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05/07/2016 | CEDH | N°001-165046

CEDH | CEDH, AFFAIRE JERONOVIČS c. LETTONIE, 2016, 001-165046


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE JERONOVIČS c. LETTONIE

(Requête no 44898/10)

ARRÊT

STRASBOURG

5 juillet 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Jeronovičs c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (Grande Chambre), siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Josep Casadevall,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Mark Villiger,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Kristina Par

dalos,
Paulo Pinto de Albuquerque,
André Potocki,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Johannes Silvis,
Krzysztof Wojtyczek,
Jon Fridrik Kjølbro, ju...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE JERONOVIČS c. LETTONIE

(Requête no 44898/10)

ARRÊT

STRASBOURG

5 juillet 2016

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Jeronovičs c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (Grande Chambre), siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Işıl Karakaş,
Josep Casadevall,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Mark Villiger,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Kristina Pardalos,
Paulo Pinto de Albuquerque,
André Potocki,
Paul Mahoney,
Aleš Pejchal,
Johannes Silvis,
Krzysztof Wojtyczek,
Jon Fridrik Kjølbro, juges,
Jautrīte Briede, juge ad hoc,

et de Lawrence Early, jurisconsulte,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 1er juillet 2015 et 9 mai 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 44898/10) dirigée contre la République de Lettonie et dont un ressortissant de cet État, M. Viktors Jeronovičs (« le requérant »), a saisi la Cour le 26 juillet 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me I. Nikuļceva, avocate à Riga. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme K. Līce, du ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier que le refus du procureur de rouvrir les deux procédures pénales visées par la déclaration unilatérale formulée par le Gouvernement dans le cadre de sa précédente requête (no 547/02) l’avait privé de tout recours effectif qui lui aurait permis de faire valoir ses allégations au regard des articles 3 et 13 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la deuxième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »).

Le 9 octobre 2012, une chambre de cette section composée de Danutė Jočienė, présidente, Ineta Ziemele, Dragoljub Popović, Işıl Karakaş, Guido Raimondi, Paulo Pinto de Albuquerque et Helen Keller, juges, ainsi que de Stanley Naismith, greffier de section, a décidé à la majorité, après examen de l’affaire, de communiquer au gouvernement défendeur les griefs tirés des articles 3 et 13 de la Convention concernant le défaut d’enquête effective sur les allégations de mauvais traitements présentées par le requérant ainsi que l’absence de recours effectif relativement à ces allégations, et de déclarer la requête irrecevable pour le surplus.

5. À la suite d’un changement dans la composition des sections de la Cour (article 25 § 1 du règlement), l’affaire a été attribuée à la quatrième section telle que remaniée (article 52 § 1 du règlement).

Le 3 février 2015, une chambre de cette section composée de Guido Raimondi, président, Päivi Hirvelä, George Nicolaou, Ledi Bianku, Zdravka Kalaydjieva, Paul Mahoney et Krzysztof Wojtyczek, juges, ainsi que de Françoise Elens-Passos, greffière de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement).

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. Ineta Ziemele, juge élue au titre de la Lettonie, s’étant déportée le 31 décembre 2014, le président de la Grande Chambre a désigné le 31 mars 2015 Mme Jautrīte Briede pour siéger à sa place en qualité de juge ad hoc (articles 26 § 4 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

Le 9 mai 2016, Jon Fridrik Kjølbro, suppléant, a remplacé Dean Spielmann, empêché (article 24 § 3 du règlement).

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

8. Par ailleurs, des observations ont été reçues de la Fondation Helsinki des droits de l’homme, organisation non gouvernementale basée à Varsovie (Pologne), que le président de la Grande Chambre avait autorisée à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

9. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 1er juillet 2015 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmesK. Līce,agente,
R. Rūse,conseil,
M.A. Mickevičs, conseiller ;

– pour le requérant
MmeI. Nikuļceva,conseil.

La Cour a entendu Mmes Līce et Nikuļceva en leurs déclarations.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10. Le requérant, né en 1962, est détenu à la prison de Daugavpils.

A. Le contexte factuel

11. Soupçonnés notamment de voies de fait aggravées sur la personne de P.M., le requérant et un autre individu, A. Vovruško, furent arrêtés par la police le 25 avril 1998.

12. Tous deux firent alors l’objet de poursuites pénales, tout au long desquelles ils clamèrent leur innocence.

13. Le 27 septembre 2000, la cour régionale de Rīga reconnut le requérant et son coaccusé coupables des faits qui leur étaient reprochés et les condamna respectivement à neuf et douze ans d’emprisonnement.

14. Le requérant se pourvut en cassation et demanda en vain l’autorisation d’assister à l’audience devant la Cour de cassation concernant son pourvoi.

15. À la suite de son interrogatoire au commissariat après son arrestation, le requérant se plaignit au parquet d’avoir été maltraité par des policiers, qui avaient tenté selon lui de lui extorquer des aveux (voir, pour une description détaillée des allégations similaires formulées par le coaccusé du requérant, Vovruško c. Lettonie, no 11065/02, 11 décembre 2012).

16. En conséquence, des poursuites pénales (affaire no 50207598) furent engagées contre les policiers concernés pour abus d’autorité. Le 19 mars 2001, l’enquêteur rattaché au commissariat de Riga (Rīgas rajona policijas pārvalde) mit un terme à ces poursuites pour insuffisance de preuves. Il estima notamment que les allégations du requérant étaient incohérentes et conclut que les blessures « légères » présentées par l’intéressé pouvaient avoir été causées lors de son arrestation.

B. La requête no 547/02 et la décision rendue par la Cour le 10 février 2009

17. Le 8 octobre 2001, le requérant saisit la Cour d’une requête (no 547/02). Invoquant l’article 3 de la Convention, il soutenait avoir été victime de mauvais traitements pendant l’enquête préliminaire et se plaignait du défaut d’enquête effective à cet égard. Il alléguait également des violations des articles 3 (conditions de détention à la suite de sa condamnation), 5 § 3 (durée de sa détention provisoire), 5 § 5 (absence de réparation), 6 § 1 (refus de l’autoriser à comparaître à l’audience devant la Cour de cassation et durée globale de la procédure pénale), et 6 § 1 combiné avec les articles 13 et 14 de la Convention (défaut d’assistance judiciaire). Sur le terrain de l’article 6 § 1, il arguait en outre que la procédure pénale ayant abouti à sa condamnation n’avait pas été équitable, ses aveux ayant été obtenus, d’après lui, au moyen de mauvais traitements contraires à l’article 3.

18. Le 22 février 2007, la Cour communiqua au Gouvernement les griefs relatifs, notamment, aux mauvais traitements prétendument subis par le requérant et au défaut d’enquête effective à cet égard.

19. Le 30 avril 2008, le Gouvernement soumit la déclaration unilatérale suivante :

« Le Gouvernement de la République de Lettonie (ci-après « le Gouvernement »), représenté par Inga Reine, [son] agente, reconnaît que le traitement physique infligé à Viktors Jeronovičs (ci-après « le requérant ») par des policiers, ainsi que l’effectivité de l’enquête sur les allégations de celui-ci à cet égard, l’accès à l’assistance judiciaire et à des recours effectifs pour demander réparation du préjudice subi, la durée de la procédure pénale [dirigée contre le requérant], ainsi que le défaut de recours effectif ne répondaient pas aux exigences des articles 3, [5 § 5,] [6 § 1,] 13 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après « la Convention »). Conscient de cette situation, le Gouvernement s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que pareilles violations ne se reproduisent à l’avenir et pour offrir un recours effectif.

Constatant que les parties ne sont pas parvenues à régler l’affaire à l’amiable, le Gouvernement se déclare prêt à verser au requérant, à titre gracieux, une indemnité globale de 4 500 EUR ([environ] 3 163 LVL), cette somme, exonérée d’impôt, couvrant tout dommage matériel et moral subi ainsi que les frais et dépens exposés par le requérant, en vue de mettre un terme à la procédure pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après « la Cour ») dans l’affaire Jeronovičs c. Lettonie (requête no 547/02).

(...)

Ce versement vaudra règlement définitif de l’affaire. »

20. Le 10 février 2009, une chambre de la troisième section de la Cour, à laquelle l’affaire avait été attribuée, adopta une décision dans laquelle elle prenait notamment acte des termes de la déclaration du gouvernement défendeur et, en vertu de l’article 37 § 1 de la Convention, rayait de son rôle les griefs évoqués dans la déclaration unilatérale. Les paragraphes pertinents de cette décision se lisent ainsi :

« 48. La Cour observe d’emblée que les parties ne sont pas parvenues à s’entendre sur les termes d’un règlement amiable de l’affaire. Elle rappelle toutefois qu’il y a lieu de distinguer entre, d’une part, les déclarations faites dans le cadre de négociations strictement confidentielles menées en vue d’un règlement amiable et, de l’autre, les déclarations unilatérales – comme celle dont il est question ici – formulées par un gouvernement défendeur au cours d’une procédure publique et contradictoire devant la Cour. Conformément à l’article 38 § 2 de la Convention et à l’article 62 § 2 de son règlement, la Cour prendra pour base la déclaration unilatérale du Gouvernement et les observations déposées par les parties hors du cadre des négociations en vue d’un règlement amiable, et fera abstraction des observations que les parties ont présentées au moment où étaient étudiées les possibilités d’un règlement amiable de l’affaire, ainsi que des raisons pour lesquelles les parties n’ont pu se mettre d’accord sur les termes de pareil règlement (Tahsin Acar c. Turquie (exception préliminaire) [GC], no 26307/95, § 74, CEDH 2003‑VI).

49. La Cour renvoie ensuite à l’article 37 § 1 de la Convention, dont les parties pertinentes se lisent ainsi :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

(...)

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

50. La Cour rappelle que, dans certaines circonstances, il peut être indiqué de rayer une requête du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale du gouvernement défendeur même si le requérant souhaite que l’examen de l’affaire se poursuive. Ce sont toujours les circonstances particulières de la cause qui permettent de déterminer si la déclaration unilatérale offre une base suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de l’affaire (voir Tahsin Acar, précité, § 75, ainsi que, par exemple, Van Houten c. Pays-Bas (radiation), no 25149/03, § 33, CEDH 2005‑IX, Syndicat suédois des employés des transports c. Suède (radiation), no 53507/99, § 24, 18 juillet 2006, Kalanyos et autres c. Roumanie, no 57884/00, § 25, 26 avril 2007, Kladivík et Kašiar c. Slovaquie (déc.) (radiation), no 41484/04, 28 août 2007, Sulwińska c. Pologne (déc.) (radiation), no 28953/03, 18 septembre 2007, Stark et autres c. Finlande (radiation), no 39559/02, § 23, 9 octobre 2007, Feldhaus c. Allemagne (déc.) (radiation), no 10583/02, 13 mai 2008 et Kapitonovs c. Lettonie (déc.) (radiation), no 16999/02, 24 juin 2008).

(...)

52. Quant aux mauvais traitements prétendument infligés au requérant en garde à vue et à l’effectivité des enquêtes menées, et même si, à ce jour, la Cour n’a pas encore constaté de violation de l’article 3 par la police lettonne dans ce contexte particulier, elle rappelle néanmoins qu’elle a élaboré une jurisprudence claire et très abondante sur ce point (voir, parmi beaucoup d’autres, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, §§ 95-106, CEDH 1999‑V, Dikme c. Turquie, no 20869/92, §§ 73-104, CEDH 2000‑VIII, et Karaduman et autres c. Turquie, no 8810/03, §§ 64-82, 17 juin 2008). Il en est de même quant aux principes régissant l’octroi de l’assistance judiciaire en tant qu’élément constitutif du droit d’accès aux tribunaux (voir, par exemple, Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, §§ 59-60, Recueil des arrêts et décisions 1998‑V, P., C. et S. c. Royaume-Uni, no 56547/00, §§ 88-91, CEDH 2002‑VI, Bertuzzi c. France, no 36378/97, §§ 23-32, CEDH 2003‑III, et Staroszczyk c. Pologne, no 59519/00, §§ 127-129, 22 mars 2007).

53. En l’espèce, dans sa déclaration, le Gouvernement reconnaît que le traitement du requérant par les agents de police lors de sa garde à vue, la manière dont les enquêtes ont été menées à ce sujet, le traitement de ses demandes d’indemnisation et notamment le rejet de ses demandes d’assistance judiciaire pour accéder à la procédure d’indemnisation, ainsi que la longueur des procédures pénales diligentées contre lui ont enfreint les articles 3, 5 § 5, 6 § 1, 13 et 14 de la Convention. Il propose de verser au requérant 4 500 EUR à titre de réparation et s’engage à prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éviter pareilles violations à l’avenir.

54. Compte tenu de la nature des engagements que renferme la déclaration du Gouvernement, la Cour estime qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen des griefs concernés. Cette décision ne préjuge en rien de la possibilité pour le requérant d’exercer, le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation. Il en va de même du grief tiré de l’article 2 du Protocole no 7 et identique en substance à celui formulé sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention et portant sur la durée de la procédure pénale en cause (paragraphe 38 in fine). La Cour est en outre convaincue que le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de cette partie de la requête (article 37 § 1 in fine).

55. Dès lors, il y a lieu de rayer l’affaire du rôle pour autant qu’il s’agit des griefs cités aux paragraphes 28, 37 et 38 de la présente décision. »

21. Dans la même décision, la Cour déclarait recevables les griefs du requérant relatifs à ses conditions de détention (article 3) et au refus de l’autoriser à comparaître à l’audience devant la Cour de cassation (article 6), et rejetait tous les autres griefs, notamment l’allégation concernant le manque d’équité de la procédure à raison de l’admission de ses aveux prétendument recueillis sous la contrainte (article 6). Sur ce dernier point, elle s’exprimait ainsi :

« 39. Invoquant les articles 6 §§ 1 et 2, 7 et 14 de la Convention, le requérant se plaint du caractère généralement inéquitable de sa condamnation pour le vol à main armée prétendument commis en avril 1998. Il soutient à cet égard que des aveux lui avaient été extorqués par la force et que les tribunaux ont rejeté plusieurs demandes de confrontation qu’il leur avait présentées. Enfin, le requérant estime avoir été condamné uniquement en raison de son origine ethnique et sociale, ainsi qu’à cause de ses condamnations antérieures.

(...)

84. Compte tenu de l’ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle est compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour ne relève aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par les dispositions invoquées par le requérant. En particulier, elle tient à rappeler qu’elle n’est pas compétente pour connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (voir, parmi beaucoup d’autres, Khan c. Royaume-Uni, no 35394/97, § 34, CEDH 2000‑V).

85. Il s’ensuit que ces griefs sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 et 4 de la Convention. »

22. Le 1er décembre 2009, la Cour adopta un arrêt – Jeronovičs c. Lettonie (no 547/02) – dans lequel elle constatait une violation de l’article 3 de la Convention (conditions de détention) et de l’article 6 § 1 (refus d’autoriser le requérant à comparaître à l’audience devant la Cour de Cassation), et octroyait à l’intéressé 5 000 euros (EUR) à titre de réparation du dommage moral découlant de la violation de l’article 3.

