes de la Convention et de la Constitution et qu’il n’a donc pas exercé toutes les voies de droit internes.

67. Le requérant soutient quant à lui qu’il a dûment épuisé les voies de recours internes ; il explique qu’il a expressément invoqué dans son recours constitutionnel l’article 74 de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement, qui garantirait un minimum de 4 m² d’espace personnel par détenu, et plaidé que cette disposition n’avait pas été respectée dans son cas. Il aurait ainsi donné à la Cour constitutionnelle une possibilité suffisante d’examiner toutes les circonstances pertinentes de l’affaire.

B. Conclusions de la chambre

68. La chambre a observé que devant la Cour constitutionnelle le requérant s’était plaint en substance de n’avoir disposé à la prison de Bjelovar ni d’un espace personnel suffisant ni de la possibilité de travailler et d’avoir de ce fait subi une violation de ses droits. Elle a donc estimé qu’il avait ainsi dûment épuisé les voies de recours internes.

C. Appréciation de la Cour

69. La Cour rappelle qu’il n’est pas exclu que la Grande Chambre puisse examiner, le cas échéant, des questions touchant à la recevabilité de la requête en vertu de l’article 35 § 4 de la Convention, aux termes duquel la Cour peut « à tout stade de la procédure » rejeter une requête qu’elle considère comme irrecevable. Dès lors, même au stade de l’examen au fond, sous réserve de ce qui est prévu à l’article 55 de son règlement, la Cour peut revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable lorsqu’elle constate que celle-ci aurait dû être considérée comme irrecevable pour une des raisons énumérées aux alinéas 1 à 3 de l’article 35 de la Convention (voir, par exemple, Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et « l’ex-République yougoslave de Macédoine » [GC], no 60642/08, § 78, CEDH 2014).

70. Toutefois, après examen de l’argument du Gouvernement, la Cour ne décèle pas de raison de revenir sur la conclusion de la chambre selon laquelle il y avait lieu de rejeter l’exception soulevée par celui-ci. En effet, elle a toujours dit que la règle de l’épuisement des voies de recours internes posée à l’article 35 § 1 de la Convention impose de soulever devant l’organe interne adéquat, au moins en substance et dans les formes et délais prescrits par le droit interne, les griefs que l’on entend formuler par la suite à Strasbourg et commande en outre l’emploi des moyens de procédure propres à empêcher une violation de la Convention (voir Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 72, 25 mars 2014, et, plus généralement, Gherghina c. Roumanie (déc.) [GC], no 42219/07, §§ 84-87, 9 juillet 2015).

71. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur les recours relatifs aux conditions de détention en Croatie. Elle a dit que la possibilité pour un détenu de porter un grief devant l’instance judiciaire compétente ou l’administration pénitentiaire constituait un recours effectif, puisque cette démarche pouvait avoir pour effet de mettre fin aux conditions de détention inadéquates de l’intéressé et que, de plus, si celui-ci n’obtenait pas gain de cause, il pouvait saisir la Cour constitutionnelle (Štitić c. Croatie (déc.), no 29660/03, 9 novembre 2006, et Dolenec c. Croatie, no 25282/06, § 113, 26 novembre 2009), elle-même compétente pour ordonner qu’il fût remis en liberté ou qu’il fût mis fin aux conditions de détention inadéquates (voir, notamment, Peša c. Croatie, no 40523/08, § 80, 8 avril 2010). Pour épuiser les voies de recours internes, les requérants doivent donc, conformément au principe de subsidiarité, laisser à la Cour constitutionnelle croate la possibilité de remédier à leur situation et de répondre à leurs griefs avant de porter ceux-ci devant la Cour (Bučkal c. Croatie (déc.), no 29597/10, § 20, 3 avril 2012, et Longin c. Croatie, no 49268/10, § 36, 6 novembre 2012).

72. En l’espèce, la Cour note que, après avoir dûment exercé tous les recours dont il disposait devant les instances judiciaires compétentes comme devant l’administration pénitentiaire (paragraphes 22-24, 26 et 29 ci‑dessus), le requérant a saisi la Cour constitutionnelle, se plaignant expressément devant elle, quoique de façon succincte, d’un problème de surpopulation à la prison de Bjelovar. Il a invoqué l’article 74 § 3 de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement, qui garantit aux détenus le droit à un espace personnel suffisant, et il a allégué que cette disposition n’avait pas été respectée dans son cas (paragraphe 32 ci-dessus). Il a donc donné aux autorités nationales l’occasion que l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de ménager en principe aux États contractants, à savoir redresser les violations alléguées contre eux (voir, parmi beaucoup d’autres, Jaćimović c. Croatie, no 22688/09, §§ 40‑41, 31 octobre 2013, avec la jurisprudence citée).

73. En conséquence, la Cour conclut que le requérant a dûment épuisé les voies de recours internes. Dès lors, il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

74. Le requérant se plaint d’avoir été détenu dans de mauvaises conditions à la prison de Bjelovar. Il allègue qu’il a disposé en cellule de moins de 3 m² d’espace personnel pendant plusieurs périodes non consécutives d’une durée cumulée de cinquante jours et, pendant d’autres périodes non consécutives, d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m². Il se plaint aussi que les conditions sanitaires, l’hygiène, la nourriture, ainsi que les possibilités de travailler et de pratiquer des activités récréatives et éducatives dans l’établissement aient été insuffisantes. Il invoque l’article 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. L’arrêt de la chambre

75. Le requérant s’étant essentiellement plaint devant elle de n’avoir pas disposé d’un espace personnel suffisant à la prison de Bjelovar, la chambre a rappelé les principes généraux énoncés dans l’arrêt pilote Ananyev et autres c. Russie (nos 42525/07 et 60800/08, § 148, 10 janvier 2012), qui concernait la question de la surpopulation carcérale. En particulier, elle a noté que le critère énoncé dans cet arrêt pour apprécier s’il y avait ou non violation de l’article 3 de la Convention à raison d’une insuffisance de l’espace personnel à la disposition des détenus comporte trois éléments – 1) chaque détenu doit disposer d’un couchage individuel dans la cellule, 2) chacun doit bénéficier d’au moins 3 m² de superficie, et 3) la surface totale de la cellule doit permettre aux détenus de se déplacer librement entre les meubles – et que l’absence de l’un de ces éléments ferait fortement présumer que les conditions de détention sont inadéquates.

76. Ainsi, la chambre a souligné que lorsque les requérants disposaient d’une superficie inférieure à 3 m², il y avait une forte présomption de conditions de détention constitutives d’un traitement dégradant, contraire à l’article 3. Elle a toutefois ajouté que dans certaines circonstances cette présomption pouvait être réfutée par l’effet cumulé des autres conditions de la détention.

77. À la lumière de ces principes, la chambre a observé qu’il était vrai que l’espace personnel alloué au requérant était inférieur à la norme de 4 m² d’espace personnel par détenu énoncée par le CPT dans ses recommandations, mais elle a considéré que la situation n’était pas extrême au point de justifier en elle-même un constat de violation de l’article 3 de la Convention. Elle a relevé que durant de brèves périodes occasionnelles non consécutives, le requérant avait disposé de légèrement moins de 3 m² d’espace personnel, et elle a noté avec préoccupation que l’une de ces périodes avait duré vingt-sept jours. Elle a constaté toutefois que le requérant avait été autorisé à circuler librement hors de sa cellule trois heures par jour, que dans chacune des cellules où il avait été détenu il avait un accès non obstrué à l’air et à la lumière naturels ainsi qu’à l’eau potable, qu’il avait disposé d’un lit individuel, et que rien ne l’avait empêché de se mouvoir librement dans sa cellule. Elle a relevé aussi que les détenus de la prison de Bjelovar se voyaient proposer diverses activités hors cellule, et notamment qu’ils avaient accès à une bibliothèque et à des installations récréatives.

78. Dans ces circonstances, l’incarcération du requérant s’étant accompagnée d’une liberté de circulation suffisante dans la prison, qui était par ailleurs adéquate, la chambre a conclu que les conditions de détention de l’intéressé n’avaient pas atteint le seuil de gravité requis pour que le traitement dont il avait fait l’objet pût être qualifié d’inhumain ou de dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

B. Thèses des parties

1. Le requérant

79. Le requérant se plaint d’avoir disposé de moins de 3 m² d’espace personnel en détention pendant plusieurs périodes non consécutives dont la durée cumulée s’élèverait à cinquante jours. Il affirme que l’une de ces périodes a duré vingt-sept jours, ce qui n’est pas à ses yeux une réduction « courte et occasionnelle » de l’espace personnel. Il argue qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que le fait qu’un détenu dispose de moins de 3 m² d’espace personnel dans une cellule collective ou un dortoir est en soi suffisant pour justifier un constat de violation de l’article 3, et que, si d’autres défaillances peuvent être relevées, c’est simplement pour corroborer ce constat. Il ajoute que la norme pertinente du CPT est de 4 m², et que la Cour devrait appliquer cette norme. Enfin, il allègue qu’outre les périodes où il a disposé de moins de 3 m², il y a aussi eu plusieurs périodes non consécutives pendant lesquelles il a disposé de 3 à 4 m² d’espace personnel dans sa cellule.

80. Le requérant argue également que les installations sanitaires doivent être déduites de la surface totale des cellules. Il indique qu’à la prison de Bjelovar il ne pouvait pas se déplacer normalement dans sa cellule ; il explique que lorsque celle-ci accueillait entre cinq et huit détenus, l’espace était réduit d’autant par la présence de cinq à huit lits, d’armoires, de tables et de chaises. En réalité, pendant tout son séjour dans cet établissement, il n’aurait disposé en moyenne que de 2,25 m² d’espace personnel. Par ailleurs, les possibilités d’activités récréatives et éducatives et de travail en prison n’auraient pas été suffisantes, et il n’aurait pu sortir de sa cellule que trois heures par jour, entre 16 et 19 heures. Il considère donc que, eu égard à sa situation personnelle et à son jeune âge, la réduction de son espace personnel n’a pas été suffisamment compensée. Il s’en serait senti humilié et dégradé.

81. Le requérant estime que sa thèse est entièrement corroborée par le fait que la prison de Bjelovar a été construite au XIXe siècle. Il allègue que l’établissement n’a jamais fait l’objet d’aucune rénovation ou amélioration pertinentes. Il reconnaît que certaines des photographies de la prison produites par le Gouvernement ont été prises après des travaux réalisés en 2011, mais il affirme que les cellules figurant sur ces clichés ne sont pas celles où il a séjourné. Il cite aussi à l’appui de sa thèse une plainte formulée par d’autres détenus et une interview de novembre 2010 dans laquelle le directeur de la prison aurait déclaré que l’administration pénitentiaire était parvenue à porter la capacité de la prison de Bjelovar de 53 à 79 places mais que l’établissement accueillait parfois jusqu’à 129 détenus. Il considère par ailleurs que le Gouvernement n’a pas suffisamment démontré la présence de facteurs assez importants pour compenser le manque criant d’espace personnel dont il estime avoir souffert.

82. Enfin, le requérant allègue qu’il n’a jamais bénéficié d’une protection adéquate de la part de la juge de l’application des peines, et que les autorités pénitentiaires ont fait obstacle à ses démarches auprès du médiateur en le transférant à la prison de Varaždin avant qu’il n’ait pu le rencontrer.

2. Le Gouvernement

83. Le Gouvernement soutient que les griefs du requérant ont été examinés en détail au niveau interne par la juge de l’application des peines compétente. Celle-ci aurait entendu l’intéressé et se serait rendue régulièrement (douze fois) à la prison de Bjelovar pendant qu’il y était incarcéré. Elle n’aurait pas constaté de violation du droit du requérant à des conditions de détention décentes. Ses conclusions auraient été examinées et confirmées par une formation de trois juges du tribunal du comté de Bjelovar et par la Cour constitutionnelle. De même, le médiateur aurait examiné les griefs du requérant et noté qu’ils concernaient principalement le souhait de l’intéressé d’être transféré dans une prison plus proche de sa famille. Il aurait aussi constaté que la prison de Bjelovar avait été fraîchement rénovée. Le Gouvernement s’appuie par ailleurs sur l’affaire Pozaić c. Croatie (no 5901/13, 4 décembre 2014), exposant que celle-ci concernait les conditions de détention à la prison de Bjelovar pendant la même période que celle où le requérant y a été détenu et que, comme la chambre en l’espèce, la Cour a conclu dans cette affaire à la non-violation de l’article 3 de la Convention. Il indique à cet égard que, le CPT n’ayant jamais visité la prison de Bjelovar, les conclusions de la Cour dans l’affaire Pozaić sont les seules qui aient été posées par une instance internationale sur les conditions de détention dans cet établissement.

84. Le Gouvernement ajoute que récemment, dans l’arrêt de principe Varga et autres c. Hongrie (nos 14097/12, 45135/12, 73712/12, 34001/13, 44055/13, et 64586/13, 10 mars 2015), la Cour a réaffirmé la jurisprudence Ananyev selon laquelle il existerait une « forte présomption » de violation de l’article 3 lorsque l’espace personnel dont dispose un détenu est inférieur à 3 m² mais qu’elle a noté que dans plusieurs affaires cette présomption avait été réfutée par les effets cumulés des conditions de détention prises dans leur ensemble (il se réfère aux arrêts Dmitriy Rozhin c. Russie, no 4265/06, § 53, 23 octobre 2012, Fetisov et autres c. Russie, nos 43710/07, 6023/08, 11248/08, 27668/08, 31242/08 et 52133/08, 17 janvier 2012, Kurkowski c. Pologne, no 36228/06, 9 avril 2013, et Vladimir Belyayev c. Russie, no 9967/06, 17 octobre 2013).

85. Le Gouvernement plaide que conclure automatiquement à une violation de la Convention sur la seule base de l’espace alloué au détenu reviendrait à adopter une approche formaliste et à ignorer d’une part plusieurs facteurs compensateurs importants et d’autre part la position du CPT selon laquelle tous les aspects de la détention doivent être pris en compte. Il est d’avis que pareille conclusion dissuaderait en outre les États d’élaborer et de mettre en œuvre diverses mesures visant à améliorer la qualité de vie des détenus, ce que fait selon lui la Croatie. À cet égard, il indique que, indépendamment de la norme de 4 m² énoncée dans le droit interne pertinent, une approche globalement souple de la question des conditions de détention a permis de prendre d’importantes dispositions aux fins d’atténuer et de résoudre les problèmes liés au niveau de surpopulation carcérale ces dernières années, de sorte que les prisons croates seraient à présent occupées à 85 % de leur capacité. Il ajoute qu’une conclusion automatique irait à l’encontre des principes fondamentaux de la jurisprudence de la Cour et que, tout en paraissant apporter une réponse simple au problème, pareille démarche n’assurerait pas une protection effective des droits des détenus. Il estime donc qu’il devrait exister une possibilité réaliste et concrète de réfuter la présomption de violation.

86. En l’espèce, compte tenu de ces principes et des conditions globales de détention du requérant décrites ci-dessus (paragraphes 18-21), le Gouvernement considère que le problème général de surpopulation que connaissait la prison de Bjelovar à l’époque n’a pas porté atteinte aux droits du requérant et que celui-ci n’a pas fait l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

3. Les tiers intervenants

a) L’Observatoire international des prisons – Section française (OIP-SF), la Ligue belge des droits de l’homme (LDH) et le Réseau européen de contentieux pénitentiaire (RCP)

87. Ces intervenants estiment que la jurisprudence de la Cour en matière de conditions de détention n’est ni cohérente ni claire, notamment en ce qui concerne la question de savoir ce qui constitue un espace personnel compatible avec l’article 3 de la Convention, et plus particulièrement quelle doit être au minimum, en mètres carrés, la surface de cet espace. À leur avis, ce flou jurisprudentiel empêche la bonne application au niveau national des normes pertinentes.

88. Les intervenants estiment que l’espace personnel alloué à chaque détenu devrait constituer l’élément central de l’examen des conditions de détention. Ils considèrent que cet espace devrait être au minimum de 4 m², conformément aux recommandations du CPT et aux normes nationales, européennes et internationales applicables en la matière. Ils ajoutent que, si la Grande Chambre adoptait l’approche de la « forte présomption » de violation de l’article 3 lorsque l’espace personnel alloué à un détenu est inférieur à la norme minimale requise, il faudrait que cette forte présomption ne puisse être réfutée qu’exceptionnellement. Ils soutiennent que l’élément crucial à cet égard serait une liberté de circulation suffisante au sein de l’établissement, et qu’il incomberait aux autorités internes de démontrer que le manque d’espace personnel est suffisamment compensé par ailleurs. Ils estiment en outre que lorsque l’espace personnel alloué à un détenu est inférieur à 3 m², la situation devrait être considérée comme étant à ce point grave qu’elle ferait naître une présomption irréfragable de violation de l’article 3 et ne pourrait pas être considérée comme compensée ou atténuée par d’autres facteurs.

b) Le Centre de documentation « L’altro diritto onlus »

89. Cet intervenant estime qu’il y a lieu de clarifier et d’harmoniser la jurisprudence de la Cour relative aux conditions de détention, en particulier pour ce qui est de la question de savoir ce qui constitue un espace personnel suffisant. À son avis, il faut dire de manière claire et motivée que cet élément est une condition minimale, et tout écart par rapport à ce minimum devrait toujours donner lieu en tant que tel à un constat de violation de la Convention.

90. L’intervenant invite la Cour à réaffirmer le critère Ananyev en disant clairement, notamment, que lorsqu’un détenu ne dispose pas d’une surface minimale de 3 m² d’espace personnel, il y a une forte présomption de violation de l’article 3, qui n’est susceptible d’être renversée que dans les cas d’urgence et de nécessité extrêmes et sous réserve que le manque d’espace ne dure que très peu de temps. Il souhaite aussi que la Cour rappelle que chaque détenu doit avoir son propre lit, ainsi qu’une possibilité suffisante de se déplacer dans la cellule. En ce qui concerne la charge de la preuve, il considère que, une fois que le requérant a apporté un commencement de preuve, la charge de réfuter la forte présomption de violation devrait peser sur le gouvernement défendeur, qui devrait produire des éléments factuels solides validés par les conclusions de juridictions nationales indépendantes et impartiales ou d’autres instances compétentes. Il ajoute que, au-delà de la question de l’espace personnel suffisant, il faut aussi prendre en compte les autres aspects pertinents des conditions aux fins de l’appréciation sous l’angle de l’article 3.

C. Appréciation de la Cour

1. Remarques liminaires

91. La Cour est fréquemment appelée à statuer sur des allégations de violation de l’article 3 de la Convention à raison d’un manque d’espace personnel en détention. Elle considère qu’il y a lieu en l’espèce de préciser les principes et les normes à appliquer pour apprécier au regard de l’article 3 de la Convention l’espace personnel alloué à un détenu.

92. Elle note par ailleurs qu’un certain nombre de questions peuvent aussi se poser dans le contexte d’un hébergement en cellule individuelle, à l’isolement ou sous d’autres régimes de détention analogues, ou encore dans les locaux de rétention ou les espaces similaires utilisés pour de très courtes périodes (locaux de garde à vue, établissements psychiatriques, centres de rétention pour étrangers), qui ne sont toutefois pas en cause en l’espèce (voir le paragraphe 50 ci-dessus et l’arrêt Géorgie c. Russie (I), [GC], no 13255/07, §§ 192-205, CEDH 2014 (extraits)).

93. La question de la surpopulation carcérale dans le cas d’un hébergement en cellule collective était l’un des points examinés par la Grande Chambre dans l’arrêt Idalov c. Russie ([GC], no 5826/03, §§ 96‑102, 22 mai 2012). Elle a aussi été traitée dans plusieurs arrêts pilotes et arrêts de principe dans lesquels la Cour a déjà indiqué des éléments précis relativement à l’appréciation du problème et à l’obligation pour les États de traiter les défaillances constatées par elle dans ces arrêts.

94. Ainsi, la Cour a adopté à ce jour des arrêts pilotes relatifs à la surpopulation carcérale à l’égard des États suivants : Bulgarie (Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, 27 janvier 2015), Hongrie (Varga et autres, précité), Italie (Torreggiani et autres, précité), Pologne (Orchowski c. Pologne, no 17885/04, 22 octobre 2009, et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, 22 octobre 2009) et Russie (Ananyev et autres, précité).

95. Elle a aussi rendu sur cette même question des arrêts de principe dans lesquels elle a indiqué en vertu de l’article 46 de la Convention qu’il était nécessaire d’améliorer les conditions de détention dans les États suivants : Belgique (Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, 25 novembre 2014), Grèce (Samaras et autres c. Grèce, no 11463/09, 28 février 2012, Tzamalis et autres c. Grèce, no 15894/09, 4 décembre 2012, et Al.K. c. Grèce, no 63542/11, 11 décembre 2014), Roumanie (Iacov Stanciu c. Roumanie, no 35972/05, 24 juillet 2012), Slovénie (Mandić et Jović c. Slovénie, nos 5774/10 et 5985/10, 20 octobre 2011, et Štrucl et autres c. Slovénie, nos 5903/10, 6003/10 et 6544/10, 20 octobre 2011) et République de Moldova (Shishanov c. République de Moldova, no 11353/06, 15 septembre 2015).

2. Récapitulatif des principes pertinents

a) Les principes généraux

96. L’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et le comportement de la victime (voir, par exemple, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000-IV, et Svinarenko et Slyadnev c. Russie [GC], nos 32541/08 et 43441/08, § 113, CEDH 2014 (extraits)).

97. Un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, § 162, série A no 25, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, CEDH 2006‑IX, Idalov, précité, § 91, ainsi que Kalachnikov c. Russie, no 47095/99, § 95, CEDH 2002‑VI).

98. Un mauvais traitement qui atteint un tel seuil minimum de gravité implique en général des lésions corporelles ou de vives souffrances physiques ou mentales. Toutefois, même en l’absence de traitements de ce type, dès lors que le traitement humilie ou avilit un individu, témoignant d’un manque de respect pour sa dignité humaine ou la diminuant, ou qu’il suscite chez l’intéressé des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique, il peut être qualifié de dégradant et tomber ainsi également sous le coup de l’interdiction énoncée à l’article 3 (voir, entre autres, Idalov, précité, § 92, Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 52, CEDH 2002‑III, ainsi que Ananyev et autres, précité, § 140, et Varga et autres, précité, § 70). En effet, l’interdiction de la torture et des peines et traitements inhumains ou dégradants est une valeur de civilisation étroitement liée au respect de la dignité humaine (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, § 81, CEDH 2015).

99. Pour ce qui est des mesures privatives de liberté, la Cour a toujours souligné que, pour relever de l’article 3, la souffrance et l’humiliation infligées doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement la privation de liberté. L’État doit s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, §§ 92-94, CEDH 2000‑XI, Idalov, précité, § 93, Svinarenko et Slyadnev, précité, § 116, Mozer c. République de Moldova et Russie [GC], no 11138/10, § 178, CEDH 2016, ainsi que Valašinas c. Lituanie, no 44558/98, § 102, CEDH 2001‑VIII, et Ananyev et autres, précité, § 141).

100. Le fait que les mauvaises conditions subies par le détenu ne soient pas imputables à une intention de l’humilier ou de le rabaisser doit être pris en compte mais n’exclut pas de façon définitive un constat de violation de l’article 3 de la Convention (voir, entre autres, Peers c. Grèce, no 28524/95, § 74, CEDH 2001‑III, Mandić et Jović, précité, § 80, Iacov Stanciu, précité, § 179, et plus généralement, sur l’article 3, Svinarenko et Slyadnev, précité, § 114, et Bouyid, précité, § 86). En effet, il incombe à l’État défendeur d’organiser son système pénitentiaire de manière à assurer le respect de la dignité des détenus, indépendamment de difficultés financières ou logistiques (voir, parmi beaucoup d’autres, Mamedova c. Russie, no 7064/05, § 63, 1er juin 2006, Orchowski, précité, § 153, Neshkov et autres, précité, § 229, et Varga et autres, précité, § 103).

101. Lorsqu’on évalue les conditions de détention, il y a lieu de tenir compte de leurs effets cumulatifs ainsi que des allégations spécifiques du requérant. La durée de détention d’une personne dans des conditions particulières doit elle aussi être prise en considération (voir, parmi beaucoup d’autres, Idalov, précité, § 94, Orchowski, précité, § 121, Torreggiani et autres, précité, § 66, et Ananyev et autres, précité, § 142).

b) Les principes relatifs à la surpopulation carcérale

102. La Cour note que les principes et les normes qui se dégagent de sa jurisprudence en matière de surpopulation carcérale concernent en particulier les questions suivantes : 1) quel est l’espace personnel minimum dont un détenu doit disposer au regard de l’article 3 de la Convention ? 2) l’attribution à un détenu d’un espace personnel d’une surface inférieure à la norme minimale fait-elle naître une présomption de violation de l’article 3 de la Convention ou est-elle en elle-même constitutive d’une telle violation ? 3) le manque d’espace personnel peut-il être compensé par d’autres facteurs, et si oui, lesquels ?

i. Quel est l’espace personnel minimum dont un détenu doit disposer au regard de l’article 3 de la Convention ?

