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21/09/2016 | CEDH | N°001-166969

CEDH | CEDH, AFFAIRE KHAN c. ALLEMAGNE, 2016, 001-166969


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE KHAN c. ALLEMAGNE

(Requête no 38030/12)

ARRÊT

(Radiation)

STRASBOURG

21 septembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Khan c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Luis López Guerra,
Angelika Nußberger,
Khanlar Hajiyev,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov,
Rob

ert Spano,
Iulia Motoc,
Branko Lubarda,
Síofra O’Leary,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo, juges,...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE KHAN c. ALLEMAGNE

(Requête no 38030/12)

ARRÊT

(Radiation)

STRASBOURG

21 septembre 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Khan c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
András Sajó,
Luis López Guerra,
Angelika Nußberger,
Khanlar Hajiyev,
Paul Lemmens,
Valeriu Griţco,
Ksenija Turković,
Dmitry Dedov,
Robert Spano,
Iulia Motoc,
Branko Lubarda,
Síofra O’Leary,
Stéphanie Mourou-Vikström,
Georges Ravarani,
Pere Pastor Vilanova,
Pauliine Koskelo, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 16 mars et 7 juillet 2016.

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 38030/12) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont une ressortissante pakistanaise, Mme Farida Kathoon Khan (« la requérante »), a saisi la Cour le 19 juin 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Devant la Cour, la requérante a été représentée par Me E. Gabsa, avocate à Giessen. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. H.-J. Behrens, du ministère fédéral de la Justice et de la Protection du consommateur.

3. Dans sa requête, la requérante alléguait que son expulsion vers le Pakistan emporterait violation de l’article 8 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 23 avril 2015, une chambre de ladite section, composée de Mark Villiger, président, Angelika Nußberger, Boštjan Zupančič, Ganna Yudkivska, André Potocki, Helena Jäderblom, Aleš Pejchal, juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle déclarait, à l’unanimité, le grief tiré de l’article 8 de la Convention recevable et la requête irrecevable pour le surplus, et concluait, par six voix contre une, que l’exécution de la décision d’expulsion visant la requérante n’emporterait pas violation de l’article 8 de la Convention. À l’arrêt se trouvaient joints l’exposé de l’opinion dissidente du juge Zupančič ainsi qu’une déclaration de la juge Yudkivska.

5. Le 23 juillet 2015, la requérante a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre, en vertu de l’article 43 de la Convention. Le 14 septembre 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. La genèse de l’affaire et la procédure suivie devant les autorités nationales

8. La requérante est née au Pakistan en 1963 et vit actuellement dans une résidence médicalisée à Haina (Land de Hesse, Allemagne).

9. En décembre 1991, la requérante et son mari, un ressortissant pakistanais, arrivèrent en Allemagne. L’époux de la requérante se vit accorder le statut de réfugié. En octobre 1993, la requérante fut déboutée de sa demande tendant à l’obtention du même statut. Le 16 juin 1994, elle se vit délivrer un permis de séjour en sa qualité d’épouse de réfugié. Le 11 février 1995, elle donna naissance à un fils. En 1998, les époux se séparèrent. Leur fils resta avec la requérante, qui commença à travailler comme femme de ménage dans différentes entreprises.

10. Le 7 septembre 2001 elle obtint un permis de séjour permanent.

11. En mars 2004, la requérante perdit son emploi à la suite de problèmes de comportement. En juillet 2004, le divorce des époux fut prononcé. En 2005, un tribunal aux affaires familiales transféra à l’ex-époux de la requérante la garde de l’enfant et fixa la résidence de celui-ci au domicile de son père.

12. Le 31 mai 2004, la requérante fut placée en détention provisoire au motif qu’elle avait tué une voisine. Après une tentative d’automutilation, l’intéressée fut provisoirement transférée dans un hôpital psychiatrique.

13. Le 13 juillet 2005, le tribunal régional de Giessen ordonna l’internement permanent de la requérante en hôpital psychiatrique. Il jugea qu’elle avait commis un homicide en état d’aliénation mentale, après avoir constaté qu’elle était atteinte d’une psychose aiguë à l’époque des faits. Un expert médical attesta qu’elle présentait des symptômes de schizophrénie et de déficience mentale et qu’elle n’était pas consciente de son état psychique. Le tribunal régional conclut que la requérante présentait toujours un danger pour autrui et qu’elle devait dès lors être placée en hôpital psychiatrique. Par ailleurs, la requérante se vit désigner un tuteur.

