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15/09/2015 | CEDH | N°001-157348

CEDH | CEDH, AFFAIRE TSANOVA-GECHEVA c. BULGARIE, 2015, 001-157348


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TSANOVA-GECHEVA c. BULGARIE

(Requête no 43800/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 septembre 2015

DÉFINITIF

01/02/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Tsanova-Gecheva c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Paul Ma

honey,
Krzysztof Wojtyczek,
Yonko Grozev, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil ...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE TSANOVA-GECHEVA c. BULGARIE

(Requête no 43800/12)

ARRÊT

STRASBOURG

15 septembre 2015

DÉFINITIF

01/02/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Tsanova-Gecheva c. Bulgarie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Guido Raimondi, président,
Päivi Hirvelä,
George Nicolaou,
Ledi Bianku,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek,
Yonko Grozev, juges,
et de Françoise Elens-Passos, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 25 août 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 43800/12) dirigée contre la République de Bulgarie et dont une ressortissante de cet État, Mme Velichka Asenova Tsanova-Gecheva (« la requérante »), a saisi la Cour le 28 juin 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me I. Lulcheva, avocate à Sofia. Le gouvernement bulgare (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme I. Stancheva-Chinova, du ministère de la Justice.

3. La requérante se plaint en particulier de l’étendue insuffisante du contrôle juridictionnel de la Cour administrative suprême sur le recours qu’elle a introduit contre une décision du Conseil supérieur de la magistrature.

4. Le 11 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1964 et réside à Sofia. Elle est juge au tribunal de la ville de Sofia. Depuis le 14 juillet 2009, elle occupait le poste de vice-présidente du tribunal. Le poste de président (dirigeant administratif) du tribunal étant devenu vacant à la suite de la nomination de son titulaire à la Cour administrative suprême, la requérante fut désignée pour exercer les fonctions de présidente du tribunal ad interim avec effet au 22 novembre 2010.

A. La procédure de nomination du président du tribunal de la ville de Sofia par le Conseil supérieur de la magistrature

6. Le 10 décembre 2010, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) fit paraître un avis de concours pour le poste vacant de président du tribunal. Dans le délai légal de 14 jours, deux candidatures, celles de la requérante et de V.Y., furent proposées par des membres du CSM, et deux autres juges, D.L. et M.I., se portèrent également candidats. Conformément à la procédure applicable, les candidats firent l’objet d’une évaluation par la commission de proposition et d’évaluation du CSM. La requérante et V.Y., se virent attribuer la mention la plus élevée « très bien ». La commission d’éthique professionnelle du CSM établit également un rapport d’appréciation des candidats.

7. Le CSM procéda à la nomination à la réunion qu’il tint le 30 mai 2011. Conformément à la procédure applicable, dans un premier temps, le CSM détermina une note d’appréciation globale des candidats sur la base des recommandations de la commission de proposition et d’évaluation. Il entendit ensuite les quatre candidats qui exposèrent leur candidature et leur projet pour la direction du tribunal, puis répondirent aux questions des membres du CSM. Le CSM délibéra à l’issue de ces entretiens.

8. Il ressort du procès-verbal des délibérations que trois membres se déclarèrent favorables à la candidature de la requérante. De l’avis de ceux‑ci, la requérante présentait les meilleures qualifications pour le poste. Ils soulignèrent la qualité de son travail de juge, son expérience à des postes de direction et la qualité du projet présenté pour le fonctionnement du tribunal. Un membre du CSM exprima un avis négatif concernant la candidature de la requérante, en particulier en raison du fait qu’elle avait signé une pétition critiquant le CSM. Trois membres se déclarèrent en faveur de V.Y., soulignant notamment que malgré l’absence d’expérience dans la gestion administrative, celle-ci avait de la personnalité et était capable de prendre des décisions.

9. Après avoir délibéré, le CSM procéda à un vote à bulletin secret. Selon les résultats de ce vote, auquel 23 membres participèrent, V.Y. obtint douze voix, la requérante – neuf voix, D.L. – deux voix et M.I. – aucune voix. Un deuxième vote pour départager les deux candidates ayant obtenu le plus de suffrages fut effectué, à l’issue duquel V.Y. obtint 18 voix et la requérante – cinq voix. Par une décision datée du même jour, le CSM nomma V.Y. au poste de présidente du tribunal de la ville de Sofia.

10. Avant la réunion du 30 mai 2011, 27 juges du tribunal de la ville de Sofia, 28 juges du tribunal de district de Sofia et 34 juges de la cour d’appel avaient fait parvenir au CSM une lettre de soutien à la candidature de la requérante.

11. La candidature et la nomination de V.Y. firent l’objet d’une large couverture médiatique et de critiques virulentes de la part de nombreux journalistes et de personnalités publiques, l’intéressée ayant été présentée comme une amie proche du ministre de l’Intérieur en exercice.

12. La semaine suivante, deux juges, K.K. et G.Z., présentèrent leur démission en tant que membres du CSM et dénoncèrent publiquement une procédure de nomination « non démocratique, non transparente et non objective, dont le résultat prédéterminé [était] inacceptable ». Les motifs invoqués des démissions firent l’objet d’un débat lors de la réunion du CSM le 9 juin 2011, qui décida d’en prendre acte.

B. L’examen par la Cour administrative suprême du recours judiciaire introduit par la requérante

13. La requérante saisit la Cour administrative suprême d’un recours contre la décision du CSM, soutenant que celle-ci avait été prise en violation de la loi matérielle, des règles procédurales applicables et du but de la loi. Elle demanda l’annulation de la décision et le renvoi du dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau dans le respect des règles. Elle fit valoir en particulier que malgré le fait que le CSM avait adopté en 2009 un règlement interne relatif à la procédure de nomination des dirigeants administratifs qui spécifiait les critères de sélection des candidats à de tels postes, les délibérations du CSM n’avaient pas porté de manière spécifique sur ces critères et n’avaient pas effectué une comparaison des différents candidats sur la base de ces critères. Elle fit également remarquer que l’absence de délibérations avant le deuxième vote, destiné à départager les deux candidates ayant obtenu le maximum de voix, constituait une violation des règles de procédure et rendait la décision nulle pour défaut de motivation. Elle souligna qu’en l’absence de motifs, il était impossible de vérifier si la décision avait été prise dans le respect des critères de sélection prévus par la loi et dans les buts visés par celle-ci. La requérante soutint enfin que la décision constituait un détournement de pouvoir et qu’elle était contraire au but de la loi qui, en l’occurrence, visait à prendre la décision la plus efficace et la plus opportune pour les intérêts de l’État et qui ne pouvait être atteint sans un débat sur les critères de sélection élaborés par le CSM.

14. La Cour administrative suprême, siégeant en formation de trois juges, tint une audience le 19 septembre 2011, à l’issue de laquelle l’affaire fut mise en délibéré. À une date non précisée entre le 25 octobre et le 3 novembre 2011, V.Y. introduisit une demande de récusation des trois membres de la formation compte tenu, d’une part, de publications dans la presse insinuant que le président de la Cour administrative suprême avait exercé des pressions sur les juges pour statuer en faveur de V.Y. et, d’autre part, de publications, résultant visiblement d’une fuite, dévoilant le contenu de l’arrêt non encore prononcé, et indiquant que la décision du CSM allait être annulée au motif que le vote avait été effectué à bulletin secret.

15. L’arrêt de la Cour administrative suprême fut prononcé le 3 novembre 2011. Examinant d’office la régularité de la décision attaquée, la Cour administrative suprême considéra que le recours au vote à bulletin secret méconnaissait la réglementation applicable et l’annula pour ce motif. La cour nota que les dispositions pertinentes de la loi sur le pouvoir judiciaire avaient été modifiées par une loi du 4 janvier 2011 et que les dispositions transitoires prévoyaient que l’ancienne réglementation était applicable aux concours ayant débuté avant cette date, comme celui de l’espèce. Elle considéra toutefois qu’avant cette modification, la loi ne contenait aucune indication quant au caractère secret ou non du vote et que, dès lors, il n’existait pas d’« ancienne réglementation » sur cette question. Elle estima donc que la disposition de l’article 171, alinéa 1, tel que modifié par la loi du 4 janvier 2011 et prévoyant un vote à main levée, aurait dû s’appliquer en l’espèce. Le non-respect de cette exigence justifiait, aux yeux de la Cour administrative suprême, l’annulation de la décision litigieuse.

16. La haute juridiction considéra ensuite que la décision attaquée ne souffrait pas d’autres irrégularités et rejeta les arguments soulevés par la requérante comme infondés. Elle nota en particulier que les deux candidates ayant atteint le second tour – la requérante et V.Y., satisfaisaient toutes les deux aux conditions prévues par la loi concernant l’expérience professionnelle requise et la note obtenue à la dernière évaluation. Elle estima que le vote effectué avait été correctement retranscrit au procès‑verbal et que la loi n’exigeait pas la tenue de nouvelles délibérations avant le second tour du vote. Concernant le défaut de motivation allégué par la requérante, la cour considéra que la motivation de la décision attaquée était contenue, d’une part, dans la proposition de la candidature de V.Y., émanant de plusieurs membres du CSM et, d’autre part, dans les arguments en sa faveur exprimés au cours des délibérations. Les qualités des deux candidates – expérience professionnelle, compétences, qualités personnelles – avaient été discutées au cours des délibérations du CSM et il n’appartenait pas à la Cour administrative suprême, dans le cadre du contrôle de légalité, de remettre en question l’opportunité du choix effectué par le CSM, dans le cadre du pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré par la loi, entre deux candidates qui répondaient toutes deux aux conditions requises par la loi.

17. L’arrêt était signé par deux des membres de la formation. Le troisième juge avait décidé de se déporter après les délibérations et la rédaction de l’arrêt par le juge rapporteur. Les motifs du déport n’étaient pas mentionnés dans la déclaration du juge, jointe à l’arrêt, ce dernier faisant simplement référence à la survenance des circonstances prévues à l’article 22, alinéa 1 (6) du code de procédure civile, à savoir « des circonstances susceptibles de créer un doute légitime quant à son impartialité ».

C. La procédure en cassation devant la formation de cinq juges de la Cour administrative suprême

18. Le CSM et V.Y. se pourvurent en cassation devant une formation de cinq membres de la Cour administrative suprême. V.Y. argua notamment que l’arrêt du 3 novembre 2011 était frappé de nullité car il n’avait été signé que par deux des trois membres de la formation judiciaire. Le CSM contesta en particulier la conclusion de la première instance quant au caractère irrégulier du vote à bulletin secret ; il demanda l’annulation de l’arrêt rendu et la résolution du litige sur le fond.

