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10/02/2015 | CEDH | N°001-152389

CEDH | CEDH, AFFAIRE S.C. c. ROUMANIE, 2015, 001-152389


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE S.C. c. ROUMANIE

(Requête no 9356/11)

ARRÊT

STRASBOURG

10 février 2015

DÉFINITIF

10/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire S.C. c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos, r>Johannes Silvis,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 janvier ...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE S.C. c. ROUMANIE

(Requête no 9356/11)

ARRÊT

STRASBOURG

10 février 2015

DÉFINITIF

10/05/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire S.C. c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
Johannes Silvis,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 20 janvier 2015,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 9356/11) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant turc, M. S.C. (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 février 2011 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement de la Cour – « le règlement »).

2. Le requérant a été représenté par Me E. Bozai, avocate à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par ses agentes, Mmes I. Cambrea et C. Brumar, du Ministère des affaires étrangères.

3. Le requérant allègue en particulier que sa privation de liberté a été irrégulière et qu’il n’a pas bénéficié au niveau interne des garanties pour contester son éloignement du territoire, en méconnaissance selon lui de l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention.

4. Par une télécopie du 10 février 2011, le requérant a demandé à la Cour d’intervenir auprès du gouvernement roumain afin que ce dernier suspende provisoirement, en application de l’article 39 du règlement, toute mesure d’éloignement du territoire.

5. Par une décision du 15 février 2011, le président de la section a décidé, eu égard aux circonstances, de ne pas indiquer au gouvernement roumain de prendre la mesure provisoire sollicitée par l’intéressé.

6. Le 6 mars 2012, la requête a été déclarée partiellement irrecevable et les griefs tirés de l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention ont été communiqués au Gouvernement.

7. Le gouvernement turc, auquel une copie de la requête a été communiquée en vertu de l’article 44 § 1 a) du règlement, n’a pas souhaité présenter son point de vue sur l’affaire.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

8. Le requérant est né en 1982 et réside à Manisa (Turquie).

A. Le contexte de l’affaire

9. À partir des années 2000, le requérant devint successivement sympathisant des partis turcs suivants : le Parti de la démocratie du peuple, le Parti de l’assemblée démocratique et le Parti démocratique du peuple (« DEHAP »).

10. En 2003, le requérant fut condamné en Turquie à une peine de prison pour des infractions liées à des activités jugées comme terroristes et considérées comme en rapport avec le PKK, à savoir pour avoir encouragé des jeunes à s’enrôler dans les troupes de la guérilla. Il exécuta sa peine de 2003 à 2005.

11. Par un jugement du 14 décembre 2007, le tribunal de première instance d’Istanbul condamna le requérant à une peine de six ans et trois mois de prison, pour avoir envoyé des jeunes rejoindre les troupes de la guérilla. Selon l’intéressé, ce jugement a été confirmé par la Cour suprême d’Ankara dans un arrêt du 30 mars 2010. Le requérant n’a soumis à la Cour ni ce dernier arrêt ni les décisions par lesquelles il avait été condamné en 2003 et en 2007.

B. Les entrées du requérant en Roumanie

12. Le 22 septembre 2008, le requérant entra en Roumanie en se prévalant d’un visa de travail. Le 2 décembre 2008, l’Office roumain pour l’immigration (« l’ORI ») rendit une décision ordonnant le retour du requérant vers la Turquie. Deux semaines plus tard, le requérant quitta la Roumanie pour la Turquie, sans demander l’asile.

13. Le 16 juin 2009, le consulat roumain d’Ankara délivra au requérant un visa de cinq jours pour transiter par la Roumanie vers la République de Moldova. Le 27 juin 2009, le requérant entra en Roumanie en se prévalant de ce visa de transit.

C. La demande d’asile du requérant

14. Le 1er juillet 2009, le requérant déposa une demande d’asile devant l’ORI. Le 16 juillet 2009, il eut un entretien avec un officier de l’ORI, en présence d’un interprète de langue kurde. Lors de l’entretien, il refusa la présence d’un avocat.

15. Par une décision du 31 juillet 2009, l’ORI rejeta la demande d’asile de l’intéressé. Après avoir noté que les allégations de ce dernier concernant ses condamnations pénales constituaient un élément important à prendre en considération pour décider du bien-fondé de la demande, l’ORI considéra que, dans l’ensemble, les déclarations du requérant manquaient de crédibilité. Il nota à cet égard les déclarations successives contradictoires de l’intéressé quant à la date de sa première condamnation et à celle de l’exécution de sa peine, quant à l’existence de son casier judiciaire, quant à sa situation familiale et quant à ses affinités politiques avec le DEHAP. L’ORI souligna que l’intéressé n’avait rencontré aucune difficulté pour quitter la Turquie, pour se voir délivrer un passeport et pour obtenir des visas, malgré son casier judiciaire et la procédure pénale pendante à son encontre. Après avoir cité des documents internationaux sur la situation des personnes persécutées dans le pays d’origine, l’ORI conclut que la demande était mal fondée.

16. Le requérant contesta cette décision devant le tribunal de première instance de Bucarest (« le tribunal de première instance »). Par un jugement du 28 mai 2010, le tribunal de première instance rejeta la contestation du requérant. Sur recours du requérant, par un arrêt définitif du 14 février 2011, le tribunal départemental de Bucarest confirma le bien-fondé du jugement rendu en première instance.

D. La procédure aux fins de déclaration du requérant comme personne indésirable et de placement dans un centre pour les étrangers

17. Le 24 août 2010, le Service roumain de renseignements (« le SRI ») soumit au parquet près la cour d’appel de Bucarest (« le parquet ») une proposition visant à la déclaration du requérant comme personne indésirable et à son interdiction de séjour en Roumanie pour une période de quinze ans, au motif que des informations sérieuses indiquaient que l’intéressé menait des activités de nature à mettre en danger la sécurité nationale. Le SRI fonda sa demande sur des documents et renseignements présentés au parquet classés secret d’État de niveau « top secret » (strict secret).

18. Par une décision rendue le même jour, le parquet saisit la cour d’appel de Bucarest (« la cour d’appel ») d’une demande de déclaration du requérant comme personne indésirable pour une période de quinze ans, pour des raisons liées à la sécurité nationale. Il fonda sa demande sur l’article 3 i) et l) de la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale (« la loi no 51/1991 »), sur l’article 44 de la loi no 535/2004 sur la prévention et la lutte contre le terrorisme (« la loi no 535/2004 ») et sur l’article 147 de l’ordonnance d’urgence du gouvernement no 194 du 12 décembre 2002 sur le régime des étrangers en Roumanie (« l’OUG no 194/2002 »). Il demanda également que la garde de l’intéressé soit confiée aux autorités publiques (plasarea în custodie publică). Le parquet indiquait qu’il ressortait des documents mis à sa disposition par le SRI que le requérant avait mené des activités ayant pour objectif de favoriser des activités terroristes.

