La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/02/2015 | CEDH | N°001-152254

CEDH | CEDH, AFFAIRE ERNST AUGUST VON HANNOVER c. ALLEMAGNE, 2015, 001-152254


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE ERNST AUGUST VON HANNOVER c. ALLEMAGNE

(Requête no 53649/09)

ARRÊT

STRASBOURG

19 février 2015

DÉFINITIF

19/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ernst August von Hannover c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,


Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délib...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE ERNST AUGUST VON HANNOVER c. ALLEMAGNE

(Requête no 53649/09)

ARRÊT

STRASBOURG

19 février 2015

DÉFINITIF

19/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ernst August von Hannover c. Allemagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 53649/09) dirigée contre la République fédérale d’Allemagne et dont un ressortissant de cet État, Ernst August von Hannover (« le requérant »), a saisi la Cour le 5 octobre 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me M. Prinz, avocat à Hambourg. Le gouvernement allemand (« le Gouvernement ») a été représenté par l’un de ses agents, Mme K. Behr, du ministère fédéral de la Justice.

3. Le requérant allègue en particulier que le refus de la Cour fédérale de justice de lui accorder une licence fictive pour compenser l’utilisation illicite de ses prénoms dans une publicité a enfreint son droit au respect à la vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention.

4. Le 15 décembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5. La société British American Tobacco (Germany) GmbH s’est vu accorder l’autorisation d’intervenir dans la procédure écrite (article 36 § 2 de la Convention et article 44 § 3 du règlement de la Cour).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6. Le requérant est né en 1954 et réside à Monaco.

A. La genèse de l’affaire

7. En 1998, le requérant eut, devant sa propriété de « Gut Calenberg », une altercation avec un cameraman, au cours de laquelle il frappa celui-ci avec un parapluie. En janvier 2000, la presse se fit l’écho d’une autre empoignade du requérant avec le gérant d’une discothèque sur l’île de Lamu, au large des côtes kenyanes, pour laquelle le requérant fut condamné par la suite pour coups et blessures.

8. Le 27 mars 2000, la société British-American Tobacco (Germany) GmbH (« la société ») lança une campagne publicitaire qui montra pendant dix jours, en pleine page dans des magazines et sur des affiches apposées à des arrêts de bus et à des endroits fortement fréquentés, une publicité qui montrait dans sa partie inférieure un paquet de cigarettes Lucky Strike, couché sur son côté le plus long et tout cabossé. Sur la partie supérieure, il était écrit en grandes lettres : « Etait-ce Ernst ? Ou August ? » Tout en bas de la publicité se trouvait la phrase « Lucky Strike. Sinon rien. » (« Lucky Strike. Sonst nichts. »). Cette campagne fut menée dans 18 villes et sur 6 364 lieux d’affichage, si bien qu’elle toucha environ 2,97 millions de personnes. Les médias en rendirent compte.

9. Le requérant demanda à la société commanditaire et à l’agence de communication ayant conçu la publicité de mettre fin à la campagne en question. L’agence s’y engagea par écrit, la société s’y refusa. Le requérant saisit dès lors le tribunal régional de Hambourg d’une demande en référé.

10. Le 31 mars 2000, le tribunal régional interdit provisoirement toute nouvelle diffusion de la publicité en cause et confirma cette interdiction le 14 avril 2000. Par la suite, la société déclara mettre un terme à cette publicité, mais refusa de rembourser les frais de mise en demeure du requérant.

11. Le 8 mars 2001, le requérant demanda à la société de lui payer 250 000 euros (EUR) à titre de dommages et intérêts. La société ne fit aucune réponse à cette demande.

B. Les décisions des tribunaux allemands

1. Le jugement du tribunal régional

12. Le 23 décembre 2003, le requérant saisit le tribunal régional de Hambourg d’une demande tendant à la condamnation de la société et de l’agence de communication ayant conçu la publicité à lui payer 100 000 EUR au titre d’une licence fictive (fiktive Lizenz) et au moins 500 EUR à titre de compensation pour la violation de son droit à la protection de la personnalité, ainsi qu’au remboursement de ses frais de mise en demeure.

13. Le 21 janvier 2005, le tribunal régional accueillit la demande du requérant quant à la licence fictive et aux frais et la rejeta quant à la compensation. Il rappela que, si chacun était en droit de décider s’il permettait ou non l’utilisation de son nom à des fins publicitaires, le droit (général) à la protection de la personnalité (allgemeines Persönlichkeitsrecht) protégeait contre l’utilisation illicite par des tiers du nom d’une personne, y compris dans le domaine de la publicité. Le tribunal régional releva ensuite que, certes, les prénoms « Ernst » et « August » étaient plutôt communs, mais que la combinaison des deux ne l’était pas. De plus, depuis sa liaison avec Caroline de Monaco, le requérant était connu d’un large public et le paquet de cigarettes cabossé constituait clairement une allusion à ses bagarres. Le tribunal rappela que la publicité était aussi protégée par la liberté d’expression dès lors qu’elle contribuait à la formation de l’opinion publique, ce qui, à ses yeux, était le cas de la publicité litigieuse. Il rappela également que les droits à la liberté d’expression et à la protection de la personnalité étaient tous deux protégés par la Loi fondamentale et qu’ils méritaient en principe un égal respect, et précisa que, lorsqu’il s’agissait de l’utilisation non consentie d’une personne à des fins publicitaires, le droit de la protection de la personnalité l’emportait en règle générale. Il ajouta que l’argument de la société, selon lequel le requérant avait lui-même créé, par ses altercations, l’événement utilisé pour la publicité, ne privait pas le requérant d’une protection mais influait sur le degré de l’ingérence et le degré de protection de la liberté d’expression. En résumé, le tribunal régional estima que la mise en balance des intérêts en jeu donnait plus de poids au droit à la protection de la personnalité du requérant qu’au droit à la liberté d’expression de la société dont la publicité contenait avant tout des éléments de divertissement et servait des fins commerciales.

14. En ce qui concernait le dommage matériel subi, le tribunal régional rappela que l’objectif d’une licence fictive était d’éviter que celui qui se servait d’une personne sans autorisation se trouve dans une position plus avantageuse que s’il avait obtenu le consentement de l’intéressé. Il expliqua que le montant d’une telle licence se calculait en fonction de la somme qui aurait été payée au titre d’honoraires raisonnables (angemessen). Prenant en compte notamment le degré de notoriété du requérant, les lieux d’affichage et les supports de publication de la publicité, mais aussi le fait que celle-ci s’était servie uniquement des prénoms du requérant, le tribunal régional fixa le montant du dommage matériel à 60 000 EUR. Il accorda aussi au requérant le remboursement des frais de mise en demeure puisque ceux-ci découlaient de l’action de la société et de l’agence.

