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23/03/2016 | CEDH | N°001-161876

CEDH | CEDH, AFFAIRE F.G. c. SUÈDE, 2016, 001-161876


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE F.G. c. SUÈDE

(Requête no 43611/11)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mars 2016

Cet arrêt est définitif.




En l’affaire F.G. c. Suède,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,

Dean Spielmann,
András Sajó,

Josep Casadevall,
Ineta Ziemele,
Elisabeth Steiner,

George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Vincent A. De Gaetano,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Ale

xandre Sicilianos,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Dmitry Dedov,
Robert Spano, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Gr...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE F.G. c. SUÈDE

(Requête no 43611/11)

ARRÊT

STRASBOURG

23 mars 2016

Cet arrêt est définitif.

En l’affaire F.G. c. Suède,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Guido Raimondi, président,

Dean Spielmann,
András Sajó,

Josep Casadevall,
Ineta Ziemele,
Elisabeth Steiner,

George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Vincent A. De Gaetano,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal,
Krzysztof Wojtyczek,
Dmitry Dedov,
Robert Spano, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 3 décembre 2014 et le 7 janvier 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43611/11) dirigée contre le Royaume de Suède et dont un ressortissant iranien, M. F.G. (« le requérant »), a saisi la Cour le 12 juillet 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la Grande Chambre a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me D. Loveday, membre du barreau d’Angleterre et du pays de Galles, avocat en Suède. Le gouvernement suédois (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. A. Rönquist, ambassadeur et directeur général des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait en particulier que son expulsion vers l’Iran emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention.

4. La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 25 octobre 2011, le président de la section à laquelle l’affaire avait été attribuée a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement et d’indiquer au Gouvernement que le requérant ne devait pas être expulsé vers l’Iran avant l’issue de la procédure devant la Cour. Le 16 janvier 2014, une chambre de cette section composée de Mark Villiger, président, Angelika Nußberger, Boštjan M. Zupančič, Ann Power-Forde, André Potocki, Paul Lemmens, Helena Jäderblom, juges, ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section, a rendu un arrêt dans lequel elle concluait que l’exécution de la décision d’expulsion visant le requérant n’emporterait violation ni de l’article 2 ni de l’article 3 de la Convention. À l’arrêt se trouvait joint l’exposé de l’opinion dissidente commune aux juges Zupančič, Power-Forde et Lemmens.

5. Le 16 avril 2014, le requérant a sollicité le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention. Le collège de la Grande Chambre a fait droit à cette demande le 2 juin 2014.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

8. Par ailleurs, des observations ont été reçues du Centre européen pour le droit et la justice, d’Alliance Defending Freedom assistée par Jubilee Campaign, du Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe, du Conseil européen pour les réfugiés et les exilés, de la Commission internationale de juristes et du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, que le président de la Grande Chambre avait autorisés à intervenir dans la procédure écrite (articles 36 § 2 de la Convention et 44 § 3 du règlement).

9. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 3 décembre 2014 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
M.A. Rönquist, ambassadeur et directeur général
des affaires juridiques, ministère des Affaires étrangères,agent,
MmesH. Lindquist,
M. Westman-Clément,
L. Öman Bristow, conseillers ;

– pour le requérant
M.D. Loveday, membre du barreau d’Angleterre
et du pays de Galles, avocat en Suède,conseil,
MmesH. Pettersson,
A. Evans,conseillers.

La Cour a entendu M. Rönquist et M. Loveday en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par les juges Spano, Jäderblom, Bianku, Pinto de Albuquerque et De Gaetano.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

10. Le requérant est né en 1962 et réside en Suède.

11. Il arriva en Suède le 16 novembre 2009 et y demanda l’asile politique.

12. Le 19 février 2010, l’avocat désigné pour assister le requérant soumit à l’office des migrations (Migrationsverket) des observations écrites exposant les motifs de la demande d’asile politique présentée par l’intéressé.

13. Le 24 mars 2010, l’office des migrations procéda à un entretien avec le requérant, en présence de l’avocat de celui-ci et d’un interprète. Le requérant remit une attestation datée du 15 mars 2010 dans laquelle un pasteur de Suède certifiait qu’il était membre de sa paroisse depuis décembre 2009 et qu’il avait été baptisé. L’agent de l’office des migrations débuta donc l’entretien en interrogeant le requérant sur ce point. L’intéressé répondit qu’il s’agissait d’une question d’ordre privé qui était « dans [son] cœur ». Il ajouta : « Cela n’a rien à voir, mais vous pouvez me poser des questions si vous voulez. Tous les problèmes de mon pays d’origine sont dus à la pénétration de l’islam en Iran (...) » L’agent expliqua que s’il posait des questions à ce sujet c’était parce qu’il avait interprété l’attestation comme indiquant que le requérant invoquait sa conversion à l’appui de sa demande d’asile. Le requérant déclara : « Non, ce n’est pas quelque chose que je souhaite invoquer. C’est quelque chose de privé. » L’agent proposa alors une pause pour permettre au requérant et à son avocat de s’entretenir. Après une interruption de dix minutes, l’avocat indiqua que le requérant « [tenait] à souligner qu’il a[vait] changé de religion par conviction personnelle et non pour augmenter ses chances d’obtenir un permis de séjour ». Interrogé sur la date de sa conversion, le requérant répondit que celle-ci était postérieure à son arrivée dans la ville suédoise de X, qui ne comptait pas beaucoup d’Iraniens. Il exposa qu’il avait fait la connaissance d’une personne qui se rendait à l’église quatre fois par semaine et qui savait que lui-même détestait l’islam. Le requérant ajouta : « Je ne vois pas le christianisme comme une religion. » Invité à s’expliquer sur ce point, il répondit : « Si on considérait [le christianisme] comme une religion, il serait comme l’islam ; mais le christianisme, c’est une sorte d’amour que l’on a pour Dieu. » Il déclara qu’il se rendait aux rassemblements de sa paroisse deux à quatre fois par semaine et qu’il lisait la Bible. Il donna des exemples de miracles et de prophéties de la Bible qui l’avaient attiré vers le christianisme. À la question de savoir pourquoi, alors qu’il ne souhaitait pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile, il avait néanmoins fourni l’attestation établie par le pasteur, le requérant répondit : « Je ne sais pas. Je n’ai jamais demandé cette pièce et je n’avais même pas pensé à la remettre, mais vous la vouliez. Ils ont donné une attestation de ce type à tous les convertis. »

14. Le reste de l’entretien porta sur le passé politique du requérant. Celui-ci expliqua qu’en Iran il avait travaillé avec des personnes liées à différentes universités et connues pour leur opposition au régime. Pour l’essentiel, son activité aurait consisté à créer et publier des pages web. Avec l’une des personnes concernées, il aurait été arrêté en avril 2007. Il aurait été remis en liberté au bout de vingt-quatre heures, puis hospitalisé pendant dix jours pour de l’hypertension artérielle.

15. Avant les élections du 12 juin 2009, il aurait travaillé avec le mouvement des Verts – qui aurait soutenu la candidature de Moussavi à l’élection présidentielle – en diffusant son message via Internet. La veille du scrutin, lui-même et ses amis auraient été arrêtés, interrogés et détenus au bureau de vote, jusqu’au lendemain.

16. Après les élections, il aurait pris part à des manifestations et à d’autres activités. Il aurait été arrêté à nouveau en septembre 2009 et emprisonné pendant vingt jours. Il aurait subi des mauvais traitements en prison. En octobre 2009, il aurait été traduit devant le tribunal révolutionnaire, qui l’aurait remis en liberté au bout de vingt-quatre heures à condition qu’il coopérât avec les autorités et espionnât ses amis. Il aurait accepté ces exigences et cédé ses locaux professionnels à titre de garantie. Il aurait également donné l’assurance qu’il ne participerait à aucune manifestation et répondrait aux convocations. Après avoir été relâché dans un parc, il aurait constaté que ses locaux professionnels avaient été fouillés. Selon ses dires, il avait gardé dans son bureau des documents politiquement sensibles que les autorités avaient dû remarquer, et son passeport ainsi que d’autres documents avaient disparu.

17. Par la suite, il aurait été cité à comparaître devant le tribunal révolutionnaire le 2 novembre 2009. Il aurait pris contact avec un ami, qui aurait obtenu l’aide d’un passeur pour le faire sortir du pays. Le requérant soumit une convocation du tribunal révolutionnaire datée du 21 octobre 2009 l’invitant à se présenter à la prison d’Evin, à Téhéran, le 2 novembre 2009.

18. L’entretien à l’office des migrations dura environ deux heures. Le compte rendu en fut par la suite adressé au requérant et à son avocat pour commentaires. L’avocat indiqua que le requérant n’avait pas lu l’attestation du pasteur avant l’entretien – ce document n’ayant pas été traduit – et qu’il avait l’intention de fournir le certificat officiel de baptême ultérieurement.

19. Le 29 avril 2010, l’office des migrations rejeta la demande d’asile du requérant. À titre préliminaire, il déclara que l’intéressé n’avait pas prouvé de façon certaine son identité ou sa nationalité mais en avait établi la probabilité.

20. Concernant la demande d’asile politique, l’office des migrations estima que la participation à des manifestations ou l’affiliation au mouvement des Verts n’étaient pas en soi de nature à engendrer un risque de persécution, de mauvais traitements ou de châtiments en cas de retour en Iran. Il releva qu’au cours de la procédure le requérant avait changé certaines parties de son récit, modifiant notamment ses déclarations relatives au nombre d’arrestations subies. Il constata également que le requérant n’avait pas été capable de nommer le parc où on l’aurait relâché en octobre 2009. L’office y vit des raisons de se demander si l’intéressé avait jamais été arrêté. Il considéra en outre que les activités politiques de celui-ci avaient été limitées. Il nota qu’après l’interrogatoire de 2007 et jusqu’aux élections de 2009, le requérant avait pu continuer à travailler sur les pages web contenant des éléments critiques alors qu’à cette époque, selon les dires de l’intéressé, les autorités étaient déjà au courant de ses activités. Pour ces motifs, l’office estima que le requérant n’avait pas pu intéresser les autorités à raison de ses activités ou du matériel en sa possession.

21. Concernant la conversion du requérant au christianisme, l’office observa que ni celle-ci ni le baptême n’avaient eu lieu au sein de l’Église de Suède et que l’intéressé n’avait soumis aucune preuve de son baptême. Il ajouta que l’attestation établie par le pasteur de la paroisse concernée ne pouvait s’analyser qu’en une demande à l’office des migrations d’octroyer l’asile au requérant. Il releva que celui-ci n’avait pas souhaité au départ invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile et avait déclaré que sa nouvelle confession était une question d’ordre privé. L’office jugea que l’exercice par le requérant de sa foi dans un cadre privé ne constituait pas une raison plausible de penser qu’il risquait d’être persécuté à son retour. Il conclut que l’intéressé n’avait pas démontré qu’il avait besoin de protection en Suède.

22. Le requérant forma un recours auprès du tribunal des migrations (Migrationsdomstolen). Il maintint ses allégations et étaya sa demande d’asile par des arguments tant politiques que religieux. Concernant les éléments religieux, il présenta un certificat de baptême daté du 31 janvier 2010. Il s’éleva contre la décision de l’office des migrations, qui à ses yeux laissait entendre qu’une conversion au sein d’une « Église libre » avait moins de valeur qu’une conversion au sein de l’Église de Suède. Il expliqua que si au départ il n’avait pas souhaité invoquer sa conversion, c’était parce qu’il n’avait pas voulu banaliser le sérieux de sa foi.

23. Le 16 février 2011, le tribunal des migrations tint une audience en présence du requérant, de son avocat, d’un interprète et d’un représentant de l’office des migrations.

24. L’office ne remit pas en cause le fait que le requérant professait la foi chrétienne à l’époque, mais estima que cela ne suffisait pas en soi pour que l’on pût considérer qu’il avait besoin de protection. Il se référa à la directive opérationnelle du ministère britannique de l’Intérieur de janvier 2009.

25. Le requérant déclara qu’il ne souhaitait pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile et qu’il s’agissait pour lui de quelque chose de personnel. Il ajouta que « toutefois [cette conversion lui] causerait clairement des problèmes en cas de retour ».

26. Concernant son passé politique, il expliqua notamment qu’il avait eu des contacts avec le mouvement des étudiants et beaucoup de ses membres, auxquels il avait prêté une assistance pour la conception de leurs pages d’accueil ; que son ordinateur avait été saisi dans ses locaux professionnels pendant son emprisonnement ; que des documents critiques à l’égard du régime en place étaient alors stockés dans son ordinateur ; qu’il n’avait pas personnellement critiqué le régime, le président Ahmadinejad ou les plus hauts dirigeants mais avait visité certains sites web et reçu par courriel des dessins satiriques. À ses yeux il existait donc suffisamment d’éléments prouvant qu’il était un opposant au régime. Ces éléments auraient été assez semblables au matériel que contenait son ordinateur en 2007.

27. La citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire à la date du 2 novembre 2009 fut également présentée au tribunal des migrations. Le requérant expliqua que la convocation avait été notifiée à son domicile et que sa sœur la lui avait apportée. Au moment de quitter l’Iran, il l’aurait confiée à un ami. Par la suite, celui-ci l’aurait envoyée à un autre ami se rendant en Ukraine, qui aurait veillé à ce que la convocation fût envoyée au requérant en Suède. Le requérant n’aurait plus ensuite reçu de nouvelle convocation et les membres de sa famille n’auraient pas été inquiétés. Cependant l’intéressé n’exclut pas qu’il se fût passé quelque chose dont ses proches n’eussent pas voulu l’accabler.

28. Le 9 mars 2011, le tribunal des migrations rejeta le recours formé par le requérant. Il releva que celui-ci n’évoquait plus ses convictions religieuses comme motif de persécution et ne revint pas sur cette question dans ses conclusions.

29. Le tribunal des migrations constata que le récit livré par le requérant à l’appui de sa demande d’asile politique était cohérent et digne de foi sur les points essentiels. Il estima que les incertitudes relevées par l’office des migrations avaient reçu une explication satisfaisante. Concernant toutefois la citation à comparaître devant le tribunal révolutionnaire, le tribunal jugea que, sans considération de son authenticité, ce document ne pouvait en soi étayer le besoin de protection du requérant. Il souligna à cet égard que cette pièce était une simple convocation qui n’exposait aucune raison expliquant pourquoi le requérant devait se présenter à la prison d’Evin. Par ailleurs, selon le tribunal, les informations relatives aux activités politiques du requérant étaient de manière générale vagues et imprécises. L’intéressé aurait simplement déclaré avoir participé à la campagne de l’opposition avant les élections de 2009, et ce en se joignant à des manifestations et en ayant des contacts avec le mouvement des étudiants et avec des étudiants, auxquels il aurait fourni son aide pour leurs pages web. De plus, il aurait dit que les documents en sa possession à l’époque de son interrogatoire de 2007 étaient semblables à ceux qu’il détenait en 2009. Ces éléments, combinés à la circonstance que le requérant n’aurait plus été convoqué devant le tribunal révolutionnaire après novembre 2009 et que sa famille n’aurait pas été inquiétée, amenèrent le tribunal à douter que la nature et la portée des activités politiques de l’intéressé eussent pu entraîner les effets allégués par le requérant. Le tribunal estima que le requérant avait exagéré l’importance et les conséquences de ses activités politiques, et donc également l’intérêt que les autorités lui portaient. Pour ces raisons, il considéra que le requérant n’avait pas établi que les autorités iraniennes s’intéressaient particulièrement à lui ni que, dès lors, il avait besoin de protection.

30. Les 30 mars et 19 avril 2011, le requérant demanda l’autorisation de saisir la cour d’appel des migrations (Migrationsöverdomstolen). Il maintint qu’il avait besoin de l’asile politique. Il allégua par ailleurs qu’il avait invoqué sa conversion devant le tribunal des migrations et indiqua que cette question était sensible pour lui, qu’il l’avait considérée comme étant d’ordre privé et n’avait pas voulu déprécier le sérieux de ses convictions. Selon ses dires, c’était la raison pour laquelle, en réponse à une question directe du tribunal des migrations, il avait dit qu’il n’invoquait plus sa conversion à l’appui de sa demande d’asile. Après l’audience devant le tribunal des migrations, il serait devenu membre d’une autre paroisse chrétienne et aurait participé à une cérémonie d’initiation diffusée sur Internet. Sa crainte que sa conversion fût parvenue à la connaissance des autorités iraniennes aurait donc augmenté. Pour étayer ses explications, il joignit une lettre du 13 avril 2011 de sa nouvelle paroisse, qui indiquait en particulier que le requérant s’était converti peu après son arrivée en Suède, que c’était avec une motivation et un intérêt sincères qu’il souhaitait en apprendre davantage sur le christianisme, et qu’il prenait part aux offices religieux ainsi qu’aux réunions de prières et activités sociales de l’église. La lettre ajoutait qu’il était devenu membre de la paroisse en février 2011 et que ses convictions chrétiennes n’avaient plus aucun caractère privé dès lors que les offices auxquels il assistait étaient diffusés sur Internet.

31. Le 8 juin 2011, la cour d’appel des migrations refusa au requérant l’autorisation d’interjeter appel, de sorte que la décision d’éloignement devint exécutoire.

32. Le 6 juillet 2011, le requérant demanda à l’office des migrations de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion et de réexaminer sa précédente décision à la lumière de faits nouveaux. Il déclara notamment qu’en Iran le fait de renoncer à l’islam pour se convertir à une autre religion était tabou et passible de la peine de mort. Il présenta la lettre susmentionnée de sa nouvelle paroisse datée du 13 avril 2011.

33. Le 13 septembre 2011, l’office des migrations refusa de réexaminer la demande d’asile du requérant fondée sur sa conversion. Il observa que lors de la procédure d’asile initiale l’intéressé avait déclaré avoir été baptisé et s’être converti au christianisme, et avait aussi indiqué que sa conversion était une question d’ordre privé dont il ne souhaitait pas faire état à l’appui de sa demande d’asile. Pour l’office, il y avait lieu de noter que le requérant soulevait désormais la question de sa conversion alors qu’il avait eu la possibilité de développer ce point pendant l’audience devant le tribunal des migrations mais avait refusé de le faire. L’office conclut donc que la conversion du requérant ne pouvait passer pour un fait nouveau, alors que l’existence de pareil fait était une condition préalable au réexamen de la demande par l’office des migrations.

34. Le requérant contesta cette décision auprès du tribunal des migrations, devant lequel il maintint ses allégations. Il soutint que dès lors qu’il n’avait pas précédemment invoqué sa conversion, celle-ci devait être considérée comme un fait nouveau.

35. Le 6 octobre 2011, le tribunal des migrations le débouta. Il observa que les autorités étaient déjà au courant de la conversion de l’intéressé lors de la procédure initiale ayant abouti à la décision d’expulsion. Il ajouta que la conversion ne pouvait dès lors passer pour un « fait nouveau ». Le choix antérieur du requérant de ne pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile ne changea rien à l’appréciation du tribunal sur ce point.

36. Le 22 novembre 2011, la cour d’appel des migrations refusa au requérant l’autorisation de la saisir.

37. Le chapitre 12, article 22, de la loi sur les étrangers indiquant que la validité d’une décision d’expulsion expire quatre ans après la date à laquelle elle a acquis force exécutoire, la validité de la décision litigieuse en l’espèce a expiré le 8 juin 2015.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

38. Les dispositions pertinentes régissant le droit pour les étrangers d’entrer et de séjourner sur le territoire suédois figurent dans la loi sur les étrangers (Utlänningslagen, 2005:716 – « la loi »), telle qu’en vigueur depuis le 1er janvier 2010.

39. Selon le chapitre 5, article 1, de la loi, un étranger ayant obtenu le statut de réfugié ou ayant besoin de protection à un autre titre a droit, sous réserve de certaines exceptions, à un permis de séjour en Suède. Le chapitre 4, article 1, de la loi dispose que le terme « réfugié » s’entend d’un étranger se trouvant hors du pays dont il a la nationalité parce qu’il a de solides motifs de craindre d’être persécuté du fait de sa race, de sa nationalité, de ses convictions religieuses ou politiques, de son sexe, de son orientation sexuelle ou d’une autre appartenance à un groupe social déterminé, et qu’il ne peut ou ne veut, du fait de ses craintes, se prévaloir de la protection de ce pays. Cette disposition s’applique tant dans le cas où la persécution est le fait des autorités du pays en question que dans celui où l’on ne peut attendre de celles-ci qu’elles offrent une protection contre la persécution par des particuliers. D’après le chapitre 4, article 2, de la loi, un « étranger ayant besoin de protection à un autre titre » s’entend d’une personne qui a quitté le pays dont elle a la nationalité en raison d’une crainte fondée d’être condamnée à la peine capitale ou à des châtiments corporels, ou d’être soumise à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants.

40. Par ailleurs, si un permis de séjour ne peut pas être accordé à un étranger pour les motifs susmentionnés, il peut néanmoins lui être octroyé si l’évaluation globale de sa situation fait apparaître l’existence de circonstances particulièrement difficiles (synnerligen ömmande omständigheter) justifiant qu’on l’autorise à séjourner sur le territoire suédois (chapitre 5, article 6, de la loi).

41. Concernant l’exécution d’une mesure d’expulsion ou d’éloignement, il faut tenir compte du risque pour l’intéressé d’être soumis à la peine capitale, à la torture ou à d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. Selon une disposition particulière relative aux empêchements à l’exécution d’une mesure – chapitre 12, article 1, de la loi –, un étranger ne doit pas être envoyé vers un pays où il y a de sérieuses raisons de penser qu’il risque de se voir infliger la peine capitale, des châtiments corporels, des actes de torture ou d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants. En outre, un étranger ne doit pas en principe être envoyé vers un pays où il risque d’être persécuté (chapitre 12, article 2, de la loi).

42. Un étranger peut, sous certaines conditions, se voir octroyer un permis de séjour même si la mesure d’expulsion ou d’éloignement a pris effet. Tel est le cas, d’après le chapitre 12, article 18, de la loi, lorsqu’apparaissent des faits nouveaux impliquant l’existence de motifs raisonnables de penser, notamment, que l’exécution de la mesure exposerait l’étranger à un risque d’être soumis à la peine capitale, à des châtiments corporels, à la torture ou à d’autres formes de peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou lorsque des raisons médicales ou d’autres motifs particuliers justifient la non-exécution de la mesure.

43. Si un permis de séjour ne peut pas être octroyé en vertu du chapitre 12, article 18, de la loi, l’office des migrations peut également réexaminer le dossier. Ce réexamen doit être effectué lorsque des faits nouveaux invoqués par l’étranger permettent de penser que l’exécution de la mesure se heurte à des empêchements durables du type de ceux visés au chapitre 12, articles 1 et 2, de la loi, et que ces éléments ne pouvaient pas être invoqués précédemment ou que l’intéressé montre qu’il avait une bonne raison de ne pas les invoquer. Si les conditions applicables ne sont pas remplies, l’office des migrations ne procède pas au réexamen (chapitre 12, article 19, de la loi).