1. La procédure devant la cour d’appel

19. Les documents classés secret d’État de niveau « top secret » fournis par le SRI, à l’appui de sa demande, au parquet furent versés au dossier de l’affaire pour que la cour d’appel puisse les examiner. Le requérant n’eut pas accès à ces documents. L’ORI fut cité à comparaître dans la procédure en tant que partie défenderesse.

20. Le 24 août 2010, une citation à comparaître à une audience fixée au 25 août 2010 à 11 heures devant la cour d’appel, rédigée en roumain, fut délivrée au requérant. L’intéressé, qui se trouvait dans un centre pour demandeurs d’asile de Bucarest, signa ce document.

21. Le requérant ne se présenta pas à l’audience du 25 août 2010 devant la cour d’appel, et il ne déposa pas de mémoire en défense.

22. Lors de cette audience, le parquet présenta oralement les faits reprochés au requérant, à savoir qu’il ressortait des documents fournis par le SRI que l’intéressé, ayant été condamné en Turquie à trois ans de prison du chef d’appartenance à des formations terroristes, était lié à des activités terroristes. Le parquet indiqua également que les activités du requérant étaient de nature à mettre en danger la sécurité nationale et que l’intéressé était d’ailleurs surveillé par les organes spécialisés en la matière.

23. Par un arrêt du 25 août 2010, la cour d’appel fit droit à la demande du parquet, déclara le requérant indésirable pour une période de quinze ans et ordonna son placement dans un centre spécial jusqu’à l’exécution de la décision. La cour d’appel reprit dans la partie introductive de son arrêt les faits reprochés au requérant par le parquet (paragraphe 22 ci-dessus). Après avoir noté que la demande d’asile du requérant avait d’abord été rejetée par le tribunal de première instance et qu’un pourvoi en recours était pendant, la cour d’appel s’exprima dans les termes suivants :

« En examinant les renseignements communiqués par le SRI, classés secret d’État de niveau "top secret", la cour constate que ceux-ci prouvent que le citoyen étranger mène des activités qui sont de nature à mettre en danger la sûreté nationale ».

24. La cour d’appel cita ensuite intégralement les textes de l’article 3 i) et l) de la loi no 51/1991, de l’article 44 de la loi no 535/2004, de l’article 147 de l’OUG no 194/2002 et de l’article 32 de la loi no 46/1991 portant adhésion de la Roumanie à la Convention sur le statut des réfugiés. La cour d’appel conclut ainsi :

« Compte tenu de ce qui précède et eu égard à l’article 85 alinéa 5 de l’OUG no 194/2002 selon lequel, lorsque l’étranger est déclaré indésirable pour des raisons liées à la sécurité nationale, la décision ne mentionne pas les données et les informations qui justifient cette mesure, la cour d’appel fait droit à la demande [du parquet] et déclare le citoyen turc S.C. (...) personne indésirable pour une période de quinze ans.

La cour d’appel confie la garde du citoyen étranger aux autorités publiques, en application de l’article 97 alinéa 4 de l’OUG no 194/2002 (...), jusqu’à l’exécution de cette décision, dans les conditions prévues par l’article 85 alinéa 8 [de la même ordonnance]».

25. La cour d’appel indiqua dans son arrêt que celui-ci était susceptible d’un pourvoi en recours dans un délai de quinze jours à partir de sa communication.

26. Le même jour, après le prononcé de l’arrêt, un officier spécialisé se déplaça au centre pour les demandeurs d’asile où le requérant était logé pour lui communiquer l’arrêt. Ne trouvant pas le requérant, l’officier afficha l’arrêt dans le centre, conformément aux normes légales en la matière.

27. Le même jour, à 14 heures, le requérant fut interpellé en ville et il fut conduit au siège de l’ORI pour vérification de son identité. À 17 heures, l’ORI transféra le requérant au centre pour les étrangers d’Otopeni. L’ORI rendit une première décision, rédigée en anglais et en roumain, lors du placement du requérant dans le centre. Cette décision informait l’intéressé que la cour d’appel l’avait déclaré personne indésirable par un arrêt du 25 août 2010, que son droit de rester (dreptul de sedere) en Roumanie avait pris fin le même jour et que, sur le fondement de l’article 85 § 8 de l’OUG no 194/2002, les agents de l’ORI procéderaient à son éloignement du territoire sous escorte. Par une autre décision rédigée le même jour également en anglais et en roumain, l’ORI informa le requérant que sa garde avait été confiée aux autorités, conformément à l’article 97 alinéas 1 et 4 de l’OUG no 194/2002, et que cette mesure pouvait être prolongée tous les trente jours et être contestée dans un délai de dix jours à partir de la communication.

2. La procédure devant la Haute Cour de cassation et de justice

28. Le 25 octobre 2010, le requérant mandata une avocate pour le représenter dans la procédure. Le même jour, à la demande de cette avocate, l’arrêt du 25 août 2010 fut communiqué à l’intéressé.

29. Le 29 octobre 2010, le requérant, représenté par son avocate, forma un recours devant la Haute Cour de cassation et de justice (« la Haute Cour ») contre l’arrêt du 25 août 2010 susmentionné. Il indiquait que l’arrêt précité ne lui avait pas été communiqué, et il demandait la réouverture du délai légal pour former son pourvoi en recours.

30. La Haute Cour rouvrit le délai aux fins d’introduction d’un pourvoi en recours aux motifs que l’arrêt contesté avait été communiqué par affichage au requérant et qu’il n’y avait pas de preuves que ce dernier avait effectivement reçu communication de cet arrêt.

31. Pour l’audience fixée au 11 novembre 2010, le requérant demanda l’ajournement de l’affaire afin que son avocate puisse faire une demande d’accès aux documents classés du dossier devant l’Office du registre national des informations classées secret d’État (« l’ORNISS »). Il indiqua également qu’il avait besoin de temps pour se procurer la décision interne définitive rendue contre lui en Turquie, et ce afin de prouver qu’il avait été condamné pénalement pour avoir soutenu une organisation terroriste et non pour en avoir été membre.

