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27/01/2015 | CEDH | N°001-151053

CEDH | CEDH, AFFAIRE ROHLENA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE, 2015, 001-151053


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ROHLENA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 59552/08)

ARRÊT

STRASBOURG

27 janvier 2015

Cet arrêt est définitif.







En l’affaire Rohlena c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro,
Elisabeth Steiner,
Päivi Hirvelä,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Işıl Karakaş,
Kristina P

ardalos,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Michael O’...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ROHLENA c. RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

(Requête no 59552/08)

ARRÊT

STRASBOURG

27 janvier 2015

Cet arrêt est définitif.

En l’affaire Rohlena c. République tchèque,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Isabelle Berro,
Elisabeth Steiner,
Päivi Hirvelä,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Işıl Karakaş,
Kristina Pardalos,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Aleš Pejchal,
Valeriu Griţco,
Faris Vehabović,
Dmitry Dedov,
Egidijus Kūris,
Robert Spano, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 avril 2014 et le 19 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 59552/08) dirigée contre la République tchèque et dont un ressortissant de cet État, M. Petr Rohlena (« le requérant »), a saisi la Cour le 4 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Me J. Kružík, avocat à Brno. Le gouvernement tchèque (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. V.A. Schorm, du ministère de la Justice.

3. Invoquant l’article 7 de la Convention, le requérant soutenait en particulier qu’en le condamnant pour une infraction pénale continuée les juridictions internes avaient appliqué la loi pénale de manière rétroactive, à son détriment.

4. La requête a été attribuée à la cinquième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Le 14 novembre 2011, le président de la cinquième section a décidé de la communiquer au Gouvernement. Le 18 avril 2013, une chambre de cette section composée de Mark Villiger, président, Angelika Nuβberger, Ganna Yudkivska, André Potocki, Paul Lemmens, Helena Jäderblom, Aleš Pejchal, juges, et Claudia Westerdiek, greffière de section, a rendu son arrêt. Elle y concluait, à l’unanimité, à la recevabilité du grief formulé sur le terrain de l’article 7 de la Convention, à l’irrecevabilité de la requête pour le surplus, et à la non-violation de l’article 7. À l’arrêt se trouvait joint l’exposé de l’opinion concordante du juge Lemmens.

5. Le 9 septembre 2013, faisant droit à la demande formée par le requérant le 11 juillet 2013, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire devant celle-ci en application de l’article 43 de la Convention.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux dispositions des articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Le 16 janvier 2014, le président de la Cour a décidé d’annuler l’audience prévue en l’espèce et de poursuivre la procédure par écrit.

8. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires sur le fond (article 59 § 1 du règlement) et répondu aux questions spécifiques que la Grande Chambre leur avait posées.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. Le requérant est né en 1966 et réside à Brno.

10. Le 29 mai 2006, il fut formellement accusé par le procureur municipal de Brno d’avoir, au moins au cours de la période comprise entre l’année 2000 et le 8 février 2006, itérativement maltraité son épouse physiquement et psychologiquement lorsqu’il était en état d’ébriété. Il était accusé de l’avoir agressée verbalement, de l’avoir frappée à la tête avec la main et le poing, de l’avoir giflée, de l’avoir prise à la gorge, d’avoir tenté de l’étrangler, de l’avoir jetée contre les meubles ou au sol, de l’avoir poussée dans les escaliers et de lui avoir donné des coups de pied. Il était aussi accusé d’avoir battu les enfants, d’avoir dilapidé l’argent de la famille dans des machines à sous et d’avoir cassé la vaisselle. Il aurait ainsi causé des hématomes, des contusions et une fracture du nez à son épouse, ce qui aurait obligé celle-ci à consulter un médecin le 26 juin 2000, le 18 juillet 2003 et le 8 février 2006, à la suite d’agressions commises respectivement le 24 juin 2000, le 17 juillet 2003 et le 8 février 2006. Il aurait cherché à détruire son épouse psychologiquement afin de s’assurer une emprise sur elle. Selon le procureur, le requérant s’était ainsi rendu coupable de l’infraction pénale « continue » (trvající trestný čin) de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal tchèque (« le code pénal »), ses agissements antérieurs à l’introduction de cette infraction le 1er juin 2004 étant constitutifs de violences contre un individu ou un groupe d’individus, délit prévu par l’article 197a du code pénal, et de coups et blessures, délit prévu par l’article 221 du code pénal.

11. Le 18 avril 2007, le tribunal municipal de Brno jugea le requérant coupable de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, infraction qu’il avait commise au moins au cours de la période comprise entre l’année 2000 et le 8 février 2006 de la manière indiquée dans l’acte d’accusation, lequel précisait aussi que les sévices étaient répétés. Il le condamna à une peine de deux ans et demi de prison avec sursis, assortie d’un délai d’épreuve de cinq ans, et lui imposa une surveillance et un traitement antialcoolique. Le tribunal fonda son verdict sur les dépositions du requérant, de la victime (son épouse) et de plusieurs témoins, dont les deux enfants du couple, qui avaient signalé parmi d’autres incidents dix cas où le requérant avait insulté verbalement son épouse, quatre cas où il l’avait attrapée par les bras avant de tenter de l’étrangler et des agressions verbales et/ou physiques qu’il lui faisait subir tous les mois, et il prit en considération des pièces écrites et des expertises. Il tint compte aussi des aveux du requérant, qui avait reconnu l’existence de disputes et de violences physiques dans sa relation avec son épouse et avait admis en particulier avoir parfois donné des gifles et des coups de poing à celle-ci.

Retenant la qualification de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal tel qu’en vigueur depuis le 1er juin 2004, le tribunal estima que cette qualification s’étendait aussi aux méfaits commis par l’intéressé avant cette date puisqu’au moment de leur perpétration ils étaient constitutifs au moins de l’infraction de violences contre un individu ou un groupe d’individus, prévue par l’article 197a du code pénal. Il considéra enfin que, compte tenu de la durée des agissements en question, l’infraction commise en l’espèce revêtait un degré de dangerosité assez élevé justifiant une peine allant de deux à huit ans de prison en vertu du paragraphe 2 de l’article 215a du code pénal. Eu égard à certaines circonstances atténuantes, notamment les aveux du requérant et son casier judiciaire vierge, il lui infligea une peine d’emprisonnement proche de la durée minimale, assortie d’un sursis.