C. La procédure menée ultérieurement devant les autorités lettones en vue de la réouverture des poursuites pénales

23. Le 11 octobre 2010, le requérant demanda au parquet de rouvrir la procédure pénale à l’issue de laquelle il avait été condamné (paragraphe 13 ci-dessus) ainsi que celle portant sur ses allégations de mauvais traitements de la part de policiers (paragraphe 16 ci-dessus). Il se fondait sur les termes de la déclaration unilatérale soumise par le Gouvernement le 30 avril 2008 et sur les articles 655 § 3, 656 § 3 et 657 de la loi sur la procédure pénale (paragraphes 28 à 31 ci-dessous).

24. Le 17 novembre 2010, une procureure près la cour régionale de Riga rejeta la demande du requérant, estimant qu’aucun des motifs de réouverture d’une procédure pénale énumérés à l’article 655 § 2 de la loi sur la procédure pénale ne trouvait à s’appliquer. Elle formula les considérations suivantes :

« (...) L’affaire Jeronovičs c. Lettonie (requête no 547/02) a donné lieu à une déclaration unilatérale du Gouvernement, dont les conclusions sont applicables uniquement aux circonstances et aux faits examinés dans le cadre de ladite requête. On ne saurait déduire de l’arrêt adopté le 1er décembre 2009 par la Cour européenne des droits de l’homme que celle-ci a examiné et apprécié les actes des forces de l’ordre pendant la phase d’enquête préliminaire de la procédure pénale. (...) En conséquence, les conclusions [auxquelles est parvenue la Cour] dans l’arrêt du 1er décembre 2009 et la déclaration unilatérale émise par le Gouvernement le 30 avril 2008 ne sont ni applicables ni liées aux poursuites pénales (...) ».

25. Le 9 décembre 2010, le requérant introduisit un recours dans lequel il soutenait de nouveau qu’il existait une base légale permettant de rouvrir la procédure pénale relative aux mauvais traitements subis par lui. Il arguait que le Gouvernement, dans sa déclaration unilatérale, avait expressément reconnu la violation de l’article 3 de la Convention, ce qui, selon lui, avait conduit la Cour à rayer ce grief du rôle. Il ajoutait qu’au moment de l’examen de son affaire pénale par les tribunaux internes, les autorités judiciaires ignoraient que l’enquête menée dans ladite affaire n’était pas conforme à l’article 3.

26. Par une décision définitive du 20 décembre 2010, un procureur de rang supérieur confirma la décision du 17 novembre 2010. Il relevait qu’aux termes de l’article 655 § 2 de la loi sur la procédure pénale, seules les procédures pénales ayant abouti à un jugement ou une décision judiciaire valable pouvaient être rouvertes, sous réserve que la réouverture fût sollicitée pour un des motifs énumérés dans cette disposition. Il continuait ainsi :

« Eu égard à ce qui précède, j’estime que la conclusion de la procureure dans sa décision du 17 novembre 2010 est valable et bien fondée, dans le sens où votre demande du 11 octobre 2010 par laquelle vous sollicitez la réouverture des poursuites pénales dans les affaires nos 06725198 et 50207598 sur la base de faits nouveaux ne répond à aucune des conditions prescrites par l’article 655 § 2 de la loi sur la procédure pénale, qui pourraient justifier la réouverture des poursuites pénales susmentionnées. La procureure n’a pas établi l’existence de pareilles conditions lors de l’examen de votre demande, ce qui explique pourquoi je juge raisonnable sa décision de refuser la réouverture des poursuites pénales dans les affaires nos 06725198 et 50207598 sur la base d’éléments nouveaux.

Comme mentionné plus haut, la loi sur la procédure pénale énumère en détail toutes les circonstances qui sont reconnues comme des éléments nouveaux et sur la base desquelles les poursuites pénales ayant abouti à un jugement ou à une décision judiciaire valable peuvent être rouvertes. La loi sur la procédure pénale ne prévoit pas que ces circonstances puissent être étendues. Or, l’examen de votre demande ne m’a pas permis d’établir l’existence d’un des éléments nouveaux prescrits par l’article 655 § 2 de la loi sur la procédure pénale. De même, je n’ai trouvé aucun avis d’une autorité judiciaire internationale concernant la décision du tribunal letton dans l’affaire no 50207598 et énonçant que le jugement de la chambre pénale de la cour régionale de Riga, prononcé le 27 septembre 2000, n’était pas conforme à des dispositions ou règles internationales contraignantes pour la Lettonie. La Cour européenne des droits de l’homme n’a pas exprimé un tel avis dans son arrêt du 1er décembre 2009 ni dans sa décision du 10 février 2009, dans lesquels cette juridiction internationale a examiné votre requête. Je me dois également de souligner que, contrairement à ce que vous alléguez, la Cour européenne des droits de l’homme, dans sa décision du 10 février 2009, a déclaré que, lorsqu’elle a adopté sa décision concernant les traitements inhumains que vous auraient fait subir des policiers pendant l’enquête pénale, elle n’a constaté aucune violation des dispositions ou règles internationales.

Dans votre demande, vous estimez que les poursuites pénales dans les affaires nos 06725198 et 50207598 devraient être rouvertes eu égard à la déclaration unilatérale du gouvernement letton soumise par l’agente de ce gouvernement le 30 avril 2008 et dans laquelle il a reconnu que le traitement physique infligé à Viktors Jeronovičs par des policiers, ainsi que l’effectivité de l’enquête sur les allégations du requérant à cet égard, l’accès à l’assistance judiciaire et à des recours effectifs pour demander réparation du préjudice subi, la durée de la procédure pénale [dirigée contre le requérant], ainsi que le défaut de recours effectif ne répondaient pas aux exigences des articles 3, 5 § 5, 6 § 1, 13 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il convient de préciser que, selon l’article 655 § 2 de la loi sur la procédure pénale, la déclaration unilatérale susmentionnée du gouvernement letton n’est pas reconnue comme un élément nouveau et ne saurait donc passer pour un motif de réouverture des poursuites pénales dans les affaires nos 06725198 et 50207598.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je ne vois aucune raison d’annuler la décision [...] du 17 novembre 2010 concernant le refus de rouvrir les poursuites pénales à la lumière d’éléments nouveaux. (...) »

II. LE DROIT ET LES DOCUMENTS INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit interne pertinent

1. Les dispositions pertinentes de la loi sur la procédure pénale

27. L’article 393, qui figure sous le Titre 7 régissant la procédure pénale antérieure au procès, prévoit la réouverture d’une procédure ou de poursuites pénales clôturées. Il se lit ainsi :

« 1. Les personnes habilitées par la loi peuvent rouvrir une procédure ou des poursuites pénales clôturées qui avaient été dirigées contre un particulier en annulant la décision de mettre un terme aux procédures ou poursuites en question, s’il est établi que cette décision a été prise en l’absence de motifs légitimes, ou si sont mis au jour des éléments nouveaux qui n’étaient pas connus de la personne en charge de la procédure au moment où la décision a été prise et qui ont eu une influence notable sur la prise de cette décision.

2. La phase antérieure au procès d’une procédure pénale ou des poursuites pénales peuvent être rouvertes sous réserve que les faits ne soient pas prescrits. »

28. Les articles 655 à 657 font partie du Titre 13, qui porte sur l’examen de jugements et décisions judiciaires passés en force de chose jugée.

29. L’article 655 expose les motifs pouvant justifier la réouverture d’une procédure pénale clôturée sur la base d’éléments nouveaux :

« 1) Une procédure pénale ayant abouti à un jugement ou une décision judiciaire valable peut être rouverte sur la base d’éléments nouveaux.

2) Les circonstances suivantes sont admises comme des éléments nouveaux :

1. le fait qu’un tribunal établisse par un jugement valable qu’un faux témoignage sciemment livré par une victime ou un témoin, des conclusions ou une traduction inexactes délibérément produites par un expert, des preuves matérielles, décisions, procès-verbaux d’enquête ou de procédures judiciaires, ou autres éléments falsifiés ont abouti au prononcé d’une décision de justice illégale ;

2. le fait qu’un tribunal établisse par un jugement valable qu’un dol commis par un juge, un procureur ou un enquêteur a abouti au prononcé d’une décision de justice illégale ;

3. d’autres éléments qui n’étaient pas connus du tribunal lorsqu’il a rendu sa décision, et qui, seuls ou combinés avec d’autres circonstances déjà établies, indiquent qu’une personne n’est pas coupable ou a commis une infraction pénale moins grave ou plus grave que celle pour laquelle elle a été condamnée, ou qui prouvent la culpabilité d’une personne qui a été acquittée ou à l’égard de laquelle les poursuites pénales ont été clôturées ;

4. des constatations ou une interprétation de la Cour constitutionnelle concernant la non-conformité avec la Constitution de dispositions légales sur la base desquelles un jugement ou une décision est passé en force de chose jugée ;

5. un constat d’une autorité judiciaire internationale selon lequel un jugement ou une décision rendu par une juridiction lettone et passé en force de chose jugée n’est pas conforme à des dispositions ou des règles internationales contraignantes pour la Lettonie.

3) si le prononcé d’un jugement est impossible en raison de l’expiration d’un délai de prescription, l’adoption d’une loi d’amnistie, d’une mesure de clémence ou du décès d’un accusé, l’existence d’éléments nouveaux évoqués au paragraphe 2, alinéa 1 et 2 du présent article, doit être établie dans le cadre d’une enquête, qui doit être menée conformément aux procédures prévues par le présent article.

(...) ».

30. D’après l’article 656 § 1, il n’est possible de statuer à nouveau sur une décision d’acquittement ou une décision de justice mettant un terme à une procédure pénale que pendant le délai de prescription pénale fixé par la loi sur la procédure pénale, et au plus tard dans l’année qui suit la date à laquelle les éléments nouveaux ont été établis.

31. En vertu de l’article 657, le procureur a la faculté de rouvrir une procédure pénale sur la base d’éléments nouveaux. S’il refuse de le faire, il doit motiver son refus et informer le demandeur en conséquence en lui envoyant une copie de sa décision et en lui précisant qu’il peut la contester dans un délai de dix jours à compter de sa réception devant un procureur de rang supérieur dont la décision est insusceptible de recours.

2. Les dispositions pertinentes de la loi sur le parquet (Prokuratūras likums)

32. L’article 16 de cette loi est ainsi libellé :

« 1) Après avoir reçu des informations relatives à une violation de la loi, le procureur doit effectuer une enquête conformément aux modalités définies par la loi, lorsque :

i. les informations ont trait à un crime ;

(...)

2) Le procureur a l’obligation de prendre les mesures nécessaires à la protection des droits et des intérêts légitimes des personnes et de l’État, lorsque :

i) le procureur général ou un procureur en chef reconnaît la nécessité d’une telle enquête ; (...)

ii) pareille obligation est prévue par d’autres lois (...)

3) De même, le procureur effectue une enquête lorsqu’il est saisi par une personne alléguant une violation de ses droits ou de ses intérêts légitimes, que cette allégation a déjà été examinée par une autorité publique compétente, qui a refusé de remédier à la violation alléguée ou n’a donné aucune réponse dans le délai fixé par la loi. (...) »

33. L’article 17 décrit les pouvoirs du procureur dans le cadre de l’examen de demandes :

« 1) Lorsqu’il examine une demande conformément à la loi, le procureur est habilité à :

i. demander aux autorités administratives et obtenir d’elles des actes normatifs, des documents et d’autres informations (...), et entrer librement dans les locaux de ces autorités ;

ii. enjoindre aux chefs et autres responsables d’institutions et d’organisations (...) d’effectuer des vérifications, des audits et des expertises, et de soumettre des avis, ainsi que de fournir l’aide de spécialistes dans le cadre des enquêtes menées par le procureur ;

iii. convoquer une personne et l’inviter à s’expliquer sur la violation de la loi. (...)

2) Lorsqu’il constate une violation de la loi, et en fonction de la nature de cette violation, le procureur a l’obligation :

(...)

iii. de saisir le tribunal ;

iv. d’ouvrir une enquête pénale ; ou

v. de procéder à l’ouverture de poursuites administratives ou disciplinaires. »

B. La Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)

34. L’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, se lit ainsi :

« Droit interne et respect des traités

Une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité. Cette règle est sans préjudice de l’article 46. »

C. Documents pertinents du Conseil de l’Europe

35. La Recommandation no R(2000)2 du Comité des Ministres aux États membres sur le réexamen ou la réouverture de certaines affaires au niveau interne suite à des arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme se lit ainsi :

« Le Comité des Ministres, en vertu de l’article 15.b du Statut du Conseil de l’Europe,

Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres ;

Eu égard à la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (ci-après « la Convention ») ;

Notant que, sur la base de l’article 46 de la Convention, les Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour ») dans les litiges auxquels elles sont parties et que le Comité des Ministres en surveille l’exécution ;

Ayant à l’esprit que, dans certaines circonstances, l’engagement susmentionné peut impliquer l’adoption de mesures, autres que la satisfaction équitable accordée par la Cour conformément à l’article 41 de la Convention et / ou des mesures générales, afin que la partie lésée se retrouve, dans la mesure du possible, dans la situation où elle était avant la violation de la Convention (restitutio in integrum) ;

Prenant note du fait qu’il appartient aux autorités compétentes de l’État défendeur de déterminer quelles mesures sont les plus appropriées pour réaliser la restitutio in integrum, en tenant compte des moyens disponibles dans le système juridique national ;

Ayant toutefois à l’esprit que – ainsi que le montre la pratique du Comité des Ministres relative au contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour – il y a des circonstances exceptionnelles dans lesquelles le réexamen d’une affaire ou la réouverture d’une procédure s’est avéré être le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum ;

I. Invite, à la lumière de ces considérations, les Parties contractantes à s’assurer qu’il existe au niveau interne des possibilités adéquates de réaliser, dans la mesure du possible, la restitutio in integrum ;

II. Encourage notamment les Parties contractantes à examiner leurs systèmes juridiques nationaux en vue de s’assurer qu’il existe des possibilités appropriées pour le réexamen d’une affaire, y compris la réouverture d’une procédure, dans les cas où la Cour a constaté une violation de la Convention, en particulier lorsque :

i) la partie lésée continue de souffrir des conséquences négatives très graves à la suite de la décision nationale, conséquences qui ne peuvent être compensées par la satisfaction équitable et qui ne peuvent être modifiées que par le réexamen ou la réouverture, et

ii) il résulte de l’arrêt de la Cour que

a) la décision interne attaquée est contraire sur le fond à la Convention, ou

b) la violation constatée est causée par des erreurs ou défaillances de procédure d’une gravité telle qu’un doute sérieux est jeté sur le résultat de la procédure interne attaquée. »

36. L’exposé des motifs de la Recommandation no R(2000)2 du Comité des Ministres contient notamment les observations suivantes :

« (...)

10. La pratique des organes de la Convention a démontré que c’est principalement dans le domaine du droit pénal que le réexamen des affaires, y compris la réouverture des procédures, a la plus grande importance. La recommandation n’est cependant pas limitée au droit pénal, mais vise toutes les catégories d’affaires, en particulier celles qui satisfont aux critères énumérés dans les sous-paragraphes (i) et (ii). Le but de ces critères additionnels est d’identifier les situations exceptionnelles dans lesquelles l’objectif de garantir les droits de l’individu et la mise en œuvre effective des arrêts de la Cour l’emporte sur les principes qui sous-tendent la doctrine de la res judicata, en particulier celui de la sécurité juridique, nonobstant l’importance indéniable de ces principes.