32. Dans ses moyens de pourvoi en recours, le requérant indiqua également qu’il avait été cité à comparaître devant la cour d’appel par une note écrite en roumain, précisant qu’il ne connaissait pas cette langue, et que c’était pour cette raison qu’il ne s’était pas présenté bien que le document eût été une citation. Il indiqua ensuite que, pendant la procédure, il n’avait pas bénéficié de garanties suffisantes contre l’arbitraire, étant donné qu’il n’avait pas eu accès aux documents soumis par le parquet à la cour d’appel et que, à ses dires, la décision de cette dernière juridiction n’était aucunement motivée. Il soutint que sa privation de liberté était irrégulière. Il indiqua comme dernier argument de son pourvoi en recours que, « [par la remise de] [s]a garde (...) aux autorités afin de [procéder à] son éloignement du territoire, il y avait eu méconnaissance de l’article 5 § 1 f) de la Convention ».

33. Le requérant saisit en même temps la Haute Cour d’une demande de sursis à l’exécution de l’arrêt du 25 août 2010 contesté jusqu’à ce qu’il soit statué sur son pourvoi en recours. Il indiquait qu’il devrait exécuter une peine de prison à son retour en Turquie, et il alléguait que, de manière générale, les détenus appartenant à la minorité kurde étaient maltraités en prison, et ce, à ses dires, sans aucune sanction des gardiens qu’il qualifiait d’agresseurs.

34. Par un arrêt définitif du 11 novembre 2010, la Haute Cour rejeta d’abord la demande du requérant d’ajournement de l’affaire, au motif que les affaires portant sur la déclaration d’un étranger comme personne indésirable devaient être jugées en urgence. Elle souligna que l’avocate du requérant avait été mandatée depuis le 25 octobre 2010 pour le représenter dans l’affaire et qu’elle avait donc bénéficié du temps utile pour faire les démarches nécessaires devant l’ORNISS.

35. Par le même arrêt, la Haute Cour rejeta le pourvoi en recours du requérant comme mal fondé. Après avoir noté que l’intéressé avait été légalement cité à comparaître, elle considéra que la cour d’appel avait fait une application correcte des dispositions légales applicables en l’espèce. Elle jugea que, malgré la demande d’asile en cours, le requérant pouvait être déclaré personne indésirable dès lors que des éléments liés à la sécurité nationale étaient en jeu. Elle souligna que les dispositions de la loi no 122/2006 sur le droit d’asile en Roumanie ne pouvaient pas être appliquées en priorité lorsque des raisons liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public imposaient l’éloignement d’un étranger du territoire, précisant que tel était le cas en l’espèce. Enfin, elle rejeta la demande de sursis à l’exécution de l’arrêt du 25 août 2010 comme étant sans objet.

36. Après le prononcé de l’arrêt, le requérant resta enfermé dans le centre pour les étrangers d’Otopeni jusqu’au 17 mai 2011, date à laquelle il fut transféré vers la Turquie à 8 h 20.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

37. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la loi no 122/2006 sur l’asile en Roumanie, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

Article 10

« Toutes les données et [tous] les renseignements concernant la demande d’asile sont confidentiels. L’obligation de respecter la confidentialité s’impose à toutes les autorités, aux organisations qui mènent des activités liées à l’asile ou aux personnes impliquées dans la procédure d’asile ou qui entrent en possession de tels documents de manière occasionnelle. »

Article 17

« 1. Pendant la procédure d’asile, l’étranger qui sollicite une forme de protection a les droits suivants :

a) [le droit] de rester sur le territoire de la Roumanie jusqu’à l’expiration d’un délai de quinze jours après la finalisation de la procédure d’asile (...) ;

7. La procédure d’asile prévue au premier alinéa est finalisée (...) à la date du prononcé de la décision de la juridiction de recours. »

38. Les dispositions pertinentes en l’espèce de l’OUG no 194/2002 sur le régime des étrangers en Roumanie, telles qu’en vigueur à l’époque des faits, étaient ainsi libellées :

Article 85 - La déclaration d’un étranger comme personne indésirable

« 1. La déclaration qu’un étranger est indésirable est une mesure prise à l’encontre d’une personne qui a mené ou mène des activités de nature à mettre en danger la sécurité nationale ou l’ordre public, ou s’il existe des informations suffisantes montrant qu[e cette personne] a l’intention de mener de telles activités.

2. La mesure prévue au paragraphe précédent est prise par la cour d’appel de Bucarest, sur proposition du procureur désigné à cet effet, nommé auprès du parquet près la cour d’appel de Bucarest. Le procureur saisit la cour d’appel, sur proposition des institutions ayant des attributions dans le domaine de l’ordre public et de la sécurité nationale qui disposent d’informations ou d’indices allant dans le sens du paragraphe premier.

3. Les données et les renseignements qui fondent la proposition de déclarer un étranger indésirable pour des raisons liées à la sécurité nationale sont mis à la disposition de la juridiction, dans les conditions établies par les actes normatifs qui régissent les activités liées à la sûreté nationale et la protection des renseignements classés.

4. La demande prévue au deuxième alinéa est jugée en chambre du conseil, avec la citation des parties. La cour d’appel informe l’étranger des faits qui fondent la demande, dans le respect des dispositions des actes normatifs qui régissent les activités liées à la sûreté nationale et la protection des renseignements classés.

5. La cour d’appel rend un arrêt motivé, dans un délai de dix jours à compter de la demande formulée dans les conditions prévues à l’alinéa 2. La décision de la juridiction est définitive. Lorsque l’étranger est déclaré indésirable pour des raisons liées à la sécurité nationale, les données et les renseignements qui justifient la décision ne sont pas mentionnés dans le contenu de ladite décision.

6. L’arrêt est communiqué à l’étranger et à l’Office roumain pour l’immigration, pour être mis à exécution.

7. Le droit de séjour de l’étranger cesse à la date du prononcé de l’arrêt le déclarant indésirable.

8. L’exécution de l’arrêt par lequel l’étranger a été déclaré indésirable est réalisée par la reconduite de l’étranger à la frontière ou dans son pays d’origine, par le personnel spécialisé de l’Office roumain pour l’immigration.

9. L’étranger peut être déclaré indésirable pour une période de cinq à quinze ans (...) »

Article 86 – Le recours contre l’arrêt prévu à l’article 85 alinéa 5

« 1. L’arrêt prévu à l’article 85 alinéa 5 peut être contesté par un pourvoi en recours devant la Haute Cour de cassation et de justice, dans un délai de dix jours à partir de la date de sa communication. La Haute Cour rend une décision dans un délai de cinq jours à compter de la date du dépôt du pourvoi en recours.