19. Dans les observations qu’elle formula devant l’instance de cassation, la requérante s’opposa aux moyens de cassation soulevés dans les pourvois et en demanda le rejet. Elle contesta néanmoins la motivation adoptée par l’arrêt du 3 novembre 2011, qu’elle considérait comme insuffisante. Elle soutint qu’en rejetant son argumentation concernant le défaut de motivation de la décision du CSM, l’arrêt du 3 novembre 2011 n’avait pas procédé à un contrôle de légalité d’une étendue suffisante et n’avait pas examiné toutes les questions de fait et de droit qui étaient déterminantes pour la résolution du litige, en méconnaissance de l’article 6 de la Convention.

20. Elle fit également valoir que l’arrêt de première instance n’était pas suffisamment motivé dans la mesure où il n’avait pas examiné plusieurs des arguments qu’elle avait soulevés, à savoir : 1) que le CSM n’avait pas respecté le règlement relatif à la procédure de nomination des dirigeants administratifs, qu’il avait lui-même adopté le 7 février 2009, en ce que les candidatures n’avaient pas été discutées au regard des critères de sélection qui y était fixés ; 2) que le CSM n’avait pas respecté l’article 6, alinéa 4, du code de procédure administrative qui disposait que, dans la prise de toute décision, l’administration devait, dans le respect du principe de proportionnalité, choisir, entre deux solutions également conformes à la légalité, celle qui était « la plus favorable pour l’État et la société » ; 3) que les deux candidatures n’avaient pas été débattues avant le second vote et qu’il n’était pas clair pourquoi l’une des candidates avait obtenu 18 votes et l’autre – cinq ; 4) que la décision attaquée n’était pas motivée ; 5) que la décision était en contradiction avec le but de la loi, qui était de choisir la solution la plus effective et la plus opportune pour l’État, et que le CSM avait commis un détournement de pouvoir en ne respectant pas les règles qu’il avait lui-même fixées.

21. La requérante soutint enfin que le refus de la Cour administrative suprême de contrôler si le CSM avait agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire était en contradiction avec la jurisprudence constante de cette juridiction.

22. Le 5 décembre 2011, un groupe de journalistes représentant plusieurs éditions de la presse écrite s’adressa au président de la Cour administrative suprême et demanda que la désignation des juges devant participer à la formation de jugement de l’affaire, qui devait être effectuée sur la base d’une répartition aléatoire, soit réalisée de manière publique, en présence des media, afin de ne pas susciter les doutes de l’opinion publique quant à l’indépendance de la justice. Aucune suite ne fut apparemment donnée à cette demande.

23. La Cour administrative suprême, siégeant en formation de cinq juges, tint une audience le 27 décembre 2011 et rendit son arrêt le 12 janvier 2012. La cour rejeta le moyen de cassation soulevé par V.Y. et considéra que le refus d’un juge de la formation de jugement de signer l’arrêt en raison de sa décision de se déporter intervenue après le délibéré et la rédaction de l’arrêt, ainsi que la signature de ce dernier par seulement deux juges, n’étaient pas une cause de nullité de l’acte judiciaire ainsi prononcé. Quant au moyen soulevé par le CSM relativement au caractère secret du vote effectué, la formation de cinq membres y fit droit, considérant que la première instance avait fait une application erronée de la loi. La cour estima que l’avis de concours ayant été publié avant l’entrée en vigueur de la modification de la loi sur le pouvoir judiciaire en date du 4 janvier 2011, la procédure devait être réalisée en conformité avec l’état de la réglementation avant la modification législative. La cour observa que la loi sur le pouvoir judiciaire ne réglementait pas expressément le type de scrutin, alors que l’article 131 de la Constitution prévoyait que celui-ci devait être effectué à bulletin secret. Elle nota au demeurant que la modification de l’article 171 de la loi sur le pouvoir judiciaire prévoyant le vote à main levée avait été dans l’intervalle abrogé par la Cour constitutionnelle le 15 novembre 2011 au motif qu’elle était contraire à l’article 131 de la Constitution. Elle en conclut que le vote à bulletin secret effectué par le CSM en l’espèce était régulier.

24. La formation de cinq juges considéra qu’elle n’avait pas à se prononcer sur les moyens soulevés par la requérante dans ses observations devant l’instance de cassation, dans la mesure où l’arrêt attaqué était en sa faveur et qu’elle ne pouvait dès lors se pourvoir en cassation. Elle ajouta que les motifs de l’arrêt n’étaient pas en tant que tels susceptibles d’un pourvoi en cassation. La cour observa toutefois que l’arrêt du 3 novembre 2011 avait examiné les arguments de la requérante concernant l’étendue du contrôle juridictionnel opéré et était dûment motivé. Les critères devant guider la nomination des présidents de tribunaux étaient prévus par la loi et rendus publics. Certes, le pouvoir discrétionnaire laissé au CSM dans le cadre de la nomination des présidents de tribunaux était vaste, mais il s’agissait d’un choix du législateur qui ne pouvait être remis en question dans le cadre du contrôle judiciaire de légalité.

25. Constatant ainsi que l’arrêt du 3 novembre 2011 avait fait une application erronée de la loi, la Cour administrative suprême prononça son annulation et, considérant que l’affaire était en l’état d’être jugée, statua sur le fond et rejeta le recours de la requérante contre la décision du CSM du 30 mai 2011.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le Conseil supérieur de la magistrature (Висш съдебен съвет)

26. L’article 117 de la Constitution de la République de Bulgarie dispose :

« (1) Le pouvoir judiciaire est le garant des droits et intérêts légitimes des citoyens, des personnes morales et de l’État.

(2) Le pouvoir judiciaire est indépendant. Lors de l’accomplissement de leurs fonctions, les juges, les jurés, les procureurs et les enquêteurs sont soumis uniquement à la loi. »

27. En vertu de l’article 16 de la loi de 2007 sur le pouvoir judiciaire (Закон за съдебната власт) :

« Le CSM est un organe permanent qui représente le pouvoir judiciaire et garantit son indépendance. Il détermine la composition et l’organisation du pouvoir judiciaire et assure la gestion de ses activités, sans affecter l’indépendance de ses autorités. »

28. Dans une décision du 15 novembre 2011 (реш. на КС № 10 от 15.11.2011 г. по к.д. № 6/2011), la Cour constitutionnelle définit le CSM comme un organe collectif spécifique du pouvoir judiciaire dont la fonction principale est d’en garantir l’indépendance. Il a été créé par la Constitution dans le but d’effectuer la gestion des cadres du pouvoir judiciaire autonome. Le CSM est un organe judiciaire spécifique, disposant de compétences administratives et organisationnelles clairement définies dont il ressort qu’il ne s’agit pas d’un organe juridictionnel mais d’un organe administratif supérieur. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle a relevé que le CSM n’était pas un organe du pouvoir législatif ou de l’exécutif et n’était donc pas compétent, en vertu de la Constitution et du principe de séparation des pouvoirs, pour édicter des actes normatifs. Elle a dès lors considéré comme contraires à la Constitution et privées d’effet à l’avenir les dispositions de la loi sur le pouvoir judiciaire qui habilitaient le CSM à prendre des décrets. La cour a en outre observé qu’en vertu de l’article 133 de la Constitution, seul le législateur était compétent pour réglementer le statut des magistrats et notamment les conditions de leur nomination ou de leur cessation de fonctions. Le CSM pouvait dès lors adopter des règles concernant la procédure à suivre, qui ne devaient cependant pas porter le nom de décret, mais ne pouvait édicter les conditions de nomination ou de promotion, une telle compétence étant réservée au législateur.

29. A l’occasion d’une nouvelle décision du 3 juillet 2014 (реш. на КС № 9 от 3.07.2014 г. по к.д. № 3/2014), la Cour constitutionnelle rappelle que le CSM est un organe administratif supérieur, qui organise le travail et détermine la composition du pouvoir judiciaire et effectue la gestion générale de l’action de celui-ci, sans affecter l’indépendance des juges, procureurs et enquêteurs. Elle rappelle que le CSM a été créé afin d’assurer la gestion autonome des effectifs de la magistrature et que ses fonctions sont de nature administrative et non juridictionnelle. Dans cette décision, la Cour constitutionnelle est cependant revenue sur sa position antérieure et a jugé que le CSM pouvait, dans les limites de compétences définies à l’article 130 de la Constitution et sur délégation du législateur, édicter des actes normatifs sous la forme de décrets. La cour a en particulier observé que cette compétence du CSM ne remettait pas en question la séparation des pouvoirs mais, au contraire, en garantissait la mise en œuvre.

30. En vertu de l’article 130 de la Constitution et de l’article 17 de la loi sur le pouvoir judiciaire, le CSM est composé de 25 membres. Le président de la Cour suprême de cassation, le président de la Cour administrative suprême et le procureur général sont membres de droit du CSM. Les autres membres sont élus parmi des juristes possédant de hautes qualités professionnelles et morales ayant au minimum 15 années d’expérience professionnelle. Onze membres sont élus par l’Assemblée nationale parmi les juges, procureurs, enquêteurs, universitaires ou avocats. Les onze membres restants sont élus par le pouvoir judiciaire (six par les juges, quatre par les procureurs et un par les enquêteurs). Le mandat est de cinq années, non renouvelable immédiatement.

31. Les réunions du CSM sont présidées par le ministre de la Justice qui ne participe pas aux votes.

32. Les compétences du CSM s’étendent à la nomination, la promotion, la mutation, la libération de leurs fonctions et l’imposition des sanctions disciplinaires de rétrogradation et de licenciement aux juges, procureurs et enquêteurs. Par ailleurs, le CSM organise la formation professionnelle des juges, procureurs et enquêteurs, et adopte le budget du pouvoir judiciaire.

B. La nomination des dirigeants administratifs des tribunaux

33. Les dirigeants administratifs des tribunaux de district, régionaux et militaires sont nommés par le CSM selon la procédure décrite ci-dessous. En vertu de la loi sur le pouvoir judiciaire (article 36 et le nouvel article 194б), les décisions du CSM dans ce domaine peuvent faire l’objet d’un recours judiciaire en annulation devant la Cour administrative suprême. La nomination du président de la Cour suprême de cassation, du président de la Cour administrative suprême et du procureur général est effectuée par décret du président de la République sur proposition du CSM (article 129 de la Constitution et article 173 de la loi sur le pouvoir judiciaire). Le décret du président de la république n’est pas susceptible d’un recours judiciaire en annulation.