11. Le sous- paragraphe (i) vise à couvrir la situation dans laquelle la partie lésée continue à endurer des conséquences négatives très graves, qui ne peuvent être réparées par la satisfaction équitable, à la suite de procédures nationales. Tel est le cas en particulier des personnes qui ont été condamnées à de très longues peines de prison et qui sont toujours en prison lorsque les organes de la Convention examinent leurs affaires. (...)

(...) Comme illustration des situations visées sous le point (b), on peut mentionner le cas où la partie lésée n’a pas eu le temps ou les facilités pour préparer sa défense dans des procédures pénales, ou bien le cas où la condamnation se fonde sur des déclarations extorquées sous la torture (...) ».

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 3 ET 13 DE LA CONVENTION

37. Le requérant se plaint de ce que, alors même que, dans sa décision rendue le 10 février 2009 dans l’affaire Jeronovičs c. Lettonie (no 547/02), la Cour a accepté la déclaration unilatérale du Gouvernement dans laquelle celui-ci reconnaissait diverses violations des droits de l’intéressé découlant de la Convention, y compris les mauvais traitements infligés par des policiers, le parquet ait refusé de rouvrir les deux procédures relatives à cette affaire. Ce refus l’aurait privé de tout recours relativement à ses allégations au regard des articles 3 et 13, lesquels se lisent ainsi :

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Article 13

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Portée de l’examen de la Cour

38. La Cour relève tout d’abord que le requérant, dans ses observations, se plaignait du refus des autorités de rouvrir la procédure pénale ayant conduit à sa condamnation, et que le Gouvernement lui avait répondu sur ce point. Elle rappelle toutefois avoir rejeté ce grief dans sa décision du 9 octobre 2012 (paragraphe 4 ci-dessus).

La Cour appréciera donc uniquement les faits relatifs aux griefs que le requérant tire des articles 3 et 13 en ce qui concerne le refus des autorités nationales de rouvrir l’enquête pénale sur ses allégations de mauvais traitements par des policiers.

B. Sur la recevabilité

39. La Cour constate que le Gouvernement a soulevé un certain nombre d’exceptions d’irrecevabilité de la présente requête. Il soutient que les griefs du requérant sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention, que celui-ci n’a pas épuisé les voies de recours dont il disposait en droit interne, qu’il n’a pas introduit sa requête dans le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention et qu’il n’a pas la qualité de victime.

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

i. Compatibilité des griefs avec la Convention

40. Le Gouvernement soutient que les griefs du requérant sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention. En effet, selon lui, celle-ci ne confère pas en tant que tel un droit de faire poursuivre ou condamner pénalement des tiers, ni ne garantit un droit exécutoire à obtenir la réouverture de poursuites pénales auxquelles il a été mis un terme. D’après lui, toute interprétation contraire irait à l’encontre des principes de sécurité juridique et de subsidiarité.

41. Le Gouvernement considère que le volet procédural de l’article 3 n’exige pas la réouverture d’une procédure lorsque la Cour a conclu à la violation de cette disposition. Il indique que le grief tiré par le requérant de l’article 6 de la Convention a été déclaré irrecevable et qu’en l’espèce, contrairement à l’affaire Cēsnieks c. Lettonie ((déc.), no 9278/06, 6 mars 2012), aucune question ne se pose donc quant à l’impact des mauvais traitements infligés à l’intéressé sur l’équité de la procédure pénale dirigée contre lui.

42. Le Gouvernement admet que, dans certaines circonstances, la Cour a indiqué que le réexamen d’une affaire ou la réouverture d’une procédure constituerait le moyen le plus efficace, voire le seul, pour réaliser la restitutio in integrum. Il ajoute toutefois que la majorité des affaires dans lesquelles la Cour a, selon lui, reconnu qu’un nouveau procès ou que la réouverture d’une instance serait un moyen approprié de redresser la violation constatée avaient pour objet des procédures entachées de manquements aux exigences de l’article 6 de la Convention et déterminantes pour le requérant concerné (il renvoie aux affaires Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 89, CEDH 2009 et Davydov c. Russie, no 18967/07, § 27, 30 octobre 2014). Il estime en outre que, contrairement, par exemple, à l’octroi d’une satisfaction équitable, la réouverture d’une procédure est une mesure à utiliser dans des cas exceptionnels, eu égard aux droits des tiers et au principe de la res judicata.

Par ailleurs, en ce qui concerne les affaires pénales, il indique que la réouverture d’une affaire pourrait s’avérer problématique en conséquence de l’écoulement du temps et de la perte d’éléments de preuve en résultant.

43. Le Gouvernement considère que la Recommandation no R(2000)2 du Comité des Ministres (paragraphe 35 ci-dessus), bien que selon lui elle ne trouve pas directement à s’appliquer en l’espèce, comporte des dispositions qui énoncent les motifs de réouverture de procédures et qui pourraient être utilisées à titre indicatif en l’espèce. Cependant, estimant qu’une telle mesure revêt un caractère exceptionnel et qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles en l’espèce, il conclut que le requérant ne pouvait pas revendiquer un droit à obtenir la réouverture de la procédure pénale concernant ses allégations de mauvais traitements.

44. Le Gouvernement ajoute que la déclaration unilatérale qu’il a faite dans le cadre de la requête no 547/02 n’a pas donné lieu à une obligation de rouvrir la procédure dirigée contre les policiers impliqués. Rien dans la déclaration unilatérale ne donnerait à croire qu’il comptait assurer une telle obligation. De plus, la décision de la Cour elle-même n’exigerait pas la réouverture de l’enquête contre les policiers. La seule réparation offerte au requérant par le Gouvernement dans sa déclaration unilatérale, telle qu’acceptée par la Cour, aurait été le versement d’une indemnité. Selon le Gouvernement, la déclaration énonçait clairement que pareil versement vaudrait règlement définitif de l’affaire.

45. Le Gouvernement estime par ailleurs que sa déclaration unilatérale respecte pleinement les critères définis par la Cour dans l’affaire Tahsin Acar c. Turquie (exceptions préliminaires) ([GC], no 26307/95, §§ 75-77, CEDH 2003‑VI).

46. Enfin, il considère qu’aucune obligation de rouvrir la procédure pénale contre les policiers ne découle de la décision prise par la Cour le 10 février 2009. Il soutient en effet que cette décision ne contient aucun fait nouveau ni aucune preuve supplémentaire de nature à contribuer au redressement des lacunes de l’enquête et ne peut donc en soi passer pour un élément nouveau au sens des dispositions pertinentes du droit interne (paragraphes 29 et 31 ci-dessus).

ii. Les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes et de non‑respect de la règle des six mois

47. Le Gouvernement plaide, d’une part, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes dont il disposait, expliquant qu’il aurait pu demander réparation aux auteurs des mauvais traitements en vertu des articles 1635 et 1779 du code civil. Il argue que l’issue des poursuites pénales auxquelles il a été mis un terme était certes pertinente, mais n’était pas en soi déterminante pour l’issue de l’instance civile et que ces poursuites étaient donc indépendantes de toute procédure civile. Il invoque à cet égard l’affaire Y c. Lettonie (no 61183/08, § 71, 21 octobre 2014), ainsi que la jurisprudence interne, notamment un arrêt rendu le 31 octobre 2012 par la cour régionale de Riga, par lequel celle-ci aurait octroyé au demandeur une indemnité d’un montant de 1 420 EUR environ pour les mauvais traitements infligés par des policiers.

48. Le Gouvernement estime, d’autre part, que la demande de réouverture de la procédure présentée par le requérant en vertu des articles 393 et 655 à 657 de la loi sur la procédure pénale ne constituait pas un recours effectif et ne doit donc pas être prise en compte dans le calcul du délai de six mois.

Plus précisément, s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour telle qu’établie dans l’affaire H. c. Islande (déc.) (no 29785/07, 27 septembre 2011), il soutient que la demande de réouverture présentée par le requérant se fondait sur la déclaration unilatérale rendue dans son affaire et que les dispositions internes invoquées par celui-ci – à savoir les articles 393 et 655 à 657 de la loi sur la procédure pénale –, bien que constituant en règle générale la base légale de toute réouverture de procédure selon le Gouvernement, ne sont donc pas appropriées en l’espèce. Il considère que l’article 393 est intrinsèquement lié à l’article 655, l’article 655 § 2, alinéa 3, renvoyant d’après lui à la définition des « éléments nouveaux », c’est‑à‑dire des éléments qui n’étaient pas connus du tribunal ou du procureur lorsqu’ils ont rendu leur décision, et qui, seuls ou combinés avec d’autres circonstances déjà établies, indiquent qu’une personne n’est pas coupable ou a commis une infraction pénale moins grave ou plus grave que celle pour laquelle elle a été condamnée (paragraphe 29 ci-dessus). Or, le Gouvernement estime que ni la déclaration unilatérale soumise dans l’affaire no 547/02, invoquée par le requérant pour obtenir la réouverture de l’enquête, ni la décision de radiation rendue par la Cour le 10 février 2009 ne peuvent être considérées comme des éléments nouveaux. En effet, selon lui, elles ne contiennent aucune information ou circonstance nouvelle qui présenterait un intérêt pour l’enquête sur les mauvais traitements que le requérant aurait subis, et qui seraient donc de nature à remédier aux lacunes de cette enquête.

Le Gouvernement conclut de ce qui précède que le requérant ne peut passer pour avoir respecté le délai de six mois prévu par l’article 35 de la Convention, la requête ayant, selon lui, été introduite le 26 juillet 2010, soit plus de six mois après la fin de la procédure pénale litigieuse.

iii. Perte de la qualité de victime

49. Le Gouvernement estime que le requérant ne peut plus se prétendre victime d’une violation de ses droits découlant des articles 3 et 13 de la Convention. Il indique avoir reconnu les violations desdits articles dans la déclaration unilatérale acceptée par la Cour dans sa décision du 10 février 2009 et avoir versé une indemnité de 4 500 EUR, ce qui assurerait une réparation adéquate des violations reconnues dans la déclaration unilatérale.

b) Le requérant

i. Compatibilité des griefs avec la Convention

50. Le requérant considère que, malgré la reconnaissance de la violation de ses droits découlant de l’article 3 et le versement d’une indemnité, le gouvernement letton se trouve dans l’obligation de redresser ladite violation pour autant qu’il en a la possibilité en pratique. Pour lui, le fait que la Convention ne prévoit pas de mécanisme permettant de surveiller l’exécution d’une décision de radiation rendue par la Cour (sauf dans les cas où celle-ci alloue une indemnité au titre des dépens) ne signifie pas qu’une décision de radiation rendue à la suite d’une déclaration unilatérale échappe à tout contrôle du Conseil de l’Europe. Le requérant argue que les articles 1, 19 et 32 de la Convention ainsi que l’esprit général même de celle-ci appellent une interprétation en ce sens. D’après lui, il serait contraire à l’essence même de la Convention de considérer qu’un État a l’obligation juridique de mettre un terme à une violation de la Convention et d’en réparer les conséquences uniquement dans les cas où la Cour a adopté un arrêt et non dans les situations où l’État a lui-même reconnu avoir porté atteinte aux droits du requérant dans une déclaration unilatérale. Pour le requérant, il ne faudrait pas laisser à un gouvernement défendeur la latitude de redresser ou non la violation des droits du requérant.

51. Le requérant estime que, lorsque la Cour prend note d’une déclaration unilatérale soumise par le Gouvernement et raye la requête du rôle contre le gré du requérant, le Gouvernement doit garantir que des mesures individuelles seront prises pour réparer le manquement aux droits de l’intéressé. Dans sa déclaration unilatérale, le Gouvernement aurait pris l’engagement « d’offrir un recours effectif ».

Pour le requérant, la réouverture des poursuites pénales dans l’affaire no 50207598 concernant les mauvais traitements que des policiers lui ont infligés constitue le seul recours susceptible de remédier aux conséquences de la décision de mettre fin aux poursuites pénales contre les policiers concernés, de mettre en jeu la responsabilité de ces policiers et de garantir qu’ils soient sanctionnés.

52. Le requérant invoque également le paragraphe 54 de la décision du 10 février 2009 (requête no 547/02), rayant du rôle les griefs du requérant relatifs à des mauvais traitements et à un défaut d’enquête effective, dans lequel la Cour a dit : « Cette décision ne préjuge en rien de la possibilité pour le requérant d’exercer, le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation » (« That decision is without prejudice to the possibility for the applicant to exercise any other available remedies in order to obtain redress »).

Le requérant ajoute que le libellé de la déclaration unilatérale soumise dans le cadre de la requête no 547/02 a donné à la Cour des raisons de penser que le Gouvernement offrirait un recours effectif non seulement en versant l’indemnité mentionnée dans la déclaration, mais également en conduisant une enquête effective sur le grief relatif à des mauvais traitements infligés par des policiers. La Cour serait partie de cette hypothèse et aurait donc jugé inutile de poursuivre l’examen de cette partie de la requête.

53. Pour le requérant, la jurisprudence de la Cour concernant le choix laissé à l’État quant aux moyens par lesquels il s’acquitte des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 46 de la Convention doit s’appliquer mutatis mutandis aux obligations de l’État relativement à l’exécution d’une décision de radiation suivant une déclaration unilatérale (le requérant renvoie aux arrêts Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos 39221/98 et 41963/98, § 249, CEDH 2000‑VIII, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 194, CEDH 2004‑V, Assanidzé c. Géorgie [GC], no 71503/01, §§ 202-203, CEDH 2004‑II, Del Río Prada c. Espagne [GC], no 42750/09, § 138, CEDH 2013, Fatullayev c. Azerbaïdjan, no 40984/07, §§ 176-177, 22 avril 2010, et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 208, CEDH 2013).

54. D’après le requérant, cela vaut également en l’espèce, considérant en particulier que la Cour a conclu à la violation de l’article 3 quant aux allégations similaires de mauvais traitements et d’ineffectivité de l’enquête interne formulées par son coaccusé dans le cadre de la procédure pénale interne (Vovruško c. Lettonie, no 11065/02, 11 décembre 2012). La décision du 19 mars 2011 abandonnant les poursuites contre les policiers concernerait tant le requérant que M. Vovruško. Le requérant soutient qu’en juger autrement reviendrait à le traiter différemment de M. Vovruško, alors qu’ils se trouvent tous deux dans une situation analogue quant aux mauvais traitements subis par eux et au défaut d’enquête effective. Le requérant indique à cet égard que, sur la base de l’arrêt rendu par la Cour dans le cadre de la requête de M. Vovruško, celui-ci s’est vu reconnaître, en vertu de l’article 655 § 2, alinéa 5, de la loi sur la procédure pénale, le droit d’obtenir la réouverture de la procédure pénale contre les policiers qui les auraient tous deux maltraités.

55. Tout en admettant que la restitutio in integrum ne s’impose pas dans tous les cas, le requérant estime que le gouvernement letton doit choisir des moyens de redressement à la fois efficaces et de nature à remédier au manquement constaté. D’après lui, le Gouvernement doit prendre des mesures tant générales qu’individuelles pour mettre un terme aux violations qu’il a reconnues dans la déclaration unilatérale. Il incomberait à la Cour d’examiner si, eu égard à la nature de la violation, le gouvernement défendeur avait un autre choix que la réouverture de l’enquête visant les policiers responsables.