12. Le requérant saisit le tribunal régional de Brno d’un appel dans lequel il contestait l’établissement des faits auquel s’était livré le tribunal municipal et l’appréciation, unilatérale selon lui, des preuves qu’il avait faite. Le 6 septembre 2007, le tribunal le débouta de son recours. Il ne constata aucun vice dans la procédure antérieure et estima conforme aux dispositions du code pénal la qualification donnée aux agissements de l’intéressé.

13. Le 21 février 2008, la Cour suprême rejeta pour défaut manifeste de fondement le pourvoi en cassation formé par le requérant. Celui-ci soutenait que le juge du fond avait étendu l’application de l’article 215a du code pénal aux actes qu’il avait commis avant le 1er juin 2004, alors que l’infraction de maltraitance n’existait pas encore en droit interne. Sur ce point, se référant à sa décision no Tzn 12/93 du 8 décembre 1993, la Cour suprême déclara que lorsqu’il y avait, comme en l’espèce, « continuation de l’infraction pénale » (pokračování v trestném činu), celle-ci étant réputée constitutive d’un seul et même acte, la qualification pénale devait s’apprécier à l’aune de la loi en vigueur à la date de la dernière des manifestations de l’infraction. Elle dit que cette loi s’appliquait donc même aux faits commis avant son entrée en vigueur pourvu que ceux-ci fussent pénalement réprimés par la loi antérieure. En l’occurrence, elle considéra que les agissements auxquels le requérant s’était livré avant la modification du code pénal intervenue le 1er juin 2004 étaient au moins constitutifs d’une infraction visée par les articles 197a ou 221 § 1 du code pénal. Elle conclut en outre, au vu du dossier, que les agissements de l’accusé tels qu’exposés dans le dispositif du jugement de première instance réunissaient tous les éléments légaux de l’infraction de maltraitance sur personne vivant sous un même toit, au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal. Sur la question de la continuation de l’infraction, elle releva que la maltraitance s’analysait elle‑même en un mauvais traitement caractérisé par une certaine durée. Elle estima que, pour être considérée comme s’étant inscrite dans la durée, cette infraction devait avoir été commise sur une période de plusieurs mois. Le requérant ayant perpétré l’infraction au moins au cours de la période comprise entre l’année 2000 et le 8 février 2006, c’est-à-dire sur une période de plusieurs années, elle jugea que les agissements de celui-ci satisfaisaient manifestement à l’élément matériel de continuation de l’infraction de maltraitance, au sens de l’article 215a § 2b) du code pénal.

14. Le 10 juin 2008, la Cour constitutionnelle rejeta pour défaut manifeste de fondement le recours constitutionnel du requérant, qui s’était plaint d’un manque d’équité de la procédure et d’une application rétroactive du code pénal à son détriment. Se référant à la décision attaquée de la Cour suprême ainsi qu’à la jurisprudence pertinente de celle-ci, elle jugea que les décisions rendues par les tribunaux en l’espèce étaient logiques et cohérentes et n’avaient pas donné à la loi une application rétroactive prohibée par la Constitution.

15. Ayant commis une autre infraction pendant le délai d’épreuve et ne s’étant pas soumis à un traitement antialcoolique, le requérant fut contraint d’exécuter la peine de prison prononcée par le jugement du 18 avril 2007. Il commença à la purger le 3 janvier 2011. D’après le Gouvernement, il bénéficia d’une mise en liberté conditionnelle le 17 mai 2012.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Le code pénal (loi no 140/1961, telle qu’en vigueur jusqu’au 31 décembre 2009)

16. Aux termes de l’article 16 § 1, la nature pénale d’un fait s’appréciait à l’aune de la loi en vigueur à la date de sa commission. Une loi postérieure ne s’appliquait que si elle était plus favorable à l’auteur de l’infraction.

17. L’article 34k énonçait qu’un tribunal prononçant une peine devait considérer comme une circonstance aggravante notamment le fait que le coupable avait commis plusieurs infractions.

18. L’article 35 § 1 disposait que lorsqu’un tribunal reconnaissait une personne coupable de plusieurs infractions, la confusion des peines (úhrnný trest) devait être ordonnée et une peine unique fixée sur la base de la disposition légale réprimant la plus grave des infractions. En cas de différences quant à la durée des peines d’emprisonnement minimales, la plus longue de celles-ci était retenue aux fins de la détermination de la durée minimale de cette peine unique.

19. L’article 67 § 1 d) prévoyait que la responsabilité pénale pour une infraction emportant une peine d’emprisonnement d’une durée maximale inférieure à trois ans se prescrivait à l’expiration d’un délai de trois ans. Les paragraphes 3 et 4 de ce même article précisaient que ce délai était interrompu et recommençait à courir a) en cas d’inculpation de l’auteur de l’infraction en question ou d’adoption de toute mesure y faisant suite (par exemple un acte d’accusation délivré par le parquet, une citation à comparaître, etc.) en vue de poursuites pénales contre lui ou b) en cas de perpétration par l’intéressé, pendant ce délai, d’une nouvelle infraction punissable d’une peine identique ou plus lourde.

20. Aux termes de l’article 89 § 3, inséré dans le code pénal par la loi no 290/1993, entrée en vigueur le 1er janvier 1994, la continuation d’une infraction pénale (pokračování v trestném činu) s’entendait de l’accomplissement de plusieurs faits distincts (jednotlivé dílčí útoky) mus par le même but, réunissant chacun les éléments d’une même infraction et présentant un lien parce que exécutés d’une manière identique ou similaire, proches dans le temps et poursuivant le même objet.

21. L’article 197a punissait d’une peine d’emprisonnement de un an au plus ou d’une amende quiconque menaçait de tuer une autre personne ou de lui faire subir un préjudice corporel ou un autre dommage grave, d’une manière le lui faisant raisonnablement craindre.

22. Le paragraphe 1 de l’article 215a, introduit le 1er juin 2004, punissait d’une peine d’emprisonnement de trois ans au plus quiconque maltraitait un membre de sa famille ou une autre personne vivant sous le même toit. Le paragraphe 2 disposait que l’auteur de cette infraction était passible d’une peine de deux à huit ans d’emprisonnement a) si ses agissements étaient particulièrement brutaux ou si l’infraction était commise contre plusieurs personnes ou b) si ses agissements s’étendaient sur une longue durée.