15. En revanche, le tribunal régional n’accorda pas au requérant de compensation pour dommage moral au motif qu’il n’y avait pas eu d’ingérence grave dans son droit à la protection de la personnalité. Il souligna que l’intéressé avait publiquement frappé le cameraman et que la publicité n’avait fait que reprendre l’événement. Il ajouta que le caractère simplement moqueur de la publicité ne créait pas le besoin incontournable (unabwendbares Bedürfnis) d’accorder une compensation pécuniaire et que la réparation consistant en l’octroi d’une licence fictive devait être considérée comme suffisante.

2. L’arrêt de la cour d’appel

16. Le 15 mai 2007, la cour d’appel de Hambourg confirma pour l’essentiel le jugement du tribunal régional, l’infirmant uniquement en ce qui concernait le remboursement des frais de mise en demeure réclamé à la société.

17. La cour d’appel observa que la société et l’agence avaient interféré dans le droit du requérant à son nom, et ce sans l’autorisation de celui-ci. À cet égard, elle rappela que même si la publicité n’avait utilisé que les prénoms du requérant, ceux-ci étaient connus d’un large public en raison de la liaison du requérant avec la fille du Prince Rainier III de Monaco et des reportages répétés dans la presse sur les altercations du requérant en 1998 et 2000. Elle poursuivit que la société avait tiré un avantage patrimonial de l’utilisation des prénoms du requérant. Or, d’après la cour d’appel, dans des cas comme la présente affaire où la publicité en cause visait à l’accroissement de la notoriété et de la vente d’une marque de cigarettes, la liberté d’expression cédait en règle générale le pas au droit de la personnalité. Elle considéra que la publicité litigieuse ne contribuait que très peu, voire aucunement, à la formation de l’opinion publique, que, par ailleurs, les empoignades du requérant n’étaient ni un événement politique ni un événement de société, et qu’elles n’étaient exploitées qu’aux fins de divertir un public curieux des comportements de personnalités connues.

18. La cour d’appel indiqua en outre que la publicité en cause avait porté atteinte à la partie patrimoniale du droit à la protection de la personnalité en ce qu’elle avait privé le requérant de son droit de décider lui-même si et de quelle manière son nom pouvait être utilisé à des fins publicitaires. Elle considéra qu’à l’évidence la publicité ne donnait pas l’impression que le requérant s’identifiait avec le produit présenté ou qu’il prônait ses vertus, et qu’elle ne revêtait pas non plus un caractère offensant ou dégradant, mais que, dans le seul but d’augmenter la vente d’une marque de cigarettes, elle se moquait publiquement de l’intéressé en suggérant que celui-ci malmenait même des paquets de cigarettes.

19. En ce qui concernait le montant de la licence fictive, la cour d’appel rappela que l’utilisation non autorisée du nom d’une personne à des fins commerciales équivalait à l’utilisation illicite de l’image d’une personne et portait atteinte au volet patrimonial du droit à la protection de la personnalité. Elle estima que, en utilisant le nom du requérant sans son accord, la société et l’agence avaient montré qu’elles attachaient au nom du requérant une valeur économique. Elle considéra qu’elles étaient de ce fait tenues de verser au requérant la valeur correspondant à l’utilisation de son nom. Elle précisa que cette obligation existait indépendamment de la question de savoir si la personne visée aurait été prête ou non à donner son accord.

20. La cour d’appel déclara ensuite que la valeur de la licence fictive devait être déterminée librement en tenant compte de toutes les circonstances. Elle nota que la publicité litigieuse avait ceci de particulier qu’elle se moquait du requérant et qu’il n’y avait dès lors pas lieu de penser que le requérant l’aurait autorisée. Cependant, elle estima que le montant des honoraires convenus entre des sociétés de publicité et des personnalités connues qui avaient donné leur accord à l’utilisation de leur nom pouvait donner un ordre de grandeur dans la fixation du montant de la licence fictive. À cet égard, elle releva que la société figurait parmi les compagnies de tabac les plus importantes en Allemagne, et que la publicité litigieuse s’inscrivait dans le cadre d’une campagne publicitaire que la société avait lancée en 1989 et qui avait rencontré un succès considérable. Elle nota que la publicité en cause avait paru en pleine page dans plusieurs magazines à tirage national et, à partir du 27 mars 2000, également sous forme d’affiches apposées à des arrêts de bus et autres endroits fortement fréquentés. Soulignant enfin que le requérant était une personnalité connue, elle conclut que la campagne publicitaire avait donc capté l’attention du grand public, ce qui justifiait le montant accordé par le tribunal régional.

21. La cour d’appel autorisa le pourvoi en cassation au motif que la question de savoir si l’utilisation à des fins publicitaires du nom d’une personne connue était justifiée lorsque la publicité faisait référence à un événement de l’histoire contemporaine suscitant exclusivement ou presque un intérêt de divertissement n’avait pas encore été tranchée par la jurisprudence suprême et qu’elle nécessitait une décision de la Cour fédérale de justice afin qu’une jurisprudence uniforme fût développée et garantie.

3. L’arrêt de la Cour fédérale de justice

22. Le 5 juin 2008, la Cour fédérale de justice cassa l’arrêt de la cour d’appel (no I ZR 96/07). Elle considéra que les demandes du requérant n’étaient pas fondées au motif que la société et l’agence n’avaient pas porté atteinte de manière illicite au droit à la protection de la personnalité et au droit au nom du requérant, l’utilisation du nom de l’intéressé dans la publicité litigieuse étant couverte par le droit à la liberté d’expression garantie par l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale (voir « Le Droit et la pratique internes pertinents »). Tout en confirmant les constatations de la cour d’appel quant à l’existence d’une ingérence et à la possibilité d’octroyer une licence fictive en vertu du principe de l’enrichissement sans cause, la Haute juridiction estima que la cour d’appel n’avait pas suffisamment tenu compte du fait que les composantes patrimoniales du droit à la protection de la personnalité et du droit au nom n’étaient protégées que par la loi ordinaire alors que la liberté d’expression jouissait d’une protection par le droit constitutionnel.