56. En outre, le Gouvernement n’aurait jamais laissé entendre qu’il existait un autre mécanisme permettant d’enquêter sur les griefs du requérant.

57. Selon le requérant, il convient d’interpréter les dispositions pertinentes de la loi sur la procédure pénale, en particulier son article 655, comme prévoyant la réouverture d’une procédure pénale à la suite d’une décision de radiation rendue par la Cour sur le fondement d’une déclaration unilatérale du Gouvernement.

58. Le requérant ajoute que le principe de sécurité juridique ne devrait pas empêcher le Gouvernement de rouvrir l’enquête.

Les autorités lettonnes n’auraient jamais examiné le fond des griefs du requérant et n’auraient jamais été en mesure de trouver le juste équilibre entre la nécessité de garantir la restitutio in integrum et l’exigence de sécurité juridique. Tout en reconnaissant que l’obligation de sécurité juridique peut prévaloir sur la nécessité de garantir la restitutio in integrum, le requérant considère que l’État avait néanmoins l’obligation de ménager un équilibre entre ces deux exigences lorsqu’il a examiné sa demande de réouverture de la procédure pénale contre les policiers concernés.

59. La Cour aurait quoi qu’il en soit compétence pour apprécier si les actions ou l’inaction d’un gouvernement sont contraires à l’une ou l’autre des dispositions de la Convention. Pour le requérant, le refus d’enquêter sur ses griefs a conduit à une situation dans laquelle l’interdiction consacrée par l’article 3 a perdu toute effectivité en pratique. Par ailleurs, le requérant soutient que son grief selon lequel il n’a disposé d’aucun recours effectif devant une autorité nationale qui lui eût permis d’obtenir réparation des conséquences de la violation de ses droits doit être examiné sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

ii. Les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes et de non‑respect de la règle des six mois

60. Le requérant demande à la Cour de rejeter ces exceptions.

En premier lieu, il indique qu’il ne cherche pas à être indemnisé, mais qu’il souhaite obtenir la réouverture des poursuites pénales contre les policiers qui lui ont infligé des mauvais traitements. À cet égard, il soutient que la réouverture de la procédure est le seul moyen susceptible de lui donner la possibilité de faire établir la responsabilité des policiers impliqués et de les faire sanctionner. Il ajoute que le Gouvernement n’a jamais avancé qu’il existait d’autres mécanismes permettant l’ouverture d’une enquête sur ses griefs.

Le requérant estime donc avoir épuisé les recours dont il disposait en théorie, à savoir une demande de réouverture en vertu des articles 655 et 657 de la loi sur la procédure pénale. Toutefois, ce recours se serait avéré ineffectif, eu égard à l’interprétation donnée par le parquet. À cet égard, le requérant critique l’approche formaliste adoptée par le procureur pour rejeter sa demande de réouverture, et déclare que l’article 655 § 2, alinéa 5, devrait être interprété à la lumière du principe général figurant à l’article 655 § 3 et devrait donc passer pour prévoir la réouverture des poursuites pénales.

61. Le requérant argue que, pour les raisons exposées ci-dessus, la situation en l’espèce est totalement différente de celle en cause dans l’affaire H. c. Islande (précitée). En l’espèce, la réouverture des procédures pénales en vertu des articles 655 à 657 devrait être considérée non pas comme « un recours extraordinaire » (le requérant renvoie à l’affaire Withey c. Royaume-Uni (déc.), no 59493/00, CEDH 2003‑X), mais en fait comme le seul moyen pour lui d’obtenir réparation pour la violation de ses droits consacrés par l’article 3 de la Convention.

62. Dès lors, le requérant estime qu’aux fins de la présente requête il convient de prendre en compte sa demande de réouverture des poursuites pénales, qui avait été rejetée par une décision définitive du 20 décembre 2010. Il en conclut qu’il a présenté sa requête dans le délai de six mois requis par l’article 35 de la Convention.

iii. La perte de la qualité de victime

63. Le requérant se prétend victime d’une violation des articles 3 et 13 de la Convention, le versement d’une indemnité par le Gouvernement à la suite de la déclaration unilatérale ne représentant pas, selon lui, une réparation adéquate pour les violations reconnues dans ladite déclaration. Il n’aurait jamais bénéficié d’un recours individuel, sous la forme d’une enquête sur ses allégations de mauvais traitements, qui lui aurait permis de faire valoir ses droits consacrés par l’article 3. Le gouvernement défendeur serait tenu de mettre fin à la violation qu’il a reconnue dans sa déclaration unilatérale et de redresser autant que faire se peut les effets de la violation. Cela comprendrait l’obligation découlant de l’article 13 d’offrir une procédure appropriée dans le système juridique national permettant à des individus lésés de demander et d’obtenir réparation des conséquences de la violation de leurs droits.

2. Appréciation de la Cour

a) Remarques liminaires sur la jurisprudence et la pratique de la Cour concernant les déclarations unilatérales

64. La Cour rappelle que, parmi les facteurs qui entrent en jeu lorsqu’il s’agit de décider de rayer du rôle tout ou partie d’une requête en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention sur la base d’une déclaration unilatérale, figurent la nature des griefs formulés, la nature et la portée des mesures éventuellement prises par le gouvernement défendeur dans le cadre de l’exécution des arrêts rendus par la Cour dans des affaires antérieures, et l’incidence de ces mesures sur l’affaire examinée, la nature des concessions formulées dans la déclaration unilatérale, en particulier la reconnaissance d’une violation de la Convention et l’engagement de verser une réparation adéquate pour une telle violation, l’existence d’une jurisprudence pertinente « claire et complète » à cet égard – en d’autres termes, le point de savoir si les questions soulevées sont analogues à celles déjà tranchées par la Cour dans des affaires précédentes –, les modalités du redressement que le gouvernement défendeur entend offrir au requérant et la question de savoir si ces modalités permettent ou non d’effacer les conséquences d’une violation alléguée (Tahsin Acar, précité, §§ 75-77).

Si la Cour est satisfaite des réponses apportées aux questions ci‑dessus, elle vérifie que les conditions énoncées à l’article 37 § 1 c) et à l’article 37 § 1 in fine de la Convention sont remplies (à savoir, qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de tout ou partie de la requête et que le respect des droits de l’homme n’exige pas qu’elle poursuive l’examen de la requête). Si ces conditions sont réunies, elle décide alors de rayer du rôle tout ou partie de la requête.

À cette fin, elle examine minutieusement les engagements pris par le Gouvernement dans sa déclaration unilatérale (Tahsin Acar, précité, §§ 76‑79 et 83-85) et, le cas échéant, en interprète le contenu à la lumière de sa jurisprudence (voir, dans le cadre d’une requête concernant les obligations incombant à l’État au titre de l’article 2, Žarković et autres c. Croatie (déc.), no 75187/12, 9 juin 2015).

65. Dans certaines affaires, la Cour a précisé que sa décision de radiation ne préjugeait en rien du droit du requérant de poursuivre d’autres voies de recours à sa disposition au niveau interne pour obtenir réparation (voir, par exemple, Josipović c. Serbie (déc.), no 18369/07, 4 mars 2008, Žarskis c. Lettonie (déc.), no 33695/03, § 38, 17 mars 2009, et Ielcean c. Roumanie (déc.), no 76048/11, 7 octobre 2014). Dans d’autres cas, elle est allée jusqu’à indiquer les dispositions du droit interne permettant au requérant de demander la réouverture de la procédure interne (Sroka v. Poland (déc.), no 42801/07, 6 mars 2012).

66. Dans la récente affaire Žarković et autres (décision précitée), la Cour a déclaré que sa décision de rayer du rôle les griefs tirés des articles 2 et 14 de la Convention (qui avaient trait au défaut d’enquête effective sur un homicide) à la suite d’une déclaration unilatérale ne préjugeait pas de « l’obligation continue du Gouvernement de mener une enquête conforme aux exigences de la Convention ».

67. Même lorsqu’elle a accepté une déclaration unilatérale et a décidé de rayer du rôle tout ou partie d’une requête, la Cour se réserve le droit de réinscrire celle-ci (ou, le cas échéant, une partie de celle-ci) au rôle, conformément à l’article 37 § 2 de la Convention et à l’article 43 § 5 (ancien article 44 § 5) de son règlement (voir, parmi d’autres, Josipović, décision précitée). Il n’est donc pas rare que la Cour indique à la fin de sa décision de radiation qu’elle peut décider de réinscrire la requête (ou une partie de celle-ci) au rôle en cas de non-respect par le Gouvernement des termes de sa déclaration unilatérale telle qu’acceptée par la Cour (voir, parmi les décisions les plus récentes, Canbek c. Turquie (déc.), no 5286/10, 13 janvier 2015, Schulz c. Allemagne (déc.), no 4800/12, 31 mars 2015, Bonomo et autres c. Italie (déc.), nos 17634/11 et 164 autres requêtes, 9 avril 2015, et Union des témoins de Jéhovah et autres c. Géorgie (déc.), no 72874/01, 21 avril 2015)

68. Lorsqu’elle exerce ce pouvoir, la Cour non seulement se livre à un examen approfondi de la portée et de l’étendue des divers engagements pris par le Gouvernement dans sa déclaration telle qu’acceptée par elle, mais elle anticipe également la possibilité de vérifier le respect par le Gouvernement de ses engagements.

Jusqu’à présent, la Cour n’a réinscrit qu’une affaire au rôle à la suite d’une déclaration unilatérale. Dans l’affaire Aleksentseva et autres c. Russie (nos 75025/01, 75026/01, 75028/01, 75029/01, 75031/01, 75033/01, 75034/01, 75036/01, 76386/01, 77049/01, 77051/01, 77052/01, 77053/01, 3999/02, 5314/02, 5384/02, 5388/02, 5419/02 et 8192/02, décisions du 4 septembre 2003 et du 23 mars 2006, et arrêt du 17 janvier 2008, §§ 14‑17), elle a décidé de procéder à une telle réinscription, au motif que la déclaration unilatérale du gouvernement défendeur, qu’elle avait acceptée dans sa décision du 4 septembre 2003, était conditionnelle, en ce que sa mise en œuvre, c’est-à-dire le versement d’une indemnité, était subordonnée au retrait des requêtes. Les requérants n’ayant pas retiré leur requête, la Gouvernement a refusé de verser l’indemnité proposée dans sa déclaration. Le 23 mars 2006, la Cour a estimé que cette attitude du Gouvernement représentait une circonstance exceptionnelle justifiant la réinscription des requêtes au rôle.

69. Il semble donc que la déclaration unilatérale du Gouvernement puisse être soumise deux fois à l’examen de la Cour : tout d’abord, avant de prendre une décision de radiation, la Cour examine la nature des concessions figurant dans la déclaration unilatérale, le caractère adéquat de l’indemnité proposée et la question de savoir si le respect des droits de l’homme exige qu’elle poursuive l’examen de la requête conformément aux critères susmentionnés (paragraphe 64 ci-dessus) ; ensuite, après la décision de radiation, la Cour peut être amenée à superviser la mise en œuvre des engagements du Gouvernement et à examiner s’il existe des « circonstances exceptionnelles » (article 43 § 5 de son règlement) justifiant la réinscription de la requête (ou d’une partie de la requête) au rôle.

70. Lorsqu’elle supervise l’exécution des engagements pris par le Gouvernement, la Cour a le pouvoir d’interpréter tant les termes de la déclaration unilatérale que ceux de sa propre décision de radiation.

71. Cependant, en l’espèce, la Cour doit tout d’abord se pencher sur les exceptions préliminaires du Gouvernement.

b) Les exceptions préliminaires

i. L’exception relative à la perte de la qualité de victime

72. La Cour relève d’emblée qu’en l’espèce le requérant soulève des griefs au titre des articles 3 et 13 de la Convention qui sont distincts de ceux qu’il a présentés dans le cadre de la requête no 547/02 et qui étaient couverts par la déclaration unilatérale du Gouvernement. L’intéressé estime que, malgré le versement par le Gouvernement de l’indemnité promise dans sa déclaration unilatérale, le refus de celui-ci, après la décision de radiation rendue par la Cour, de rouvrir la procédure clôturée a porté atteinte à son droit à une enquête effective sur ses allégations de mauvais traitements.

Partant, se pose la question de savoir si ces griefs, bien que se rapportant à la situation factuelle examinée par la Cour dans sa décision de radiation du 10 février 2009, sont distincts, et ne découlent pas, de cette situation.

73. À cet égard, la Cour relève que nul ne conteste en l’espèce qu’après sa décision du 10 février 2009 aucune enquête n’a été menée sur les allégations de mauvais traitements. Pour répondre à la question de savoir si le requérant est réellement victime d’une violation de ses droits en vertu de la Convention à raison du refus du Gouvernement de rouvrir la procédure clôturée, il faut déterminer si pareille obligation s’imposait à celui-ci en conséquence de sa déclaration unilatérale ou de la décision de radiation de la Cour, ou pour d’autres raisons.

Cette question paraissant inextricablement liée à la substance du grief du requérant, la Cour joint au fond l’exception du Gouvernement relative à la qualité de victime de l’intéressé.

ii. L’exception relative au non-épuisement des voies de recours internes et au non-respect de la règle des six mois

74. Le délai de six mois prévu par l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité d’assurer la sécurité juridique en garantissant que les affaires qui soulèvent des questions au regard de la Convention puissent être examinées dans un délai raisonnable, et vise aussi à protéger les autorités et autres personnes concernées de l’incertitude où les laisserait l’écoulement prolongé du temps (Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09, 45886/07 et 32431/08, § 258, CEDH 2014 (extraits)). Enfin, il permet d’assurer que, dans la mesure du possible, une situation soit examinée dès qu’elle vient de se produire, avant que l’écoulement du temps ne rende difficile l’établissement des faits pertinents et pratiquement impossible l’examen équitable de la question en litige (Kelly c. Royaume-Uni, no 10626/83, décision de la Commission du 7 mai 1985, Décisions et rapports (DR) 42, p. 205, Baybora et autres c. Chypre (déc.), no 77116/01, 22 octobre 2002, Denisov c. Russie (déc.), no 33408/03, 6 mai 2004, et Williams c. Royaume-Uni (déc.) no 32567/06, 17 février 2009).

75. S’agissant d’apprécier si un requérant s’est conformé à l’article 35 § 1, il importe de garder à l’esprit que les exigences contenues dans cette disposition concernant la règle des six mois et celle de l’épuisement des voies de recours internes doivent être entendues en étroite corrélation (Galstyan c. Arménie, no 26986/03, § 39, 15 novembre 2007, et Williams, décision précitée).