2. L’utilisation de la voie de recours prévue à l’alinéa 1 n’a pas d’effet suspensif sur l’exécution de l’arrêt par lequel l’étranger a été déclaré indésirable. Dans des cas bien fondés et afin de prévenir des dégâts imminents, l’étranger peut demander au tribunal d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision le déclarant indésirable, jusqu’à [ce qu’il soit statué sur le] recours. Le tribunal tranche la demande de suspension en urgence, la décision prononcée dans ce cas étant exécutoire de droit. »

Article 92 - L’interdiction de l’éloignement

« 1. L’éloignement d’un étranger du territoire est interdit dans les cas suivants : (...)

e) s’il y a des craintes justifiées que sa vie soit mise en danger ou qu’il soit soumis à la torture, à des traitements dégradants et inhumains dans l’État où il doit être envoyé ;

f) si l’éloignement est interdit par les traités internationaux auxquels la Roumanie est partie.

(...)

4. Sont exclus de l’application d[u] paragraphe 1 (...) les étrangers qui présentent un danger pour l’ordre public, pour la sécurité nationale ou qui souffrent d’une maladie [représentant une] menace pour la santé publique et qui refusent de se soumettre aux mesures établies par les autorités médicales. »

Article 97 - Le placement des étrangers dans un centre spécial

«1. Le placement dans un centre spécial (luarea in custodie publica), ordonné par un magistrat à l’encontre d’un étranger (...) qui a été déclaré indésirable (...), vise à la restriction temporaire de la liberté de mouvement sur le territoire de l’État roumain.

4. Le placement d’un étranger déclaré indésirable dans un centre spécial est ordonné par la juridiction qui a déclaré la personne indésirable par un arrêt [rendu conformément] à l’article 85 alinéa 5. Le placement cesse lors de l’exécution de l’arrêt, dans les conditions prévues par l’article 85 alinéa 8. »

Article 147 - L’application des réglementations spéciales

« Les dispositions de la loi no 122/2006 sur l’asile en Roumanie prévalent sur l’application des dispositions de la présente ordonnance, à l’exception des cas dans lesquels des raisons liées à la sécurité nationale ou à l’ordre public imposent l’éloignement des étrangers du territoire de la Roumanie. »

39. L’article 97 de l’OUG no 194/2002 tel que reproduit ci-dessus a été modifié par la loi no 157/2011 portant modification des actes normatifs concernant le régime des étrangers, entrée en vigueur le 31 juillet 2011. Il prévoit désormais ce qui suit :

Article 97 - Le placement des étrangers dans un centre spécial

« 3. La mesure [de placement dans un centre spécial] peut être ordonnée par un tribunal lorsqu’il prononce un arrêt par lequel l’étranger est déclaré personne indésirable ou [lorsqu’il] ordonne son expulsion. Dans ce cas, le placement dans un centre spécial est ordonné jusqu’à l’éloignement du territoire de la Roumanie, mais il ne peut pas dépasser dix-huit mois. »

40. L’article 3 de la loi no 51/1991 sur la sûreté nationale est ainsi libellé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« Constituent une menace pour la sûreté nationale de la Roumanie : (...)

i) les actes terroristes, leur conception ou le soutien apporté à de tels actes (...) ;

l) la création ou la constitution d’une organisation (...) ayant pour finalité l’une des activités énumérées aux points a) à k) ci-dessus, ainsi que le fait pour des organisations et groupes constitués en conformité avec la loi de se livrer en secret à de telles activités. »

41. L’article 44 de la loi no 535/2004 sur la prévention et la lutte contre le terrorisme, en vigueur à l’époque des faits, était ainsi rédigé dans sa partie pertinente en l’espèce :

« 1. À l’encontre des citoyens étrangers ou apatrides pour lesquels existent des données ou des indices raisonnables [montrant] qu’ils ont l’intention de réaliser des actes terroristes ou de favoriser le terrorisme est ordonnée la mesure de déclaration comme personnes indésirables en Roumanie ou d’interdiction de séjour dans le pays, si la mesure d’interdiction de quitter le pays n’a pas été prise contre eux.

2. Les dispositions du premier alinéa sont applicables également aux demandeurs d’asile (...) »

42. L’article 32 de la loi no 46/1991 portant adhésion de la Roumanie à la Convention sur le statut des réfugiés était ainsi rédigé à l’époque des faits :

« 1. Les États contractants n’expulsent un réfugié qui se trouve légalement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d’ordre public. »

III. LE DROIT PERTINENT DE L’UNION EUROPÉENNE

43. La Directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres est ainsi libellée dans sa partie pertinente en l’espèce :

Article 6

« 1. Les États membres font en sorte que les demandeurs reçoivent, dans un délai de trois jours après le dépôt de leur demande auprès des autorités compétentes, un certificat délivré à leur nom attestant leur statut de demandeur d’asile ou attestant qu’ils sont autorisés à demeurer sur le territoire de l’État membre pendant que leur demande est en attente ou en cours d’examen. »

44. Le paragraphe 13 du préambule de la Directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres se lit comme suit :

(

|

« Afin de pouvoir déterminer correctement les personnes qui ont besoin d’une protection en tant que réfugiés au sens de l’article 1er de la Convention de Genève, chaque demandeur devrait, sauf exceptions, avoir un accès effectif aux procédures, pouvoir coopérer et communiquer de façon appropriée avec les autorités compétentes afin de présenter les faits pertinents le concernant, et disposer de garanties de procédure suffisantes pour faire valoir sa demande à tous les stades de la procédure. Par ailleurs, durant la procédure d’examen de sa demande d’asile, le demandeur devrait en principe au moins avoir le droit de rester sur le territoire dans l’attente de la décision de l’autorité responsable de la détermination, avoir accès aux services d’un interprète pour présenter ses arguments s’il est interrogé par les autorités, pouvoir communiquer avec un représentant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ou avec toute autre organisation agissant au nom du HCR, avoir droit à une notification correcte d’une décision et à une motivation de cette décision en fait et en droit, pouvoir consulter un conseil juridique ou autre, et avoir le droit d’être informé de sa situation juridique aux stades décisifs de la procédure dans une langue dont il est raisonnable de supposer qu’il la comprend. »

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45. La Directive no 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (« la Directive no 2008/115/CE ») est entrée en vigueur le 13 janvier 2009. Les dispositions pertinentes en l’espèce de cette directive sont présentées dans l’arrêt Amie et autres c. Bulgarie, (no 58149/08, §§ 53-55, 12 février 2013).

Le paragraphe 9 du préambule et l’article 2 de ladite directive, non exposés dans l’arrêt Amie et autres susmentionné, sont également pertinents en l’espèce ; ils se lisent respectivement comme suit :

« Conformément à la directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (2), le ressortissant d’un pays tiers qui a demandé l’asile dans un État membre ne devrait pas être considéré comme étant en séjour irrégulier sur le territoire de cet État membre avant qu’une décision négative sur sa demande ou une décision mettant fin à son droit de séjour en tant que demandeur d’asile soit entrée en vigueur. »

Article 2

Champ d’application

« 1. La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre.