23. La Cour fédérale de justice précisa d’emblée que le litige porté devant elle ne concernait plus que l’ingérence dans les composantes patrimoniales des droits invoqués, puisque l’allégation du requérant que la publicité avait aussi porté atteinte aux composantes morales de ses droits avait déjà été rejetée par le tribunal régional. Elle rappela que les droits à la protection de la personnalité faisaient partie des droits fondamentaux garantis par la Loi fondamentale dans la mesure où ils protégeaient des intérêts moraux, mais que les composantes patrimoniales n’étaient protégées que par le droit civil et qu’elles n’avaient dès lors pas priorité sur la liberté d’expression. Elle rappela aussi que la protection conférée par l’article 5 § 1 de la Loi fondamentale couvrait aussi la publicité dont le contenu contribuait à la formation de l’opinion publique, tout en précisant que tel n’était pas seulement le cas lorsque la publicité faisait référence à un événement politique ou historique, mais aussi lorsqu’elle répercutait des questions d’intérêt général. Par ailleurs, des reportages ayant un but divertissant pouvaient jouer eux aussi un rôle dans la formation de l’opinion, voire, dans certaines circonstances, stimuler ou influencer la formation de l’opinion plus que ne le feraient des informations strictement factuelles.

24. La Cour fédérale de justice releva que la publicité litigieuse reprenait d’une manière satirique et moqueuse les empoignades du requérant devant sa propriété de « Gut Calenberg » et sur l’île de Lamu. Elle nota que les médias avaient rendu compte de ces événements, en mentionnant le nom du requérant et en publiant des photos de celui-ci, parce qu’il existait un intérêt particulier du public à être informé sur ces faits en raison de la relation du requérant avec la fille du prince Rainier III de Monaco. La Cour fédérale de justice estima que, même si la société n’avait fait que reprendre, dans le cadre de sa campagne publicitaire, les empoignades du requérant, elle pouvait néanmoins invoquer la protection particulière de la liberté d’expression. Elle considéra que le fait que la publicité – en utilisant les prénoms du requérant et en faisant allusion à la propension de celui-ci à provoquer des bagarres – visait avant tout à accroître les ventes de la marque de cigarettes en captant l’attention du public ne signifiait pas, comme l’avait soutenu la cour d’appel, que le droit à la protection de la personnalité l’emportait d’une manière générale.

25. La Cour fédérale de justice poursuivit en ces termes :

« Lors de sa mise en balance, la cour d’appel n’a pas suffisamment pris en considération que n’était concernée en l’espèce que la protection des composantes patrimoniales du droit à la protection de la personnalité qui était fondée uniquement sur le droit civil et non sur le droit constitutionnel. Lorsqu’il s’agit d’ingérences dans les composantes patrimoniales du droit à la protection de la personnalité parce que le nom d’une personne connue a été utilisé dans une annonce publicitaire sans le consentement de celle-ci, on ne peut pas tout simplement (ohne weiteres) soutenir que le droit à la protection de la personnalité de l’intéressé l’emporte toujours sur le droit à la liberté d’expression du publicitaire. Il peut au contraire être indiqué de tolérer une atteinte au droit à la protection de la personnalité due à la mention du nom si, d’une part, la publicité fait allusion d’une manière moqueuse et satirique à un événement concernant l’intéressé et faisant l’objet de débats dans l’opinion publique et si, d’autre part, elle n’exploite pas l’image de marque (Imagewert) ou la valeur publicitaire (Werbewert) de l’intéressé en utilisant son nom, et si elle ne donne pas l’impression que l’intéressé s’identifie avec le produit présenté ou en prône la consommation (référence à l’arrêt de la Cour fédérale de justice du 26 octobre 2006, no I ZR 182/04). »

26. La Cour fédérale de justice estima que la publicité litigieuse ne donnait pas une telle impression. Celle-ci se bornait à rappeler les bagarres du requérant aux personnes qui en avaient déjà connaissance et que celles, en revanche, qui n’avaient pas entendu parler de ces événements n’étaient pas en mesure de comprendre le jeu de mots, d’autant que les événements n’étaient pas mentionnés mais suggérés d’une manière particulièrement astucieuse (pfiffig). Aux yeux de la Cour fédérale de justice, la publicité s’inscrivait donc dans le débat public portant sur le caractère belliqueux du requérant. Au-delà de l’allusion moqueuse et satirique aux événements déjà connus du public, elle serait dépourvue de contenu offensant ou sérieusement dégradant à l’égard du requérant. Dès lors qu’elle ne suggérait pas que le requérant s’identifiait d’une manière quelconque avec le produit présenté, il n’y aurait pas lieu de considérer que la publicité était dévalorisante pour le requérant du seul fait qu’il s’agissait d’une publicité pour des cigarettes. La Cour fédérale de justice conclut que l’intérêt du requérant de ne pas être mentionné dans la publicité sans son consentement pesait moins lourd que la liberté d’expression de la compagnie de tabac, et que le requérant ne pouvait dès lors prétendre au droit à une licence fictive ni au remboursement de ses frais de mise en demeure en l’absence d’une violation des composantes patrimoniales ou morales de son droit à la protection de la personnalité.

4. La décision de la Cour constitutionnelle fédérale

27. Le 6 avril 2009, la Cour constitutionnelle fédérale n’admit pas le recours constitutionnel du requérant (no 1 BvR 3141/08). Elle ne motiva pas sa décision.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

28. La Cour fédérale de justice a reconnu, dans un arrêt du 25 mai 1954 (no I ZR 311/53, le droit général à la protection de la personnalité en vertu des articles 1 § 1 (dignité de l’homme) et 2 § 1 (droit au libre épanouissement de la personnalité) de la Loi fondamentale. Le droit au nom est explicitement protégé par l’article 12 du code civil.

29. La liberté d’expression est garantie par l’article 5 de la Loi fondamentale, ainsi libellé :

« 1. Chacun a le droit d’exprimer et de diffuser librement son opinion par la parole, par l’écrit et par l’image et de s’informer sans entraves aux sources qui sont accessibles à tous. La liberté de la presse et la liberté d’informer par la radio, la télévision et le cinéma sont garanties. Il n’y a pas de censure.

2. Ces droits trouvent leurs limites dans les dispositions des lois générales, dans les dispositions légales sur la protection de la jeunesse et dans le droit au respect de l’honneur personnel (Recht der persönlichen Ehre). »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

30. Le requérant allègue que le refus de la Cour fédérale de justice de lui accorder une licence fictive en compensation de l’utilisation non autorisée de ses prénoms dans la publicité litigieuse a emporté violation de son droit au respect de sa vie privée tel que prévu par l’article 8 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...)