Ainsi, lorsque le requérant ne dispose d’aucun recours effectif, le délai de six mois prend naissance à la date des actes ou mesures dénoncés (Hazar et autres c. Turquie (déc.), no 62566/00 et suiv., 10 janvier 2002). Cependant, des considérations spéciales peuvent s’appliquer dans des cas exceptionnels, lorsqu’un requérant exerce un recours interne et prend conscience, ou aurait dû prendre conscience, uniquement par la suite de l’existence de circonstances qui le rendent ineffectif. En pareil cas, il peut être indiqué de considérer comme point de départ de la période de six mois la date à laquelle le requérant a eu ou aurait dû avoir pour la première fois connaissance de cette situation (voir, parmi d’autres, Bulut et Yavuz c. Turquie, (déc.) no 73065/01, 28 mai 2002, Younger c. Royaume-Uni (déc.), no 57420/00, CEDH 2003-I, Volokhy c. Ukraine, no 23543/02, § 37, 2 novembre 2006, et Varnava et autres c. Turquie [GC], nos 16064/90, 16065/90, 16066/90, 16068/90, 16069/90, 16070/90, 16071/90, 16072/90 et 16073/90, § 157, CEDH 2009). L’exercice de recours qui ne satisfont pas aux exigences de l’article 35 § 1 ne sera pas pris en compte par la Cour aux fins d’établir la date de la « décision définitive » ou de calculer le point de départ du délai de six mois (Prystavska c. Ukraine (déc.), no 21287/02, 17 décembre 2002, Sapeyan c. Arménie, no 35738/03, § 21, 13 janvier 2009, et Tucka c. Royaume-Uni (no 1) (déc.), no 34586/10, § 14, 18 janvier 2010).

Il s’ensuit que si le requérant use d’un recours voué à l’échec dès le départ, la décision sur ce recours ne peut être prise en compte pour le calcul du délai de six mois (voir, par exemple, Moussaieva et autres c. Russie (déc.), no 74239/01, 1er juin 2006, et Rezgui c. France (déc.), no 49859/99, CEDH 2000-XI).

76. Pour se prononcer sur la question de savoir si, eu égard aux circonstances particulières de son affaire, un requérant a satisfait à l’obligation d’épuiser les voies de recours internes, la Cour doit d’abord identifier l’acte des autorités de l’État défendeur dénoncé par le requérant (Haralambie c. Roumanie, no 21737/03, § 70, 27 octobre 2009). À cet égard, la Cour a jugé que, en matière de recours illégal à la force par les agents de l’État – et non de simple faute, omission ou négligence –, des procédures civiles ou administratives visant uniquement à l’allocation de dommages et intérêts et non à l’identification et à la punition des responsables n’étaient pas des recours adéquats et effectifs propres à remédier à des griefs fondés sur le volet matériel des articles 2 et 3 de la Convention (voir, entre autres, Yaşa c. Turquie, 2 septembre 1998, § 74, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VI, et Mocanu et autres, précité, § 227).

77. L’obligation que les articles 2 et 3 de la Convention font peser sur les États parties d’effectuer une enquête propre à mener à l’identification et à la punition des responsables en cas d’agression pourrait s’avérer illusoire si, pour les griefs formulés sur le terrain de ces articles, un requérant doit avoir exercé une action ne pouvant déboucher que sur l’octroi d’une indemnité (Mocanu et autres, précité, § 234).

78. La Cour examinera donc les exceptions du Gouvernement, eu égard aux griefs tels que précisés par le requérant.

Elle relève que la présente affaire porte sur la demande du requérant tendant à la réouverture de la procédure pénale concernant les mauvais traitements que lui avaient infligés des policiers. Le requérant estime que la reconnaissance par le Gouvernement, après qu’il eut été mis fin à la procédure interne, desdits mauvais traitements lui donne droit, au titre des articles 3 et 13 de la Convention, à l’ouverture d’une enquête effective sur les mauvais traitements subis par lui, et que le seul recours dont il dispose à cet égard est la réouverture de la procédure en vertu des dispositions des articles 655 à 657 de la loi lettone sur la procédure pénale.

79. La Cour estime que la question de savoir si le requérant a épuisé les voies de recours effectives en demandant, en vertu des dispositions internes susmentionnées, la réouverture de la procédure clôturée et le point de savoir s’il a respecté la règle des six mois sont étroitement liés à l’effectivité de ce recours et donc au fond des griefs de l’intéressé. Elle joint donc ces exceptions au fond.

iii. L’exception relative à l’incompatibilité ratione materiae

80. Pour la Cour, les points suivants, à savoir si le requérant est victime d’une violation de ses droits à raison du refus du Gouvernement de rouvrir la procédure clôturée, si, en demandant la réouverture de celle-ci en vertu des dispositions internes susmentionnées, il a épuisé tous les recours effectifs et s’il a respecté le délai de six mois, sont liés à la question plus large soulevée par l’exception préliminaire du Gouvernement relative à l’incompatibilité ratione materiae selon laquelle le requérant ne pourrait pas revendiquer au titre de la Convention un droit à la réouverture d’une procédure pénale clôturée. Cette question est étroitement liée à l’effectivité de ce recours, et donc au fond des griefs du requérant. En conséquence, la Cour joint également cette exception au fond.

3. Conclusions provisoires sur les exceptions préliminaires du Gouvernement

81. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Cour estime que les exceptions du Gouvernement sont si étroitement liées à la substance des griefs du requérant qu’elles doivent être jointes au fond de l’affaire. Dès lors, pour les motifs exposés ci-dessus, les griefs ne peuvent pas être déclarés irrecevables.

82. Constatant en outre que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

C. Sur le fond

1. Observations des parties et du tiers intervenant

a) Le Gouvernement

83. Le Gouvernement reprend son argument (paragraphes 40 à 46 ci‑dessus) selon lequel ni l’article 3 ni une autre disposition de la Convention n’exige une réouverture systématique de la procédure lorsqu’une violation de la Convention est établie. Selon lui, ce sont uniquement les faits de chaque espèce qui permettent de déterminer si la nécessité de garantir la restitutio in integrum appelle la réouverture de la procédure et si cette nécessité l’emporte sur le principe de la sécurité juridique. Le Gouvernement soutient par ailleurs que le requérant a manifestement failli à préciser la nature des « conséquences très graves » qu’il continuerait à subir en raison de l’ineffectivité de l’enquête sur ses allégations de mauvais traitements. Tout en reconnaissant que la clôture des poursuites pénales contre les policiers peut avoir provoqué chez le requérant une certaine déconvenue, le Gouvernement argue que l’intéressé n’a subi de ce fait aucune conséquence grave. À cet égard, indiquant que la Cour a déclaré irrecevable le grief tiré de l’article 6 de la Convention, il estime que, à la différence de l’affaire Cēsnieks (décision précitée), aucune question ne se pose en l’espèce quant à l’incidence éventuelle des mauvais traitements subis par le requérant sur l’équité de la procédure dans le cadre de laquelle il a été statué sur les chefs d’accusation portés contre lui.

84. Le Gouvernement rappelle également que les autorités internes ont refusé de rouvrir l’affaire pénale no 50207598 non pas en raison de la reconnaissance de la violation de l’article 3 de la Convention dans la déclaration unilatérale présentée par lui et acceptée par la Cour, mais parce que ladite déclaration ne comportait pas, et ne pouvait pas comporter, de nouveaux faits ou éléments de preuve pouvant être utilisés dans le cadre de l’enquête pour redresser les lacunes qui l’avaient conduit à admettre l’existence d’une violation de l’article 3.

85. À la lumière de ce qui précède, le Gouvernement invite la Cour à conclure que le grief procédural soulevé par le requérant au regard de l’article 3 ne révèle aucune violation de cette disposition.

86. En ce qui concerne l’article 13 de la Convention, le Gouvernement renvoie à la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle, d’après lui, l’article 13 exige un recours interne habilitant à connaître du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention.

Or, pour le Gouvernement, le requérant ne présente aucun « grief défendable » sous l’angle de l’article 3 et il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’examiner plus avant le grief tiré de l’article 13.

Partant, le Gouvernement conclut à la non-violation de cette dernière disposition.

b) Le requérant

87. Le requérant soutient que la République de Lettonie n’a jamais mené d’enquête officielle sur ses allégations de mauvais traitements de la part de policiers. Pour lui, le fait que le Gouvernement ait admis dans sa déclaration unilatérale que les violences physiques qu’il avait subies et l’ineffectivité de l’enquête sur ses griefs avaient emporté violation de l’article 3 n’exonère pas la Lettonie de son obligation d’ouvrir une enquête sur le fond de ses griefs.

88. Au contraire, l’article 3 de la Convention mettrait à la charge des autorités lettones une obligation continue d’effectuer une enquête effective, indépendante et impartiale de nature à mener à la punition des responsables. Cette enquête ne devrait pas nécessairement aboutir à une sanction particulière, mais elle impliquerait une obligation pour l’État d’examiner au fond les griefs du requérant.

89. Le requérant soutient que le refus d’enquêter sur ses griefs a conduit à une situation dans laquelle, selon lui, l’interdiction légale absolue de la torture et des traitements et peines inhumains ou dégradants est privée de tout effet utile en pratique. Il estime que les policiers responsables ont porté atteinte à ses droits en toute impunité.

90. Invoquant la Recommandation no R(2000)2 du Comité des Ministres et l’article 655 de la loi lettone sur la procédure pénale, le requérant argue que ces dispositions entraînent l’obligation de rouvrir la procédure pénale dans les affaires où la Cour a constaté une violation de la Convention. Toutefois, l’approche très formaliste adoptée par la procureure près la cour régionale de Riga aurait conduit au refus de rouvrir les poursuites pénales.

Selon le requérant, ni la recommandation susmentionnée ni l’article 655 de la loi sur la procédure pénale ne doivent faire l’objet d’une interprétation étroite qui, d’après lui, conduirait à une réouverture des poursuites pénales uniquement dans certains cas (exceptionnels). Il estime que les paragraphes i), ii) a) et ii) b) de la recommandation n’énumèrent que des exemples particuliers de violations de la Convention et que cette liste n’est pas exhaustive.

91. Le requérant dit continuer à subir des conséquences négatives très graves du fait de l’absence d’enquête effective, indépendante et impartiale. Il explique que l’identification des policiers responsables et la reconnaissance de leur responsabilité sont pour lui très importantes même si, eu égard à l’expiration du délai légal de prescription, ces policiers ne pourraient plus être sanctionnés. Pour le requérant, seule une décision de rouvrir la procédure pénale dans l’affaire no 50207598 peut constituer une réparation à cet égard. Il rappelle que, même s’il a déjà purgé neuf ans d’emprisonnement pour vol aggravé, il est primordial pour lui de faire reconnaître qu’il a été condamné à l’issue d’une procédure pénale au cours de laquelle il aurait été maltraité par des policiers pendant la phase d’enquête, en violation de l’article 3 de la Convention.

92. Tout en admettant que l’article 13 n’oblige pas les États membres à rouvrir systématiquement une procédure pénale, le requérant estime qu’il faudrait un mécanisme adapté permettant l’examen sur le fond d’une affaire donnée.

c) Le tiers intervenant

93. La Fondation Helsinki des droits de l’homme (FHDH) invite la Cour à préciser les règles régissant la radiation d’une requête du rôle sur la base d’une déclaration unilatérale.

94. La FHDH soutient que la procédure relative aux déclarations unilatérales pose particulièrement problème lorsque un gouvernement soumet une déclaration unilatérale immédiatement après un refus du requérant de régler le litige à l’amiable en vertu de l’article 43 du règlement de la Cour (règlement amiable). Elle explique qu’un requérant voit alors sa requête rayée du rôle alors même qu’il a clairement indiqué qu’il souhaitait poursuivre la procédure et qu’il n’était pas satisfait des modalités de règlement proposées. D’après la FHDH, pareille situation crée parfois une situation difficile entre le requérant et son représentant, lequel ne parviendrait pas à expliquer à son client l’approche adoptée par la Cour.

95. Renvoyant à l’affaire Sroka précitée, la FHDH déclare en outre que la pratique développée par la Cour et consistant à ajouter, dans les décisions de radiation, certaines obligations supplémentaires aux engagements contractés par un gouvernement dans sa déclaration unilatérale, est cruciale pour toute mesure de réparation qui serait prise au niveau national après la décision de la Cour.

96. D’après la FHDH, l’expérience dans les affaires polonaises a mis en lumière l’absence de critères stricts de sélection des affaires propres à être réglées par des déclarations unilatérales, ainsi qu’une augmentation du nombre de décisions de radiation fondées sur des déclarations unilatérales. Cette procédure et ses conséquences éventuelles seraient difficiles à expliquer aux requérants, lesquels se retrouveraient dans l’impossibilité de contester ces décisions qui, contrairement aux arrêts, ne pourraient faire l’objet d’un recours devant la Grande Chambre. Cette situation saperait l’autorité de la Cour et la confiance que les requérants placent en elle. Les informations fournies par la Cour en cas de décision de radiation ne seraient par ailleurs pas suffisantes et ne seraient pas claires pour les requérants. Dès lors, la FHDH estime qu’il serait nécessaire d’intégrer dans le règlement de la Cour les critères qui se dégagent de la jurisprudence, ce qui permettrait d’après elle d’éliminer les incohérences en pratique.

97. La FHDH indique qu’elle juge préoccupant l’élargissement de l’utilisation des déclarations unilatérales à différents types d’affaires, y compris à des affaires majeures tirant leur origine de pratiques abusives ou d’une législation lacunaire. Elle considère que l’absence de règles strictes permet aux gouvernements de tenter de faire rayer du rôle de la Cour des affaires importantes en ayant recours à une déclaration unilatérale.

98. D’après la FHDH, il arrive que les déclarations unilatérales soient utilisées dans des affaires où, outre des violations répétitives (la durée de détention par exemple), d’autres griefs sont soulevés, par exemple des griefs concernant la surpopulation carcérale, des mauvais traitements ou un défaut d’enquête effective. Selon elle, l’utilisation courante de déclarations unilatérales peut conduire à des situations où la Cour tendrait à traiter comme répétitives des affaires soulevant non seulement des problèmes systémiques, mais aussi des griefs spécifiques et complexes. Pour la FHDH, cela donne l’impression que la Cour oblige les parties à résoudre l’affaire par la voie d’un règlement amiable ou d’une déclaration unilatérale.

99. La FHDH indique que, pour être acceptée par la Cour, une déclaration unilatérale doit, entre autres, offrir au requérant concerné un redressement adéquat de la violation alléguée des droits de l’homme. Or, très souvent, les mesures proposées par le gouvernement défendeur dans sa déclaration unilatérale ne compenseraient pas le préjudice subi par le requérant.

100. Pour la FHDH, la réouverture d’une affaire constitue l’un des moyens de redressement les plus efficaces mais, dans certains cas, il est difficile de déterminer si les dispositions du droit national offrent la possibilité de rouvrir une affaire sur la base d’une décision de radiation à la suite d’une déclaration unilatérale.

101. La FHDH recommande de confier au Comité des Ministres le pouvoir de surveiller l’exécution des décisions de radiation prises à la suite d’une déclaration unilatérale dans tous les cas, et pas seulement dans les affaires où la Cour accorde une indemnité pour frais et dépens dans la décision de radiation.