44. La loi dispose que les questions relatives au droit pour les étrangers d’entrer et de séjourner sur le territoire suédois sont traitées par trois organes : l’office des migrations, le tribunal des migrations et la cour d’appel des migrations. Une décision de l’office des migrations refusant l’octroi d’un permis de séjour sur le fondement du chapitre 12, article 18, de la loi est toutefois insusceptible de recours (voir, a contrario, le chapitre 14 de la loi). Le chapitre 16, article 11, de la loi énonce que l’obtention de l’autorisation de former un recours est une condition préalable à l’examen au fond d’une affaire par la cour d’appel des migrations. L’autorisation d’introduire un recours est accordée s’il est important, pour orienter l’application de la loi, que la cour d’appel des migrations se penche sur le recours ou si des motifs exceptionnels justifient pareil examen.

Selon le chapitre 12, article 22, de la loi, la validité d’une décision d’expulsion qui n’émane pas d’une juridiction ordinaire (c’est-à-dire qui ne résulte pas d’une condamnation pénale) expire quatre ans après la date à laquelle elle a acquis force exécutoire. Lorsqu’une décision d’expulsion est frappée de prescription, l’étranger peut à nouveau demander l’asile et un permis de séjour. Une nouvelle demande implique un examen complet, par l’office des migrations, des motifs invoqués par l’étranger ; une décision négative de l’office peut être contestée devant le tribunal des migrations et la cour d’appel des migrations suivant les règles de la procédure ordinaire en matière d’asile et de permis de séjour. Un recours contre une décision négative de l’office a un effet suspensif, de sorte que l’étranger ne peut pas être expulsé tant que la procédure est en cours.

45. Le 30 novembre 2011, la cour d’appel suédoise des migrations rendit un arrêt (MIG 5 (25) 2011:29) statuant sur l’appréciation du risque de persécution dans les affaires de conversion « sur place ». Elle déclara que, pour apprécier si un étranger avait établi de façon plausible que sa conversion d’une religion à une autre était sincère en ce sens qu’elle reposait sur des convictions religieuses réelles et personnelles, il convenait de procéder à une évaluation individuelle conformément au Guide du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés et aux Principes directeurs du HCR sur la protection internationale relatifs aux demandes d’asile fondées sur la religion. La cour d’appel indiqua qu’il fallait procéder à une appréciation globale fondée sur les circonstances dans lesquelles la conversion était intervenue et sur le point de savoir si l’on pouvait s’attendre à ce que le demandeur vécût sa nouvelle foi à son retour dans son pays d’origine. Elle ajouta que, dans le cas d’une personne qui s’était convertie après avoir quitté son pays d’origine (conversion sur place), la question de la crédibilité appelait une attention particulière. Elle estima également que lorsque la conversion était invoquée peu après que la décision d’expulser le demandeur était devenue définitive et insusceptible de recours, il fallait être particulièrement attentif à la crédibilité des déclarations concernant la conversion. Elle précisa que dans le cas où on jugeait que la conversion d’une personne ne reposait pas sur des convictions sincères, on considérait que cette personne n’avait pas établi de façon plausible qu’à son retour dans son pays d’origine elle entendait y vivre sa nouvelle foi au risque de susciter l’intérêt des autorités ou d’autres personnes.

46. Le 12 novembre 2012, le directeur général des affaires juridiques de l’office suédois des migrations publia un « avis juridique général » sur les demandes d’asile fondées sur des motifs religieux, notamment une conversion (Rättsligt ställningstagande angående religion som asylskäl inklusive konvertering, RCI 26/2012). Cet avis s’appuie sur l’arrêt susmentionné de la cour d’appel des migrations (MIG 5 (25) 2011:29), les Principes directeurs du HCR et l’arrêt rendu le 5 septembre 2012 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z (C-71/11 et C-99/11, EU:C:2012:518) (paragraphe 50 ci-dessous). Il indique qu’il faut procéder à une appréciation minutieuse de la crédibilité d’une conversion afin de s’assurer de son authenticité, et qu’une personne dont la conversion ne repose pas sur une conviction réelle ne pratiquera très probablement pas sa nouvelle religion à son retour dans son pays d’origine. Il ajoute qu’en cas de défaut de crédibilité du demandeur il faut rechercher si l’adhésion à la nouvelle religion sera attribuée à l’individu en cas de retour dans son pays d’origine. Selon l’avis, il est important dans le cadre de cette appréciation de rechercher si la conversion peut parvenir, ou va parvenir, à la connaissance des autorités ou de tout autre acteur susceptible de représenter une menace. Enfin, d’après l’avis, une personne qui s’est sincèrement convertie ou qui risque de se voir attribuer ses nouvelles convictions religieuses et s’expose ainsi à la persécution ne doit pas être contrainte de cacher sa foi dans le seul but d’échapper à un tel traitement.

47. Le 10 juin 2013, le directeur général des affaires juridiques de l’office suédois des migrations émit un « avis juridique général » sur la méthodologie à suivre pour apprécier la fiabilité et la crédibilité des demandes de protection internationale (Rättsligt ställningstagande angående metod för prövningen av tillförlitlighet och trovärdighet, RCI 09/2013). Cet avis s’inspire notamment du rapport du HCR sur l’appréciation de la crédibilité dans les dispositifs d’asile de l’Union européenne (« Beyond Proof; Credibility Assessment in EU Asylum Systems », mai 2013). Selon cet avis, il incombe au demandeur de présenter tout élément pertinent et nécessaire pour étayer sa demande de protection internationale, et la charge de la preuve initiale repose sur lui. L’avis indique cependant que l’examen d’une demande de protection internationale relève de la responsabilité conjointe du demandeur et de l’autorité chargée de l’examen. Il ajoute que les preuves, dans un dossier de demande d’asile, sont constituées non seulement par les déclarations de l’intéressé mais aussi par les éléments fournis à l’appui, tels que des documents, des témoignages ou encore des informations sur le pays concerné.

III. LE DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPÉENNE ET LA JURISPRUDENCE DE LA COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPÉENNE

48. La Directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts (« la directive Qualification ») (remplacée par la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, en vigueur depuis le 9 janvier 2012), disposait en ses parties pertinentes :

Article 4 : Évaluation des faits et circonstances

« 1. Les États membres peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande.

2. Les éléments visés au paragraphe 1 correspondent aux informations du demandeur et à tous les documents dont le demandeur dispose concernant son âge, son passé, y compris celui des parents à prendre en compte, son identité, sa ou ses nationalité(s), le ou les pays ainsi que le ou les lieux où il a résidé auparavant, ses demandes d’asile antérieures, son itinéraire, ses pièces d’identité et ses titres de voyage, ainsi que les raisons justifiant la demande de protection internationale.

3. Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

b) les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécution ou d’atteintes graves ;

c) le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

d) le fait que, depuis qu’il a quitté son pays d’origine, le demandeur a ou non exercé des activités dont le seul but ou le but principal était de créer les conditions nécessaires pour présenter une demande de protection internationale, pour déterminer si ces activités l’exposeraient à une persécution ou à une atteinte grave s’il retournait dans ce pays ;

e) le fait qu’il est raisonnable de penser que le demandeur pourrait se prévaloir de la protection d’un autre pays dont il pourrait revendiquer la citoyenneté.

4. Le fait qu’un demandeur a déjà été persécuté ou a déjà subi des atteintes graves ou a déjà fait l’objet de menaces directes d’une telle persécution ou de telles atteintes est un indice sérieux de la crainte fondée du demandeur d’être persécuté ou du risque réel de subir des atteintes graves, sauf s’il existe de bonnes raisons de penser que cette persécution ou ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

5. Lorsque les États membres appliquent le principe selon lequel il appartient au demandeur d’étayer sa demande, et lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies :

a) le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande ;

b) tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ;

c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande ;

d) le demandeur a présenté sa demande de protection internationale dès que possible, à moins qu’il puisse avancer de bonnes raisons pour ne pas l’avoir fait, et

e) la crédibilité générale du demandeur a pu être établie. »

Article 5 : Besoins d’une protection internationale
apparaissant sur place

« 1. Une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes graves peut s’appuyer sur des événements ayant eu lieu depuis le départ du demandeur du pays d’origine.

2. Une crainte fondée d’être persécuté ou un risque réel de subir des atteintes graves peut s’appuyer sur des activités exercées par le demandeur depuis son départ du pays d’origine, en particulier s’il est établi que les activités sur lesquelles cette demande se fonde constituent l’expression et la prolongation de convictions ou d’orientations affichées dans le pays d’origine.

3. Sans préjudice de la convention de Genève, les États membres peuvent déterminer qu’un demandeur qui introduit une demande ultérieure ne se voit normalement pas octroyer le statut de réfugié, si le risque de persécutions est fondé sur des circonstances que le demandeur a créées de son propre fait depuis son départ du pays d’origine. »

Article 9 : Actes de persécution

« 1. Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ou

b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a).

2. Les actes de persécution, au sens du paragraphe 1, peuvent notamment prendre les formes suivantes :

a) violences physiques ou mentales, y compris les violences sexuelles ;

b) les mesures légales, administratives, de police et/ou judiciaires qui sont discriminatoires en soi ou mises en œuvre d’une manière discriminatoire ;

c) les poursuites ou sanctions qui sont disproportionnées ou discriminatoires ;

d) le refus d’un recours juridictionnel se traduisant par une sanction disproportionnée ou discriminatoire ;

e) les poursuites ou sanctions pour refus d’effectuer le service militaire en cas de conflit lorsque le service militaire supposerait de commettre des crimes ou d’accomplir des actes relevant des clauses d’exclusion visées à l’article 12, paragraphe 2 ;

f) les actes dirigés contre des personnes en raison de leur sexe ou contre des enfants.

3. Conformément à l’article 2, point c), il doit y avoir un lien entre les motifs mentionnés à l’article 10 et les actes de persécution au sens du paragraphe 1. »

Article 10 : Motifs de la persécution

« 1. Lorsqu’ils évaluent les motifs de la persécution, les États membres tiennent compte des éléments suivants :

a) la notion de race recouvre, en particulier, des considérations de couleur, d’ascendance ou d’appartenance à un certain groupe ethnique ;

b) la notion de religion recouvre, en particulier, le fait d’avoir des convictions théistes, non théistes ou athées, la participation à des cérémonies de culte privées ou publiques, seul ou en communauté, ou le fait de ne pas y participer, les autres actes religieux ou expressions d’opinions religieuses, et les formes de comportement personnel ou communautaire fondées sur des croyances religieuses ou imposées par ces croyances ;

(...) »

49. La Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 (« la directive Procédure ») relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (remplacée par la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, en vigueur depuis le 19 juillet 2013) énonçait notamment ce qui suit :

« CHAPITRE III : PROCÉDURES EN PREMIER RESSORT

(...)

SECTION II

Article 25 : Demandes irrecevables

1. Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (CE) no 343/2003, les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en application de la directive 2004/83/CE, lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2. Les États membres peuvent considérer une demande comme irrecevable en vertu du présent article lorsque :

(...)

f) le demandeur a introduit une demande identique après une décision finale ;

(...)

SECTION IV

Article 32 : Demandes ultérieures

1. Lorsqu’une personne qui a demandé l’asile dans un État membre fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure dans ledit État membre, ce dernier peut examiner ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure dans le cadre de l’examen de la demande antérieure ou de l’examen de la décision faisant l’objet d’un recours juridictionnel ou administratif, pour autant que les autorités compétentes puissent, dans ce cadre, prendre en compte et examiner tous les éléments étayant les nouvelles déclarations ou la demande ultérieure.

2. En outre, les États membres peuvent appliquer une procédure spéciale, prévue au paragraphe 3, lorsqu’une personne dépose une demande d’asile ultérieure :

a) après le retrait de sa demande antérieure ou la renonciation à celle-ci en vertu de l’article 19 ou 20 ;

b) après qu’une décision a été prise sur la demande antérieure. Les États membres peuvent également décider d’appliquer cette procédure uniquement après qu’une décision finale a été prise.

3. Une demande d’asile ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si, après le retrait de la demande antérieure ou après la prise d’une décision visée au paragraphe 2, point b), du présent article sur cette demande, de nouveaux éléments ou de nouvelles données se rapportant à l’examen visant à déterminer si le demandeur d’asile remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié en vertu de la directive 2004/83/CE sont apparus ou ont été présentés par le demandeur.

(...)

CHAPITRE V : PROCÉDURES DE RECOURS

Article 39 : Droit à un recours effectif

1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d’asile disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants :

a) une décision concernant leur demande d’asile, y compris :

i) les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 25, paragraphe 2,

(...) »

50. Le 5 septembre 2012, la grande chambre de CJUE rendit son arrêt dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z, précitée. Cette affaire concernait deux demandeurs d’asile originaires du Pakistan, Y et Z, qui affirmaient avoir subi des mauvais traitements en raison de leur appartenance à la communauté musulmane ahmadiyya, mouvement réformateur de l’islam, et indiquaient avoir été contraints de quitter leur pays d’origine pour cette raison. Les autorités allemandes avaient dit que Y et Z étaient très fortement attachés à leur foi et qu’au Pakistan ils avaient vécu cette foi activement ; qu’en Allemagne ils continuaient à mettre leur foi en pratique et qu’ils considéraient que la pratique de leur religion en public était nécessaire à la préservation de leur identité religieuse. Les demandes de décision préjudicielle portaient sur l’interprétation des articles 2c) et 9 § 1 a) de la directive Qualification. La Cour administrative fédérale allemande (Bundesverwaltungsgericht) avait posé trois questions à la CJUE. Tout d’abord, elle avait demandé dans quelle mesure une atteinte à la liberté de religion, en particulier le droit pour l’individu de vivre sa foi pleinement et ouvertement, était susceptible de constituer un « acte de persécution » au sens de l’article 9 § 1 a) de la directive Qualification. Ensuite, la juridiction nationale avait invité la CJUE à indiquer si la notion d’acte de persécution devait se limiter aux atteintes touchant uniquement ce qui était qualifié de « noyau dur » de la liberté de religion. Enfin, elle avait demandé à la CJUE si la crainte d’un réfugié d’être persécuté était justifiée, au sens de l’article 2 c) de la directive Qualification, lorsque l’intéressé entendait, une fois de retour dans son pays d’origine, se livrer à des actes religieux qui feraient naître un danger pour sa vie, sa liberté ou son intégrité, ou si au contraire on pouvait raisonnablement attendre de l’intéressé qu’il renonçât à de tels actes. Dans sa conclusion, la CJUE se prononça comme suit :

« 1) L’article 9, paragraphe 1, sous a), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, doit être interprété en ce sens que :

– toute atteinte au droit à la liberté de religion qui viole l’article 10, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’est pas susceptible de constituer un « acte de persécution » au sens de ladite disposition de cette directive ;

– l’existence d’un acte de persécution peut résulter d’une atteinte à la manifestation extérieure de ladite liberté, et

– aux fins d’apprécier si une atteinte au droit à la liberté de religion qui viole l’article 10, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est susceptible de constituer un « acte de persécution », les autorités compétentes doivent vérifier, au regard de la situation personnelle de l’intéressé, si celui-ci, en raison de l’exercice de cette liberté dans son pays d’origine, court un risque réel, notamment, d’être poursuivi ou d’être soumis à des traitements ou à des peines inhumains ou dégradants émanant de l’un des acteurs visés à l’article 6 de la directive 2004/83.

2) L’article 2, sous c), de la directive 2004/83 doit être interprété en ce sens que la crainte du demandeur d’être persécuté est fondée dès que les autorités compétentes, au regard de la situation personnelle du demandeur, estiment qu’il est raisonnable de penser que, à son retour dans son pays d’origine, il effectuera des actes religieux l’exposant à un risque réel de persécution. Lors de l’évaluation individuelle d’une demande visant à obtenir le statut de réfugié, lesdites autorités ne peuvent pas raisonnablement attendre du demandeur qu’il renonce à ces actes religieux. »

51. Le 2 décembre 2014, la grande chambre de la CJUE rendit son arrêt dans les affaires jointes A. et autres c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (C-148/13, C-149/13 et C-150/13, EU:C:2014:2406). Celle-ci concernait des ressortissants d’États tiers qui avaient déposé une demande d’asile aux Pays-Bas parce qu’ils craignaient d’être persécutés dans leurs pays d’origine respectifs en raison notamment de leur homosexualité. Le Conseil d’État néerlandais (Raad van State) avait soumis une demande de décision préjudicielle sur l’interprétation de l’article 4 de la directive Qualification, car il voulait savoir si le droit de l’Union européenne limitait l’action des États membres lors de l’examen de la demande d’asile d’une personne craignant d’être persécutée dans son pays d’origine en raison de son orientation sexuelle. Dans sa conclusion, la CJUE se prononça comme suit :

« L’article 4, paragraphe 3, sous c), de la directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts, ainsi que l’article 13, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de l’examen, par les autorités nationales compétentes, agissant sous le contrôle du juge, des faits et des circonstances concernant la prétendue orientation sexuelle d’un demandeur d’asile, dont la demande est fondée sur une crainte de persécution en raison de cette orientation, les déclarations de ce demandeur ainsi que les éléments de preuve documentaires ou autres présentés à l’appui de sa demande fassent l’objet d’une appréciation, par lesdites autorités, au moyen d’interrogatoires fondés sur la seule base de notions stéréotypées concernant les homosexuels.

L’article 4 de la directive 2004/83, lu à la lumière de l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre de cet examen, les autorités nationales compétentes procèdent à des interrogatoires détaillés sur les pratiques sexuelles d’un demandeur d’asile.

L’article 4 de la directive 2004/83, lu à la lumière de l’article 1er de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que, dans le cadre dudit examen, lesdites autorités acceptent des éléments de preuve, tels que l’accomplissement par le demandeur d’asile concerné d’actes homosexuels, sa soumission à des « tests » en vue d’établir son homosexualité ou encore la production par celui-ci d’enregistrements vidéo de tels actes.

L’article 4, paragraphe 3, de la directive 2004/83 ainsi que l’article 13, paragraphe 3, sous a), de la directive 2005/85 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de ce même examen, les autorités nationales compétentes concluent au défaut de crédibilité des déclarations du demandeur d’asile concerné au seul motif que sa prétendue orientation sexuelle n’a pas été invoquée par ce demandeur à la première occasion qui lui a été donnée en vue d’exposer les motifs de persécution. »

IV. PRINCIPES DIRECTEURS ET AUTRES DOCUMENTS PERTINENTS DU HCR

52. Le 28 avril 2004, le HCR publia les Principes directeurs sur la protection internationale relatifs aux demandes d’asile fondées sur la religion. Sous le titre « Analyse de fond, A. Définition du terme « religion », ces principes indiquent notamment :

« 9. Il n’est pas nécessairement pertinent d’établir la sincérité de la croyance, de l’identité et/ou d’une certaine manière de vivre dans chaque cas. Il peut ne pas s’avérer nécessaire, par exemple, qu’une personne (ou un groupe) déclare qu’elle appartient à telle religion, qu’elle respecte telle foi religieuse ou qu’elle observe telles pratiques religieuses dès lors que le persécuteur impute ou attribue cette religion, cette foi ou ces pratiques à cette personne ou à ce groupe. Comme cela est développé (...) ci-dessous, il n’est pas non plus nécessaire que le demandeur connaisse ou comprenne quoi que ce soit à propos de la religion s’il a été identifié par d’autres comme appartenant à ce groupe et s’il a des craintes de persécution pour cette raison. Une personne (ou un groupe) peut être persécutée pour des motifs religieux même si elle ou d’autres membres du groupe nient catégoriquement le fait que leur croyance, leur identité et/ou leur manière de vivre constituent une « religion ». »

Selon ces principes, la conviction religieuse, l’identité ou la manière de vivre sont considérées comme tellement fondamentales pour l’identité humaine qu’on ne saurait contraindre quelqu’un à les cacher, les modifier ou y renoncer pour échapper à la persécution. Des restrictions à la liberté de manifester sa religion ou ses convictions sont permises si elles sont prévues par la loi et sont nécessaires à la protection de la sécurité, de l’ordre et de la santé publics ou de la morale ou des libertés et droits fondamentaux d’autrui. Bien que la discrimination du fait de la religion soit interdite en vertu du droit international des droits de l’homme, toute discrimination n’atteint pas nécessairement le niveau requis pour justifier une reconnaissance du statut de réfugié. En outre, lorsque des personnes se convertissent après leur départ de leur pays d’origine, cela peut avoir pour effet de créer une demande « sur place ». Dans de telles situations, des préoccupations particulières sur le plan de la crédibilité ont tendance à émerger et un examen rigoureux et approfondi des circonstances et de la sincérité de la conversion sera nécessaire. Parmi les points à examiner figurent la nature des convictions religieuses défendues dans le pays d’origine et de celles défendues aujourd’hui et la connexion entre elles, toute critique vis-à-vis de la religion suivie dans le pays d’origine, par exemple en raison de sa position sur les questions de genre ou d’orientation sexuelle, la façon dont le demandeur a été sensibilisé à la nouvelle religion dans le pays d’accueil, son expérience de cette religion, son état psychologique et l’existence de preuves corroborant son implication et son appartenance à la nouvelle religion. Des activités prétendument « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif tiré de la Convention dans le pays d’origine du demandeur si la nature opportuniste de ces activités est évidente pour tous, y compris pour les autorités du pays, et que le retour de l’intéressé n’aurait pas de conséquences négatives graves.

53. Le HCR a également publié le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (« le Guide du HCR »). Le paragraphe 67 du Guide du HCR énonce ce qui suit :

« C’est à l’examinateur qu’il appartient, lorsqu’il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l’intéressé craint d’être victime de persécutions et de décider s’il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s’agira d’un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu’il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l’évaluation du bien-fondé de ses craintes. »

Est également utile le rapport du HCR « Beyond Proof; Credibility Assessment in EU Asylum Systems » (mai 2013).