α) La jurisprudence pertinente

103. La Cour a déjà dit à maintes reprises qu’elle ne peut pas donner une fois pour toutes la mesure chiffrée de l’espace personnel qui doit être octroyé à un détenu pour que ses conditions de détention puissent être jugées compatibles avec la Convention au regard de l’article 3. Elle considère en effet que plusieurs autres facteurs, tels que la durée de la privation de liberté, les possibilités d’exercice en plein air ou l’état de santé physique et mentale du détenu, jouent un rôle important dans l’appréciation des conditions de détention au regard des garanties de l’article 3 (Samaras et autres, précité, § 57, Tzamalis et autres, précité, § 38, et Varga et autres, précité, § 76, voir aussi, par exemple, Trepachkine c. Russie, no 36898/03, § 92, 19 juillet 2007, Semikhvostov c. Russie, no 2689/12, § 79, 6 février 2014, Logothetis et autres c. Grèce, no 740/13, § 40, 25 septembre 2014, et Suldin c. Russie, no 20077/04, § 43, 16 octobre 2014).

104. Néanmoins, l’exiguïté extrême dans une cellule de prison est un aspect particulièrement important qui doit être pris en compte afin d’établir si les conditions de détention litigieuses étaient « dégradantes » au sens de l’article 3 de la Convention.

105. Dans bon nombre d’affaires où l’espace alloué au détenu dans une cellule collective était inférieur à 3 m², la Cour a jugé que la surpopulation était grave au point de justifier le constat d’une violation de l’article 3 (voir la jurisprudence citée dans les arrêts Orchowski, précité, § 122, Ananyev et autres, précité, § 145, et Varga et autres, précité, § 75).

106. D’autre part, dans les cas où il est apparu que les détenus disposaient chacun d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², la Cour a examiné le caractère suffisant ou insuffisant des autres aspects des conditions matérielles de détention du requérant pour se prononcer sur le respect de l’article 3. Elle n’a conclu à la violation de cette disposition que lorsque le manque d’espace s’accompagnait, dans un cas donné, d’autres déficiences dans les conditions matérielles de détention, concernant, notamment, l’accès à la cour de promenade et à l’air et à la lumière naturels, l’aération des locaux, le chauffage, la possibilité d’utiliser les toilettes dans l’intimité, le respect des normes sanitaires et hygiéniques de base (Orchowski, précité, § 122, Ananyev et autres, précité, § 149, Torreggiani et autres, précité, § 69, Vasilescu, précité, § 88, et Varga et autres, précité, § 78 ; voir aussi, par exemple, Jirsák c. République tchèque, no 8968/08, §§ 64-73, 5 avril 2012, Culev c. Moldova, no 60179/09, §§ 35-39, 17 avril 2012, Longin, précité, §§ 59‑61, et Barilo c. Ukraine, no 9607/06, §§ 80-83, 16 mai 2013).

107. Dans ces arrêts pilotes et ces arrêts de principe, la Cour a fixé aux fins de son appréciation à 3 m² de surface au sol la norme minimum applicable en matière d’espace personnel à allouer aux détenus dans une cellule collective (Orchowski, précité, § 123, Ananyev et autres, précité, § 148, Torreggiani et autres, précité, § 68, Vasilescu, précité, § 88, Neshkov et autres, précité, § 232, Samaras et autres, précité, § 58, Tzamalis et autres, précité, § 39, Varga et autres, précité, § 74, Iacov Stanciu, précité, § 168, et Mandić et Jović, précité, § 75). En outre, dans l’arrêt Idalov (précité, § 101), où elle a conclu que les conditions de détention du requérant avaient emporté violation de l’article 3, la Grande Chambre a dit notamment que « la détention de l’intéressé n’[avait pas été] conforme au standard minimal, tel qu’exposé dans la jurisprudence de la Cour, de 3 m² par personne ».

108. Par ailleurs, dans une minorité d’affaires, la Cour a considéré qu’un espace personnel inférieur à 4 m² était en soi un facteur suffisant pour justifier un constat de violation de l’article 3 (voir, entre autres, Cotleţ c. Roumanie (no 2), no 49549/11, §§ 34 et 36, 1er octobre 2013, et Apostu c. Roumanie, no 22765/12, § 79, 3 février 2015). Ce chiffre correspond à la norme minimale en matière d’espace vital par détenu en cellule collective telle qu’elle se dégage de la pratique du CPT et qu’elle a été récemment énoncée dans le document établi par celui-ci en 2015 (paragraphe 51 ci‑dessus).

β) L’approche à retenir

109. La Cour rappelle que, sans qu’elle soit formellement tenue de suivre ses arrêts antérieurs, il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans motif valable de ses propres précédents (voir, par exemple, Christine Goodwin c. Royaume-Uni [GC], no 28957/95, § 74, CEDH 2002‑VI, Scoppola c. Italie (no 2) [GC], no 10249/03, § 104, 17 septembre 2009, et Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 50, 29 juin 2012).

110. Elle ne voit pas de raison de s’écarter de l’approche qu’elle a adoptée dans les arrêts pilotes et les arrêts de principe cités ci-dessus et dans l’arrêt de Grande Chambre Idalov (paragraphe 107 ci-dessus). Elle confirme donc que l’exigence de 3 m² de surface au sol par détenu en cellule collective doit demeurer la norme minimale pertinente aux fins de l’appréciation des conditions de détention au regard de l’article 3 de la Convention (paragraphes 124-128 ci-dessous).

111. En ce qui concerne les normes élaborées par d’autres organes internationaux, dont le CPT, la Cour rappelle qu’elle a décidé de ne pas les considérer comme un argument déterminant aux fins de son appréciation au regard de l’article 3 (voir, par exemple, Orchowski, précité, § 131, Ananyev et autres, précité, §§ 144-145, Torreggiani et autres, précité, §§ 68 et 76, ainsi que Sulejmanovic, précité, § 43, Tellissi c. Italie (déc.), no 15434/11, § 53, 5 mars 2013, et G.C. c. Italie, no 73869/10, § 81, 22 avril 2014). Il en va de même des normes nationales applicables en la matière : elles peuvent éclairer la décision de la Cour dans un cas donné (Orchowski, précité, § 123), mais non revêtir un caractère déterminant pour sa conclusion sur le terrain de l’article 3 (voir, par exemple, Pozaić, précité, § 59, et Neshkov et autres, précité, § 229).

112. La principale raison de la réticence de la Cour à considérer les normes du CPT en matière d’espace disponible comme déterminantes pour sa conclusion sur le terrain de l’article 3 tient à ce que dans le cadre de son appréciation au regard de cette disposition, elle doit tenir compte de toutes les circonstances pertinentes de la cause, tandis que les autres organes internationaux tels que le CPT élaborent des normes générales en la matière à des fins de prévention des mauvais traitements (paragraphe 47 ci-dessus, voir aussi Trepachkine, précité, § 92, et Jirsák, précité, § 63). De même, les normes nationales relatives à l’espace personnel varient grandement et constituent des exigences générales en matière d’hébergement adéquat dans un système pénitentiaire donné (paragraphes 57 et 61 ci‑dessus).

113. De plus, la Cour joue un rôle conceptuellement différent de celui confié au CPT, ce que celui-ci a lui-même reconnu. Le CPT n’a pas pour tâche de dire si des faits donnés sont constitutifs de peines ou de traitements inhumains ou dégradants au sens de l’article 3 (paragraphe 52 ci‑dessus). Il agit principalement en amont dans un but de prévention, démarche qui tend par sa nature même vers un degré de protection plus élevé que celui qu’applique la Cour lorsqu’elle statue sur les conditions de détention d’un requérant (voir, au paragraphe 47 ci-dessus, le paragraphe 51 du 1er rapport général d’activités du CPT). Le CPT joue un rôle préventif tandis que la Cour est chargée de l’application judiciaire à des cas individuels de l’interdiction absolue de la torture et des traitements inhumains ou dégradants posée à l’article 3 de la Convention (paragraphe 46 ci-dessus). La Cour tient néanmoins à souligner qu’elle demeure attentive aux normes élaborées par le CPT et que, nonobstant cette différence de fonctions, elle examine soigneusement les cas où les conditions de détention ne respectent pas la norme de 4 m² fixée par lui (paragraphe 106 ci-dessus).

114. Enfin, la Cour juge important d’expliquer plus précisément la méthode qu’elle applique aux fins de son examen sous l’angle de l’article 3 pour calculer la surface minimale de l’espace personnel devant être alloué à un détenu hébergé en cellule collective. Elle considère, s’appuyant en cela sur la méthode du CPT, que dans ce calcul, la surface totale de la cellule ne doit pas comprendre celle des sanitaires (paragraphe 51 ci‑dessus). En revanche, le calcul de la surface disponible dans la cellule doit inclure l’espace occupé par les meubles. L’important est de déterminer si les détenus avaient la possibilité de se mouvoir normalement dans la cellule (voir, par exemple, Ananyev et autres, précité, §§ 147-148, et Vladimir Belyayev, précité, § 34).

115. La Cour observe par ailleurs que sa jurisprudence ne fait apparaître aucune distinction entre les détenus condamnés et ceux qui sont dans l’attente de leur procès pour ce qui est de l’application de la norme minimale de 3 m² de surface au sol par détenu en cellule collective. Ainsi, dans l’arrêt pilote Orchowski (précité, § 124), elle a appliqué les mêmes normes pour l’appréciation au regard de l’article 3 de l’espace personnel minimum en prison et en maison d’arrêt. Dans d’autres arrêts pilotes, elle a appliqué cette même norme aux conditions de la détention dans l’attente du procès (Ananyev et autres, §§ 143-148) et après condamnation (Torreggiani et autres, précité, §§ 65-69). Cette approche est suivie dans d’autres arrêts de principe sur le sujet (Iacov Stanciu, précité, §§ 171-179, Mandić et Jović, précité, §§ 72-76, Štrucl et autres, précité, § 80). Enfin, dans la jurisprudence récente, la même norme a été appliquée aux pénitenciers russes (Butko c. Russie, no 32036/10, § 52, 12 novembre 2015 ; pour la jurisprudence antérieure, voir, par exemple, Sergey Babushkin c. Russie, no 5993/08, § 56, 28 novembre 2013, et les affaires qui y sont citées).

ii. L’attribution à un détenu d’un espace personnel d’une surface inférieure à la norme minimale fait-elle naître une présomption de violation de l’article 3 ou est-elle en elle‑même constitutive d’une telle violation ?

α) La jurisprudence pertinente

116. Appelée à déterminer si un manque extrême d’espace personnel en détention avait emporté violation de l’article 3 de la Convention, la Cour a apporté différentes réponses à la question de savoir si l’attribution d’un espace personnel d’une surface inférieure à 3 m² était en elle-même constitutive d’une violation de l’article 3 ou si elle créait seulement une présomption de violation, réfutable par d’autres considérations pertinentes. Différentes approches se dégagent à cet égard.

117. Dans un certain nombre d’affaires, dès lors qu’elle avait constaté qu’un détenu avait disposé de moins de 3 m² d’espace personnel, la Cour a conclu à la violation de l’article 3 (voir, par exemple, Sulejmanovic, précité, § 43, Trepachkine c. Russie (no 2), no 14248/05, § 113, 16 décembre 2010, Mandić et Jović, précité, § 80, Lin c. Grèce, no 58158/10, §§ 53-54, 6 novembre 2012, Blejuşcă c. Roumanie, no 7910/10, §§ 43-45, 19 mars 2013, Ivakhnenko c. Russie, no 12622/04, § 35, 4 avril 2013, A.F. c. Grèce, no 53709/11, §§ 77-78, 13 juin 2013, Kanakis c. Grèce (no 2), no 40146/11, §§ 106-107, 12 décembre 2013, Gorbulya c. Russie, no 31535/09, §§ 64-65, 6 mars 2014, et T. et A. c. Turquie, no 47146/11, §§ 96-98, 21 octobre 2014).

118. Dans d’autres affaires, elle a dit que le fait qu’un détenu eût disposé d’un espace personnel inférieur à 3 m² emportait violation de l’article 3 et elle a examiné ensuite d’autres aspects des conditions de détention qu’elle n’a considérés que comme des circonstances aggravantes (voir, par exemple, Torreggiani et autres, précité, § 77, et Vasilescu, précité, §§ 100‑104).

119. On trouve aussi dans la jurisprudence une autre approche reposant sur le critère de la « forte présomption » énoncé dans l’arrêt pilote Ananyev et autres (précité). Dans cet arrêt, la Cour a énoncé, après une analyse approfondie de sa jurisprudence antérieure sur la surpopulation carcérale, le triple critère suivant : 1) chaque détenu doit disposer d’un couchage individuel dans la cellule, 2) chacun doit bénéficier d’au moins 3 m² de superficie, et 3) la surface totale de la cellule doit permettre aux détenus de se déplacer librement entre les meubles. Elle a souligné que le non-respect de l’un de ces éléments faisait en soi naître une forte présomption que les conditions de détention étaient constitutives d’un traitement dégradant, contraire à l’article 3 (Ananyev et autres, précité, § 148).

120. Suivant un raisonnement analogue, la Cour a dit dans l’arrêt pilote Orchowski (précité, § 123) que tous les cas où un détenu aurait été privé de l’espace vital minimum de 3 m² dans sa cellule seraient fortement indicateurs d’une violation de l’article 3 (voir aussi Olszewski c. Pologne, no 21880/03, § 98, 2 avril 2013). Le critère de la « forte présomption » a en outre été rappelé dans plusieurs des arrêts pilotes relatifs à la question de la surpopulation carcérale cités ci-dessus (Neshkov et autres, précité, § 232, et Varga et autres, précité, §§ 74 et 77).

121. Dans cette ligne de jurisprudence, le constat de violation de l’article 3 découle de la conclusion que, dans les circonstances, la « forte présomption » ne se trouve pas réfutée par les autres effets cumulés des conditions de détention (Orchowski, précité, § 135, Ananyev et autres, précité, § 166, Lind c. Russie, no 25664/05, §§ 59-61, 6 décembre 2007, et Kokoshkina c. Russie, no 2052/08, §§ 62-63, 28 mai 2009). Ainsi, dans les affaires faisant suite à l’arrêt Ananyev et autres, affaires qui présentaient des circonstances factuelles diverses, la Cour a examiné les effets cumulés des conditions de détention avant de se prononcer sur les allégations de violation de l’article 3 à raison d’une surpopulation carcérale (voir, par exemple, Idalov, précité, § 101, Iacov Stanciu, précité, §§ 176‑178, Asyanov c. Russie, no 25462/09, § 43, 9 octobre 2012, Nieciecki c. Grèce, no 11677/11, §§ 49-51, 4 décembre 2012, Yefimenko c. Russie, no 152/04, §§ 80-84, 12 février 2013, Manulin c. Russie, no 26676/06, §§ 47-48, 11 avril 2013, Shishkov c. Russie, no 26746/05, §§ 90-94, 20 février 2014, Bulatović c. Monténégro, no 67320/10, §§ 123-127, 22 juillet 2014, Tomoiagă c. Roumanie (déc.), no 47775/10, §§ 22-23, 20 janvier 2015, Neshkov et autres, précité, §§ 246-256, Varga et autres, précité, § 88, et Mironovas et autres c. Lituanie, nos 40828/12, 29292/12, 69598/12, 40163/13, 66281/13, 70048/13 et 70065/13, §§ 118‑123, 8 décembre 2015).

β) L’approche à retenir

122. Dans l’harmonisation des divergences ci-dessus, la Cour se fondera sur les principes généraux de sa jurisprudence bien établie relative à l’article 3 de la Convention. Elle rappelle que selon cette jurisprudence, l’appréciation du seuil minimum de gravité que doit atteindre un mauvais traitement pour tomber sous le coup de l’article 3 est relative par essence (paragraphes 97-98 ci‑dessus) et que, en vertu d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni (précité, § 162), elle dépend de l’ensemble des données de la cause, notamment de la durée du traitement et de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (paragraphe 97 ci-dessus).

123. L’appréciation de la compatibilité avec l’article 3 des conditions de détention ne peut donc se réduire à un calcul du nombre de mètres carrés alloués au détenu – approche qui, par ailleurs, ne tiendrait pas compte du fait qu’en pratique, seul un examen de l’ensemble des conditions de détention permet d’appréhender précisément la réalité quotidienne des détenus (paragraphes 62-63 ci-dessus).

124. La Cour considère néanmoins, après avoir analysé sa jurisprudence et compte tenu de l’importance attachée au facteur spatial dans l’appréciation globale des conditions de détention, que le fait que l’espace personnel dont dispose un détenu soit inférieur à 3 m² dans une cellule collective fait naître une forte présomption de violation de l’article 3.

125. La présence des éléments constitutifs du critère de la « forte présomption » doit être considérée comme un signe fort, mais non comme une présomption irréfutable, de violation de l’article 3. Cela signifie en particulier que, selon les circonstances, les effets cumulés des autres aspects des conditions de détention peuvent réfuter cette présomption – ce qui sera bien sûr difficile en cas de manque flagrant ou prolongé d’espace personnel (moins de 3 m²). Les circonstances dans lesquelles la présomption peut être réfutée sont exposées ci-dessous (paragraphes 130‑135).

126. Il s’ensuit que, lorsqu’il a été établi de manière certaine qu’un détenu avait disposé de moins de 3 m² de surface au sol en cellule collective, le point de départ de l’appréciation de la Cour est une forte présomption de violation de l’article 3. Il reste alors au gouvernement défendeur à démontrer de manière convaincante la présence de facteurs propres à compenser de manière adéquate le manque d’espace personnel. L’examen de l’effet cumulé des différents aspects des conditions de détention doit normalement permettre à la Cour de déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, la présomption a été réfutée.

127. En ce qui concerne la méthode à appliquer pour cet examen, la Cour se réfère au critère de preuve bien établi dans sa jurisprudence en matière de conditions de détention (voir, par exemple, Ananyev et autres, précité, §§ 121-125). Dans ce contexte, elle rappelle qu’elle tient particulièrement compte des difficultés objectives auxquelles se heurtent les requérants lorsqu’il leur faut recueillir des preuves à l’appui de leurs allégations relatives à leurs conditions de détention, mais que les intéressés doivent toutefois fournir un récit détaillé et cohérent des circonstances dont ils se plaignent (ibidem, § 122). Dans certains cas, ils sont en mesure de produire au moins quelques éléments de preuve à l’appui de leurs allégations. La Cour a considéré comme des éléments de preuve, par exemple, des déclarations écrites de codétenus, ou des photographies fournies par les requérants qui avaient la possibilité de le faire (voir, par exemple, Golubenko c. Ukraine (déc.), no 36327/06, § 52, 5 novembre 2013, et les affaires qui y sont citées ; voir aussi Tehrani et autres c. Turquie, nos 32940/08, 41626/08 et 43616/08, § 88, 13 avril 2010).

128. Lorsque la description faite des conditions de détention supposément dégradantes est crédible et raisonnablement détaillée, de sorte qu’elle constitue un commencement de preuve d’un mauvais traitement, la charge de la preuve est transférée au gouvernement défendeur, qui est le seul à avoir accès aux informations susceptibles de confirmer ou d’infirmer les allégations du requérant. Le gouvernement défendeur doit alors, notamment, recueillir et produire les documents pertinents et fournir une description détaillée des conditions de détention du requérant. La Cour tient aussi compte, dans son examen de l’affaire, des informations pertinentes à ce sujet émanant d’autres organes internationaux, par exemple du CPT, ou des autorités et institutions nationales compétentes (voir aussi Ananyev et autres, précité, §§ 122‑125, et Neshkov et autres, précité, §§ 71-91).

iii. Facteurs susceptibles de compenser le manque d’espace personnel

129. Au vu des conclusions énoncées ci-dessus (paragraphes 124-125), la Cour doit déterminer quels facteurs sont susceptibles de compenser le manque d’espace personnel subi par un détenu, et ainsi de réfuter la forte présomption de violation de l’article 3 qui naît lorsque l’intéressé dispose de moins de 3 m² d’espace personnel en cellule collective.

130. Elle note d’abord, à la lumière de sa jurisprudence postérieure à l’arrêt Ananyev, que ce n’est normalement que lorsque les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis sont courtes, occasionnelles et mineures qu’il est possible de réfuter la forte présomption de violation de l’article 3. Tel était le cas, par exemple, des restrictions subies dans l’affaire Fetisov et autres (précité, §§ 134-138), où un détenu avait disposé d’environ 2 m² d’espace au sol pendant dix-neuf jours (voir aussi Dmitriy Rozhin, précité, §§ 52-53), ou dans l’affaire Vladimir Belyayev (précité, §§ 33-36), où un détenu avait disposé de 2,95 m² d’espace personnel pendant dix jours, puis, de façon non consécutive, de 2,65 m² pendant deux jours et de 2,97 m² pendant vingt-six jours. De même, en se référant aux arrêts Fetisov et autres et Dmitriy Rozhin, la Cour a conclu à la non‑violation de l’article 3 dans l’affaire Kurkowski (précité, §§ 66‑67), où le requérant avait disposé d’environ 2,1 m² d’espace au sol pendant quatre jours, puis de 2,6 m² d’espace au sol pendant quatre autres jours.

131. Cela étant, la Cour a aussi dit que, si la durée d’une période de détention peut être un facteur pertinent aux fins de l’appréciation de la gravité de la souffrance ou de l’humiliation subies par un détenu du fait de ses mauvaises conditions de détention, la brièveté relative d’une telle période ne soustrait pas automatiquement à elle seule le traitement litigieux au champ d’application de l’article 3 lorsque d’autres éléments suffisent pour le faire relever de cette disposition (voir, par exemple, Vasilescu, précité, § 105, Neshkov et autres, précité, § 249, et Shishanov, précité, § 95).

132. La Cour note encore que dans d’autres affaires relatives à un manque d’espace personnel en détention, elle a recherché si les réductions de cet espace par rapport au minimum requis s’étaient accompagnées d’une liberté de circulation suffisante et d’activités hors cellule adéquates et si l’établissement était considéré de manière générale comme présentant des conditions décentes (voir, par exemple, Samaras et autres, précité, §§ 63‑65, et Tzamalis et autres, précité, §§ 44‑45). Dans les affaires Andrei Gueorgiev c. Bulgarie (no 61507/00, §§ 57‑62, 26 juillet 2007), Alexov c. Bulgarie (no 54578/00, §§ 107-108, 22 mai 2008) et Dolenec (précité, §§ 133-136), par exemple, elle a jugé que la réduction de l’espace personnel des requérants n’avait pas emporté violation de l’article 3. Elle considère que la forte présomption de violation de l’article 3 découlant de l’attribution d’un espace inférieur à 3 m² en cellule collective ne peut en principe être réfutée que lorsque sont réunies toutes les conditions suivantes : les réductions de l’espace personnel sont courtes, occasionnelles et mineures ; elles s’accompagnent d’une liberté de circulation hors de la cellule suffisante et d’activités hors cellule adéquates, et le lieu de détention présente, de façon générale, des conditions décentes (voir, mutatis mutandis, Varga et autres, précité, § 77, et Mironovas et autres, précité, § 122).

133. Pour déterminer ce qui constitue une liberté de circulation suffisante, la Cour s’est référée dans l’arrêt Ananyev et autres (précité, §§ 150-152) aux normes pertinentes du CPT, selon lesquelles tous les détenus, sans exception, doivent bénéficier d’au moins une heure d’exercice en plein air chaque jour, de préférence dans le cadre d’un programme plus large d’activités hors cellule, la cour de promenade devant être raisonnablement spacieuse et, autant que possible, offrir un abri contre les intempéries (voir aussi Neshkov et autres, précité, § 234). Selon les normes internationales pertinentes, les détenus doivent pouvoir passer une partie raisonnable de la journée hors de leur cellule pour pratiquer des activités motivantes de nature variée (travail, loisirs, formation), et les régimes des établissements accueillant des détenus condamnés doivent être encore plus favorables (voir aussi les paragraphes 48, 53, 55 et 59 ci‑dessus).

134. Enfin, le caractère globalement décent des conditions de détention dans l’établissement considéré s’apprécie au regard d’un certain nombre d’aspects généraux que la Cour a déjà indiqués dans sa jurisprudence (voir aussi Ananyev et autres, précité, §§ 153-159, et Neshkov et autres, précité, §§ 237-244, ainsi que Iacov Stanciu, précité, §§ 173-179, et Varga et autres, précité, §§ 80-92) et des normes internationales pertinentes (rappelées aux paragraphes 48, 53, 55, 59 et 63-64 ci-dessus). Ainsi, lorsque les détenus bénéficient d’une liberté de circulation suffisante et d’activités hors cellule adéquates et qu’ils ne sont pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions générales de détention, la Cour ne conclura pas à la violation de l’article 3 (voir, par exemple, le raisonnement suivi dans les arrêts Alver c. Estonie, no 64812/01, § 53, 8 novembre 2005, Andrei Gueorgiev, précité, § 61, et Dolenec, précité, § 134).