102. Enfin, elle estime que la Cour devrait s’opposer à la pratique consistant à recourir à des déclarations unilatérales dans certains types d’affaires, notamment celles qui pourraient avoir valeur de précédent important pour l’évolution du droit interne, celles où il n’existe pas de pratique judiciaire établie quant à une question particulière de droit interne et celles où le gouvernement concerné n’a pas été en mesure de présenter au Comité des Ministres un plan d’action détaillé dans des affaires similaires.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes établis dans la jurisprudence de la Cour

103. L’obligation de mener une enquête effective sur des allégations de traitements contraires à l’article 3 subis par une personne aux mains d’agents de l’État est bien établie dans la jurisprudence de la Cour (voir, pour l’arrêt le plus récent, Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, §§ 114‑123, CEDH 2015, et pour un exposé complet des principes développés par la Grande Chambre, El-Masri c. ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, §§ 182-185, CEDH 2012, et Mocanu et autres, précité, §§ 316-326). Pour être qualifiée d’« effective », pareille enquête, comme au titre de l’article 2, doit d’abord être adéquate (Ramsahai et autres c. Pays-Bas [GC], no 52391/99, § 324, CEDH 2007‑II, et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 172, 14 avril 2015). Cela signifie qu’elle doit être apte à conduire à l’établissement des faits, permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances ainsi que d’identifier et – le cas échéant – de sanctionner les responsables (voir, notamment, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil 1998‑VIII, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000‑IV, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, § 301, CEDH 2011 (extraits), et Mustafa Tunç et Fecire Tunç, précité, § 172).

104. Pour redresser une violation de l’article 3, l’État, en plus de mener une enquête approfondie et effective, doit accorder au requérant une indemnité, le cas échéant, ou à tout le moins la possibilité de solliciter et d’obtenir une réparation pour le préjudice que le mauvais traitement lui a causé (Gäfgen c. Allemagne [GC], no 22978/05, § 118, CEDH 2010).

105. En cas de mauvais traitement délibéré, l’octroi d’une indemnité à la victime ne suffit pas à réparer la violation de l’article 3. En effet, si les autorités pouvaient se borner à réagir en cas de mauvais traitement délibéré infligé par des agents de l’État en accordant une simple indemnité, sans s’employer à poursuivre et punir les responsables, les agents de l’État pourraient dans certains cas enfreindre les droits des personnes soumises à leur contrôle pratiquement en toute impunité, et l’interdiction légale absolue de la torture et des traitements inhumains ou dégradants serait dépourvue d’effet utile en dépit de son importance fondamentale (Gäfgen, précité, §§ 116 et 119).

106. En outre, l’issue de l’enquête et des poursuites pénales qu’elle déclenche, y compris la sanction prononcée ainsi que les mesures disciplinaires prises, passent pour déterminantes. Elles sont essentielles si l’on veut préserver l’effet dissuasif du système judiciaire en place et le rôle qu’il est tenu d’exercer dans la prévention des atteintes à l’interdiction des mauvais traitements (ibidem, § 121).

107. La Cour a également dit, dans le contexte de l’obligation d’enquêter sur des morts violentes ou suspectes qu’impose l’article 2, que cette obligation procédurale peut renaître si des éléments censés jeter une nouvelle lumière sur les circonstances de tels décès sont révélés au public (Hackett c. Royaume-Uni (déc.), no 34698/04, 10 mai 2005, Brecknell c. Royaume-Uni, no 32457/04, §§ 66-67, 27 novembre 2007, et Williams, précité). La nature et la portée de toute enquête ultérieure requise par l’obligation procédurale dépendent inévitablement des circonstances de chaque affaire particulière et peuvent tout à fait être différentes de celles que l’on attend immédiatement après la survenue du décès (Stanimirović c. Serbie, no 26088/06, § 29, 18 octobre 2011, et Harrison et autres c. Royaume-Uni (déc.), nos 44301/13, 44379/13 et 44384/13, § 51, 25 mars 2014).

Les principes relatifs à l’obligation procédurale d’enquêter que recèle l’article 2, esquissés ci-dessus, s’appliquent de même à l’obligation procédurale d’enquêter découlant de l’article 3 (Tuna c. Turquie, no 22339/03, §§ 58-63, 19 janvier 2010). L’obligation qui incombe aux autorités internes en vertu de la Convention de mener une enquête approfondie et effective sur des griefs défendables fondés sur l’article 3 ne signifie pas nécessairement sanctionner à tout prix les fonctionnaires impliqués dans les mauvais traitements allégués. La Convention requiert seulement des « investigations propres à conduire à la punition des responsables » (Egmez c. Chypre, no 30873/96, § 70, CEDH 2000‑XII).

108. En ce qui concerne l’article 13 de la Convention, la Cour rappelle que cette disposition garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de dénoncer une violation des droits et libertés consacrés par la Convention. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne habilitant l’instance nationale compétente à connaître du contenu du grief fondé sur la Convention et à offrir le redressement approprié, même si les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur fait cette disposition. La portée de l’obligation découlant de l’article 13 varie en fonction de la nature du grief que le requérant fonde sur la Convention, mais le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’État défendeur (Büyükdağ c. Turquie, no 28340/95, § 64, 21 décembre 2000, et les arrêts qui y sont cités, en particulier Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 95, Recueil 1996‑VI).

109. En outre, la Cour rappelle que ses arrêts servent non seulement à trancher les cas dont elle est saisie, mais plus largement à clarifier, sauvegarder et développer les normes de la Convention et à contribuer de la sorte au respect, par les États, des engagements qu’ils ont pris en leur qualité de Parties contractantes. Si le système mis en place par la Convention a pour objet fondamental d’offrir un recours aux particuliers, il a également pour but de trancher, dans l’intérêt général, des questions qui relèvent de l’ordre public, en élevant les normes de protection des droits de l’homme et en étendant la jurisprudence dans ce domaine à l’ensemble de la communauté des États parties à la Convention (Rantsev c. Chypre et Russie, no 25965/04, § 197, CEDH 2010 (extraits), avec d’autres références).

b) Application en l’espèce des principes exposés ci-dessus

i. Article 3 de la Convention

110. En vertu de l’article 19 de la Convention, la Cour a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant pour les États contractants de la Convention.

111. Le requérant allègue que l’État défendeur était tenu d’enquêter sur les allégations de mauvais traitements, eu égard à sa reconnaissance d’une violation de l’article 3 et à l’engagement pris par lui dans sa déclaration unilatérale « d’offrir un recours effectif », que la Cour a acceptée dans sa décision.

Le Gouvernement soutient au contraire que l’on ne peut interpréter les termes de sa déclaration unilatérale ou le libellé de la décision de la Cour acceptant ladite déclaration comme générant une obligation de rouvrir la procédure clôturée concernant les allégations de mauvais traitements formulées par le requérant.

112. La Cour doit en premier lieu déterminer si l’État défendeur avait l’obligation de rouvrir la procédure clôturée et si son refus d’accéder à la demande de réouverture soulève une question au regard de la Convention.

Elle observe à cet égard que dans sa décision de radiation du 10 février 2009 elle n’a pas expressément indiqué au Gouvernement si celui-ci était toujours tenu par l’obligation de mener une enquête effective ou si la reconnaissance d’une violation et le versement d’une indemnité avaient éteint cette obligation.

La Cour examinera donc si pareille obligation peut naître de l’engagement pris par le Gouvernement dans sa déclaration unilatérale et de la décision de la Cour du 10 février 2009, en ce que celle-ci a rayé du rôle le grief soulevé par le requérant sous l’angle du volet procédural de l’article 3 dans la requête no 547/02 (paragraphe 20 ci-dessus), ou si le refus en question a donné lieu à la violation d’une obligation procédurale qui aurait continué d’exister après cette décision de radiation.

113. La Cour rappelle que, ainsi qu’il ressort clairement de la structure de l’article 37 de la Convention et de sa jurisprudence relative aux déclarations unilatérales (paragraphes 64 à 69 ci-dessus), les raisons qui l’amènent à accepter une déclaration unilatérale et à rayer tout ou partie d’une requête de son rôle sont étroitement liées à la nature du grief du requérant et, en conséquence, aux obligations qui incombent au gouvernement défendeur au titre de la Convention en ce qui concerne les droits violés.

114. C’est à la lumière de ces considérations que la Cour, dans sa décision du 10 février 2009, s’est livrée à une appréciation des engagements pris par le gouvernement letton dans sa déclaration unilatérale du 30 avril 2008 concernant la requête no 547/02. Le résultat de cette appréciation se reflète dans les arguments et les observations formulés à l’appui de la décision – dont ils font partie intégrante – par laquelle la Cour a rayé du rôle, le 10 février 2009, les griefs en question tirés de l’article 3 de la Convention.

115. Dans la présente affaire, les parties ne soutiennent pas que la Cour a commis une erreur procédurale ou matérielle manifeste en prenant la déclaration unilatérale du Gouvernement pour base de sa décision de rayer du rôle les griefs en cause. En revanche, elles sont en désaccord quant aux conséquences qu’il convient de tirer du libellé :

a) de l’engagement du Gouvernement « de prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des violations similaires ne se reproduisent à l’avenir et pour offrir un recours effectif », et

b) de la phrase figurant au paragraphe 54 de la décision de la Cour, qui évoque la possibilité que d’autres recours soient exercés : « Cette décision ne préjuge en rien de la possibilité pour le requérant d’exercer, le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation » (« That decision is without prejudice to the possibility for the applicant to exercise any other available remedies in order to obtain redress »).

116. La Cour ne voit en l’espèce aucune circonstance exceptionnelle (paragraphe 69 ci-dessus) de nature à justifier la réinscription au rôle de la partie de la requête no 547/02 qu’elle a rayée du rôle le 10 février 2009.

L’engagement du Gouvernement figurant au point a) ci-dessus d’« offrir un recours effectif » devrait être interprété comme une mesure générale et non comme une mesure individuelle spécifique qui impliquerait que le refus de la demande de réouverture a porté atteinte à cet engagement.

Néanmoins, la Cour juge particulièrement pertinente la référence, au point b) ci-dessus, au fait que sa décision de rayer du rôle la partie en cause de la requête reposait sur la condition préalable que le requérant conservât la possibilité d’exercer, « le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation ».

Pareille possibilité doit être considérée dans le contexte de la jurisprudence de la Cour sur les mauvais traitements infligés par des agents de l’État. Le droit du requérant de se prévaloir des recours existants pour obtenir réparation doit s’accompagner de l’obligation correspondante, de la part du gouvernement défendeur, de lui offrir un recours sous la forme d’une procédure permettant d’enquêter sur les mauvais traitements qui lui auraient été infligés alors qu’il se trouvait aux mains d’agents de l’État (paragraphe 105 ci-dessus).

Le paiement d’une indemnité, qu’il résulte d’une déclaration unilatérale ou d’une procédure interne en dommages-intérêts, ne saurait suffire, eu égard à l’obligation qui incombe à l’État en vertu de l’article 3 de mener une enquête effective dans les affaires de mauvais traitements délibérés par des agents de l’État (Gäfgen, précité, §§ 116 et 119).

117. Dès lors, l’interprétation du Gouvernement, telle qu’elle apparaît dans sa déclaration unilatérale et selon laquelle le versement d’une indemnité vaut règlement définitif de l’affaire, ne saurait être admise. Pareille interprétation amputerait d’une partie essentielle tant le droit du requérant que l’obligation de l’État découlant du volet procédural de l’article 3 de la Convention (paragraphes 104 et 105 ci-dessus).

S’il est vrai que sa décision du 10 février 2009 a apporté une réponse définitive, aux fins de la Convention, au grief soulevé par le requérant sous l’angle du volet procédural de l’article 3 de la Convention dans le cadre de la requête no 547/02, la Cour souligne à cet égard que la procédure de déclaration unilatérale revêt un caractère exceptionnel. Partant, lorsqu’il s’agit de violations des droits les plus fondamentaux garantis par la Convention, cette procédure n’a pas vocation d’éluder l’opposition du requérant à un règlement amiable ou de permettre au Gouvernement d’échapper à sa responsabilité pour de telles violations.

118. La Cour estime donc que, en l’absence d’enquête effective sur les mauvais traitements infligés au requérant par les policiers, la décision de radiation du 10 février 2009 n’a pas éteint, et n’avait pas vocation à éteindre, l’obligation continue du gouvernement letton de mener une enquête conforme aux exigences de la Convention (voir également Žarković et autres, précité). En conséquence, on ne saurait dire qu’en versant l’indemnité indiquée dans sa déclaration unilatérale et en reconnaissant une violation des diverses dispositions de la Convention l’État défendeur s’est acquitté de l’obligation procédurale continue qui lui incombe au titre de l’article 3 de la Convention.

119. En vertu des dispositions pertinentes du droit letton, le requérant avait la possibilité, dont il s’est prévalu, de saisir le procureur d’une demande de réouverture de l’enquête. Sous réserve que les conditions prévues par les articles 393 et 655 à 657 de la loi sur la procédure pénale fussent remplies (paragraphes 27 à 31 ci-dessus), le procureur avait le pouvoir de rouvrir la procédure sur la base d’éléments nouveaux (voir, a contrario, Rezgui, précité). La Cour observe qu’aux termes de l’article 655 § 2, alinéa 5, un constat d’une autorité judiciaire internationale selon lequel une décision rendue par une juridiction lettone et passée en force de chose jugée n’est pas conforme à des dispositions internationales contraignantes pour la Lettonie est admis comme un élément nouveau. Or, la demande du requérant a été rejetée par les autorités de poursuite à deux niveaux, au motif que la déclaration unilatérale du Gouvernement ne constituait pas un élément nouveau aux fins de l’article 655 § 2.

120. La Cour rappelle en outre que, selon sa jurisprudence constante, une demande de réouverture d’une procédure ou l’utilisation de recours extraordinaires similaires ne peut, en règle générale, être prise en compte aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, par exemple, Withey c. Royaume-Uni (déc.), no 59493/00, CEDH 2003-X, et H. c. Islande, précité, avec d’autres références). Pareille approche aurait en l’espèce pour conséquence d’empêcher la Cour, pour des raisons formelles, d’examiner au fond le grief du requérant concernant le défaut d’enquête effective.

Cependant, la Cour voit dans les circonstances spécifiques de l’espèce des raisons de s’écarter de cette règle, eu égard aux éléments suivants : l’admission sans réserve et sans équivoque par le Gouvernement que le requérant a subi des mauvais traitements et que l’enquête ne répondait pas aux exigences d’effectivité requises par l’article 3 de la Convention ; la propre appréciation de la Cour de cette déclaration et, à la lumière de ses conclusions à cet égard, sa décision de rayer cette partie de la requête du rôle par une décision définitive du 10 février 2009, par laquelle elle mettait fin à son examen de la question (paragraphe 54 de cette décision) – tout en notant qu’il était loisible au requérant d’exercer tout recours national à sa disposition ; et le fait que, en l’absence d’enquête effective, l’obligation procédurale découlant pour l’État défendeur de l’article 3 perdure.

121. Quant au fond dudit grief, la Cour observe d’emblée qu’elle ne se prononcera pas sur le point de savoir si les procureurs lettons étaient ou non fondés à refuser la demande de réouverture de l’enquête présentée par le requérant. Selon sa jurisprudence ancienne et constante, la Convention ne garantit pas en principe un droit à la réouverture d’une procédure clôturée (voir, mutatis mutandis, Bochan c. Ukraine (no 2) [GC], no 22251/08, § 44, CEDH 2015). La Cour peut néanmoins examiner si la manière dont les autorités lettones ont traité la demande du requérant a produit des effets qui étaient incompatibles avec l’obligation continue qui leur incombait au titre de l’article 3 de mener une enquête effective.