V. ARRÊTS PERTINENTS DE LA COUR SUPRÊME DES ÉTATS‑UNIS

54. Les arrêts de la Cour suprême américaine United States v. Seeger (380 US 163 (1965)) et Welsh v. United States (398 US 333 (1970)) concernent l’objection de conscience et le « critère de la conviction religieuse » établi par la juridiction suprême sur le fondement du paragraphe 6 j) de la loi sur la formation et le service militaires universels. Dans le premier arrêt, la Cour suprême conclut que le critère de la conviction religieuse découlant du paragraphe 6 j) consistait à se demander si une conviction sincère et sérieuse tenait dans la vie de la personne concernée une place équivalente à celle occupée par le Dieu de ceux qui satisfaisaient assurément aux conditions d’exemption. Elle estima que le statut d’objecteur de conscience n’était pas réservé aux personnes ayant un profil religieux traditionnel. Dans le second arrêt, la Cour suprême jugea que, bien que M. Welsh niât tout fondement religieux à ses convictions – tandis que M. Seeger avait qualifié ses convictions pacifistes de « religieuses » –, elles n’en étaient pas moins valables. Plus spécifiquement, la haute juridiction déclara [traduction du greffe] :

« La Cour a indiqué [dans l’affaire Seeger] que les convictions sincères et sérieuses qui conduisent le conscrit à objecter à toute guerre n’ont pas besoin d’être limitées, quant à leur origine ou à leur teneur, à des conceptions traditionnelles ou confessionnelles de la religion. Elle a déclaré que le paragraphe 6 j) « ne fai[sait] pas de distinction entre les croyances qui viennent de l’extérieur et celles qui viennent de l’intérieur » (...), et également que les convictions « profondément personnelles » que d’aucuns pourraient juger « incompréhensibles » ou « incorrectes » relevaient de la notion de « croyance religieuse » figurant dans la loi (...) D’après l’arrêt Seeger, pour que l’objection de conscience à toute guerre revête un caractère « religieux » au sens du paragraphe 6 j), il est nécessaire que cette opposition découle des croyances morales, éthiques ou religieuses du conscrit sur le bien et le mal, et que l’intéressé adhère à ces croyances avec la même force qu’à des convictions religieuses traditionnelles. La plupart des grandes religions d’hier et d’aujourd’hui consacrent l’idée d’un être suprême ou d’une réalité suprême – un Dieu – qui d’une manière ou d’une autre transmet à l’homme une conscience de ce qui est bien et qu’il convient de faire, et de ce qui est mal et doit donc être évité. Si un individu adhère profondément et sincèrement à des croyances qui, bien qu’ayant une origine et une teneur purement éthiques ou morales, lui imposent un devoir de conscience de s’abstenir de participer à toute guerre en tout temps, alors ces croyances tiennent assurément dans la vie de cette personne « une place équivalente à celle qu’occupe Dieu » chez les personnes qui adhèrent à des convictions religieuses traditionnelles. Parce que ses convictions opèrent dans sa vie comme une religion, cette personne a le même droit à l’exemption d’objecteur de conscience « religieux » visée au paragraphe 6 j) qu’une personne dont l’opposition de conscience à la guerre découle de convictions religieuses traditionnelles. »

VI. DOCUMENTS D’INFORMATION PERTINENTS POUR LA DEMANDE D’ASILE POLITIQUE FORMÉE PAR LE REQUÉRANT

55. Parmi les documents d’information pertinents figure le rapport du ministère britannique de l’Intérieur sur l’Iran (« Iran, Country of Origin Information (COI) Report ») du 26 septembre 2013, qui décrit notamment l’histoire et l’évolution récentes (chapitres 3 et 4), les citations à comparaître (chapitre 11.53) et le mouvement des Verts (chapitre 15.49). Sont également intéressants le rapport du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l’homme dans la République islamique d’Iran, du 13 mars 2014, et le rapport du ministère britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth sur l’Iran (« Iran, Country of Concern ») du 10 avril 2014.

56. Le 1er octobre 2009, soit peu après les élections tenues en Iran le 12 juin 2009, la Commission des questions politiques de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) adopta une déclaration estimant que les violentes réactions des autorités iraniennes aux manifestations pacifiques constituaient une sérieuse atteinte aux droits fondamentaux des citoyens iraniens, et appelant les gouvernements des autres pays à ne pas renvoyer en Iran les citoyens iraniens. Par ailleurs, le rapport de 2010 du Département d’État américain sur les droits de l’homme en Iran (8 avril 2011), dans sa section 2 consacrée à la liberté d’expression, à la liberté de la presse et à la liberté sur Internet, observe ce qui suit [traduction du greffe] :

« L’État surveille les communications Internet, notamment par le biais de réseaux sociaux tels que Facebook, Twitter et YouTube, et recueille des données à caractère personnel dans le cadre de l’expression pacifique d’idées. Le gouvernement menace, harcèle et arrête des personnes qui ont posté sur Internet des commentaires critiques à son égard (...) »

Le ministère britannique de l’Intérieur, dans sa directive opérationnelle sur l’Iran (novembre 2011), indique ce qui suit : « 3.7.11 (...) Les militants connus et les opposants politiques signalés à l’attention des autorités courent un risque réel d’être persécutés en cas de retour en Iran ; ils doivent se voir accorder l’asile en raison de leurs opinions politiques. »

VII. DOCUMENTS D’INFORMATION PERTINENTS POUR LA DEMANDE D’ASILE DU REQUÉRANT FONDÉE SUR SA CONVERSION

57. Dans un document de juin 2014 faisant le point sur la situation des personnes converties au christianisme en Iran (« Update on the Situation for Christian Converts in Iran »), le Service danois de l’immigration écrit notamment ce qui suit :

« 1.2.1 Évolution des accusations portées contre les personnes converties au christianisme

Selon une organisation internationale présente en Turquie, bien que l’apostasie ne figure pas dans le code pénal iranien, il est arrivé que des juges rendent des jugements pour apostasie en se fondant sur ce qu’ils savent et en y mêlant la loi islamique. L’organisation évoque le cas du pasteur Soodmand, exécuté en 1990 après avoir été accusé d’apostasie. Elle ajoute qu’en 1994 un autre pasteur, Mehdi Dibaj, fut accusé d’apostasie, remis en liberté puis retrouvé mort dans une forêt. Depuis 1990, il n’a pas été fait état de convertis de l’islam au christianisme qui auraient été condamnés à la peine capitale pour apostasie en Iran. Le dernier cas en date dans lequel un converti a été accusé d’apostasie – largement relaté dans les médias internationaux – est celui de Yousef Naderkhani, un pasteur de l’Église d’Iran qui fut condamné à une peine de trois ans d’emprisonnement.

En 2009-2010, à l’époque où éclata l’affaire Naderkhani, le régime faisait pression sur les tribunaux pour qu’ils appliquent l’accusation d’apostasie aux cas de convertis. Les tribunaux y étaient toutefois réticents car les affaires d’apostasie relevaient des tribunaux religieux spécialement établis pour le clergé. Légalement, les tribunaux religieux étaient les seules juridictions à pouvoir juger une personne accusée d’apostasie, et uniquement donc dans le cas où l’intéressé était un membre du clergé qui s’était converti et si pareille accusation était applicable. En dehors des tribunaux religieux, les affaires concernant des convertis étaient traitées sur le fondement d’accusations de trouble à l’ordre public, et non d’apostasie.

Depuis 2011, le seul grand changement observé dans la manière dont les autorités traitent les personnes converties au christianisme est la cristallisation de l’idée que l’apostasie n’est pas applicable à ces personnes. De 2009 à 2011, les autorités iraniennes ont déclaré que les églises de maison étaient liées à des mouvements extérieurs, sionistes par exemple, et à des organisations basées à l’étranger, notamment aux États-Unis. Le régime perçoit les activités des mouvements évangéliques comme une offensive contre le régime iranien. Aussi les églises évangéliques et les églises de maison sont-elles vues sous l’angle de la sécurité nationale. Ce point de vue explique pourquoi certaines affaires concernant des convertis, surtout des responsables d’églises de maison, ont aussi donné lieu à des accusations à caractère plus politique.

Concernant Yousef Naderkhani, l’organisation Christian Solidarity Worldwide (CSW) déclare qu’à sa connaissance l’intéressé réside toujours à Rasht et poursuit son activité de pasteur. Depuis l’affaire Naderkhani, dans laquelle les charges ont été infirmées, l’accusation d’apostasie n’a plus été utilisée à l’égard de chrétiens en Iran. Aujourd’hui, toutes les accusations portées contre des convertis et des pasteurs ou des responsables d’églises de maison sont de nature politique et comportent des allégations d’espionnage ou de menace contre la sécurité nationale, y compris de liens avec des organes étrangers et des ennemis de l’islam, notamment les sionistes.

(...)

1.6 La situation des convertis qui rentrent en Iran après une conversion à l’étranger, c’est-à-dire dans un pays européen/occidental

Mansour Borji explique qu’il y a vingt ans, en Iran, une personne convertie au christianisme pouvait se faire baptiser dans une église. Au fil du temps, les églises qui célébraient des baptêmes en auraient payé le prix et, sous l’effet de pressions croissantes, cette possibilité aurait désormais disparu. Depuis 2006-2007, les convertis ne seraient plus baptisés dans des églises iraniennes parce que personne ne serait plus disposé à assumer les risques liés à l’administration de ce sacrement. Les personnes converties au christianisme auraient donc commencé à se rendre en Turquie et dans d’autres pays voisins pour se faire baptiser. Interrogée sur le point de savoir si les églises de maison célèbrent des baptêmes, la source déclare que certaines le font peut‑être. Concernant la situation des convertis qui rentrent en Iran après s’être fait baptiser à l’étranger (en Turquie, en Arménie, dans les Émirats arabes unis ou dans un autre pays), la source estime que les intéressés peuvent rentrer tranquillement en Iran et ne rencontrer aucun problème. Une personne qui était déjà surveillée par les autorités pourrait à son retour en Iran devoir faire face à certaines conséquences. Selon l’AIIS [Secrétariat international d’Amnesty International], il est difficile d’obtenir des informations sur les risques potentiels qui pèsent sur un individu à son retour en Iran après une conversion à l’étranger. Un individu qui est rentré en Iran et sur lequel des informateurs iraniens ont recueilli des renseignements serait susceptible d’être arrêté pour être interrogé par les autorités, puis l’arrestation et l’interrogatoire pourraient aboutir à une inculpation et à une condamnation. Un large éventail de personnes seraient ainsi exposées : des étudiants, des militants politiques, des proches de figures politiques risqueraient même d’être interrogés tout comme des personnes converties au christianisme. Sur la question de savoir si une personne baptisée à l’étranger est exposée à un danger émanant des autorités iraniennes, l’AIIS estime que l’importance du baptême doit être mise en balance avec la manière dont les autorités iraniennes perçoivent le converti. Une personne qui a participé à une formation et à des réunions à l’étranger pourrait passer pour convertie alors même qu’elle n’a pas été officiellement baptisée. Interrogé sur la situation d’une personne qui rentrerait en Iran après s’être convertie à l’étranger, c’est-à-dire dans un pays européen ou occidental, Mansour Borji considère qu’elle ne serait pas traitée différemment par les autorités iraniennes. Il estime que si la personne concernée est connue des autorités et que celles-ci s’intéressaient déjà à elle avant qu’elle ne quitte le pays, son retour peut la mettre en danger. Si elle est inconnue des autorités, il n’y a pas pour elle de grand danger, selon la source. Celle-ci évoque le cas d’une famille rentrée en Iran et dont les membres auraient alors été menacés et suivis ou harcelés. Il ne serait pas exclu que des proches ou d’autres personnes les aient dénoncés aux autorités, ce qui aurait causé le harcèlement. La famille en question, qui aurait commencé à fréquenter en secret une église de maison, aurait fini par quitter à nouveau l’Iran. Concernant les conséquences pour un individu qui rentre en Iran après s’être converti à l’étranger, l’organisation CSW déclare que toute personne convertie souhaitant à son retour pratiquer sa confession court de sérieux risques. Que l’individu concerné ait été baptisé dans un pays proche, en Europe ou aux États-Unis ne ferait aucune différence. Selon CSW, si une personne rentre en Iran et ne fait pas réellement de prosélytisme en faveur du christianisme, il n’en reste pas moins qu’elle a abandonné la « foi » (l’islam chiite) et qu’elle menace donc l’ordre du régime. Interrogé sur les conséquences d’un retour en Iran après un baptême à l’étranger, Elam Ministries indique que de nombreux Iraniens se rendent en effet à l’étranger et rentrent en Iran après un certain temps, et que si les autorités iraniennes apprennent qu’une personne s’est fait baptiser à l’étranger celle-ci s’expose à un interrogatoire et à certaines conséquences. Selon la source, c’est par le biais d’informateurs et de la surveillance téléphonique et sur Internet que les autorités peuvent découvrir qu’une personne a été baptisée. Sur la question de savoir comment les personnes qui ont été baptisées à l’étranger poursuivent une vie chrétienne après leur retour en Iran, la source considère que les convertis iraniens ont besoin du baptême en raison de leur origine islamique. Il serait plus facile psychologiquement de vivre comme un chrétien après avoir été baptisé. Après le baptême, un individu présenterait souvent de plus grands changements comportementaux, qui apparaîtraient flagrants à autrui. Fort de son expérience, un responsable de réseau iranien déclare qu’après être devenu chrétien il a cessé de blasphémer et de se mettre en colère comme il en avait l’habitude, et que ce changement de comportement a bien sûr été remarqué par les membres de sa famille et de son entourage. Par ailleurs, après être devenu chrétien un individu recevrait pour commandement de partager sa foi avec autrui. Prêcher l’évangile ferait partie des enseignements de la Bible, et l’évangile selon Saint Matthieu indiquerait qu’il faut aller parler de Jésus à autrui. Les personnes converties auraient à cœur d’obéir à ce commandement, et ce seraient les évangélisateurs que les autorités voudraient empêcher d’agir. La source considère que les personnes revenant de pays occidentaux après s’être converties doivent être très prudentes concernant toute activité d’évangélisation. Un individu retournant en Iran après s’être converti en Europe serait dans une situation sensiblement identique à celle d’un Iranien qui se convertit en Iran. Il serait contraint d’adopter un profil bas et de s’abstenir de parler ouvertement de sa conversion. Dans l’hypothèse où sa conversion serait découverte et signalée aux autorités, il risquerait d’être soupçonné de liens avec des organisations étrangères, à peu près comme un converti résidant en Iran. La source ajoute que les personnes qui séjournent hors d’Iran pendant de longues périodes courent peut-être un risque accru dès lors que les autorités peuvent les soupçonner d’espionnage. Elle précise que cela vaut non seulement pour les personnes converties au christianisme mais aussi pour les autres Iraniens. Interrogés sur la situation de personnes converties au christianisme qui rentrent en Iran après s’être rendues en Turquie ou dans un autre pays, et avoir rencontré d’autres croyants, les représentants de l’Union Church indiquent à la délégation que si les convertis se tiennent « tranquilles », c’est-à-dire qu’ils ne fréquentent pas d’autres croyants, il se peut qu’ils ne soient pas repérés et que leur séjour dans un pays étranger ne change pas grand-chose à leur situation. La source estime qu’un individu qui rentre en Iran après avoir été baptisé dans un pays occidental n’est pas moins exposé s’il renonce au baptême et explique que sa démarche faisait partie d’une stratégie pour partir à l’ouest. Cela pourrait passer auprès des familles, mais pas des autorités nationales. Les convertis en Iran risqueraient arrestation, actes de torture et exécution ; en général ils ne déclareraient pas leur religion au moment de postuler à un emploi ou dans un établissement d’enseignement. Selon les représentants de l’Union Church, même s’ils ne sont pas connus des autorités les convertis peuvent être victimes de rejet, voire de « crimes d’honneur », de la part de leurs familles. Les minorités ethniques chrétiennes (arméniennes, assyriennes) seraient autorisées à se réunir et à pratiquer leur culte dans des conditions strictement encadrées. La source déclare que l’on entend aussi parler de difficultés rencontrées par ces minorités, certaines étant rapportées dans les médias. »

58. Le rapport du ministère britannique de l’Intérieur intitulé « Iran, Country of Origin Information (COI) Report », daté du 26 septembre 2013, renferme notamment les passages suivants :

« 19.01 Le rapport sur la persécution des chrétiens en Iran établi par l’intergroupe parlementaire (APPG) Chrétiens au Parlement (« Christians in Parliament ») et publié en octobre 2012 énonce :

« Avant la révolution, l’Iran était perçu comme étant bien disposé à l’égard des minorités religieuses. La Constitution iranienne contient des garanties pour le respect des droits fondamentaux, notamment la liberté d’opinion, et pour la protection contre la torture et l’arrestation arbitraire. L’article 23 de la Constitution se lit ainsi : « Le délit d’opinion est proscrit et nul ne peut faire l’objet d’un blâme ou d’une admonestation en raison de ses opinions ». Ces droits sont toutefois subordonnés à un principe plus général selon lequel la charia prime dans tout conflit de lois, de sorte que ces dispositions constitutionnelles n’ont pas mis fin aux multiples interrogatoires et sanctions que subissent des Iraniens du simple fait de leurs croyances religieuses. »

19.02 Le même rapport de l’APPG ajoute : « La Constitution iranienne consacre la protection de la liberté de religion pour les chrétiens, les juifs et les zoroastriens, et il existe un système d’enregistrement des lieux de culte non musulmans. En réalité cependant, même les Églises officiellement reconnues sont confrontées à de sévères restrictions de leur liberté de culte. »

(...)

Démographie religieuse

19.09 Le World Factbook de la Central Intelligence Agency (CIA), mis à jour le 22 août 2013, consulté le 11 septembre 2013, donne la répartition suivante des groupes religieux en Iran : « musulmans (officiels) 98 % (chiites 89 %, sunnites 9 %), autres (notamment zoroastriens, juifs, chrétiens et baha’is) 2 % ».

(...)

Projet de loi sur l’apostasie

19.21 Le rapport de l’ICHRI [Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran] de 2013, « The Cost of Faith », relève ceci : « Le nouveau code pénal iranien, en attente d’approbation définitive, n’a pas codifié l’apostasie. Il comporte toutefois une disposition renvoyant à l’article 167 de la Constitution iranienne, qui impose explicitement aux juges d’utiliser les sources juridiques islamiques lorsque des infractions ou sanctions ne sont pas couvertes par le code. Cela laisse le champ libre à une pratique persistante qui consiste à s’appuyer sur une jurisprudence considérant l’apostasie comme un crime capital ».

(...)

Poursuites des apostats

19.23 Sur les poursuites des apostats, le rapport de Landinfo pour 2011 énonce ce qui suit :

« En pratique, les condamnations pour apostasie sont très rares ». La même source poursuit toutefois ainsi : « Accuser d’apostasie des personnes converties semble être devenu plus courant (...) Des accusations formelles pour apostasie ont été dirigées assez rarement contre des convertis en Iran, mais des menaces en ce sens sont formulées lors de procès comme moyen de pression sur les personnes converties pour les amener à déclarer qu’elles se repentent et souhaitent revenir à l’islam. Dans de nombreux cas, le tribunal a décidé de remettre en liberté le converti sans retenir aucune accusation, ou a porté d’autres accusations, comme la fréquentation d’une église de maison illégale ou des contacts avec des médias étrangers. »

19.24 Le rapport de l’ICHRI de 2013, « The Cost of Faith », renferme le passage suivant :

« La Campagne a permis de recueillir des informations sur trois cas de chrétiens accusés d’apostasie, ceux de Mehdi Dibaj, Yousef Naderkhani et Hossein Soodmand, ainsi que sur un cas, celui de Hossein Soodmand, un chrétien exécuté par l’État pour apostasie. Soodmand, converti et pasteur, fut arrêté en 1990. Après deux mois d’emprisonnement, période pendant laquelle il aurait refusé de renoncer à sa foi, il fut exécuté par pendaison. On ignore s’il a été jugé. Naderkhani, lui aussi converti et pasteur, fut arrêté en 2009 et par la suite condamné à mort. Le réexamen de sa cause, accepté après recours, retint l’attention de la communauté internationale ; à la suite de pressions exercées par les Nations unies, l’Union européenne, des organisations internationales de défense des droits de l’homme et le Vatican, il fut acquitté du chef d’apostasie et sa peine fut commuée en une peine de trois ans d’emprisonnement pour des accusations liées à l’évangélisation. Il fut remis en liberté en 2012, après avoir purgé sa peine. »

(...)

Les chrétiens

« La lecture de la présente section doit être combinée avec celle des sections relatives à l’apostasie, aux poursuites des apostats et aux musulmans convertis au christianisme.

19.31 Le rapport de l’ICHRI de 2013, « The Cost of Faith », indique : « Il n’y a pas en Iran de statistiques précises sur le nombre de chrétiens, en particulier de convertis au christianisme, en raison de l’absence de sondage fiable. En 2010, le groupe de recherche World Christian Database (WCD) a dénombré 270 057 chrétiens en Iran, soit environ 0,36 % de l’ensemble de la population iranienne, qui compte 74,7 millions de personnes. En Iran, il y a deux grands groupes de chrétiens : les chrétiens ethniques et les chrétiens non ethniques. La majorité sont des chrétiens ethniques, c’est-à-dire des Arméniens et des Assyriens (ou Chaldéens), qui possèdent leurs propres traditions linguistiques et culturelles. La plupart des chrétiens ethniques sont membres de l’Église orthodoxe de leur communauté. Les chrétiens non ethniques appartiennent majoritairement aux Églises protestantes et sont pour la plupart, mais non dans leur totalité, des convertis qui étaient à l’origine musulmans. En 2010, le WCD a recensé approximativement 66 700 chrétiens protestants en Iran, ce qui représente environ 25 % de la communauté chrétienne iranienne. Le gouvernement iranien ne reconnaît pas les convertis comme des chrétiens, et nombre d’entre eux ne font pas état publiquement de leur foi par crainte d’être poursuivis. Aussi le nombre de convertis en Iran est-il probablement sous-estimé. Diverses organisations chrétiennes iraniennes ont indiqué à l’ICHRI que le nombre de personnes converties au christianisme pourrait s’élever à 500 000, mais cette estimation n’a pas pu être confirmée par une source indépendante. »

Les musulmans convertis au christianisme

(...)

19.53 Le rapport du CSW de juin 2012 renferme le passage suivant :

« Depuis début 2012, on constate une augmentation notable du nombre d’actes de harcèlement, d’arrestations, de procès et de mises en détention de convertis au christianisme dans différentes villes à travers l’Iran, avec une répression particulière contre des individus et groupes à Téhéran, Kermanshah, Ispahan et Chiraz. Bien que certains de ces détenus aient été remis en liberté après avoir été invités à signer des documents qui leur interdisent de participer à des rassemblements chrétiens, de nombreux autres sont encore en détention, y compris des femmes et des personnes âgées. Il y a eu en février 2012 une augmentation particulière des arrestations, qui s’est poursuivie en mars. Là encore, des cautions exorbitantes ont été exigées contre la remise en liberté provisoire de chrétiens détenus. La nouvelle vague de répression a touché à la fois le mouvement des églises de maison et les confessions agréées ; la répression visant ces dernières s’inscrivait dans le prolongement de faits survenus fin 2011, lorsque les autorités avaient fait une descente dans une église appartenant au mouvement autorisé des Assemblées de Dieu, à Ahwaz, emprisonnant toutes les personnes présentes, y compris des enfants participant au catéchisme. Si en 2011 les attaques directes contre les églises autorisées ont été rares, l’année 2012 a vu pour l’heure l’arrestation des responsables des églises anglicanes de Saint-Paul et de Saint‑Pierre à Ispahan, la troisième ville d’Iran. En mai [2012], il a été signalé que le pasteur Hekmat Salimi, chef de l’église Saint-Paul, avait bénéficié d’une libération provisoire contre le versement d’une caution d’environ 40 000 dollars. » Pour de plus amples informations, voir le rapport du CSW.