34. Au moment où la procédure de nomination, objet de la présente requête, a débuté en décembre 2010, l’article 170 de la loi sur le pouvoir judiciaire disposait que pouvait être nommé au poste de président (dirigeant administratif) d’un tribunal régional (tel que le tribunal de la ville de Sofia) un juge, un procureur ou un enquêteur ayant acquis au moins dix années d’expérience professionnelle et ayant obtenu une note positive à sa dernière évaluation. Une modification des articles 164 et 169 de la loi, entrée en vigueur le 4 janvier 2011, a précisé que la personne nommée doit jouir de hautes qualités professionnelles et morales et a ramené l’expérience exigée à huit ans.

35. Selon l’article 171 de la loi, la décision est prise par le CSM à la majorité de ses membres. La décision est motivée. Lorsqu’aucun des candidats n’a obtenu la majorité requise, le vote se poursuit entre les deux candidats qui ont reçu le plus de voix.

36. L’article 171 a été modifié par la loi modificative du 4 janvier 2011 pour prévoir que le vote du CSM devait être effectué à main levée. La décision la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2011 (voir le paragraphe 28 ci-dessus) a toutefois déclaré cette partie du texte contraire à l’article 131 de la Constitution et l’a privée d’effet. L’article 131 de la Constitution prévoit en effet que les décisions du CSM relatives à la nomination, la promotion, la rétrogradation, la mutation ou la libération de leurs fonctions des juges, procureurs et enquêteurs sont prises par un vote à bulletin secret.

37. Le décret no 1 du 19 décembre 2007 sur les concours concernant la nomination, la promotion et la mutation des juges, procureurs et enquêteurs (наредба № 1 от 19.12.2007 г.), adopté par le CSM, réglementait notamment la procédure à suivre pour les concours concernant la nomination des dirigeants administratifs des tribunaux (articles 40 à 46 du décret). Le CSM avait par ailleurs adopté, par une délibération no 6 du 7 février 2009, un règlement relatif à la procédure de nomination des dirigeants administratifs et de leurs adjoints (процедура за назначаване на административни ръководители и техни заместници, ci-après « le règlement »), qui régissait de manière détaillée la procédure à suivre et les conditions de nomination aux postes de dirigeants administratifs. Selon ces deux actes, la candidature pour un poste de dirigeant administratif pouvait être déposée soit par le candidat lui-même, soit sur proposition émanant de son supérieur hiérarchique ou d’un cinquième des membres du CSM (article 4 du règlement). La commission de proposition et d’évaluation du CSM examine alors les dossiers de candidature et se prononce sur leur conformité avec les conditions requises pour le poste (article 13 du règlement). Les candidats ayant été admis à participer au concours font l’objet d’une évaluation par la commission de proposition et d’évaluation (article 15 du règlement). Les résultats de l’évaluation sont notifiés aux candidats qui disposent d’un délai de 14 jours pour formuler d’éventuelles objections. Après examen des objections formulées, la commission formule une proposition définitive d’évaluation globale devant le CSM. Le CSM détermine la note d’évaluation finale, après avoir si besoin entendu le candidat (articles 26-30 du règlement).

38. Le président de la commission de proposition et d’évaluation transmet les candidatures des admis au CSM. Le CSM effectue un entretien avec chaque candidat (article 33 du règlement). Selon l’article 34 du règlement, le CSM effectue une sélection entre les candidats sur la base de leurs qualités professionnelles, managériales et morales, en se guidant des critères suivants :

. la compétence professionnelle générale ;

. la qualification acquise dans un domaine du droit donné, sur la base de l’expérience, la spécialisation, les degrés universitaires des candidats ;

. les résultats atteints relativement à la qualité et la célérité des décisions rendues ;

. les qualités de leadership et d’autorité ;

. le sens de l’initiative ;

. l’élaboration de nouvelles idées et de solutions constructives ;

. le sens des responsabilités ;

. la capacité à créer une bonne ambiance professionnelle au sein des magistrats et des personnels administratifs ;

. la capacité d’organisation et de management ;

. les capacités de communication ;

. des actions convaincantes pour élever l’autorité de la justice ;

. l’expérience de dirigeant ;

. les hautes qualités morales des candidats, sur le plan tant professionnel que privé.

39. En vertu de l’article 35 du règlement, le CSM procède à la nomination d’un dirigeant administratif par un vote à bulletin secret adopté à la majorité absolue de ses membres. Si aucun des candidats n’a obtenu la majorité requise, le vote se poursuit entre les deux candidats qui ont reçu le plus de voix. Si au second tour aucun des candidats n’a recueilli le nombre de voix nécessaires, il est mis un terme à la procédure de nomination.

40. Alors que la procédure objet de la présente requête était en cours, la loi modificative du 4 janvier 2011 a introduit un certain nombre de dispositions concernant les concours pour les postes de dirigeant dans la loi sur le pouvoir judiciaire (article 194a et suivants). En vertu du nouvel article 194б, la procédure de sélection est effectuée par le CSM dans le cadre d’un entretien avec les candidats, au cours duquel sont évaluées :

. leurs compétences professionnelles, sur la base de leurs évaluations annuelles ;

. leurs compétences managériales – dans le cadre d’une discussion sur le projet du candidat pour la direction du tribunal ;

. leurs qualités morales, sur la base de l’évaluation réalisée par la commission d’éthique professionnelle.

Le paragraphe 127 de la loi modificative dispose que les procédures de nomination ayant débuté avant son entrée en vigueur se poursuivent selon l’ancienne réglementation.

41. Un décret du CSM du 27 avril 2011 sur les concours et la nomination des dirigeants administratifs des organes du pouvoir judiciaire (наредба № 2 от 27.04.2011 г.) est venu remplacer le décret de 2007.

42. À la suite de la décision de la Cour constitutionnelle du 15 novembre 2011 (voir le paragraphe 28 ci-dessus), le CSM a adopté, par une délibération no 39 du 28 novembre 2011, un nouveau règlement interne intitulé « Règles concernant les concours et la nomination des dirigeants administratifs des organes du pouvoir judiciaire » qui a remplacé le décret du 27 avril 2011. Ce dernier a été lui-même remplacé par un nouveau règlement, adopté par une délibération no 10 du 14 mars 2013 et intitulé « Règles concernant la nomination des dirigeants administratifs des organes du pouvoir judiciaire ».

C. Le contrôle juridictionnel de la légalité des actes administratifs

1. Les conditions de légalité des actes administratifs

43. En vertu des articles 145 et suivants du code de procédure administrative de 2006, les actes administratifs sont susceptibles d’un contrôle juridictionnel de leur légalité. Toute personne dont les droits sont affectés par un acte administratif peut introduire un recours en annulation de l’acte devant le tribunal administratif compétent. Les décisions du CSM peuvent faire l’objet d’un recours de la part des personnes ayant intérêt à agir devant la Cour administrative suprême (articles 36 et 194б de la loi sur le pouvoir judiciaire). Les moyens d’annulation des actes administratifs sont l’incompétence de l’auteur de l’acte, le vice de forme, la violation substantielle des règles de procédure, la violation de la loi matérielle et le non-respect du but de la loi (article 146 du code).

2. La motivation des actes administratifs

44. En vertu de l’article 59, alinéa 1 (4) du code de procédure administrative, les actes administratifs doivent être motivés. L’absence de motifs constitue un vice de forme justifiant l’annulation de l’acte. Dans un arrêt interprétatif du 18 avril 2006, la Cour administrative suprême a précisé que cette règle s’appliquait également aux décisions prises par vote, à bulletin secret ou non, du CSM (тълк. реш. № 1 от 18.04.2006 г. по тълк. д. № 1/2006, ВАС, ОС). La haute juridiction y a notamment observé que l’obligation de motiver des actes administratifs ne portait pas atteinte à l’objectif du vote à bulletin secret de préserver l’anonymat du vote et donc l’indépendance et l’impartialité des membres du CSM.

45. La jurisprudence admet que les motifs d’un acte administratif peuvent être exposés dans un document distinct, antérieur ou postérieur à l’acte lui-même, notamment dans les cas où la loi prévoit que la prise de décision s’effectue par le vote d’un organe collectif. Les motifs contenus dans la proposition par laquelle cet organe a été saisi et/ou les opinions exprimées au cours des délibérations constituent alors les motifs de l’acte (реш. № 1232 от 25.01.2013 г. по адм. д. № 11926/2012, ВАС, VII отд.). En ce qui concerne plus particulièrement les décisions du CSM adoptées par vote à bulletin secret, la loi sur le pouvoir judiciaire prévoit expressément en son article 34, alinéa 3, que la proposition par laquelle le CSM a été saisi, en cas d’adoption de la proposition, ou les opinions défavorables exprimées, en cas de rejet, sont réputées contenir les motifs de la décision. Ce principe est confirmé par la jurisprudence de la Cour administrative suprême concernant la désignation par le CSM des dirigeants administratifs des tribunaux (реш. № 2743 от 1.03.2010 г. по адм. д. № 13500/2009, ВАС, 5чл. с-в, реш. № 10012 от 19.07.2010 г. по адм. д. № 6325/2010, ВАС, 5чл. с-в, реш. № 12560 от 22.10.2014 г. по адм. д. № 5827/2014, ВАС, VI отд.). En ce qui concerne le contenu des motifs, la Cour administrative suprême a jugé que le fait que certains faits pertinents pour l’appréciation des qualités professionnelles n’avaient pas été évoqués au cours des délibérations ne rendait pas la décision prise dénuée de motivation ou rendue en violation des règles procédurales ; dans la mesure où les faits en question avaient été soumis à l’attention du CSM, il pouvait être présumé que le CSM en avait tenu compte et ce dernier n’était pas tenu d’exposer l’ensemble des circonstances que ses membres ont considéré pertinentes pour effectuer leur choix entre les différents candidats (реш. № 10831 от 30.07.2012 г. по адм. д. № 14043/2011, ВАС, VII отд.).

3. Les principes généraux de la procédure administrative

46. Les articles 4 à 14 du code de procédure administrative de 2006 énoncent les principes généraux de la procédure administrative. L’article 4, intitulé « [Principe de] légalité » (« Законност ») dispose que les actes administratifs sont édictés en vue des buts, dans les hypothèses et selon les procédures prévus par la loi.

47. L’article 6, intitulé « Proportionnalité » (« Съразмерност ») énonce que l’administration exerce ses compétences de manière raisonnable, de bonne foi et équitablement. L’article 6, alinéa 2, dispose que l’action administrative ne doit pas affecter les droits et intérêts légitimes des administrés au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but fixé par la loi. Lorsqu’un acte administratif est susceptible d’affecter de tels droits et intérêts, l’autorité administrative doit choisir la solution la plus favorable pour les administrés, si le but visé par la loi peut être atteint de cette manière (article 6, alinéa 3). Par ailleurs, entre deux solutions conformes à la loi, l’autorité administrative doit choisir celle qui est la plus économique et la plus favorable pour l’État et la société (article 6, alinéa 4).