122. Quoi qu’il en soit, à supposer même que les autorités d’enquête n’aient pas été en mesure, dans le cadre juridique national existant, de reprendre l’enquête qui avait été abandonnée le 19 mars 2001, la Cour estime qu’aucun des obstacles juridiques nationaux évoqués par le procureur de rang supérieur dans sa décision du 20 décembre 2010 n’est de nature à exonérer l’État défendeur de son obligation continue découlant de l’article 3 de la Convention de mener une enquête effective (voir également le paragraphe 34 ci-dessus). S’il en était autrement, les autorités pourraient, en cas de mauvais traitement délibéré infligé par des agents de l’État, se borner à réagir en accordant une simple indemnité, sans s’employer à poursuivre et punir les responsables, permettant ainsi aux agents de l’État, dans certains cas, d’enfreindre les droits des personnes soumises à leur contrôle pratiquement en toute impunité, ce qui priverait l’interdiction légale absolue de la torture et des traitements inhumains ou dégradants de tout effet utile en dépit de son importance fondamentale (Gäfgen, précité, § 119).

123. Eu égard au refus des autorités de rouvrir la procédure pénale clôturée concernant les mauvais traitements infligés au requérant et dont le Gouvernement a reconnu l’existence dans sa déclaration unilatérale soumise dans le cadre de la requête no 547/02, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective aux fins de l’article 3 de la Convention.

124. Partant, elle rejette les exceptions préliminaires d’incompatibilité ratione materiae de la requête avec la Convention, de défaut de qualité de victime, de non-épuisement des voies de recours internes et de non-respect du délai de six mois soulevées par le Gouvernement. Statuant au fond, elle conclut à la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural.

ii. Article 13 de la Convention

125. Eu égard à ses conclusions exposées aux paragraphes 119 et 122 et à celle figurant au paragraphe 124 ci-dessus, la Cour estime qu’aucune question distincte ne se pose au regard de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 (voir, parmi d’autres, Natchova et autres c. Bulgarie [GC], nos 43577/98 et 43579/98, § 123, CEDH 2005‑VII, Stanev c. Bulgarie [GC], no 36760/06, § 252, CEDH 2012, et Chiragov et autres c. Arménie [GC], no 13216/05, § 220, CEDH 2015).

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

126. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

127. Le requérant réclame 50 000 EUR pour préjudice moral.

128. Considérant que la portée de la requête a été arbitrairement étendue, le Gouvernement estime que la demande de réparation doit être rejetée pour défaut manifeste de fondement. Il soutient que, quoi qu’il en soit, le montant réclamé est excessif et exorbitant.

129. Pour la Cour, il ne fait aucun doute que le requérant a subi un dommage moral à raison de la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural. Statuant en équité, comme le requiert l’article 41 de la Convention, elle octroie à l’intéressé une somme de 4 000 EUR.

B. Intérêts moratoires

130. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Joint au fond, à la majorité, les exceptions du Gouvernement selon lesquelles le restant des griefs formulés par le requérant sous l’angle des articles 3 et 13 sont incompatibles ratione materiae avec les dispositions de la Convention et sont irrecevables pour défaut de la qualité de victime, non-épuisement des voies de recours internes et non-respect de la règle des six mois, et rejette ces exceptions ;

2. Déclare, à la majorité, la requête recevable pour le surplus ;

3. Dit, par dix voix contre sept, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural ;

4. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 de la Convention ;

5. Dit, par neuf voix contre huit,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 5 juillet 2016.

Lawrence EarlyGuido Raimondi
JurisconsultePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion en partie dissidente du juge Nicolaou ;

– opinion dissidente du juge Silvis, à laquelle se rallient les juges Villiger, Hirvelä, Mahoney, Wojtyczek, Kjølbro et Briede ;

– opinion dissidente du juge Wojtyczek.

G.R.
T.L.E.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE NICOLAOU

(Traduction)

Le contexte

1. Les principaux faits qui ont conduit à la présente requête peuvent être brièvement résumés comme suit. En 1998, le requérant fut arrêté pour une grave accusation pénale puis emmené dans un commissariat où, à l’issue d’un interrogatoire, il fit des aveux. Immédiatement après, il allégua que ces aveux résultaient de mauvais traitements infligés par les policiers qui l’avaient interrogé.

2. À la suite de sa plainte, une procédure pénale fut engagée contre ceux qui semblaient avoir été impliqués. Toutefois, en mars 2001, la procédure fut clôturée par un enquêteur qui estima que les preuves étaient insuffisantes pour aller plus loin. Dans la décision de clôture, il fut relevé notamment que les allégations du requérant étaient incohérentes et que les blessures qu’il avait subies, qui furent qualifiés de légères, pouvaient avoir été causées au cours de son arrestation.

3. Dans l’intervalle, en septembre 2000, le requérant et un codéfendeur, qui avaient présenté des allégations similaires de mauvais traitements, furent condamnés à de longues peines de prison, à l’issue d’un procès au cours duquel ils avaient plaidé non coupable et leurs aveux supposés avaient été utilisés en tant que preuves. Leurs recours furent rejetés et, par la suite, les deux hommes introduisirent des requêtes devant la Cour.

4. Le requérant, dans sa première requête (Jeronovičs c. Lettonie, no 547/02, 1er décembre 2009), présentait notamment les griefs suivants : a) lors de son interrogatoire en garde à vue la police lui aurait fait subir des mauvais traitements, en violation de l’article 3 de la Convention, aux fins de lui extorquer des aveux ; et b) les déclarations ainsi obtenues auraient par la suite été utilisées en tant que preuves à charge contre lui pendant son procès, en violation de l’exigence d’équité inhérente à l’article 6 § 1 de la Convention.

5. Ces griefs, ainsi que d’autres qui sont sans pertinence dans le présent contexte, furent communiqués au Gouvernement en 2007. Après des tentatives infructueuses de règlement amiable, le Gouvernement soumit une déclaration unilatérale en 2008, dont les termes figurent au paragraphe 19 du présent arrêt. Il admettait dans cette déclaration que le « traitement physique » subi par le requérant alors qu’il se trouvait aux mains de la police, ainsi que « l’effectivité de l’enquête » qui avait suivi « ne répondaient pas aux exigences de l’article 3 », et offrait de verser à l’intéressé « à titre gracieux » un certain montant couvrant tout dommage matériel et moral subi ainsi que les frais et dépens. Le Gouvernement concluait tout à la fin que ce versement « va[lait] règlement définitif de l’affaire ».

6. Par une décision de chambre du 10 février 2009, la Cour, à la lumière de la déclaration unilatérale et sur le fondement de l’article 37 § 1 c) de la Convention, raya du rôle le grief présenté par le requérant au titre de l’article 3, tant sous son volet substantiel que sous son aspect procédural (paragraphe 20 du présent arrêt). En outre, la Cour rejeta ensuite notamment le grief d’équité tiré de l’article 6 § 1, le déclarant irrecevable (paragraphe 21 du présent arrêt). Deux autres griefs, qui furent déclarés recevables en même temps et sur lesquels un arrêt définitif fut rendu le 1er décembre 2009 ne concernent pas ce qui est à présent en jeu.

7. Après que la Cour eut rendu une décision définitive dans cette première requête, le requérant revint vers les autorités nationales et, sur la base de la déclaration unilatérale qui avait reconnu la violation des droits garantis par l’article 3, demanda a) à ce que les autorités se conforment aux exigences procédurales de l’article 3 en rouvrant et en continuant la procédure concernant les mauvais traitements qu’il avait subis, et b) à ce qu’elles rouvrent la procédure ayant conduit à sa condamnation, au motif que celle-ci aurait été viciée par l’admission de ses aveux obtenus en violation de l’article 3.

8. Le code de procédure pénale letton prévoit que, sous réserve de certaines exigences et conditions, une procédure pénale ou des poursuites pénales qui ont été clôturées peuvent être rouvertes s’il n’y avait pas de motifs légitimes de clôture, ou si sont mis au jour des éléments nouveaux (article 393) ; ce code stipule également que la procédure pénale qui a abouti à un jugement ou à une décision judiciaire valable peut être rouverte sur la base de faits nouveaux, qu’il énumère dans ses articles 655 à 657.

9. Les demandes de réouverture présentées par le requérant furent examinées par deux degrés de juridiction et rejetées par une décision définitive le 20 décembre 2010. Le raisonnement des décisions portait uniquement sur l’application et sur l’interprétation des articles 655 à 657, qui étaient pertinents seulement pour la condamnation du requérant. La procédure pénale clôturée contre les policiers ne fut pas abordée du tout, et il ne fut pas fait mention de la nécessité éventuelle de reprendre l’enquête sur les mauvais traitements subis par l’intéressé.

La présente requête

10. Dans sa requête, le requérant se plaignait au regard de l’article 13 que le refus des autorités de rouvrir la procédure pénale concernant l’enquête sur les mauvais traitements qu’il avait subis démontrait l’absence de recours par lequel il aurait pu revendiquer ses droits au titre de l’article 3 sous son volet procédural, étant donné que les autorités n’étaient pas autrement disposées à mener une enquête convenable sur les mauvais traitements qu’on lui avait infligés. Il dénonçait également le refus des autorités de rouvrir les poursuites pénales qui avaient conduit à sa condamnation, ce qui aurait permis de réexaminer la question de l’équité sous l’angle de l’article 6 § 1. Cependant, ce dernier grief, qui avait été déclaré irrecevable par la Cour dans sa décision du 9 octobre 2012, ne peut manifestement plus faire l’objet d’un examen.

Ma propre appréciation

11. À mon avis, la seule vraie question ici en litige est celle de savoir si la Lettonie, aujourd’hui encore, manque à son obligation d’enquêter sur les mauvais traitements (déjà reconnus) infligés par des policiers au requérant. Il ne peut y avoir qu’une seule réponse à cette question et elle est clairement affirmative. La question de savoir si le droit interne prévoit ou ne prévoit pas un dispositif par lequel un requérant peut demander aux autorités d’agir à cet égard est complètement hors de propos. En conséquence, il est également hors de propos de savoir si, au regard du droit interne, les demandes de réouverture du requérant ont été tranchées convenablement ou pas. Une fois que les autorités ont eu connaissance des mauvais traitements subis par le requérant, elles étaient tenues d’agir de leur propre chef ; elles auraient dû sans plus tarder mener une enquête conforme à l’article 3, dont les contours sont parfaitement déterminés par une jurisprudence fermement établie et non contestée. Les États membres ne peuvent qu’être conscients de leurs obligations à cet égard.

12. Dès lors, il n’était pas nécessaire en l’espèce de rechercher l’existence d’un recours interne qui aurait pu être exercé par le requérant afin de garantir son droit reconnu à une enquête. En conséquence, l’article 13 de la Convention n’entrait pas en jeu. J’ajouterais, avec tout le respect que je dois à mes collègues, que je ne saisis pas pourquoi l’arrêt de la majorité s’étend – et aussi longuement – sur la question de la réouverture et se noie, dans ce processus, dans l’examen des exceptions préliminaires sur la qualité de victime, la compatibilité ratione materiae, l’épuisement des voies de recours et la règle des six mois, alors même que les trois premières exceptions sont complètement hors de propos si l’on se concentre sur l’obligation de l’État de mener une enquête, et que, quant à la quatrième exception, l’approche de la majorité donne à cette question une coloration totalement différente (qui, heureusement, n’a pas conduit à un résultat néfaste). Le fait que les parties aient choisi d’aborder l’affaire sous cet angle ne justifie pas du tout d’emprunter ce chemin, encore moins si cela impliquerait de s’écarter de la Convention et de créer de l’incertitude dans un domaine particulièrement sensible. L’argument que j’essaye d’avancer est illustré par le paragraphe 120 de l’arrêt, où la Cour se fonde sur une règle générale allant à l’encontre de la réouverture puis trouve des raisons de s’en écarter :

« La Cour rappelle en outre que, selon sa jurisprudence constante, une demande de réouverture d’une procédure ou l’utilisation de recours extraordinaires similaires ne peut, en règle générale, être prise en compte aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention (voir, par exemple, Withey c. Royaume-Uni (déc.), no 59493/00, CEDH 2003-X, et H. c. Islande, précité, avec d’autres références). Pareille approche aurait en l’espèce pour conséquence d’empêcher la Cour, pour des raisons formelles, d’examiner au fond le grief du requérant concernant le défaut d’enquête effective.

Cependant, la Cour voit dans les circonstances spécifiques de l’espèce des raisons de s’écarter de cette règle, eu égard aux éléments suivants : l’admission sans réserve et sans équivoque par le Gouvernement que le requérant a subi des mauvais traitements et que l’enquête ne répondait pas aux exigences d’effectivité requises par l’article 3 de la Convention ; la propre appréciation de la Cour de cette déclaration et, à la lumière de ses conclusions à cet égard, sa décision de rayer cette partie de la requête du rôle par une décision définitive du 10 février 2009, par laquelle elle mettait fin à son examen de la question (paragraphe 54 de cette décision) – tout en notant qu’il était loisible au requérant d’exercer tout recours national à sa disposition ; et le fait que, en l’absence d’enquête effective, l’obligation procédurale découlant pour l’État défendeur de l’article 3 perdure. »

13. À mon sens, les trois dernières lignes de cet extrait contiennent tout ce qu’il fallait dire. Le point de vue de la majorité selon lequel il fallait passer par l’argument de la réouverture pour obtenir ce résultat est résumé ensuite, au paragraphe 123 de l’arrêt, qui se lit ainsi :

« Eu égard au refus des autorités de rouvrir la procédure pénale clôturée concernant les mauvais traitements infligés au requérant et dont le Gouvernement a reconnu l’existence dans sa déclaration unilatérale soumise dans le cadre de la requête no 547/02, la Cour estime qu’en l’espèce le requérant n’a pas bénéficié d’une enquête effective aux fins de l’article 3 de la Convention. »

14. Je suis prêt à conclure, à l’instar de la majorité, à la violation de l’article 3 de la Convention sous son volet procédural. Toutefois, j’aurais préféré parvenir à cette conclusion uniquement après que la première requête eut été réinscrite au rôle de la Cour en application de l’article 37 § 2 de la Convention, qui prévoit que la Cour peut en décider ainsi « lorsqu’elle estime que les circonstances le justifient ». L’article 43 § 5 du règlement de la Cour, qui est également pertinent, doit être lu à la lumière du libellé de la Convention. Je ne partage pas le point de vue de la majorité, exprimé au paragraphe 116 de l’arrêt, selon lequel les circonstances en l’espèce ne justifiaient pas une telle démarche.