Le rapport explicatif pertinent précisait que l’introduction de la disposition ci-dessus avait pour but de remédier à l’absence de législation spéciale en la matière, les règles pénales de droit commun applicables ne permettant la répression que des seuls faits de violence domestique physique les plus graves (par exemple les infractions prévues par les articles 197a ou 221, c’est-à-dire, selon la pratique judiciaire, celles entraînant une incapacité de travail d’une durée d’au moins sept jours, ce qui était rare dans les cas de violences domestiques). Il ajoutait que la nouvelle disposition ne posait pas comme condition l’existence de violences physiques ou de séquelles sur la santé de la victime, et qu’elle visait à aplanir les difficultés que posaient pour le parquet les particularités de la violence domestique.

Le rapport indiquait que la notion de « maltraitance » n’était pas nouvelle, car il existait déjà une infraction de maltraitance sur personne à charge. Selon l’interprétation qui en avait été donnée, cette dernière infraction s’analysait en un mauvais traitement persistant caractérisé par un degré particulièrement élevé de cruauté et d’indifférence, et considéré par la victime comme un tort grave. Il ne s’agissait pas forcément d’un comportement systématique ou s’étendant sur une longue durée.

23. L’article 221 § 1 disposait que l’infraction de coups et blessures intentionnels emportait une peine d’emprisonnement de deux ans au plus. Le paragraphe 2 prévoyait une peine d’emprisonnement de un à cinq ans notamment lorsque l’auteur de l’infraction causait à la victime un préjudice corporel grave, et le paragraphe 3 une peine d’emprisonnement de trois à huit ans lorsque les agissements de l’auteur de l’infraction entraînaient la mort.

B. La doctrine et la jurisprudence de la Cour suprême

24. D’après la doctrine tchèque, la continuation d’une infraction pénale, c’est-à-dire une infraction « continuée » (pokračování v trestném činu), s’analyse en un seul et même acte ; si l’une des conditions posées à l’article 89 § 3 du code pénal fait défaut, l’infraction en question est dite répétitive.

25. Selon la jurisprudence bien établie de la Cour suprême (décisions nos 3 Tz 155/2000, 3 Tdo 1115/2003, 6 Tdo 1314/2003, 11 Tdo 272/2007, 6 Tdo 181/2012, 11 Tdo 258/2012 et 6 Tdo 1553/2012), une infraction continuée est réputée prendre fin à la date de sa dernière manifestation. Le Gouvernement cite également les décisions publiées dans le Recueil des décisions et avis judiciaires sous les nos 103/1953, 44/1970, 7/1994, ainsi que la décision de la Cour suprême no 5 Tdo 593/2005. Il découle de cette jurisprudence que, lorsque la législation applicable change au cours d’une période sur laquelle s’étend une infraction continuée, celle-ci passe pour être régie par la nouvelle loi, à condition qu’au moins certains des faits concernés aient été commis après l’entrée en vigueur de cette loi et que, à la date de leur perpétration, les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi fussent constitutifs d’une infraction (décision no Tzn 12/93 de la Cour suprême), même passible d’une peine moins lourde.

26. Par son arrêt no 11 Tdo 272/2007 du 27 août 2007 adopté dans une affaire similaire du point de vue des faits, la Cour suprême annula les décisions rendues par les juridictions inférieures qui avaient reconnu l’accusé coupable de deux infractions pénales (l’une de violences contre un individu, au sens de l’article 197a du code pénal, commise avant le 1er juin 2004, l’autre de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, commise après cette date) et lui avaient infligé deux ans et six mois d’emprisonnement, toutes peines confondues. Elle jugea erronée cette interprétation des tribunaux qui distinguaient les faits commis avant et ceux commis après l’entrée en vigueur de l’article 215a du code pénal, la situation s’analysant selon elle en une infraction continuée. Elle confirma néanmoins la peine, déclarant en particulier :

« La question est de savoir si une infraction pénale continuée peut, sans violer les dispositions de l’article 16 § 1 du code pénal, englober des faits dont certains ont été perpétrés avant et d’autres après l’entrée en vigueur des règles pénales applicables (...) S’agissant de la continuation d’une infraction qui, d’un point de vue matériel, s’analyse en un seul et même acte [skutek], la date de sa perpétration est réputée être celle de la dernière de ses manifestations (qui forme une unité avec les manifestations précédentes). La continuation d’une infraction s’apprécie donc à l’aune de la nouvelle loi, fût-elle plus sévère, telle qu’en vigueur à la date où l’infraction s’achève, quand bien même certaines de ses manifestations (quelle qu’en soit l’ampleur) relèveraient du champ d’application temporel de règles pénales antérieures plus favorables à l’auteur de l’infraction.

Cette conclusion va dans le sens de la jurisprudence existante, selon laquelle une infraction continuée est réputée commise sous l’empire de la nouvelle loi (postérieure) pourvu qu’au moins certaines de ses manifestations (c’est-à-dire des faits distincts) soient postérieures à l’entrée en vigueur de cette loi. Cette infraction est donc réputée commise dans son intégralité sous l’empire de la nouvelle loi, postérieure (...), à condition que les agissements en cause fussent aussi punissables en vertu de la loi antérieure. »

27. Pour ce qui est de l’application de l’article 89 § 3 du code pénal dans le cas précis de faits relevant des articles 197a, 215a et 221 du même code ou d’agissements comparables, le Gouvernement renvoie également aux décisions de la Cour suprême nos 3 Tdo 1431/2006 du 10 janvier 2007, 6 Tdo 548/2008 du 28 mai 2008 et 7 Tdo 415/2013 du 21 mai 2013. La Cour suprême a confirmé dans ces décisions que la notion de lien de proximité temporelle n’était pas précisément définie et que chaque cas d’espèce appelait dès lors un examen global de l’ensemble de ses circonstances et des critères formels pertinents énoncés à l’article 89 § 3. Elle a ajouté que les éléments constitutifs d’une infraction pouvaient être réunis de différentes façons et que l’infraction n’avait donc pas à être toujours exécutée de la même manière, pourvu que les faits eussent porté atteinte au même bien juridique.