14. Le 4 juin 2009, l’autorité administrative compétente de Waldeck‑Frankenberg ordonna l’expulsion de la requérante. Se fondant notamment sur l’acte commis par celle-ci, qui avait entraîné son internement en hôpital psychiatrique, et plus généralement sur son état de santé mentale, l’autorité conclut que l’intéressée constituait pour la sécurité publique un danger qui l’emportait sur son intérêt à ne pas être expulsée en dépit de son long séjour en Allemagne et de son statut de résident. Elle releva que la requérante n’était pas intégrée économiquement, qu’elle n’était pas capable de communiquer suffisamment en allemand – ce qui faisait obstacle à sa thérapie –, qu’elle n’entretenait avec son ex-époux et son fils que des contacts limités et qu’elle était toujours imprégnée de la culture pakistanaise. L’autorité ajouta que la requérante pourrait bénéficier au Pakistan des soins médicaux nécessaires à son état de santé et y recevoir le soutien de sa famille.

15. La requérante saisit le tribunal administratif de Kassel d’un recours contre cette décision assorti d’une demande de sursis à exécution. Au cours de la procédure en référé, les autorités administratives s’engagèrent à ne pas exécuter la décision d’expulsion tant que le tribunal administratif ne se serait pas prononcé sur le fond.

16. En novembre 2009, la requérante se vit octroyer un certain nombre d’avantages dans l’hôpital, tels des jours de liberté, puis, après que sa santé mentale se fut améliorée, elle commença à travailler à plein temps à la buanderie de l’hôpital.

17. Le 1er mars 2011, le tribunal administratif rejeta le recours de la requérante. Pour se prononcer ainsi, il releva que celle-ci avait commis un acte grave, qu’elle n’avait pas conscience de son état de santé et qu’elle présentait un risque élevé de récidive. Il souligna également que la requérante n’était pas socialement et économiquement intégrée dans la société allemande, en raison surtout de sa connaissance insuffisante de la langue allemande. Il ajouta que la requérante n’avait pas de liens familiaux importants en Allemagne puisqu’elle était divorcée depuis des années et que l’autorité parentale sur son fils avait été confiée au père de celui-ci. En ce qui concerne la situation au Pakistan, le tribunal releva que, d’après les renseignements communiqués par l’ambassade d’Allemagne au Pakistan, les soins médicaux de base pour les personnes souffrant de maladie mentale étaient assurés dans les grandes villes telles que Lahore et que la requérante aurait les moyens de payer le traitement dont elle avait besoin car elle recevrait une pension mensuelle d’environ 250 euros (EUR). Il estima que bien que les membres de la famille de la requérante au Pakistan eussent indiqué à l’ambassade d’Allemagne qu’ils n’étaient pas disposés à l’accueillir, il n’était pas exclu qu’ils l’aident à organiser le traitement requis contre paiement de sommes modiques en euros. Il confirma par ailleurs la conclusion de l’autorité administrative selon laquelle la requérante n’était pas connue pour ses positions en faveur de la religion ahmadie et qu’elle ne courrait donc aucun danger sur ce plan.

18. Le 23 mai 2011, la cour d’appel administrative de Hesse rejeta la demande en autorisation d’appel formée par la requérante. Elle fit observer que le tribunal administratif avait pris en considération l’ensemble des faits pertinents de l’espèce. Le 2 août 2011, elle rejeta le recours en audition de la requérante qui avait notamment allégué que la juridiction n’avait pas dûment pris en compte ses observations relatives à l’amélioration de son état de santé, à la mort de sa sœur au Pakistan et aux conditions de vie qui seraient les siennes en cas de renvoi.

19. Le 13 décembre 2011, la Cour constitutionnelle fédérale rejeta par une décision non motivée le recours constitutionnel formé par la requérante (no 2 BvR 1923/11).

20. Auparavant, le 24 novembre 2011, suivant la recommandation d’un expert médical, le tribunal régional de Marburg avait prononcé le sursis à exécution de l’internement de la requérante en hôpital psychiatrique et ordonné que celle-ci fût remise en liberté sous conditions (Führungsaufsicht) pour une période de cinq ans. La requérante devait notamment rester en contact régulier avec le personnel médical de l’hôpital et continuer à prendre les médicaments prescrits. Le tribunal avait estimé que le traitement avait suffisamment diminué le danger de récidive pour que le risque résiduel fût tolérable.