(...) »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 f) ET 4 DE LA CONVENTION

46. Le requérant dénonce son placement dans le centre pour les étrangers d’Otopeni en ce qu’il aurait constitué une privation irrégulière de liberté. Il se plaint également de ne pas avoir bénéficié au niveau interne d’un recours effectif pour contester cette privation de liberté. Il invoque l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention, ainsi libellé dans ses parties pertinentes en l’espèce :

Article 5

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

(...)

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4. Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A. Sur la recevabilité

47. Se référant au grief du requérant tiré de l’article 5 § 1 f) de la Convention, le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes, précisant que le requérant n’a pas contesté la légalité de son placement dans le centre pour les étrangers et qu’il s’est limité à contester la décision par laquelle il a été déclaré indésirable. À cet égard, il indique que le placement d’un étranger dans un centre spécial est une mesure complémentaire à la déclaration de cet étranger comme personne indésirable. Dans ce contexte, il estime que, si le requérant avait expressément contesté la légalité de la mesure de placement sur la base de l’article 86 § 1 de l’OUG no 194/2002, la juridiction judiciaire compétente aurait dû procéder à la vérification de la conformité de ladite mesure avec la loi.

48. Le requérant réplique que la loi nationale ne prévoit pas une voie de recours séparée contre le placement d’un étranger dans un centre spécial, cette mesure étant liée à la déclaration de l’étranger concerné comme personne indésirable. Il fait observer qu’il a contesté la décision par laquelle il a été déclaré indésirable. Il indique également qu’il a été informé de la possibilité de faire un recours devant la Haute Cour sans indication de la base légale de ce recours. Il ajoute que le délai légal de dix jours indiqué par les autorités pour former un recours contre la mesure de placement dans le centre était celui prévu par l’OUG no 194/2002 pour contester une décision déclarant un étranger comme personne indésirable. Il argue enfin que le recours qu’il a formé n’était pas effectif étant donné qu’il n’a pas eu accès aux documents classés secret d’État de niveau « top secret ».

49. La Cour rappelle que les dispositions de l’article 35 de la Convention ne prescrivent l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations incriminées, disponibles et adéquats. Ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Dalia c. France, 19 février 1998, § 38, Recueil des arrêts et décisions 1998‑I).

50. En l’espèce, la Cour note que la cour d’appel a déclaré le requérant personne indésirable sur le fondement de l’article 85 § 5 de l’OUG no 194/2002 pour des raisons liées à la sécurité nationale et que, en application de l’article 97 § 4 de l’OUG no 194/2002, elle a confié la garde de l’intéressé aux autorités jusqu’à son éloignement du territoire roumain. La Cour constate avec le requérant que la loi interne ne prévoit pas un recours séparé pour le placement d’un étranger dans un centre spécial lorsque cette mesure a été ordonnée au motif que l’étranger concerné a été déclaré indésirable. Elle relève d’ailleurs que le recours mentionné par le Gouvernement et prévu à l’article 86 de l’OUG no 194/2002 régit le pourvoi en recours contre une décision déclarant une personne indésirable (paragraphe 38 ci-dessus).

51. À cet égard, la Cour constate que le requérant a fait usage de cette voie de recours devant la Haute Cour. Elle note en outre que, dans ses moyens de recours, le requérant a expressément indiqué qu’il estimait son placement dans le centre contraire à l’article 5 § 1 f) de la Convention (paragraphe 32 ci-dessus). Dans les circonstances de l’espèce, la Cour estime que le requérant a donné une occasion suffisante aux autorités nationales pour remédier à la violation alléguée de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Partant, il convient de rejeter l’exception de non-épuisement des voies de recours soulevée par le Gouvernement.

52. Constatant ensuite que ces griefs ne sont pas manifestement mal fondés au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’ils ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour les déclare recevables.

B. Sur le fond

1. Sur l’article 5 § 1 f) de la Convention

a) Arguments des parties

53. Le requérant indique d’abord qu’il n’a pas été informé correctement de la base légale de sa privation de liberté. À cet égard, il fait observer que lors de son placement dans le centre pour les étrangers il a été informé de la possibilité, pour les autorités, de prolonger la mesure tous les trente jours, alors que, à ses dires, une telle possibilité n’était pas conforme à la loi pour les personnes déclarées indésirables et pour lesquelles la mesure de placement pouvait prendre fin uniquement par l’éloignement du territoire. Il renvoie ensuite à une décision rendue par la Cour constitutionnelle qui, selon lui, avait jugé que le placement dans un centre pour les étrangers ne constituait pas une privation de liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention mais uniquement une restriction de la liberté de mouvement : une telle approche aurait dès lors des conséquences sur la légalité de sa privation de liberté.

54. Le Gouvernement estime que l’interpellation du requérant et son placement dans le centre spécial représentaient une privation de liberté et que pareille privation de liberté relève des situations limitativement prévues à l’article 5 § 1 de la Convention. Il considère que la mesure ordonnée contre l’intéressé était prévue par l’OUG no 194/2002 dont les dispositions étaient à ses yeux prévisibles et accessibles, et il estime que ladite mesure n’était pas arbitraire. En outre, il expose que le placement du requérant dans le centre spécial était une mesure nécessaire à l’exécution de l’arrêt de la cour d’appel du 25 août 2010, précisant que l’éloignement ne pouvait pas être immédiatement réalisé en raison de l’existence de la procédure d’asile en cours. Le Gouvernement renvoie enfin à l’arrêt Abou Amer c. Roumanie (no 14521/03, §§ 37-41, 24 mai 2011) et indique que les conclusions de la Cour dans cet arrêt sont également applicables à la présente affaire.

55. Dans ses observations complémentaires, le Gouvernement soutient que la décision par laquelle le requérant a été déclaré indésirable n’a eu aucune incidence sur ses droits en tant que demandeur d’asile et il fait remarquer que l’éloignement de l’intéressé du territoire a eu lieu bien après le rejet définitif de sa demande d’asile.

b) Appréciation de la Cour

56. La Cour rappelle que l’article 5 § 1 de la Convention dresse la liste exhaustive des circonstances dans lesquelles les individus peuvent être légalement privés de leur liberté, étant bien entendu que ces circonstances appellent une interprétation étroite, puisqu’il s’agit d’exceptions à une garantie fondamentale de la liberté individuelle (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, § 43, CEDH 2008, et A. et autres c. Royaume-Uni [GC], no 3455/05, §§ 162-163, CEDH 2009).