III. ÉLÉMENTS PERTINENTS DE DROIT COMPARÉ ET DE DROIT INTERNATIONAL

A. Terminologie

28. Il découle de l’analyse des systèmes juridiques des États contractants qu’il y a lieu de distinguer entre deux cas de figure, le second étant celui à retenir en l’espèce :

a) une infraction pénale « continue » (trvající trestný čin, continuing offence, Dauerdelikt, reato permanente), qui se définit par une action (ou une omission) s’étendant sur une certaine durée, par exemple le fait d’assister et d’héberger des membres d’une organisation illégale, situation dont la Cour a connu comme dans l’affaire Ecer et Zeyrek c. Turquie (nos 29295/95 et 29363/95, CEDH 2001‑II) ; et

b) une infraction pénale « continuée » (pokračující trestný čin, continuous offence, Fortgesetzte Handlung, reato continuato), qui s’entend d’une action consistant en plusieurs faits réunissant tous les éléments de la même infraction (ou d’une infraction similaire) commise sur une certaine durée, par exemple la dissimulation intentionnelle, persistante et importante de revenus imposables dont il était question dans l’affaire Veeber c. Estonie (no 2) (no 45771/99, CEDH 2003‑I).

29. De plus, en cas de pluralité d’infractions, les États contractants prévoient plusieurs types de peine :

a) des peines cumulées ou consécutives (consecutive/cumulative sentence) lorsqu’une peine distincte est infligée pour chaque infraction commise et que toutes les peines sont additionnées ou purgées l’une après l’autre ;

b) des peines confondues ou des peines simultanées (úhrnný trest, concurrent sentence) lorsque l’auteur des infractions se voit infliger la peine la plus lourde conformément à la disposition légale réprimant la plus grave des infractions ou plusieurs peines à purger simultanément ;

c) une peine globale ou d’ensemble (souhrnný trest, aggregate/consolidated/overall sentence), calculée d’après des méthodes qui varient selon qu’elle est infligée pour des infractions commises simultanément ou consécutivement ou qu’elle englobe d’autres peines imposées auparavant ; sa durée oscille en général entre celle de la somme de toutes les peines et celle de la peine la plus lourde.

B. Droit comparé

30. La notion d’infraction pénale continuée, telle qu’entendue dans la présente affaire, fut introduite en droit européen au Moyen Âge aux fins d’un adoucissement de la règle draconienne de droit romain quod criminae tot poenae, qui consacrait le cumul matériel de toutes les peines. Elle fut appréhendée de deux manières différentes tant par les auteurs que par les législateurs : selon une conception subjective ou selon une conception objective. D’après la conception subjective, dont on trouvait un exemple en Italie (article 81 du code pénal italien de 1930), une infraction pénale continuée était un groupe de faits unis par une seule et même intention, un seul et même dessein criminel. D’après la conception objective, développée principalement en Allemagne (voir, par exemple, l’article 110 du code pénal bavarois de 1813), l’infraction pénale continuée reposait sur l’intention répétée de son auteur de s’attaquer à un même objet ou bien juridique (Rechtsgut) ou à un objet ou bien juridique similaire. De surcroît, le fait que la répétition des actes délictueux et de l’intention criminelle était facilitée par les circonstances matérielles – entre autres, l’auteur de l’infraction, le lien de proximité temporelle et la nature du bien juridique touché – était considéré comme justifiant l’imposition d’une peine plus légère. Cette conception objective rencontra une adhésion aux quatre coins de l’Europe, et certains pays européens l’adoptèrent dans leur législation. Cependant, de manière à ne pas faire preuve de trop de clémence à l’égard des récidivistes, certains législateurs limitèrent l’application de cette notion à des catégories d’infractions précises.

31. La recherche conduite par la Cour concernant l’ensemble des quarante-sept États membres du Conseil de l’Europe confirme l’existence d’une tradition européenne consacrant la notion d’infraction pénale continuée dans sa conception objective. La vaste majorité d’entre eux ont de fait introduit cette notion dans leurs ordres juridiques, par le biais soit de dispositions légales expresses, soit de la doctrine et/ou de la pratique judiciaire.

32. Sur la base de cette étude comparative, les États contractants se divisent en trois groupes distincts :

a) trente États membres qui connaissent dans leur législation la notion d’infraction pénale continuée : Andorre (article 59 du code pénal), l’Arménie (article 21 § 2 du code pénal), la Belgique (article 65 § 1 du code pénal), la Bosnie-Herzégovine (article 54 § 2 du code pénal), la Bulgarie (article 26 du code pénal), la Croatie (article 52 du code pénal), l’Espagne (article 74 du code pénal), l’ex-République yougoslave de Macédoine (article 45 du code pénal), la Géorgie (article 14 du code pénal), la Grèce (article 98 § 1 du code pénal), la Hongrie (article 6 § 2 du code pénal), l’Italie (article 81 § 2 du code pénal, qui prévoit une infraction continuée stricto sensu), la Lettonie (article 23 du code pénal), Malte (article 18 du code pénal), la République de Moldova (article 29 du code pénal), le Monténégro (article 49 du code pénal), la Norvège (article 219 du code pénal, concernant les seules violences domestiques), les Pays-Bas (article 56 du code pénal), la Pologne (article 12 du code pénal), le Portugal (article 30 § 2 du code pénal), la République tchèque (article 89 § 3 du code pénal), la Roumanie (article 35 du nouveau code pénal), le Royaume-Uni (article 14.2(2) des règles de procédure pénale de 2013), Saint-Marin (article 50 du code pénal), la Serbie (article 61 du code pénal), la Slovaquie (article 122 § 10 du code pénal), la Slovénie (article 54 § 1 du code pénal), la Suède (article 4a du chapitre 4 du code pénal), la Turquie (article 43 du code pénal) et l’Ukraine (article 32 du code pénal) ;

b) quatorze États membres qui connaissent la notion d’infraction pénale continuée dans la théorie du droit et dans la pratique : l’Albanie, l’Allemagne, l’Autriche, l’Azerbaïdjan, le Danemark, l’Estonie, la France, l’Islande, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Monaco, la Russie et la Suisse ; et

c) trois États membres où n’est signalée ni dans la législation ni dans la théorie du droit l’existence de la notion d’infraction pénale continuée, telle qu’entendue en l’espèce : Chypre, la Finlande et l’Irlande.