135. Il découle de ce qui précède que, pour déterminer si les mesures visant à compenser le fait qu’un détenu dispose d’un espace personnel d’une surface au sol inférieure à 3 m² en cellule collective permettent de réfuter la forte présomption de violation de l’article 3, la Cour tient compte de facteurs tels que la durée et l’ampleur de la restriction, le degré de liberté de circulation et l’offre d’activités hors cellule, et le caractère généralement décent ou non des conditions de détention dans l’établissement en question.

c) Résumé des principes et normes à appliquer aux fins de l’examen des cas de surpopulation carcérale

136. À la lumière des considérations exposées ci-dessus, la Cour confirme que la norme prédominante dans sa jurisprudence, à savoir 3 m² de surface au sol par détenu en cellule collective, est la norme minimale applicable au regard de l’article 3 de la Convention.

137. Lorsque la surface au sol dont dispose un détenu en cellule collective est inférieure à 3 m², le manque d’espace personnel est considéré comme étant à ce point grave qu’il donne lieu à une forte présomption de violation de l’article 3. La charge de la preuve pèse alors sur le gouvernement défendeur, qui peut toutefois réfuter la présomption en démontrant la présence d’éléments propres à compenser cette circonstance de manière adéquate (paragraphes 126-128 ci-dessus).

138. La forte présomption de violation de l’article 3 ne peut normalement être réfutée que si tous les facteurs suivants sont réunis :

1) les réductions de l’espace personnel par rapport au minimum requis de 3 m² sont courtes, occasionnelles et mineures (paragraphe 130 ci‑dessus) ;

2) elles s’accompagnent d’une liberté de circulation suffisante hors de la cellule et d’activités hors cellule adéquates (paragraphe 133 ci-dessus) ;

3) le requérant est incarcéré dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions de détention décentes, et il n’est pas soumis à d’autres éléments considérés comme des circonstances aggravantes de mauvaises conditions de détention (paragraphe 134 ci‑dessus).

139. Lorsqu’un détenu dispose dans la cellule d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m², le facteur spatial demeure un élément de poids dans l’appréciation que fait la Cour du caractère adéquat ou non des conditions de détention. En pareil cas, elle conclura à la violation de l’article 3 si le manque d’espace s’accompagne d’autres mauvaises conditions matérielles de détention, notamment d’un défaut d’accès à la cour de promenade ou à l’air et à la lumière naturels, d’une mauvaise aération, d’une température insuffisante ou trop élevée dans les locaux, d’une absence d’intimité aux toilettes ou de mauvaises conditions sanitaires et hygiéniques (paragraphe 106 ci-dessus).

140. La Cour souligne aussi que lorsqu’un détenu dispose de plus de 4 m² d’espace personnel en cellule collective et que cet aspect de ses conditions matérielles de détention ne pose donc pas de problème, les autres aspects indiqués ci-dessus (paragraphes 48, 53, 55, 59 et 63-64) demeurent pertinents aux fins de l’appréciation du caractère adéquat des conditions de détention de l’intéressé au regard de l’article 3 de la Convention (voir, par exemple, Story et autres c. Malte, nos 56854/13, 57005/13 et 57043/13, §§ 112-113, 29 octobre 2015).

141. Enfin, la Cour tient à souligner l’importance du rôle préventif du CPT, qui contrôle les conditions de détention et élabore des normes à cet égard. Elle rappelle que lorsqu’elle statue sur les conditions de détention d’un requérant, elle demeure attentive à ces normes et à leur respect par les États contractants (paragraphe 113 ci-dessus).

3. Application de ces principes au cas d’espèce

142. La Cour observe d’emblée que, bien qu’elle ait conclu à la violation de l’article 3 dans plusieurs affaires concernant un problème de surpopulation carcérale en Croatie (Cenbauer c. Croatie, no 73786/01, CEDH 2006-III, Testa c. Croatie, no 20877/04, 12 juillet 2007, Štitić c. Croatie, no 29660/03, 8 novembre 2007, Dolenec, précité, Longin, précité, et Lonić c. Croatie, no 8067/12, 4 décembre 2014), elle n’a jamais considéré jusqu’à présent que les conditions de détention dans ce pays révélaient un problème structurel au regard de l’article 3 de la Convention (voir, a contrario, les paragraphes 94-95 ci-dessus). De plus, aucune de ces affaires ne concernait les conditions de détention à la prison de Bjelovar, dont se plaint le requérant en l’espèce. La Cour a examiné à ce jour une affaire relative aux conditions de détention dans cet établissement, et elle a alors conclu à la non-violation de l’article 3 (Pozaić, précité).

143. En l’espèce, il s’agit d’examiner non pas un problème structurel relatif aux conditions de détention en Croatie, mais le grief spécifique du requérant concernant la surpopulation qu’il se plaint d’avoir subie à la prison de Bjelovar alors qu’il y purgeait une peine d’emprisonnement du 16 octobre 2009 au 16 mars 2011 (Poloufakine et Tchernychev c. Russie, no 30997/02, §§ 155-156, 25 septembre 2008).

144. Le requérant allègue en particulier que pendant plusieurs périodes non consécutives d’une durée totale de cinquante jours, dont une de vingt‑sept jours consécutifs, il a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel, et que pendant plusieurs autres périodes non consécutives, l’espace personnel en cellule qui lui était attribué était compris entre 3 et 4 m² (paragraphe 15 ci-dessus).

145. Eu égard au critère pertinent énoncé ci-dessus (paragraphes 136‑139), la Cour traitera les griefs relatifs à la période pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel à la prison de Bjelovar séparément de ceux concernant la période où il a disposé d’un espace compris entre 3 et 4 m².

a) La période pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel

i. Sur l’existence en l’espèce d’une forte présomption de violation de l’article 3

146. La Cour note que les informations relatives à l’espace personnel attribué au requérant reposent sur les documents fournis par le gouvernement défendeur et non contestés par l’intéressé (paragraphe 17 ci‑dessus). En particulier, pendant sa détention à la prison de Bjelovar, où il est demeuré un an et cinq mois (paragraphes 13-14 ci-dessus), le requérant a séjourné dans quatre cellules où l’espace personnel qu’il s’est vu attribuer était compris entre 3 et 6,76 m². Ce n’est que pendant les périodes non consécutives ci‑après qu’il a disposé d’un espace personnel inférieur (de 0,45 et 0,38 m² respectivement) à 3 m² : le 21 avril 2010 (un jour – 2,62 m²), du 3 au 5 juillet 2010 (trois jours – 2,62 m²), du 18 juillet au 13 août 2010 (vingt-sept jours – 2,62 m²), du 31 août au 2 septembre 2010 (trois jours – 2,55 m²), du 19 au 26 novembre 2010 (huit jours – 2,55 m²), du 10 au 12 décembre 2010 (trois jours – 2,62 m²), du 22 au 24 décembre 2010 (trois jours – 2,62 m²), et les 24 et 25 février 2011 (deux jours – 2,62 m²).

147. Il y a aussi eu certaines périodes pendant lesquelles l’espace personnel du requérant a été réduit de 0,08, 0,04 ou 0,01 m² par rapport au minimum requis de 3 m² (paragraphe 17 ci-dessus). Bien que ces réductions n’aient pas été du même degré ni de la même ampleur que celles mentionnées ci-dessus, d’autant que certaines d’entre elles ne sont guère démontrables et distinguables en termes d’espace, et qu’elles ne soient donc pas déterminantes pour l’issue de l’affaire, la Cour estime qu’elles ne peuvent être ignorées dans le cadre de l’appréciation globale des conditions de détention du requérant à la prison de Bjelovar.

148. Compte tenu de ce qui précède et des principes pertinents énoncés dans sa jurisprudence (voir le paragraphe 137 ci-dessus), la Cour conclut qu’il y a en l’espèce une forte présomption de violation de l’article 3. Il lui faut donc vérifier s’il existe des facteurs propres à réfuter cette présomption.

ii. Sur la présence de facteurs propres à réfuter la forte présomption de violation de l’article 3

149. La Cour note que, pour l’essentiel, les périodes pendant lesquelles le requérant a vu son espace personnel réduit à une surface inférieure à 3 m² ont été relativement courtes. Ainsi, il a disposé de 2,62 m² une fois pendant un jour, une fois pendant deux jours et trois fois pendant trois jours ; et de 2,55 m² une fois pendant huit jours et une fois pendant trois jours. Il y a toutefois eu une période de vingt-sept jours (du 18 juillet au 13 août 2010) pendant laquelle il a disposé de 2,62 m² (paragraphe 146 ci‑dessus).

150. Dans ces conditions, la Cour déterminera d’abord si cette période de vingt-sept jours, quant à laquelle elle partage les préoccupations de la chambre, peut être considérée comme une période de réduction mineure et courte de l’espace personnel du requérant par rapport au minimum requis.

α) La période de vingt-sept jours

151. La Cour observe que dans une affaire comparable (Vladimir Belyayev, précité), qui concernait plusieurs périodes non consécutives où l’espace personnel du requérant avait été réduit à une surface inférieure aux 3 m² requis, la plus longue de ces périodes avait duré vingt-six jours, pendant lesquels le requérant avait disposé de 2,97 m² d’espace personnel (paragraphe 130 ci-dessus). Toutefois, en l’espèce, le requérant a disposé de 2,62 m² d’espace personnel, et ce pendant vingt-sept jours (paragraphe 146 ci-dessus).

152. Ces circonstances suffisent à la Cour pour conclure que, pour ce qui est de la période de vingt-sept jours pendant laquelle le requérant n’a disposé que de 2,62 m², la forte présomption de violation de l’article 3 ne peut être remise en cause.

153. En conséquence, la Cour juge que, pendant les vingt‑sept jours durant lesquels il a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel à la prison de Bjelovar, le requérant a été soumis à des conditions de détention qui lui ont fait subir une épreuve d’une intensité excédant le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et, dès lors, constitutive d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention.

β) Les autres périodes

154. En ce qui concerne les périodes restantes, qui ont été de courte durée et pour lesquelles la forte présomption de violation de l’article 3 de la Convention peut donc être réfutée par d’autres circonstances, la Cour doit tenir compte des autres éléments pertinents, à savoir le caractère suffisant ou non de la liberté de circulation et des activités hors cellule ainsi que les conditions générales de détention du requérant (paragraphes 137-138 ci‑dessus). Il incombe au Gouvernement de prouver la présence de tels éléments.

155. Pour ce qui est de la liberté de circulation et des activités hors cellule, la Cour note que, décrivant les équipements mis à la disposition des détenus de la prison de Bjelovar, le Gouvernement a expliqué que ces derniers étaient autorisés à circuler librement hors de leur cellule le matin et l’après-midi et à utiliser les installations situées dans l’enceinte de l’établissement, tant en intérieur qu’en extérieur. Il a indiqué que les détenus bénéficiaient en particulier de deux heures d’exercice en plein air et qu’ils pouvaient de plus circuler librement hors de leur cellule dans l’enceinte de la prison entre 16 et 19 heures. Il a aussi décrit de manière détaillée le régime quotidien des détenus ainsi que les installations disponibles à la prison de Bjelovar (paragraphes 19‑20 ci‑dessus).

156. À l’appui de ses déclarations, le Gouvernement a produit des photographies, des plans et d’autres documents relatifs aux installations disponibles dans l’établissement (paragraphe 21 ci-dessus), notamment des clichés qui ont été pris en 2007, 2010 et 2011 au moment de la rénovation de la prison et des visites sur place de différents responsables, et qui montrent l’intérieur de la prison, la cour de promenade, les cellules et leurs installations sanitaires. Ces clichés correspondent à la description faite par le Gouvernement des installations correspondantes. De même, les documents relatifs aux activités récréatives proposées aux détenus de la prison que le Gouvernement a communiqués à la Cour corroborent ses déclarations (voir, a contrario, Orchowski, précité, §§ 125 et 129).

157. Pour sa part, le requérant n’a opposé aux déclarations du Gouvernement que des protestations en termes très généraux, insistant sur le fait qu’il n’avait pas pu travailler. Il n’a pas donné de description détaillée de ses conditions de détention récusant les affirmations du Gouvernement relatives aux possibilités d’exercice en plein air ou aux autres éléments du régime pénitentiaire appliqué à la prison de Bjelovar (comparer avec Golubenko, décision précitée, § 61). Il a admis qu’il avait eu la possibilité de sortir de sa cellule trois heures par jour mais a affirmé que les installations extérieures étaient inadéquates et insuffisantes, notamment parce qu’il n’y avait qu’une cour de promenade ouverte (paragraphe 16 ci‑dessus).

158. La Cour observe en premier lieu que les déclarations du Gouvernement sont très détaillées et qu’elles correspondent à ce qu’il avait déjà dit dans l’affaire Pozaić relativement aux installations mises à la disposition des détenus du même établissement à l’époque (voir Pozaić, précité, §§ 15 et 60, et, a contrario, Idalov, précité, § 99). De plus, rien n’indique que les documents que le Gouvernement a communiqués à la Cour aient été établis après qu’il eut reçu communication du grief du requérant. La Cour n’a donc pas de raison de douter de leur authenticité, de leur objectivité ou de leur pertinence (Sergey Chebotarev c. Russie, no 61510/09, §§ 40-41, 7 mai 2014).

159. D’autre part, le requérant n’ayant donné aucun détail sur ses activités quotidiennes à la prison de Bjelovar, la Cour ne peut considérer ses allégations comme étant suffisamment établies ou crédibles (Ildani c. Géorgie, no 65391/09, § 27, 23 avril 2013). À cet égard, elle tient compte des documents communiqués par le Gouvernement. Elle attache aussi une importance particulière au fait que le requérant ne se soit jamais plaint au niveau interne de certains aspects de ses conditions de détention, tels que l’absence alléguée d’exercice en plein air et la durée pendant laquelle il pouvait circuler librement dans l’enceinte de l’établissement.

160. Compte tenu de ce qui précède, la Cour a pour tâche en l’espèce de déterminer, au vu des documents dont elle est saisie, si l’on peut dire que le requérant a bénéficié d’une liberté de circulation suffisante et d’activités hors cellule adéquates, propres à atténuer les inconvénients découlant du manque d’espace personnel.

161. À cet égard, la Cour note que le régime quotidien ordinaire à la prison de Bjelovar laissait au requérant la possibilité de faire deux heures d’exercice en plein air par jour, norme fixée par les dispositions du droit interne pertinent (voir, au paragraphe 43 ci-dessus, l’article 14 § 1-9) de la loi sur l’exécution des peines d’emprisonnement) et supérieure aux normes minimales du CPT (paragraphe 53 ci-dessus). La Cour note que les photographies qui lui ont été communiquées montrent la cour de promenade, laquelle, selon les déclarations non contestées du Gouvernement, a une surface de 305 m² et comprend une pelouse, des parties bitumées, une protection contre les intempéries et plusieurs équipements récréatifs, notamment un gymnase, un terrain de basketball et une table de ping-pong.

162. Par ailleurs, la Cour relève que l’intéressé ne conteste pas qu’il était autorisé à passer hors de sa cellule trois heures par jour, pendant lesquelles il pouvait circuler librement dans l’enceinte de la prison. Compte tenu également des deux heures d’exercice en plein air et du temps consacré au petit déjeuner, au déjeuner et au dîner, on ne peut pas dire qu’on l’ait laissé croupir dans sa cellule pendant une partie importante de la journée sans la moindre activité motivante, et ce d’autant qu’il ressort des documents dont la Cour dispose que la prison de Bjelovar offrait des possibilités de s’occuper, par exemple en regardant la télévision ou en empruntant des livres à la bibliothèque (comparer avec Valašinas, précité, § 111).

163. Dans ce contexte, la Cour estime que, même en tenant compte du fait que le requérant n’a pas pu travailler, impossibilité liée non seulement à l’absence objective de places de travail (paragraphe 20 ci-dessus) mais aussi, certainement, aux antécédents de l’intéressé (paragraphe 13 ci‑dessus), on peut considérer que la liberté de circuler hors de sa cellule et les possibilités de s’occuper qui lui étaient offertes à la prison de Bjelovar constituent des éléments atténuant significativement les inconvénients liés au manque d’espace personnel qu’il a subi.

164. Il reste à déterminer si les conditions dans lesquelles le requérant a été détenu à la prison de Bjelovar étaient généralement décentes (paragraphes 134 et 138 ci-dessus). La Cour est d’avis que les considérations exposées ci-dessus relativement aux documents en sa possession sont valables également en ce qui concerne les conditions générales de détention du requérant. En particulier, elle note que les déclarations détaillées du Gouvernement sont corroborées par des éléments de preuve pertinents (paragraphe 21 ci-dessus) et par les conclusions des autorités internes compétentes – notamment les instances judiciaires compétentes, la direction de l’administration pénitentiaire du ministère de la Justice et le médiateur – sur le cas du requérant (paragraphes 25, 28, 30 et 38 ci-dessus), et qu’il n’y a pas de raison en l’espèce pour qu’elle remette en question ces conclusions. Elle attache par ailleurs une importance particulière au fait que le requérant n’a pas allégué – et encore moins démontré – devant la Cour constitutionnelle que la nourriture et les conditions d’hygiène dans les cellules fussent mauvaises ni que les activités récréatives et éducatives fussent notablement insuffisantes.

165. De plus, les déclarations du requérant quant aux conditions générales de sa détention sont contradictoires et infirmées par les éléments de preuve disponibles. Ainsi, il a dit, d’une part, que les cellules dans lesquelles il avait séjourné étaient insuffisamment meublées au regard du nombre d’occupants (paragraphe 16 ci-dessus) et, d’autre part, lorsqu’il entendait démontrer qu’il n’avait pas disposé de suffisamment d’espace en cellule, qu’il ne pouvait pas s’y déplacer normalement en raison des meubles fournis à chaque détenu (paragraphe 80 ci-dessus), ce qui est contradictoire. Par ailleurs, il a allégué que les installations sanitaires étaient dans la même pièce que l’espace de vie et qu’elles n’en étaient pas complètement séparées (paragraphe 16 ci-dessus), alors que les photographies et les plans de la prison datant de 1993, dont l’authenticité et la pertinence ne sont pas contestées, montrent que les cellules étaient équipées d’installations sanitaires totalement séparées.

166. De même, la Cour observe qu’il ressort des documents dont elle dispose que la qualité de la nourriture servie aux détenus était régulièrement contrôlée par le médecin de la prison et les autorités nationales compétentes, et que les détenus recevaient trois repas par jour, qui, au vu du menu communiqué par le Gouvernement, n’apparaissent ni médiocres ni insuffisants (comparer avec Alexov, précité, § 106, et, a contrario, Kadiķis c. Lettonie (no 2), no 62393/00, § 55, 4 mai 2006, où les détenus n’avaient qu’un repas par jour). En outre, les détenus pouvaient accéder librement aux sanitaires et aucun problème ne se pose concernant l’accès à la lumière naturelle et à l’air frais dans la cellule.

167. Il ressort aussi des documents disponibles que les détenus pouvaient prendre une douche trois fois par semaine (paragraphe 26 ci‑dessus, voir aussi, au paragraphe 55 ci-dessus, la règle 19.4 des règles pénitentiaires européennes, et, a contrario, Shilbergs c. Russie, no 20075/03, § 97, 17 décembre 2009, où le requérant n’avait la possibilité de prendre une douche qu’une fois tous les dix jours). Les locaux de la prison de Bjelovar ont été constamment rénovés et entretenus, y compris avant et pendant le séjour du requérant dans cet établissement (paragraphes 18 et 38 ci-dessus). À cet égard, la Cour prend note des photographies – dont l’authenticité n’est pas contestée – montrant l’intérieur de la prison, la cour de promenade, les cellules collectives et leurs installations sanitaires, qui semblent propres et en bon état (voir, a contrario, par exemple, Zuyev c. Russie, no 16262/05, § 59, 19 février 2013) et qui correspondent à la description donnée par le Gouvernement des installations mises à la disposition des détenus.

168. En conséquence, la Cour considère que les conditions de détention du requérant à la prison de Bjelovar étaient de manière générale décentes.

169. Au vu des éléments ci-dessus, elle conclut que, en ce qui concerne les autres périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel, le Gouvernement a réfuté la forte présomption de violation de l’article 3. En effet, ces périodes non consécutives peuvent être considérées comme des réductions courtes et mineures de l’espace personnel, pendant lesquelles le requérant a disposé d’une liberté de circulation et d’activités hors cellule suffisantes et était détenu dans un établissement offrant, de manière générale, des conditions décentes.

170. La Cour estime donc que, même si les conditions de détention du requérant n’ont pas été totalement satisfaisantes en ce qui concerne l’espace personnel dont il a disposé, on ne peut pas dire qu’elles aient atteint le seuil de gravité requis pour être constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention. Le fait que le droit interne pertinent prévoyait une norme de 4 m² d’espace personnel par détenu est sans incidence sur cette conclusion. Comme indiqué plus haut, cette norme peut éclairer la décision de la Cour mais elle ne saurait être considérée comme un argument déterminant aux fins de l’appréciation de la situation au regard de l’article 3 (paragraphe 111 ci‑dessus), a fortiori dans le système national croate, où, lorsqu’elle a examiné la question de l’espace personnel minimum à allouer aux détenus, la Cour constitutionnelle s’est référée à la norme de 3 m² énoncée par les juges de la Cour européenne dans l’arrêt Ananyev et autres (paragraphe 45 ci‑dessus).

171. À la lumière de ce qui précède, la Cour juge que les conditions de détention du requérant pendant les autres périodes où il a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel ne sont pas constitutives d’un traitement dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention.

γ) Conclusion

172. La Cour conclut qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour la période de vingt-sept jours (du 18 juillet au 13 août 2010) pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel (paragraphe 153 ci-dessus).

173. En revanche, elle juge qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention pour les autres périodes pendant lesquelles il a disposé de moins de 3 m² (paragraphe 171 ci-dessus).

b) Les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé de 3 à 4 m² d’espace personnel

174. Le requérant se plaignant aussi d’avoir manqué d’espace personnel en détention pendant les périodes où il a disposé de plus de 3 m² mais de moins de 4 m², périodes pour lesquelles l’élément spatial demeure un facteur de poids dans l’appréciation de la Cour (paragraphe 139 ci‑dessus), il reste à examiner la compatibilité avec l’article 3 de la restriction litigieuse de son espace personnel pendant ces périodes.

175. La Cour note qu’il ressort des éléments incontestés portés devant elle en ce qui concerne les conditions de détention du requérant à la prison de Bjelovar que pendant plusieurs périodes non consécutives l’intéressé a disposé d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m² – de 3,38 m² à 3,56 m² exactement (paragraphe 17 ci-dessus).

176. Eu égard aux considérations exposées ci-dessus relativement aux autres périodes où le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel (paragraphes 154-171 ci‑dessus), la Cour estime que les conditions de détention de l’intéressé pendant la période où il a disposé de 3 à 4 m² d’espace personnel ne sauraient passer pour constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention.

177. Elle conclut donc à la non-violation de l’article 3 de la Convention pour cette période.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

178. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

179. Le requérant sollicite 30 000 euros (EUR), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral.

180. Le Gouvernement considère que cette demande est excessive et infondée.

181. La Cour estime que la souffrance causée à un individu détenu dans des conditions si mauvaises qu’elles sont constitutives d’un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention ne peut être réparée par le simple constat d’une violation mais appelle le versement d’une indemnité (Neshkov et autres, précité, § 299). Elle considère que pour déterminer le montant de cette indemnité, elle doit tenir compte de la durée pendant laquelle le requérant a été soumis à des conditions de détention inadéquates, cette durée étant un facteur important d’appréciation de l’ampleur du dommage moral subi par l’intéressé (Ananyev et autres, précité, § 172, Torreggiani et autres, précité, § 105, et Vasilescu, précité, § 132). Elle note par ailleurs que les autorités internes se sont indéniablement efforcées d’atténuer le problème de la surpopulation à la prison de Bjelovar, circonstance dont elle doit également tenir compte pour déterminer le montant de la satisfaction équitable à octroyer au requérant (Samaras et autres, précité, § 63 in fine, et Sergey Babushkin, précité, § 51). Statuant en équité, et compte tenu du fait qu’elle a conclu à la violation de l’article 3 pour la période de vingt-sept jours pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel (paragraphe 172 ci-dessus), elle octroie à l’intéressé la somme de 1 000 EUR, plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral.

B. Frais et dépens

182. Le requérant réclame 5 025 EUR, plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour les frais et dépens qu’il aurait engagés devant les instances internes et devant la Cour.

183. Le Gouvernement considère que cette demande est excessive et infondée.

184. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont raisonnables quant à leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents en sa possession et des critères exposés ci-dessus, ainsi que de la somme due à l’avocat du requérant au titre de l’assistance judiciaire accordée à son client (1 933,50 EUR), la Cour juge raisonnable d’octroyer au requérant 3 091,50 EUR, plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt, pour les frais et dépens engagés devant les instances nationales et devant la Cour.