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire (..) à la protection des droits et libertés d’autrui. »

31. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

32. Le Gouvernement soutient que la demande du requérant ne tombe pas dans le champ d’application de l’article 8 de la Convention puisque sur la publicité litigieuse n’a figuré que les prénoms du requérant, des prénoms communs qui n’auraient pas permis à eux seuls d’établir un lien avec le requérant. Ce n’est que les altercations du requérant en 1998 et 2000 dont les médias avaient abondamment rendu compte et dont le requérant était d’ailleurs responsable, que celui était devenu connu d’un large public et aurait ainsi permis de faire un lien entre la publicité et lui. Auparavant, le public et les médias ne se seraient intéressés à la personne du requérant que parce que celui-ci était le mari de la princesse monégasque Caroline. Le Gouvernement affirme que le requérant pouvait uniquement demander, en se prévalant de l’article 8 de la Convention, à interdire de porter ces événements de nouveau à l’attention du public. Or le tribunal régional de Hambourg avait accueilli la demande du requérant tendant à interdire toute nouvelle diffusion de la publicité. D’après le Gouvernement, si l’article 8 protège la réputation d’une personne, il ne conférerait en revanche aucun droit à obtenir une compensation sous forme d’une licence fictive lorsque la personne, par son propre comportement, a porté elle-même atteinte à sa réputation.

33. Le requérant rétorque que le droit au respect de la vie privée comprend aussi le droit au nom et au prénom (référence entre autres à Von Hannover c. Allemagne, no 59320/00, CEDH 2004‑VI ; Mentzen c. Lettonie (déc.), no 71074/01, CEDH 2004‑XII, et Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, série A no 280‑B). Pour le requérant, l’applicabilité de l’article 8 de la Convention à la présente affaire ne ferait dès lors pas de doute.

34. La Cour rappelle que l’article 8 de la Convention ne contient pas de disposition explicite en matière de prénom. Cependant, en tant que moyen d’identification au sein de la famille et de la société, le prénom d’une personne concerne sa vie privée et familiale (Guillot c. France, 24 octobre 1996, § 21, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V ; Henry Kismoun c. France, no 32265/10, § 25, 5 décembre 2013 ; Mentzen précitée, avec les références qui s’y trouvent citées). La Cour relève en l’espèce que si, comme le soutient le Gouvernement, les prénoms du requérant sont courants, le fait que les deux prénoms étaient mentionnés au-dessus du paquet de cigarettes cabossé et que la publicité apparaissait peu après la deuxième altercation du requérant qui avait été largement commentée dans la presse, permettait d’établir un lien entre la publicité et le requérant. On ne saurait dès lors dire que le droit au respect de la vie privée du requérant n’a pas été touché.

35. La Cour estime dès lors que le présent grief tombe dans le champ d’application de l’article 8. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

36. Le Gouvernement est d’avis qu’il n’y a pas eu d’ingérence injustifiée dans le droit du requérant au respect de sa vie privée car celle-ci n’aurait pas eu la gravité nécessaire. En effet, d’après lui, la publicité en cause n’ayant utilisé ni le nom complet ni une photo du requérant, celui-ci n’aurait subi aucun préjudice matériel ni des conséquences physique ou psychique puisque la publicité n’aurait à aucun moment suggéré que le requérant fasse personnellement la publicité pour les cigarettes ou ait un lien avec celles-ci.

37. Le Gouvernement souligne que même à supposer l’existence d’une ingérence, l’ordre juridique allemand garantirait une protection suffisante. À cet égard il rappelle que la présente requête ne porte pas sur le droit du requérant à la cessation de la publicité (Unterlassungsansruch) que le tribunal régional avait reconnu et qui n’a dès lors pas fait l’objet de la procédure litigieuse. La question qui se pose ici ne serait pas celle de savoir si les juridictions allemandes devaient intervenir mais de quelle manière elles devaient le faire. Sur ce point le Gouvernement est d’avis que la possibilité, prévue par le droit allemand, d’introduire une action en cessation constitue une protection suffisante pour se défendre contre la publicité. Le requérant n’aurait en réalité pas cherché à être protégé contre la publicité, mais à en tirer un avantage pécuniaire que l’article 8 de la Convention ne garantirait cependant pas.

38. Le Gouvernement précise que le droit allemand ne prévoit pas que des actions en cessation en cas de violation du droit au respect de la vie privée, mais allouerait aussi des compensations pécuniaires dans certains cas. En l’espèce, la Cour fédérale de justice s’est penchée sur la question de savoir s’il y avait lieu d’allouer une licence fictive au requérant et a conclu, après avoir mis en balance les intérêts en jeu, que l’ingérence n’était pas suffisamment grave pour justifier l’octroi d’une telle licence et que la liberté d’expression de la société l’emportait. Ainsi, la Cour fédérale de justice a relevé que même des déclarations à but commercial étaient protégées par la liberté d’expression telle que garantie par la Loi fondamentale, que des contributions à visée divertissante pouvaient aussi contribuer à la formation de l’opinion du public, que l’ingérence n’était pas d’une gravité particulière car ni offensante ni méprisante, et que la publicité n’a induit aucune identification du requérant avec le produit commercialisé.

b) Le requérant

39. Le requérant affirme qu’il y ait bien eu ingérence injustifiée dans son droit au respect de la vie privée. Il ne chercherait pas, comme le suggère le Gouvernement, à se procurer un avantage financier, mais constate l’absence d’une protection de son droit à la vie privée. Il ne s’agirait dès lors pas de la question de savoir comment l’État doit intervenir, mais s’il existe une obligation pour l’État d’intervenir. Le requérant admet que le tribunal régional a rendu une injonction visant à interdire la campagne publicitaire que la société avait reconnue. Cependant, la Cour fédérale de justice aurait en fait annulé les effets de cette injonction en qualifiant la publicité conforme à la loi si bien que le requérant n’aurait même plus le droit à la cessation. Le requérant affirme que la société pourrait tout au contraire demander de lever l’injonction. Il conclut que l’injonction du tribunal régional n’était pas suffisante pour protéger son droit à la vie privée.

40. Le requérant poursuit que la Cour fédérale de justice en estimant que les composantes patrimoniales n’étaient protégés que par une loi ordinaire méconnaîtrait que l’article 8 de la Convention confère le droit à une personne de décider d’elle-même à qui et dans quelle mesure elle souhaite révéler à d’autres des informations à caractère personnel. La distinction opérée par la Cour fédérale de justice entre les composantes idéelles et patrimoniales du droit de la personnalité serait de toute manière artificielle car ce droit serait indivisible.