19.54 Le 8 septembre 2012, le Guardian a rendu compte de la remise en liberté du pasteur chrétien Yousef Naderkhani tout en relevant que, « [e]n avril [2012], un autre pasteur, Farshid Fathi, âgé de trente-trois ans, [avait] été la dernière victime en date de la persécution étatique des convertis au christianisme après avoir été condamné à une peine de six ans d’emprisonnement par un tribunal révolutionnaire, selon l’Agence iranienne d’information chrétienne ». Le rapport de 2013 de la Commission américaine sur la liberté religieuse dans le monde (USCIRF [United States Commission on International Religious Freedom]), indique ceci : « Une partie des éléments de preuve présentés au procès tendaient à indiquer que Fathi avait possédé, et diffusé illégalement, des bibles et de la littérature chrétienne en langue farsi. Il a passé plusieurs mois à l’isolement et est toujours en prison. »

19.55 Le rapport conjoint du service danois de l’immigration, de Landinfo Norvège et de la mission d’enquête du Conseil danois pour les réfugiés à Téhéran-Iran, Ankara-Turquie et Londres-Royaume-Uni, « sur la conversion au christianisme, les questions concernant les Kurdes et les manifestants du soulèvement postélectoral de 2009, ainsi que les questions juridiques et les procédures de sortie », des 9‑20 novembre 2012 et 8-9 janvier 2013, publié en février 2013 [rapport d’enquête danois de 2013], fait état du risque de persécution que courent les personnes converties au christianisme. La plupart des sources consultées ont souhaité rester anonymes. Le rapport comporte les observations suivantes :

« Une organisation internationale d’Ankara déclare que les autorités perçoivent les mouvements évangéliques comme une sorte de réseau de renseignement et ont tendance à s’en prendre surtout à ceux qui évangélisent et font du prosélytisme. Les autorités ne se préoccuperaient pas des individus convertis, mais il en irait autrement s’ils se lançaient dans des activités plus organisées. La source ajoute que, par exemple, les autorités n’ont pas retiré aux chaînes de télévision satellite qui diffusent des émissions chrétiennes l’autorisation d’émettre. Selon la source, les autorités ne font pas la chasse aux membres d’églises de maison mais tendent plutôt à s’en prendre aux « gros poissons », c’est-à-dire à ceux qui organisent les choses et font du prosélytisme, dès lors qu’ils sont perçus comme une menace pour la société. Pour la source, les évangélisateurs qui diffusent des informations chrétiennes courent plus de risques que les autres et des efforts considérables sont déployés aux fins de pourchasser ces personnes, à savoir les pasteurs. Interrogée sur ce qui pourrait conduire à la persécution d’un converti chrétien, une ambassade occidentale souligne que le fait de se livrer à une activité évangélique ou de manifester activement son identité chrétienne dans la sphère publique risque de provoquer une réaction négative des autorités et de créer des ennuis. Porter une croix ne serait pas un problème en soi. La source ajoute que le risque couru par une personne peut toutefois aussi dépendre de ce que l’individu a fait par le passé, par exemple si une activité antérieure a été enregistrée par les autorités. »

(...)

19.58 Le 16 juin 2013, Mohabat a rapporté ce qui suit :

« Selon Mohabat News, le tribunal révolutionnaire de Chiraz a notifié les condamnations de Mojtaba Seyyed-Alaedin Hossein, Mohammad-Reza Partoei (Koorosh), Vahid Hakkani et Homayoun Shokouhi à leur avocat. Ces trois hommes chrétiens ont été déclarés coupables des chefs suivants : fréquentation d’une église de maison, diffusion du christianisme, contacts avec des pasteurs étrangers, propagande contre le régime et atteinte à la sécurité nationale. Tous ont été condamnés à une peine de trois ans et huit mois d’emprisonnement.

(...) »

EN DROIT

I. OBSERVATIONS LIMINAIRES

A. Le Gouvernement

59. Lors de l’audience du 3 décembre 2014, le Gouvernement a estimé qu’il était dans l’intérêt de la procédure que la Cour rendît son arrêt avant le 8 juin 2015, la validité de la décision d’expulsion litigieuse devant expirer ce jour-là en application du chapitre 12, article 22, de la loi suédoise sur les étrangers.

60. Dans ses observations complémentaires du 23 juin 2015, le Gouvernement demande à la Grande Chambre de rayer l’affaire du rôle comme elle l’a fait, par exemple, dans P.Z. et autres c. Suède ((radiation), no 68194/10, §§ 14-17, 18 décembre 2012).

61. Il indique que la décision d’expulsion n’est plus exécutoire, que le requérant ne peut plus être expulsé de Suède en application de cette décision et qu’il obtiendra un réexamen ordinaire et complet du fond de sa cause après dépôt d’une nouvelle demande d’asile. Ainsi, se fondant sur l’article 37 § 1 c) de la Convention, le Gouvernement dit qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête et qu’il n’y a pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigent la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine).

62. Dans l’hypothèse où la Grande Chambre ne rayerait pas la requête du rôle, le Gouvernement estime qu’il y a lieu de la déclarer irrecevable, le requérant ne pouvant à son avis se prétendre victime, au sens de l’article 34 de la Convention, d’une décision d’expulsion qui n’est plus exécutoire. Pour le Gouvernement, la requête est donc incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et doit être déclarée irrecevable en application de l’article 35 § 4.

63. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement affirme que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, indiquant que celui-ci peut à présent déposer une nouvelle demande d’asile, laquelle sera selon lui examinée au fond par toutes les autorités compétentes. À titre subsidiaire, il soutient donc que la présente requête doit être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

B. Le requérant

64. Le requérant déclare qu’il souhaite maintenir la requête et prie la Cour d’en poursuivre l’examen au fond. Il indique que si la Cour met fin à l’examen de sa requête, il lui faudra déposer une nouvelle demande d’asile. Il dit que, dans cette éventualité, il a l’intention d’invoquer sa conversion au christianisme.

65. De l’avis du requérant, le « litige » porté devant la Grande Chambre ne peut être considéré comme ayant été résolu, au sens de l’article 37 § 1 b), par l’expiration le 8 juin 2015 de la validité de la décision d’expulsion le visant. L’intéressé expose qu’il n’a obtenu des autorités suédoises ni asile ni permis de séjour en Suède, contrairement par exemple aux requérants dans les affaires M.E. c. Suède ((radiation) [GC], no 71398/12, 8 avril 2015) et W.H. c. Suède ((radiation) [GC], no 49341/10, 8 avril 2015). Selon lui, on ne peut donc conclure qu’il ne risque plus d’être expulsé.

66. Il estime qu’on ne peut pas non plus conclure qu’il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête au regard de l’article 37 § 1 c).

67. Il soutient qu’en tout état de cause l’affaire soulève des questions graves d’importance fondamentale et que le respect des droits de l’homme exige que la Grande Chambre en poursuive l’examen.

68. Il indique que lorsque la Cour a rayé du rôle, entre autres, les affaires Atayeva et Burman c. Suède ((radiation), no 17471/11, 31 octobre 2013), P.Z. et autres c. Suède (précité), et B.Z. c. Suède ((radiation), no 74352/11, 18 décembre 2012) en application de l’article 37 § 1 c), elle n’a pas rendu d’arrêt de chambre.

69. Il expose que la présente espèce, en revanche, a donné lieu à un arrêt de chambre, à un renvoi devant la Grande Chambre et à une audience. À tous les stades, le Gouvernement aurait vivement contesté les griefs du requérant et la chambre les aurait rejetés. Une radiation du rôle, à présent, causerait donc un préjudice considérable au requérant.

70. De plus, le requérant soutient que la procédure d’asile a été viciée. Il ajoute que si la Grande Chambre ne se prononce pas sur ce point, il y a un risque évident que les décisions antérieures, notamment l’arrêt de la chambre, soient prises pour argent comptant et tenues pour exemptes de défaut par les autorités et juridictions nationales. Quoi qu’il en soit, il estime que, dans le contexte d’une série de décisions potentiellement viciées relativement aux risques qu’il court en cas de retour en Iran, il serait fondamentalement désavantagé s’il devait former une nouvelle demande d’asile. Selon lui, il est injustifié de lui imposer pareille démarche alors que la Grande Chambre a maintenant la possibilité de se prononcer sur les vices allégués par lui et qu’elle est si près de statuer sur l’affaire.

71. Enfin, le requérant arguë que les parties et les tiers intervenants se sont donné beaucoup de mal pour préparer et soumettre des observations détaillées dans cette affaire, et que la Grande Chambre a engagé des efforts et des moyens pour organiser une audience. Il estime que ces efforts et ces moyens seraient gaspillés si la requête était à présent rayée du rôle, et qu’une telle décision ne serait pas justifiée.

C. L’appréciation de la Cour

72. L’article 37 § 1 de la Convention énonce :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou

b) que le litige a été résolu ; ou

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

73. La Cour observe que, conformément à sa jurisprudence constante dans les affaires concernant l’expulsion d’un requérant d’un État défendeur, elle considère, dès lors que l’intéressé a obtenu un permis de séjour et ne risque plus d’être expulsé de cet État, que l’affaire a été résolue au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention et elle la raye de son rôle, que le requérant approuve ou non cette décision (voir, notamment, M.E. c. Suède, précité, § 32, H c. Norvège (déc.), no [51666/13](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2251666/13%22%5D%7D), 17 février 2015, I.A. c. Pays-Bas (déc.), no [76660/12](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2276660/12%22%5D%7D), 27 mai 2014, O.G.O. c. Royaume-Uni (déc.), no [13950/12](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2213950/12%22%5D%7D), 18 février 2014, Isman c. Suisse (déc.), no [23604/11](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2223604/11%22%5D%7D), 21 janvier 2014, M.A. c. Suède (déc.), no [28361/12](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2228361/12%22%5D%7D), 19 novembre 2013, A.G. c. Suède (déc.), no [22107/08](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2222107/08%22%5D%7D), 6 décembre 2011, et Sarwari c. Autriche (déc.), no [21662/10](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2221662/10%22%5D%7D), 3 novembre 2011). La raison en est que la Cour a toujours envisagé la question sous l’angle d’une violation potentielle de la Convention, étant d’avis que la menace d’une violation disparaît de par la décision accordant au requérant le droit de séjour dans l’État défendeur en cause (M.E. c. Suède, précité, § 33).

74. Par ailleurs, dans certaines affaires où le requérant n’avait pas obtenu de permis de séjour, la Cour a estimé qu’il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 c) de la Convention, et a décidé de rayer celle-ci du rôle parce qu’il ressortait clairement des informations dont elle disposait que le requérant ne risquait plus, ni à ce moment-là ni avant longtemps, d’être expulsé et soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, et qu’il avait la possibilité de contester devant les autorités nationales une éventuelle mesure d’éloignement (voir, notamment, I.A. c. Pays-Bas, décision précitée, P.Z. et autres c. Suède, précité, §§ 14-17, B.Z. c. Suède, précité, §§ 17-20, et, mutatis mutandis, concernant l’article 8, Atayeva et Burman, précité, §§ 19‑24).

75. Dans toutes les affaires précitées, la Cour a estimé qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeaient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine).

76. Cependant, dans des affaires comme celles qui sont mentionnées au paragraphe 74 ci-dessus, où le risque d’expulsion disparaît avant toute décision sur la recevabilité de la requête, il est arrivé que la Cour conclue à l’irrecevabilité dès lors que le requérant ne pouvait plus se prétendre victime au sens de l’article 34 de la Convention (voir, notamment, Atsaev c. République tchèque (déc.), no 14021/10, 7 juillet 2015, Tukhtamurodov c. Russie (déc.), no 21762/14, 20 janvier 2015, Andreyev c. Estonie (déc.), no 42987/09, 22 janvier 2013, Etanji c. France (déc.), no 60411/00, 1er mars 2005, Pellumbi c. France (déc.), no 65730/01, 18 janvier 2005, et Vijayanathan et Pusparajah c. France, 27 août 1992, § 46, série A no 241‑B). En effet, par « victime », l’article 34 de la Convention désigne une personne directement concernée – ou risquant d’être directement concernée – par l’acte ou l’omission litigieux.

77. En l’espèce, la Cour observe qu’en application du chapitre 12, article 22, de la loi sur les étrangers, la validité de la décision d’expulsion, qui avait acquis force exécutoire le 8 juin 2011, lorsque la cour d’appel des migrations avait refusé au requérant l’autorisation d’interjeter appel (paragraphe 31 ci-dessus), a expiré quatre ans plus tard, c’est-à-dire le 8 juin 2015. La décision d’expulsion est donc frappée de prescription et ne peut plus être exécutée.

78. Il n’est pas contesté que le requérant a la possibilité d’engager une nouvelle procédure d’asile complète. S’il le faisait, sa demande serait alors examinée au fond par l’office des migrations et, en cas de recours, par les juridictions des migrations. L’intéressé a déclaré que si la Cour mettait fin à l’examen de la requête il présenterait une nouvelle demande d’asile, à l’appui de laquelle il invoquerait sa conversion au christianisme (paragraphe 64 ci-dessus).

79. À l’heure actuelle, toutefois, le requérant est dans une situation incertaine. Il n’a obtenu ni asile ni permis de séjour en Suède et, pendant une nouvelle procédure d’asile, il resterait immanquablement dans le flou concernant les points soulevés au titre des articles 2 et 3 de la Convention dans le cadre de la présente requête. Dans ces conditions, la Cour n’est pas convaincue que le requérant ait totalement perdu sa qualité de victime. Néanmoins, conformément à la jurisprudence citée au paragraphe 74, elle observe que, en principe, il ne se justifie sans doute plus de poursuivre l’examen de la requête (article 37 § 1 c) de la Convention).

80. Il reste à déterminer si en l’espèce il existe des circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigent la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine).

81. La Cour rappelle que, le 2 juin 2014, l’affaire a été renvoyée à la Grande Chambre en vertu de l’article 43 de la Convention, qui dispose qu’une affaire peut faire l’objet d’un tel renvoi si elle soulève une « question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général ».

82. La Cour note que d’importantes questions se trouvent en jeu dans la présente affaire, notamment en ce qui concerne les obligations que doivent remplir les parties à une procédure d’asile. Par son impact, l’espèce dépasse donc la situation particulière du requérant, contrairement à la plupart des affaires d’expulsion semblables qui sont examinées par une chambre.

83. Dans ce contexte, conformément à l’article 37 § 1 in fine de la Convention, la Cour estime que des circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles exigent qu’elle poursuivre l’examen de la requête.

84. En conséquence, elle rejette la demande de radiation de l’affaire du rôle formulée par le Gouvernement.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DES ARTICLES 2 ET 3 DE LA CONVENTION

85. Le requérant allègue qu’eu égard à son passé politique en Iran et à sa conversion de l’islam au christianisme en Suède, son renvoi en Iran emporterait violation des articles 2 et 3 de la Convention, qui se lisent ainsi :

Article 2

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d’une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2. La mort n’est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d’un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a) pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b) pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l’évasion d’une personne régulièrement détenue ;

c) pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

Article 3

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. L’arrêt de la chambre

86. Dans son arrêt du 16 janvier 2014, la chambre a dit que la mise en œuvre de la décision d’expulsion visant le requérant n’emporterait pas violation de l’article 2 ou de l’article 3 de la Convention. Elle a examiné les deux dispositions conjointement et procédé à une appréciation globale des risques liés au passé politique du requérant et à sa conversion au christianisme.

87. La chambre a observé que les autorités nationales avaient soigneusement examiné la demande d’asile du requérant et que rien n’indiquait que les procédures en question eussent été dépourvues de garanties effectives propres à protéger l’intéressé contre tout éloignement arbitraire ou eussent été viciées à un autre titre.

88. Concernant les activités politiques alléguées du requérant en Iran, la chambre a constaté qu’aucune information n’indiquait que les activités et l’engagement politiques de l’intéressé eussent revêtu un caractère autre que marginal. De plus, elle a souscrit à l’appréciation des autorités nationales selon laquelle les déclarations du requérant sur ses activités politiques avaient été vagues et imprécises et a estimé que même devant elle l’intéressé n’avait pas fourni de description détaillée des pages web évoquées par lui et de leur contenu censément critique. En outre, elle a considéré que le requérant n’avait présenté aucun élément, hormis ses propres déclarations, pour étayer l’existence de ces pages web. Elle a également relevé qu’il avait déclaré que ses proches en Iran n’avaient pas été inquiétés du fait de ses activités politiques. Enfin, elle a fait remarquer que l’intéressé n’avait pas affirmé avoir poursuivi ses activités politiques après son arrivée en Suède.

89. S’agissant de la conversion du requérant, la chambre a observé que celui-ci avait expressément déclaré devant les autorités nationales qu’il ne souhaitait pas invoquer son appartenance religieuse à l’appui de sa demande d’asile parce que pour lui cette question relevait du domaine privé. Elle a noté en particulier que l’intéressé avait eu la possibilité de soulever la question de sa conversion lors de la procédure orale devant le tribunal des migrations mais avait choisi de ne pas le faire. Elle a précisé que le requérant n’avait changé de position que lorsque la décision d’expulsion le visant était devenue exécutoire. Elle a constaté par ailleurs que l’intéressé avait déclaré qu’il s’était converti au christianisme seulement après son arrivée en Suède et qu’il avait cantonné sa foi dans le domaine privé. Eu égard à l’ensemble de ces éléments, la chambre a estimé que rien n’indiquait que les autorités iraniennes fussent au courant de la conversion de l’intéressé.

B. Les observations des parties

1. Le requérant

90. Le requérant soutient qu’il serait contraire aux articles 2 et 3 de la Convention d’exécuter la décision d’expulsion prise à son égard, pour les raisons exposées ci-après.

91. Concernant ses activités politiques en Iran, il plaide que l’on n’a pas adéquatement tenu compte des éléments suivants, à savoir notamment qu’il aurait subi des mauvais traitements pendant ses vingt jours de détention en septembre 2009, qu’il aurait décrit de manière détaillée l’audience d’octobre 2009 devant le tribunal révolutionnaire et indiqué le nom du président, qu’il aurait soumis l’original de la convocation l’invitant à comparaître à nouveau le 2 novembre 2009, et, enfin, qu’il aurait fui le pays illégalement.

92. Il estime qu’en cas de retour il serait exposé à un risque élevé lors de son passage à l’aéroport. Il ajoute que ce risque s’est aggravé dès lors que, selon lui, les autorités iraniennes peuvent d’ores et déjà l’identifier à partir de l’arrêt de chambre et qu’elles le pourront également, plus tard, à partir de l’arrêt de Grande Chambre.

93. Le requérant dit qu’il n’avait pas souhaité invoquer sa conversion dans le cadre de la première procédure d’asile au motif qu’il aurait considéré sa religion comme une question d’ordre privé et « [n’aurait] pas voul[u] tirer parti de sa récente et précieuse foi pour acheter l’asile ». Avec le recul, il pense qu’il n’a pas bénéficié à l’époque de suffisamment de conseils et d’assistance juridiques pour saisir les risques associés à sa conversion. Il considère toutefois que sa conversion au christianisme a été formellement évoquée à plusieurs reprises par ses représentants à l’appui de sa demande d’asile au cours de la première procédure. Il indique qu’il avait répondu de son plein gré aux questions sur sa conversion, mais que l’office des migrations avait jugé qu’il manquait de crédibilité sur ce point, sans doute, à son avis, parce qu’il n’appartenait pas à l’« Église de Suède » et n’avait pas produit de certificat de baptême, mais uniquement une attestation du pasteur de sa paroisse. Il ajoute que, pendant l’audience devant le tribunal des migrations, il avait soutenu que sa conversion serait source de problèmes en cas de retour en Iran.

94. En outre, le 6 juillet 2011, le requérant aurait joint à sa demande de sursis à l’exécution de la décision d’expulsion une lettre de sa paroisse expliquant pourquoi il n’avait pas voulu tirer parti de sa conversion lors de la première procédure d’asile. Selon l’intéressé, la paroisse avait également déclaré que les risques courus par le requérant étaient aggravés par des contacts qu’il aurait eus avec des « reporters ou des espions », dont elle était persuadée qu’ils transmettraient aux autorités iraniennes des informations sur sa conversion, et par la diffusion sur Internet des offices de l’église à laquelle il appartenait depuis 2011 (paragraphes 30 et 32 ci-dessus).

95. Devant la Grande Chambre, le requérant a ajouté que le risque s’était encore accru en raison du travail spécifique qu’il effectuait pour l’église. Il a également déclaré qu’en cas de retour en Iran il ferait part de sa conversion à ses proches et amis, que ceux-ci ne pourraient ni comprendre ni accepter sa démarche et qu’ils le désavoueraient. Toutefois, compte tenu de leur affection pour lui, il ne pensait pas que ces personnes révéleraient sa conversion aux autorités.

96. Dans une déclaration écrite du 13 septembre 2014 adressée à la Grande Chambre, le requérant a fourni des explications sur sa conversion, la manière dont il manifeste actuellement sa foi chrétienne en Suède et dont il entend le faire en Iran si la décision d’expulsion est mise en œuvre. À son avis, sa conversion a atteint le degré de force, de sérieux, de cohérence et d’importance requis pour entrer dans le champ d’application de l’article 9. En Iran, il aurait été formellement musulman mais n’aurait pas cru en l’islam. Ses amis, à l’époque, l’auraient su. Après son arrivée en Suède, par une soirée froide, lui-même et quelques-uns de ses amis se seraient joints à une assemblée pour boire du thé et se réchauffer. C’est ainsi qu’il serait entré en contact avec la première paroisse chrétienne. Puis il serait rentré chez lui, se serait procuré une Bible en farsi, qui « lui [serait allée] droit au cœur » lorsqu’il en avait commencé la lecture. Il aurait continué à suivre des cours sur la Bible et à se rendre à des réunions de prière, et aurait été baptisé en janvier 2010. En mars 2010, il aurait effectivement déclaré devant l’office des migrations qu’il ne voyait pas le christianisme comme une religion ; cela tiendrait à sa manière de définir la religion comme une croyance qui, à l’instar de l’islam, exigerait un intermédiaire, tandis que dans le christianisme, selon lui, la relation avec Dieu est directe. Il aurait intégré une autre église, où il aurait continué à suivre des cours sur la Bible et à assister à des réunions de prière. Il estime qu’en cas de renvoi en Iran il se sentira tenu par une aspiration intérieure à montrer au grand jour son amour pour Jésus et la Bible. Il avance que, dans l’idéal, il aura sans doute chez lui des livres sur le christianisme et une croix, qu’il participera probablement à des offices religieux à domicile ou nouera des contacts avec d’autres chrétiens, et qu’il cherchera aussi à diffuser des textes chrétiens en farsi, en particulier sur Internet.

97. La déclaration du requérant est étayée par une attestation écrite du 15 septembre 2014 adressée à la Grande Chambre, dans laquelle un ancien pasteur de la paroisse du requérant indique notamment qu’il connaît l’intéressé depuis début 2012, que celui-ci est un intellectuel dans sa foi chrétienne, qu’il parle bien l’anglais, qu’ils avaient ensemble de bonnes discussions sur la religion et que le requérant, alors qu’il était chrétien depuis environ quatre ans, avait acquis les aptitudes et la maturité nécessaires pour diriger un groupe d’étude de la Bible au sein de son église.

98. Enfin, le requérant considère que la procédure d’asile était viciée dès lors surtout que, d’après lui, les autorités suédoises n’ont pas suffisamment tenu compte des risques auxquels l’exposait sa conversion.

99. Il estime en particulier que lors de la première procédure les autorités ne pouvaient pas négliger le risque lié à sa conversion, dont elles avaient d’après lui connaissance, en prétextant qu’il ne l’avait pas invoquée. Le requérant arguë que, premièrement, un individu ne peut pas renoncer à se prévaloir de la protection offerte par l’article 3 (M.S. c. Belgique, no 50012/08, §§ 121-125, 31 janvier 2012) et, deuxièmement, à supposer même qu’il soit possible en principe de renoncer à cette protection, il n’avait pas été averti des conséquences susceptibles de résulter pour lui de la décision de ne pas invoquer sa religion à l’appui de sa demande d’asile. Les autorités n’auraient jamais vérifié s’il y avait eu ou non renonciation en l’espèce et, dans l’affirmative, en quoi exactement elle avait consisté.