C. Intérêts moratoires

185. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Rejette, à l’unanimité, l’exception préliminaire de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention pour la période du 18 juillet au 13 août 2010, pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel à la prison de Bjelovar ;

3. Dit, par dix voix contre sept, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention pour les autres périodes, non consécutives, pendant lesquelles le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel ;

4. Dit, par treize voix contre quatre, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 3 de la Convention pour les périodes pendant lesquelles le requérant a disposé d’un espace personnel d’une surface comprise entre 3 et 4 m² à la prison de Bjelovar ;

5. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans un délai de trois mois, les sommes suivantes, à convertir en kunas croates au taux applicable à la date du règlement :

i) 1 000 EUR (mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt, pour dommage moral ;

ii) 3 091,50 EUR (trois mille quatre-vingt-onze euros cinquante), plus tout montant pouvant être dû par lui sur cette somme à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, par douze voix contre cinq, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme à Strasbourg, le 20 octobre 2016.

Roderick LiddellGuido Raimondi
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion en partie dissidente commune aux juges Sajó, López Guerra et Wojtyczek ;

– opinion en partie dissidente commune aux juges Lazarova Trajkovska, De Gaetano et Grozev ;

– opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque.

G.R.A.
R.L.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SAJÓ, LÓPEZ GUERRA ET WOJTYCZEK

(Traduction)

1. Avec tout notre respect, nous ne sommes pas d’accord avec la majorité dans la présente affaire. Nous considérons qu’il y a eu violation de l’article 3 à la fois à raison des périodes non consécutives pendant lesquelles le requérant a disposé de moins de 3 m² d’espace personnel et à raison des périodes pendant lesquelles il a disposé d’une surface comprise entre 3 et 4 m².

2. La méthode d’interprétation et d’application de l’article 3 peut être différente en fonction du type de l’affaire portée devant la Cour sur le terrain de cette disposition. Dans certains cas, il peut être nécessaire de préciser le sens des mots employés dans l’article. Dans les affaires de surpopulation carcérale, la difficulté ne réside pas dans la texture ouverte de cette disposition. Le libellé semble suffisamment clair aux fins de l’appréciation des conditions de détention. La principale difficulté est liée à l’établissement et à l’appréciation de certains éléments factuels qui sont déterminants dans ce type d’affaires : il s’agit d’évaluer l’impact que le fait de disposer (ou non) d’un espace personnel d’une certaine dimension a sur les détenus et sur leur personnalité.

3. Nous souscrivons à la démarche générale adoptée par la majorité pour apprécier les conditions de détention, et notamment à la plupart des directives générales exposées aux paragraphes 96 à 101. La majorité souligne à juste titre la difficulté de fixer une norme numérique tranchée aux fins de l’évaluation des conditions de détention du point de vue de l’article 3. Cela étant, il est incontestablement inévitable, pour des raisons pratiques, de poser une norme chiffrée claire constituant le point de départ de l’évaluation des conditions de détention. Nous sommes aussi d’accord pour dire que si l’espace personnel dont dispose un détenu passe sous un certain seuil prédéterminé, il y aura une forte présomption de violation de l’article 3. Nous ne contestons pas que cette présomption peut être réfutée par le Gouvernement, s’il démontre la présence de facteurs de nature à compenser de manière satisfaisante le manque d’espace personnel.

En revanche, nous sommes en désaccord avec la majorité sur deux points importants :

i) le choix d’une norme chiffrée précise, et

ii) la force de la présomption qui découle du non-respect de cette norme.

Le premier point est exposé en détail ci-dessous. Sur le second point, nous tenons à dire que, à notre avis, la présomption de violation de l’article 3 est particulièrement forte et ne peut être réfutée que dans des circonstances exceptionnelles.

4. La majorité prend pour point de départ de l’appréciation des conditions de détention le chiffre de 3 m² par détenu en cellule collective. À notre avis, ce chiffre n’est pas satisfaisant et conduit à accepter des conditions de détention insoutenables. Il ne prend pas suffisamment en compte les réalités de la prison. Un standard de 3 m² par personne signifie en pratique que les détenus empiètent en permanence sur la sphère personnelle de leurs compagnons de cellule, et entrent même souvent dans leur sphère intime. De nombreuses études montrent qu’une telle promiscuité a des conséquences néfastes sur la personnalité des détenus. Ceux qui en douteraient n’ont qu’à éprouver par eux-mêmes la qualité de vie dans 3 m² d’espace personnel. Non seulement la surpopulation carcérale est cause d’une grande souffrance psychique mais encore elle entrave la réalisation du but de la sanction, et rend toute la démarche de resocialisation bien moins efficace. Dans ces conditions, le séjour en prison devient vite totalement dénué de sens. Permettre aux détenus de disposer d’un espace suffisant est une condition sine qua non d’une réelle resocialisation : des détenus vivant dans une cellule où chacun ne dispose que de 3 m² ne peuvent être vraiment resocialisés.

5. Plusieurs organes internationaux ont traité la question de l’espace personnel en prison. Le CICR recommande un minimum de 5,4 m² par détenu en cellule individuelle et 3,4 m² en cellule collective. Le CPT a fixé les normes suivantes : 6 m² d’espace personnel en cellule individuelle et 4 m² par détenu en cellule collective.

La majorité tente d’expliquer pourquoi, au lieu de prendre pour point de départ de son appréciation des conditions de détention les normes du CPT, elle préfère fixer sa propre norme. Nous sommes d’accord avec elle quand elle dit que le rôle du CPT est différent de celui de la Cour. Comme elle, nous considérons aussi que les recommandations du CPT sont pertinentes mais non déterminantes aux fins de l’appréciation de l’affaire au regard de la Convention. En revanche, nous ne sommes absolument pas convaincus par la partie de son raisonnement où elle justifie sa réticence à suivre la norme du CPT par le fait que la Cour doit tenir compte de « toutes les circonstances pertinentes » (paragraphe 112). Le CPT n’a pas seulement une expertise spéciale dans le domaine des systèmes pénitentiaires, il a aussi une connaissance pratique à nulle autre pareille des conditions de détention en Europe. Dès lors, quand il fixe des standards en matière d’espace, il tient compte de l’ensemble des aspects du problème de la surpopulation ainsi que des relations entre différents facteurs. Il dit lui-même que le facteur spatial est « souvent un facteur très significatif, voire décisif » de réponse à la question de savoir si les conditions de détention constituent un traitement inhumain ou dégradant (Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains ou dégradants, « Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires », Strasbourg, 15 décembre 2015, paragraphe 24).

Quoi qu’il en soit, la question de la force juridique des documents du CPT n’est pas la plus importante. Ce qui compte est de savoir si la teneur des recommandations de cet organe est rationnelle et pertinente aux fins de l’appréciation de l’impact sur les détenus de l’espace dont ils disposent. En ce qui concerne en particulier l’espace dans les prisons, nous considérons que les normes du CPT reflètent le minimum qui, au regard des connaissances actuelles en sciences sociales, doit être garanti pour que les conditions de détention ne soient pas constitutives d’un traitement inhumain et dégradant prohibé par l’article 3 de la Convention.

Nous estimons donc que la norme minimale devrait être de 4 m² par détenu, comme cela a d’ailleurs été dit dans certains arrêts de la Cour (paragraphe 108). Si l’espace personnel dont dispose un détenu passe en dessous de 4 m² de surface au sol en cellule collective, il y a une forte présomption de violation de l’article 3.

Nous sommes conscients de ce que le chiffre de 4 m² n’est pas pleinement satisfaisant et peut être critiqué à différents égards. Notamment, il demeure en dessous de l’espace souhaitable recommandé dans les documents les plus récents du CPT (voir les paragraphes 12 à 17 du document du CPT cité ci-dessus). Cependant, nous ne voyons pas de meilleure solution que l’approche proposée.

6. Nous notons que la majorité cite différentes recommandations du CPT qui concernent divers aspects des conditions de détention aux fins de l’examen de l’affaire sous l’angle de l’article 3. Cette démarche ne paraît pas totalement cohérente, puisque certains standards sont acceptés tels quels (voir, par exemple, les paragraphes 114, 133 et 141) tandis que d’autres sont rejetés. Une telle différence de traitement appellerait une explication.

7. La question importante qui sous-tend implicitement le traitement des affaires relatives à des conditions de détention est le coût des standards pris pour base de l’appréciation de ces conditions. Nous sommes parfaitement conscients qu’assurer des conditions de détention décentes coûte très cher. Certains États parties à la Convention ont adopté un standard inférieur à 4 m² par détenu. Dans ces États, appliquer le standard de 4 m² imposerait de disposer de budgets bien plus élevés.

La Cour a souligné à juste titre en plusieurs occasions qu’« il incombe à l’État défendeur d’organiser son système pénitentiaire de manière à assurer le respect de la dignité des détenus, indépendamment de difficultés financières ou logistiques » (voir le paragraphe 100 et les arrêts qui y sont cités). Nous souscrivons pleinement à cela. Des considérations budgétaires ne sauraient justifier un non-respect de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants. Nous voudrions par ailleurs ajouter une considération supplémentaire importante à cet égard. À notre avis, lorsqu’elle prescrit des mesures de mise en œuvre d’un arrêt, la Cour peut toujours accorder un délai adéquat pour la mise en conformité avec la Convention, en particulier si elle s’écarte de sa jurisprudence antérieure. Le fait de laisser ainsi aux États contractants une période transitoire peut permettre de faciliter la mise en œuvre de la Convention et de renforcer la protection des droits de l’homme. Nous regrettons que la majorité n’ait pas jugé nécessaire de tenir compte de ce point.

Il est important d’ajouter que, à supposer que les arguments économiques ne puissent être totalement ignorés lorsqu’il s’agit de statuer sur le respect des droits de l’homme, l’analyse économique du droit appliquée aux conditions de détention doit tenir compte non seulement des coûts de mise en œuvre des standards en matière de droits de l’homme les plus fondamentaux mais aussi de l’énorme coût social et financier d’un système pénitentiaire qui n’assure pas un espace adéquat en détention.

8. Comme indiqué ci-dessus, nous considérons que la présomption de violation de l’article 3 qui naît lorsque l’espace personnel passe sous la surface de 4 m² ne peut être réfutée que dans des circonstances exceptionnelles. L’inconfort de la vie dans un tel espace doit être contrebalancé par des facteurs spéciaux atténuant significativement les inconvénients de la situation des détenus et allant au-delà des conditions normales de détention qui doivent accompagner un séjour dans une cellule offrant 4 m² d’espace personnel. À notre avis, l’État défendeur doit démontrer que l’impact de ces facteurs est tel que la souffrance subie en prison n’excède pas le niveau inhérent à la détention. Nous reconnaissons que le gouvernement croate a présenté un certain nombre de facteurs atténuant le manque d’espace en prison en l’espèce. Cependant, les mesures prises par l’État ne semblent pas s’élever au-dessus de ce qui devrait être la norme dans les prisons où le minimum de 4 m² est respecté. Dès lors, nous estimons que tous ces facteurs combinés ne réfutent pas la forte présomption susmentionnée. En conséquence, nous considérons que l’État défendeur a violé l’article 3 aussi à raison des périodes pendant lesquelles le requérant a disposé d’un espace personnel compris entre 3 et 4 m².

9. Nous notons que la Cour a constaté une violation pour la période de vingt-sept jours consécutifs de détention dans une cellule où le requérant disposait de moins de 3 m² et conclu à la non-violation pour les autres périodes, non consécutives, où il a disposé de moins de 3 m². En fait, le requérant a disposé de moins de 3 m² pendant quarante-sept jours répartis sur moins de six mois. À notre avis, même à supposer que le minimum de 3 m² soit le bon, il n’y a pas de raison d’opérer une distinction entre ces périodes, compte tenu de leur proximité dans le temps et de leur effet cumulé. Plus la privation d’espace suffisant est longue, plus forts sont ses effets psychologiques. Dans ces conditions, les intervalles pendant lesquels le requérant a connu des conditions de détention légèrement meilleures ne réparent pas l’effet déshumanisant d’une longue détention dans un espace trop restreint.

10. En conclusion, nous sommes au regret de dire que l’arrêt rendu en l’espèce pétrifie et répand des standards difficiles à accepter au regard de la Convention.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES LAZAROVA TRAJKOVSKA, DE GAETANO ET GROZEV

(Traduction)

1. Si nous sommes d’accord avec la majorité sur bon nombre de points dans la présente affaire, c’est à la fois sur une question principale et sur une question de principe que nous ne pouvons la suivre. Nous avons voté en faveur du constat de violation pour toute la période pendant laquelle le requérant a disposé de moins de 3 mètres carrés d’espace personnel (point 3 du dispositif de l’arrêt).

2. La question principale sur laquelle nous nous trouvons en désaccord avec la majorité est celle du standard relatif à l’espace personnel minimum qui déclenche un examen plus poussé au regard de l’article 3. Dans l’arrêt, la Cour fixe ce standard à 3 mètres carrés par personne en cellule collective, s’écartant ainsi de la position du CPT, qui a fixé la surface minimale requise à 4 mètres carrés. Nous sommes entièrement d’accord pour dire qu’un espace d’une surface inférieure à un certain minimum ne devrait pas déclencher automatiquement une violation, mais nous ne sommes pas d’accord avec la majorité quant à ce que devrait être l’espace minimal. À notre avis, la Cour aurait dû suivre le standard établi par le CPT et dire qu’un espace personnel de moins de 4 mètres carrés déclenche l’examen plus poussé mentionné ci-dessus.

3. Notre désaccord avec la majorité repose sur le fait que selon nous, en matière de conditions de détention, plus encore que dans les autres types d’affaires, la Cour opère dans un cadre institutionnel complexe, non seulement sur le plan national mais aussi sur le plan international. La conséquence directe de cela est qu’elle ne dispose que d’une capacité limitée à remédier aux situations où elle constate une violation de l’article 3 à raison d’un traitement inhumain dû à des conditions de détention. Il est donc particulièrement important que sa position soit parfaitement synchronisée avec celle des autres acteurs intervenant dans ce domaine. Cette synchronisation est cruciale pour l’efficacité globale de ses interventions et pour la clarté des standards qu’elle fixe.

4. La plupart du temps, la surpopulation carcérale est un problème systémique, qui ne touche pas seulement un individu (le requérant). Il n’est donc pas aisé de faire entrer cette situation dans le cadre conceptuel d’un litige classique, où le juge statue sur des questions qui n’ont d’intérêt que pour un seul requérant ou plaignant. Les redressements requis sont aussi de nature systémique, ils appellent une réponse politique complexe.

5. Face à cela, la Cour ne dispose que d’outils limités pour remédier au problème des mauvaises conditions de détention. Elle peut constater une violation de l’article 3 et octroyer une réparation pécuniaire en vertu de l’article 41 de la Convention. Dans le contexte particulier des conditions de détention, ce second outil (l’octroi d’une réparation), qui joue un rôle important dans le cas d’autres types de violations des droits de l’homme, est particulièrement problématique. Ce type de réparation (généralement octroyée pour dommage moral) a certes sa place en tant qu’indemnisation, mais en ce qui concerne l’intérêt supérieur consistant à mettre fin à des conditions de détention systémiquement inhumaines, l’octroi d’une satisfaction équitable crée une tension particulière. Cette tension entre le redressement rétrospectif (la somme octroyée) et le redressement prospectif (l’amélioration des conditions de détention) est tout à fait réelle. Dans un monde idéal, l’octroi d’indemnités aux requérants devrait inciter les gouvernements à réagir en prenant des mesures pour traiter les problèmes qui se trouvent à la source des conditions de détention inhumaines, mais dans le monde réel, ce lien est loin d’être aussi direct et immédiat. Même si, dans bien des cas, l’octroi d’indemnités a incité les gouvernements à entreprendre des réformes, cela peut aussi facilement créer une charge financière inhibant la prise de mesures tournées vers l’avenir susceptibles d’éviter et de prévenir le traitement inhumain des détenus.

6. Cette nécessité manifeste d’adopter une politique pluridimensionnelle de lutte contre les conditions inhumaines de détention a conduit les tribunaux d’autres ordres juridiques à élaborer une approche plus pratique, consistant à examiner de manière générale les conditions dans une prison donnée et à prononcer des injonctions[1]. Dans la pratique américaine, on a constaté que cette approche présentait des avantages importants en ce qu’elle permettait d’exercer sur l’administration pénitentiaire un contrôle à la fois indépendant et suffisamment puissant pour amener un changement[2]. Les injonctions peuvent porter sur de nombreux domaines de la gestion quotidienne d’un établissement pénitentiaire, bien au-delà de la question des taux d’occupation : recrutement de personnel, formation, mécanismes de plaintes. Il est aussi à noter que, à la différence de ce qui se produit à l’issue d’un litige classique, il faut souvent des années pour mettre en œuvre ces injonctions, de sorte que leur application est suivie en continu par les tribunaux. Cette démarche d’implication directe des tribunaux dans la gestion quotidienne des prisons ne va pas sans difficultés, mais elle a clairement fait ses preuves[3].

7. La Cour a aussi reconnu la nécessité de dépasser l’approche axée sur l’octroi d’une réparation pécuniaire en matière de conditions de détention inhumaines. Dans un certain nombre d’affaires, elle a traité la question sous l’angle de l’article 46, en indiquant aux États défendeurs des mesures précises à prendre. Comme elle le rappelle dans le présent arrêt (au paragraphe 95), elle a, dans plusieurs arrêts de principe, exhorté les gouvernements de différents pays (Belgique, Grèce, Slovénie, Roumanie et République de Moldova) à améliorer les conditions de détention dans leurs prisons. Dans l’arrêt Orchowski c. Pologne (no 17885/04, § 154, 22 octobre 2009), elle a expressément reconnu que l’octroi d’une somme d’argent aurait été « sans incidence sur les conditions générales de détention, pareille mesure ne pouvant traiter la cause profonde du problème », et elle a recommandé la prise de mesures aux fins de la réduction du taux d’occupation des cellules et l’introduction d’une procédure permettant une réaction rapide en cas de plaintes concernant les conditions de détention, y compris le cas échéant par un transfèrement.

8. Si notre Cour, en raison du cadre institutionnel dans lequel elle opère, ne peut prononcer d’injonction (les mesures provisoires indiquées en vertu de l’article 39 du règlement étant limitées aux cas où l’intéressé est exposé à un risque pour sa vie ou à un risque d’atteinte irréparable à sa santé), elle n’en demeure pas moins confrontée, lorsqu’elle examine des affaires de conditions de détention, à un problème appelant une action politique pluridimensionnelle. À notre avis, pour apporter la meilleure réponse possible au problème, elle devrait d’abord se concentrer, sous l’angle de l’article 46, sur la réponse structurelle nécessaire dans les circonstances particulières de l’affaire dont elle est saisie. Elle devrait mettre un soin particulier à détecter les causes sous‑jacentes des conditions inhumaines de détention qu’elle a constatées et, si possible, indiquer des mesures précises à prendre pour y remédier. La mise en œuvre de ces mesures relèverait alors de la compétence des autres acteurs opérant dans ce domaine. De plus, la Cour devrait être attentive à la nécessité de coordonner son action avec celle des autres institutions concernées, et aux limites que cette nécessité impose forcément.

9. Pour en venir aux circonstances de la présente affaire, nous estimons que la majorité n’avance pas dans l’arrêt d’arguments suffisamment convaincants pour s’écarter de la norme fixée par le CPT. Nous considérons aussi qu’en déviant du standard de 4 mètres carrés établi par le CPT en matière d’espace personnel minimum, la Cour infirme une norme d’une institution spécialisée du Conseil de l’Europe ayant pourtant l’expertise et la compétence nécessaires pour décider de ces questions. Ce faisant, elle ignore la nécessité d’agir de manière coordonnée et synchronisée au niveau international. Elle avance principalement deux arguments à cet égard : la nécessité de procéder à une appréciation globale des conditions de détention au regard de l’article 3, et la différence entre ses fonctions et celles du CPT. Nous ne trouvons aucun de ces deux arguments suffisamment convaincant. Considérer qu’il y a lieu d’examiner plus avant les conditions de détention à partir d’une surface d’espace personnel inférieure à 4 mètres carrés n’empêche évidemment pas d’apprécier de manière globale tous les aspects pertinents des conditions de détention dans une prison donnée ni même dans tel ou tel quartier de la prison. Quant au second argument, nous le trouvons encore plus difficile à admettre. La Cour et le CPT ont certes des fonctions bien différentes, mais il est parfaitement possible, et même à notre avis plus que nécessaire, que ces deux institutions appliquent les mêmes standards, en l’occurrence la même surface minimale de 4 mètres carrés d’espace personnel, si elles veulent mener à bien les tâches complexes qui sont les leurs.

10. Enfin, compte tenu des circonstances de l’espèce et du niveau de contrôle élevé à appliquer pour les périodes non consécutives pendant lesquelles le requérant a bénéficié de moins de 3 mètres carrés d’espace personnel, nous considérons qu’il n’y avait pas dans son cas d’éléments suffisants pour compenser ce manque d’espace. Même si l’établissement proposait certaines activités susceptibles d’atténuer les inconvénients liés au manque d’espace personnel en cellule, le facteur compensateur primordial demeure l’existence d’espace supplémentaire dans les zones communes. Toute autre conclusion impliquerait une diminution de l’importance de l’élément spatial en tant que facteur-clé de l’analyse de la situation au regard de l’article 3. Eu égard à ce qui précède, nous considérons qu’en l’espèce les facteurs compensateurs n’étaient pas suffisants. L’espace dont disposaient les détenus hors de leur cellule, à savoir les couloirs reliant les cellules à la salle commune, qui étaient accessibles aux heures où les portes des cellules étaient ouvertes, n’augmentait pas significativement la surface totale dont ils bénéficiaient. De même, les deux heures qu’ils pouvaient passer en cour de promenade ne constituaient pas une durée bien supérieure au minimum requis d’une heure d’activités en plein air. Considérés dans leur ensemble, ces facteurs ne compensent pas suffisamment le manque d’espace personnel subi par le requérant pendant les périodes où il a disposé de moins de 3 mètres carrés en cellule. En revanche, nous estimons qu’ils sont suffisants pour compenser le manque d’espace personnel qu’il a subi pendant les périodes où il a disposé d’une surface comprise entre 3 et 4 mètres carrés dans sa cellule.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

Table des matières

I. Introduction (§§ 1‑2)

Première Partie (§§ 3‑33)

II. La soft law en droit international (§§ 3‑9)

A. Les sources du droit international selon l’article 38 § 1 du Statut de la CIJ (§§ 3‑7)

B. La soft law lorsqu’une codification existe (§ 8)

C. La soft law en cas d’absence ou d’insuffisance de la codification (§ 9)

III. La soft law en droit européen des droits de l’homme (§§ 10‑22)

A. Le principe constitutionnel d’interprétation évolutive (§§ 10‑13)

B. La déformalisation des sources du droit (§§ 14‑20)

C. Le consensus européen comme cadre conceptuel de la normativité (§§ 21‑22)

IV. La soft law et la règle de reconnaissance du Conseil de l’Europe (§§ 23‑33)

A. La règle de reconnaissance d’une communauté démocratique internationale (§§ 23‑26)

B. L’engagement ferme en faveur de l’« endurcissement » de la soft law (§§ 27‑30)

C. L’interdiction constitutionnelle d’« assouplir » la hard law (§§ 31‑33)

Seconde partie (§§ 34‑59)

V. L’« endurcissement » du droit pénitentiaire (§§ 34‑42)

A. Dans le monde (§§ 34‑38)

B. Au sein du conseil de l’Europe (§§ 39‑42)

VI. La lutte contre la surpopulation carcérale (§§ 43‑47)

A. L’espace de vie minimal dans les standards du CICR (§§ 43‑45)

B. L’espace de vie minimal dans les standards des RPE (§§ 46‑47)

VII. L’application des standards conventionnels à l’espèce (§§ 48‑59)

A. L’approche cumulative contradictoire de la majorité (§§ 48‑53)

B. Une approche cumulative pro persona cohérente (§§ 54‑59)

VIII. Conclusion (§§ 60‑63)

I. Introduction (§§ 1‑2)

1. À la différence de la majorité, j’ai voté en faveur d’un constat de violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »), au regard du placement du requérant au sein de la prison de Bjelovar, pour la totalité de la période sur laquelle il a disposé de moins de 4 m² d’espace personnel.

2. Dans la mesure où la majorité a estimé qu’elle n’était pas tenue par les standards établis par le Comité des Ministres, le Comité pour la prévention de la torture (CPT) et le Conseil de coopération pénologique (PC-CP) du Comité européen pour les problèmes criminels (CDPC) du Conseil de l’Europe, je traiterai, dans la première partie de cette opinion, la question sous-jacente fondamentale de la nature juridique de ces standards[4]. Après un propos introductif sur le rôle de la soft law en droit international général, je m’attacherai à analyser en détail sa fonction spécifique au sein du droit européen des droits de l’homme, pour démontrer que l’interprétation évolutive, le consensus européen et l’endurcissement de la soft law constituent les trois piliers du système normatif du Conseil de l’Europe. Pour les stricts besoins de cette opinion, j’entreprendrai une discussion sur la règle de reconnaissance du Conseil de l’Europe, prenant en considération son engagement ancien et profond envers l’endurcissement de la soft law dans certains domaines en vue du « développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales » et du « progrès économique et social » en Europe.