48. La jurisprudence de la Cour administrative suprême postérieure à l’adoption de ces textes considère que les principes qui y sont énoncés règlementent la manière dont l’administration doit exercer son pouvoir discrétionnaire et que leur respect est soumis au contrôle du juge administratif. En cas de non-respect de ces règles, l’acte administratif doit être considéré comme pris en violation du but de la loi au sens de l’article 146 du code (реш. № 4128 от 29.03.2010 г. по адм. д. № 1255/2010, ВАС, 5чл. с-в, реш. № 3748 от 30.03.2011 г. по адм. д. № 16.03.2011, ВАС, V отд.).

49. L’article 13 du code, intitulé « Cohérence et prévisibilité » (« Последователност и предвидимост »), dispose que les organes administratifs doivent rendre publiques les règles, les critères et la pratique internes qui les guident dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire. Dans sa jurisprudence récente, la Cour administrative suprême considère que lorsqu’une administration a adopté des règles internes en application de l’article 13 du code, leur respect constitue une condition de légalité des actes pris par cette administration soumise au contrôle du juge. Le défaut de respect de ces conditions peut donc mener à l’annulation de l’acte administratif pour violation de la loi matérielle ou non-respect du but de la loi (реш. № 2596 от 24.02.2014 г. по адм. д. № 4583/2013, ВАС, V отд., реш. № 4096 от 23.03.2011 г. по адм. д. № 7449/2010, ВАС, V отд.).

4. Le contrôle juridictionnel du pouvoir discrétionnaire de l’administration

50. L’article 169 du code de procédure administrative dispose que, concernant les actes pris par l’administration dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le contrôle juridictionnel consiste à vérifier si l’autorité administrative disposait bien d’un pouvoir discrétionnaire et si les conditions de légalité de l’acte ont été respectées. La Cour administrative suprême s’est appuyée sur cette disposition pour considérer que le juge ne pouvait contrôler l’opportunité d’une décision prise par l’administration dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (реш. № 14751 от 14.11.2011 г. по адм. д. № 9472/2011, ВАС, 5чл. с-в) ; dans certaines décisions, elle a cependant estimé que cette disposition impliquait que le juge contrôle la manière dont l’administration a exercé son pouvoir discrétionnaire (реш. № 616 от 12.01.2012 г. по адм. д. № 10442/2011, ВАС, VI отд., реш. № 4128 от 29.03.2010 г. по адм. д. № 1255/2010, ВАС, 5чл. с-в). Même avant l’adoption du code de procédure administrative en 2006, la Cour suprême avait considéré, dans une décision interprétative du 22 novembre 1976 (пост. № 4 от 22.09.1976 г. по гр. д. № 3/1976, Пленум на ВС), que les actes pris par l’administration dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire devaient être compatibles avec le but de la loi et dans les limites de la compétence conférée à l’organe administratif. Ces exigences étant des éléments de la légalité de l’acte administratif, leur respect devait faire l’objet du contrôle exercé par les tribunaux.

51. La jurisprudence récente de la Cour administrative suprême semble évoluer vers un contrôle plus étendu du pouvoir discrétionnaire de l’administration au moyen du contrôle juridictionnel du respect des principes généraux énoncés par le code de procédure administrative (voir les paragraphes 47 et 48 ci-dessus et la jurisprudence citée). Selon cette jurisprudence, le juge administratif est compétent pour vérifier si l’acte administratif n’interfère pas de manière disproportionnée avec les droits et intérêts légitimes des administrés ou si les règles internes adoptées en application de l’article 13 du code de procédure administrative ont été respectées.

52. En ce qui concerne plus particulièrement la nomination aux postes de dirigeants administratifs des tribunaux, la jurisprudence admet que dans l’exercice de cette compétence le CSM dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour apprécier quel est le candidat le plus apte à occuper un poste donné. Même après l’adoption du code de procédure administrative en 2006, la haute juridiction a considéré que le contrôle juridictionnel de la légalité de telles décisions portait sur le respect des conditions de légalité formelles et de la procédure et, concernant le respect de la loi matérielle, sur les critères objectifs visés par la loi, telle, par exemple, l’exigence relative à l’expérience professionnelle minimale. Ce contrôle ne pouvait porter, en l’absence de détournement de pouvoir, sur l’appréciation effectuée par les membres du CSM sur les qualités professionnelles et morales des candidats, appréciation à laquelle le tribunal ne pouvait substituer la sienne propre (реш. № 2743 от 1.03.2010 г. по адм. д. № 13500/2009, ВАС, 5чл. с-в, реш. № 10012 от 19.07.2010 г. по адм. д. № 6325/2010, ВАС, 5чл. с-в, реш. № 13625 от 13.11.2009 г. по адм. д. № 9378/2009, ВАС, 5чл. с-в, реш. № 10699 от 16.09.2009 г. по адм. д. № 9351/2009, ВАС, 5чл. с-в).

53. Depuis la modification de la loi sur le pouvoir judiciaire en date du 4 janvier 2011 et l’introduction à l’article 194б des critères sur la base desquels doit être effectué la sélection par le CSM (voir le paragraphe 40 ci‑dessus), la jurisprudence considère que ces critères fixent les limites du pouvoir discrétionnaire du CSM et visent à garantir un processus décisionnel équitable ainsi que les droits des candidats au concours. Le CSM est ainsi tenu d’effectuer la sélection des candidats sur la base des critères en question (qualités professionnelles, compétence managériale, qualités morales) en s’appuyant sur les outils qui y sont énumérés (évaluation annuelle, projet de direction, évaluation de la commission d’éthique) et dont la liste n’est pas exhaustive. Le juge administratif, dans le cadre du contrôle de légalité, doit s’assurer que l’autorité administrative a examiné ces critères pour prendre sa décision, examen qui doit apparaître dans les motifs de l’acte rendu. Le contrôle du juge se limite toutefois au respect des conditions et des règles de procédure prévues par la loi et ne saurait porter sur l’appréciation des qualités des candidats, que chaque membre du CSM effectue librement et exprime par son vote (реш. № 10831 от 30.07.2012 г. по адм. д. № 14043/2011, ВАС, VII отд., реш. № 8013 от 12.06.2014 г. по адм. д. № 2691/2014, ВАС, VI отд., реш. № 12560 от 22.10.2014 г. по адм. д. № 5827/2014, ВАС, VI отд., реш. № 12908 от 29.10.2014 г. по адм. д. № 16728/2013, ВАС, VI отд.).

5. La procédure devant les juridictions administratives

54. Dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal administratif peut déclarer un acte administratif nul, prononcer son annulation totale ou partielle, le modifier ou bien rejeter le recours (article 172, alinéa 2, du code de procédure administrative). Lorsqu’il proclame la nullité ou annule un acte administratif, dans les cas où la matière n’est pas laissée à la discrétion de l’administration, le tribunal tranche l’affaire sur le fond. Dans les autres cas, il renvoie le dossier à l’administration afin que celle-ci se prononce de nouveau conformément aux directives du tribunal concernant l’application et l’interprétation de la loi (article 173 du code).

55. Les recours en annulation des décisions du CSM, notamment en matière de nomination aux postes de dirigeants, relèvent de la compétence de la Cour administrative suprême. Selon la règlementation applicable au moment des faits de l’espèce, le recours devait être introduit dans un délai de 14 jours suivant la notification de la décision et n’avait pas d’effet suspensif. La décision de la cour en formation de trois juges était susceptible d’un pourvoi en cassation devant une formation élargie de cinq juges (article 36 de la loi sur le pouvoir judiciaire). Cette dernière était compétente pour annuler l’arrêt rendu en première instance lorsque celui-ci était frappé de nullité, avait été rendu en contradiction à la loi, suite à des irrégularités procédurales substantielles ou était mal fondé (article 209 du code de procédure administrative). Dans ce cas, l’instance de cassation réglait l’affaire au fond, sauf lorsqu’elle avait constaté des violations substantielles des règles procédurales ou que la résolution de l’affaire exigeait le rassemblement de nouvelles preuves autres que des preuves écrites, dans quel cas elle devait renvoyer l’affaire à la juridiction de première instance afin que celle-ci statue de nouveau (article 222 du code).

56. À la suite de la réforme de la loi sur le pouvoir judiciaire entrée en vigueur le 4 janvier 2011, l’article 194б de la loi prévoit désormais que la formation de trois juges de la Cour administrative suprême statue en dernier ressort.

57. En vertu de l’article 144 du code de procédure administrative, les questions non traitées par ce texte sont régies par les dispositions pertinentes du code de procédure civile. L’article 250 du code de procédure civile dispose que la partie à une procédure peut demander un complément de jugement lorsque le tribunal a omis de se prononcer sur tous les chefs de demande.

D. La répartition des affaires au sein des juridictions

58. En vertu de l’article 9 de la loi sur le pouvoir judiciaire, la répartition des affaires au sein des différents organes du système judiciaire s’effectue de manière aléatoire par la voie d’un système électronique. Dans les juridictions, le principe de la répartition aléatoire s’applique au niveau des sections ou des chambres (колегиите или отделенията). L’article 157, alinéa 2, du code de procédure administrative dispose que le juge rapporteur est désigné en fonction de l’ordre d’arrivée des recours au sein de la juridiction, au moyen d’un système électronique ou d’un autre mode de répartition aléatoire.

59. Le règlement sur l’administration de la Cour administrative suprême (Правилник за администрацията на Върховния административен съд), adopté par le CSM le 8 août 2009, dispose en son article 74, alinéa 2, que le président de la Cour administrative suprême ou un président de section désigne le juge rapporteur de l’affaire en application du principe de répartition aléatoire. Le règlement ne fait pas mention de la manière dont sont déterminés les autres membres de la formation. Il apparaît que dans la pratique les formations de trois juges sont préétablies et que les deux autres juges suivent le rapporteur désigné de manière aléatoire.

60. La jurisprudence n’est pas unanime quant aux conséquences du non‑respect de la règle de répartition aléatoire des affaires. Dans une décision récente, la Cour suprême de cassation a jugé que le défaut de respect de la désignation aléatoire du juge rapporteur dans une affaire méconnaissait l’article 9 de la loi sur le pouvoir judiciaire et constituait une méconnaissance grave des règles procédurales, à savoir une formation judiciaire non conforme à la loi, et donc un motif d’annulation du jugement (реш. № 168 от 7.05.2013 г. по н. д. № 121/2013, ВКС, III н.о.). D’autres décisions de la Cour suprême de cassation considèrent au contraire que le non-respect des règles de la répartition aléatoire ne rend pas la formation judiciaire contraire à la loi et ne constitue donc pas une violation des règles procédurales justifiant dans chaque cas l’annulation du jugement, en l’absence d’éléments laissant apparaître un manque d’impartialité du juge (реш. № 178 от 13.05.2013 г. по н.д. № 496/2013, ВКС, II н.о., voir également, pour un exemple émanant d’une décision de tribunal de deuxième instance, реш. № 114 от 2.07.2014 г. по в.н.о.х.д. № 180/2014, ОС Пазарджик).