100. Pour ce qui concerne la seconde procédure, dans laquelle le requérant aurait cherché activement à s’appuyer sur sa conversion, la demande aurait été rejetée, cet élément n’ayant pas été considéré comme un « fait nouveau ». Les autorités n’auraient toutefois pas recherché si l’intéressé avait une excuse valable pour n’avoir pas invoqué plus tôt sa conversion. Elles n’auraient pas non plus prêté attention à la mention faite par le requérant du fait nouveau que constituait son appartenance à une nouvelle église dans une nouvelle localité, associé à la diffusion sur Internet d’un office où, d’après lui, il était susceptible d’être vu.

2. Le Gouvernement

101. Le Gouvernement estime que, pour les raisons exposées ci-après, il ne serait pas contraire aux articles 2 et 3 de la Convention d’exécuter la mesure d’éloignement litigieuse.

102. Pour le Gouvernement, les activités politiques du requérant en Iran peuvent être considérées comme marginales. Depuis 2009, l’intéressé n’aurait du reste plus été convoqué devant le tribunal révolutionnaire et aucun de ses proches demeurés en Iran n’aurait, selon ses propres informations, subi de représailles de la part des autorités iraniennes.

103. De plus, dans la première procédure d’asile le requérant aurait expressément déclaré qu’il ne souhaitait pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile au motif qu’il y voyait une question d’ordre privé. Sa demande d’asile politique aurait finalement été rejetée le 8 juin 2011, lorsque la cour d’appel des migrations lui aurait refusé l’autorisation d’interjeter appel. Le Gouvernement ajoute que le requérant a attendu le 6 juillet 2011 pour faire état de sa crainte d’être persécuté à cause de sa conversion alors qu’il s’était converti en décembre 2009 et avait de nombreux contacts avec d’autres convertis iraniens et sa paroisse suédoise, par le biais desquels il était certainement informé de l’attitude de l’État iranien vis-à-vis des convertis. L’intéressé n’aurait pas expliqué pourquoi cette crainte d’être persécuté avait surgi peu après que la décision d’expulsion était devenue définitive et insusceptible de recours. C’est pourquoi il serait justifié d’accorder une attention particulière à la crédibilité de son récit sur ce point. Dans la nouvelle procédure, la conversion du requérant n’aurait pas constitué un fait nouveau qu’il eût été impossible d’invoquer précédemment, et l’intéressé n’aurait pas d’excuse valable pour avoir omis de l’invoquer, suivant les conditions fixées au chapitre 12, articles 18 et 19, de la loi sur les étrangers pour qu’il puisse y avoir réexamen de l’affaire.

104. Concernant la procédure appliquée aux affaires d’asile, le Gouvernement indique que de manière générale les autorités suédoises se conforment au Guide du HCR des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés (« Guide du HCR ») et aux Principes directeurs du HCR sur la protection internationale relatifs aux demandes d’asile fondées sur la religion (« Principes directeurs du HCR »), et apprécient au cas par cas si un étranger a établi de façon plausible que sa conversion sur place est sincère en ce sens qu’elle repose sur des convictions religieuses réelles et personnelles. Cela passerait par une appréciation des circonstances dans lesquelles la conversion est intervenue et du point de savoir si l’on peut s’attendre à ce que le demandeur vive sa nouvelle foi à son retour dans son pays d’origine. Par ailleurs, le 12 novembre 2012, le directeur général des affaires juridiques de l’office suédois des migrations aurait publié un « avis juridique général » sur les demandes d’asile fondées sur des motifs religieux, notamment une conversion ; cet avis s’appuierait sur un arrêt de la cour d’appel des migrations (MIG 2011:29), sur les Principes directeurs du HCR et sur l’arrêt rendu le 5 septembre 2012 par la CJUE dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z (C-71/11 et C‑99/11). Cet avis indiquerait qu’il faut procéder à une appréciation minutieuse de la crédibilité d’une conversion afin de s’assurer de son authenticité. Il ajouterait qu’une personne qui s’est sincèrement convertie ou qui risque de se voir attribuer ses nouvelles convictions religieuses et s’expose ainsi à la persécution ne doit pas être contrainte de cacher sa foi dans le seul but d’échapper à un tel traitement. En outre, le 10 juin 2013, le directeur général des affaires juridiques aurait émis un « avis juridique général » sur la méthodologie à suivre pour apprécier la fiabilité et la crédibilité des demandes de protection internationale, avis qui s’inspirerait notamment du rapport du HCR sur l’appréciation de la crédibilité dans les dispositifs d’asile de l’Union européenne (« Beyond Proof; Credibility Assessment in EU Asylum Systems », mai 2013).

105. En l’espèce cependant, le requérant n’aurait pas souhaité invoquer sa conversion lors de la première procédure d’asile. Selon le Gouvernement, il est important de noter que l’intéressé a été musulman pendant près de cinquante ans en Iran et qu’il s’est converti au christianisme sur place, peu après son arrivée en Suède. La question de la crédibilité appellerait donc une attention particulière. À l’instar du tribunal des migrations, ainsi que de l’office des migrations dans la procédure devant ledit tribunal, le Gouvernement dit ne pas contester que le requérant se soit formellement converti au christianisme en Suède ou ait été baptisé le 31 janvier 2010 ; il arguë toutefois que, l’intéressé ayant expressément déclaré considérer sa conversion comme une question d’ordre privée qu’il ne voulait pas invoquer à l’appui de sa demande d’asile, aucune des autorités nationales concernées n’a entrepris de se pencher sur la sincérité de sa conversion ou sur le genre de pratiques religieuses qu’il jugeait importantes pour préserver son identité religieuse.

106. Concernant le risque général encouru par les convertis en Iran, le Gouvernement signale divers rapports internationaux et soutient qu’une personne convertie au christianisme peut vivre en Iran et y pratiquer sa religion dans la sphère privée ou avec d’autres personnes qui partagent ses croyances religieuses. Selon le Gouvernement, le requérant n’a eu de cesse d’affirmer que sa foi était une question privée et d’agir en conséquence. De plus, lors d’un entretien avec l’office des migrations en mars 2010, il aurait déclaré qu’il ne considérait pas le christianisme comme une religion. Au vu de ce qui précède, le Gouvernement estime qu’il n’y a aucune raison sérieuse de penser qu’en cas de retour en Iran le requérant aurait une pratique religieuse qui l’exposerait à un risque réel d’être persécuté.

3. Les observations des tierces parties

107. Le Centre européen pour le droit et la justice, Alliance Defending Freedom assistée par Jubilee Campaign, le Centre de conseil sur les droits de l’individu en Europe, le Conseil européen pour les réfugiés et les exilés, la Commission internationale de juristes ainsi que le HCR soutiennent notamment que les personnes converties au christianisme constituent l’une des minorités religieuses les plus persécutées d’Iran. Le régime islamique aurait mis en place des dispositifs systématiques aux fins de recenser tous les citoyens qui se sont convertis de l’islam au christianisme. Grâce à cela, il serait de plus en plus aisé pour le gouvernement d’identifier une personne convertie au christianisme en Iran, quand bien même elle pratiquerait sa foi en secret. Une fois repérées par les autorités iraniennes, les personnes converties au christianisme subiraient souvent – et à tout le moins – des atteintes considérables ou des ingérences dans leur vie (privation de liberté, agressions ou harcèlement constant) ; dans le pire des scénarios, elles risqueraient de graves mauvais traitements et la mort.

108. Les tierces parties estiment aussi que dans le cadre d’une évaluation des risques que comporte une expulsion, une appréciation globale et ex nunc s’impose suivant la jurisprudence constante de la Cour. Négliger le fait que les circonstances aient pu évoluer au fil du temps reviendrait à rendre les droits du requérant théoriques et illusoires. Les tierces parties considèrent que l’évaluation doit tenir compte du droit de l’Union européenne applicable et du droit des réfugiés. Elles invitent donc la Cour à dire qu’eu égard à l’arrêt rendu le 5 septembre 2012 par la CJUE dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z, précitée, on ne peut attendre du requérant qu’il dissimule sa religion pour éviter des actes de persécution tombant sous le coup de l’article 3 de la Convention. D’après elles, la dissimulation de sa propre conversion religieuse à laquelle une personne doit s’astreindre – conséquence directe et prévisible de la mise en œuvre d’expulsions d’individus vers des pays où, considérés comme des apostats, ils courent un risque réel d’être condamnés à mort – implique un véritable danger de souffrance morale et psychologique relevant de l’article 3. En outre, selon le droit des réfugiés, obliger une personne à s’astreindre à réprimer un aspect essentiel de sa propre identité, comme ses croyances religieuses, son orientation sexuelle ou ses opinions politiques, serait jugé incompatible avec les principes fondamentaux de la Convention relative au statut des réfugiés.

109. Du point de vue procédural, le HCR soutient que les obligations découlant de la Convention relative au statut des réfugiés exigent de l’autorité de l’État qu’elle vérifie tous les éléments pertinents de manière à identifier et reconnaître les réfugiés qui ont droit à une protection en vertu de la Convention. En conséquence, la question de savoir si une personne a de solides motifs de craindre la persécution ou risque une autre atteinte grave s’apprécierait à partir des faits qui sont importants pour la demande d’asile, y compris par exemple ceux que le requérant a présentés mais qu’il n’a pas souhaité voir retenir parce qu’ils ont un caractère privé ou que l’intéressé les juge non pertinents. Ce serait à l’examinateur qu’il reviendrait en définitive de déterminer quels sont les faits pertinents et importants pour l’évaluation globale. Quant à la charge de la preuve, elle incomberait généralement à celui qui affirme. Cependant, compte tenu de sa vulnérabilité et des spécificités de sa situation, le réfugié pourrait être incapable de fournir les informations pertinentes. Il y aurait donc une obligation partagée entre l’intéressé et l’examinateur de vérifier et d’évaluer l’ensemble des faits pertinents. Pour remplir leur part de l’obligation, les examinateurs pourraient dans certaines affaires avoir besoin de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour recueillir les éléments nécessaires à l’appui de la demande.

C. L’appréciation de la Cour

1. Introduction

110. La Cour observe d’emblée que, dans le contexte de l’expulsion, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu’un individu, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à la peine capitale, à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, tant l’article 2 que l’article 3 impliquent que l’État contractant ne doit pas expulser la personne en question. La Cour examinera donc les deux articles simultanément (voir, notamment, mutatis mutandis, Mocanu et autres c. Roumanie [GC], nos 10865/09 et 2 autres, § 314, CEDH 2014, T.A. c. Suède, no 48866/10, § 37, 19 décembre 2013, K.A.B. c. Suède, no 886/11, § 67, 5 septembre 2013, Kaboulov c. Ukraine, no 41015/04, § 99, 19 novembre 2009, et F.H. c. Suède, no 32621/06, § 72, 20 janvier 2009).

2. Principes généraux relatifs à l’appréciation des demandes d’asile au regard des articles 2 et 3 de la Convention

a) L’évaluation du risque

111. La Cour rappelle que les États contractants ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux (voir, par exemple, Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 113, CEDH 2012, Üner c. Pays-Bas [GC], no 46410/99, § 54, CEDH 2006‑XII, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94, et Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil des arrêts et décisions 1997‑VI). Cependant, l’expulsion d’un étranger par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (voir, notamment, Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, §§ 124-125, CEDH 2008).

112. Pour établir s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé court ce risque réel, la Cour ne peut éviter d’examiner la situation dans le pays de destination à l’aune des exigences de l’article 3 (Mamatkoulov et Askarov c. Turquie [GC], nos 46827/99 et 46951/99, § 67, CEDH 2005‑I). Au regard de ces exigences, pour tomber sous le coup de l’article 3, le mauvais traitement auquel le requérant affirme qu’il serait exposé en cas de renvoi doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause (Hilal c. Royaume-Uni, no 45276/99, § 60, CEDH 2001‑II).

113. Pour apprécier l’existence d’un risque réel de mauvais traitements, la Cour se doit d’appliquer des critères rigoureux (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 96, Recueil 1996‑V, et Saadi, précité, § 128). Il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger un traitement contraire à l’article 3 (voir, par exemple, Saadi, précité, § 129, et N. c. Finlande, no 38885/02, § 167, 26 juillet 2005). Sur ce point, la Cour reconnaît que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il est fréquemment nécessaire de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents qui les appuient. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, il incombe à celui-ci de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, N. c. Suède, no 23505/09, 20 juillet 2010, Hakizimana c. Suède (déc.), no 37913/05, 27 mars 2008, et Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007).

114. L’appréciation doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l’expulsion du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l’intéressé (Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni, 30 octobre 1991, § 108, série A no 215). À cet égard, et s’il y a lieu, la Cour examinera s’il existe une situation générale de violence dans le pays de destination (Sufi et Elmi c. Royaume-Uni, nos 8319/07 et 11449/07, § 216, 28 juin 2011).

115. Si le requérant n’a pas encore été expulsé, la date à retenir pour l’appréciation doit être celle de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal, précité, § 86). Une évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu’il faut prendre en compte des informations apparues après l’adoption par les autorités internes de la décision définitive (voir, par exemple, Maslov c. Autriche [GC], no 1638/03, §§ 87-95, CEDH 2008, et Sufi et Elmi, précité, § 215). Pareille situation se produit généralement lorsque, comme dans la présente affaire, l’expulsion est retardée en raison de l’indication par la Cour d’une mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement. Dès lors que la responsabilité que l’article 3 fait peser sur les États contractants dans les affaires de cette nature tient à l’acte consistant à exposer un individu au risque de subir des mauvais traitements, l’existence de ce risque doit s’apprécier principalement par référence aux circonstances dont l’État en cause avait ou devait avoir connaissance au moment de l’expulsion. L’appréciation doit se concentrer sur les conséquences prévisibles de l’expulsion du requérant vers le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans ce pays et des circonstances propres à l’intéressé (voir, par exemple, Salah Sheekh c. Pays-Bas, no 1948/04, § 136, 11 janvier 2007, et Vilvarajah et autres, précité, §§ 107-108).

116. Dans une affaire d’expulsion, il appartient à la Cour de rechercher si, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause portée devant elle, il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on le renvoie dans son pays, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Si l’existence d’un tel risque est établie, l’expulsion du requérant emporterait nécessairement violation de l’article 3, que le risque émane d’une situation générale de violence, d’une caractéristique propre à l’intéressé, ou d’une combinaison des deux. Il est clair néanmoins que toute situation générale de violence n’engendre pas un tel risque. Au contraire, la Cour a précisé qu’une situation générale de violence serait d’une intensité suffisante pour créer un tel risque uniquement « dans les cas les plus extrêmes » où l’intéressé encourt un risque réel de mauvais traitements du seul fait qu’un éventuel retour l’exposerait à une telle violence (Sufi et Elmi, précité, §§ 216 et 218 ; voir aussi, notamment, L.M. et autres c. Russie, nos 40081/14 et 2 autres, § 108, 15 octobre 2015, et Mamazhonov c. Russie, no 17239/13, §§ 132-133, 23 octobre 2014).

b) La nature de l’examen de la Cour

117. Dans les affaires mettant en cause l’expulsion d’un demandeur d’asile, la Cour se garde d’examiner elle-même les demandes d’asile ou de contrôler la manière dont les États remplissent leurs obligations découlant de la Convention relative au statut des réfugiés. Sa préoccupation essentielle est de savoir s’il existe des garanties effectives qui protègent le requérant contre un refoulement arbitraire, direct ou indirect, vers le pays qu’il a fui. En vertu de l’article 1 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce sont en effet les autorités internes qui sont responsables au premier chef de la mise en œuvre et de la sanction des droits et libertés garantis. Le mécanisme de plainte devant la Cour revêt un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, §§ 286-287, CEDH 2011). La Cour doit toutefois estimer établi que l’appréciation effectuée par les autorités de l’État contractant concerné est adéquate et suffisamment étayée par les données internes et par celles provenant d’autres sources fiables et objectives, comme d’autres États contractants ou des États tiers, des agences des Nations unies et des organisations non gouvernementales réputées pour leur sérieux (voir, notamment, N.A. c. Royaume-Uni, no 25904/07, § 119, 17 juillet 2008).

118. De plus, lorsqu’il y a eu une procédure interne, il n’entre pas dans les attributions de la Cour de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux internes, auxquels il appartient en principe de peser les données recueillies par eux (voir, notamment, Giuliani et Gaggio c. Italie [GC], no 23458/02, §§ 179-180, CEDH 2011, Nizomkhon Dzhurayev c. Russie, no 31890/11, § 113, 3 octobre 2013, et Savriddin Dzhurayev c. Russie, no 71386/10, § 155, CEDH 2013). En règle générale, les autorités nationales sont les mieux placées pour apprécier non seulement les faits mais, plus particulièrement, la crédibilité de témoins, car ce sont elles qui ont eu la possibilité de voir, examiner et évaluer le comportement de la personne concernée (voir, par exemple, R.C. c. Suède, no 41827/07, § 52, 9 mars 2010).

c) Les obligations procédurales dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile

119. Dans le contexte de l’expulsion, la Cour a énoncé à plusieurs reprises les obligations qui découlent pour les États du volet procédural des articles 2 et 3 de la Convention (voir, notamment, Hirsi Jamaa et autres, précité, § 198, M.E. c. Danemark, no 58363/10, § 51, 8 juillet 2014, et Sufi et Elmi, précité, § 214).

120. Concernant la charge de la preuve, la Cour a dit dans l’arrêt Saadi (précité, §§ 129-132 ; voir aussi, notamment, Ouabour c. Belgique, no 26417/10, § 65, 2 juin 2015, et Othman (Abu Qatada) c. Royaume-Uni, no 8139/09, § 261, CEDH 2012) qu’il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il y a des raisons sérieuses de penser que, si la mesure incriminée était mise à exécution, il serait exposé à un risque réel de se voir infliger des traitements contraires à l’article 3 ; et que lorsque de tels éléments sont soumis, il incombe au Gouvernement de dissiper les doutes éventuels à ce sujet (Saadi, précité, § 129). Pour vérifier l’existence d’un risque de mauvais traitements, la Cour doit examiner les conséquences prévisibles du renvoi du requérant dans le pays de destination, compte tenu de la situation générale dans celui-ci et des circonstances propres au cas de l’intéressé (ibidem, § 130). Lorsque les sources dont on dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques d’un requérant dans un cas d’espèce doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (ibidem, § 131). Dans les affaires où un requérant allègue faire partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements, la Cour considère que la protection de l’article 3 de la Convention entre en jeu lorsque l’intéressé démontre, éventuellement à l’aide des sources susmentionnées, qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé (ibidem, § 132).

121. Quant aux procédures d’asile, la Cour observe que l’article 4 § 1 de la « directive qualification » (paragraphe 48 ci-dessus) énonce que les États membres de l’Union européenne peuvent considérer qu’il appartient au demandeur de présenter, aussi rapidement que possible, tous les éléments nécessaires pour étayer sa demande de protection internationale. Par ailleurs, le paragraphe 67 du Guide du HCR (paragraphe 53 ci-dessus) est ainsi libellé :

« C’est à l’examinateur qu’il appartient, lorsqu’il cherche à établir les faits de la cause, de déterminer le ou les motifs pour lesquels l’intéressé craint d’être victime de persécutions et de décider s’il satisfait à cet égard aux conditions énoncées dans la définition de la Convention de 1951. Il est évident que souvent les motifs de persécution se recouvriront partiellement. Généralement, plusieurs éléments seront présents chez une même personne. Par exemple, il s’agira d’un opposant politique qui appartient en outre à un groupe religieux ou national ou à un groupe présentant à la fois ces deux caractères, et le fait qu’il cumule plusieurs motifs possibles peut présenter un intérêt pour l’évaluation du bien-fondé de ses craintes. »

122. La Cour note également que le HCR a déclaré dans ses observations de tiers intervenant (paragraphe 109 ci-dessus) que, bien que la charge de la preuve incombe généralement à celui qui affirme, il y a une obligation partagée entre l’intéressé et l’examinateur de vérifier et d’évaluer l’ensemble des faits pertinents, et que pour remplir leur part de l’obligation, les examinateurs peuvent dans certaines affaires avoir besoin de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour recueillir les éléments nécessaires à l’appui de la demande.

123. En ce qui concerne les activités sur place, la Cour a reconnu qu’il est généralement très difficile d’apprécier si une personne s’intéresse sincèrement à l’activité en question – qu’il s’agisse d’une cause politique ou d’une religion – ou si elle ne s’y est engagée que pour justifier après coup sa fuite (voir, par exemple, A.A. c. Suisse, no 58802/12, § 41, 7 janvier 2014). Ce raisonnement s’inscrit dans le droit fil des Principes directeurs du HCR, qui indiquent ce qui suit :

« [34. Dans les cas de demande « sur place »], des préoccupations particulières en terme de crédibilité ont tendance à émerger et un examen rigoureux et approfondi des circonstances et de la sincérité de la conversion sera nécessaire (...)

36. Des activités soi-disant « intéressées » ne créent pas de crainte fondée de persécution pour un motif de la Convention dans le pays d’origine du demandeur si la nature opportuniste de ces activités est évidente pour tous, y compris pour les autorités du pays, et que le retour de l’intéressé n’aurait pas des conséquences négatives graves. » (paragraphe 52 ci-dessus – voir également les conclusions de la Cour en ce sens, par exemple, dans Muradi et Alieva c. Suède (déc.), no 11243/13, §§ 44-45, 25 juin 2013).

124. En outre, la Cour observe que, dans un arrêt du 2 décembre 2014 (A. et autres c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, (C-148/13, C-149/13 et C-150/13)) portant sur une décision de première instance relative aux conditions d’octroi de la protection nationale, la CJUE a dit notamment que l’article 4 § 3 de la directive Qualification et l’article 13 § 3 a) de la directive Procédure devaient être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que, dans le cadre de l’examen en cause, les autorités nationales compétentes concluent au défaut de crédibilité des déclarations du demandeur d’asile concerné au seul motif que sa prétendue orientation sexuelle n’a pas été invoquée par ce demandeur à la première occasion qui lui a été donnée d’exposer les motifs de persécution (paragraphes 51 et 49 ci‑dessus).

125. Il appartient en principe à la personne qui demande une protection internationale dans un État contractant de présenter, dès que possible, sa demande d’asile accompagnée des motifs qui la sous-tendent et de produire des éléments susceptibles d’établir l’existence de motifs sérieux et avérés de croire que son expulsion vers son pays d’origine impliquerait pour elle un risque réel et concret d’être exposée à une situation de danger de mort visée par l’article 2 ou à un traitement contraire à l’article 3.

126. Concernant toutefois les demandes d’asile fondées sur un risque général bien connu, lorsque les informations sur un tel risque sont faciles à vérifier à partir d’un grand nombre de sources, les obligations découlant pour les États des articles 2 et 3 de la Convention dans les affaires d’expulsion impliquent que les autorités évaluent ce risque d’office (voir, par exemple, Hirsi Jamaa et autres, précité, §§ 131-133, et M.S.S. c. Belgique et Grèce, précité, § 366).