Ensuite, dans la seconde partie de cette opinion, je montrerai qu’il existe une tendance à l’échelle européenne et à l’échelle mondiale en faveur de l’endurcissement de la soft law en matière pénitentiaire au regard du phénomène de surpopulation carcérale. Je démontrerai par la suite que les règles pénitentiaires européennes (RPE) sont le prototype de règles de soft law « endurcies » dans le système normatif du Conseil de l’Europe. Sur la base des standards limpides établis par cette soft law endurcie, je conclurai que la majorité s’est trompée lorsqu’elle a considéré qu’une surface au sol de 3 m², ou même moins, dans une cellule occupée par plusieurs détenus, ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Première Partie (§§ 3‑33)

II. La soft law en droit international (§§ 3‑9)

A. Les sources du droit international selon l’article 38 § 1 du Statut de la CIJ (§§ 3‑7)

3. La soft law a été considérée comme une contradictio in terminis, intrinsèquement superflue voire même pernicieuse. Pour certains, cette expression accrocheuse mais creuse déguiserait une conception inflationniste du droit international, s’inscrivant dans une tentative d’imposer aux États des engagements politiques auxquels ils n’avaient pas initialement consenti[5]. Pour d’autres, la soft law serait une « feuille de vigne du pouvoir » qui masque l’extension du pouvoir de certains États et acteurs non étatiques dans l’arène internationale, et constituerait un instrument de contournement du consentement étatique et par conséquent du processus de ratification démocratique[6]. Dans les deux cas, les principes de l’égalité et de la souveraineté des États seraient dangereusement remis en cause.

4. Il est vrai que la soft law n’est pas incluse dans les sources classiques du droit international listées dans le Statut de la Cour internationale de Justice (le Statut de la CIJ). Toute tentative jurisprudentielle ou doctrinale d’étendre cette liste porte en elle un lourd fardeau de preuve. Cela d’autant plus, selon la critique, que la déformalisation des sources mettrait en danger la clarté et la prévisibilité d’une conception binaire de la définition du droit international. En termes simples, la soft law ne serait rien d’autre qu’un produit dérivé de la politique causant une dérive inexorable vers l’anarchie et le hasard et desservirait ainsi la fonction essentielle du droit international[7]. Des revendications pour un retour au tout ou rien, au noir ou blanc, à une simplicité binaire qui elle seule pourrait faire face à la complexité quotidienne avec sa rigueur dichotomique simplifiée, ont été brandies contre le Léviathan cataclysmique de la soft law. Mais l’argument tiré du Statut de la CIJ n’est pas décisif dans la bataille rangée entre les tenants et les opposants de la soft law.

5. L’article 38 du Statut de la CIJ, qui correspond à l’article 38 du Statut de la Cour permanente de Justice internationale, n’est pas exhaustif en tant que tel, au regard par exemple des actes unilatéraux[8] ou des actes des organisations internationales. À la lumière du changement copernicien du droit international après la Seconde Guerre mondiale[9], il serait difficile de maintenir que l’article 38 est une disposition énumérative immuable, qui aurait pétrifié pour toujours le développement du droit international à son stade de 1920.

6. Puisque la question n’est pas résolue par le Statut de la CIJ, on peut utilement la recadrer si la soft law est confrontée à la hard law pour vérifier leurs caractéristiques essentielles respectives et la valeur ajoutée de la soft law si elle existe.

Il n’existe pas un seul et unique paramètre juridique substantiel pour distinguer le droit international soft ou hard. Tout comme la hard law, la soft law vise à établir des règles générales de conduite pour ses destinataires. Toutes deux présentent une prétention normative, avec une structure de commandement, qui peut être formulée avec plus ou moins de précision quant à sa terminologie et à son contenu. Malgré les multiples formes qu’elle peut endosser, la soft law peut apparaître comme n’importe quelle autre norme conventionnelle ou coutumière « prête à appliquer ». Une difficulté supplémentaire réside dans le fait que le droit international n’est lui-même pas entièrement hard en termes d’exécution et de justiciabilité. Généralement, l’absence de mesures d’exécution et de contrôle juridictionnel fait du droit international un droit soft.

7. Néanmoins, le droit international soft est différent et distinguable du droit international hard par ses conséquences. En dépit de ses prétentions normatives, la soft law peut, en principe, être méconnue sans que cela n’entraîne les conséquences classiques en matière de responsabilité pour fait internationalement illicite. Mais sa non-observation peut emporter des conséquences négatives. Dès lors, les destinataires de la soft law ne sont pas entièrement libres de ne pas la suivre, puisqu’ils pourraient subir des conséquences négatives d’un tel choix, autres que morales, politiques ou réputationnelles.

B. La soft law lorsqu’une codification existe (§ 8)

8. Lorsqu’un droit conventionnel existe, la soft law complémentaire peut révéler l’intention de ses auteurs[10]. En renforçant l’engagement normatif intégré dans les aspects contraignants du droit conventionnel, la soft law ajoute à la densité normative et la cohérence de ce droit[11]. Elle facilite également l’application des instruments contraignants en résolvant les questions techniques et complexes qui n’auraient pas été envisagées lors de leur adoption ou les blocages qui n’auraient pas été anticipés. Elle permet d’adapter plus facilement ces instruments aux besoins changeants des organisations, des institutions et des sociétés[12].

C. La soft law en cas d’absence ou d’insuffisance de la codification (§ 9)

9. En l’absence de codification ou en cas de codification insuffisante du droit international, la soft law fait office de pratique pertinente des organisations internationales, des États et des acteurs non étatiques. En retirant le sujet du domaine réservé des États, la soft law reflète le consensus grandissant dans certains champs du droit où les standards juridiques ne sont pas encore contraignants et elle ouvre la voie au consentement étatique requis pour l’établissement d’un droit international contraignant[13]. Enfin, elle peut être constitutive d’une opinio juris et d’une pratique étatique génératrice de droit coutumier[14].

De manière significative, aucun effort n’a été fait jusqu’à aujourd’hui pour mettre en lumière l’utilisation par le Conseil de l’Europe et surtout par la Cour de la soft law, malgré la prolifération dans leur discours de toutes sortes de sources déformalisées du droit et les critiques dont est l’objet le flou entre droit et politique que l’on peut trouver dans la lecture faite par la Cour de la Convention[15]. Les réflexions qui suivent ont pour but de fournir une telle conceptualisation.

III. La soft law en droit européen des droits de l’homme (§§ 10‑22)

A. Le principe constitutionnel d’interprétation évolutive (§§ 10‑13)

10. La Convention ne peut être interprétée dans le vide, elle doit être interprétée en harmonie avec le reste du droit international et la soft law. Depuis l’arrêt Golder, toutes les règles et tous les principes pertinents du droit international applicables entre les parties doivent être pris en considération, conformément à l’article 31 § 3 c) de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités[16]. Du point de vue de la Cour européenne des droits de l’homme (la Cour), il n’y a aucune différence méthodologique entre l’interprétation d’un traité de droit international des droits de l’homme et celle du reste du droit international, ou entre traités‑lois et traités-contrats ; elle considère que la même méthode interprétative peut être appliquée à ces deux champs du droit international. Ainsi, elle ne fait pas sienne la position contestée selon laquelle il existerait des « régimes autosuffisants » au sein du droit international[17]. Comme l’a élégamment formulé le Juge Rozakis, les juges de Strasbourg « do not operate in the splendid isolation of an ivory tower built with material originating solely from the ECHR’s interpretative inventions or those of the States party to the Convention »[18].

11. Cette méthodologie est justifiée par le principe interprétatif cardinal de la Cour, selon lequel la Convention doit s’interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles[19]. C’est dans l’arrêt fondateur Tyrer c. Royaume‑Uni que la Cour a pour la première fois énoncé ce qui est devenu ensuite un leitmotiv dans sa jurisprudence : « la Convention est un instrument vivant », dont l’interprétation doit tenir compte de l’évolution des normes au niveau national et international[20]. Profondément ancrée dans les systèmes américain[21] et canadien[22], cette technique interprétative a été introduite dans le droit européen des droits de l’homme en 1978.

12. Dans l’affaire Tyrer, l’Avocat général de l’Île de Man arguait, sur le terrain de l’ancien article 63 de la Convention, que « si l’on [tenait] dûment compte de la situation locale dans l’île », la persistance du recours au châtiment corporel était justifiée car dissuasive. La Cour a répondu à cela que « la grande majorité des États membres du Conseil de l’Europe paraiss[ai]ent (...) ignorer [les châtiments corporels] » et que « quelques‑uns d’entre eux (...) ne les [avaient] du reste jamais connus à notre époque ». Elle a estimé que « [c]ela autoris[ait] pour le moins à douter que le maintien de l’ordre dans un pays européen exige la possibilité d’infliger semblable peine ». Concluant que l’Île de Man devait être considérée comme partageant totalement le « patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit » visé au préambule de la Convention, elle a rejeté l’idée que des nécessités locales puissent modifier l’application de l’article 3 sur l’Île de Man et, en conséquence, elle a considéré que la punition corporelle subie par le requérant constituait une violation de cet article.

13. Ainsi, dès les premiers temps de l’existence de la Cour, l’interprétation évolutive de la Convention a été intimement liée au besoin d’en donner une lecture consensuelle, basée sur la prise en considération du cadre juridique national de la « grande majorité » des États membres du Conseil de l’Europe et, finalement, de l’héritage commun de traditions politiques, d’idéaux, de libertés et de prééminence du droit auquel le préambule du texte fait référence.

B. La déformalisation des sources du droit (§§ 14‑20)

14. À Strasbourg, la soft law a fourni, et fournit encore, la plus importante source de cristallisation du consensus européen et de l’héritage de valeurs communes. Ainsi, peu de temps après l’affaire Tyrer, la Cour a franchi un pas décisif dans l’élargissement des sources du droit à la lumière desquelles le consensus peut être établi. Dans l’affaire Marckx c. Belgique, elle a pris en compte les valeurs européennes communes se dégageant du droit interne de la « grande majorité » des États membres du Conseil de l’Europe, la Convention de 1962 relative à l’établissement de la filiation maternelle des enfants naturels (préparée par la Commission internationale de l’état civil et signée, mais non ratifiée, par l’État défendeur), la Convention européenne de 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage (conclue sous l’égide du Conseil de l’Europe mais non signée par l’État défendeur) et la Résolution (70) 15 du 15 mai 1970 du Comité des Ministres sur la protection sociale des mères non mariées et de leurs enfants. À l’argument selon lequel les Conventions de 1962 et 1975 n’avaient été ratifiées que par un petit nombre d’États, elle a répondu ceci :

« [l]es deux conventions se trouvent en vigueur et rien ne permet d’attribuer le nombre encore limité des États contractants à un refus de reconnaître l’égalité entre enfants « naturels » et « légitimes » sur le point considéré. En réalité, l’existence de ces deux traités dénote en la matière une communauté de vues certaine entre les sociétés modernes » [23].

Adoptant les techniques interprétatives des cours constitutionnelles, la Cour est même allée plus loin : elle a modulé les effets de son jugement au regard du principe de la sécurité juridique, « nécessairement inhérent au droit de la Convention comme au droit communautaire », en dispensant l’État défendeur de revenir sur les actes ou situations antérieurs au prononcé du jugement. À cette fin, elle a fait référence au fait que « [c]ertains États contractants dotés d’une cour constitutionnelle connaissent d’ailleurs une solution analogue : leur droit public interne limite l’effet rétroactif des décisions de cette cour portant annulation d’une loi »[24]. Agissant comme si elle était une Cour constitutionnelle européenne, elle a eu recours au principe de la sécurité juridique pour s’accorder à elle-même le pouvoir implicite de moduler les effets temporels de ses propres arrêts.

15. Plus tard, dans l’affaire Mazurek c. France, la Cour s’est de nouveau appuyée sur la Convention sur le statut juridique des enfants nés hors mariage, qui avait entre-temps été ratifiée par un tiers seulement des États membres du Conseil de l’Europe (mais pas par l’État défendeur), la considérant comme une preuve de la « grande importance » accordée par les États membres au traitement égalitaire des enfants nés hors mariage[25].

16. Dans les affaires Christine Goodwin[26], Vilho Eskelinen[27] et Sørensen et Rasmussen[28], la Cour s’est référée à la Charte européenne des droits fondamentaux, alors que cet instrument n’était pas contraignant. Dans l’affaire McElhinney[29], poussant plus loin encore cette démarche, elle a pris note de la Convention européenne sur l’immunité des États, qui avait été ratifiée à l’époque par huit États membres, mais non par l’État défendeur. Dans l’affaire Glor[30], elle a considéré que la Convention sur les droits des personnes handicapées formait la base d’un « consensus européen et universel sur la nécessité de mettre les personnes souffrant d’un handicap à l’abri de traitements discriminatoires », et ce alors que les faits pertinents avaient eu lieu avant que l’Assemblée générale des Nations Unies n’adopte cette convention, que l’État défendeur n’avait pas ratifiée au moment de l’arrêt de la Cour.

17. Enfin, dans l’arrêt capital qu’elle a rendu dans l’affaire Demir et Baykara c. Turquie, elle a rappelé que « la Convention est un instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions de vie actuelles, auxquelles il y a lieu d’intégrer l’évolution du droit international, de façon à refléter le niveau d’exigence croissant en matière de protection des droits de l’homme, lequel implique une plus grande fermeté dans l’appréciation des atteintes aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques », et elle a tenu compte de l’évolution du droit du travail, à la fois au niveau international et au niveau national, avant de conclure que le droit de mener des négociations collectives avec l’employeur était, en principe, devenu l’un des éléments essentiels du droit protégé par l’article 11 de la Convention de former des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts. Dans son raisonnement, elle a cité les conventions pertinentes de l’OIT que l’État défendeur avait ratifiées, les interprétations correspondantes du Comité d’experts, ainsi que l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 6 § 2 de la Charte sociale européenne (que l’État défendeur n’avait pas ratifiée), l’interprétation faite par le Comité européen des droits sociaux de cet article, et le Principe 8 de la recommandation no R (2000) 6 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le statut des agents publics en Europe[31].

18. En d’autres termes, pour l’interprétation de la Convention, la pertinence des standards de droits de l’homme établis dans d’autres traités et conventions ne dépendent ni du nombre de leurs ratifications respectives, ni du nombre d’États membres du Conseil de l’Europe qui y sont soumis, ni même du fait que l’État défendeur les ait ratifiés. Ainsi, en droit européen des droits de l’homme, la hard law et la soft law sont profondément entremêlées.

19. L’interprétation évolutive de la Convention a également amené la Cour à étayer son raisonnement par des références à d’autres normes émanant des organes du Conseil de l’Europe, même si ces organes n’ont pas de fonction représentative des États parties à la Convention, qu’il s’agisse de mécanismes de contrôle ou de groupes d’experts. Pour déterminer la portée exacte des droits et libertés garantis par la Convention, la Cour s’est référée, par exemple, aux travaux de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI)[32] et de la Commission pour la démocratie par le droit (Commission de Venise)[33].

C. Le consensus européen comme cadre conceptuel de la normativité (§§ 21‑22)

20. De la formulation fondatrice du consensus européen dans l’affaire Tyrer émane la vision d’une démocratie internationale délibérante, dans laquelle la majorité ou une proportion représentative des États parties à la Convention est considérée comme s’exprimant au nom de tous et ainsi habilitée à imposer sa volonté aux autres parties. En tant que principe constitutionnel structurant du Conseil de l’Europe, le consensus est découplé de l’unanimité. Il peut exister comme volonté générale même si toutes les parties n’ont pas la même lecture de la Convention[34].

Ainsi que cela a été démontré plus haut, on ne peut pas dire aujourd’hui que cela ne corresponde pas à la volonté des pères fondateurs, ni qu’il ait été imposé aux États des engagements qu’ils n’avaient pas acceptés[35]. L’argument aujourd’hui dépassé du défaut de consentement étatique s’accompagne parfois de la non moins démodée critique selon laquelle la Cour ne peut légitimement faire évoluer la Convention par interprétation, et encore moins créer du droit[36] en utilisant la soft law pour contourner les organes législatifs compétents au mépris des principes de démocratie, de prééminence du droit et de subsidiarité[37]. Derrière ce discours réside presque toujours le leitmotiv souverainiste in dubio pro mitius.

21. Le préambule de la Convention la place dans le contexte des objectifs du Conseil de l’Europe, notamment celui de créer une « union plus étroite » entre les États membres, basée sur « une conception commune et un commun respect des droits de l’homme ». Dans le Statut du Conseil de l’Europe, le langage employé fait référence non seulement à « une union plus étroite (...) entre les pays européens qu’animent les mêmes sentiments », mais aussi à une « organisation groupant les États européens dans une association plus étroite ». Le tout premier article du Statut donne pour but au Conseil « de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social ». Le texte énonce expressément que la réalisation de ces idéaux et principes justifie « la conclusion d’accords et (...) l’adoption d’une action commune » dans tous les aspects pertinents de la vie sociale (économiques, sociaux, culturels, scientifiques, juridiques, administratifs) et « la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Aucune formulation ne pourrait mieux proclamer la primauté des droits de l’homme dans tous les domaines de gouvernance. Le principe in dubio pro persona ne pourrait trouver meilleure formulation. Le progrès économique et social est donc intimement connecté au progrès des droits de l’homme ; l’un et l’autre forment les deux faces d’une même médaille.

22. Ainsi, l’interprétation évolutive, le consensus européen et l’endurcissement de la soft law constituent les trois piliers du système normatif européen au sein duquel le consentement étatique est pertinent. Fondé sur ces piliers depuis ses débuts, et tourné vers la quête commune du « progrès économique et social », l’ordre juridique du Conseil de l’Europe ne peut plus être assimilé à un accord international d’égoïsmes juxtaposés. La souveraineté n’est plus une donnée absolue, comme à l’époque westphalienne, elle est partie intégrante d’une communauté au service des droits de l’homme[38].

Dans ce contexte, on ne peut qu’interpréter la Convention à la lumière des « accords » contraignants (traités)[39] et de l’immense quantité d’« actions communes » formellement non contraignantes mises en œuvre par les organes politiques et techniques du Conseil de l’Europe[40], telles que les recommandations, les lignes directrices et les déclarations du Comité des Ministres[41]. De plus, le texte même de la Convention commande d’adopter une approche ouverte du droit international et de la soft law, puisqu’il s’inspire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, ainsi que le rappelle le préambule, et est ouvert à d’autres instruments juridiques, à la fois nationaux et internationaux, lorsque ceux-ci offrent une meilleure protection des droits de l’homme (article 53 de la Convention). En résumé, cette latitude interprétative est dictée par la lettre, la nature et le but de la Convention eux-mêmes.

IV. La soft law et la règle de reconnaissance du Conseil de l’Europe (§§ 23‑33)

A. La règle de reconnaissance d’une communauté démocratique internationale (§§ 23‑26)

23. En droit européen des droits de l’homme, une théorie formelle des sources du droit est encore prééminente. À partir de la doctrine que la Cour internationale de Justice énonce dans les affaires du Plateau continental de la mer du Nord et des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique)[42], la Cour admet qu’une disposition conventionnelle puisse devenir coutumière, si les conditions suivantes sont réunies : premièrement, la disposition concernée est de caractère fondamentalement normateur, de sorte qu’elle peut être considérée comme formant la base d’une règle de droit générale et, deuxièmement, il existe une pratique étatique correspondante bien établie et des éléments permettant de penser que cette pratique est obligatoire du fait de l’existence de la règle générale qui la requiert (opinio juris sive necessitatis)[43]. La Cour s’est également prononcée elle-même sur l’existence de normes impératives de droit international, telles que la prohibition de la torture[44] ou la prohibition du génocide[45].

Pourtant, ainsi que cela a été démontré, il n’existe pas de distinction étanche, binaire, entre hard law et non-droit, puisque le droit européen des droits de l’homme évolue à travers une riche panoplie de sources qui ne présentent pas nécessairement les traits classiques et formels du droit international contraignant[46]. Le « développement des droits de l’homme » appelle un certain degré de déformalisation, ce qui n’implique pas d’abandonner la théorie classique des sources du droit. En réalité, il n’y a jamais eu à Strasbourg un monopole du formalisme dans la détermination du droit international.

24. Mais la déformalisation inhérente au droit européen des droits de l’homme n’est pas synonyme d’une dissolution nihiliste de la légalité, et cela pour une raison tout à fait fondamentale. Au sein de l’ordre juridique du Conseil de l’Europe, le consentement de l’État est encadré par une perspective cosmopolite de l’universalité des droits de l’homme et une compréhension dialogique de l’héritage commun de valeurs des sociétés européennes.

25. Au sein du Conseil de l’Europe, la règle de reconnaissance n’est plus un mécanisme de création normative de type Lotus[47], stato-centré, étroitement bilatéral, exclusivement volontariste et top-down, mais un mécanisme de création normative de type démocratique, centré sur l’individu, largement multilatéral, résolument consensuel et bottom-up, qui implique des États européens et des États non européens ainsi que des acteurs non étatiques. En s’écartant d’un jus inter gentes dépassé, l’ordre juridique du Conseil de l’Europe est devenu un véritable jus gentium basé sur un système normatif international participatif, responsable et multi‑niveaux, qui n’est plus réservé aux États[48].

Le cosmopolitanisme relie l’ordre juridique du Conseil de l’Europe au monde, autant que le dialogue avec les ordres juridiques internes européens et notamment avec les juridictions nationales le relie aux valeurs des sociétés européennes. Dans la mesure où l’ordre normatif du Conseil de l’Europe atteint déjà les standards démocratiques, sa règle de reconnaissance n’est pas liée à un processus décisionnel démocratique au niveau national. La soft law, qui ne requiert pas de ratification interne formelle, n’est d’ailleurs pas soustraite au contrôle démocratique : celui-ci est pratiqué au sein du Conseil de l’Europe, par le Comité des Ministres, par l’Assemblée parlementaire et, en dernier lieu, par la Cour, garante politiquement légitimée de la Convention (articles 19 et 22 de la Convention). En outre, l’implication des États et des acteurs non étatiques de terrain dans l’exercice du processus normatif a pour effet non seulement d’assurer le respect du principe de subsidiarité, mais encore de renforcer la nature démocratique du processus et la réactivité du système de production de politiques publiques internationales envers le peuple européen.

En d’autres termes, l’ordre normatif européen existe au-delà de la souveraineté étatique, du bilatéralisme et de l’opposabilité. Puisque l’État n’est pas le seul sujet capable de créer du droit international, une théorie des sources du droit fondée sur la volonté étatique laisse place à une théorie de la normativité internationale démocratique et basée sur la communauté.

26. Il est évident qu’une telle règle de reconnaissance présente un degré de complexité supérieur, mais il ne faut pas confondre cela avec un plus grand degré d’insécurité juridique conduisant à une diminution voire à un évanouissement de la valeur de la règle de droit. Il n’y a pas de corrélation automatique entre la complexité et l’insécurité juridique. Le degré de sécurité juridique dépend plutôt de la substance du discours juridique[49]. Dans un droit international décentralisé et déformalisé, la sécurité juridique est davantage une question de substance que de forme et de procédure, et elle n’est certainement pas liée à l’intention plus ou moins transparente des parties. La pierre angulaire de la sécurité juridique n’est ni la forme qui contient la norme ni la procédure par laquelle cette norme est créée, elle est indubitablement la substance de la norme, et cela d’autant plus dans un ordre constitutionnel, tel que celui du Conseil de l’Europe, où la règle de reconnaissance n’est pas neutre et indépendante de toute valeur, mais substantielle et axiologiquement connotée.

B. L’engagement ferme en faveur de l’« endurcissement » de la soft law (§§ 27‑30)

27. Dans le continuum entre hard law et soft law, plusieurs facteurs peuvent endurcir le texte. Dans un dégradé normatif[50], la normativité graduelle du texte s’accroît proportionnellement à la présence de ces facteurs, et décroît en leur absence[51]. Dans cette logique graduelle, il appartient en définitive à la Cour de décider du poids à attribuer à ces facteurs d’endurcissement de la soft law[52].

28. La soft law européenne des droits de l’homme peut être endurcie par certains facteurs liés soit au processus de création de la règle soit à la procédure d’application de cette règle. Il s’agit de « building bricks in a wall of normativity »[53].

Premièrement, les termes ou le libellé prescriptifs adoptés dans un texte sont des indicateurs de sa nature normative. Un texte avec des termes prescriptifs ou un libellé prescriptif doit en principe être considéré comme établissant une norme qui n’est pas un simple énoncé déclaratoire ou le simple exposé d’un programme.

Deuxièmement, le degré d’exactitude linguistique et de précision du contenu du texte est une indication claire de sa nature normative. Plus la terminologie d’un texte est exacte et plus son contenu est précis, plus forte sera sa prétention normative[54]. Une description extensive et détaillée de l’objet de la règle favorise l’endurcissement du droit, ce qui ne laisse pas de place à des zones grises.