21. Depuis l’arrêté d’expulsion, le séjour de la requérante en Allemagne est toléré en vertu de tolérances de séjour (Duldung) accordées en application de l’article 60a de la loi sur le séjour (paragraphe 27 ci-dessous). La dernière en date de ces tolérances de séjour, qui ont eu en général une durée de six mois, a été délivrée le 22 mars 2016 et est valable jusqu’au 17 février 2017.

B. L’arrêt de la chambre

22. Dans son arrêt du 23 avril 2015, la chambre, par six voix contre une, a conclu à la non-violation de l’article 8 de la Convention (paragraphe 4 ci‑dessus).

C. Les faits postérieurs à l’arrêt de la chambre

23. Après que la chambre eut rendu son arrêt, le 14 septembre 2015, le collège de la Grande Chambre a fait droit à la demande de renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre formée par la requérante (paragraphe 5 ci-dessus).

24. Dans ses observations du 7 janvier 2016 sur le fond de l’affaire, le Gouvernement a donné, en son nom et en celui du Land de Hesse, compétent en matière de droit de séjour de la requérante, l’assurance qu’avant d’adopter, le cas échéant, une mesure d’éloignement de la requérante, les autorités administratives allemandes prendraient un nouvel arrêté d’expulsion qui tiendrait compte du temps écoulé. Il a en outre certifié qu’une nouvelle décision d’expulsion ne pourrait être prise que si un examen médical complet de la requérante établissait au préalable que ni l’éloignement lui-même ni l’installation de celle-ci au Pakistan ne l’exposeraient à un risque médical mettant sa vie en danger.

25. Par la suite, et en réponse aux questions posées par la Cour, le Gouvernement a précisé que les autorités administratives n’expulseraient pas la requérante sur la base de l’arrêté d’expulsion initial, que l’assurance donnée pourrait être opposée à toute tentative d’éloignement fondée sur l’arrêté d’expulsion en question et que les autorités allemandes se considéraient liées par cet engagement à tous les niveaux, étant donné qu’il avait été pris après consultation et en accord avec le gouvernement de la Hesse.

26. Le 9 février 2016, le Gouvernement a officiellement demandé à la Cour de rayer la requête du rôle en application de l’article 37 § 1 b) de la Convention. À cette occasion, il a réitéré l’assurance susmentionnée en précisant qu’un éventuel nouvel arrêté d’expulsion remplacerait l’arrêté initial et que la requérante disposerait pour le contester de tous les recours offerts par le droit interne.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

27. L’article 60a de la loi sur le séjour (Aufenthaltsgesetz) du 30 juillet 2004 régit le sursis provisoire d’une mesure d’éloignement (tolérance ‑ Duldung). Il dispose notamment que l’éloignement d’un étranger doit être suspendu tant que le renvoi n’est pas possible pour des raisons de fait ou de droit et tant qu’aucun titre de séjour n’est délivré (§ 2). Une tolérance est délivrée sous forme écrite (§ 4) et ne confère aucun droit de séjour (§ 3). La durée d’une tolérance n’est pas fixée par la loi ; elle est variable et peut aller d’un jour à plus d’un an. La tolérance peut être renouvelée de façon illimitée.

EN DROIT

I. DEMANDE DE RADIATION DE LA REQUÊTE

28. La requérante allègue que son renvoi au Pakistan emporterait violation de l’article 8 de la Convention, dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (...) à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales (...) »

A. Thèses des parties

29. Le Gouvernement invite la Cour à rayer l’affaire du rôle, en vertu de l’article 37 § 1 b) de la Convention, au motif que la requérante ne risque plus d’être expulsée vers le Pakistan sur le fondement de l’arrêté d’expulsion du 4 juin 2009. Il précise que si l’assurance donnée ne saurait effacer cet arrêté, celui-ci n’est plus exécutoire et que l’assurance en question pourrait être opposée à toute tentative de l’exécuter. Le Gouvernement souligne que la requérante ne pourrait être expulsée que sur la base d’un éventuel nouvel arrêté d’expulsion qui tiendrait compte de l’état de santé de celle-ci et du laps de temps passé depuis l’adoption de l’arrêté de 2009. Il ajoute que les autorités allemandes toléreraient le séjour de la requérante en Allemagne sur le fondement de l’article 60a de la loi sur le séjour jusqu’à l’adoption éventuelle d’un nouvel arrêté d’expulsion définitif.