127. En revanche, dans le cas d’une demande d’asile fondée sur un risque individuel, il incombe à la personne qui sollicite l’asile d’évoquer et d’étayer pareil risque. Dès lors, si un requérant décide de ne pas invoquer ou dévoiler tel ou tel motif d’asile individuel et particulier et s’abstient délibérément de le mentionner – qu’il s’agisse de croyances religieuses ou de convictions politiques, d’orientation sexuelle ou d’autres motifs –, l’État concerné n’est aucunement censé découvrir ce motif par lui-même. Eu égard toutefois au caractère absolu des droits garantis par les articles 2 et 3 de la Convention, et à la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, si un État contractant est informé de faits, relatifs à un individu donné, propres à exposer celui-ci à un risque de mauvais traitements contraires auxdites dispositions en cas de retour dans le pays en question, les obligations découlant pour les États des articles 2 et 3 de la Convention impliquent que les autorités évaluent ce risque d’office. Cela vaut spécialement pour les situations où il a été porté à la connaissance des autorités nationales que le demandeur d’asile fait vraisemblablement partie d’un groupe systématiquement exposé à une pratique de mauvais traitements et qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire à l’existence de la pratique en question et à son appartenance au groupe visé (paragraphe 120 ci-dessus).

3. Application de ces principes en l’espèce

128. Appliquant les principes susmentionnés à la présente affaire, la Cour estime approprié de diviser en deux parties l’examen de l’affaire : elle se penchera tout d’abord sur les activités politiques du requérant en Iran, puis sur la conversion de celui-ci au christianisme en Suède.

a) Les activités politiques du requérant

i. La situation générale en Iran

129. Le requérant ne prétend pas que, en soi, la situation générale existant en Iran empêcherait son retour dans ce pays. La Cour note par ailleurs qu’en principe une situation générale de violence n’est pas à elle seule de nature à entraîner une violation de l’article 3 en cas d’expulsion vers le pays en question (H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 41, Recueil 1997‑III). Toutefois, elle n’a jamais exclu que la situation générale de violence dans le pays de destination pût être d’une intensité telle que tout renvoi vers ce pays emporterait nécessairement violation de l’article 3 de la Convention. Il demeure que la Cour n’adopterait pareille approche que dans les cas de violence générale les plus extrêmes où il existe un risque réel de mauvais traitements du simple fait que l’intéressé sera exposé à cette violence dans le pays en question (Sufi et Elmi, précité, § 218, et N.A. c. Royaume-Uni, précité, § 115).

130. En l’espèce, bien qu’ayant connaissance de rapports faisant état de graves violations des droits de l’homme en Iran (paragraphes 55-58 ci‑dessus), la Cour estime que ceux-ci ne sont pas en soi de nature à démontrer qu’il y aurait violation de la Convention si le requérant était renvoyé vers ce pays (voir aussi S.F. et autres c. Suède, no 52077/10, § 64, 15 mai 2012). La Cour s’attachera donc à vérifier si la situation personnelle du requérant est telle que son renvoi en Iran serait contraire aux articles 2 et 3 de la Convention.

ii. Les circonstances propres au cas du requérant

131. La Cour note que le requérant a exposé son cas le 24 mars 2010, en présence de son avocat et d’un interprète, lors d’un entretien de deux heures à l’office des migrations, puis le 16 février 2011 devant le tribunal des migrations. Son dossier a été examiné au fond par deux organes, et l’autorisation d’interjeter appel lui a été refusée par la cour d’appel des migrations.

132. Il ressort du dossier que l’office des migrations aussi bien que le tribunal des migrations ont tenu compte du fait qu’à partir de 2007 le requérant avait travaillé avec des personnes liées à différentes universités et connues pour leur opposition au régime. Pour l’essentiel, son activité avait consisté à créer et publier des pages web. Son ordinateur avait été saisi dans ses locaux professionnels pendant son emprisonnement en septembre-octobre 2009. Des documents critiques à l’égard du régime en place étaient alors stockés dans son ordinateur. Il n’avait pas personnellement critiqué le régime, le président Ahmadinejad ou les plus hauts dirigeants mais avait visité certains sites web et reçu par courriel des dessins satiriques. Aux yeux de l’intéressé, il existait donc suffisamment d’éléments prouvant qu’il était un opposant au régime, éléments qui auraient été assez semblables au matériel que contenait son ordinateur en 2007. Les autorités nationales ont considéré que les informations relatives aux activités politiques du requérant étaient vagues et imprécises. Elles ont de plus relevé que l’intéressé n’avait pas signalé ou étayé l’existence de quelconques pages web censées avoir été créées par lui sur une période de deux ans. Par ailleurs, elles ont jugé que si les autorités iraniennes étaient réellement au courant des activités du requérant en 2007, il était surprenant que celui-ci eût été en mesure de continuer à publier des documents critiques à l’égard du régime, de 2007 jusqu’aux élections de 2009.

133. Les autorités suédoises ont également tenu compte de l’arrestation du requérant en avril 2007 pendant vingt-quatre heures.

134. Elles n’ont pas remis en cause le fait que, la veille du scrutin du 12 juin 2009, ses amis et lui avaient été arrêtés, interrogés et détenus au bureau de vote, jusqu’au lendemain.

135. Elles ont aussi jugé établi que le requérant avait manifesté et avait été arrêté à nouveau en septembre 2009 et emprisonné pendant vingt jours, qu’il avait subi des mauvais traitements et qu’en octobre 2009 il avait été traduit devant le tribunal révolutionnaire, lequel l’avait remis en liberté.

136. Les autorités nationales ont également pris en considération le fait que l’intéressé avait soumis l’original d’une convocation l’invitant à se présenter devant le tribunal révolutionnaire le 2 novembre 2009. Elles ont toutefois jugé que la citation à comparaître ne pouvait en soi étayer un besoin de protection, et souligné que cette pièce était une simple convocation qui n’exposait aucune raison expliquant pourquoi le requérant devait se présenter.

137. Procédant à une appréciation globale, les autorités nationales ont estimé que les activités politiques du requérant en Iran pouvaient être considérées comme marginales, ce qui selon elles était corroboré par le fait que depuis 2009 l’intéressé n’avait plus été convoqué devant le tribunal révolutionnaire et qu’aucun de ses proches demeurés en Iran n’avait subi de représailles de la part des autorités iraniennes.

138. Dans ces conditions, la Cour n’est pas convaincue par l’argument du requérant selon lequel les autorités suédoises n’ont pas adéquatement tenu compte des mauvais traitements subis par lui pendant ses vingt jours de détention en septembre 2009, de sa description détaillée de l’audience d’octobre 2009 devant le tribunal révolutionnaire ou du fait qu’il a soumis l’original de la convocation l’invitant à comparaître à nouveau le 2 novembre 2009.

139. Le dossier ne contient pas non plus d’éléments indiquant que les autorités suédoises n’auraient pas dûment pris en considération que le requérant s’exposait à une détention à l’aéroport lorsqu’elles ont apprécié globalement les risques encourus par lui.

140. Pour la Cour, on ne peut pas non plus conclure que la procédure menée devant les autorités suédoises a été inadéquate et insuffisamment étayée par des données internes ou par celles provenant d’autres sources fiables et objectives.

141. En outre, et en ce qui concerne l’évaluation du risque, aucun élément ne corrobore l’affirmation selon laquelle les autorités suédoises ont conclu à tort que le requérant n’était pas un militant notoire ou un opposant politique. Cette affaire se distingue donc, notamment, de l’affaire S.F. et autres c. Suède (arrêt précité), dans laquelle le requérant avait pris part à des activités politiques importantes et avait été placé sous surveillance par le régime iranien, de l’affaire K.K. c. France (no 18913/11, 10 octobre 2013), dans laquelle le requérant était un ancien membre des services de renseignement iraniens, et de l’affaire R.C. c. Suède (arrêt précité), qui concernait entre autres le risque de détention à l’aéroport en cas de retour.

142. Concernant enfin l’allégation formulée par le requérant devant la Grande Chambre, selon laquelle les autorités iraniennes pourraient l’identifier à partir de l’arrêt de la chambre et, plus tard, de l’arrêt de la Grande Chambre, la Cour souligne que l’intéressé s’est vu octroyer l’anonymat lorsque sa demande de mesure fondée sur l’article 39 du règlement a été accueillie en octobre 2011, et que d’après les éléments dont elle dispose il n’y a pas d’indice sérieux quant à un risque d’identification (voir, a contrario, S.F. et autres c. Suède, précité, §§ 67-70, et N.A. c. Royaume-Uni, précité, § 143).

143. Il s’ensuit que le passé politique du requérant ne constitue pas un élément justifiant que la Cour conclue qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si l’intéressé était expulsé vers l’Iran.

b) La conversion du requérant

144. En l’espèce, les autorités suédoises se sont trouvées confrontées à une conversion sur place. Au départ, elles ont donc dû vérifier si la conversion du requérant était sincère et avait atteint un degré suffisant de force, de sérieux, de cohérence et d’importance (voir, notamment, S.A.S. c. France [GC], no 43835/11, § 55, 1er juillet 2014, Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, § 81, CEDH 2013, et Bayatyan c. Arménie [GC], no 23459/03, § 110, CEDH 2011), avant de rechercher si le requérant serait exposé au risque de subir un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention en cas de retour en Iran.

145. La Cour observe que dans les affaires d’asile, selon le Gouvernement (paragraphe 104 ci-dessus), les autorités suédoises se conforment généralement au Guide du HCR et aux Principes directeurs du HCR, et apprécient au cas par cas si un étranger a établi de façon plausible que sa conversion sur place est sincère en ce sens qu’elle repose sur des convictions religieuses réelles et personnelles. Cela passe par une appréciation des circonstances dans lesquelles la conversion est intervenue et du point de savoir si l’on peut s’attendre à ce que le demandeur vive sa nouvelle foi à son retour dans son pays d’origine. Par ailleurs, le 12 novembre 2012, le directeur général des affaires juridiques de l’office suédois des migrations a publié un « avis juridique général » (paragraphe 46 ci-dessus) sur les demandes d’asile fondées sur des motifs religieux, notamment une conversion. Cet avis, qui s’appuie sur un arrêt de la cour d’appel des migrations (MIG 5 (25) 2011:29), sur les Principes directeurs du HCR et sur l’arrêt rendu le 5 septembre 2012 par la CJUE dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z, précitée, indique qu’il faut procéder à une appréciation minutieuse de la crédibilité d’une conversion afin de s’assurer de son authenticité. Il ajoute qu’une personne qui s’est sincèrement convertie ou qui risque de se voir attribuer ses nouvelles convictions religieuses et s’expose ainsi à la persécution ne doit pas être contrainte de cacher sa foi dans le seul but d’échapper à un tel traitement. En outre, le 10 juin 2013, le directeur général des affaires juridiques a émis un « avis juridique général » (paragraphe 47 ci-dessus) sur la méthodologie à suivre pour apprécier la fiabilité et la crédibilité des demandes de protection internationale, avis qui s’inspire notamment du rapport du HCR sur l’appréciation de la crédibilité dans les dispositifs d’asile de l’Union européenne (« Beyond Proof; Credibility Assessment in EU Asylum Systems », mai 2013).

146. Dans le cadre de la première procédure d’asile, devant l’office des migrations, le requérant n’avait pas souhaité invoquer sa conversion. La question avait été évoquée par l’office, mais l’intéressé avait expliqué qu’il considérait sa religion comme une question d’ordre privé et « [ne voulait pas] tirer parti de sa récente et précieuse foi pour acheter l’asile ». Avec le recul, il pense qu’il n’a pas bénéficié à l’époque de suffisamment de conseils et d’assistance juridiques pour saisir les risques associés à sa conversion.

147. La Cour note que le requérant a passé pratiquement toute sa vie en Iran, qu’il s’exprime bien en anglais (paragraphe 97 ci-dessus) et qu’il a une grande expérience de l’informatique, des pages web et d’Internet. Par ailleurs, il a été critique vis-à-vis du régime. Il est donc difficile d’admettre que, de lui-même ou sensibilisé par la paroisse où il a été baptisé peu après son arrivée en Suède, ou encore par le pasteur qui lui a fourni l’attestation du 15 mars 2010 destinée à l’office des migrations, il n’ait pas pris conscience du risque auquel sont exposés les convertis en Iran. La Cour n’est pas non plus convaincue que le requérant n’ait pas bénéficié de suffisamment de conseils et d’assistance juridiques pour saisir les risques associés à sa conversion. Elle observe que le requérant n’a soulevé ces questions à aucun stade de la procédure interne. Lors de l’audition du 24 mars 2010 devant l’office des migrations, l’agent de l’office a même interrompu l’entretien pour permettre à l’intéressé d’échanger avec son avocat sur ce point précis. Le requérant a déclaré que sa conversion était une question d’ordre privé, mais ne semble pas avoir estimé que cela l’empêchait de parler de sa religion (paragraphe 13 ci‑dessus). En outre, dans son recours devant le tribunal des migrations, il a invoqué sa conversion à l’appui de sa demande d’asile et soumis le certificat de baptême du 31 janvier 2010, expliquant que si au départ il n’avait pas souhaité invoquer sa conversion, c’était parce qu’il n’avait pas voulu banaliser le sérieux de sa foi. Par ailleurs, devant le tribunal des migrations, le 16 février 2011, s’il a répété qu’il ne souhaitait pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile, il a bien ajouté que « toutefois [cette conversion lui] causerait clairement des problèmes en cas de retour ».

148. Quant aux autorités suédoises, la Cour note qu’elles se sont rendu compte qu’elles étaient face à un cas de conversion sur place le 24 mars 2010, jour où l’office des migrations a procédé à un entretien avec l’intéressé, en présence de son avocat et d’un interprète. Plus précisément, l’office a pris connaissance de cet élément lorsque le requérant a remis l’attestation établie le 15 mars 2010 par un pasteur de sa paroisse, certifiant qu’il était membre de celle-ci depuis décembre 2009 et qu’il avait été baptisé. L’agent de l’office des migrations a donc interrogé le requérant de manière approfondie au sujet de sa conversion et a encouragé celui-ci et son avocat à s’entretenir à ce propos, puis a été informé par eux que le requérant ne souhaitait pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile (paragraphe 13 ci-dessus).

149. Le 29 avril 2010, l’office des migrations a rejeté la demande d’asile du requérant. Concernant la conversion de celui-ci au christianisme, il a estimé que l’attestation établie par le pasteur de la paroisse concernée ne pouvait s’analyser qu’en une demande à l’office des migrations d’octroyer l’asile au requérant. Il a relevé que celui-ci n’avait pas souhaité au départ invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile et avait déclaré que sa nouvelle confession était une question d’ordre privé. L’office a conclu que l’exercice par le requérant de sa foi dans un cadre privé ne constituait pas une raison plausible de penser qu’il risquait d’être persécuté à son retour et que l’intéressé n’avait pas démontré qu’il avait pour cette raison besoin de protection en Suède.

150. Dès lors, la Cour constate que, bien que le requérant n’ait pas souhaité invoquer sa conversion, l’office des migrations a bel et bien évalué le risque auquel cette circonstance était susceptible de l’exposer en cas de retour en Iran.

151. Elle relève par ailleurs que dans son recours devant le tribunal des migrations le requérant a invoqué sa conversion et expliqué pourquoi il n’avait pas souhaité le faire auparavant.

152. Lors de l’audience devant ledit tribunal, il a toutefois décidé de ne pas invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile, mais a ajouté que « toutefois [cette conversion lui] causerait clairement des problèmes en cas de retour ». Le point de vue de l’office des migrations a aussi été examiné. Celui-ci n’a pas remis en cause le fait que le requérant professait la foi chrétienne à l’époque, mais a estimé que cela ne suffisait pas en soi pour que l’on pût considérer qu’il avait besoin de protection et s’est référé à la directive opérationnelle du ministère britannique de l’Intérieur de janvier 2009.

153. Cependant, le tribunal des migrations ne s’est pas penché plus avant sur la conversion du requérant, sa manière de manifester sa foi chrétienne en Suède à l’époque, la façon dont il entendait la manifester en Iran si la décision d’éloignement était mise en œuvre, ou les « problèmes » que sa conversion risquait de lui causer en cas de retour. Dans sa décision du 9 mars 2011 rejetant le recours, le tribunal des migrations a relevé que l’intéressé n’évoquait plus ses conceptions religieuses comme motif de persécution. En conséquence, il n’a pas évalué les risques que le requérant courrait du fait de sa conversion en cas de retour en Iran.

154. Dans sa demande d’autorisation de saisir la cour d’appel des migrations, le requérant a allégué avoir invoqué sa conversion devant le tribunal des migrations. De plus, il a soutenu que sa crainte que sa conversion fût parvenue à la connaissance des autorités iraniennes avait augmenté. Jugeant ces arguments insuffisants pour justifier qu’elle accordât l’autorisation de faire appel, la cour d’appel des migrations a écarté la demande du requérant le 8 juin 2011, de sorte que la décision d’éloignement est devenue exécutoire.

155. Le 6 juillet 2011, le requérant a demandé à l’office des migrations de surseoir à l’exécution de la mesure d’expulsion. Il a invoqué sa conversion. Sa demande a été rejetée par l’office des migrations et le tribunal des migrations, qui ont estimé que la conversion de l’intéressé ne pouvait passer pour un « fait nouveau » propre à justifier le réexamen de sa cause. Le 17 novembre 2011, la cour d’appel des migrations a refusé au requérant l’autorisation de la saisir.

156. Ainsi, tout en sachant que l’intéressé s’était converti en Suède de l’islam au christianisme et qu’il était dès lors susceptible d’appartenir à un groupe de personnes qui, pour diverses raisons, pouvaient être exposées à un risque de subir un traitement contraire aux articles 2 et 3 de la Convention en cas de retour en Iran, l’office des migrations et le tribunal des migrations, en raison du refus du requérant d’invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile, ne se sont pas livrés à un examen approfondi de sa conversion, du sérieux de ses convictions, de sa manière de manifester sa foi chrétienne en Suède et de la façon dont il entendait la manifester en Iran si la décision d’éloignement était mise en œuvre. De plus, dans le cadre de la nouvelle procédure, la conversion du requérant n’a pas été considérée comme un « fait nouveau » susceptible de justifier le réexamen de sa cause. Les autorités suédoises n’ont donc à aucun stade évalué le risque que le requérant courrait, du fait de sa conversion, en cas de retour en Iran. Or, eu égard au caractère absolu des articles 2 et 3 de la Convention, une renonciation à la protection qui en résulte pour l’individu concerné est peu concevable. Il s’ensuit que, indépendamment de l’attitude du requérant, les autorités nationales compétentes ont l’obligation d’évaluer d’office tous les éléments portés à leur connaissance avant de se prononcer sur l’expulsion de l’intéressé vers l’Iran (paragraphe 127 ci-dessus).

157. En outre, le requérant a soumis à la Grande Chambre divers documents qui n’ont pas été présentés aux autorités nationales, par exemple sa déclaration écrite du 13 septembre 2014 (sur sa conversion, la manière dont il manifeste actuellement sa foi chrétienne en Suède et dont il entend le faire en Iran si la décision d’expulsion est mise en œuvre) et l’attestation écrite du 15 septembre 2014 que lui a fournie l’ancien pasteur de sa paroisse (paragraphes 96-97 ci-dessus). À la lumière des éléments qui lui ont été présentés et de ceux précédemment soumis par le requérant aux autorités nationales, la Cour conclut que l’intéressé a démontré à suffisance que sa demande d’asile fondée sur sa conversion mérite d’être examinée par lesdites autorités. C’est à celles-ci qu’il appartient de prendre en considération ces éléments, ainsi que toute évolution pouvant intervenir dans la situation générale en Iran et les circonstances propres au cas du requérant.

158. Il s’ensuit qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si le requérant était renvoyé en Iran en l’absence d’une appréciation ex nunc par les autorités suédoises des conséquences de sa conversion.

III. APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

159. L’article 41 de la Convention dispose :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommages

160. Le requérant n’a soumis aucune demande pour dommage moral. Dès lors, la Cour n’alloue aucune somme à ce titre. Quoi qu’il en soit, elle estime que son constat dans le présent arrêt constitue en soi une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant (voir, en ce sens, Tarakhel c. Suisse [GC], no 29217/12, § 137, 4 novembre 2014, Beldjoudi c. France, 26 mars 1992, §§ 79 et 86, série A no 234‑A, M. et autres c. Bulgarie, no 41416/08, §§ 105 et 143, 26 juillet 2011, et Nizamov et autres c. Russie, nos 22636/13 et 3 autres, § 50, 7 mai 2014).

161. Devant la chambre, le requérant avait réclamé pour dommage matériel en compensation de la perte de revenu qu’il alléguait avoir subie en tant que concepteur web une somme de 19 000 couronnes suédoises (SEK) par mois à compter du 9 mars 2011 et jusqu’à la date à laquelle il obtiendrait l’asile.

162. Pour le Gouvernement, cette demande doit être rejetée au motif que le requérant n’a établi ni la réalité d’un quelconque dommage matériel subi par lui ni l’existence d’un lien de causalité entre un constat de violation et le dommage matériel allégué.

163. La Cour rappelle qu’elle est en mesure d’octroyer des sommes au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41 lorsque la perte ou les dommages allégués ont été causés par la violation constatée, l’État n’étant en revanche pas censé verser des sommes pour les dommages qui ne lui sont pas imputables (Saadi, précité, § 186).

164. Le requérant n’a aucunement établi l’existence d’une perte de revenu. De plus, eu égard au constat de la Cour selon lequel il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si le requérant était renvoyé en Iran en l’absence d’une véritable appréciation ex nunc par les autorités suédoises des conséquences de sa conversion religieuse, la Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre le constat d’une violation conditionnelle et le dommage matériel allégué par le requérant.

B. Frais et dépens

165. Le requérant demande pour frais et dépens 67 175 euros (EUR), taxe sur la valeur ajoutée (TVA) comprise, somme qu’il ventile ainsi :

1) 1 415 EUR pour les frais d’avocat engagés dans le cadre de la procédure devant la chambre, ce montant correspondant à 8,4 heures de travail au taux horaire de 1 205 SEK (hors TVA) ;

2) 42 683 EUR pour les frais d’avocats afférents à la procédure devant la Grande Chambre, ce montant correspondant à 311 heures de travail au taux horaire de 134,05 EUR (hors TVA), plus 7 heures de travail au taux horaire de 136 EUR ;

3) 9 860 EUR pour les frais de déplacement et autres dépenses engagés par ses trois conseils venus assister à l’audience devant la Grande Chambre, y compris les factures d’hôtel pour deux nuits (1 190 EUR) et les frais pour excédent de bagages (235 EUR) ;

4) 319 EUR pour les frais afférents à une réunion entre le requérant et son conseil ;

5) 12 898 EUR, montant correspondant à une TVA de 25 % sur les points 2 et 3.

166. Le Gouvernement ne remet pas en cause le taux horaire indiqué par le requérant, dès lors qu’il correspond au taux horaire général appliqué en Suède dans le cadre de l’aide judiciaire, mais estime excessif le nombre d’heures facturées devant la Grande Chambre eu égard à l’objet et à la complexité de l’affaire. Il jugerait raisonnable un montant correspondant à 120 heures, soit environ 16 231 EUR (hors TVA). De plus, il considère que les frais de déplacement et autres dépenses sont exagérés.

167. Selon la jurisprudence constante de la Cour, un requérant n’a droit au remboursement de ses frais et dépens qu’à condition que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux.