33. Les éléments de droit comparé dont dispose la Cour au sujet de l’existence d’une notion d’infraction pénale continuée (paragraphes 31-32 ci-dessus) indiquent une forte convergence entre les systèmes de droit nationaux des États membres du Conseil de l’Europe dans ce domaine particulier. Il apparaît en effet qu’il existe un large consensus issu d’une longue tradition européenne (paragraphe 30 ci-dessus) quant aux caractéristiques suivantes de l’infraction pénale continuée, l’unité en droit des faits en cause étant établie tant par des éléments objectifs (actus reus) que par des éléments subjectifs (mens rea) :

a) l’auteur doit commettre un certain nombre de faits délictueux identiques, similaires ou différents contre le même bien juridique (legally protected interest, Rechtsgut, bene giuridico) et, souvent, lui et la victime doivent à chaque fois être les mêmes ;

b) il doit y avoir au moins une similitude des modes opératoires des différents faits concernés (modus operandi) ou d’autres circonstances matérielles doivent unir ceux-ci comme un tout (actus reus) ;

c) il doit exister entre chacun des faits un lien temporel, celui-ci devant s’apprécier au vu des circonstances de chaque cas d’espèce ;

d) chacun des faits doit être mû par la même intention ou le même dessein criminels à chaque fois renouvelés (mens rea), même s’ils ne doivent pas tous être projetés ab initio ;

e) chacun des faits doit réunir, explicitement ou implicitement, les éléments constitutifs de la ou des infraction(s) pénale(s) en cause.

34. Il y a aussi une convergence de vues sur le principe voulant que la loi en vigueur à la date de cessation de l’activité délictueuse continuée s’applique aux faits antérieurs à cette loi, pourvu que ceux-ci satisfassent aux conditions de la nouvelle loi, et dans la plupart des pays également à celles de la loi antérieure. Dans la vaste majorité des États membres, tel est aussi le cas lorsque la nouvelle loi est plus sévère, le raisonnement étant qu’en persistant dans ses agissements après la modification de la loi, l’auteur de l’infraction a tacitement consenti à se voir infliger une peine plus lourde.

35. Par ailleurs, dans l’ensemble des États membres, l’auteur d’une infraction pénale continuée est condamné à une peine unique. Lorsque les faits composant une infraction pénale continuée sont régis par plusieurs dispositions, c’est celle qui prévoit la peine la plus lourde qui s’applique.

36. Enfin, la peine infligée pour une infraction pénale continuée est invariablement plus clémente que les peines cumulées, consécutives ou simultanées prononcées pour des infractions multiples.

37. Au vu de ce qui précède, la Cour constate que la notion d’infraction pénale continuée est une solution législative et judiciaire communément retenue qui non seulement permet de réprimer certains agissements particuliers mais vise précisément à appliquer des règles plus clémentes de fixation des peines (voir, à titre de comparaison, l’arrêt Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 70, CEDH 2013). On peut dire en effet que cette notion présente deux avantages pour l’auteur de l’infraction :

a) il se voit infliger une peine unique et non des peines cumulées, consécutives ou simultanées pour plusieurs infractions ; et

b) en cas d’adoption d’une nouvelle loi, il faut que les éléments constitutifs de l’infraction telle que définie par la nouvelle loi aient été réunis dès le début des agissements, c’est-à-dire aussi pour les faits antérieurs à l’entrée en vigueur de cette loi.

C. Droit international

1. La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée par le Comité des Ministres le 7 avril 2011 et entrée en vigueur le 1er août 2014

38. Cette convention, que la République tchèque n’a pas ratifiée, impose aux États qui y sont parties de tout faire pour lutter contre les violences faites aux femmes sous toutes leurs formes et de prendre des mesures afin de les prévenir, de protéger ses victimes et d’en poursuivre les auteurs. Elle énonce notamment ce qui suit :

Article 46 – Circonstances aggravantes

« Les Parties prennent les mesures législatives ou autres nécessaires afin que les circonstances suivantes, pour autant qu’elles ne relèvent pas déjà des éléments constitutifs de l’infraction, puissent, conformément aux dispositions pertinentes de leur droit interne, être prises en compte en tant que circonstances aggravantes lors de la détermination des peines relatives aux infractions établies conformément à la présente Convention :

(...)

b. l’infraction, ou les infractions apparentées, ont été commises de manière répétée ;

(...) »

39. Le paragraphe 237 du rapport explicatif de ce traité indique :

« La circonstance aggravante énoncée à l’alinéa b [de l’article 46] s’applique aux infractions commises de manière répétée. Elle englobe toutes les infractions établies par cette convention, ainsi que toutes les infractions connexes commises par la même personne plus d’une fois pendant une certaine période. Les rédacteurs ont décidé de souligner ainsi l’effet particulièrement dévastateur pour la victime soumise de manière réitérée à un même type d’actes criminels. Cette circonstance étant fréquente dans les situations de violence domestique, les rédacteurs ont cru judicieux d’exiger la possibilité pour les tribunaux d’imposer des peines plus lourdes. Il convient de noter que les faits de l’infraction de nature analogue ayant conduit à la condamnation du même auteur ne peuvent pas être considérés comme un acte répété au sens de l’alinéa b, mais constituent une circonstance aggravante spécifique en vertu de l’alinéa i. »

2. La jurisprudence du Tribunal de l’Union européenne

40. Dans l’arrêt qu’il a rendu en l’affaire Trelleborg Industrie SAS et Trelleborg AB c. Commission européenne (affaires jointes T-147/09 et T‑148/09), le Tribunal de l’Union européenne a traité de la distinction entre infractions pénales « continues » et infractions pénales « répétées ».

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 7 DE LA CONVENTION

41. Le requérant se dit victime d’une application rétroactive du code pénal, expliquant qu’il a été condamné pour une infraction continuée de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, laquelle selon les tribunaux englobait même ses agissements antérieurs à l’introduction de cette infraction dans la loi. Il estime en outre que les tribunaux n’ont pas dûment recherché si ses agissements antérieurs auraient été constitutifs d’une infraction pénale au regard de l’ancienne loi. Il invoque à cet égard l’article 7 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise.

2. Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d’une personne coupable d’une action ou d’une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d’après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

42. Le Gouvernement récuse cette thèse.

A. L’arrêt de chambre

43. Dans son arrêt du 18 avril 2013, la chambre a conclu à la non-violation de l’article 7 de la Convention. Elle a estimé que, du point de vue du droit tchèque, étendre l’application du code pénal, dans sa version postérieure au 1er janvier 2004, à des faits perpétrés par le requérant avant cette date ne s’analysait pas en une application rétroactive de la loi pénale. Elle a noté aussi que l’interprétation de la notion générale de continuation d’une infraction, définie par l’article 89 § 3 du code pénal, se fondait sur une jurisprudence claire et constante de la Cour suprême développée antérieurement à la date où l’intéressé avait agressé pour la première fois son épouse. Sur le grief tiré par le requérant de l’interprétation retenue par les tribunaux en l’espèce, laquelle avait eu concrètement pour effet selon lui de donner une application rétroactive à la loi, la chambre a jugé que cette interprétation n’était pas en soi déraisonnable dès lors que, par définition, une infraction continuée s’étendait sur une certaine durée et qu’il n’était pas arbitraire de considérer qu’elle cessait à la date de sa dernière manifestation. Elle a noté par ailleurs que, comme les autorités tchèques l’avaient relevé, les agissements du requérant avaient à tout moment été pénalement répréhensibles. Dans ces conditions, elle a jugé que les dispositions légales pertinentes, combinées avec la jurisprudence interprétative, étaient propres à permettre au requérant de prévoir les conséquences de ses actes et de régler sa conduite en conséquence.

B. Les thèses des parties devant la Grande Chambre

1. Le requérant

44. Tout en concédant que l’interprétation de l’article 89 § 3 du code pénal par les juridictions internes était prévisible et généralement acceptée, le requérant estime que cette disposition n’aurait pas dû être appliquée dans son cas car, selon lui, les conditions d’application n’en étaient pas réunies. Il soutient que les autorités internes n’auraient pas dû qualifier ses actes d’infraction continuée dès lors que les faits d’agression commis par lui n’auraient pas procédé de la même intention et qu’ils n’auraient pas été proches dans le temps puisqu’ils auraient été séparés par un intervalle de plusieurs années. En outre, lors du procès en première instance, deux de ces faits auraient déjà été prescrits et auraient donc été insusceptibles de poursuites pénales.

45. Le requérant arguë en outre que les juridictions internes n’ont jamais établi que l’ensemble des éléments constitutifs des infractions pénales définies par le code pénal tel qu’en vigueur jusqu’au 1er juin 2004 (violences contre un individu ou un groupe d’individus, au sens de l’article 197a, ou coups et blessures, au sens de l’article 221) étaient réunis. Il considère que ses agissements étaient punissables non en tant qu’infractions pénales mais en tant que simples contraventions. Il aurait donc été reconnu coupable, en violation de l’article 7 de la Convention, de faits qui ne constituaient pas une infraction pénale d’après le droit national ou international en vigueur au moment de leur perpétration.

46. Le requérant soutient enfin qu’il ne jouissait pas de garanties suffisantes contre l’imposition d’une peine plus forte que celle qui était applicable au moment de la commission de l’infraction. Il estime au contraire qu’il aurait été impossible de lui infliger une peine aussi forte si chacun des faits d’agression avait été jugé séparément.

2. Le Gouvernement

47. Le Gouvernement fait remarquer que les articles 89 § 3 et 215a du code pénal ont tous deux été introduits dans l’ordre juridique tchèque bien avant que le requérant ne cesse ses agissements en février 2006. Il ajoute qu’à l’époque des faits il existait également une jurisprudence très riche relative aux infractions continuées et à l’interprétation de l’article 89 § 3 du code pénal qui répondait selon lui à une logique identique à celle suivie en l’espèce. Il serait donc établi que les agissements en question devaient s’analyser en une seule et même infraction régie par la loi en vigueur à la date de leur cessation. De plus, l’introduction, le 1er juin 2004, de l’article 215a du code pénal aurait rendu encore plus claire et plus prévisible l’éventualité de la mise en jeu de la responsabilité pénale du requérant. En effet, le nouvel article 215a du code pénal aurait défini le comportement répréhensible visé avec davantage de détails que les articles 197a et 221 du même code. Le requérant ayant persisté dans ses méfaits après le 1er juin 2004, le Gouvernement estime qu’il pouvait et devait s’attendre à voir sa responsabilité pénale engagée sur la base de l’article 215a du code pénal pour l’ensemble de ses agissements, y compris ceux antérieurs à la modification de la loi.

48. Le Gouvernement ajoute que, contrairement à ce que soutient le requérant, la condition de l’existence d’un lien de proximité temporelle entre les faits d’agression constitutifs de l’infraction continuée était bien satisfaite en l’espèce. Il admet que la proximité temporelle telle que définie dans la pratique judiciaire interne s’apprécie généralement en jours, en semaines ou en mois. Aucune limite maximale n’aurait toutefois été fixée, et la notion aurait donc nécessairement autorisé une certaine latitude selon la nature de l’infraction en cause. Il ressortirait des éléments du dossier et du raisonnement des juridictions internes que les trois incidents du 24 juin 2000, du 17 juillet 2003 et du 8 février 2006 ont été désignés comme étant les plus violents. Les tribunaux auraient constamment dit que les agissements du requérant s’étaient étendus sur une période de plusieurs années, qu’ils avaient été de gravité variable et qu’ils avaient revêtu un caractère récurrent, les uns survenant à quelques semaines d’intervalle des autres. Par ailleurs, l’acte d’accusation ainsi que les décisions de justice internes auraient clairement indiqué que le requérant était jugé pour ses agissements antérieurs comme postérieurs à l’entrée en vigueur de l’article 215a, lesquels n’auraient pu être séparés les uns des autres. Au vu de cette cohérence dans l’appréciation des faits par le parquet et par les juges, l’exigence de sécurité juridique aurait donc manifestement été respectée (le Gouvernement cite a contrario l’arrêt Ecer et Zeyrek c. Turquie, nos 29295/95 et 29363/95, §§ 33-35, CEDH 2001‑II). Il ressortirait clairement de la condamnation elle‑même que les tribunaux ont également estimé que les agissements du requérant, pris comme un tout, réunissaient les éléments de l’infraction définie par l’article 215a du code pénal.

49. Le Gouvernement conclut dès lors que l’exigence d’une base légale suffisamment claire et prévisible se trouvait satisfaite, que la nouvelle loi pénale n’a pas été appliquée rétroactivement et que le requérant ne s’est pas vu infliger une peine plus lourde qu’en vertu de l’ancienne loi. À cet égard, il considère que s’il avait fallu renoncer à la notion d’infraction continuée dans l’interprétation qu’en donnaient les tribunaux tchèques et examiner séparément les agissements du requérant antérieurs au 1er juin 2004 et ceux postérieurs à cette date, la peine encourue par celui-ci aurait été soit identique à celle effectivement infligée soit plus lourde. Le Gouvernement explique que, dans cette hypothèse, le requérant aurait été jugé pour une pluralité d’infractions appelant, au titre de la confusion des peines, une peine unique qui aurait été fixée conformément à la règle régissant l’infraction la plus grave, en l’occurrence l’article 215a du code pénal. De surcroît, selon lui, l’existence d’une pluralité d’infractions pénales et la durée des agissements en question auraient constitué des circonstances aggravantes.