III. TEXTES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Les rapports de la Commission européenne au titre du mécanisme de coopération et de vérification

61. Le rapport de la Commission au Parlement européen et au Conseil sur les progrès réalisés par la Bulgarie au titre du mécanisme de coopération et de vérification (COM(2012) 411), publié le 18 juillet 2012, analyse les progrès réalisés par la Bulgarie en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption et la criminalité organisée pendant les cinq premières années suivant l’adhésion du pays à l’Union européenne (2007‑2012). La commission y a notamment exprimé les constats suivants :

« La première année d’adhésion à l’Union a (...) été marquée par la création de nouveaux organes judiciaires. (...) un nouveau Conseil supérieur de la magistrature est entré en fonction et a été doté de responsabilités étendues pour gérer l’appareil judiciaire. Ces responsabilités incluent la gestion des ressources humaines de l’appareil judiciaire, notamment les nominations, les promotions, les évaluations et l’affectation du personnel. Le Conseil ayant aussi été chargé de tâches à caractère disciplinaire, il doit garantir la responsabilisation et l’intégrité du pouvoir judiciaire et veiller à ce que la pratique judiciaire réponde à des normes professionnelles élevées. Avec de telles attributions, le Conseil est devenu le principal acteur de la réforme judiciaire. (...)

Les évaluations, les promotions et les nominations dans l’appareil judiciaire ne sont toujours pas transparentes et ne s’appuient pas sur des critères objectifs et fondés sur le mérite. (...)

Ces sujets de préoccupation ont été confirmés par le fait que plusieurs nominations à des postes élevés de la magistrature par le parlement et le CSM ont manqué de transparence et d’objectivité et fait l’objet d’allégations d’ingérence politique. (...) L’impression générale est un non-respect de la séparation des pouvoirs de l’État, ce qui a des conséquences directes sur la confiance que la population entretient à l’égard de la justice. (...)

La Bulgarie n’a pas non plus été capable d’introduire correctement l’intégrité dans le système de promotion et d’évaluation de l’appareil judiciaire en dépit des modifications apportées à la loi relative au système judiciaire de 2010. (...) Plusieurs nominations à des postes de haut niveau au cours de cette période ont manqué de transparence et font toujours l’objet d’allégations d’ingérence politique et de défaut d’intégrité. L’incapacité des hautes instances judiciaires à définir et à mettre en œuvre une stratégie de lutte contre la corruption a aliéné des pans entiers de la justice et peut être considérée comme contribuant au faible degré de confiance de la population dans ce secteur. »

62. Le nouveau rapport de la Commission européenne, publié le 22 janvier 2014 (COM(2014) 36), examine les progrès réalisés par la Bulgarie au cours de la période de 18 mois suivant le rapport précédent. Les constats et recommandations pertinents de ce rapport sont libellés comme suit :

« Certaines mesures importantes ont été prises depuis le mois de juillet 2012. Les procédures de nomination à des postes élevés de la magistrature font désormais l’objet d’une publicité plus large et des efforts plus soutenus ont été consentis pour résoudre certains problèmes liés à la gestion de l’appareil judiciaire, tels que le déséquilibre des charges de travail. (...)

Le CSM a pris certaines mesures pour réformer sa gestion. En ce qui concerne la charge de travail et la réaffectation des ressources, une approche pratique semble donner certains résultats. Dans d’autres domaines tels que l’évaluation objective et les procédures de promotion ou la cohérence dans les procédures disciplinaires, les avancées concrètes sont peu nombreuses à ce jour. (...)

Ces cas montrent bien que si des procédures transparentes sont importantes pour assurer le bon fonctionnement des institutions publiques, les règles formelles ne s’avèrent pas toujours suffisantes. Pour renforcer la confiance dans ses institutions, la Bulgarie doit veiller à ce que les décisions relatives à des nominations, y compris à des postes élevés, soient basées sur une réelle compétition entre les candidats, dans le respect des critères clairs de mérite et d’intégrité mis en lumière dans les précédents rapports. (...)

Conclusion et recommandations

Les règles régissant les nominations devraient être appliquées clairement et de manière transparente. Pour restaurer la confiance de la population, il faudra pouvoir faire état de plusieurs cas où les nominations sont clairement basées sur les critères de professionnalisme et d’intégrité, particulièrement dans le cas de nominations aux postes les plus élevés. Dans ce domaine, la Bulgarie devrait: (...)

* élaborer, au sein du CSM, une pratique cohérente en matière d’application de critères objectifs de mérite, d’intégrité et de transparence aux nominations, y compris aux postes élevés; (...) »

B. Les avis du Conseil consultatif de juges européens

63. Dans son Avis no 10(2007) à l’attention du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur le Conseil de la Justice au service de la société, le Conseil Consultatif de Juges Européens (CCJE), organe consultatif du Conseil de l’Europe, rappelle l’importance des procédures de sélection, de nomination et de promotion des juges dans les termes suivant :

« Il faut aussi assurer une totale transparence quant aux conditions de sélection des candidats, afin que l’ensemble des juges et, au-delà, la société elle-même, puissent vérifier que cette sélection soit exclusivement fondée sur les mérites des candidats, appréciés au regard de leurs qualifications, compétence, intégrité, esprit d’indépendance, impartialité et efficacité. (...)

En outre, pour les postes les plus importants, en particulier ceux de chefs de juridictions, il importe que le Conseil de la Justice diffuse, par voie officielle, des profils généraux décrivant les spécificités du poste à pourvoir et les qualités attendues des candidats, pour permettre un choix transparent et responsable, qui sera effectué par l’autorité de nomination, ce choix devant intervenir exclusivement sur la considération des mérites du candidat et non sur des données plus subjectives, amicales, politiques, associatives ou syndicales. »

64. Le CCJE a adopté, lors de sa 11e réunion plénière (17-19 novembre 2010), une Magna Carta des juges (principes fondamentaux) synthétisant et codifiant les principales conclusions des Avis qu’il a déjà adoptés. Ce texte dispose notamment :

« 5. Les décisions sur la sélection, la nomination et la carrière doivent être fondées sur des critères objectifs et prises par l’instance chargée de garantir l’indépendance. (...)

13. Pour assurer l’indépendance des juges, chaque Etat doit créer un Conseil de la Justice ou un autre organe spécifique, lui-même indépendant des pouvoirs exécutif et législatif, doté des prérogatives les plus étendues pour toute question relative au statut des juges, ainsi qu’à l’organisation, au fonctionnement et à l’image des institutions judiciaires. Le Conseil doit être composé soit exclusivement de juges, soit au moins d’une majorité substantielle de juges élus par leurs pairs. Le Conseil de la Justice est tenu de rendre compte de ses activités et de ses décisions. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

65. La requérante dénonce l’étendue insuffisante du contrôle juridictionnel opéré par la Cour administrative suprême, en particulier le fait que cette juridiction n’aurait pas répondu aux moyens qu’elle avait soulevés ainsi que son défaut d’impartialité. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention qui dispose en ses parties pertinentes :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, [...] par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil [...] »

A. Arguments des parties

1. Le Gouvernement

66. Le Gouvernement s’oppose à la thèse de la requérante. Il soutient que l’article 6 ne trouve pas à s’appliquer dans la mesure où la procédure litigieuse ne concernait pas des droits et obligations de caractère civil. Le Gouvernement souligne en particulier qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un litige de droit du travail portant sur le paiement de salaires, le recrutement ou le licenciement de fonctionnaires, mais sur le choix du dirigeant administratif du tribunal qui est responsable de l’organisation et de l’élaboration de la politique de la juridiction.

67. Le Gouvernement soutient qu’en tout état de cause, la requérante a eu accès à un tribunal bénéficiant de toutes les garanties prévues par l’article 6 et a vu son recours judiciaire dûment examiné. En ce qui concerne plus particulièrement l’étendue du contrôle juridictionnel, le Gouvernement se réfère aux principes établis par la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt Sigma Radio Television Ltd c. Chypre (nos 32181/04 et 35122/05, 21 juillet 2011) et rappelle que l’article 6 ne confère pas aux autorités judiciaires la tâche de substituer leur décision à celle de l’administration. Selon le Gouvernement, il ne prête pas à controverse qu’en l’espèce, le CSM disposait d’un certain pouvoir discrétionnaire pour décider quel candidat présentait les meilleures aptitudes pour exercer le poste de président du tribunal, et que cette question concernait un domaine spécifique exigeant la connaissance du fonctionnement du système judiciaire et de la juridiction concernée. La loi sur le pouvoir judiciaire fixait certaines exigences auxquelles les candidats devaient répondre, telles que l’expérience professionnelle et un rapport d’évaluation positif. Si la règlementation interne adoptée par le CSM (le règlement relatif à la procédure de la nomination) énumérait effectivement 13 critères permettant d’apprécier les qualités et aptitudes professionnelles des candidats, dans la mesure où le vote était effectué à bulletin secret, les membres du CSM n’étaient pas tenus d’indiquer et de justifier la manière dont ils avaient formé leur opinion. Le Gouvernement rappelle que la loi sur le pouvoir judiciaire indique expressément en son article 34 que pour les décisions du CSM adoptées par vote à bulletin secret, les motifs exposés dans la proposition tiennent lieu de motifs de la décision.

68. Pour ce qui est de la jurisprudence prétendument contradictoire de la Cour administrative suprême, le Gouvernement souligne que les décisions invoquées à cet égard par la requérante concernent des questions différentes, à savoir le respect de l’ordre des licenciements en cas de licenciement de fonctionnaires, qui constitue une condition de la légalité de l’acte, et non le contrôle des questions laissées à l’appréciation de l’administration.

69. Le Gouvernement indique par ailleurs que la procédure de nomination présentait des garanties procédurales importantes – la requérante a eu la possibilité de formuler des observations dans le cadre de la procédure d’évaluation, de présenter son projet pour la direction du tribunal devant les membres du CSM et de répondre à leurs questions.