30. La requérante estime que, dès lors qu’elle a perdu son droit de séjour, l’assurance donnée par le Gouvernement ne change rien à la précarité de sa situation, même au cas où son éloignement nécessiterait une nouvelle décision d’expulsion et alors même que les autorités allemandes n’envisagent pas pour le moment de prendre contre elle une mesure d’éloignement vers le Pakistan. Elle n’a pas répondu à la demande de radiation du Gouvernement.

B. Appréciation de la Cour

31. L’article 37 § 1 de la Convention énonce :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou

b) que le litige a été résolu ; ou

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige.

2. La Cour peut décider la réinscription au rôle d’une requête lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient. »

32. La Cour note d’emblée que l’article 37 § 1 a) de la Convention ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce, la requérante n’ayant pas déclaré retirer sa requête après que le Gouvernement eut donné l’assurance susmentionnée (voir, mutatis mutandis, Atmaca c. Allemagne (déc.), no 45293/06, 6 mars 2012).

33. La Cour observe ensuite que, conformément à sa jurisprudence constante, dès lors qu’un requérant menacé d’expulsion a obtenu un permis de séjour et ne risque plus d’être expulsé, elle considère que l’affaire a été résolue au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention et la raye de son rôle, même sans l’approbation du requérant. En effet, la Cour a toujours envisagé la question sous l’angle d’une violation potentielle de la Convention. Or, la menace d’une telle violation disparaît par la décision accordant au requérant un droit de séjour dans l’État défendeur concerné (voir F.G. c. Suède [GC], no 43611/11, § 73, 23 mars 2016, et les références qui s’y trouvent citées, et M.E. c. Suède (radiation) [GC], no 71398/12, §§ 32 et 33, 8 avril 2015).

34. En revanche, dans certaines affaires où le requérant n’avait pas obtenu de permis de séjour, la Cour a estimé qu’il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 c) de la Convention, et décidé de la rayer du rôle car il ressortait clairement des informations dont elle disposait que le requérant ne risquait plus, ni à ce moment-là ni avant longtemps, d’être expulsé et soumis à un traitement contraire à l’article 8 de la Convention, et qu’il avait la possibilité de contester devant les autorités nationales, et le cas échéant devant la Cour, une éventuelle nouvelle mesure d’éloignement (voir, F.I. et autres c. Royaume-Uni (déc.), no 8655/10, 15 mars 2011, Atayeva et Burmann c. Suède (radiation), no 17471/11, §§ 19-24, 31 octobre 2013, et, mutatis mutandis, en ce qui concerne l’article 3, Atmaca, précité, Ozbeek c. Pays‑Bas (déc.), no 40938/09, 9 octobre 2012, Sharifi c. Suisse (déc.), no 69486/11, 4 décembre 2012, P.Z. et autres c. Suède (radiation), no 68194/10, §§ 14-17, 18 décembre 2012, B.Z. c. Suède (radiation), no 74352/11, §§ 17-20, 18 décembre 2012, L.T. c. Belgique (déc.), no 31201/11, 12 mars 2013, Isman c. Suisse (déc.), no 23604/11, § 24, 21 janvier 2014, I.A. c. Pays-Bas (déc.), no 76660/12, 27 mai 2014, H.S. et autres c. Belgique (déc.), no 10973/12, 24 mars 2015, A.A. c. Belgique (déc.), no 66712/13, 19 mai 2015, et S.S. c. Pays-Bas (déc.), no 67743/14, 1er septembre 2015).

35. Dans toutes ces affaires précitées, la Cour a estimé, explicitement ou implicitement, qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles et exigeant la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine).

36. La Cour note en l’espèce que le gouvernement allemand a donné l’assurance que la requérante ne serait pas expulsée sur la base de l’arrêté d’expulsion du 4 juin 2009 contre lequel celle-ci a introduit la présente requête. Le Gouvernement a en outre assuré que si la requérante faisait l’objet d’une nouvelle décision d’expulsion, celle-ci ne serait prise qu’après un examen médical complet de l’état de santé de la requérante et qu’elle tiendrait compte du temps écoulé depuis l’arrêté d’expulsion de 2009.