C. Appréciation de la Cour

1. Principes généraux

50. La Cour rappelle que, dans son arrêt Del Río Prada c. Espagne ([GC], no 42750/09, CEDH 2013), qui est l’arrêt de Grande Chambre le plus récent concernant l’article 7 de la Convention, elle a énoncé les principes généraux suivants, qui sont pertinents en l’espèce :

« a) Nullum crimen, nulla poena sine lege

77. La garantie que consacre l’article 7, élément essentiel de la prééminence du droit, occupe une place primordiale dans le système de protection de la Convention, comme l’atteste le fait que l’article 15 n’y autorise aucune dérogation même en temps de guerre ou autre danger public menaçant la vie de la nation. Ainsi qu’il découle de son objet et de son but, on doit l’interpréter et l’appliquer de manière à assurer une protection effective contre les poursuites, les condamnations et les sanctions arbitraires (S.W. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 34, série A no 335-B, et C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 32, série A no 335-C, et Kafkaris, précité, § 137).

78. L’article 7 de la Convention ne se borne pas à prohiber l’application rétroactive du droit pénal au désavantage de l’accusé (voir, en ce qui concerne l’application rétroactive d’une peine, Welch c. Royaume-Uni, 9 février 1995, § 36, série A no 307‑A, Jamil c. France, 8 juin 1995, § 35, série A no 317‑B, Ecer et Zeyrek c. Turquie, nos 29295/95 et 29363/95, § 36, CEDH 2001‑II, et Mihai Toma c. Roumanie, no 1051/06, §§ 26-31, 24 janvier 2012). Il consacre aussi, de manière plus générale, le principe de la légalité des délits et des peines – « nullum crimen, nulla poena sine lege » – (Kokkinakis c. Grèce, 25 mai 1993, § 52, série A no 260‑A). S’il interdit en particulier d’étendre le champ d’application des infractions existantes à des faits qui, antérieurement, ne constituaient pas des infractions, il commande en outre de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au détriment de l’accusé, par exemple par analogie (Coëme et autres c. Belgique, nos 32492/96, 32547/96, 32548/96, 33209/96 et 33210/96, § 145, CEDH 2000-VII ; pour un exemple d’application par analogie d’une peine, voir l’arrêt Başkaya et Okçuoğlu c. Turquie [GC], nos 23536/94 et 24408/94, §§ 42-43, CEDH 1999‑IV).

79. Il s’ensuit que la loi doit définir clairement les infractions et les peines qui les répriment. Cette condition se trouve remplie lorsque le justiciable peut savoir, à partir du libellé de la disposition pertinente, au besoin à l’aide de l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux et le cas échéant après avoir recouru à des conseils éclairés, quels actes et omissions engagent sa responsabilité pénale et quelle peine il encourt de ce chef (Cantoni c. France, 15 novembre 1996, § 29, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V, et Kafkaris, précité, § 140).

80. La tâche qui incombe à la Cour est donc, notamment, de s’assurer que, au moment où un accusé a commis l’acte qui a donné lieu aux poursuites et à la condamnation, il existait une disposition légale rendant l’acte punissable et que la peine imposée n’a pas excédé les limites fixées par cette disposition (Coëme et autres, précité, § 145, et Achour c. France [GC], no 67335/01, § 43, CEDH 2006‑IV).

b) Notion de « peine » et portée de la peine

(...)

c) Prévisibilité de la loi pénale

91. La notion de « droit » (« law ») utilisée à l’article 7 correspond à celle de « loi » qui figure dans d’autres articles de la Convention ; elle englobe le droit d’origine tant législative que jurisprudentielle et implique des conditions qualitatives, entre autres celles d’accessibilité et de prévisibilité (Kokkinakis, précité, §§ 40-41, Cantoni, précité, § 29, Coëme et autres, précité, § 145, et E.K. c. Turquie, no 28496/95, § 51, 7 février 2002). Ces conditions qualitatives doivent être remplies tant pour la définition d’une infraction que pour la peine que celle-ci implique.

92. En raison même du caractère général des lois, le libellé de celles-ci ne peut pas présenter une précision absolue. L’une des techniques types de réglementation consiste à recourir à des catégories générales plutôt qu’à des listes exhaustives. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique (Kokkinakis, précité, § 40, et Cantoni, précité, § 31). Dès lors, dans quelque système juridique que ce soit, aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, y compris une disposition de droit pénal, il existe inévitablement un élément d’interprétation judiciaire. Il faudra toujours élucider les points douteux et s’adapter aux changements de situation. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or, le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation (Kafkaris, précité, § 141).

93. La fonction de décision confiée aux juridictions sert précisément à dissiper les doutes qui pourraient subsister quant à l’interprétation des normes (ibidem). D’ailleurs, il est solidement établi dans la tradition juridique des États parties à la Convention que la jurisprudence, en tant que source du droit, contribue nécessairement à l’évolution progressive du droit pénal (Kruslin c. France, 24 avril 1990, § 29, série A no 176‑A). On ne saurait interpréter l’article 7 de la Convention comme proscrivant la clarification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction et raisonnablement prévisible (S.W. c. Royaume-Uni, précité, § 36, et C.R. c. Royaume-Uni, précité, § 34, Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 50, K.-H.W. c. Allemagne [GC], no 37201/97, § 85, 22 mars 2001, Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, § 71, CEDH 2008, et Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 185, CEDH 2010). L’absence d’une interprétation jurisprudentielle accessible et raisonnablement prévisible peut même conduire à un constat de violation de l’article 7 à l’égard d’un accusé (voir, pour ce qui est des éléments constitutifs de l’infraction, Pessino c. France, no 40403/02, §§ 35-36, 10 octobre 2006, et Dragotoniu et Militaru-Pidhorni c. Roumanie, nos 77193/01 et 77196/01, §§ 43-44, 24 mai 2007 ; voir, pour ce qui est de la peine, Alimuçaj c. Albanie, no 20134/05, §§ 154‑162, 7 février 2012). S’il en allait autrement, l’objet et le but de cette disposition – qui veut que nul ne soit soumis à des poursuites, condamnations ou sanctions arbitraires – seraient méconnus. »

51. La Cour rappelle en outre qu’elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes dans l’appréciation et la qualification juridique des faits, pourvu que celles-ci reposent sur une analyse raisonnable des éléments du dossier (voir, mutatis mutandis, Florin Ionescu c. Roumanie, no 24916/05, § 59, 24 mai 2011). Plus généralement, la Cour rappelle que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et aux tribunaux, qu’il appartient d’interpréter la législation interne. Son rôle se limite donc à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999-I, Korbely c. Hongrie [GC], no 9174/02, §§ 72-73, CEDH 2008, et Kononov c. Lettonie [GC], no 36376/04, § 197, CEDH 2010).