57. En l’occurrence, la Cour observe que nul ne conteste que, pendant plus de huit mois, du 25 août 2010 au 17 mai 2011, le requérant a été détenu dans l’attente d’un éloignement du territoire, au sens de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Cette disposition exige qu’« une procédure d’expulsion [soit] en cours » ; il n’y a donc pas lieu de rechercher si la décision d’expulsion initiale se justifie ou non au regard de la législation interne ou de la Convention (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 112, Recueil 1996‑V). Cependant, une privation de liberté fondée sur le second membre de phrase de cette disposition ne peut se justifier que par le fait qu’une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Si celle-ci n’est pas menée avec la diligence requise, la détention cesse d’être justifiée au regard de l’article 5 § 1 f) de la Convention (A. et autres, précité, § 164). Il convient toutefois de souligner que l’article 5 § 1 f) de la Convention ne prévoit pas une durée maximale pour ce type de détention ; la question de savoir si la durée de la procédure d’éloignement peut affecter la légalité de la privation de liberté au regard de cette disposition dépend des circonstances particulières de chaque espèce (Auad c. Bulgarie, no 46390/10, § 128, 11 octobre 2011, et Amie et autres, précité, § 72).

58. La Cour rappelle également que la privation de liberté doit aussi être « régulière ». En matière de « régularité » d’une détention, y compris l’observation des « voies légales », la Convention renvoie pour l’essentiel à la législation nationale et consacre l’obligation d’en observer les normes de fond comme de procédure. Toutefois, le respect du droit national n’est pas suffisant : l’article 5 § 1 de la Convention exige de surcroît la conformité de toute privation de liberté au but consistant à protéger l’individu contre l’arbitraire (Abdolkhani et Karimnia c. Turquie, no 30471/08, § 130, 22 septembre 2009).

59. En l’occurrence, la Cour note que le requérant, se plaignant de l’irrégularité de sa privation de liberté, soutient que la base légale de cette mesure n’était pas prévisible, que les motifs de son placement dans le centre ne lui avaient pas été communiqués et que la mesure de placement dans le centre n’avait pas de limite dans le temps puisque prenant fin par l’exécution de la décision l’ayant déclaré personne indésirable.

60. La Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner tous les aspects soulevés par le requérant au motif que la privation de liberté de l’intéressé était incompatible avec l’article 5 § 1 f) de la Convention pour les raisons exposées dans les paragraphes qui suivent (voir, mutatis mutandis, Amie et autres, précité, § 75).

61. La Cour note qu’en l’espèce le requérant a été privé de liberté, afin d’être éloigné du territoire, pendant une période de huit mois et environ trois semaines, à savoir du 25 août 2010 au 17 mai 2011. La privation de liberté de l’intéressé avait été ordonnée par la cour d’appel ; celle-ci l’avait jugée nécessaire en se fondant sur les articles 85 § 5 et 97 § 4 de l’OUG no 194/2002 selon lesquels la mesure de placement cessait lors de l’exécution de la décision déclarant la personne indésirable.

62. La Cour constate que la seule raison avancée par les autorités pour expliquer la durée de la privation de liberté était l’existence d’une demande d’asile formée par le requérant devant les autorités roumaines. Elle examinera donc le temps qu’il a fallu pour qu’interviennent les diverses décisions rendues dans la procédure d’asile.

63. Ainsi, la Cour observe que cette procédure a commencé le 1er juillet 2009 et a pris fin le 14 février 2011. Elle estime que cette durée n’a pas été excessive, compte tenu de l’examen approfondi et minutieux exigé par la demande d’asile présentée par le requérant et des possibilités offertes à ce dernier de formuler des observations et de soumettre des informations. Toutefois, la Cour note que l’existence de cette procédure ne peut justifier qu’une partie de la privation de liberté de l’intéressé, à savoir celle comprise entre le 25 août 2010 et le 14 février 2011, date du rejet définitif de la demande d’asile.

64. La Cour note qu’après le rejet définitif de la demande d’asile le requérant est resté encore trois mois privé de liberté dans le centre pour les étrangers d’Otopeni en attendant son éloignement du territoire. Le Gouvernement ne fournit aucune explication pour justifier cette période et n’indique pas quelles ont été les démarches entreprises pour éloigner le requérant du territoire le plus rapidement possible. De même, le Gouvernement n’indique pas que les autorités roumaines ont rencontré des difficultés liées à l’obtention des documents de voyage au nom du requérant ou au refus d’un certain pays d’accueillir le requérant (voir, mutatis mutandis, Louled Massoud c. Malte, no 24340/08, § 66, 27 juillet 2010).

65. La Cour note enfin que le Gouvernement se réfère à l’arrêt Abou Amer (précité) et indique que les conclusions auxquelles elle est parvenue dans cette affaire seraient applicables à la présente espèce. Toutefois, la Cour constate que dans l’affaire Abou Amer susmentionnée le requérant avait été privé de liberté pendant environ deux mois, que cette mesure avait été initialement prise pour une période de trente jours qui avait été prolongée par un tribunal dans le cadre d’une procédure contradictoire et que les autorités nationales avaient fait des « démarches actives » afin d’éloigner l’intéressé du pays (Abou Amer, précité, § 40). Or, dans la présente affaire, elle relève que le requérant a été privé de liberté sur le fondement d’une base légale différente et que les autorités ne prouvent pas avoir fait des démarches afin d’éloigner l’intéressé le plus rapidement possible du pays.

66. Ces considérations suffisent à la Cour pour conclure que la privation de liberté du requérant n’a pas été conforme à l’article 5 § 1 f) de la Convention, faute pour les autorités nationales d’avoir mené avec diligence la procédure d’éloignement du territoire. Partant, il y a eu en l’espèce violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention.

2. Sur l’article 5 § 4 de la Convention

a) Arguments des parties

67. Le requérant estime qu’il n’a pas eu la possibilité de contester effectivement la mesure de placement dans le centre pour les étrangers. Il indique qu’il ne bénéficiait pas au niveau interne d’une voie de recours séparée de celle prévue pour la contestation de la décision par laquelle il a été déclaré indésirable. Il estime également que l’effectivité du recours est mise en doute par le fait que les étrangers placés dans la même situation que lui n’ont pas accès aux documents classés secrets par les autorités internes qui fondent les décisions les déclarant indésirables.

68. Le Gouvernement indique que l’article 86 de l’OUG no 194/2002 mettait à la disposition du requérant un recours effectif, suffisant et accessible pour contester la mesure de placement dans le centre pour les étrangers. Il expose que la procédure tendant à la déclaration du requérant comme personne indésirable a été contradictoire et a garanti l’égalité des armes entre les parties, précisant que le requérant a été légalement cité à comparaître, qu’il a été représenté pendant la procédure de pourvoi en recours par un avocat de son choix et qu’il a eu la possibilité de présenter des preuves et des arguments contre son éloignement du territoire.