41. Le requérant affirme que la mise en balance faite par la Cour fédérale de justice était défectueuse puisque la Haute juridiction, à l’instar d’ailleurs de la Cour constitutionnelle fédérale, aurait donné une priorité automatique aux intérêts commerciaux de la société. Or la liberté d’expression jouerait un rôle crucial dans une société démocratique parce qu’elle rend possible l’échange d’idées permanent et non pas pour permettre aux sociétés commerciales d’augmenter leurs ventes par des publicités. La liberté d’expression ne protégerait les discours dans le domaine commercial que si ceux-ci contribuent à la formation de l’opinion publique, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. En effet, contrairement aux juridictions inférieures, la Cour fédérale de justice aurait méconnu que la publicité litigieuse, conçue pour le compte d’une compagnie de tabac multinationale, ne visait pas à communiquer au public une quelconque information sur un événement de l’histoire contemporaine signifiant, mais uniquement à attirer l’attention des consommateurs en vue d’augmenter la vente des cigarettes. Le requérant souligne que ses empoignades auxquelles la publicité faisait allusion ne faisaient pas partie des événements de l’histoire contemporaine, mais étaient des incidents banals qui se produisent quotidiennement. Par ailleurs, si la presse avait précédemment rendu compte de ces événements, c’était uniquement dans le but de satisfaire ses intérêts commerciaux et la curiosité de ses lecteurs voyeuristes.

42. En conclusion, le requérant relève qu’en reconnaissant à la publicité litigieuse une prétendue valeur de l’information pourtant plus qu’insignifiante, la Cour fédérale de justice a subordonné la protection du droit de la personnalité aux intérêts commerciaux et n’a ainsi pas respecté, contrairement aux critères établis par la jurisprudence de la Cour, l’obligation de faire une différence claire entre les informations qui contribuent à un débat dans une société démocratique et celles qui ne servent qu’à des fins de divertissement ou de publicité.

2. Observations de la tierce partie (British American Tobacco (Germany) GmbH)

43. La tierce partie soutient que le requérant n’est pas fondé de mettre en cause la distinction faite par la Cour fédérale de justice entre les composantes idéelles et patrimoniales du droit à la personnalité. Elle rappelle à ce propos que, devant les tribunaux internes, le requérant avait demandé des dommages-intérêts pour la violation des composantes idéelles de son droit à la personnalité, que le tribunal régional a rejeté cette demande et que le requérant n’a pas attaqué cette partie du jugement du tribunal régional.

La tierce partie poursuit que rien dans la jurisprudence de la Cour n’indique que des déclarations faites dans une publicité bénéficient d’une moindre protection que celles faites dans un autre contexte. L’arrêt litigieux de la Cour fédérale de justice serait conforme aux critères établis par la Cour dans son arrêt Axel Springer AG c. Allemagne ([GC], no 39954/08, 7 février 2012) et le requérant n’aurait pas fait valoir des raisons sérieuses pouvant amener la Cour à substituer son avis à celui de la Cour fédérale de justice. La tierce partie souligne que le point central de la présente affaire n’est pas de savoir si elle pouvait utiliser les prénoms du requérant sans le consentement de celui-ci, mais si elle avait le droit de commenter des événements d’actualité et le comportement du requérant impliqué dans ces événements. À son avis, il n’y a aucun doute qu’une société comme elle puisse faire de tels commentaires de la même façon que la presse.

3. L’appréciation de la Cour

44. La Cour rappelle que la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d’une définition exhaustive, qui recouvre l’intégrité physique et morale de la personne et peut donc englober de multiples aspects de l’identité d’un individu, tels le nom y compris le prénom (voir paragraphe 34 ci-dessus). Cette notion comprend les informations personnelles dont un individu peut légitimement attendre qu’elles ne soient pas publiées ou utilisées sans son consentement (Flinkkilä et autres c. Finlande, no 25576/04, § 75, 6 avril 2010 ; Saaristo et autres c. Finlande, no 184/06, § 61, 12 octobre 2010). La Cour estime que si la diffusion d’informations sur une personne en mentionnant le nom complet de celle-ci constitue régulièrement une ingérence dans le droit au respect de la vie privée de cette personne, l’utilisation non-consentie du seul prénom d’une personne peut, dans certains cas, aussi interférer avec la vie privée de celle‑ci. Tel est le cas, comme dans la présente affaire, lorsque les prénoms sont mentionnés, dans un contexte qui permet d’identifier la personne visée et lorsqu’ils sont utilisés à des fins publicitaires.

45. La Cour observe que le requérant ne se plaint pas d’une action de l’État, mais du manquement de celui-ci à le protéger contre l’utilisation non‑consentie de ses prénoms par la société. La présente requête appelle un examen du juste équilibre à ménager entre le droit du requérant au respect de sa vie privée sous l’angle des obligations positives qui incombent à l’État au regard de l’article 8 de la Convention, et la liberté d’expression de la société, garanti par l’article 10 de la Convention qui s’applique aussi à des déclarations faites dans le domaine commercial (markt intern Verlag GmbH et Klaus Beermann c. Allemagne, 20 novembre 1989, § 26, série A no 165) puisqu’il garantit la liberté d’expression à « toute personne », sans distinguer selon que le but poursuivi est ou non lucratif (Neij et Sunde Kolmisoppi c. Suède (déc.), no 40397/12, 19 février 2013).

46. Le choix des mesures propres à garantir l’observation de l’article 8 de la Convention dans les rapports interindividuels relève en principe de la marge d’appréciation des États contractants, que les obligations à la charge de l’État soient positives ou négatives. Cette marge d’appréciation est en principe la même que celle dont les États disposent sur le terrain de l’article 10 de la Convention pour juger de la nécessité et de l’ampleur d’une ingérence dans la liberté d’expression protégée par cet article (Von Hannover c. Allemagne (no 2), nos 40660/08 et 60641/08, § 106, 7 février 2012 précité, § 106 ; et Axel Springer AG précité, § 87). La Cour rappelle que dans le domaine commercial, la marge d’appréciation des États contractants est particulièrement large (Mouvement raëlien suisse c. Suisse [GC], no 16354/06, § 61, CEDH 2012 (extraits) ; Ashby Donald et autres c. France, no 36769/08, § 39, 10 janvier 2013).