15. Avec tout le respect que je dois à mes collègues, j’estime que la Cour a été malavisée d’accepter la déclaration unilatérale dans les termes dans lesquels elle était libellée. Il faut garder à l’esprit que l’admission du Gouvernement selon laquelle l’enquête menée sur les mauvais traitements ne répondait pas aux normes de l’article 3 signifie clairement qu’une autre enquête conforme à ces normes était nécessaire, même si, à la fin, elle aurait pu ne pas produire de résultats positifs. Cependant, la Cour n’a pas exigé du Gouvernement qu’il prenne l’engagement qui en découlait, comme elle l’avait fait dans l’affaire Žarković et autres c. Croatie ((déc.), no 75187/12, 9 juin 2015), laquelle ne devrait pas être considérée comme une affaire isolée. En même temps, elle semble accepter la condition stipulée selon laquelle « [c]e versement vaudra règlement définitif de l’affaire », et déclare simplement que la décision de radiation « ne préjuge en rien de la possibilité pour le requérant d’exercer, le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation », alors que rien n’indique l’existence d’un quelconque recours applicable ; du reste, ainsi qu’il ressort de l’affaire, il n’en existait en fait aucun. Je ne parlerai pas de l’inclusion de l’expression « à titre gracieux » qui, bien qu’elle atténue manifestement la reconnaissance d’une violation (de manière totalement inappropriée à mon avis), n’est pas rare et, même si c’est regrettable, semble être admise par notre jurisprudence. Dans l’affaire de principe citée dans la décision de radiation de la Cour, à savoir Tahsin Acar c. Turquie ((exceptions préliminaires) [GC], no 26307/95, § 84, CEDH 2003‑VI), il est dit clairement que la Cour devrait exiger un engagement pertinent :

« (...) lorsque figurent au dossier des commencements de preuve venant étayer les allégations selon lesquelles l’enquête menée sur le plan interne a été en deçà de ce que requiert la Convention, une déclaration unilatérale doit pour le moins renfermer une concession en ce sens, ainsi que l’engagement, de la part du gouvernement défendeur, d’entreprendre, sous la surveillance du Comité des Ministres dans le cadre des obligations que lui confère l’article 46 § 2 de la Convention, une enquête qui soit pleinement conforme aux exigences de la Convention telles que la Cour les a définies dans des affaires antérieures semblables (...) »

16. Une fois la première requête réinscrite au rôle de la Cour, j’aurais constaté une violation dans ce contexte, et j’aurais considéré l’indemnité déjà versée par le Gouvernement en vertu de la décision de radiation comme le montant auquel le requérant avait droit en vertu de cet arrêt.

17. Comme les choses se présentent maintenant, je n’ai pas d’autre choix que d’accepter le constat de violation dans le contexte de la présente requête ; cependant, suivant une approche similaire de la question, je n’aurais pas octroyé un montant séparé et supplémentaire à titre de réparation. À mon sens, la majorité octroie une indemnité au requérant à deux reprises pour ce qui est essentiellement la même violation. De mon point de vue, la présente affaire n’est pas une affaire dans laquelle une requête ultérieure soulève ou est censée soulever une nouvelle question liée à une précédente requête, comme tel était le cas par exemple dans l’affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) ([GC], no 32772/02, CEDH 2009) ; ce n’est pas non plus une affaire qui implique une violation continue pouvant être segmentée en différentes parties temporelles qui entraînerait pour chacune d’elles l’octroi d’une réparation distincte, comme dans l’affaire Ivanţoc et autres c. Moldova et Russie (no 23687/05, 15 novembre 2011), ou une affaire dans laquelle l’élément temporel, pertinent pour le caractère adéquat d’une enquête, est identifié et abordé séparément avant l’examen d’autres aspects qui sont toujours pendants dans une enquête en cours, comme dans l’affaire McCaughey et autres c. Royaume-Uni (no 43098/09, CEDH 2013). Toutes ces affaires impliquaient un unique grief, qui se suffisait à lui-même, et l’octroi d’une réparation pour ce grief n’était pas incompatible avec l’allocation d’une indemnité dans une autre affaire avec laquelle il avait un rapport ou un lien, indépendamment du point de savoir quelle affaire a été portée d’abord devant la Cour. Cependant, il est impossible d’adopter pareille démarche dans un cas où, comme en l’espèce, la Cour a traité le grief comme procédant d’un seul événement.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE SILVIS À LAQUELLE
SE RALLIENT LES JUGES VILLIGER, HIRVELÄ, MAHONEY, WOJTYCZEK, KJØLBRO ET BRIEDE

(Traduction)

1. Quel est le statut d’une décision de radiation de la Cour ? Il ne fait guère de doute que, dans le cas d’une décision d’irrecevabilité ou d’une décision de radiation, la Cour doit passer pour avoir « examiné » la question portée devant elle aux fins de l’article 35 § 2 b) (voir, par exemple, pour ce qui concerne des décisions d’irrecevabilité, les affaires Previti c. Italie ((déc.), no 45291/06, §§ 291-294, 8 décembre 2009) et Manuel c. Portugal ((déc.), no 62341/00, 31 janvier 2002) ainsi que, dans le contexte d’une décision de radiation à la suite d’un règlement amiable, Kezer et autres c. Turquie (déc.), no 58058/00, 5 octobre 2004). Donner un statut différent à une décision de radiation qui suit une déclaration unilatérale n’aurait aucun sens. En l’espèce, aucune des parties ne soutient que la Cour ait commis une erreur manifeste de procédure ou de substance en acceptant la déclaration unilatérale du Gouvernement comme base pour procéder à la radiation de la requête.

2. La question principale en l’espèce est celle de savoir si le gouvernement défendeur a une obligation continue au titre des articles 3 et 13 de la Convention, malgré la décision de radiation prise par la Cour le 10 février 2009, de rouvrir la procédure pénale clôturée relative aux allégations de mauvais traitements présentées par le requérant. Pareille obligation aurait pu être prévue dans la décision de radiation, mais tel n’a pas été le cas.

À cet égard, il convient de noter que la supervision de l’exécution de la décision de radiation prise par la Cour en l’espèce échappe au rôle de surveillance dévolu au Comité des Ministres en vertu de l’article 46 de la Convention, étant donné que ladite décision ne se fonde pas sur un règlement amiable (article 39 de la Convention et article 43 § 3 du règlement de la Cour) et que les griefs n’ont pas été rayés du rôle par un arrêt après avoir été déclarés recevables (article 43 § 3 du règlement). Par ailleurs, la Cour n’a rien alloué au titre des dépens (voir également l’article 43 § 4 du règlement).

En revanche, l’article 37 § 2 de la Convention autorise la Cour à réinscrire une requête à son rôle si elle considère que « les circonstances le justifient ». Elle peut également agir de la sorte en vertu de l’article 43 § 5 de son règlement si « elle estime que des circonstances exceptionnelles le justifient ». Cette expression renvoie évidemment à des faits nouveaux. La Cour n’a vu en l’espèce aucun fait de ce type (paragraphe 116 de l’arrêt), à juste titre.

3. Le Gouvernement soutient que la Cour a reconnu dans sa décision de radiation du 10 février 2009 que la déclaration unilatérale qu’il avait soumise était conforme aux exigences établies dans la jurisprudence issue de la Convention, en particulier dans l’affaire Tahsin Acar c. Turquie ([GC], no 26307/95, §§ 75-76, CEDH 2004‑III). Or, selon lui, aucun engagement de rouvrir la procédure n’était évoqué dans sa déclaration unilatérale. Le Gouvernement affirme au contraire que la seule réparation qu’il offrait dans cette déclaration unilatérale, telle qu’acceptée par la Cour, était le versement d’une indemnité. Pour lui, la décision de la Cour n’exigeait pas la réouverture de la procédure dans l’affaire du requérant. Dès lors, le Gouvernement ne voit aucune raison de réinscrire la requête au rôle.

4. Cette situation est-elle modifiée par le fait que la décision de radiation de la Cour renfermait la disposition ci-dessous ?

« Cette décision ne préjuge en rien de la possibilité pour le requérant d’exercer, le cas échéant, d’autres recours afin d’obtenir réparation » (en anglais : « That decision is without prejudice to the possibility for the applicant to exercise any other available remedies in order to obtain redress »).

À mon avis, on ne peut raisonnablement en déduire une obligation de rouvrir la procédure pénale en l’absence de tout fait nouveau survenu après la déclaration unilatérale ; cela est conforme aux possibilités offertes par le droit interne. Mais la Cour voit dans les termes de la décision de radiation elle-même un élément impliquant une obligation de poursuivre les investigations (paragraphe 116, qui qualifie cette obligation de condition préalable de la décision de radiation). Force m’est donc de considérer que cet arrêt s’écarte de la jurisprudence relative à des griefs ayant été traités par la Cour dans un arrêt ou une décision à caractère définitif. Cette jurisprudence constante ne concerne pas seulement des griefs tirés de l’article 6 (comme dans les affaires Fischer c. Autriche (déc.), no 27569/02, CEDH 2003‑VI, Komanicky c. Slovaquie (déc.), no 13677/03, 1er mars 2005, et Öcalan c. Turquie (déc.), no 5980/07, 6 juillet 2010). Dans l’affaire Egmez c. Chypre ((déc.), no 12214/07, 18 septembre 2012), la Cour n’a trouvé aucun fait nouveau de nature à faire renaître une obligation procédurale au titre de l’article 3 et donc à conduire éventuellement à un constat de violation de cette disposition. La même démarche aurait dû être suivie en l’espèce. Le raisonnement à présent admis par la majorité pourrait s’appliquer également aux requêtes que la Cour a tranchées par un arrêt (et non par une décision de radiation), et où l’État, de l’avis du requérant, ne s’est pas conformé à l’arrêt de violation précédent. En d’autres termes, si la Cour estime dans un arrêt que l’État a failli à mener une enquête effective, en violation de l’article 2 ou de l’article 3 de la Convention, et que l’État, par la suite, ne garantit pas qu’une nouvelle enquête est menée conformément aux exigences de la Convention, le requérant pourrait introduire une nouvelle requête, à l’issue de laquelle la Cour pourrait constater une nouvelle violation.

5. L’analyse des mesures prises en l’espèce démontrera comment on en est arrivé à une situation où la Cour s’occupe toujours, en 2016, d’une allégation de mauvais traitements présentée par le requérant après qu’il eut été arrêté le 25 avril 1998 pour des soupçons relatifs à plusieurs infractions pénales. Plus de cinq ans plus tard, le 22 février 2007, le Gouvernement a reçu communication de la requête, et le 30 avril 2008 il a émis une déclaration unilatérale admettant une violation de l’article 3 et octroyant au requérant une indemnité à ce titre. Le 10 février 2009, la Cour a accepté cette déclaration unilatérale du Gouvernement et a rayé l’affaire du rôle relativement aux mauvais traitements évoqués dans la déclaration. Conformément à cette déclaration, le requérant a reçu 4 500 euros (EUR). Par la suite, le 1er décembre 2012, la Cour a constaté des violations concernant les conditions de détention du requérant à la suite de l’arrestation susmentionnée, et a également conclu à la violation de l’article 6 § 1 du fait que l’intéressé, lorsqu’il était en détention, n’a pas eu la possibilité de comparaître en personne devant la Cour suprême durant la procédure dans son affaire. Le requérant s’est vu octroyer 5 000 EUR. Il a déjà exposé l’ensemble de ces griefs dans la requête initiale en 2001. Toutefois, en 2010, le requérant a réitéré ses griefs dans une nouvelle requête, y ajoutant un nouveau grief selon lequel l’enquête sur les mauvais traitements subis par lui n’avait pas été rouverte après l’acceptation de la déclaration unilatérale, malgré ses efforts en ce sens au niveau interne. Le 9 novembre 2012, une chambre de la Cour a déclaré les anciens griefs en partie irrecevables, mais s’est dessaisie en faveur de la Grande Chambre quant à ce nouveau grief. Ainsi, les griefs du requérant consécutifs aux événements du 25 avril 1998 ont d’une manière ou d’une autre été portés devant trois sections de la Cour sur les cinq qu’elle compte, et maintenant aussi devant la Grande Chambre. La majorité de celle-ci n’a toujours pas réussi à mettre un terme à cette affaire. Au contraire, il semble que le mouvement perpétuel d’une interminable procédure judiciaire se soit mis en branle. Quelle en est la finalité ? Est-ce la notion théorique d’obligation continue ? Je ne peux imaginer que des investigations sérieuses puissent être engagées ou reprises dans une affaire comme celle-ci après que tant d’années se sont écoulées.

6. Cet arrêt vient éroder la certitude qui devrait régner à l’issue d’un examen par la Cour. L’obligation continue de respecter la sécurité juridique est trop précieuse pour être sacrifiée à une tentative de redresser l’acceptation antérieure d’une déclaration unilatérale même si, avec le recul, on peut penser que la Cour aurait dû se montrer plus réticente à priver le requérant du bénéfice d’un examen effectif dans une affaire mettant en jeu l’article 3.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE WOJTYCZEK

Les principales objections concernant le présent arrêt ont été exprimées dans l’opinion séparée du juge Silvis à laquelle se sont ralliés les juges Villiger, Hirvelä, Mahoney, Kjølbro, Briede et moi-même. Pour ma part, je souhaiterais mettre en exergue deux points supplémentaires.

1. Le fonctionnement efficace du mécanisme de la Convention présuppose un minimum de loyauté dans les relations entre la Cour et les parties à la procédure. En particulier, les décisions et les arrêts de la Cour doivent donner des indications suffisamment précises concernant les obligations des parties qui en découlent. En cas de déclaration unilatérale, pour satisfaire aux exigences de sécurité juridique et éviter de nouveaux litiges entre les parties, les différentes obligations de l’État défendeur découlant de la violation reconnue de la Convention devraient être énumérées de façon claire dans le texte de cette déclaration. Il appartient à la Cour de veiller à ce que la déclaration unilatérale soit conforme à l’exigence d’un minimum de clarté et de précision. En particulier, si la Cour estime que l’État défendeur avait l’obligation de rouvrir l’enquête pénale dans la présente affaire, il aurait été préférable de ne pas accepter une déclaration unilatérale qui ne renfermait pas de clause explicite en ce sens. Dès lors que la Cour a accepté une déclaration unilatérale qui ne contenait pas une telle clause, il est difficile de blâmer la Lettonie pour n’avoir pas respecté ses obligations dans la présente affaire.

2. L’arrêt rendu dans la présente affaire touche directement aux droits des personnes tierces. Une enquête pénale peut en effet affecter les intérêts de certaines personnes parmi celles soupçonnées par les autorités d’avoir commis un délit. Parmi ces suspects, il peut y avoir des personnes innocentes. Toutes ces personnes, qu’elles soient innocentes ou coupables, ont droit à ce que leur cause soit tranchée par une décision définitive dans un délai raisonnable. Si l’obligation de mener une enquête pénale, qui découle des articles 2 ou 3 de la Convention, ne peut s’éteindre avec l’écoulement du temps et si les autorités nationales ont l’obligation de rouvrir les enquêtes closes tant qu’elles n’ont pas satisfait toutes les exigences de la Convention, cela peut aboutir, dans un grand nombre d’affaires, à placer des personnes innocentes dans un état d’incertitude permanent quant à leur sort et à violer ainsi leurs droits, reconnus par l’article 6 de la Convention. Je note avec regret que la Cour s’est abstenue de prendre en considération cet aspect de l’affaire.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-165046
Date de la décision : 05/07/2016
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exceptions préliminaires jointes au fond et rejetées (Article 34 - Victime);Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Enquête efficace) (Volet procédural);Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral;Satisfaction équitable)

Parties
Demandeurs : JERONOVIČS
Défendeurs : LETTONIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : NIKULCEVA I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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