Troisièmement, l’existence de travaux préparatoires, de rapports explicatifs et de commentaires, retraçant une discussion rigoureuse des causes et des conséquences des choix effectués, accroît la densité normative du texte.

Quatrièmement, la complexité des procédures de délibération, y compris le type de vote, est un facteur supplémentaire d’endurcissement[55]. L’acceptation généralisée d’un texte tend à légitimer ses prétentions normatives.

Cinquièmement, une large publicité du texte normatif vise à assurer sa reconnaissance générale et son respect effectif par ses destinataires.

Sixièmement, la délégation d’autorité pour l’interprétation et la résolution des conflits à un organe tiers indépendant et l’existence de mécanismes de suivi renforcent l’obligation de respecter la norme[56]. L’inobservation de la norme peut non seulement avoir un coût réputationnel ou politique, mais également d’autres conséquences négatives, telles que l’obligation de justifier ou même de modifier la conduite non conforme et de fournir des recours[57]. Les mécanismes de responsabilité renforcent la force contrefactuelle du texte normatif.

Septièmement et enfin, la pratique subséquente confirmant ou développant les standards établis par le texte renforcent sa fonction normative[58]. Même avant d’atteindre le point de cristallisation du droit coutumier, la soft law répétée par des autorités publiques (que ce soit par les mêmes autorités ou par des autorités différentes) solidifie ses prétentions normatives[59]. Si la seule accumulation d’instruments non juridiques ne peut en elle-même créer du droit international, l’émergence d’une opinio juris, accompagnée d’autres facteurs d’endurcissement, peut faire de ces instruments des normes de droit international, en les hissant sur l’échelle de la normativité internationale et en les intégrant ainsi dans le système normatif contraignant du Conseil de l’Europe.

29. La Cour examine ex officio ces facteurs d’« endurcissement », même lorsque les parties ne les ont pas invoqués et même s’ils sont apparus après les faits litigieux[60]. Cela signifie également que, aux yeux de la Cour, ces facteurs ne sont pas un factum, devant être considéré comme une simple réalité sociale, mais une source de jura soumise au principe jura novit curia.

30. Une fois endurcie par un ou plusieurs des facteurs susmentionnés, la soft law produit les mêmes effets juridiques que la hard law, même si elle ne répond pas aux mêmes prérequis formels et procéduraux. La soft law endurcie est l’égale du droit international contraignant. Premièrement, elle a un effet habilitant, donc un État agissant en conformité avec les standards qu’elle pose ne peut commettre un fait internationalement illicite, et il peut l’invoquer devant une cour ou un arbitre. Deuxièmement, elle pose une contrainte impérative dont le mépris constitue un fait internationalement illicite. Troisièmement, elle a également un effet abrogatoire sur les règles de droit d’effet contraire. Quatrièmement, elle ne peut être ré-assouplie. Une fois le seuil du droit franchi, il n’est plus possible de revenir en arrière. L’assouplissement du droit trouve une limite dans la force constitutionnelle de la Convention et de ses Protocoles. Par la suite, je développerai plus avant cette argumentation.

C. L’interdiction constitutionnelle d’« assouplir » la hard law (§§ 31‑33)

31. Il existe une restriction majeure à la reconnaissance du rôle de la soft law dans le droit européen des droits de l’homme. Qu’il n’y ait pas de malentendu : le droit européen des droits de l’homme tel qu’énoncé dans la Convention et ses protocoles additionnels est de la hard law, les textes conférant l’autorité pour l’interpréter à un organe tiers indépendant, la Cour. Il s’agit d’un droit véritablement contraignant, qui ne se plie pas gracieusement aux demandes politiques dérogatoires, quelle que soit l’importance de la majorité qui le souhaiterait. Il prévaut même sur les règles de droit constitutionnel contraires des États membres du Conseil de l’Europe[61].

32. La constitutionnalisation de l’ordre juridique européen pose clairement une interdiction absolue d’assouplir le droit. La hard law européenne des droits de l’homme ne saurait être assouplie : pareil assouplissement équivaudrait à contourner des obligations internationales contraignantes. Cela constituerait un manquement évident au droit international, contraire au but de la Convention et aux objectifs du Conseil de l’Europe. Lorsqu’ils mettent en œuvre la Convention et les arrêts de la Cour, les États membres sont tenus, comme pour n’importe quel autre accord et n’importe quelle action commune du Conseil de l’Europe, de « collaborer sincèrement et activement à la poursuite du but » du Conseil de l’Europe visée à l’article 3 du Statut du Conseil. Si un État membre ne respecte pas les obligations que lui impose l’article 3, il peut être suspendu de ses droits de représentation ; le Comité des Ministres peut lui demander de se retirer du Conseil en vertu de l’article 7 du Statut et décider, si cette demande n’est pas suivie d’effet, que, à une date que les ministres déterminent eux-mêmes, l’État a cessé d’être membre du Conseil.

33. Ainsi, la soft law ne peut pas être le véhicule de considérations politiques ayant pour but de diluer ou amoindrir la force juridique des obligations existantes. En pratique, la distinction conceptuelle entre droit obligatoire et non-droit non obligatoire tient encore. En droit européen des droits de l’homme, la ligne entre droit et non-droit est claire en ce qui concerne le refus de rétrograder des normes de hard law en soft law. La frontière n’est plus floue qu’en ce qui concerne la promotion en hard law d’une norme non contraignante de soft law.

En quelques mots, la relation entre hard et soft law en droit européen des droits de l’homme est une voie à sens unique : lorsqu’il y a de la hard law, la soft law peut l’enrichir, mais pas l’affaiblir. Si la soft law pouvait affaiblir le droit existant, il s’agirait d’une fraude, d’une violation du seuil normatif du droit européen des droits de l’homme et donc d’un phénomène pathologique de la normativité internationale. La soft law est l’un des moyens par lesquels on peut développer le droit européen, pas un moyen de le faire reculer.

Lorsqu’il n’y a pas de hard law, il n’y a évidemment aucune relation entre deux pôles, et la soft law peut exercer seule ses prétentions normatives, en accord avec les facteurs pertinents d’endurcissement qu’elle propose.

Seconde partie (§§ 34‑59)

V. L’« endurcissement » du droit pénitentiaire (§§ 34‑42)

A. Dans le monde (§§ 34‑38)

34. Aucune organisation ni aucun organe international n’a fait plus pour le développement du droit pénitentiaire que le Conseil de l’Europe et particulièrement son Comité des Ministres et son Comité pour la prévention de la torture (CPT). Composé d’experts indépendants hautement qualifiés, le CPT est chargé de la mise en œuvre des standards du droit pénitentiaire dans tous les lieux de détention en Europe et, au-delà, dans tous les lieux se trouvant sous la juridiction d’un État membre du Conseil de l’Europe[62]. Les résolutions et recommandations du Comité des ministres, les rapports généraux du CPT et les standards du CPT[63] sont une source remarquable de soft law du Conseil de l’Europe dans ce domaine du droit. Ces textes sont rédigés en termes incontestablement prescriptifs (« standards », « règles ») et ils sont techniquement rigoureux. Leur contenu excelle en précision. Habituellement, les rapports explicatifs et les commentaires enrichissent le contenu normatif des règles établies dans le texte auxquels ils se rapportent. Les travaux préparatoires des experts, qui fournissent une vision multidisciplinaire des questions pertinentes, donnent une base solide aux choix politiques adoptés par décision unanime des parties. La large diffusion de ces standards promeut leur respect effectif par les États membres du Conseil de l’Europe. Il ne s’agit pas de standards virtuels, de lege feranda ou in fieri, mais de véritables instruments normatifs qui « fournissent un fil conducteur quant à l’approche à retenir pour interpréter » la Convention[64].

35. La Cour elle-même a fréquemment dit que, en dépit de leur nature strictement non contraignante, elle attache une « importance considérable » ou un « grand poids » à ces instruments normatifs, qu’elle « [prend] régulièrement (...) en compte (...) dans son examen des cas de mauvais traitements »[65]. Elle a ainsi pris en compte, notamment, la Résolution (73) 5 du Comité des Ministres[66], la Résolution 76(2) du Comité des Ministres sur le traitement des détenus en détention de longue durée, la recommandation no R (87) 3 sur les RPE (révisée et mise à jour par la recommandation Rec (2006)2)[67], la recommandation no R (98) 7 du Comité des Ministres aux États membres relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, la recommandation Rec (99) 4 sur les principes concernant la protection juridique des majeurs incapables, la recommandation 2003(23) concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et autres détenus de longue durée et la Résolution 2010 (2014) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe intitulée « La justice pénale des mineurs adaptée aux enfants : de la rhétorique à la réalité »[68].

36. Aux paragraphes 113 et 141 de l’arrêt, la majorité s’écarte de cette perspective. Elle ne considère plus que les standards du CPT ont une « importance considérable » ou un « grand poids », mais affirme seulement qu’elle « reste attentive » à ces standards. Pour parler franchement, elle réduit le niveau d’importance des travaux du CPT. C’est un regrettable pas en arrière dans la protection des détenus et des autres personnes privées de liberté en Europe. Mais ce n’est pas tout.

37. Les choix normatifs du Comité des Ministres doivent être compris dans le contexte de l’« endurcissement » de la soft law pénitentiaire en Europe et dans le monde, ce que la majorité a omis de considérer.

À l’échelle mondiale, les Nations Unies et d’autres organisations et organes internationaux s’efforcent constamment d’étendre la portée de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus et d’en renforcer la précision, notamment par l’approbation de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs[69], de l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement[70], des Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté[71], des Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile[72] (Principes directeurs de Riyad), de la Déclaration d’Istanbul de 2007 sur le recours à l’isolement cellulaire[73], des Règles des Nations Unies concernant le traitement des détenus et l’imposition de mesures non privatives de liberté aux délinquants (Règles de Bangkok)[74], et, plus récemment, de la nouvelle version, bien plus détaillée, de l’Ensemble de règles minima (Règles Mandela de 2015)[75].

Le 10 décembre 1984, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté la Convention contre la torture et autres peines ou traitements inhumains ou dégradants. Le Comité contre la torture, composé de 10 membres indépendant auxquels ont été confiés de larges pouvoirs d’examen et d’enquête, a été institué par l’article 17 de la Convention et a commencé à fonctionner le 1er janvier 1988.

38. Cet effort a été imité au niveau régional, avec la Déclaration de Kampala de 1996 sur les conditions de détention dans les prisons en Afrique[76], la Déclaration d’Arusha de 1999 sur la bonne pratique en matière pénitentiaire[77], la Déclaration de Ouagadougou pour accélérer la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique[78], les RPE révisées et les Principes et bonnes pratiques de protection des personnes privées de liberté dans les Amériques (2008)[79].

B. Au sein du conseil de l’Europe (§§ 39‑42)

39. L’« endurcissement » du droit pénitentiaire est particulièrement visible en Europe. Dans l’arrêt, la majorité ne prend pas en compte le fait que les RPE révisées de 1987 et leur rapport explicatif n’abordaient pas la question de l’espace personnel approprié en cellule individuelle ou collective[80], alors que la révision de ces règles en 2006 a comblé cette lacune, en fournissant dans le commentaire de la Règle 18 une indication claire du standard normatif pour les prisons européennes, dans la lignée des travaux antérieurs du CPT. Le but de cet exercice, ne l’oublions pas, était de « renforcer » les règles relatives à l’hébergement, comme l’indique le commentaire lui-même[81].

40. Pire encore, la majorité n’a pas fait cas du fait que la position du CPT a été confirmée politiquement au plus haut niveau au sein du Conseil de l’Europe, par le propre organe dirigeant du Conseil, le Comité des Ministres[82]. Elle a ignoré le fait que le commentaire de la Règle 18 des RPE reprend exactement le standard du CPT relatif à l’espace minimal dont doit bénéficier un détenu en cellule collective. Rappelons la teneur du commentaire[83] :

« La Règle 18 contient quelques éléments nouveaux. Le premier, à la règle 18.3, vise à obliger les gouvernements à inscrire dans le droit interne des normes spécifiques en ce domaine. Ces normes doivent tenir compte à la fois des exigences générales de respect de la dignité humaine et des considérations pratiques en matière de santé et d’hygiène. Le CPT, dans son analyse des conditions d’hébergement et de l’espace au sol disponible dans les établissements pénitentiaires de divers pays, a commencé à indiquer quelques normes minimales. Il les estime à 4 m² par détenu dans un dortoir et 6 m² dans une cellule. Elles doivent cependant être modulées en fonction des résultats d’analyses plus approfondies du système pénitentiaire ; il convient notamment de prendre en compte le temps que les détenus passent effectivement dans leur cellule. Ces valeurs minimales ne doivent pas être considérées comme la norme. Bien que le CPT n’ait jamais établi directement une telle norme, il y a des indications montrant qu’il considère que la taille souhaitable d’une cellule individuelle est de 9 à 10 m². Il s’agit d’un domaine dans lequel le CPT peut continuer à apporter des éléments utiles en s’appuyant sur le travail déjà effectué à cet égard. Il est nécessaire de procéder à un examen détaillé des dimensions des cellules pouvant être considérées comme acceptables pour l’hébergement d’un certain nombre de détenus. Le nombre d’heures que les détenus passent enfermés dans leur cellule doit être pris en compte dans la définition des dimensions appropriées. Même dans le cas des détenus passant une grande partie de leur temps en dehors de leur cellule, il convient de définir clairement un espace minimal conforme au respect de la dignité humaine ».

41. Les RPE et leur commentaire portent le sceau du plus haut organe politique du Conseil de l’Europe, le Comité des Ministres, qui a recommandé aux gouvernements des États membres de « suivre dans l’élaboration de leurs législations ainsi que de leurs politiques et pratiques les règles contenues dans l’annexe à la présente recommandation » et de « s’assurer que la présente recommandation et son commentaire soient traduits et diffusés de la façon la plus large possible et plus spécifiquement parmi les autorités judiciaires, le personnel pénitentiaire et les détenus eux‑mêmes ». Une telle expression claire et unanime de conception juridique et de volonté politique que « les États membres du Conseil de l’Europe continuent à mettre à jour et à respecter des principes communs au regard de leur politique pénitentiaire » ne devrait pas être si facilement écartée par la majorité[84]. Celle-ci ne peut pas dans le même temps se référer aux standards posés dans les RPE et ignorer le but que leur attribue le commentaire lui-même. Une telle interprétation superficielle ne constituerait qu’un soutien de façade aux RPE. Selon les termes mêmes du commentaire, les RPE visent à « à obliger les gouvernements à inscrire dans le droit interne des normes spécifiques en ce domaine », et ces normes incluent un certain « standard minimum » européen en terme d’hébergement : avant tout, « il convient de définir clairement un espace minimal ».

42. En outre, en ignorant le standard minimum « renforcé » et « obligatoire » en matière d’hébergement énoncé dans les RPE et leur commentaire, la majorité a également mis de côté le travail pénologique réalisé par le PC-CP du CDPC qui est à l’origine des RPE[85]. Sans disposer d’aucun apport scientifique pour contredire l’avis des experts du PC-CP, elle affirme simplement ex cathedra son propre point de vue contraire. Elle ne cite aucune opinion d’expert ou analyse scientifique qui contredirait la position unanime des experts internationaux exprimée dans les instruments de soft law[86]. Elle n’accorde aucune considération à la corrélation scientifique bien établie entre la surpopulation carcérale, les mauvaises conditions de détention et les conséquences néfastes que celles-ci ont sur la psychologie des détenus, parmi lesquelles une instabilité émotionnelle, de l’agressivité et une tendance à l’automutilation[87]. In umbris est potestas.

VI. La lutte contre la surpopulation carcérale (§§ 43‑47)

A. L’espace de vie minimal dans les standards du CICR (§§ 43‑45)

43. La Cour a eu à connaître d’affaires concernant la surpopulation carcérale en tant que problème systémique des systèmes pénaux européens à partir de 2009[88]. La nature structurelle du problème et la nécessité fondamentale de le traiter de manière globale ont tout d’abord été reconnues à propos des prisons polonaises[89], puis pour les maisons d’arrêt russes[90], les prisons italiennes[91], les prisons belges[92], les prisons bulgares[93], les prisons hongroises[94] et les prisons lituaniennes[95].

44. La réinsertion est le premier objectif de l’incarcération[96]. La surpopulation carcérale, avec ses conséquences physiques, psychologiques et sociales, est le premier obstacle à la mise en œuvre d’un programme de réinsertion. Un espace personnel adéquat est une condition sine qua non de la réinsertion des détenus[97]. Cette exigence absolue d’espace minimal n’est pas essentiellement différente selon que les détenus sont mentalement sains ou non, en détention provisoire, condamnés pour la première fois ou récidivistes, puisqu’il n’y a aucune raison objective du point de vue de l’article 3 de soumettre une personne saine d’esprit à un standard de protection différent de celui applicable à une personne atteinte de troubles mentaux, et moins encore d’opérer une distinction entre les personnes saines en fonction de la sévérité de leur peine ou du fait qu’elles sont en détention provisoire ou condamnées.

45. En l’absence d’un standard universel, le Comité international de la Croix Rouge (CICR) a recommandé une surface minimale de 5,4 m² par personne en cellule individuelle (installations sanitaires exclues) et 3,4 m² par personne en cellule collective ou en dortoir (installations sanitaires inclues)[98]. Il a calculé que l’espace nécessaire pour dormir dans un lit est de 1,6 m², et l’espace nécessaire pour les toilettes et la douche de 1,2 m². En cas d’urgence[99], il préconisait initialement que l’espace au sol en cellule ou dortoir ne soit jamais inférieur à 2 m² par personne, mais il est récemment revenu sur cette recommandation et conseille seulement, à présent, un retour aux conditions normales (y compris en ce qui concerne l’espace minimal) « aussitôt que possible ».

B. L’espace de vie minimal dans les standards des RPE (§§ 46‑47)

46. Dans le contexte pénologique européen, les standards « renforcés » de 2006 relatifs à l’hébergement sont les plus généreux. Comme l’ont dit le Comité des Ministres et le CPT[100], l’espace de vie minimal de chaque détenu ne doit pas être inférieur à 6 m² par personne en cellule individuelle, installations sanitaires non comprises, et à 4 m² par personne dans un espace partagé, sans compter les installations sanitaires entièrement cloisonnées ; et il faut au moins 2 m entre les murs de la cellule et 2,5 m entre le sol et le plafond de la cellule. Pour les cellules collectives accueillant jusqu’à quatre détenus, il faut ajouter 4 m² par détenu supplémentaire à l’espace minimal de 6 m². Ainsi, ce strict minimum d’espace de vie dans les établissements pénitentiaires est une exigence absolue dont le non-respect emporte per se violation de l’article 3 de la Convention.

47. En outre, les RPE requièrent que le droit national établisse des conditions minimum quant à l’hébergement fourni aux détenus, et qu’il soit apporté dans ce contexte une attention particulière à l’espace au sol, au volume d’air, à l’éclairage, au chauffage et à l’aération (Règles 18.1-18.3). Il est donc opportun de fixer une capacité maximale (numerus clausus) pour chaque prison à partir de la définition de l’espace dont doit bénéficier chaque détenu en termes de surface et de volume minimum. Ainsi, la capacité d’une prison ne doit pas être conçue comme un concept glissant dont l’élasticité peut être utilisée pour manipuler la réalité et rendre le surpeuplement plus ou moins apparent. Des recours préventifs devraient être immédiatement disponibles si et quand la capacité d’accueil de la prison est ignorée.

VII. L’application des standards conventionnels à l’espèce (§§ 48‑59)

A. L’approche cumulative contradictoire de la majorité (§§ 48‑53)

48. De manière assez contradictoire, la majorité a contourné la nature « absolue » de la prohibition de l’article 3 et le « standard minimum pertinent » pour l’occupation collective des cellules (paragraphes 110 et 113 de l’arrêt) en considérant que l’appréciation du seuil minimum de gravité que doit atteindre un mauvais traitement pour tomber sous le coup de cet article est « relatif » et dépend « de l’ensemble des conditions de détention » (paragraphes 122 et 123 de l’arrêt).

49. En réalité, la majorité utilise l’approche de l’« effet cumulatif » dans deux sens très différents : d’un côté, l’effet cumulatif des « facteurs compensatoires » sert à atténuer les obligations de l’article 3, pour exonérer le gouvernement défendeur de toute responsabilité conventionnelle (paragraphes 137 et 138 de l’arrêt) ; et d’un autre côté, l’effet cumulatif des « circonstances aggravantes », telles que de mauvaises conditions matérielles et le manque d’activités hors cellule, peut conduire à considérer les conditions de détention comme inhumaines ou dégradantes, même dans le cas d’un espace en cellule suffisant (paragraphe 140 de l’arrêt).

50. Je suis d’accord avec la deuxième affirmation, mais non avec la première. Lorsqu’un détenu dispose d’un espace de vie suffisant, d’autres aspects matériels négatifs peuvent conduire à un constat de violation de l’article 3. Ainsi, un espace de vie suffisamment grand associé à des conditions inadéquates de sommeil, de luminosité, d’aération, de chauffage, d’hygiène et de soins doit toujours conduire à censurer sans équivoque le mauvais traitement du détenu.

Dans le cas des détentions après jugement d’individus atteints de troubles mentaux, de même que pour les détenus sains condamnés à une peine de cinq ans ou plus, l’inexistence d’un plan d’exécution de la peine ou tout manquement sérieux dans sa mise en œuvre sont des facteurs aggravants majeurs. L’espace personnel de vie en prison devrait être considéré dans le contexte du régime de réinsertion applicable[101]. Le fait que les programmes de soin, d’exercice, d’éducation et de travail soient inexistants ou déficients aggrave la situation du détenu. Les violations des règles relatives à la séparation des détenus étant intimement liées à cet aspect, elles constituent également un facteur à prendre en considération.

51. En revanche, je ne peux adhérer à la thèse selon laquelle le manque d’espace personnel peut être compensé par la présence d’autres conditions matérielles, telles qu’un espace de sommeil adéquat, l’accès à un éclairage naturel pendant la journée et électrique pendant la nuit, une aération, un chauffage et des conditions d’hygiène correctes et une nourriture adéquate. Si tel était le cas, l’effet cumulé des facteurs « compensatoires » diluerait le standard absolu de l’article 3, et inciterait les autorités pénitentiaires à s’engager sur une pente glissante sans limites objectives[102].

52. C’est exactement la tentation à laquelle la majorité succombe. Elle considère qu’il y a une « forte » présomption réfutable de violation de l’article 3 lorsque le détenu ne dispose pas de 3 m² d’espace personnel en cellule, le gouvernement conservant la possibilité de renverser cette présomption s’il prouve que les périodes de privation d’un tel espace étaient « courtes, occasionnelles et mineures ». Mais elle ne fournit aucune forme de définition de ces limites. En temps de crise économique, le devoir de protéger la dignité des détenus est plus pertinent que jamais ; et, ainsi que les organes européens et onusiens de lutte contre la torture l’ont récemment rappelé, des règles claires sont nécessaires pour atteindre ce but[103]. En outre, la majorité inclut l’espace occupé par le mobilier dans la surface disponible (paragraphe 114), ce qui peut réduire considérablement la capacité de circuler librement dans la cellule.

53. De surcroît, la majorité considère comme des facteurs compensatoires ce qui devrait être la normalité au sein d’une prison, par exemple une « liberté de circulation suffisante hors de la cellule et des activités hors cellule adéquates », et même très largement « des conditions de détention appropriées ». Il y a dans ce raisonnement un sérieux vice de logique. Ici, le critère de la majorité ne peut résister à l’application du principe du rasoir d’Ockham. Pluralitas non est ponenda sine necessitate.

D’une manière absolument redondante, la majorité fait usage de facteurs qui devraient être des caractéristiques ordinaires d’un établissement pénitentiaire pour justifier un niveau extraordinairement bas d’espace personnel en détention. Pour elle, des conditions de vie normales justifient des conditions d’espace anormales. La logique voudrait que des circonstances extraordinairement négatives ne puissent être contrebalancées que par des contre-circonstances extraordinairement positives. Ce n’est pas le cas dans le raisonnement de la majorité. Elle n’exige aucun élément extraordinairement positif pour compenser la privation du droit qu’a chaque détenu à un hébergement adéquat en prison.

B. Une approche cumulative pro persona cohérente (§§ 54‑59)

54. Dans la présente affaire, le requérant a passé 240 jours en détention. D’après les plans de la prison de Bjelovar, que le Gouvernement a fourni à la Cour et qui ne sont pas contestés par le requérant, celui-ci s’est vu allouer 4 m² ou plus d’espace personnel en cellule sur une période non consécutive de 70 jours au total.