168. Pour ce qui est des honoraires d’avocat, qu’ils soient liés à la procédure devant la chambre ou à celle devant la Grande Chambre, la Cour peut accepter le taux horaire indiqué par le requérant. Compte tenu des documents en sa possession et des critères exposés ci-dessus, elle juge raisonnable d’allouer à l’intéressé la somme de 25 000 EUR, TVA comprise (voir, par exemple, Söderman c. Suède [GC], no 5786/08, § 125, CEDH 2013, Tarakhel, précité, § 142, X et autres c. Autriche [GC], no 19010/07, § 163, CEDH 2013, Nada c. Suisse [GC], no 10593/08, § 245, CEDH 2012, et Al-Jedda c. Royaume-Uni [GC], no 27021/08, § 117, CEDH 2011).

169. Pour ce qui est des autres frais et dépens afférents à la procédure devant la Grande Chambre, la Cour considère que leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux se trouvent établis.

170. En conclusion, la Cour alloue au requérant la somme de 37 644 EUR (TVA comprise) pour frais et dépens. Cette somme inclut le montant octroyé par la Cour au titre de l’assistance judiciaire, à savoir 3 902 EUR. Le restant de la somme, soit 33 742 EUR, devra être versé par l’État défendeur.

C. Intérêts moratoires

171. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Rejette, par seize voix contre une, la demande de radiation de l’affaire du rôle formulée par le Gouvernement ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y aurait pas violation des articles 2 et 3 de la Convention à raison du passé politique du requérant en Iran si celui-ci était expulsé vers ce pays ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y aurait violation des articles 2 et 3 de la Convention si le requérant était renvoyé en Iran en l’absence d’une appréciation ex nunc par les autorités suédoises des conséquences de sa conversion religieuse ;

4. Dit, à l’unanimité,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 33 742 EUR (trente-trois mille sept cent quarante-deux euros) pour frais et dépens, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt sur cette somme ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 23 mars 2016.

Johan CallewaertGuido Raimondi
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante du juge Bianku ;

– opinion en partie concordante, en partie dissidente de la juge Jäderblom, à laquelle se rallie le juge Spano pour la première partie ;

– opinion séparée du juge Sajó ;

– opinion commune séparée des juges Ziemele, De Gaetano, Pinto de Albuquerque et Wojtyczek.

G.RA.
J.C.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE BIANKU

(Traduction)

Je souscris au constat de violation formulé dans la présente affaire. Je tiens toutefois à ajouter quelques commentaires.

Le présent arrêt confirme à juste titre la position de la Cour, exprimée au paragraphe 115, selon laquelle « [u]ne évaluation complète et ex nunc est requise lorsqu’il faut prendre en compte des informations apparues après l’adoption par les autorités internes de la décision définitive ». Telle est l’approche que la Cour suit constamment, en particulier dans les affaires d’expulsion, pour rendre sa protection concrète et effective.

Il faut à mon avis rappeler que la Cour a énoncé les principes pertinents pour son appréciation du risque de mauvais traitements dans l’affaire Cruz Varas et autres c. Suède (20 mars 1991, §§ 74-76 et 83, série A no 201), et qu’elle les a précisés et consolidés dans Vilvarajah et autres c. Royaume‑Uni (30 octobre 1991, §§ 107-108, série A no 215).

Il est donc clair que depuis ces arrêts de 1991, et au regard de l’analyse de l’appréciation du risque au sens de l’article 3 de la Convention, la Cour utilise l’approche de l’analyse ex nunc à la fois pour les faits nouveaux survenant dans le pays de destination et pour l’évolution de la situation des requérants eux-mêmes pendant leur séjour dans le pays où ils demandent l’asile – ce que l’on appelle les activités « sur place » (S.F. et autres c. Suède, no 52077/10, §§ 68-71, 15 mai 2012)[1]. Le présent arrêt confirme l’application de l’analyse ex nunc aux activités sur place.

Au paragraphe 156 du présent arrêt, la Cour déclare qu’« indépendamment de l’attitude du requérant, les autorités nationales compétentes ont l’obligation d’évaluer d’office tous les éléments portés à leur connaissance avant de se prononcer sur l’expulsion de l’intéressé vers l’Iran » (italique ajouté).

Je tiens simplement à souligner que cela aurait dû être clair pour les autorités nationales, qui depuis plus de vingt ans sont tenues à cette obligation procédurale. Compte tenu de l’approche constante de l’analyse ex nunc suivie à Strasbourg, également adoptée de longue date par les juridictions nationales dans leur évaluation du risque[2], et aujourd’hui codifiée au niveau de l’Union européenne[3], j’aurais préféré que le présent arrêt aboutisse clairement à la conclusion que, en raison de l’absence d’une évaluation ex nunc du risque, combinée avec une enquête et une appréciation des éléments effectuées d’office par les autorités suédoises (Vilvarajah et autres, précité, § 107)[4], celles-ci n’ont pas apprécié la situation du requérant de manière conforme à l’article 3. Je pense que seule une appréciation au niveau national conforme à l’article 3, telle que définie par la Cour, permettrait de réduire progressivement la nécessité pour la Cour de Strasbourg d’intervenir et de procéder elle-même, dans un second temps, à une analyse ex nunc de situations qui sont délicates et évoluent constamment.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE, EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE JÄDERBLOM, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE SPANO POUR LA PREMIÈRE PARTIE

(Traduction)

1. Sur la violation potentielle des articles 2 et 3 de la Convention

Lorsque l’on apprécie un risque au niveau individuel dans une affaire d’asile, les circonstances à prendre en compte peuvent revêtir un caractère plus ou moins général. Concernant les musulmans qui se sont convertis au christianisme en Iran, les rapports sur le pays montrent que certaines situations présentent des risques. Cependant, pour un converti qui ne se fait pas remarquer, c’est-à-dire qui s’abstient de faire du prosélytisme ou de manifester son christianisme dans un contexte politique mais assiste à des « messes à domicile » et garde chez lui son matériel religieux, il n’y a pas en principe de risque de mauvais traitements d’une nature ou d’une gravité qui suffisent à faire entrer en jeu les articles 2 et 3. Du fait de sa réticence initiale à invoquer sa conversion au christianisme, le requérant a été traité de facto comme n’importe quel ancien musulman qui opterait pour une pratique « en retrait » du christianisme.

Suivant un principe fondamental défini dans la jurisprudence de la Cour pour apprécier un risque conduisant à l’interdiction d’une expulsion, il incombe au requérant d’apporter la preuve qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire qu’il serait exposé à un risque réel de mauvais traitements. Selon les principes du HCR, bien que la charge de la preuve incombe généralement à celui qui affirme, il y a une obligation partagée entre l’intéressé et l’examinateur de vérifier et d’évaluer l’ensemble des faits pertinents (paragraphe 109 du présent arrêt). Je souscris à cette idée.

On peut avancer deux explications au fait que le requérant n’a pas invoqué sa conversion lors de la première procédure devant l’office des migrations et le tribunal des migrations. (Concernant le recours devant la cour d’appel des migrations, rappelons que celle-ci fonctionne principalement comme un organe faisant évoluer la jurisprudence et qu’elle n’a pas examiné l’affaire au fond.) Hormis la possibilité que la conversion n’ait pas été sincère à l’époque de l’examen de la demande d’asile – ce que je n’insinue pas –, soit le requérant n’a pas saisi la gravité du danger lié à sa conversion et à la manière dont il entendait pratiquer sa nouvelle religion, soit il n’avait pas l’intention de la pratiquer d’une manière susceptible de le mettre en danger en Iran.

La question est de savoir quel est le danger dont le requérant aurait dû être conscient à l’époque de la procédure nationale, et par la suite quel danger les autorités étaient censées apprécier. À cet égard, il faut faire la distinction entre une personne qui a fui son pays en raison de persécutions pour des motifs religieux et une personne qui comme le requérant s’est convertie « sur place ». Dans cette dernière situation, ce n’est pas au seul requérant d’imaginer quelle pourrait être sa situation à son retour, eu égard aux activités religieuses qu’il prévoit de mener ; les autorités nationales doivent elles aussi s’efforcer d’apprécier non pas les difficultés déjà rencontrées mais celles auxquelles on peut s’attendre. Notons que l’affaire de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z (paragraphe 50 du présent arrêt) ne concernait pas les conversions « sur place » mais une évaluation des risques futurs pouvant peser sur des personnes qui disaient avoir déjà été victimes de persécutions en raison de leurs croyances et pratiques religieuses. L’affaire ne portait pas sur les exigences procédurales des autorités nationales. En revanche, dans l’affaire A. et autres c. Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie (paragraphe 51 du présent arrêt), la CJUE a désapprouvé la pratique consistant à soumettre à un interrogatoire détaillé sur leurs pratiques sexuelles des personnes qui demandent l’asile en alléguant des risques de persécution fondés sur leur homosexualité, et a jugé que l’on ne pouvait conclure à un manque de crédibilité du seul fait qu’un demandeur d’asile n’avait pas invoqué son orientation sexuelle déclarée à la première occasion qui lui ait été donnée de présenter le motif de la persécution. À mon avis cependant, cette affaire ne peut être comparée au cas d’espèce. L’orientation sexuelle d’une personne peut constituer un aspect très sensible et intime de la vie d’une personne, et la CJUE reconnaît qu’il peut être difficile d’exposer pareil aspect en public ou devant l’organe décisionnel d’une autorité. Telle n’est pas la situation dans l’affaire portée devant nous, dans laquelle le requérant, dès le tout début de sa conversion, a assisté à des rassemblements et offices publics dans des églises suédoises. En outre, en l’espèce ce n’est pas la crédibilité du requérant qui fait débat, mais plutôt le flou dans lequel il est resté quant à la manière dont il entendait à l’avenir pratiquer sa nouvelle confession et le fait que les autorités suédoises n’aient pas automatiquement enquêté sur ce point.

Le requérant n’a expliqué ni devant l’office des migrations ni devant aucune juridiction nationale comment il entendait vivre sa nouvelle religion en Iran. Il n’a jamais indiqué qu’il avait l’intention de faire du prosélytisme ou de publier des textes chrétiens. Dès l’introduction de sa requête devant la Cour, il a déclaré qu’il entendait pratiquer sa nouvelle foi de manière ouverte. On ignore tout simplement si tel a aussi été le cas à un stade quelconque de l’examen de sa demande d’asile par les autorités suédoises lors de la première procédure, car il ne s’est pas expliqué à ce sujet. Le fait qu’il ait indiqué devant le tribunal des migrations que la conversion lui causerait des problèmes en cas de renvoi en Iran est bien sûr un point sur lequel le tribunal aurait pu s’étendre, mais comme nous l’avons vu il pourrait y avoir d’autres explications à cela. Il ressort clairement des réponses données par son avocat lors de l’audience devant la Grande Chambre que le requérant connaîtrait des problèmes avec sa famille et ses amis en Iran, qui n’accepteraient pas sa conversion, et que pour cette raison il pâtirait socialement de sa conversion. Toutefois, pareilles conséquences ne constituent pas un motif d’asile.

Le requérant a passé la majeure partie de sa vie en Iran, il est expérimenté dans l’utilisation d’Internet et parle anglais. En outre, il a été représenté par un avocat tout au long de la procédure d’asile. Ils ont discuté ensemble de la question de la conversion à plusieurs occasions, et ce dès les premiers entretiens devant l’office des migrations. Il est donc difficile d’imaginer que le requérant, conseillé par un avocat, ait d’une quelconque manière été empêché de porter un éventuel fait ou risque pertinent à l’attention des autorités et juridictions. De plus, l’office des migrations l’a interrogé sur sa conversion (dès l’entretien du 24 mars 2010) et a donc activement soulevé la question, à laquelle il a eu la possibilité de réfléchir.

Nous savons tous qu’une conversion au christianisme ne suffit pas en soi pour que les autorités iraniennes infligent des mauvais traitements. Le risque découle d’une manière ouverte de vivre la foi. Le requérant et les autorités suédoises le savaient très certainement. En Suède, l’office des migrations examine généralement des dizaines de milliers de demandes d’asile chaque année, et les quatre tribunaux des migrations traitent des milliers de demandes d’asile par an. Des fonctionnaires et des juges sont spécialisés dans la situation de tel ou tel pays, y compris l’Iran.

Compte tenu de la situation spécifique du requérant, en particulier sa connaissance de la situation prévalant dans son pays d’origine, l’assistance juridique reçue par lui ainsi que le faible niveau de risque pour les convertis qui pratiquent le christianisme discrètement, il aurait été raisonnable à mes yeux d’attendre du requérant qu’il mentionnât au moins son intention de vivre sa nouvelle foi de manière ouverte, donc dangereuse. Si le requérant avait présenté cette circonstance, il aurait incombé aux autorités de rechercher en quoi elle était susceptible d’influer sur l’appréciation du risque, et d’évaluer ces faits. Telles sont à mon avis les limites du principe du HCR sur l’obligation partagée dans une situation telle que celle-ci. En conséquence, je ne suis pas convaincue que les autorités suédoises aient failli à leur obligation d’évaluer les faits ou risques pertinents lors de la première procédure d’asile.

La question est de savoir s’il existait des circonstances – par exemple des éléments nouveaux ayant trait à sa manière de vivre sa nouvelle foi – qui appelaient un réexamen de la demande d’asile du requérant en raison de sa conversion. Dans la seconde procédure, il aurait été crucial de rechercher s’il était apparu un élément nouveau dans la manière dont on pouvait penser que l’intéressé vivrait sa nouvelle religion en Iran, tout comme il convient d’apprécier toute autre activité « sur place ». Lors de la seconde procédure, le requérant n’a pas lui-même donné plus d’explications sur la manière dont il prévoyait de pratiquer sa nouvelle foi en Iran ; il n’a évoqué aucune activité qui irait au-delà de la pratique discrète généralement admise dans son pays. Il n’est donc pas surprenant que l’intéressé ait été considéré comme n’ayant pas invoqué de nouvelles circonstances à cet égard ; je ne puis dès lors conclure que les autorités suédoises ont manqué à leurs obligations en ce qui concerne la seconde procédure.

Le requérant a toutefois soumis à la Cour de nouveaux documents dans lesquels il explique comment il pratiquera sa religion en Iran en cas d’expulsion. Les circonstances présentées à la Cour sont de nature à révéler un risque de mauvais traitements et doivent donc être prises en compte par les autorités suédoises avant adoption de toute nouvelle décision relative à son éventuelle expulsion. Pour cette raison, j’ai voté avec la majorité dans le sens d’une violation potentielle des articles 2 et 3 de la Convention.

2. Il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête

Bien que j’aie voté comme la majorité au sujet des articles 2 et 3, j’aurais préféré voir rayer la requête du rôle, et ce pour les raisons exposées ci-après.

L’article 37 § 1 de la Convention énonce :

« 1. À tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle lorsque les circonstances permettent de conclure

a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou

b) que le litige a été résolu ; ou

c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus de poursuivre l’examen de la requête.

Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »

Selon la jurisprudence constante de la Cour dans les affaires concernant l’expulsion d’un requérant d’un État défendeur, dès lors que l’intéressé a obtenu un permis de séjour et ne risque plus d’être expulsé de cet État, la Cour considère que l’affaire a été résolue au sens de l’article 37 § 1 b) de la Convention et elle la raye de son rôle, que le requérant approuve ou non cette décision (voir, notamment, M.E. c. Suède (radiation) [GC], no 71398/12, § 32, 8 avril 2015, H c. Norvège (déc.), no 51666/13, 17 février 2015, I.A. c. Pays-Bas (déc.), no 76660/12, 27 mai 2014, O.G.O. c. Royaume-Uni (déc.), no 13950/12, 18 février 2014, Isman c. Suisse (déc.), no 23604/11, 21 janvier 2014, M.A. c. Suède (déc.), no 28361/12, 19 novembre 2013, A.G. c. Suède (déc.), no 22107/08, 6 décembre 2011, et Sarwari c. Autriche (déc.), no 21662/10, 3 novembre 2011). La raison en est que la Cour a toujours envisagé la question sous l’angle d’une violation potentielle de la Convention, étant d’avis que la menace d’une violation disparaît de par la décision accordant au requérant le droit de séjour dans l’État défendeur en cause (M.E. c. Suède, précité, § 33). Dans plusieurs affaires concernant l’expulsion d’un requérant hors d’un État défendeur, lorsqu’il ressortait clairement des informations dont elle disposait que le requérant ne risquait plus, ni à ce moment-là ni avant longtemps, d’être expulsé et soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, et que le requérant avait la possibilité de contester devant les autorités nationales et la Cour une éventuelle mesure d’éloignement, la Cour a estimé qu’il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la requête et qu’il convenait de rayer celle-ci du rôle en vertu de l’article 37 § 1 c) de la Convention (voir, notamment, I.A. c. Pays-Bas, décision précitée ; voir aussi, mutatis mutandis, concernant l’article 8, Atayeva et Burman c. Suède (radiation), no 17471/11, §§ 19-24, 31 octobre 2013, P.Z. et autres c. Suède (radiation), no 68194/10, §§ 14-17, 18 décembre 2012, et B.Z. c. Suède (radiation), no 74352/11, §§ 17-20, 18 décembre 2012). Dans toutes ces affaires, la Cour a considéré qu’il n’y avait pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeaient la poursuite de l’examen de la requête (article 37 § 1 in fine).

Le présent arrêt est rendu bien plus de quatre ans après la décision définitive adoptée au niveau national. Il est aussi rendu après l’expiration de la décision d’expulsion, qui ne peut donc plus être mise en œuvre. Le requérant a la possibilité d’engager une nouvelle procédure d’asile complète, dans laquelle il pourra expliquer en quoi sa pratique religieuse ouverte lui vaudrait des mauvais traitements en Iran. Sa demande serait alors examinée au fond par l’office des migrations et, en cas de recours, par une juridiction des migrations. L’intéressé a en effet déclaré que si la Cour mettait fin à l’examen de la requête il présenterait une nouvelle demande d’asile, à l’appui de laquelle il invoquerait sa conversion au christianisme. Le requérant ne risque plus, ni en ce moment ni avant longtemps, d’être expulsé vers l’Iran. Si sa nouvelle demande d’asile était rejetée par les autorités et juridictions nationales, il aurait la possibilité d’introduire une nouvelle requête auprès de la Cour.

Les effets concrets de l’expiration de la décision d’expulsion et du constat d’une violation potentielle en l’espèce sont les mêmes, c’est-à-dire qu’il y aura une appréciation ex nunc des conséquences de la conversion du requérant. Le raisonnement de la majorité n’introduit aucun nouveau principe fondamental dans la jurisprudence de la Cour. Dans ces conditions, il ne se justifiait plus de poursuivre l’examen de la présente requête et je ne vois pas de circonstances spéciales touchant au respect des droits de l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles qui exigeaient la poursuite de son examen. En conséquence, il y avait lieu à mon avis de rayer l’affaire du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.

OPINION SÉPARÉE DU JUGE SAJÓ

(Traduction)

Je partage les conclusions formulées dans l’opinion séparée de mes collègues les juges Ziemele, De Gaetano, Pinto de Albuquerque et Wojtyczek.

J’estime que les autorités nationales sont tenues à l’obligation positive d’apprécier d’office la situation d’un demandeur d’asile du point de vue des articles 2 et 3 de la Convention, en s’appuyant sur les informations disponibles. Lesdites autorités auraient dû savoir que le requérant encourrait la peine capitale s’il était expulsé vers l’Iran. Elles auraient dû le savoir compte tenu des informations personnelles fournies par le requérant lui‑même. Il existe une documentation abondante sur la persécution des non-musulmans – notamment les chrétiens – dans l’Iran d’aujourd’hui. Or les autorités nationales ne se sont pas penchées sur les informations et documents disponibles au niveau international, manquement qui en soi rend leurs décisions contraires à la prééminence du droit et emporte violation des exigences procédurales découlant des articles 2 et 3. La décision d’expulsion exécutoire qui en a découlé a donc exposé la vie du requérant à un risque immédiat.

En outre, j’aurais préféré une analyse séparée de la mesure dans laquelle le droit consacré par la Convention de manifester librement sa religion (c’est-à-dire, en l’espèce, au lieu de dissimuler sa foi chrétienne en Iran, comme l’ont suggéré les autorités nationales) a une application extraterritoriale.

OPINION COMMUNE SÉPARÉE DES JUGES ZIEMELE, DE GAETANO, PINTO DE ALBUQUERQUE ET WOJTYCZEK

(Traduction)

1. À notre avis, la décision d’expulsion ayant visé le requérant a emporté violation des articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention ») en leurs volets tant matériel que procédural. Sur le plan procédural, nous estimons que la procédure d’asile a été entachée de vices graves qui se sont répercutés sur la décision interne finale. Au niveau matériel, nous considérons que les juridictions nationales n’ont pas satisfait aux normes posées par la Convention lorsqu’elles ont jugé que le requérant ne courrait pas de risques, à raison de sa conversion au christianisme, s’il était expulsé vers l’Iran. Nous ne contestons pas que le requérant ne courrait pas de risques aujourd’hui en Iran du fait de ses convictions politiques ; la présente opinion séparée se limite donc à s’interroger sur la compatibilité de la décision et de la procédure internes d’expulsion avec la Convention, eu égard à la conversion religieuse du requérant.

La qualité de victime

2. Bien que la validité de la décision d’expulsion ait expiré le 8 juin 2015, nous estimons que la qualité de victime du requérant demeure entière, puisque l’intéressé n’a pas obtenu de permis de séjour en Suède et que l’issue de toute nouvelle procédure d’asile susceptible d’être engagée par lui demeure incertaine. Si la Cour avait décidé de ne pas poursuivre l’examen de la cause du requérant, l’arrêt de la chambre aurait acquis force de chose jugée, avec la forte probabilité d’être pris pour argent comptant dans toute procédure à venir par les autorités et juridictions nationales. Vu la farouche opposition du gouvernement défendeur aux griefs du requérant, tant au niveau de la chambre que de la Grande Chambre, l’arrêt de la chambre aurait clairement accru le risque pour le requérant d’être expulsé, en violation manifeste de ses droits fondamentaux.

La violation procédurale

3. Il n’est pas contesté que lors de la première procédure d’asile le requérant a expressément déclaré qu’il ne voulait pas invoquer sa conversion au christianisme à l’appui de sa demande d’asile. Au cœur de cette affaire se trouve donc le point de savoir si, dès lors que les autorités avaient connaissance de la conversion du requérant, elles auraient dû quand même, d’office, évaluer ce risque également.

À nos yeux, les autorités et juridictions nationales avaient l’obligation d’apprécier, d’office, le besoin de protection internationale du requérant à la lumière de l’ensemble des circonstances dont elles avaient ou auraient dû avoir connaissance. Les autorités nationales n’avaient pas la faculté d’omettre l’examen, sous l’angle de l’article 3, d’un risque connu et découlant de motifs religieux, pour la seule raison que le demandeur d’asile ne l’évoquait pas activement dans la procédure nationale ou ne saisissait pas pleinement les conséquences liées à son choix de ne pas l’invoquer formellement à l’appui de sa demande d’asile. Au lieu de cela, les autorités nationales ont préféré examiner la situation du requérant comme s’il avait renoncé à toute invocation du risque découlant de sa conversion religieuse.