47. Cette marge va toutefois de pair avec un contrôle européen portant à la fois sur la loi et les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. Dans l’exercice de son pouvoir de contrôle, la Cour n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions nationales, mais il lui incombe de vérifier, à la lumière de l’ensemble de l’affaire, si les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation se concilient avec les dispositions invoquées de la Convention. Si la mise en balance par les autorités nationales s’est faite dans le respect des critères établis par sa jurisprudence, il faut des raisons sérieuses pour qu’elle substitue son avis à celui des juridictions internes (MGN Limited c. Royaume-Uni, no 39401/04, §§ 150 et 155, 18 janvier 2011 ; Von Hannover (no2), précité, § 107; Lillo-Stenberg et Sæther c. Norvège, no 13258/09, §§ 33 et 44, 16 janvier 2014).

48. Dans ses arrêts Von Hannover (no 2) et Axel Springer AG précités, la Cour a résumé les critères pertinents pour la mise en balance du droit au respect de la vie privée et du droit à la liberté d’expression : la contribution à un débat d’intérêt général, la notoriété de la personne visée, l’objet du reportage, le comportement antérieure de la personne concernée, et le contenu, la forme et les répercussions de la publication (Von Hannover (no 2), précité, §§ 108-113 ; Axel Springer AG, précité, §§ 89-95 ; voir également Tănăsoaica c. Roumanie, no 3490/03, § 41, 19 juin 2012).

49. En ce qui concerne l’existence d’un débat d’intérêt général, la Cour note que les juridictions allemandes ont relevé que la publicité litigieuse avait trait à un thème d’intérêt public dans la mesure où elle reprenait, sur un mode humoristique, les empoignades récentes du requérant dont la presse avait rendu compte et dont celle survenue en 2000 a abouti à une condamnation pénale du requérant. La Cour peut admettre que la publicité, considérée dans ce contexte et en tant que satire – laquelle est une forme d’expression artistique et de commentaire social reconnue dans sa jurisprudence (voir Alves da Silva c. Portugal, no 41665/07, § 27, 20 octobre 2009 ; Eon c. France, no 26118/10, § 60, 14 mars 2013) –, a contribué, au moins dans une certaine mesure, à un débat d’intérêt général (voir, mutatis mutandis, Karhuvaara et Iltalehti c. Finlande, no 53678/00, § 45, CEDH 2004-X ; Von Hannover c. Allemagne (no 3), no 8772/10, § 52, 19 septembre 2013).

50. Pour ce qui est de la notoriété du requérant, la Cour note que les juridictions allemandes ont notamment relevé que, du fait de sa liaison avec la fille ainée du prince Rainier III de Monaco et de ses altercations commentées par la presse, le requérant était connu d’un large public. Par ailleurs, force est de constater que la société n’aurait manifestement pas utilisé ses prénoms si le requérant n’avait pas été suffisamment connu du public. La Cour en conclut que le requérant faisait partie des personnages publics qui ne peuvent pas prétendre de la même manière à une protection de leur droit au respect de leur vie privée que des personnes privées inconnues du public (Von Hannover (no 2), précité, § 110 ; Axel Springer AG, précité, § 91).

51. Quant à l’objet de la publicité en cause, la Cour note que celle-ci faisait allusion aux empoignades du requérant, c’est-à-dire à des événements qui avaient été commentés dans la presse et pour lequel, concernant l’altercation de 2000, le requérant avait été condamné pénalement. Elle relève que la publicité litigieuse s’est limitée à rappeler l’existence de ces événements, sans rapporter un quelconque détail de la vie privée du requérant.

52. En ce qui concerne le comportement antérieur du requérant, la Cour considère, prenant en compte, comme l’ont relevé les juridictions allemandes, la notoriété du requérant et ses altercations dont les médias s’étaient faits l’écho, que l’«espérance légitime» du requérant de voir sa vie privée effectivement protégée n’était plus que limitée (voir, mutatis mutandis, Hachette Filipacchi Associés (ICI PARIS) c. France, no 12268/03, § 53, 23 juillet 2009; Axel Springer AG précité, § 101).

53. Pour ce qui est du contenu, de la forme et des répercussions de la publicité, la Cour observe que les juridictions allemandes ont relevé que la publicité ne contenait pas d’éléments offensants ou dégradants à l’égard du requérant (cf. Hachette Filipacchi Associés (« ICI PARIS »), précité, § 54), n’était pas dévalorisante du seul fait qu’elle promouvait une marque de cigarettes, et ne suggérait pas non plus que le requérant s’identifiât d’une manière quelconque avec le produit présenté. Le Gouvernement précise à cet égard que la publicité n’aurait nullement suggéré que le requérant fasse personnellement la publicité pour les cigarettes ou ait un lien avec celles-ci.

54. La Cour relève que le fait de mettre le nom d’une personnalité en relation avec un produit commercialisé sans le consentement de celle-ci peut soulever des questions au regard de l’article 8 de la Convention, notamment lorsque le produit présenté n’est pas accepté socialement ou qu’il donne lieu à des interrogations éthiques ou morales sérieuses. Dans la présente affaire, elle peut cependant souscrire aux conclusions des juridictions nationales, eu notamment égard au caractère satirique de la publicité en cause. Celle-ci s’inscrivait d’ailleurs dans une campagne publicitaire de la société qui cherchait à faire un lien humoristique entre la représentation d’un paquet de sa marque de cigarettes et un événement d’actualité impliquant une personne connue du public (voir, p. ex., Bohlen c. Allemagne, no 53495/09, 19 février 2015). Par ailleurs, comme l’a relevé la Cour fédérale de justice, il n’y avait qu’un nombre restreint de personnes qui avaient été en mesure de faire le lien entre la publicité et le requérant, à savoir les personnes qui avaient entendu parler des bagarres du requérant, d’autant que celles-ci n’étaient pas mentionnées dans la publicité litigieuse mais suggérées d’une manière astucieuse.

55. Le requérant affirme en particulier que la Cour fédérale de justice l’a débouté de sa demande avant tout parce que la liberté d’expression de la société jouissait d’une protection juridique plus élevée que son droit au respect de la vie privée. La Haute juridiction n’aurait de ce fait pas procédé à une véritable mise en balance digne de ce nom. Le Gouvernement soutient que la Cour fédérale de justice a procédé à une mise en balance lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir s’il y avait lieu d’octroyer au requérant la licence réclamée.

56. La Cour note que certains passages de l’arrêt de la Cour fédérale de justice semblent suggérer que, du seul fait de son ancrage dans le droit constitutionnel, la liberté d’expression de la société revêtait dans la présente affaire plus de poids que le droit à la protection de la personnalité et le droit au nom du requérant qui n’étaient protégés que par une loi ordinaire. Elle observe que la Cour fédérale de justice semble avoir opposé ce principe de protection échelonné aux conclusions de la cour d’appel qui, elle, avait soutenu que le droit à la protection de la personnalité l’emportait toujours sur le droit à la liberté d’expression du publicitaire dans de tels cas (voir paragraphe 24 ci-dessus).