69. Quant à la citation du requérant pour l’audience en première instance, le Gouvernement indique qu’à ce moment-là l’intéressé n’était pas privé de liberté et qu’il était libre de faire appel aux services d’un traducteur ou d’un avocat pour le représenter dans la procédure. Pour ce qui est du court délai entre la date de la citation à comparaître et la date de l’audience, le Gouvernement explique qu’il était question en l’espèce d’une procédure spéciale qui devait être examinée avec célérité compte tenu des considérations liées à la sécurité nationale en jeu.

70. Le Gouvernement indique enfin que l’avocate du requérant aurait pu avoir accès aux documents classés secrets si elle avait fait une démarche préliminaire pour obtenir un certificat délivré par l’ORNISS. De même, il estime que l’intéressé aurait pu faire appel à un avocat spécialisé dans des affaires portant sur des documents classés secrets. Il verse en outre au dossier une copie partielle d’un jugement avant dire droit concernant une affaire pénale dans laquelle l’un des avocats de l’inculpé avait obtenu accès à des documents classés secrets.

b) Appréciation de la Cour

71. La Cour rappelle que l’article 5 § 4 de la Convention reconnaît aux personnes arrêtées ou détenues le droit d’introduire un recours pour faire contrôler le respect des exigences de procédure et de fond nécessaires à la « légalité », au sens de la Convention, de leur privation de liberté. Le concept de « légalité » doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne arrêtée ou détenue a le droit de faire contrôler la « légalité » de sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise l’article 5 § 1 de la Convention. Par ailleurs, l’article 5 de la Convention, en son paragraphe 4, ne garantit pas un droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal compétent à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la « légalité » de la détention d’un individu au regard de son paragraphe 1 (E. c. Norvège, 29 août 1990, § 50, série A no 181-A). La « juridiction » chargée de ce contrôle ne doit pas disposer de simples attributions consultatives, mais doit être dotée de la compétence de « statuer » sur la « légalité » de la détention et d’ordonner la libération en cas de détention illégale (A. et autres, précité § 202).

72. La Cour réaffirme aussi que, si une procédure relevant de l’article 5 § 4 de la Convention ne doit pas toujours s’accompagner de garanties identiques à celles que l’article 6 de la Convention prescrit pour les litiges civils ou pénaux, elle doit revêtir un caractère judiciaire et offrir à l’individu mis en cause des garanties adaptées à la nature de la privation de liberté dont il se plaint (voir, par exemple, Reinprecht c. Autriche, no 67175/01, § 31, CEDH 2005-XII). Il s’ensuit que la procédure doit être contradictoire et garantir dans tous les cas « l’égalité des armes » entre les parties (ibidem, § 31). Cela étant, la Cour a reconnu que l’utilisation d’informations confidentielles pouvait se révéler inévitable dans les affaires dans lesquelles la sécurité nationale était en jeu (Chahal, précité, §§ 130-131), tout en précisant que cela ne signifiait pas que les autorités nationales étaient exemptées du contrôle effectif des juridictions internes dès lors qu’elles affirmaient que l’affaire touchait à la sécurité nationale et au terrorisme.

73. La Cour note qu’en l’espèce la cour d’appel et la Haute Cour, qui ont été appelées à statuer sur la nécessité de déclarer le requérant indésirable et de le placer dans le centre pour les étrangers, sont des juridictions indépendantes qui ont eu accès à l’intégralité des documents classés secret d’État de niveau « top secret » (voir, a contrario et mutatis mutandis, Lupsa c. Roumanie, no 10337/04, § 41, CEDH 2006‑VII).

74. La Cour relève que le requérant se plaint devant elle de ne pas avoir eu accès aux documents classés secrets sur lesquels les juridictions internes ont fondé leurs décisions. Dans ces conditions, elle considère qu’il était essentiel que l’intéressé se voie communiquer autant d’informations que possible sur les griefs et les éléments à charge retenus contre lui, sans que la sécurité nationale et celle des tiers s’en trouvent compromises. Si la divulgation intégrale des informations en question était exclue, le respect de l’article 5 § 4 de la Convention exigeait que les inconvénients découlant de pareille restriction soient compensés de telle manière que l’intéressé conserve la possibilité de contester utilement les accusations portées contre lui (A. et autres, précité, § 218).

75. En outre, la Cour note d’abord que le requérant a été cité à comparaître en roumain pour l’audience du 25 août 2010. Toutefois, elle constate que le requérant, qui était libre et bénéficiait d’un logement dans un centre pour les demandeurs d’asile, ne s’est aucunement inquiété du contenu de la citation : l’intéressé ne s’est d’ailleurs intéressé à la procédure par laquelle il a été déclaré indésirable ni immédiatement, ni après avoir été informé de l’existence de l’arrêt du 25 août 2010 et avoir été privé de liberté, et il n’a pris contact avec un avocat que le 25 octobre 2010. Compte tenu de ces circonstances, la Cour estime que le manque de diligence du requérant a contribué à créer une situation l’empêchant de participer à l’audience devant la cour d’appel et d’y assurer sa défense (voir, mutatis mutandis, Da Luz Domingues Ferreira c. Belgique, no 50049/99, §§ 48-51, 24 mai 2007).

76. De même, la Cour constate que la Haute Cour, sur demande du requérant, a rouvert le délai légal pour l’introduction de son pourvoi en recours contre l’arrêt du 25 août 2010 et qu’elle a donné ainsi à l’intéressé la possibilité de contester le bien-fondé et la légalité de la mesure ordonnée contre lui. La Cour note que la cour d’appel, bien qu’elle n’ait pas motivé son arrêt du 25 août 2010 en faisant référence aux faits concrets reprochés à l’intéressé, a incorporé dans sa décision les éléments factuels indiqués par le parquet à la charge du requérant. En effet, il ressort de l’arrêt contesté qu’il était reproché au requérant d’avoir été lié à des activités terroristes, compte tenu de sa condamnation en Turquie à trois ans de prison du chef d’appartenance à des formations terroristes. Or, ces faits n’étaient aucunement inconnus du requérant puisqu’il les avait invoqués dans la procédure d’asile qu’il avait engagée en Roumanie. La Cour considère que ces charges dirigées contre le requérant renfermaient des allégations précises qui étaient suffisamment circonstanciées pour permettre à l’intéressé de les contester utilement (voir, A. et autres, précité, § 222, et, a contrario, Ahmed c. Roumanie, no 34621/03, §§ 34 et 36, 13 juillet 2010). Dans ces conditions, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner l’incidence qu’aurait eue sur la procédure une éventuelle demande faite par l’avocate du requérant pour avoir accès aux documents classés secret d’État.

77. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime qu’il n’a pas été porté atteinte au droit que le requérant tire de l’article 5 § 4 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 7 À LA CONVENTION

78. Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié des garanties contre l’arbitraire dans la procédure à l’issue de laquelle il a été déclaré indésirable, en méconnaissance selon lui de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention, ainsi libellé :

« 1. Un étranger résidant régulièrement sur le territoire d’un État ne peut en être expulsé qu’en exécution d’une décision prise conformément à la loi et doit pouvoir :

a) faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion,

b) faire examiner son cas, et

c) se faire représenter à ces fins devant l’autorité compétente ou une ou plusieurs personnes désignées par cette autorité.

2. Un étranger peut être expulsé avant l’exercice des droits énumérés au paragraphe 1 a), b) et c) de cet article lorsque cette expulsion est nécessaire dans l’intérêt de l’ordre public ou est basée sur des motifs de sécurité nationale. »

Sur la recevabilité

79. Le Gouvernement considère que l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention n’est pas applicable en l’espèce. À cet égard il indique que le requérant n’a pas bénéficié d’un titre de séjour valable qui lui aurait donné le droit de résider en Roumanie au moment où la décision litigieuse a été prise contre lui. Il indique aussi que le requérant a bénéficié de deux visas de court séjour et que sa demande d’asile a été rejetée.

80. Le requérant estime qu’il résidait régulièrement sur le territoire national tant que sa demande d’asile était pendante devant les autorités roumaines. À cet égard, il renvoie à la loi no 122/2006 qui autorise les demandeurs d’asile à rester en Roumanie pendant la procédure d’asile. Il invoque également les dispositions des différentes directives de l’Union européenne relatives aux demandeurs d’asile et à l’éloignement des étrangers (paragraphe 43 à 45 ci-dessus) qui, selon lui, l’autorisaient à rester en Roumanie pendant la procédure d’asile.

81. La Cour rappelle que seuls les étrangers résidant régulièrement sur le territoire d’un État peuvent bénéficier en cas d’expulsion des garanties procédurales prévues par l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention (Viculov c. Lettonie (déc.), no 16870/03, 25 mars 2004, et Lupsa, précité, § 52). La résidence, afin d’être régulière, doit être conforme à la législation de l’État en question (voir le rapport explicatif relatif au Protocole no 7 à la Convention, paragraphe 9).

82. La Cour rappelle également que l’article 1 précité a été considéré comme étant inapplicable lorsque l’intéressé ne peut se prévaloir d’un titre de séjour dès lors que sa demande de bénéficier du statut de réfugié politique a été définitivement refusée ou lorsque, après l’expiration d’un visa provisoire, l’intéressé est resté dans le pays concerné en attendant l’issue de la procédure engagée en vue d’obtenir un permis de séjour ou un statut de réfugié (Sejdovic et Sulejmanovic c. Italie (déc.), no 57575/00, 14 mars 2002).

83. En l’espèce, la Cour constate que le requérant a bénéficié d’un visa de travail de septembre à décembre 2008 et qu’il est rentré en Turquie à l’expiration de ce visa. Elle note que, par la suite, l’intéressé a bénéficié d’un visa de transit de cinq jours par la Roumanie. Elle rappelle que l’étranger dont le visa ou le permis de séjour est venu à expiration ne peut être considéré, en principe, comme « résidant régulièrement » dans le pays. De même, le mot « résidant » tend à exclure l’application de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention à l’étranger qui n’est pas encore passé par le contrôle d’immigration ou qui a été admis sur le territoire d’un État en transit ou pour une courte période (Yldirim c. Roumanie (déc.), 21186/02, 20 septembre 2007). Dès lors, ni son titre de séjour périmé ni son visa de transit ne conféraient au requérant le statut de « résident » au sens de l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention au moment où il a été déclaré indésirable.

84. La Cour constate avec le requérant que, au moment où il a été déclaré indésirable, il faisait l’objet d’une procédure d’asile en cours devant les autorités nationales. Elle observe également que, en vertu des différentes dispositions légales applicables – nationales et européennes –, les demandeurs d’asile dont les procédures étaient en cours avaient le droit de rester sur le territoire du pays jusqu’à la finalisation desdites procédures.

85. La Cour réitère ici l’importance de garantir aux personnes concernées par une mesure d’éloignement, mesure dont les conséquences sont potentiellement irréversibles, le droit de rester sur le territoire en attendant l’issue de leurs procédures d’asile respectives. Toutefois, ce droit ne confère pas automatiquement auxdites personnes le statut de « résident » d’un certain pays et ne « régularise » pas leur séjour : il a pour but d’éviter l’aggravation de la situation de ces personnes en attendant que leur statut juridique dans le pays soit examiné et établi par l’autorité compétente.

86. Par conséquent, la Cour considère que, au moment où les autorités roumaines ont décidé de prendre à l’encontre du requérant une mesure d’interdiction de séjour, celui-ci ne « résidait » pas « régulièrement » en Roumanie, étant donné qu’il ne disposait pas d’un titre de séjour valable, et elle estime dès lors que l’article 1 du Protocole no 7 à la Convention ne trouve pas à s’appliquer à la présente espèce (Sejdovic et Sulejmanovic, précitée). Il s’ensuit que ce grief est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) et qu’il doit être rejeté en application de l’article 35 § 4.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

87. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

88. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il dit avoir subi.

89. Le Gouvernement estime que la somme sollicitée est exorbitante par rapport aux violations alléguées des droits conventionnels et qu’elle est excessive par rapport à la jurisprudence de la Cour en la matière.

90. La Cour relève que la base à retenir pour l’octroi d’une satisfaction équitable réside en l’espèce dans la violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention. Statuant en équité, comme le veut l’article 41 de la Convention, elle considère qu’il y a lieu d’octroyer au requérant 4 500 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

91. Le requérant ne demande pas le remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

92. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l’article 5 §§ 1 f) et 4 de la Convention, et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 5 § 1 f) de la Convention ;

3. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, la somme de 4 500 EUR (quatre mille cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l’État défendeur au taux applicable à la date du règlement ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 10 février 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsJosep Casadevall
GreffierPrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-152389
Date de la décision : 10/02/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulière;Article 5-1-f - Expulsion);Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention)

Parties
Demandeurs : S.C.
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BOZAI E.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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