70. En ce qui concerne l’examen, par la Cour administrative suprême, des arguments soulevés par la requérante, le Gouvernement soutient que le recours judiciaire de l’intéressée contre la décision du CSM ne contenait aucun motif d’annulation ou argument concret mais seulement des allégations générales sur la nullité de l’acte. Quant aux moyens qu’elle a ensuite soulevés dans le mémoire déposé devant la Cour administrative suprême, la juridiction y a dûment répondu dans son arrêt du 3 novembre 2011 et les a considérés comme infondés. Examinant d’office la légalité de l’acte, la Cour administrative suprême a toutefois considéré que le vote à bulletin secret effectué était en contradiction avec la loi et a annulé l’acte pour ce motif. Le Gouvernement met en avant qu’au cas où la requérante estimait que la cour avait omis de statuer sur certaines de ses demandes, elle aurait pu saisir la cour d’une requête en complément de l’arrêt, prévue à l’article 250 du code de procédure civile. Elle n’aurait donc pas épuisé les voies de recours disponibles concernant ce grief.

71. Quant à la formation de cinq juges de la Cour administrative suprême, qui a annulé l’arrêt de première instance et a jugé l’affaire au fond, selon le Gouvernement, celle-ci a examiné les arguments de la requérante concernant l’étendue du contrôle opéré et a considéré que celui-ci était d’une étendue suffisante, dans le respect du pouvoir discrétionnaire que le législateur avait voulu donner au CSM.

72. En ce qui concerne l’exigence d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême, le Gouvernement observe que la requérante elle-même a soutenu dans son mémoire devant l’instance de cassation que le déport d’un des membres de la formation de trois juges ne remettait pas en cause l’impartialité du tribunal et ne constituait pas un motif d’annulation de l’arrêt. Il fait valoir par ailleurs que la formation de cinq juges a été constituée conformément à la loi.

73. En conclusion, le Gouvernement considère que la requérante a eu accès à un tribunal indépendant et impartial, qui a opéré un contrôle d’une étendue suffisante et a examiné tous les moyens soulevés par l’intéressée, qu’elle a bénéficié de l’assistance d’un avocat et a pu présenter les arguments qu’elle a jugé utiles pour sa cause.

2. La requérante

74. En ce qui concerne l’applicabilité de l’article 6, la requérante se réfère à l’arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande ([GC], no 63235/00, CEDH 2007-IV) et rappelle que l’article 6 trouve à s’appliquer aux litiges concernant l’emploi des fonctionnaires sauf dans les cas où le droit interne exclut expressément l’accès à un tribunal pour la catégorie de fonctionnaires en cause et qu’il existe une justification objective. Elle souligne qu’en l’espèce, la possibilité d’exercer un recours judiciaire est expressément prévue par le droit interne. Elle estime en outre que la fonction de président d’un tribunal constitue une étape du développement de la carrière des magistrats et non un poste à part, investi de pouvoirs purement organisationnels et politiques, comme le prétend le Gouvernement.

75. La requérante ajoute que la nécessité d’assurer une procédure bénéficiant des garanties de l’article 6 de la Convention pour les litiges concernant la promotion des juges est confirmée par les recommandations du Conseil consultatif des juges européens auprès du Conseil de l’Europe, notamment dans son avis au Conseil des ministres no 10 de 2007, dans lequel il souligne l’importance d’assurer dans ce domaine une procédure transparente afin d’assurer un choix fondé « exclusivement sur la considération des mérites du candidat et non sur des données plus subjectives, amicales, politiques, associatives ou syndicales ».

76. En ce qui concerne l’étendue du contrôle juridictionnel opéré par la Cour administrative suprême, la requérante soutient que, contrairement à l’analyse avancée par le Gouvernement, le litige en l’espèce ne portait pas sur un domaine spécialisé, exigeant des connaissances spécifiques, que seule l’autorité administrative pouvait avoir. De l’avis de la requérante, l’organisation et le fonctionnement d’une juridiction ne constituent pas un domaine spécifique et inaccessible pour les juges de la Cour administrative suprême, bien au contraire. Elle rappelle que les compétences du CSM et les règles concernant les nominations sont établis par la Constitution, la loi sur le pouvoir judiciaire et la règlementation adoptée par le CSM. Tous les juges, notamment ceux de la Cour administrative suprême, en connaissent la teneur dans le détail.

77. La requérante rappelle que la loi sur le pouvoir judiciaire régit les conditions d’accès aux fonctions de dirigeant administratif et que le CSM avait adopté un règlement interne concernant la nomination des dirigeants administratifs des tribunaux qui prévoyait les critères spécifiques à prendre en compte pour la nomination à de tels postes. Selon l’intéressée, l’adoption de ces règles n’aurait pas de sens si le CSM n’était pas tenu de motiver ses décisions sur la base des critères qui y sont visés et si la Cour administrative suprême n’était pas compétente pour en contrôler le respect.

78. La requérante ne conteste pas qu’en l’espèce, le CSM disposait d’un pouvoir discrétionnaire. Elle considère toutefois que même si le juge n’a pas à contrôler l’opportunité de la décision prise, il doit néanmoins examiner si l’administration a exercé son pouvoir discrétionnaire dans les limites concédées par la loi. Or en l’absence de motivation de la décision du CSM, il serait impossible de vérifier si, en faisant leur choix, les membres du CSM ont tenu compte des critères de sélection prévus par la réglementation. Cette absence de motivation aurait ainsi pour effet de rendre impossible le contrôle juridictionnel du respect des exigences légales réglementant la manière dont le CSM devait opérer son choix. La requérante estime qu’un contrôle judiciaire effectif n’est possible que si le CSM expose des motifs sur chacun des 13 critères de sélection prévus par la règlementation.

79. Dans la mesure où il n’existe aucune certitude que ces critères ont bien été pris en compte en l’espèce, la requérante ne considère pas, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, que la procédure de nomination présentait des garanties procédurales de nature à dispenser la Cour administrative suprême d’effectuer un contrôle d’une étendue suffisante.

80. La requérante souligne que la Cour administrative suprême a elle‑même admis qu’elle ne disposait pas d’une juridiction suffisante pour se prononcer sur toutes les questions relatives à l’affaire et qu’elle ne pouvait contrôler que la légalité de l’acte attaqué mais ne pouvait vérifier si celle-ci constituait la décision la plus efficace, la plus opportune et la plus favorable pour l’État et la société, comme le veut l’article 6 du code de procédure administrative, et si les critères établis dans la règlementation du CSM avaient été respectés. La requérante soutient que l’approche restrictive de la Cour administrative suprême dans son affaire est en contradiction avec celle adoptée dans d’autres décisions de la même juridiction, dans lesquelles celle-ci a jugé que, dans les cas où l’administration a adopté des règles internes concernant les conditions dans lesquelles elle exerce son pouvoir discrétionnaire, le respect de ces règles doit faire l’objet du contrôle de légalité du juge.

81. La requérante maintient en outre que la Cour administrative suprême n’a pas examiné tous les arguments qu’elle avait soulevés dans son recours et ses écrits subséquents. Concernant la possibilité, évoquée par le Gouvernement, de remédier à cette situation en demandant un complément de l’arrêt en application de l’article 250 du code de procédure civile, elle rétorque que cette disposition était inapplicable en l’espèce puisqu’elle concerne les cas où le tribunal a omis de se prononcer sur une demande et non les cas où il n’a pas motivé sa décision. La requérante soutient également que la Cour administrative suprême, statuant en cassation en formation de cinq juges, n’a pas dûment examiné son recours contre le premier arrêt. Elle observe en particulier que cette juridiction a considéré que la requérante ne pouvait contester les motifs adoptés par la première instance dans la mesure où l’arrêt rendu était en sa faveur. La formation de cinq juges a ainsi annulé le premier arrêt et adopté une nouvelle décision sans examiner les moyens soulevés par l’intéressée.

82. La requérante fait enfin valoir que le Gouvernement n’apporte pas la preuve que la désignation des juges devant prendre part à la formation de cinq juges a été effectuée de manière aléatoire.

B. Appréciation de la Cour

1. Sur l’applicabilité de l’article 6

83. En ce qui concerne tout d’abord l’applicabilité de l’article 6 à la procédure judiciaire en cause, la Cour rappelle que cette disposition s’applique sous son volet civil aux « contestations » relatives à des « droits » de « caractère civil » que l’on peut dire, au moins de manière défendable, reconnus en droit interne, qu’ils soient ou non protégés de surcroît par la Convention. Il doit s’agir d’une contestation réelle et sérieuse, qui peut concerner aussi bien l’existence même d’un droit que son étendue ou ses modalités d’exercice. De plus, l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour le droit en question, un lien ténu ou des répercussions lointaines ne suffisant pas à faire entrer en jeu l’article 6 § 1 (Micallef c. Malte [GC], no 17056/06, § 74, 15 octobre 2009, Boulois c. Luxembourg [GC], no 37575/04, § 90, CEDH 2012).

84. En l’espèce, la procédure litigieuse portait sur la contestation par la requérante de la décision du CSM de nommer une personne au poste de président du tribunal de la ville de Sofia, poste pour lequel l’intéressée avait également postulé. En ce qui concerne tout d’abord l’existence d’un « droit », la Cour rappelle que ni l’article 6, ni une autre disposition de la Convention ou de ses Protocoles ne garantissent le droit d’être promu ou d’occuper un emploi dans la fonction publique (voir Dzhidzheva‑Trendafilova c. Bulgarie (déc.), no 12628/09, § 43, 9 octobre 2012, et les références qui y sont citées). La Cour a cependant déjà admis, dans des circonstances similaires à celles de l’espèce, que le droit à une procédure de de recrutement ou de promotion légale et équitable (Dzhidzheva-Trendafilova, décision précitée, § 43, Fiume c. Italie, no 20774/05, § 35, 30 juin 2009, et Penttinen c. Finlande (déc.), no 9125/07, 5 janvier 2010) ou à un accès égal à l’emploi et à la fonction publique (Juričić c. Croatie, no 58222/09, § 52, 26 juillet 2011) pouvaient passer pour des droits reconnus, au moins de manière défendable, en droit interne, dans la mesure où les juridictions internes avaient reconnu leur existence et avaient examiné les moyens soulevés par les intéressés à cet égard. Tel apparaît être le cas dans la présente espèce, puisque le droit interne prévoit des règles détaillées concernant la procédure de sélection et que les juridictions internes étaient compétentes pour en examiner le respect dans le cadre du recours en annulation introduit par la requérante (voir, a contrario, Tencheva-Rafailova c. Bulgarie (déc.), no 13885/04, 5 janvier 2010). La Cour accepte également que la procédure litigieuse était déterminante pour les droits de la requérante dans la mesure où celle-ci aurait pu aboutir, si les juridictions internes avaient fait droit au recours de l’intéressée, à l’annulation de la décision du CSM et à l’organisation d’un nouveau concours pour le poste.