37. La Cour n’aperçoit aucune raison de douter du sérieux et du caractère obligatoire des assurances données par le gouvernement allemand (F.I. et autres c. Royaume-Uni, décision précitée, et Atmaca, décision précitée), d’autant plus que celles‑ci ont été données aussi au nom des autorités du Land compétent. Par conséquent, l’arrêté d’expulsion du 4 juin 2009 n’est plus exécutoire. La requérante dispose par ailleurs du statut de tolérance de séjour en application de l’article 60a de la loi sur le séjour. La Cour rappelle dans ce contexte qu’elle a procédé à la radiation de requêtes du rôle après avoir été informée par le gouvernement défendeur que les autorités nationales n’avaient plus l’intention de renvoyer l’intéressé dans un avenir proche ou pour une certaine période dans le pays de destination, sans que ces informations eussent été accompagnées d’un engagement formel de la part du gouvernement défendeur (voir, parmi beaucoup d’autres, Ozbeek, décision précitée, Abdi Mohammed c. Pays-Bas (déc.), no 2738/11, 4 décembre 2012, I.A. c. Pays-Bas, décision précitée, et S.S. c. Pays-Bas, décision précitée).

38. La Cour relève aussi – et le gouvernement allemand le confirme – que dans l’hypothèse où les autorités allemandes prendraient une nouvelle décision d’expulsion, la requérante disposerait des voies de recours offertes par le droit interne pour l’attaquer devant les juridictions allemandes. Par ailleurs, la requérante aurait la possibilité, le cas échéant, d’introduire une nouvelle requête devant la Cour (voir les références citées au paragraphe 34 ci-dessus). La Cour conclut que la requérante ne risque pas d’être expulsée ni pour le moment ni dans un avenir prévisible.

39. Dans ces conditions, et compte tenu de la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).

40. La Cour est en outre d’avis qu’il n’existe en l’espèce pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeraient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine). Elle estime en particulier que, à la différence de l’affaire F.G. c. Suède (précitée, § 82), qui soulevait d’importantes questions sur le terrain des articles 2 et 3 de la Convention, la présente affaire ne dépasse pas la situation particulière de la requérante puisqu’elle porte essentiellement sur l’appréciation, par les autorités nationales, d’éléments factuels concernant notamment sa situation familiale (fils majeur), son intégration, sa dangerosité, son état de santé et la disponibilité de soins adéquats au Pakistan, éléments qui peuvent de surcroît évoluer dans l’avenir (Abdi Mohammed, Isman et I.A. c. Pays-Bas, affaires précitées).

41. La Cour tient par ailleurs à rappeler qu’après avoir rayé une requête du rôle, elle peut à tout moment décider de l’y réinscrire si elle estime que les circonstances le justifient, en application de l’article 37 § 2 de la Convention (Atmaca, Abdi Mohammed, I.A. c. Pays-Bas et H.S. et autres c. Belgique, affaires précitées).

42. Partant, il convient de rayer la requête du rôle.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 43 § 4 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

43. L’article 43 § 4 du règlement de la Cour, dans sa partie pertinente, est ainsi libellé :

« Lorsqu’une requête a été rayée du rôle, les dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour (...) »

44. La Cour rappelle qu’à la différence de l’article 41 de la Convention, qui n’entre en jeu que si elle a préalablement déclaré qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, l’article 43 § 4 du règlement l’autorise à accorder une somme au requérant pour frais et dépens – et à ce titre seulement – lorsque la requête est rayée du rôle (Syssoyeva et autres c. Lettonie (radiation) [GC], no 60654/00, § 132, CEDH 2007‑I).

45. La Cour constate qu’après le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre, la requérante a été informée que les prétentions formulées par elle devant la chambre au titre de la satisfaction équitable seraient prises en compte et qu’elle avait la possibilité de réclamer des frais et dépens supplémentaires au titre de la procédure suivie devant la Grande Chambre. Elle note que, devant la chambre, la requérante a réclamé 5 731,33 EUR au titre des frais d’avocat exposés pour les besoins des procédures suivies devant les autorités et les juridictions administratives, la Cour constitutionnelle fédérale, le Parlement de la Hesse et la Cour, ainsi que 211,90 EUR pour frais de justice. La requérante a en outre réclamé au moins 300 EUR pour la suite de la procédure et les frais de traduction. Devant la Grande Chambre, la requérante n’a formulé aucune demande supplémentaire.