No de cel-lule

|

Période

de détention

|

Nombre total de détenus

|

Surface totale

en m²

|

Espace personnel

en m²

|

Surface hors

sanitaires en m²

|

Espace personnel en m²

---|---|---|---|---|---|---

8/O

|

03.05-05.05.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

08.05-09.05.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

26.05.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

03.06-04.06.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

17.06-19.06.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

27.08-30.08.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

07.09.2010

|

4

|

22.88

|

5.72

|

20.98

|

5.24

8/O

|

08.09-16.09.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

18.09.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/O

|

02.10-05.10.2010

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

8/I

|

06.10-07.10.2010

|

5

|

22.18

|

4.44

|

20.28

|

4.05

8/I

|

08.10-19.10.2010

|

4

|

22.18

|

5.55

|

20.28

|

5.07

8/I

|

20.10-21.10.2010

|

3

|

22.18

|

7.39

|

20.28

|

6.76

8/I

|

22.10-23.10.2010

|

4

|

22.18

|

5.55

|

20.28

|

5.07

8/I

|

24.10-25.10.2010

|

5

|

22.18

|

4.44

|

20.28

|

4.05

8/I

|

29.10-30.10.2010

|

5

|

22.18

|

4.44

|

20.28

|

4.05

4/O

|

06.11-09.11.2010

|

5

|

22.36

|

4.47

|

20.46

|

4.09

8/O

|

01.03-15.03.2011

|

5

|

22.88

|

4.58

|

20.98

|

4.19

55. Toujours selon ces mêmes données, le requérant a passé 170 jours non consécutifs dans des cellules où il disposait de moins de 4 m² d’espace personnel.

No de cel-lule

|

Période

de détention

|

Nombre total de détenus

|

Surface totale

en m²

|

Espace personnel

en m²

|

Surface hors

sanitaires en m²

|

Espace personnel en m²

---|---|---|---|---|---|---

1/O

|

16.10-15.11.2009

|

6

|

19.7

|

3.28

|

17.8

|

2.96

1/O

|

16.11-19.11.2009

|

5

|

19.7

|

3.94

|

17.8

|

3.56

1/O

|

20.11.2009-05.02.2010

|

6

|

19.7

|

3.28

|

17.8

|

2.96

1/O

|

06.02-08.02.2010

|

5

|

19.7

|

3.94

|

17.8

|

3.56

1/O

|

09.02-10.04.2010

|

6

|

19.7

|

3.28

|

17.8

|

2.96

1/O

|

11.04.-20.04.2010

|

5

|

19.7

|

3.94

|

17.8

|

3.56

8/O

|

21.04.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

22.04-29.04.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

30.04-02.05.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

06.05-07.05.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

10.05.-25.05.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

27.05-02.06.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

05.06-16.06.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

20.06-30.06.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

01.07-02.07.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

03.07-05.07.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

06.07-17.07.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

18.07-13.08.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

18.08-26.08.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

4/O

|

31.08-02.09.2010

|

8

|

22.36

|

2.80

|

20.46

|

2.55

4/O

|

03.09.2010

|

7

|

22.36

|

3.19

|

20.46

|

2.92

8/O

|

04.09-06.09.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

17.09.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

19.09-01.10.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/I

|

26.10-28.10.2010

|

6

|

22.18

|

3.70

|

20.28

|

3.38

8/I

|

31.10-04.11.2010

|

6

|

22.18

|

3.70

|

20.28

|

3.38

4/O

|

05.11.2010

|

6

|

22.36

|

3.73

|

20.46

|

3.41

4/O

|

10.11-13.11.2010

|

6

|

22.36

|

3.73

|

20.46

|

3.41

4/O

|

14.11-18.11.2010

|

7

|

22.36

|

3.19

|

20.46

|

2.92

4/O

|

19.11-26.11.2010

|

8

|

22.36

|

2.80

|

20.46

|

2.55

4/O

|

27.11-30.11.2010

|

7

|

22.36

|

3.19

|

20.46

|

2.92

8/O

|

01.12-03.12.2010

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

04.12-09.12.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

10.12-12.12.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

13.12-21.12.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

22.12-24.12.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

25.12-31.12.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

01.01-16.01.2011

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

17.01-25.01.2011

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

26.01-27.01.2011

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

8/O

|

28.01-23.02.2011

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

24.02-25.02.2011

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

26.02-28.02.2011

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

16.03.2011

|

6

|

22.88

|

3.81

|

20.98

|

3.49

56. Sur les 170 jours de détention pendant lesquels il a disposé de moins de 4 m², le requérant a disposé de moins de 3 m² pendant cinquante jours.

No de cel-lule

|

Période

de détention

|

Nombre total de détenus

|

Surface totale

en m²

|

Espace personnel

en m²

|

Surface hors

sanitaires en m²

|

Espace personnel en m²

---|---|---|---|---|---|---

1/O

|

16.10-15.11.2009

|

6

|

19.7

|

3.28

|

17.8

|

2.96

1/O

|

20.11.2009-05.02.2010

|

6

|

19.7

|

3.28

|

17.8

|

2.96

1/O

|

09.02-10.04.2010

|

6

|

19.7

|

3.28

|

17.8

|

2.96

8/O

|

21.04.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

22.04-29.04.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

01.07-02.07.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

03.07-05.07.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

06.07-17.07.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

18.07-13.08.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

18.08-26.08.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

4/O

|

31.08-02.09.2010

|

8

|

22.36

|

2.80

|

20.46

|

2.55

4/O

|

03.09.2010

|

7

|

22.36

|

3.19

|

20.46

|

2.92

4/O

|

14.11-18.11.2010

|

7

|

22.36

|

3.19

|

20.46

|

2.92

4/O

|

19.11-26.11.2010

|

8

|

22.36

|

2.80

|

20.46

|

2.55

4/O

|

27.11-30.11.2010

|

7

|

22.36

|

3.19

|

20.46

|

2.92

8/O

|

04.12-09.12.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

10.12-12.12.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

13.12-21.12.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

22.12-24.12.2010

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

25.12-31.12.2010

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

17.01-25.01.2011

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

28.01-23.02.2011

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

8/O

|

24.02-25.02.2011

|

8

|

22.88

|

2.86

|

20.98

|

2.62

8/O

|

26.02-28.02.2011

|

7

|

22.88

|

3.27

|

20.98

|

2.99

57. En d’autres termes, une simple évaluation statistique des données disponibles montre que le requérant a passé plus des deux tiers de sa détention dans des cellules surpeuplées, d’après les standards du Comité des Ministres, du CPT et du PC-CP du CDPC. Les données exposées ci-dessus montrent qu’il a passé 29,1 % de sa détention dans des cellules où il disposait de 4 m² ou plus d’espace personnel et 70,9 % dans des cellules où il disposait de moins de 4 m². Sur le total de ses jours de détention, 20,8 % ont été passés dans des cellules où il disposait de moins de 3 m² d’espace personnel. Je ne parviens pas à comprendre comment la majorité peut soutenir que 20,8 %, soit un cinquième de la détention du requérant, est une réduction « courte, occasionnelle et mineure » du minimum requis d’espace personnel. Avec une évaluation tellement étrange au regard des statistiques, la majorité dilue totalement le sens commun de ces adjectifs. Cela est particulièrement grave au regard de la violation additionnelle flagrante du droit national, qui était aligné avec le standard de 4 m² du Conseil de l’Europe. En réalité, le même exercice de blanchiment avait déjà été réalisé par la Cour constitutionnelle, qui avait utilisé la jurisprudence de la Cour pour ignorer franchement le droit national.

58. Enfin, la majorité ignore deux plaintes essentielles formulées par le requérant devant les autorités nationales. Premièrement, il voulait travailler et aucune possibilité d’emploi n’était offerte dans les établissements pénitentiaires où il a été détenu. La majorité confond opportunément l’occupation productive du temps du détenu avec le fait de regarder la télévision la plus grande partie de la journée et de jouer occasionnellement au basketball ou au ping-pong pendant quelques heures. Le manque d’occupation productive pour ceux qui veulent travailler n’est pas moins dégradant qu’un travail peu ou pas payé.

59. Deuxièmement, il n’a pas été fourni au requérant de réelle possibilité de voir sa famille et de rester avec eux. Compte tenu de ce que sa famille n’avait pas les moyens de se déplacer jusqu’à la prison, ce qui n’est pas contesté par le Gouvernement, des arrangements auraient dû être mis en place par les autorités pénitentiaires pour laisser le requérant téléphoner plus longtemps que seulement vingt minutes par semaine avec un supplément de dix minutes les jours fériés. De plus, la raison pour laquelle la demande du requérant d’être transféré vers un établissement plus proche du lieu de résidence de sa famille a été d’abord ignorée puis rejetée à répétition n’est pas claire dans l’argumentation du Gouvernement.

Replacés dans le contexte des cellules surpeuplées dans lesquelles il a dû vivre, ces manquements n’ont fait qu’aggraver la violation de l’article 3 de la Convention.

VIII. Conclusion (§§ 60‑63)

60. La Convention et ses Protocoles ont une force juridique pleine et entière. Il n’existe pourtant pas de réponse simple au problème du seuil de normativité en droit européen des droits de l’homme. Une fois retirée du domaine réservé des États, la soft law peut s’élever dans l’échelle de la normativité internationale, en fonction de la présence de certains facteurs d’endurcissement. À la lumière d’une interprétation évolutive de la Convention et des autres instruments d’« accords » et d’« action commune » du Conseil de l’Europe, le seuil de normativité sera placé là où résident les besoins sociétaux pour le « développement des droits de l’homme » et le « progrès économique et social ».

61. La soft law endurcie est une source de droit d’« importance considérable » ou de « grand poids » en droit européen des droits de l’homme. Les RPE et leurs commentaires sont le prototype de la soft law du Conseil de l’Europe. La décision de la majorité me paraît s’écarter des efforts de réforme du droit pénitentiaire déployés de longue date par le Conseil de l’Europe et le reste du monde. Les RPE visent à « obliger les gouvernements à inscrire dans le droit interne des normes spécifiques en ce domaine », et ces normes incluent un certain « standard minimum » européen : « il convient de définir clairement un espace minimal ». La circularité de l’argumentation redondante de la majorité est évidente : là où le manque d’espace personnel est justifié par une image impressionniste de la situation générale de l’établissement pénitentiaire, l’exercice de compensation devient une mascarade qui ne sert qu’à dissimuler l’abaissement du niveau général de protection des droits de l’homme des détenus.

62. Le présent arrêt ne prête pas attention à ce que les quarante-sept gouvernements démocratiquement élus du Conseil de l’Europe ont unanimement accepté par l’intermédiaire du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe et encore moins au travail remarquable accompli par des experts juridiques, médicaux, psychologiques, sociologiques et pénologiques de renom au sein du CPT et du Conseil de coopération pénologique du Conseil de l’Europe.

63. En n’accordant pas l’attention qu’elles méritent aux propres sources de droit du Conseil de l’Europe et en ignorant l’endurcissement des standards pénitentiaires de soft law en Europe et dans le monde, la majorité a établi un standard qui mènera à une application de la Convention strictement casuistique et dépendante des faits, laissant la porte ouverte à un risque de régression du niveau de protection des droits de l’homme atteint par le Conseil de l’Europe. Avec des arrêts de ce type, qui affaiblissent de l’intérieur le système de protection des droits de l’homme du Conseil de l’Europe, la Cour décourage non seulement les autres organes du Conseil de l’Europe de faire leur travail, mais, pire encore, elle renforce l’impression d’un système européen de protection des droits de l’homme incohérent.

* * *

[1]. La pratique des juridictions fédérales américaines consistant à prononcer des injonctions, qui a commencé dans les années soixante et s’est progressivement développée pour devenir partie intégrante des garanties juridiques contre les traitements inhumains, est bien décrite dans la littérature juridique. Voir par exemple Michele Deitch, « The Need for Independent Prison Oversight in a Post-PLRA World », Federal Sentencing Reporter, Vol. 24, no 4, pp. 236-244.

[2]. Elizabeth Alexander, « Watching the Watchmen after Termination of Injunctive Relief », Pace Law Review, Vol. 24, 2e édition, printemps 2004.

[3]. Un texte de loi fédéral a été adopté en 1996 pour limiter la délivrance d’injonctions par les tribunaux aux établissements pénitentiaires, mais l’approche en tant que telle n’a pas été remise en cause. Des études ont révélé qu’à la suite de ces modifications législatives les injonctions à l’égard d’établissements pénitentiaires étaient devenues moins générales et plus précises. Voir Margo Schlanger, « Civil Rights Injunctions over Time: A Case Study of Jail and Prison Court Orders », N.Y.U.L. Rev. 81, no 2 (2006), pp. 550-630.

[4]. J’ai utilisé l’expression soft law dans mon opinion jointe à l’arrêt rendu dans l’affaire Herrmann c. Allemagne [GC], no 9300/07, 26 juin 2012. Je n’ai pas défini le terme à ce moment-là, mais j’estime nécessaire de le faire aujourd’hui. C’est l’objectif des paragraphes 3 à 9 de cette opinion.

[5]. Prosper Weil, « Towards relative normativity in international law? », in American Journal of International Law, volume 77 (1983), p. 441.

[6]. Pour une critique caustique, voir Klabbers, « The Undesirability of Soft Law », in Nordic Journal of International Law 67 (1998), p. 391, et Koskenniemi, « Formalism, Fragmentation, Freedom: Kantian Themes », in Today’s International Law (2007) 4, No Foundations, p. 18.

[7]. Significativement, voir, parmi d’autres, Jean d’Aspremont, Formalism and the Sources of International Law: A Theory of the Ascertainment of Legal Rules, Oxford, 2011, et « The Politics of Deformalization in International Law », in Goettingen Journal of International Law 3 (2011) 2, pp. 503-550.

[8]. L’argument a été admis par la CIJ elle-même dans l’affaire des Essais nucléaires (Australie c. France, arrêt, C.I.J. Recueil 1974, p. 253, § 46).

[9]. Sur ce changement, voir mon opinion dans Al-Dulimi et Montana Management Inc. c. Suisse, no 5809/08, 21 juin 2016.

[10]. Je ne fais pas référence ici à la catégorie des cas dans lesquels une règle conventionnelle renvoie à une norme non juridique, dont le respect devient obligatoire par cette référence (voir par exemple l’article 18 § 1 b) et c) de la Convention internationale pour la suppression des actes de terrorisme nucléaire). Dans cette catégorie de cas, l’incorporation de normes non juridiques dans la hard law change la nature de ces normes. Elles ne sont donc plus de véritables instruments de soft law. Dans le texte, je renvoie seulement aux instruments de soft law à proprement parler, qui sont complémentaires de la hard law mais n’ont pas été formellement absorbés par celle-ci. C’est le cas, par exemple, lorsque des instruments de hard law et de soft law ont un sujet qui se recoupe et que le préambule d’un traité fait référence à un instrument de soft law.

[11]. Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif, C.I.J. Recueil 2004, p. 171, § 86. Dans cet avis, la CIJ fait référence aux « résolutions pertinentes adoptées en vertu de la Charte par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité » en tant que sources de règles et principes de droit international pertinentes pour l’évaluation de la licéité des mesures adoptées par Israël. Ces règles et principes se trouvent dans la Charte des Nations Unies, dans d’autres traités et dans la coutume internationale, et les résolutions de l’Assemblée générale et du Conseil de sécurité les interprètent. Voir même, plus tôt, Projet Gabcikovo-Nagymaros Hongrie/Slovaquie, arrêt, C.I.J. Recueil 1997, pp. 77 et 78, § 140, où la CIJ renvoie aux « normes actuelles » développées dans le champ du droit de l’environnement et présentées dans un grand nombre d’instruments au cours des deux décennies précédentes, et considère que « [c]es normes nouvelles doivent être prises en considération et ces exigences nouvelles convenablement appréciées non seulement lorsque des États envisagent de nouvelles activités, mais aussi lorsqu’ils poursuivent des activités qu’ils ont engagées dans le passé ».

[12]. Le choix entre hard law et soft law se fait le plus souvent en fonction des obligations codifiées dans des traités, indépendamment des obligations consolidées dans le droit coutumier universel, qui est non écrit et n’a fait l’objet d’aucune concertation. Certains ont affirmé que la soft law avait rendu la coutume obsolète. D’autres ont répondu à cela que le processus de formation de la coutume s’était accéléré, à la lumière de la jurisprudence de la CIJ, rendant la soft law inutile. Ni l’une ni l’autre de ces positions n’a été confirmée par la jurisprudence de la Cour, ainsi que cela sera expliqué.

[13]. L’un des exemples les plus significatifs est la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, adoptée par la Résolution 1904 (XVIII) de l’Assemblée générale le 20 novembre 1963.

[14]. Licéité de la menace ou de l’emploi d’armes nucléaires, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1996, p. 255, § 70, et Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États-Unis d’Amérique, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 100, §§ 188 et 191).

[15]. À l’exception louable de Luis Lopez Guerra (« Soft law y sus efectos en el ámbito del derecho europeo de los derechos humanos », in Teoría y derechos, vol. 11 (2012), pp. 151‑166), Tulkens et al. (« Le soft law et la Cour Européenne des droits de l’homme : Questions de légitimité et de méthode », in Revue Trimestrielle des Droits de l’Homme, 23 (2012), no 89, pp. 433-489), et Tulkens et van Drooghenbroeck (« Le soft law des droits de l’homme est-il vraiment si soft ? Les développements de la pratique interprétative récente de la Cour européenne des droits de l’homme », in Liber amicorum Michel Mahieu, Bruxelles, 2008, pp. 505-526). Dans d’autres études plus générales, telles que le projet sur le droit global de la New York University School of Law, le projet de Heidelberg sur le droit institutionnel public et l’exercice de l’autorité publique internationale et le projet sur la production normative internationale informelle de l’Institut de La Haye pour l’internationalisation du droit, ce sujet n’a pas été spécifiquement abordé.

[16]. Golder c. Royaume-Uni, 21 février 1975, § 29, série A no 18.

[17]. J’ai déjà exposé cet argument dans mes opinions séparées jointes aux arrêts Al‑Dulimi et Montana Management Inc. (précité, § 71), Sargsyan c. Azerbaïdjan ([GC], no 40167/06, 16 juin 2015, note 23) et Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie ([GC], no 47848/08, 17 juillet 2014, note 14).

[18]. Rozakis, « The European Judge as a Comparativist », in Tulane Law Review, 2005, p. 278.

[19]. Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26.

[20]. Tyrer, précité, § 31, puis plusieurs autres arrêts de principe, par exemple Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 102, série A no 161.

[21]. State of Missouri v. Holland 252 U.S. 416 (1920). Rédigeant l’opinion de la majorité, le juge Holmes a dit ceci sur la nature de la Constitution : « [à] cet égard, nous pouvons ajouter que, face à des mots qui sont également un acte constituant, comme la Constitution des États-Unis, nous devons réaliser que ces mots ont donné vie à un être dont le développement n’aurait pu être complètement anticipé par le plus doué de ses pères fondateurs. Il suffit déjà qu’ils aient compris ou espéré avoir créé un organisme ; leurs successeurs ont mis un siècle et sué sang et eau pour prouver qu’ils avaient créé une nation. L’affaire dont nous sommes saisis doit être considérée à la lumière de toute notre expérience et non pas seulement de ce qui a été dit il y a un siècle ». La référence faite par la Cour Suprême à l’« évolution des règles de décence » est également comprise comme une référence claire au « constitutionnalisme vivant » (voir Trop v. Dulles, 356 U.S. 86 (1958) : « Les termes du [huitième] Amendement ne sont pas précis, et leur portée n’est pas statique. Le sens de l’Amendement doit suivre l’évolution des règles de décence qui marque le progrès d’une société mûrissante »).

[22]. Henrietta Muir Edwards and others v. The Attorney General of Canada [1929] UKPC 86, [1930] A.C. 124 (18 octobre 1929). Cette affaire n’est pas seulement mémorable parce qu’elle a établi que les femmes canadiennes pouvaient être nommées sénateurs, elle l’est aussi parce qu’y a été énoncée la doctrine de droit constitutionnel canadien dite « de l’arbre vivant », selon laquelle la Constitution est organique et doit être lue d’une manière globale et libérale de façon à être adaptée à l’évolution de la société.

[23]. Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, § 41, série A no 31.

[24]. Ibidem, § 58.

[25]. Mazurek c. France, no 34406/97, § 49, CEDH 2000-II.

[26]. Christine Goodwin c. Royaume Uni [GC], no 28957/95, CEDH 2002‑VI.

[27]. Vilho Eskelinen et al. c. Finlande [GC], no 63235/00, CEDH 2007‑II.

[28]. Sørensen et Rasmussen c. Danemark [GC], nos 52562/99 et 52620/99, CEDH 2006-I.

[29]. McElhinney c. Irlande [GC], no 31253/96, CEDH 2001 XI.

[30]. Glor c. Suisse, no 13444/04, § 53, CEDH 2009.

[31]. Demir et Baykara c. Turquie [GC], no 34503/97, §§ 146-154, CEDH 2008-VI. Au paragraphe 78, la Cour a rappelé, d’une manière remarquablement claire, que « dans la recherche de dénominateurs communs parmi les normes de droit international, elle n’a jamais distingué entre les sources de droit selon qu’elles avaient ou non été signées et ratifiées par le gouvernement défendeur ». Une autre caractéristique remarquable de cet arrêt est que la Cour s’y réfère certaines fois à l’état du droit national dans « la grande majorité » des États (§§ 76, 79) et d’autres fois à l’état du droit de la « majorité » des États (§§ 82, 85, 106, 165). Au paragraphe 151, elle se réfère aux deux ! Cela montre clairement qu’elle n’accorde pas une grande importance au poids numérique de la majorité pertinente pour construire un consensus européen mais admet qu’une telle majorité puisse être faible, si elle est combinée à d’autres sources de droit international.

[32]. La première affaire dans laquelle la Cour a cité une recommandation de politique générale de l’ECRI a été Beard c. Royaume-Uni ([GC], no 24882/94, § 70, 18 janvier 2001). La source citée était la recommandation de politique générale no 3 : La lutte contre le racisme et l’intolérance envers les Roms/Tsiganes.

[33]. La première affaire dans laquelle la Cour a cité un texte de la Commission de Venise était Hirst c. Royaume-Uni (no 2), no 74025/01, § 24, 30 mars 2004. La source citée était le Code de bonne conduite en matière électorale adopté par la Commission de Venise lors de sa 51e session plénière (5-6 juillet 2002).

[34]. Il est hautement symbolique que la Cour ait recours dans la version française de Demir et Baykara (précité, § 84) à l’expression si connotée historiquement et philosophiquement « volonté générale ».

[35]. Voir la note 13 ci-dessus.

[36]. Voir sur cette critique mon opinion jointe à l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu (précité).

[37]. Il est intéressant de noter qu’une critique similaire avait été exprimée par le Parlement européen quant à l’usage de la soft law par la Commission, à laquelle il reprochait d’agir ultra vires et d’étendre les compétences de l’Union au mépris du principe d’attribution des compétences (Résolution du Parlement européen du 4 septembre 2007 sur les implications juridiques et institutionnelles du recours aux instruments juridiques non contraignants (soft law) (2007/2028(INI))).

[38]. Sur ce point, voir mon opinion jointe à l’arrêt Sargsyan (précité).

[39]. Deux types de traités sont conclus sous l’égide du Conseil de l’Europe : des traités d’harmonisation qui visent à harmoniser les législations nationales, et des traités de coopération qui visent à faciliter et à développer la coopération entre les agences nationales d’exécution (voir Bartsch, « The Implementation of Treaties Concluded within the Council of Europe », in Jacobs et Roberts (éds.), The Effect of Treaties in Domestic Law, 1987, p. 197, ainsi que « The specificity and added value of the acquis of the Council of Europe treaty law », document de travail préparé par Jeremy McBride, AS/Jur (2009) 40, 17 septembre 2009).

[40]. Comme la Cour l’a rappelé elle-même dans l’affaire Soltysyak c. Russie (no 4663/05, § 51, 10 février 2011), « son approche constante est de prendre en considération les instruments internationaux et rapports pertinents, en particulier ceux des organes du Conseil de l’Europe, pour interpréter les droits garantis par la Convention et établir s’il existe un standard européen commun en ce domaine ».

[41]. Sur le droit du Conseil de l’Europe, voir Kleijssen, « Council of Europe standard-setting in the human rights field », in NJCM-Bulletin: jaarg. 35, nr. 7 (nov.-déc. 2010), pp. 897-904 ; Benoit-Rohmer et Klebes, Le droit du Conseil de l’Europe – Vers un espace juridique paneuropéen, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 2005 ; et J. Polakiewicz, Treaty‑making in the Council of Europe, Strasbourg, Conseil de l’Europe, 1999. Ainsi que le formule Kleijssen, les instruments de soft law du Conseil de l’Europe « are usually adopted by all member states and thus represent a common European position which refers to legally-binding standards (such as the case-law of the Court) ». Ainsi, « the relationship between the Court’s case-law and other Council of Europe standards is not circular, but it could be rather described as a spiral, or even as a symbiosis ».

[42]. Plateau continental de la mer du Nord, arrêt, C.I.J. Recueil 1969, pp. 41-44, §§ 71-78, et Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. États‑Unis d’Amérique, fond, arrêt, C.I.J. Recueil 1986, p. 98, § 186.