57. La Cour rappelle qu’elle n’a pas pour tâche d’examiner la législation interne ou la pratique nationale pertinente dans l’abstrait, mais doit se pencher sur la manière dont celles-ci ont été appliquées au requérant dans le cas d’espèce (voir Von Hannover (no 2), précité, § 116 ; Karhuvaara et Iltalehti précité, § 49; et, mutatis mutandis, Elsholz c. Allemagne [GC], no 25735/94, § 59, CEDH 2000‑VIII). À cet égard, elle note d’emblée que la Cour fédérale de justice a précisé que seules les composantes patrimoniales du droit à la personnalité jouissaient d’une protection par la loi ordinaire alors que les droits à la protection de la personnalité faisaient partie des droits fondamentaux garantis par le droit constitutionnel dans la mesure où ils protégeaient des intérêts moraux. La Cour relève en outre que la Cour fédérale de justice a pris en considération les circonstances de l’affaire, à savoir la nature à la fois commerciale et humoristique de la publicité en cause, la notoriété du requérant du fait notamment de sa liaison avec la princesse Caroline von Hannover, et l’absence d’éléments dégradants ou offensants à l’égard du requérant ou son image de marque.

58. Aux yeux de la Cour, la Cour fédérale de justice a donc procédé à une mise en balance circonstanciée des droits concurrents en jeu et a conclu que, dans les circonstances de l’affaire devant elle, il y avait lieu d’accorder la priorité à la liberté d’expression de la société et de refuser d’octroyer une licence fictive au requérant qui avait déjà obtenu l’injonction du tribunal régional obligeant la société à ne plus diffuser la publicité litigieuse.

59. Dans ces conditions, et eu égard à l’ample marge d’appréciation dont les juridictions nationales disposent en la matière (paragraphe 46 ci-dessus) lorsqu’elles mettent en balance des intérêts divergents, la Cour conclut que la Cour fédérale de justice n’a pas manqué à ses obligations positives à l’égard du requérant au titre de l’article 8 de la Convention. Partant il n’y a pas eu violation de cette disposition.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

60. Le requérant estime que le refus de la Cour fédérale de justice de lui accorder la licence fictive réclamée constitue aussi une violation de son droit à la propriété, au sens de l’article 1 du Protocole no 1 ainsi libellé :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

61. Le Gouvernement soutient que le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1 n’est pas ouvert car la publicité n’a fait que créer un lien entre deux prénoms répandus et communs et des événements dont le requérant était lui-même responsable. Un tel lien indirect ne saurait être reconnu comme un droit patrimonial. Le Gouvernement poursuit que la licence fictive réclamée par le requérant ne constitue pas un droit patrimonial protégé par l’article 1 du Protocole no 1 car la Cour fédérale de justice en tant que juridiction civile suprême a précisément constaté que cette créance ne revenait pas au requérant. Il ajoute qu’à supposer même qu’il y ait eu ingérence dans un droit du requérant reconnu par l’article 1 du Protocole no 1, cette ingérence était justifiée pour les raisons exposées dans les observations concernant l’article 8 de la Convention.

62. Le requérant soutient notamment que les composants patrimoniaux du droit à la personnalité sont protégés par l’article 1 du Protocole no 1 car ils permettraient d’exploiter financièrement le droit à la personnalité en autorisant l’ingérence dans ce droit contre paiement d’une rémunération. D’après lui, chaque personne doit pouvoir décider si oui ou non elle souhaite permettre à un tiers de se servir d’elle à des fins publicitaires, compte notamment tenu de l’importance économique considérable que revêtent les publicités qui utilisaient des noms ou des images, comparables aux valeurs des marques. Le requérant conclut que permettre à des tiers de se servir de sa personne à des fins publicitaires sans avoir obtenu son accord et sans lui payer une compensation s’analyserait en une ingérence massive dans son droit à la propriété.

63. La tierce partie estime que, contrairement à la propriété intellectuelle (Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, §§ 66-72, CEDH 2007‑I), les aspects patrimoniaux du droit à la vie privée ne constituent pas un droit protégé par l’article 1 du Protocole no 1. De toute manière, à supposer même l’existence d’une ingérence dans cette disposition, celle-ci serait justifiée pour les mêmes raisons exposées concernant l’article 8 de la Convention.

64. La Cour relève qu’elle n’est pas appelée à trancher la question de savoir si le requérant pouvait prétendre à une licence fictive au regard du droit interne, tel qu’interprété par les tribunaux allemands, et notamment par la Cour fédérale de justice. Elle considère en effet qu’à supposer même qu’une ingérence dans un droit à la propriété du requérant existait, elle aurait de toute manière été justifiée pour les raisons exposées concernant l’article 8 de la Convention.

65. Il s’ensuit que ce grief est manifestement mal fondé et doit être rejeté en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, à l’unanimité, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention et, à la majorité, le restant de la requête irrecevable;

2. Dit, par six voix contre une, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 19 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Zupančič.

M.V.
C.W.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE ZUPANČIČ

(Traduction)

Je regrette de ne pas pouvoir me rallier à la majorité dans cette affaire. Je pense en effet que les tribunaux allemands inférieurs à la Cour fédérale de justice avaient dans une large mesure une perception plus juste de l’affaire.

L’annulation de leurs décisions n’est en rien convaincante à mes yeux.

Au cœur de la controverse, telle que définie par la Cour fédérale de justice allemande (§ 24 de l’arrêt de la majorité), se trouve la hiérarchie à établir entre les droits de la personnalité (Persönlichkeitsrecht) de M. von Hannover et la liberté d’expression.

Les règles allemandes régissant les droits de la personnalité de M. von Hannover ont comme pendant international l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (« la Convention »). Par conséquent, dire que l’ordre juridique allemand les place en dessous de la protection constitutionnelle de la liberté d’expression a peut-être un sens au sein de cet ordre – même si je trouve pareille opinion extrêmement formaliste –, mais cela n’est manifestement pas vrai sur le plan international. Il ne peut y avoir de primauté a priori de la liberté d’expression sur les droits de la personnalité garantis par l’article 8 de la Convention.