85. Quant au caractère « civil », au sens de l’article 6, d’un tel droit, la Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, les litiges opposant l’État à ses fonctionnaires entrent en principe dans le champ d’application de l’article 6, sauf si deux conditions cumulatives sont remplies. En premier lieu, le droit interne de l’État concerné doit avoir expressément exclu l’accès à un tribunal pour le poste ou la catégorie de salariés en question. En second lieu, cette dérogation doit reposer sur des motifs objectifs liés à l’intérêt de l’État (Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], no 63235/00, § 62, CEDH 2007-IV).

86. En l’espèce, force est de constater que la première de ces conditions ne se trouve pas remplie. Le droit interne prévoit en effet la possibilité pour les personnes ayant un intérêt à agir d’introduire un recours judiciaire devant la Cour administrative suprême pour contester la légalité de la décision du CSM de nommer un président de juridiction, à l’exception des postes les plus élevés, à savoir les présidents des deux cours suprêmes et du procureur général (voir le paragraphe 33 ci-dessus). Cette possibilité était applicable au cas de la requérante, qui a effectivement introduit un tel recours. Il s’ensuit que l’article 6 trouve à s’appliquer en l’espèce sous son volet civil.

87. Cette disposition exigeait par conséquent que la requérante ait accès à un tribunal qui statue sur la contestation concernant ses droits et obligations de caractère civil dans le respect des garanties de l’article 6 § 1. La Cour rappelle toutefois que la conclusion quant à l’applicabilité de l’article 6 ne préjuge en rien de la réponse à la question de savoir comment les diverses garanties attachées à cet article, notamment s’agissant de l’étendue du contrôle requis des tribunaux nationaux, doivent s’appliquer à un litige qui, comme en l’espèce, concerne les fonctionnaires (Vilho Eskelinen et autres, précité, § 64).

2. Sur l’étendue du contrôle juridictionnel et le défaut allégué de motivation des arrêts de la Cour administrative suprême

a) Sur la recevabilité

88. Dans la mesure où le Gouvernement soulève, à titre d’exception de non-épuisement, que la requérante avait la possibilité de saisir la Cour administrative suprême d’une requête en complément de l’arrêt, conformément à l’article 250 du code de procédure civile, la Cour observe que cette disposition prévoit la possibilité de demander à une juridiction de compléter sa décision dans les cas où celle-ci a omis de se prononcer sur un chef de demande (paragraphe 57 ci-dessus). Elle ne semble pas applicable à la situation de l’espèce, dans laquelle la requérante se plaint que certains des arguments qu’elle a soulevés, et non la totalité ou une partie de sa demande, n’ont pas été examinés. Il convient donc de rejeter l’exception du Gouvernement.

89. La Cour constate par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

b) Sur le fond du grief

90. Comme la Cour l’a observé ci-dessus, le droit interne prévoit en l’espèce la possibilité d’obtenir, au moyen d’un recours en annulation, le contrôle judiciaire de la légalité de la décision du CSM de nommer un candidat au poste de dirigeant administratif d’un tribunal. La Cour doit donc vérifier si la procédure à laquelle la requérante a eu accès a respecté les exigences de l’article 6 de la Convention.

91. La Cour rappelle d’emblée qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il incombe d’interpréter la législation interne (voir, parmi d’autres, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011). La Cour n’est pas une instance d’appel des juridictions nationales et il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par ces juridictions, sauf si et dans la mesure où elles pourraient avoir porté atteinte aux droits et libertés sauvegardés par la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, § 28, CEDH 1999‑I). De même, il ne lui revient pas, en principe, de comparer les diverses décisions rendues, même dans des litiges de prime abord voisins ou connexes, par des tribunaux dont l’indépendance s’impose à elle (Nejdet Şahin et Perihan Şahin, précité, § 50). Dès lors, dans la présente espèce, il n’appartient pas à la Cour, dans le contexte de l’article 6, de rechercher si la décision du CSM de nommer V.Y. au poste de président du tribunal était régulière en droit interne ou justifiée compte tenu des qualifications des candidates. La tâche de la Cour consistera à vérifier si la requérante a eu accès à un tribunal répondant aux exigences de l’article 6 et, plus particulièrement, si la Cour administrative suprême a opéré un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante.

92. Pour satisfaire aux exigences de l’article 6 § 1, le « tribunal » visé par cette disposition doit avoir compétence pour se pencher sur toutes les questions de fait et de droit pertinentes pour le litige dont il se trouve saisi (Terra Woningen B.V. c. Pays-Bas, 17 décembre 1996, § 52, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, Chevrol c. France, no 49636/99, § 72, CEDH 2003‑III, et I.D. c. Bulgarie, no 43578/98, § 45, 28 avril 2005). L’article 6 exige par ailleurs que les juridictions internes indiquent de manière suffisante les motifs sur lesquels elles se fondent. Sans exiger une réponse détaillée à chaque argument du plaignant, cette obligation présuppose que la partie à une procédure judiciaire puisse s’attendre à une réponse spécifique et explicite aux moyens décisifs pour l’issue de la procédure en cause (voir, parmi d’autres, Ruiz Torija c. Espagne, 9 décembre 1994, §§ 29-30, série A no 303‑A).

93. Dans la présente espèce, la Cour administrative suprême était compétente pour contrôler la légalité de la décision litigieuse par laquelle le CSM avait nommé une candidate au poste de président du tribunal de la ville de Sofia. Dans le cadre du contrôle de légalité, la haute juridiction pouvait annuler la décision pour plusieurs motifs d’illégalité liés aux exigences de procédure ou de fond prévues par la loi et renvoyer le dossier au CSM afin qu’il se prononce de nouveau en conformité avec les directives que la Cour administrative suprême aurait pu formuler concernant les irrégularités éventuellement constatées (voir les paragraphes 43 et 54 ci‑dessus).

94. En droit bulgare, la Cour administrative suprême était notamment compétente pour examiner les questions de fait qu’elle considèrerait pertinentes pour la légalité de la décision du CSM et la requérante n’a au demeurant formulé aucun grief à cet égard. Il n’apparaît pas non plus que cette juridiction ait décliné sa compétence pour examiner une constatation de droit faite par le CSM. Elle n’était cependant pas compétente pour contrôler tous les aspects de la décision du CSM. En particulier, elle ne pouvait, sauf en cas de détournement de pouvoir, remettre en cause le choix du CSM sur la question de savoir quel était le meilleur candidat pour le poste et ne pouvait substituer sa propre appréciation à celle du CSM.

95. La présente affaire doit donc être distinguée des situations dans lesquelles les juridictions nationales n’avaient pas été en mesure ou avait refusé d’examiner une question centrale du litige parce qu’elles s’estimaient liées par les constatations de fait ou de droit des autorités administratives et ne pouvaient procéder à un examen indépendant de ces questions (Terra Woningen B.V., précité, §§ 46 et 50-55, Obermeier c. Autriche, 28 juin 1990, §§ 66-70, série A no 179, Tsfayo c. Royaume-Uni, no 60860/00, § 48, 14 novembre 2006, Chevrol, précité, § 78, I.D. c. Bulgarie, précité, §§ 50‑55, Capital Bank AD c. Bulgarie, no 49429/99, §§ 99-108, CEDH 2005‑XII (extraits), et Fazliyski c. Bulgarie, no 40908/05, § 59, 16 avril 2013).

96. La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si, nonobstant son refus d’exercer un contrôle sur le choix d’opportunité effectué par le CSM, la Cour administrative suprême a effectué un contrôle d’une étendue suffisante sur le pouvoir discrétionnaire exercé par cet organe. L’affaire concerne donc l’intensité du contrôle opéré par les juridictions internes sur la discrétion exercée par l’administration (à l’instar des arrêts Zumtobel c. Autriche, 21 septembre 1993, §§ 31-32, série A no 268-A, Bryan c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, §§ 43-47, série A no 335-A, Potocka et autres c. Pologne, no 33776/96, §§ 77-78, CEDH 2001-X, Sigma Radio Television Ltd c. Chypre, nos 32181/04 et 35122/05, §§ 151-169, 21 juillet 2011, et Galina Kostova, c. Bulgarie, no 36181/05, §§ 58-65, 12 novembre 2013).

97. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, l’exigence que le « tribunal » visé par l’article 6 dispose d’une « plénitude de juridiction » sera satisfaite si l’organe en question est doté de compétence d’une « étendue suffisante » ou exerce un « contrôle juridictionnel suffisant » pour traiter l’affaire en cause (Zumtobel §§ 31-32, Potocka et autres § 59, Sigma Radio Television Ltd, § 152, précités, et Crompton c. Royaume-Uni, no 42509/05, §§ 71 et 79, 27 octobre 2009). Il ressort de cette jurisprudence que le rôle de l’article 6 n’est pas de garantir l’accès à un tribunal qui pourrait substituer son propre avis à celui des autorités administratives. À cet égard, la Cour a en particulier souligné le respect dû aux décisions prises par l’administration sur des questions d’opportunité qui souvent ont trait à des domaines spécialisés du droit (voir Sigma Radio Television Ltd, précité, § 153, et la jurisprudence qui y est citée).

98. Afin d’évaluer si, dans un cas donné, les juridictions internes ont effectué un contrôle d’une étendue suffisante, la Cour doit prendre en considération les compétences attribuées à la juridiction en question et des éléments tels que : a) l’objet de la décision attaquée, plus particulièrement si celle-ci a trait à un domaine spécifique exigeant des connaissances spécialisées ou si, et dans quelle mesure, elle implique l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’administration ; b) la méthode suivie pour parvenir à cette décision et, en particulier, les garanties procédurales existantes dans le cadre de la procédure devant l’autorité administrative ; et c) la teneur du litige, y compris les moyens de recours, tant souhaités que réellement développés (Bryan, § 45, Sigma Radio Television Ltd, § 154, et Galina Kostova, § 59, arrêts précités). La question de savoir si un contrôle juridictionnel d’une étendue suffisante a été effectué dépendra donc des circonstances de chaque affaire : la Cour doit dès lors se borner autant que possible à examiner la question soulevée par la requête dont elle est saisie et à déterminer si, dans les circonstances de l’espèce, le contrôle opéré était adéquat (Sigma Radio Television Ltd, § 155, et Potocka et autres, § 54, arrêts précités).