[43]. Sur la théorie formelle des sources de droit utilisées par la Cour, voir Vasiliauskas c. Lituanie [GC], no 35343/05, §§ 165-175, CEDH 2015, Perinçek c. Suisse [GC], no 27510/08, §§ 266-268, CEDH 2015 (extraits), Jones et autres c. Royaume-Uni, nos 34356/06 et 40528/06, §§ 88-94 et 202-215, CEDH 2014, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 75, CEDH 2012, Van Anraat c. Pays-Bas (déc.), no 65389/09, §§ 90‑92, 6 juillet 2010, Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, §§ 203, 211, 215 et 221, CEDH 2010, ainsi que l’opinion dissidente du juge Costa à laquelle se sont ralliés les juges Kalaydjieva et Poalelungi, Medvedyev et autres c. France [GC], no 3394/03, §§ 65, 85, 92, CEDH 2010, Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 66, CEDH 2010, Stoll c. Suisse [GC], no 69698/01, § 59, CEDH 2007‑V, Al-Adsani c. Royaume-Uni [GC], no 35763/97, §§ 61‑66, CEDH 2001-XI, et Banković et autres c. Belgique et autres (déc.) [GC], no 52207/99, § 66, CEDH 2001-XII. Dans l’arrêt Jones et autres (précité, § 198), la Cour a dit que la jurisprudence de la CIJ « fait autorité à ses yeux quant à la teneur du droit international coutumier ». Certains considèrent que la jurisprudence de la CIJ entraîne une accélération du processus de formation de la coutume qui pourrait rendre la soft law inutile, mais la Cour ne confirme pas ce point de vue.

[44]. Al-Adsani, précité, § 61.

[45]. Jorgić c. Allemagne, no 74613/01, § 68, CEDH 2007‑III.

[46]. La typologie de ces sources est immensément riche. Elles incluent les accords internationaux, tels que l’Acte final d’Helsinki (voir, par exemple, Parti de la liberté et de la démocratie (ÖZDEP) c. Turquie [GC], no 23885/94, § 40, CEDH 1999‑VIII), les traités non ratifiés par l’État défendeur (voir, par exemple, Marckx, précité), les déclarations d’organisations internationales, telles que la Déclaration universelle des droits de l’homme et d’autres déclarations de l’Assemblée générale des Nations Unies (K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 95, CEDH 2001‑II (extraits)), les résolutions et recommandations d’organisations internationales, telles que celles de l’Assemblée parlementaire et du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe (voir, par exemple, Mosley c. Royaume-Uni, no 48009/08, §§ 87, 119 et 124, 10 mai 2011), les observations générales d’organisations internationales, telles que celles adoptées par les organes des traités des Nations Unies (voir, par exemple, Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 105, CEDH 2011), les codes de conduites et bonnes pratiques des organisations internationales, tels que ceux de l’Organisation Mondiale de la Santé (voir, par exemple, Oluić c. Croatie, no 61260/08, § 60, 20 mai 2010), les commentaires et les études émanant d’ONG, tels que l’étude du Comité international de la Croix-Rouge sur le droit humanitaire coutumier et ses commentaires (voir, par exemple, Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, §§ 50, 51 et 90, CEDH 2008), et les rapports d’individus, tels que ceux du Secrétaire général des Nations Unies (Korbely, précité, § 90 – cette dernière affaire est également remarquable en raison de l’importance que la Cour y accorde à des opinions académiques (§§ 82 et 87)).

[47]. Affaire du « Lotus », Publications de la Cour permanente de justice internationale, Série A no 10, 7 septembre 1927, p. 18 : « Les règles de droit liant les États procèdent donc de la volonté de ceux-ci ».

[48]. Cette analyse n’est pas nouvelle (voir, sur le rôle des nouveaux sujets du droit international, Réparation des dommages subis au service des Nations Unies, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1949, p. 178, ainsi que Lauterpacht, « The Subjects of International law », in Lauterpacht (éd.), International Law, The Collected Papers of Hersch Lauterpacht, volume I : The General Works, Cambridge, CUP, 1970, § 48).

[49]. Sur ce point, voir mon opinion jointe à l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu (précité), et le message principal qu’elle contient : le discours juridique, et en particulier le discours contentieux, n’est pas un instrument de realpolitik orienté en fonction des intérêts des uns ou des autres. La présente opinion sur les sources du droit doit être lue à la lumière des réflexions que j’ai exposées dans l’affaire Câmpeanu sur l’argumentation juridique.

[50]. Pellet, « Le « bon droit » et l’ivraie – plaidoyer pour l’ivraie », in Mélanges offerts à Charles Chaumont, Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Méthodes d’analyse du droit international (1984), p. 488.

[51]. L’idée d’une normativité graduelle en droit international a été admise à la fois en droit international (voir les dispositions sur le jus cogens de la Convention de Vienne sur le droit des traités (articles 53 et 64)), et dans le texte même de la Convention (article 15).

[52]. Tănase c. Moldova [GC], no 7/08, § 176, CEDH 2010.

[53]. L’expression est de Klabbers (« Reflections on Soft International Law in a Privatized World », in Finnish Yearbook of International Law, volume XVI (2005), p. 322).

[54]. La même remarque vaut pour certaines dispositions de hard law, telles que les dispositions conventionnelles de l’ordre du programme concernant des obligations d’agir « au maximum des ressources disponibles » pour la pleine réalisation des droits économiques et sociaux (voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, CEDH 2012 (extraits)) ou l’obligation de coopérer de bonne foi ou d’organiser une consultation (Interprétation de l’accord du 25 mars 1951 entre l’OMS et l’Égypte, avis consultatif, C.I.J. Recueil 1980, p. 95, § 48).

[55]. Plateau continental de la mer Égée, arrêt, C.I.J. Recueil 1978, p. 39, § 96, et Délimitation maritime et questions territoriales entre Qatar et Bahreïn, compétence et recevabilité, arrêt, C.I.J. Recueil 1994, p. 121, § 23 : pour déterminer si un accord international a été conclu, « la [CIJ] doit tenir compte avant tout des termes employés et des circonstances dans lesquelles le communiqué a été élaboré ».

[56]. Kleijssen, op. cit., p. 899 : « such instruments may provide for a ‘follow-up’ mechanism in which the Committee of Ministers may ask member states to inform it about measures taken to implement that recommendation. This is a measure that has been used in all the most recent Council of Europe recommendations in the human rights field, in order to ensure that such instruments become a concrete source of reference for action in the member states ». En réalité, « [t]he first point to make is that the Council of Europe spends already far more resources on human rights monitoring than on human rights standard-setting, which reflects the high priority attached to monitoring and implementation of standards ». Sur l’impact qu’ont ces mécanismes de surveillance, y compris le CPT, sur les États membres, voir Direction générale des droits de l’homme et des affaires juridiques du Conseil de l’Europe, « L’impact réel des mécanismes de suivi du Conseil de l’Europe pour l’amélioration du respect des droits de l’Homme et de la prééminence du droit dans les États membres », 2014, pp. 16-56, et particulièrement pp. 32-35, ainsi que Benoît-Rohmer, « Mécanismes de supervision des engagements des États membres et autorité du Conseil de l’Europe », in Haller et al., Law in Greater Europe, 2000, et De Vel et Markert, « Importance and weaknesses of the Council of Europe Conventions and of the Recommendations addressed by the Committee of Ministers to member states », in Haller et al., op. cit. Les mécanismes de surveillance qui ne sont pas établis par un traité reposent au moins dans une certaine mesure sur des standards conventionnels, tels que ceux de la Convention ou que les engagements plus généraux découlant de l’article 3 du Statut du Conseil de l’Europe (McBride, op. cit., § 54).

[57]. De telles obligations ont été reconnues même pour des engagements purement politiques. Dans sa résolution du 29 août 1983 intitulée « Textes internationaux ayant une portée juridique dans les relations mutuelles entre leurs auteurs et textes qui en sont dépourvus », l’Institut de droit international a conclu que « [l]a violation d’un engagement purement politique justifie la partie qui en est la victime à recourir à tous les moyens en son pouvoir en vue de la faire cesser ou d’en compenser les conséquences préjudiciables ou les inconvénients, dans la mesure où ces moyens ne sont pas prohibés par le droit international ». A fortiori, une réparation peut être requise pour un dommage causé par la violation de la soft law.

[58]. Il ne s’agit pas de dire que le droit n’existe que dans la mesure où il est respecté. Une telle approche de la détermination du droit basée sur l’impact est trop stricte : elle place la charrue avant les bœufs.

[59]. Voir Demir et Baykara (précité, §§ 48-52) et Bayatyan (précité, §§ 46-49) et, a contrario, Stummer c. Autriche ([GC], no 37452/02, §§ 105-106, CEDH 2011).

[60]. Le juge Zagrebelsky dans son opinion jointe à l’arrêt Demir et Baykara (précité) et la juge Gyulumian dans son opinion jointe à l’arrêt Bayatyan (précité) ont souligné que les instruments de soft law utilisés par la majorité avaient été produits après les faits.

[61]. Voir l’opinion séparée commune au juge Dedov et à moi-même jointe à l’arrêt Baka c. Hongrie ([GC], no 20261/12, CEDH 2016), et mon opinion séparée jointe à l’arrêt Fabris c. France ([GC], no 16574/08, CEDH 2013 (extraits)).

[62]. Le CPT a été institué par la Convention Européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (la Convention CPT), entrée en vigueur en 1989. Cette convention a été ratifiée par les 47 États membres du Conseil de l’Europe.

[63]. Le CPT dresse un rapport général de ses activités, publié une fois par an. Dans un certain nombre de ses rapports, il a décrit certaines des problématiques substantielles qu’il examine lorsqu’il réalise des visites dans des lieux de privation de liberté. De cette façon, il donne à l’avance aux autorités nationales une indication claire de sa vision de la manière dont les personnes privées de liberté devraient être traitées. Les sections actualisées de ces rapports concernent la garde à vue, l’emprisonnement, la formation du personnel de maintien de l’ordre, les soins de santé en prison, les ressortissants étrangers privés de liberté en vertu du droit des étrangers, l’internement en établissement psychiatrique, et les femmes et les mineurs privés de liberté. Elles sont rassemblées dans un document intitulé « standards du CPT ».

[64]. Voir, mutatis mutandis, Manole et autres c. Moldova, no 13936/02, §§ 102 et 107, CEDH 2009 (extraits).

[65]. Meier c. Suisse, no 10109/14, § 78, CEDH 2016 : « importance considérable » ; Harakchiev et Tolumov c. Bulgarie, nos 15018/11 et 61199/12, §§ 204 et 264, CEDH 2014 (extraits) : « considérable importance », dans cet arrêt, la Cour se réfère également aux onzième et vingt et unième rapports généraux du CPT ; Sławomir Musiał c. Pologne, no 28300/06, § 96, 20 janvier 2009 : « l’importance de ces recommandations » ; Dybeku c. Albanie, no 41153/06, § 48, 18 décembre 2007 : « importance of this recommendation » ; Rivière c. France, no 33834/03, § 72, 11 juillet 2006 : « grand poids » ; Chtoukatourov c. Russie, no 44009/05, § 95, CEDH 2008 : « Même si ces principes n’ont pas force de loi pour la Cour, ils permettent peut-être de définir une norme européenne commune dans ce domaine. » ; Volkan Özdemir c. Turquie, no 29105/03, § 39, 20 octobre 2009 : « regularly taken into account by the Court ».

[66]. Dans l’arrêt fondateur rendu en l’affaire S. c. Suisse (28 novembre 1991, § 48, série A no 220), la Cour a jugé que le droit pour un accusé de communiquer avec son avocat sans être entendu par un tiers fait partie des prérequis basiques d’un procès équitable dans une société démocratique et découle de l’article 6 § 3 c) de la Convention. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est appuyée sur l’article 93 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus annexé à la Résolution (73) 5 du Comité des Ministres, qui énonce ce droit.

[67]. Enea c. Italie [GC], no 74912/01, § 101, CEDH 2009 : « Bien que cette recommandation ne soit pas juridiquement contraignante à l’égard des États membres, la grande majorité de ceux-ci reconnaissent aux détenus la plupart des droits auxquels elle se réfère et prévoient des moyens de recours contre les mesures qui les restreignent ».

[68]. En outre, la Cour utilise les rapports nationaux du CPT en tant que source fiable et impartiale d’information factuelle sur la situation dans les prisons et les centres de détention depuis les arrêts Amuur c. France (25 juin 1996, § 28, Recueil 1996‑III) et Aerts c. Belgique (30 juillet 1998, § 42, Recueil 1998‑V). Bien que le CPT ne soit pas un organe d’investigation, ses rapports sont d’importants éléments de description de la situation sur le terrain dans les États européens.

[69]. Adopté par la Résolution 40/33 de l’Assemblée générale (29 novembre 1985). La Cour a cité ces règles pour la première fois dans l’arrêt V. c. Royaume-Uni ([GC], no 24888/94, § 73, CEDH 1999‑IX) : « L’article 4 des règles de Beijing qui, bien que n’ayant pas force obligatoire, peut fournir une indication quant à l’existence d’un consensus international, ne précise pas l’âge de la responsabilité pénale, mais invite simplement les États à ne pas le fixer trop bas ».

[70]. Adopté par la Résolution 43/173 de l’Assemblée générale (9 décembre 1988). La Cour a cité ces principes pour la première fois dans l’arrêt Brannigan et McBride c. Royaume‑Uni (26 mai 1993, § 61, série A no 258‑B).

[71]. Adoptées par la Résolution 45/113 de l’Assemblée générale (14 décembre 1990), et citées pour la première fois par la Cour dans l’arrêt Blokhin c. Russie ([GC], no 47152/06, § 87, CEDH 2016). La première référence à ces règles avait été faite dans une opinion séparée dans l’affaire Ertuş c. Turquie (no 37871/08, 5 novembre 2013).

[72]. Adoptés par la Résolution 45/112 du 14 décembre 1990 et cités par la Cour dans l’arrêt Blokhin (précité, § 88). La première référence à ces principes avait été faite dans une opinion séparée dans l’affaire Ertuş (arrêt précité).

[73]. Adoptée par un groupe de travail de 24 experts internationaux le 9 décembre 2007, et annexée au « Rapport d’activité du 28 juillet 2008 du Rapporteur spécial du Conseil des Droits de l’homme sur la torture et les autres peines ou traitement inhumains ou dégradants », Manfred Nowak. Le Rapporteur spécial avait considéré qu’il s’agissait d’un « instrument utile pour promouvoir le respect et la protection des droits des détenus ». Cette déclaration a été récemment citée par la Cour dans l’arrêt Babar Ahmad et autres c. Royaume-Uni (nos 24027/07, 11949/08, 36742/08, 66911/09 et 67354/09, § 120, 10 avril 2012).

[74]. Adoptées par la Résolution 65/229 de l’Assemblée générale (21 décembre 2010). Elles ont été récemment citées dans l’affaire Korneykova et Korneykov c. Ukraine (no 56660/12, § 91, 24 mars 2016). La première référence à ces règles avait été faite dans l’arrêt Khoroshenko c. Russie [GC], no 41418/04, CEDH 2015.

[75]. Adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale dans sa Résolution 70/175 du 17 décembre 2015.

[76]. Adoptée par consensus en septembre 1996 par 133 délégués de 47 États, dont 40 États africains, réunis à Kampala (Ouganda). Le Président de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, les ministres des États, les délégués aux prisons, juges et organisations non gouvernementales internationales, régionales et nationales concernées par les conditions de détention ont pris part aux réunions.

[77]. Approuvée par la Conférence des chefs des administrations pénitentiaires d’Afrique australe, centrale et orientale tenue à Arusha (Tanzanie) du 23 au 27 février 1999.

[78]. Approuvée par la seconde Conférence panafricaine sur la réforme pénale et pénitentiaire en Afrique tenue à Ouagadougou (Burkina Faso) du 18 au 20 septembre 2002.

[79]. Résolution 1/08 de la Commission interaméricaine des droits de l’hommes, Principes et bonnes pratiques de protection des personnes privées de liberté dans les Amériques, 13 mars 2008, no 1/08 (OEA/Ser/L/V/II.131 doc. 26.).

[80]. Recommandation no R(87)3 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe le 12 février 1987 et mémorandum explicatif. Dans la version de 1987, la seule référence faite à l’allocation aux détenus d’un espace au sol minimum résidait dans la Règle 15 (« The accommodation provided for prisoners, and in particular all sleeping accommodation, shall meet the requirements of health and hygiene, due regard being paid to climatic conditions and especially the cubic content of air, a reasonable amount of space, lighting, heating and ventilation »), qui était expliquée de la manière suivante : « it is desirable that standard specifications should be drawn up at national level to meet the requirements of this rule according to local circumstances and practice ».

[81]. De manière assez éloquente, le commentaire de la Règle 18 débute ainsi : « Cette règle porte sur les conditions de logement des détenus. L’évolution de la législation européenne en matière de droits de l’homme exige un renforcement des règles à ce propos ». Il se poursuit ainsi : « dans la nouvelle version des Règles, la nécessité d’assurer aux détenus des conditions d’hébergement adéquates est soulignée par le fait que cette question est traitée conjointement avec celle de la répartition des détenus ».

[82]. Ainsi que la Cour le reconnaît elle-même, le Comité des Ministres est le meilleur intermédiaire du consensus européen (M.C. c. Bulgarie, no 39272/98, § 162, CEDH 2003‑XII).

[83]. Commentaire sur la recommandation Rec(2006)2 du Comité des Ministres aux États membres sur les règles pénitentiaires européennes, p. 6.

[84]. La seule voix dissonante a été celle du représentant du Danemark, sur un point très précis. Le représentant réservait le droit pour le Danemark de se mettre en conformité ou non avec la Règle 43, paragraphe 2, de l’annexe à la recommandation quant à l’exigence selon laquelle les détenus placés à l’isolement doivent bénéficier chaque jour de la visite d’un membre du personnel médical.

[85]. Au-delà de la Convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous conditions (1964, STE no 51), de la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (1983, STE no 112) et du Protocole additionnel à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées (1997, STE no 167), le Conseil de l’Europe a eu une activité très riche dans la création de standards de droit pénitentiaire depuis ses premières heures, ainsi qu’en témoignent notamment les recommandations CM/Rec(2014)4 sur la surveillance électronique, CM/Rec(2014)3 concernant les délinquants dangereux, CM/Rec(2012)12 concernant les détenus étrangers, CM/Rec(2012)5 sur le Code européen de déontologie pour le personnel pénitentiaire, CM/Rec(2010)1 sur les règles du Conseil de l’Europe relatives à la probation, Rec(2008)11 sur les Règles européennes pour les délinquants mineurs faisant l’objet de sanctions ou de mesures, Rec(2006)13 concernant la détention provisoire, les conditions dans lesquelles elle est exécutée et la mise en place de garanties contre les abus, Rec(2003)23 concernant la gestion par les administrations pénitentiaires des condamnés à perpétuité et des autres détenus de longue durée, Rec(2003)22 concernant la libération conditionnelle, Rec(2000)22 concernant l’amélioration de la mise en œuvre des règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté, R(99)22 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale, R(99)19 sur la médiation en matière pénale, R(98)7 relative aux aspects éthiques et organisationnels des soins de santé en milieu pénitentiaire, R(97)12 sur le personnel chargé de l’application des sanctions et mesures, R(93)6 concernant les aspects pénitentiaires et criminologiques du contrôle des maladies transmissibles et notamment du SIDA, et les problèmes connexes de santé en prison, R(92)18 concernant l’application pratique de la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, R(92)16 relative aux règles européennes sur les sanctions et mesures appliquées dans la Communauté, R(89)12 sur l’éducation en prison, R(88)13 concernant l’application pratique de la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, R(84)11 concernant l’information relative à la Convention sur le transfèrement des personnes condamnées, R(82)17 relative à la détention et au traitement des détenus dangereux, R(82)16 sur le congé pénitentiaire, et R(79)14 concernant l’application de la Convention européenne pour la surveillance des personnes condamnées ou libérées sous condition, la Résolution (70) 1 relative à l’organisation pratique des mesures de surveillance, d’assistance et d’aide post-pénitentiaire pour les personnes condamnées ou libérées sous condition, la Résolution (67) 5 relative aux recherches sur les détenus considérés sous l’angle individuel et sur la communauté pénitentiaire et la Résolution (62) 2 relative aux droits sociaux, civils et électoraux des détenus.

[86]. La Cour elle-même a exprimé ce point de vue dans l’affaire Kiyutin c. Russie (no 2700/10, § 67, CEDH 2011).

[87]. Voir, par exemple, le Livre blanc sur la surpopulation carcérale récemment adopté par le CDPC (PC-CP (2015) 6 rev. 7, 30 juin 2016, §§ 33-39), ainsi que Criminal Justice Alliance, Crowded Out? The impact of prison overcrowding on rehabilitation, 2012, et CICR, Eau, assainissement, hygiène et habitat dans les prisons. Guide complémentaire (op.cit., p. 35), qui mentionne des « serious negative effects on the physical and psychological health of detainees », ainsi que l’accroissement des troubles en prison. La surpopulation est hautement perturbatrice du quotidien des détenus, de leurs activités et de leur traitement. Par exemple, le Comité a émis dans un rapport de 2004 des inquiétudes concernant le lien entre la surpopulation carcérale et le suicide en détention.

[88]. L’expression « surpopulation carcérale » est utilisée dans la présente opinion dans son sens le plus large possible : il s’agit de la surpopulation non seulement dans les établissements pénitentiaires, mais aussi dans tous les lieux publics de détention, y compris les commissariats de police et les hôpitaux pénitentiaires. De même, j’emploie le terme « détenus » aussi bien pour les personnes en détention provisoire, pour les personnes condamnées et pour les personnes internées en hôpital pénitentiaire.

[89]. Orchowski c. Pologne, no 17885/04, 22 octobre 2009, et Norbert Sikorski c. Pologne, no 17599/05, 22 octobre 2009.

[90]. Ananyev et autres c. Russie, nos 42525/07 et 60800/08, § 239, 10 janvier 2012.

[91]. Torreggiani et autres c. Italie, nos 43517/09, 46882/09, 55400/09, 57875/09, 61535/09, 35315/10 et 37818/10, 8 janvier 2013. Les nouveaux recours nationaux ont été examinés dans l’affaire Stella et autres c. Italie ((déc.), nos 49169/09, 54908/09, 55156/09, 61443/09, 61446/09, 61457/09, 7206/10, 15313/10, 37047/10, 56614/10 et 58616/10, 16 septembre 2014).

[92]. Vasilescu c. Belgique, no 64682/12, § 128, 25 novembre 2014.

[93]. Neshkov et autres c. Bulgarie, nos 36925/10, 21487/12, 72893/12, 73196/12, 77718/12 et 9717/13, §§ 281 et 292, 27 janvier 2015.

[94]. Varga et autres c. Hongrie, nos 14097/12, 45135/12, 73712/12, 34001/13, 44055/13, et 64586/13, 10 mars 2015.

[95]. Mironovas et autres c. Lituanie, nos 40828/12, 29292/12, 69598/12, 40163/13, 66281/13, 70048/13 et 70065/13, 8 décembre 2015.

[96]. Voir mon opinion séparée dans l’affaire Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03, 197/04, 6201/06 et 10464/07, 18 mars 2014.

[97]. Comme on peut le lire dans le Manuel de l’ONUDC sur les stratégies de réduction de la surpopulation carcérale (2010), « la surpopulation carcérale est une des causes fondamentales des violations des droits de l’homme en milieu carcéral et présente de nombreux défis de par le monde. Elle compromet au mieux les perspectives de réinsertion sociale et au pire la vie des détenus ».

[98]. CICR, Eau, assainissement, hygiène et habitat dans les prisons. Guide complémentaire (op.cit.). Le CICR ajoute que l’espace nécessaire ne peut être évalué par une simple mesure de surface ; d’autres facteurs doivent être pris en considération : l’état du bâtiment, le temps que les détenus passent hors de leur zone de repos, le nombre de personnes dans cette zone, les autres activités se déroulant dans cet espace, l’aération et la lumière, les installations et services disponibles en prison et l’étendue de la surveillance disponible.

[99]. Pour le CICR, « [l]es situations d’urgence correspondent à des événements soudains et de courte durée. Plusieurs types de phénomènes peuvent avoir un impact important sur les prisons : crises politiques, catastrophes naturelles, incendies, émeutes, crises sanitaires nécessitant l’isolement d’un grand nombre de détenus ou autres événements impliquant le transfert de détenus d’une prison ayant subi des dégâts vers un autre établissement ».

[100]. Voir le commentaire de la Règle 18 des RPE, et « Espace vital par détenu dans les établissements pénitentiaires : Normes du CPT », adoptées en décembre 2015, et le Livre blanc du Comité des Ministres sur le surpeuplement carcéral (23 août 2016, § 37).

[101]. Varga et autres, précité, §§ 15, 16 et 51.

[102]. Voir en ce sens mon opinion jointe à l’arrêt Mironovas et autres (précité).

[103]. Voir la déclaration conjointe de Malcolm Evans, président du sous-comité pour la prévention de la torture (SPT), et Mykola Gnatovskyy, président du CPT, en date du 24 juin 2016.


Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award