Certes, la Cour fédérale de justice a évoqué l’aspect patrimonial, c’est‑à‑dire les dommages-intérêts pour la violation des droits de la personnalité de M. von Hannover. Elle a dit que c’était cet élément indemnitaire qui ne pouvait être mis sur le même pied que la protection constitutionnelle de la liberté d’expression. Je trouve cela surprenant. Comment peut-on séparer le remedium (en l’occurrence l’indemnisation pour violation des droits de la personnalité) du droit lui-même ? Le droit et le remedium sont les deux facettes du même concept.

De plus, ce qu’implique la publicité en question est suffisamment clair. Elle insinue que c’était M. von Hannover lui-même qui avait cabossé le paquet de cigarettes « Lucky Strike ». Le message demande de manière moqueuse « Était-ce Ernst ? Ou August ? », suggérant bien sûr que c’était une seule et même personne, c’est-à-dire Ernst August. L’allusion sarcastique est que M. von Hannover est une personne violente, responsable du paquet abîmé de cigarettes « Lucky Strike ». Le message n’est même pas subliminal ; il est péremptoire et évocateur.

De surcroît, nous parlons ici de la liberté d’expression de la British Tobacco Company en train de railler M. von Hannover à des fins purement et manifestement commerciales.

Par ailleurs, il n’y a dans ce message de marchand de tabac aucune vertu rédemptrice. Ce n’est pas un message qui aurait une quelconque finalité sociale, sauf à considérer que fumer des cigarettes soit cette vertu sociale rédemptrice.

Au contraire, dans le contexte social très honorable de la lutte contre le tabagisme – un but social reconnu ! –, la publicité pour le tabac n’est certainement pas un domaine relevant de la protection de la liberté d’expression. À mon avis, ce serait vrai en principe même indépendamment des doléances de M. von Hannover.

Demain, nous pourrions être saisis d’une affaire dans laquelle les restrictions imposées par les États membres à la publicité pour le tabac seront contestées au nom de la liberté d’expression. Les affaires concernant MM. Bohlen et von Hannover pourraient alors être citées à titre de précédents pertinents.

Il est compréhensible que M. von Hannover se soit senti blessé et ait protesté contre l’utilisation abusive de son nom dans une opération de promotion du tabagisme.

Comme je l’ai déjà écrit dans mon opinion concordante en l’affaire [von Hannover c. Allemagne](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/pages/search.aspx?i=001-61853) (requête no [59320/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B%22appno%22:%5B%2259320/00%22%5D%7D)), celui qui vit dans une maison de verre n’a guère le droit de jeter des pierres :

« Si j’estime que les distinctions qu’opère le système juridique allemand entre les différents niveaux d’exposition admissibles relèvent trop de la jurisprudence conceptuelle (Begriffsjurisprudenz), je considère que le critère de mise en balance entre le droit du public à savoir, d’une part, et le droit à l’intimité de la vie privée de la personne concernée, d’autre part, doit être appliqué de manière adéquate. Celui qui monte volontairement sur la scène publique ne peut prétendre être une personne privée ayant droit à l’anonymat. Les membres des familles royales, les acteurs, les universitaires, les hommes politiques, etc., accomplissent leurs tâches de manière publique. Ils peuvent ne pas rechercher la publicité mais, par définition, leur image est, dans une certaine mesure, propriété publique.

J’entends ici me concentrer non pas tellement sur le droit du public à savoir – ce droit s’applique d’abord et avant tout à la question de la liberté de la presse et à la doctrine constitutionnelle y relative – mais plutôt sur le simple fait qu’il n’est pas possible de séparer par un rideau de fer la vie privée de l’accomplissement de tâches publiques. Vivre parfaitement incognito est le privilège de Robinson ; en ce qui concerne le commun des mortels, chacun suscite, dans une mesure plus ou moins grande, l’intérêt d’autrui.

Le droit à l’intimité de la vie privée, par contre, est le droit à ne pas être importuné. Chacun peut prétendre ne pas être importuné pour autant précisément que sa vie privée ne s’entrecroise pas avec la vie privée d’autrui. À leur manière, les notions juridiques telles que la calomnie, la diffamation, etc., attestent de ce droit et des barrières interdisant à autrui d’y porter atteinte. La doctrine du droit de la personnalité que connaît le droit privé allemand consacre un cercle concentrique plus large de vie privée protégée. (...) La doctrine du droit de la personnalité consacre un niveau plus élevé de civilisation dans les relations interpersonnelles.

Il est temps que le balancier revienne à un type d’équilibre différent entre ce qui est privé et protégé et ce qui est public et non protégé.

La question en l’espèce consiste à savoir comment on peut assurer et apprécier cet équilibre. (...) Je [préconiserais] un critère différent : celui [que la Cour] a utilisé dans son arrêt Halford c. Royaume-Uni du 25 juin 1997 (Recueil des arrêts et décisions 1997-III), où elle s’est demandé si la personne concernée « pouvait raisonnablement croire au caractère privé » des appels en cause.

Le contexte de la procédure pénale et l’utilisation de preuves obtenues en violation du principe de protection des éléments que l’on peut raisonnablement croire de nature privée dans l’affaire Halford n’empêchent pas la Cour de faire usage du même critère dans les affaires telles que la présente. La question de savoir si la requérante en l’espèce était ou non une personnalité publique cesse alors d’exister ; le critère proposé, qui vise à déterminer si la personne s’estimant victime d’une atteinte à sa vie privée pouvait raisonnablement croire au caractère privé de la situation litigieuse autorise une approche nuancée dans chaque nouvelle affaire. (...)

Il faut bien sûr éviter ici le raisonnement circulaire. Le caractère « raisonnable » de la croyance à la nature privée d’une situation pourrait se réduire au critère de mise en balance précité. Mais invoquer le caractère raisonnable d’une croyance, c’est aussi faire appel au sens commun éclairé, qui nous dit que celui qui vit dans une maison de verre n’a guère le droit de jeter des pierres. »

Cependant, la Cour fédérale de justice va trop loin lorsqu’elle dit que M. von Hannover, en raison de son caractère belliqueux, méritait cette publicité négative « particulièrement astucieuse » (pfiffig) (§ 26 de l’arrêt), tout en ajoutant dans le même temps que, parce qu’il ne s’agit « que » d’une publicité pour des cigarettes, le message n’est pas offensant au regard de ses droits de la personnalité.


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-152254
Date de la décision : 19/02/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8 - Obligations positives;Article 8-1 - Respect de la vie privée)

Parties
Demandeurs : ERNST AUGUST VON HANNOVER
Défendeurs : ALLEMAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PRINZ M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award