99. En l’espèce, la Cour relève que même si la jurisprudence interne reconnait un pouvoir discrétionnaire assez large au CSM concernant l’appréciation des qualités des candidats et le choix de la personne la plus qualifiée pour le poste, la Cour administrative suprême pouvait et a effectivement contrôlé si ce choix n’avait pas été effectué en détournement de pouvoir, c’est-à-dire en violation du but de la loi. Les juges administratifs ont par ailleurs vérifié le respect des conditions expressément visées par la loi, telle que l’exigence d’un certain nombre d’années d’expérience professionnelle, et des règles relatives à la procédure (paragraphes 15-16 et 23-24 ci-dessus). Cette approche apparaît pleinement en conformité à la jurisprudence de cette juridiction dans des affaires similaires à l’époque où l’arrêt a été rendu (voir le paragraphe 52 ci-dessus). La jurisprudence plus récente, même si elle a évolué compte tenu des changements de la législation, continue d’accepter que le contrôle du juge ne saurait porter sur l’appréciation des qualités des candidats effectuée par chaque membre du CSM et le vote exprimé (paragraphe 53 ci-dessus).

100. La Cour observe, en ce qui concerne tout d’abord la nature de la décision litigieuse, que celle-ci portait sur la nomination d’un président de juridiction – question qui, si elle ne peut être considérée comme exigeant des connaissances spécialisées, implique indéniablement l’exercice du pouvoir discrétionnaire du CSM, autorité spécialement chargée, en vertu de la Constitution bulgare, d’assurer la gestion autonome du pouvoir judiciaire, en particulier en matière de nominations et de régime disciplinaire des magistrats, dans l’objectif de garantir l’indépendance de la justice (paragraphes 26-32 ci-dessus). Dans cet objectif, le législateur bulgare a doté cet organe d’un large pouvoir discrétionnaire pour nommer les personnes qu’il jugera les plus qualifiées pour occuper, notamment, les postes de dirigeants administratifs des juridictions (voir, mutatis mutandis, Galina Kostova, précité, § 62, et X contre le Royaume-Uni, décision précitée). Au vu de ces considérations, la Cour considère que la décision du CSM, prise dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui a été accordé dans un domaine spécifique et hautement important, justifie d’autant plus le respect qui est en principe dû aux décisions prises par l’administration en opportunité (Bryan, précité, § 47, Sigma Radio Television Ltd, précité, § 153).

101. La Cour constate ensuite que la décision litigieuse du CSM a été prise à l’issue d’une procédure de sélection qui présentait un certain nombre de garanties procédurales. Des règles concernant le déroulement de la procédure étaient prévues de manière détaillée dans la loi et le règlement interne du CSM, dans le but d’assurer un processus de sélection transparent, équitable et basé sur les qualités professionnelles des candidats. Y étaient notamment prévues des règles visant à assurer la publicité, telles que la publication de l’avis de concours, de la liste des candidats et de la transcription des délibérations du CSM, ainsi que des règles sur le déroulement du vote ; les candidats devaient faire l’objet d’une évaluation par la commission de proposition et d’évaluation et ils avaient la possibilité de prendre connaissance et de formuler des objections sur les conclusions de cette commission ; ils étaient entendus par le CSM, devant lequel ils pouvaient présenter leur candidature et répondre aux questions des membres du Conseil. Le respect de ces règles était soumis au contrôle du juge et dans le cas de l’espèce, la Cour administrative suprême a effectivement procédé à un tel contrôle, d’office ou sur les moyens soulevés par les parties (voir les paragraphes 15-16 ci-dessus).

102. Plus généralement, la Cour observe que la Cour administrative suprême a répondu aux principaux arguments soulevés par la requérante, concernant, notamment, le respect de la procédure et le défaut allégué de motivation de l’acte (paragraphe 16 ci-dessus). Ainsi, en ce qui concerne l’absence alléguée de motifs de la décision du CSM, la haute juridiction, siégeant en formation de trois juges, a considéré qu’en application de la loi et de sa jurisprudence constante, dans pareil cas, la motivation de l’acte était contenue dans la proposition de la candidature et dans les opinions exprimées au moment des délibérations. La Cour administrative suprême en formation de cinq juges a, quant à elle, répondu aux arguments que la requérante avait soulevés en cassation, concernant la motivation de l’arrêt de première instance et l’étendue du contrôle juridictionnel, et a confirmé que ceux-ci étaient suffisants compte tenu du pouvoir discrétionnaire laissé au CSM dans le choix du candidat le plus apte pour le poste (paragraphe 24 ci-dessus). La Cour relève en particulier que la requérante n’a pas soulevé de moyen d’annulation relativement aux liens allégués de V.Y. avec le ministre de l’Intérieur alors en exercice ou d’une éventuelle immixtion de celui-ci dans la procédure de nomination, alors qu’il n’y était pas formellement impliqué.

103. La Cour note que la jurisprudence interne a évolué dans le sens d’une plus grande exigence quant à la nécessité pour les autorités administratives, et notamment pour le CSM, d’assortir leurs décisions de motifs clairs et complets concernant les raisons qui les ont fondées et cela, en ce qui concerne plus particulièrement les décisions du CSM en matière de nominations, dans un souci d’assurer des garanties contre des décisions arbitraires dans ce domaine (voir le paragraphe 53 ci-dessus). Dans la présente espèce, la haute juridiction a toutefois confirmé que la motivation exposée par le CSM à cet égard était suffisante.

104. Certes, les allégations de la requérante concernant l’absence de transparence et l’ingérence du pouvoir politique dans la procédure de nomination en cause, ainsi que les critiques formulées à cet égard par des organismes internationaux compétent en la matière (paragraphes 61-62 ci‑dessus) sont préoccupantes. Tout en étant consciente de l’importance des procédures de nominations et de promotion des juges et de leur impact sur l’indépendance et le bon fonctionnement de la justice, la Cour rappelle qu’il ne lui appartient pas, dans le cadre de la présente requête qui concerne le caractère équitable de la procédure judiciaire sur le recours d’une candidate non retenue par le CSM, de se prononcer sur l’opportunité du choix effectué par cet organisme ou sur les critères qui devraient être pris en compte (Dzhidzheva-Trendafilova, décision précitée, § 38, in fine, et § 55).

105. Au vu des observations qui précèdent, la Cour considère que la Cour administrative suprême a procédé en l’espèce à un contrôle d’une portée suffisante au regard de l’article 6 de la Convention. Partant, il n’y a pas eu de violation de cette disposition.

3. Sur le défaut allégué d’indépendance et d’impartialité de la Cour administrative suprême

106. La requérante soutient par ailleurs que la Cour administrative suprême n’a pas satisfait aux exigences d’indépendance et d’impartialité requises par l’article 6. Ayant constaté que l’article 6 trouvait à s’appliquer à la procédure en cause (paragraphes 83-86 ci-dessus), la Cour rappelle que, pour établir si un tribunal peut passer pour « indépendant » aux fins de l’article 6 § 1, il faut prendre en compte, notamment, le mode de désignation et la durée du mandat de ses membres, l’existence d’une protection contre les pressions extérieures et le point de savoir s’il y a ou non apparence d’indépendance (Findlay c. Royaume-Uni, 25 février 1997, § 73, Recueil 1997-I, et Oleksandr Volkov c. Ukraine, no 21722/11, § 103, CEDH 2013). L’impartialité se définit quant à elle par l’absence de préjugé ou de parti pris. Selon la jurisprudence constante de la Cour, aux fins de l’article 6 § 1, l’impartialité doit s’apprécier selon une démarche subjective, en tenant compte de la conviction personnelle et du comportement de tel juge, c’est‑à‑dire du point de savoir si celui-ci a fait preuve de parti pris ou préjugé personnel dans tel cas, et aussi selon une démarche objective consistant à déterminer si le tribunal offrait, notamment à travers sa composition, des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité (voir, parmi d’autres, Wettstein c. Suisse, no 33958/96, § 42, CEDH 2000-XII, et Oleksandr Volkov, précité, § 104).

107. En l’espèce, en ce qui concerne tout d’abord la formation de trois juges qui a statué en première instance sur son affaire, la requérante avance que la décision de l’un des juges de se déporter après les délibérations et la rédaction de l’arrêt démontrerait que des pressions avaient été exercées sur les juges. La Cour observe à cet égard que les motifs du déport du juge en question n’ont pas été spécifiés, mise à part la référence à la disposition pertinente du code de procédure civile. Certes, il s’agit là d’une situation inhabituelle et l’on peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé le juge en question à se déporter après l’adoption de l’arrêt. La Cour constate toutefois que le déport du juge n’a pas empêché la formation de rendre une décision valide selon le droit interne (voir le paragraphe 23 ci-dessus), qui était de surcroît favorable à la requérante. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas que la requérante puisse se prétendre victime d’une violation de son droit à un tribunal impartial concernant la formation de trois juges de la Cour administrative suprême.

108. Pour ce qui est de la formation de cinq juges, la requérante dénonce la méthode de désignation des membres de cette formation parmi les juges de la Cour administrative suprême, qui n’aurait pas été effectuée de manière transparente et aléatoire. La Cour constate que l’intéressée ne remet pas en cause l’impartialité subjective d’un quelconque membre de la formation. Quant à l’impartialité objective, elle rappelle que, selon sa jurisprudence, il ne lui appartient pas en principe d’examiner la validité des motifs pour lesquels une affaire particulière a été confiée à un juge ou à un tribunal particulier mais elle doit néanmoins s’assurer qu’une telle affectation est compatible avec les exigences d’indépendance et d’impartialité. Il incombe en effet aux États contractants d’assurer une bonne administration de la justice et de nombreux facteurs sont à prendre en compte pour effectuer la répartition des affaires judiciaires (Bochan c. Ukraine, no 7577/02, § 71, 3 mai 2007, et Moïsseïev c. Russie, no 62936/00, § 176, 9 octobre 2008). Dans la présente espèce, la Cour constate que les parties ne s’accordent pas sur la question de savoir si le juge rapporteur de la formation de cinq juges a été désigné de manière aléatoire comme le prévoit la loi (voir les paragraphes 72 et 82 ci-dessus). Toutefois, même en admettant que la désignation n’aurait pas été effectuée de manière aléatoire, en l’absence d’autres éléments indiquant un manque d’impartialité des magistrats composant la formation, il n’apparaît pas que les exigences de l’article 6 aient été méconnues sur ce point.

109. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant au grief relatif à l’étendue du contrôle juridictionnel et à la motivation des décisions de la Cour administrative suprême et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 septembre 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Françoise Elens-PassosGuido Raimondi
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-157348
Date de la décision : 15/09/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Partiellement irrecevable;Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure administrative;Article 6-1 - Accès à un tribunal;Droits et obligations de caractère civil)

Parties
Demandeurs : TSANOVA-GECHEVA
Défendeurs : BULGARIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : LULCHEVA I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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