En fait, nous n’admettons pas l’idée que le requérant ait renoncé à invoquer pareil risque. Rien dans le dossier ne permet d’établir une quelconque renonciation éclairée et délibérée de sa part. De plus, eu égard au caractère absolu de l’interdiction du refoulement et au fait que les articles 2 et 3 de la Convention sont insusceptibles de dérogation, pareille renonciation – à supposer qu’elle fût établie, ce qui n’est pas le cas – n’aurait pas été un élément pertinent. Les autorités et juridictions nationales étaient donc tenues à l’obligation de se pencher sur les risques encourus par le requérant, en raison de sa conversion, dans l’éventualité de son renvoi en Iran. Or elles n’en ont rien fait.

4. En fait, l’office des migrations a relevé que le requérant n’avait pas souhaité au départ invoquer sa conversion à l’appui de sa demande d’asile et avait déclaré que sa foi était une question d’ordre privé, et il a conclu que l’intéressé n’avait pas besoin de protection en Suède[5]. Plus tard, le tribunal des migrations n’a même pas abordé cette question, du fait que le requérant n’évoquait plus ses convictions religieuses comme motif de persécution[6]. Malgré le caractère explicite de l’argument du requérant fondé sur le risque lié à ses convictions religieuses, tel que formulé dans sa demande d’autorisation de saisir la cour d’appel des migrations, ladite juridiction a fait fi de cet argument et a refusé à l’intéressé l’autorisation de faire appel[7]. Ensuite, lorsqu’il a sollicité le réexamen de sa cause, le requérant a insisté sur le danger de mort, allant de pair avec le fait de renoncer à l’islam pour se convertir à une autre religion, auquel il serait exposé en Iran[8]. Là encore, l’office des migrations a campé sur ses positions et a déclaré que le requérant avait au départ abandonné l’idée d’invoquer ses nouvelles convictions religieuses et que dès lors il ne pouvait plus soulever cette question comme s’il s’agissait d’un fait nouveau[9].

La position de l’office des migrations, confirmée par le tribunal des migrations et la cour d’appel des migrations[10], fut par la suite infirmée par l’« avis juridique général » émis en 2013 par le directeur général des affaires juridiques de l’office suédois des migrations sur la méthodologie à suivre pour apprécier la fiabilité et la crédibilité des demandes de protection internationale. Ce document dispose en effet que la charge de la preuve initiale repose sur le demandeur, et souligne en même temps que l’examen d’une demande relève de la responsabilité conjointe du demandeur et de l’autorité chargée de l’examen[11]. À cet égard, cet « avis juridique général » cadre avec les critères de la charge de la preuve posés par cette Cour[12] ainsi que par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)[13].

5. Bien qu’elles aient admis la sincérité de la conversion du requérant, les autorités et juridictions nationales sont parties de l’idée que celui-ci ne courrait pas de risques s’il était expulsé vers l’Iran, dès lors qu’il pourrait modifier son comportement social de manière à cantonner sa nouvelle foi dans le domaine strictement privé. En d’autres termes, les autorités et juridictions suédoises ont présupposé qu’en Iran le requérant s’abstiendrait, ou en fait devrait s’abstenir, de participer à des offices religieux à domicile, à des réunions de prières et à des activités sociales, contrairement à ce qu’il faisait en Suède. Cette position a été expressément affirmée par l’office des migrations, qui a jugé que l’exercice par le requérant de sa foi dans un cadre privé ne constituait pas une raison plausible de penser qu’il risquait d’être persécuté à son retour[14].

Ni le tribunal des migrations ni la cour d’appel des migrations n’ont rejeté cette position. Pourtant, quelques mois plus tard, le 12 novembre 2012, le directeur général des affaires juridiques de l’office suédois des migrations publia un nouvel « avis juridique général », sur les demandes d’asile fondées sur des motifs religieux, avis qui affirmait clairement qu’une personne convertie « ne doit pas être contrainte de cacher sa foi dans le seul but d’échapper à [la persécution] »[15]. Par pure coïncidence, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) venait le 5 septembre 2012 de rendre son arrêt dans l’affaire Bundesrepublik Deutschland c. Y et Z (C-71/11 et C-99/11), où elle déclarait :

« [L]a crainte du demandeur d’être persécuté est fondée dès que les autorités compétentes, au regard de la situation personnelle du demandeur, estiment qu’il est raisonnable de penser que, à son retour dans son pays d’origine, il effectuera des actes religieux l’exposant à un risque réel de persécution. Lors de l’évaluation individuelle d’une demande visant à obtenir le statut de réfugié, lesdites autorités ne peuvent pas raisonnablement attendre du demandeur qu’il renonce à ces actes religieux. »

L’avis juridique du directeur général et l’arrêt de la CJUE reposent tous deux sur les Principes directeurs du HCR – plus anciens – sur la protection internationale relatifs aux demandes d’asile fondées sur la religion (28 avril 2004), selon lesquels on ne saurait contraindre une personne à cacher ou modifier ses convictions religieuses, ou à y renoncer pour échapper à la persécution[16].

6. Nous souscrivons à cette position fondée sur des principes, qui cadre parfaitement avec la jurisprudence constante de la Cour sur le devoir de neutralité de l’État dans les questions religieuses et l’incompatibilité de ce devoir avec un quelconque pouvoir d’appréciation de l’État quant à la légitimité des convictions religieuses ou à la manière dont elles sont exprimées[17]. Comme l’a dit la Cour suprême du Royaume-Uni (dans une affaire de demande d’asile fondée sur l’homosexualité des demandeurs) en faisant une allusion historique convaincante : en décider autrement reviendrait à approuver le retour d’Anne Frank aux Pays-Bas sous occupation nazie – à supposer qu’elle eût auparavant réussi à s’enfuir –, en arguant qu’elle aurait pu se cacher au grenier et serait donc parvenue à éviter le risque de se faire arrêter par les nazis[18]. La Cour suprême a déclaré qu’une telle position serait « absurde et irréelle ». De même, nous ne pouvons admettre la présomption de l’État défendeur que le requérant ne serait pas persécuté en Iran parce qu’il pourrait adopter une pratique effacée, discrète, voire secrète, de ses convictions religieuses. Non seulement la manifestation extérieure de sa foi par une personne est un élément essentiel de la liberté même que protège l’article 9 de la Convention mais de plus, en tout cas – et assurément – dans le christianisme, le fait de témoigner extérieurement de cette foi est une « mission essentielle » et une « responsabilité de chaque chrétien et de chaque église »[19].

Nous parvenons donc à la conclusion qu’il y a eu violation des articles 2 et 3 de la Convention en leur volet procédural en raison des vices graves qui ont entaché la procédure nationale et la décision finale adoptée à l’issue de celle-ci.

La violation matérielle

7. En vertu de la Convention, un demandeur d’asile ne peut être refoulé ni vers son pays d’origine ni vers un quelconque autre pays où il risque de subir un préjudice grave causé par une personne ou une entité, publique ou privée, identifiée ou non. L’acte de refouler peut consister en une expulsion, une déportation, un éloignement, une extradition, un transfert officiel ou officieux, une « restitution », un rejet, un refus d’admission ou toute autre mesure ayant pour résultat d’obliger la personne concernée à rester dans son pays d’origine ou à y retourner. Le risque de préjudice grave peut découler d’une agression extérieure, d’un conflit armé interne, d’une exécution extrajudiciaire, d’une disparition forcée, de la peine capitale, de la torture, d’un traitement inhumain ou dégradant, du travail forcé, de la traite des êtres humains, de la persécution, d’un procès basé sur une loi pénale rétroactive ou indéfinie ou sur des preuves obtenues au moyen de la torture ou d’un traitement inhumain et dégradant, donc d’une « violation flagrante » de l’essence de tout droit garanti par la Convention dans l’État de destination (refoulement direct) ou de la remise ultérieure de l’intéressé par l’État de destination à un État tiers au sein duquel un tel risque existe (refoulement indirect). Nous relevons que l’interdiction du refoulement est une règle conventionnelle à l’égard de laquelle aucune dérogation n’est permise et aucune réserve n’est admise[20]. En outre, l’interdiction du refoulement est un principe de droit international coutumier, qui s’impose à tous les États, y compris ceux qui ne sont pas parties à la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés ou à un quelconque autre traité visant à la protection des réfugiés. La Cour a clairement reconnu le principe de non‑refoulement comme une règle de droit international contraignante, notamment dans l’affaire Hirsi Jamaa et autres c. Italie[21].

8. Né en Iran, le requérant est devenu chrétien peu après être entré en Suède, ou au plus tard en décembre 2009. Sa conversion se trouve attestée à suffisance par son certificat de baptême daté du 31 janvier 2010, l’attestation du 15 mars 2010 dans laquelle un pasteur de Suède certifiait que le requérant était membre de sa paroisse depuis décembre 2009 et qu’il avait été baptisé, ainsi que la lettre du 13 avril 2011 de sa nouvelle paroisse, qui indiquait que le requérant s’était converti peu après son arrivée en Suède, que c’était avec une motivation et un intérêt sincères qu’il souhaitait en apprendre davantage sur sa nouvelle foi, et qu’il prenait part aux offices religieux ainsi qu’aux réunions de prières et activités sociales de l’église[22]. Le gouvernement défendeur n’a contesté aucun de ces points.

9. La conversion du requérant au christianisme constitue une infraction pénale passible de la peine de mort en Iran[23]. Outre la persécution sociale à laquelle il est exposé en tant que chrétien[24], le requérant risque des poursuites pénales pour crime d’apostasie[25]. Bien que l’État iranien n’ait jamais codifié ce crime, il autorise l’application de certaines lois islamiques alors même que le crime n’est pas spécifiquement mentionné dans le code pénal. Dès lors que l’apostasie n’est pas expressément prohibée par le code pénal iranien et qu’il existe de nombreuses interprétations différentes du droit islamique sur cette question, les juges ont le pouvoir discrétionnaire de statuer dans les affaires d’apostasie en se fondant sur leur propre compréhension de la loi islamique[26], qu’ils peuvent imposer en invoquant l’article 167 de la Constitution iranienne[27].

Par ailleurs, le crime d’apostasie est passible de sanction même en l’absence de troubles sociaux, ce qui aggrave plus encore le caractère intrinsèquement introspectif de la sanction pénale. En outre, ce crime s’applique différemment aux hommes et aux femmes, aux musulmans et aux non‑musulmans, aux musulmans chiites et aux musulmans sunnites, aux musulmans nés de parents musulmans et aux musulmans nés de parents non musulmans. Les membres d’autres communautés religieuses et les non‑croyants peuvent devenir musulmans sans avoir à craindre de poursuites. Les femmes apostates ne sont pas passibles de la peine de mort comme le sont les hommes.

10. À nos yeux, la répression de l’apostasie porte atteinte au droit international des droits de l’homme[28]. Cette sanction est par essence arbitraire, dès lors que la répression visant l’acte qui consiste à changer de religion emporte violation du droit à la liberté de religion et contraint en pratique les citoyens musulmans à s’abstenir d’adopter une autre foi. Or, comme l’indique l’article 18 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, la liberté de religion implique la « liberté de changer de religion ou de conviction »[29]. En outre, sur le plan du droit, les conditions objectives et subjectives de la sanction pénale de l’acte d’apostasie sont incertaines et ambiguës, comme le sont les peines applicables, les différences de traitement entre catégories de sujets de droit étant discriminatoires.

11. Enfin, la commission d’une telle infraction peut être établie selon des règles de preuve qui vont à l’encontre des principes fondamentaux de l’égalité et de l’équité. Non seulement ces règles de preuve opèrent une discrimination entre les témoignages émanant d’hommes ou de femmes, de musulmans ou de non-musulmans, mais, pire encore, elles admettent le recours au « savoir » privé du juge pour asseoir une condamnation pénale. À la lumière des éléments qui précèdent, les poursuites et procès pour apostasie, considérée comme une infraction pénale, constituent un déni de justice flagrant[30].

12. En bref, la décision d’expulsion du requérant vers l’Iran, où il est susceptible d’être jugé sur la base du droit pénal et procédural évoqué plus haut, revient à bafouer des principes qui sont profondément enracinés dans la conscience juridique universelle. La décision d’expulsion a soumis l’intéressé au risque sérieux d’être jugé sur le fondement d’un droit pénal qui est une atteinte flagrante au droit à la liberté de religion et au principe de la légalité pénale, et ce dans le cadre d’un procès pénal qui constituerait un déni de justice flagrant. La mise en œuvre d’une telle décision d’expulsion s’analyserait en une grave violation du principe de non‑refoulement.

En conséquence, nous parvenons à la conclusion qu’il y a eu violation des articles 2 et 3 de la Convention en leur volet matériel, en raison de la décision d’expulsion ayant visé le requérant. Eu égard à ce qui précède, nous ajoutons que, rebus sic stantibus, l’État défendeur ne doit pas expulser le requérant vers l’Iran.

* * *

[1]. Voir aussi l’article 5 de la Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

[2]. Voir, parmi bien d’autres décisions : l’arrêt de la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles du 28 octobre 1999, Danian v. Secretary of State for the Home Department [1999] EWCA Civ 3000 ; l’arrêt du tribunal administratif d’Helsinki du 25 octobre 2010, 10/1389/1 ; l’arrêt de la High Court irlandaise du 21 janvier 2011, H.M. v. Minister for Justice, Equality, Law Reform, [2011] IEHC 16 ; le jugement du tribunal suédois des migrations du 1er mars 2011, UM 20938-10 (décisions toutes commentées à l’adresse suivante : www.asylumlawdatabase.eu/en).

[3]. Article 46 § 3 de la Directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale.

[4]. Concernant la nécessité d’une telle enquête, voir aussi l’arrêt de la cour d’appel suédoise des migrations du 18 septembre 2006, UM 122-06 (www.asylumlawdatabase.eu/en).

[5]. Paragraphe 21 du présent arrêt.

[6]. Paragraphe 28 du présent arrêt.

[7]. Paragraphes 30-31 du présent arrêt.

[8]. Paragraphe 32 du présent arrêt.

[9]. Paragraphe 33 du présent arrêt.

[10]. Paragraphes 35 et 36 du présent arrêt.

[11]. Paragraphe 47 du présent arrêt.

[12]. R.C. c. Suède, no 41827/07, § 53, 9 mars 2010.

[13]. HCR, Note on Burden and Standard of Proof in Refugee Claims, 16 décembre 1998, § 6, et Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/IP/4/Fre/Rev.1, 1992, §§ 196-197.

[14]. Paragraphe 21 du présent arrêt.

[15]. Paragraphe 46 du présent arrêt.

[16]. Paragraphe 52 du présent arrêt.

[17]. Eweida et autres c. Royaume-Uni, nos 48420/10 et 3 autres, § 81, CEDH 2013, ainsi que les références qui s’y trouvent indiquées.

[18]. HJ (Iran) and HT (Cameroon) v. Secretary of State for the Home Department, (2010) UKSC 31, United Kingdom Supreme Court,7 juillet 2010, § 107.

[19]. Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, §§ 31 et 48, série A no 260‑A.

[20]. Articles 33 et 42 § 1 de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, article VII § 1 du Protocole de 1967, et article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

[21]. Hirsi Jamaa et autres c. Italie [GC], no 27765/09, § 134, CEDH 2012, qui renvoie à la note du HCR sur la protection internationale du 13 septembre 2001 (A/AC.96/951, § 16).

[22]. Le tribunal des migrations n’a pas remis en cause le fait que le requérant professait la foi chrétienne (paragraphe 24 du présent arrêt).

[23]. Le dernier converti au christianisme en Iran à avoir été déclaré coupable d’apostasie et condamné à mort par un tribunal (1994) est Mehdi Dijab ; la peine n’a toutefois pas été exécutée. Cette absence de châtiment récent ne signifie pas qu’il n’y a pas eu d’exécution de convertis au christianisme en dehors du système judiciaire. Ainsi, Mehdi Dijab et d’autres pasteurs protestants ont été tués hors du cadre judiciaire. Selon des sources internationales, c’est en 1990 que la dernière peine de mort pour apostasie a été exécutée (voir, par exemple, the Law Library of Congress, Global Legal Research Center, « Laws Criminalizing Apostasy in Selected Jurisdictions », mai 2014). D’autres « apostats » non chrétiens ont été confrontés à la peine de mort, comme Seyed Ali Gharabat, ancien commandant du Corps des gardiens de la révolution islamique qui a été condamné pour apostasie et exécuté en 2011, Hasan Yousefi Eshkevari, ancien député déclaré coupable d’apostasie et condamné à mort en 2000 mais finalement remis en liberté en 2005, et Hashem Aghajari, professeur d’université déclaré coupable d’apostasie et condamné à mort en 2002 mais qui a vu annuler sa peine par la Cour suprême en 2004.

[24]. Voir le passage cité au paragraphe 57 de l’arrêt : « toute personne convertie souhaitant à son retour pratiquer sa confession court de sérieux risques ». La situation des personnes converties au christianisme va de pair avec une surveillance par des informateurs et le service de renseignement iranien, la communication d’informations par la famille et les connaissances, la perquisition des églises de maison et la détention des membres de celles‑ci. Les documents internationaux les plus sérieux sur la situation de l’Iran en matière de droits de l’homme et les risques pesant dans ce pays sur les convertis au christianisme sont les rapports du Rapporteur spécial du Conseil des droits de l’homme sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran – document A/HRC/25/61 du 18 mars 2014, qui évoque expressément le crime d’apostasie au paragraphe 41, et document A/HRC/28/70 du 12 mars 2015, qui indique au paragraphe 52 (traduction du greffe) : « Depuis le 1er janvier 2015, au moins 92 chrétiens restent détenus dans le pays, prétendument pour leur foi et leurs activités chrétiennes. Sur la seule année 2014 et dans l’ensemble du pays, 69 personnes converties au christianisme auraient été arrêtées et détenues pendant au moins 24 heures. Les autorités continueraient de cibler les chefs d’églises de maison, généralement d’origine musulmane. Par ailleurs, les convertis au christianisme continueraient de se heurter à des restrictions dans la célébration des fêtes religieuses ». Le Comité des droits de l’homme lui-même a évoqué ce problème dans ses Observations finales sur l’Iran du 29 novembre 2011, CCPR/C/IRN/CO/3, paragraphe 23. Outre la documentation mentionnée dans l’arrêt, les documents suivants analysent de manière détaillée la persécution des chrétiens, en particulier des musulmans convertis au christianisme : Austrian Red Cross Accord (Austrian Center for Country of Origin and Asylum Research and Documentation), « Freedom of Religion; Treatment of Religious and Ethnic Minorities », COI Compilation, septembre 2015 ; Human Rights Watch Country Summary: Iran, janvier 2015 ; United States Commission on International Religious Freedom Annual report on Iran, 2015 ; United States Department of State, Bureau of Democracy, Human Rights and Labor, International Religious Freedom Report for 2015: Iran ; United Kingdom Home Office, Country Information and Guidance, « Iran: Christians and Christian Converts », décembre 2014 ; Law Library of the United States Congress, Global Legal Research Center, « Laws Criminalizing Apostasy in Selected Jurisdictions », mai 2014 ; Brian O’Connell, « Constitutional apostasy: the ambiguities in Islamic law after the Arab Spring », Northwestern Journal on International Human Rights, automne 2012 ; United States Commission on International Religious Freedom, « The Religion-State Relationship and the Right to Freedom of Religion or Belief: A Comparative Textual Analysis of the Constitutions of Majority Muslim Countries and Other OIC Members », 2012 ; Kamran Hashemi, Religious Legal Traditions, International Human Rights Law and Muslim States, Martinus Nijhoff Publishers, 2008 ; European Centre for Law and Justice et American Center for Law and Justice, « International Legal Protection of the Right to Choose One’s Religion and Change One’s Religious Affiliation: Iran », septembre 2007.

[25]. Voir le rapport de 2014 du Centre de documentation sur les droits de l’homme en Iran, « Apostasy in the Islamic Republic of Iran », qui donne des précisions sur le contexte jurisprudentiel et juridique dans lequel s’inscrivent les poursuites pour apostasie en Iran. Le rapport étudie de manière approfondie un certain nombre d’affaires d’apostasie concernant un large éventail d’accusés, et donne un aperçu des questions juridiques et religieuses soulevées par chaque affaire. Il est à noter également que certaines juridictions nationales importantes ont accordé le statut de réfugié à des Iraniens convertis au christianisme en raison de la crainte d’être persécuté : la Commission néozélandaise de l’immigration et de la protection (AP(Iran), (2011) NZIPT 800012, 29 septembre 2011), la Commission de recours australienne pour les réfugiés (RRT Case no. 1002841, (2010) RRTA 681), la Cour d’appel d’Angleterre et du pays de Galles (MM (Iran) v. Secretary of State for the Home Department, [2010] EWCA Civ 1457, 17 novembre 2010), ou encore la Cour fédérale du Canada (Mostafa Ejtehadian v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2007 FC 158, 12 février 2007).

[26]. Concernant le châtiment de l’apostasie sur le fondement du droit islamique, voir Ahmed Akgündüz, Islamic Public Law, Iur Press, 2011, pp. 370-377.

[27]. L’article 167 de la Constitution iranienne est ainsi libellé (traduction du greffe) : « Le juge doit s’efforcer de statuer dans chaque affaire sur le fondement des lois codifiées. En l’absence d’une telle loi, il doit rendre son jugement en se fondant sur les sources islamiques faisant autorité et les fatwas authentiques. Il ne peut, sous prétexte du silence, des lacunes, du caractère succinct ou contradictoire des lois sur la question litigieuse, s’abstenir d’examiner une affaire et de statuer. »

[28]. La même position a été adoptée dans le Rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur la liberté de religion ou de conviction, M. Heiner Bielefeldt – document A/HRC/22/51 du 24 décembre 2012, qui formule la recommandation selon laquelle « [l]es États devraient abroger toutes les dispositions du droit pénal qui sanctionnent l’apostasie », et évoque à la page 18 l’exemple du pasteur Youcef Nadarkhani, qui en Iran a été jugé coupable d’apostasie et condamné à mort en 2010, mais a été par la suite condamné pour une infraction moins grave. Ce rapport conclut : « Le Rapporteur spécial tient à réaffirmer que les expulsions ou les extraditions qui risquent de permettre la commission de violations de la liberté de religion ou de conviction peuvent en elles-mêmes constituer une violation des droits de l’homme. En outre, ces [expulsions] constituent une violation du principe de non‑refoulement tel qu’il est énoncé à l’article 33 de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés (1951) ». La position anti-répression a toujours été celle du Comité des droits de l’homme, depuis l’Observation générale no 22 sur le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, CCPR/C/21/Rev.1/ADD.4, 27 septembre 1993, § 5: « Le paragraphe 2 de l’article 18 interdit la contrainte pouvant porter atteinte au droit d’avoir ou d’adopter une religion ou une conviction, y compris le recours ou la menace de recours à la force physique ou à des sanctions pénales pour obliger des croyants ou des non-croyants à adhérer à des convictions et à des congrégations religieuses, à abjurer leur conviction ou leur religion ou à se convertir ».

[29]. En fait, la liberté de religion est garantie par le Coran lui-même (« Nulle contrainte en religion ! Car le bon chemin s’est distingué de l’égarement » (Coran, 2:256)), dont aucun verset ne prescrit de peine en cas de conversion à une autre confession.

[30]. Rudolph Peters, Crime and Punishment in Islamic Law: Theory and Practice from the sixteenth to the twenty-first century, Cambridge University Press, 2005, pp. 177-179, et Abdullah Saeed et Hassan Saeed, Freedom of religion, apostasy and Islam, Ashgate, 2004, pp. 99-108.


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