46. Le Gouvernement n’a pas commenté les demandes de frais et dépens de la requérante, ni devant la chambre ni devant la Grande Chambre.

47. La Cour rappelle que les principes généraux régissant le remboursement des frais au titre de l’article 43 § 4 du règlement sont en substance identiques à ceux appliqués dans le cadre de l’article 41 de la Convention. Autrement dit, pour pouvoir donner lieu à remboursement, les frais doivent se rapporter à la violation ou aux violations alléguées et être raisonnables quant à leur taux. De surcroît, en vertu de l’article 60 § 2 du règlement, le requérant doit chiffrer et ventiler par rubrique toutes ses prétentions, auxquelles il doit joindre les justificatifs nécessaires, faute de quoi la Cour peut rejeter ses demandes, en tout ou en partie (Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 276, 3 octobre 2008). Par ailleurs, il ressort de l’économie de l’article 43 § 4 du règlement que, lorsque la Grande Chambre décide de l’allocation des dépens, elle doit le faire au regard de toute la procédure qui s’est déroulée devant la Cour, y compris des stades antérieurs à la saisine de la Grande Chambre (Chevanova c. Lettonie (radiation) [GC], no 58822/00, § 55, 7 décembre 2007, et El Majjaoui et Stichting Touba Moskee c. Pays-Bas (radiation) [GC], no 25525/03, §§ 39-40, 20 décembre 2007).

48. Eu égard aux éléments en sa possession et aux critères exposés ci‑dessus, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme réclamée pour frais et dépens au titre de frais d’avocat et de justice. À cet égard, elle note que le montant des frais d’avocat indiqué dans les justificatifs présentés par la requérante ne correspond pas à la somme réclamée et qu’il la dépasse. Elle ne doute pas cependant que la requérante a encouru ces frais à hauteur de la somme réclamée (5 731,33 EUR) et elle les lui accorde, de même que la somme réclamée pour les frais de justice (211,90 EUR). Quant au remboursement des autres frais indiqués, entre autres pour des traductions effectuées, la Cour note que la requérante n’a présenté aucun justificatif dans les observations qu’elle a soumises devant la chambre et devant la Grande Chambre. Dans ces conditions, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’accorder à la requérante les autres sommes réclamées. En conclusion, la Cour alloue à la requérante la somme de 5 943,23 EUR pour frais et dépens.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Décide, par seize voix contre une, de rayer la requête du rôle ;

2. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, la somme de 5 943,23 EUR (cinq mille neuf cent quarante-trois euros et vingt-trois centimes), plus tout montant pouvant être dû par la requérante à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 21 septembre 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Johan CallewaertGuido Raimondi
Adjoint au greffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge M. Sajó.

G.R.A.
J.C.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

À mon grand regret, je ne puis me rallier à la majorité en l’espèce car j’estime que les conditions d’une radiation du rôle ne sont pas remplies. L’affaire concerne le sort réservé à une personne handicapée mentale dont l’environnement actuel est le seul qui lui soit favorable. La « tolérance de séjour », en pareil cas, est-elle compatible avec la Convention ? Il faut répondre à cette question si l’on veut assurer le respect des droits de l’homme garantis par la Convention (article 37 § 1 de la Convention).

Je trouve particulièrement troublant que la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête dans les circonstances de l’espèce « et compte tenu de la nature subsidiaire du mécanisme de contrôle institué par la Convention ». Le rôle de la Cour n’est pas un rôle de contrôle ; la Cour doit assurer le respect des engagements pris par les Hautes Parties contractantes (article 19 de la Convention). Quelle que soit sa signification dans le présent contexte, la subsidiarité ne peut servir à justifier une décision de radiation. Dans le cas contraire, n’importe quelle autre raison pourrait être mise en avant pour justifier une radiation, et la Cour exercerait ainsi un pouvoir discrétionnaire illimité.

Pour ces raisons, je me vois contraint de marquer mon désaccord.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-166969
Date de la décision : 21/09/2016
Type d'affaire : radiation du rôle
Type de recours : Radiation du rôle (Article 37-1 - Radiation du rôle;Article 37-1-c - Poursuite de l'examen non justifiée)

Parties
Demandeurs : KHAN
Défendeurs : ALLEMAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GABSA E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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