52. Toutefois, la Cour doit jouir d’un pouvoir de contrôle plus large lorsque le droit protégé par une disposition de la Convention, en l’occurrence l’article 7, requiert l’existence d’une base légale pour l’infliction d’une condamnation et d’une peine. L’article 7 § 1 exige de la Cour qu’elle recherche si la condamnation du requérant reposait à l’époque sur une base légale. En particulier, elle doit s’assurer que le résultat auquel ont abouti les juridictions internes compétentes était en conformité avec l’article 7 de la Convention. L’article 7 deviendrait sans objet si l’on accordait un pouvoir de contrôle moins large à la Cour (Kononov, précité, § 198).

53. En somme, la Cour doit rechercher si la condamnation du requérant reposait sur une base suffisamment claire (Kononov, précité, § 199).

2. Application en l’espèce des principes susmentionnés

54. La Cour constate que la thèse du requérant consiste essentiellement à soutenir, premièrement, que ses agissements antérieurs au 1er juin 2004 n’étaient pas punissables en vertu de la loi pénale applicable à la date de leur commission puisque, d’après lui, ils ne réunissaient pas les éléments constitutifs des infractions évoquées par les autorités, à savoir celles visées par les articles 197a et/ou 221 du code pénal, et ne pouvaient s’analyser qu’en des contraventions, et, deuxièmement, que les différents faits d’agression commis par lui ne pouvaient être qualifiés d’infraction continuée car, selon lui, rien ne prouvait réellement qu’ils eussent procédé de la même intention ou qu’ils eussent été proches dans le temps.

55. Or il découle des limitations rappelées aux paragraphes 51 et 52 ci-dessus que la Cour n’a pas à se prononcer sur la responsabilité pénale individuelle du requérant, question qui relevait au premier chef des juridictions internes. C’est en effet à ces dernières qu’il revenait de se livrer à des constats de fait et d’apprécier l’intention du requérant sur la base des pièces du dossier avant de décider, en vertu du droit interne tel qu’interprété par la pratique judiciaire, s’il y avait lieu de qualifier les agissements de l’intéressé d’infraction continuée, d’infraction continue, ou de concours ou de répétition d’infractions. La Cour n’a donc pas à dire si les faits commis par le requérant avant le 1er juin 2004 réunissaient les éléments constitutifs des infractions pénales définies par les dispositions susmentionnées (voir, mutatis mutandis, Lehideux et Isorni c. France, 23 septembre 1998, § 50, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VII) ni si les agissements en question devaient être qualifiés d’infraction continuée au regard du droit interne.

56. En réalité, la Cour a au regard de l’article 7 § 1 une double fonction en l’espèce. Premièrement, elle doit rechercher si, à la date où ils ont été commis, les agissements du requérant, y compris ceux antérieurs à l’entrée en vigueur de l’article 215a du code pénal le 1er juin 2004, étaient constitutifs d’une infraction définie de manière suffisamment prévisible par le droit interne (Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne [GC], nos 34044/96 et 2 autres, § 51, CEDH 2001‑II, Veeber c. Estonie (no 2), no 45771/99, § 33, CEDH 2003-I, et Korbely, précité, §§ 72-73), la question de l’accessibilité ne se posant pas ici. Deuxièmement, elle doit dire si l’application faite de cette disposition par les juridictions nationales, qui a eu pour effet d’englober les agissements auxquels le requérant s’était livré avant le 1er juin 2004, emportait pour ce dernier une possibilité réelle de se voir infliger, en violation de l’article 7 de la Convention, une peine plus forte (voir, mutatis mutandis, Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, § 70, CEDH 2013).

a) L’infraction était-elle définie de manière suffisamment prévisible ?

57. La Cour a déjà été appelée à examiner sur le fond deux affaires où le requérant avait été condamné pour une infraction pénale continuée ou continue, mais sans qu’une distinction eût été établie entre ces deux catégories d’infraction (Ecer et Zeyrek c. Turquie, nos 29295/95 et 29363/95, CEDH 2001-II et Veeber (no 2), précité). Dans ses affaires, elle a observé que, par définition, pareilles infractions visent des faits qui s’étendent sur une certaine durée (Veeber (no 2), précité, § 35). Elle a ajouté que, lorsqu’une personne est accusée d’une infraction « continue », le principe de la sécurité juridique commande que les faits constitutifs de l’infraction, qui mettent en jeu la responsabilité pénale de l’intéressé, soient clairement énoncés dans l’acte d’accusation. En outre, la décision rendue par la juridiction interne doit elle aussi bien préciser que le verdict de culpabilité et la peine reposent sur le constat que l’accusation a établi l’existence des éléments constitutifs d’une infraction « continue » (Ecer et Zeyrek, précité, § 33).

58. La Cour rappelle également que, dans tout système juridique, c’est aux tribunaux internes qu’il appartient d’interpréter les règles de droit pénal matériel de manière à déterminer, par rapport au régime de chaque infraction, la date où, à supposer que les éléments constitutifs de celle-ci soient réunis, il y a perpétration d’un fait punissable. Il s’agit là d’un élément d’interprétation judiciaire auquel la Convention ne saurait faire obstacle, pourvu que les résultats auxquels les juridictions internes parviennent soient raisonnablement prévisibles au sens de la jurisprudence de la Cour (Previti c. Italie (déc.), no 45291/06, § 283, 8 décembre 2009).

59. Pour en venir aux circonstances particulières de la présente affaire, la Cour relève d’emblée que le requérant a été reconnu coupable des faits qui lui étaient reprochés, c’est-à-dire pour avoir, au moins au cours de la période comprise entre l’année 2000 et le 8 février 2006, maltraité son épouse physiquement et psychologiquement, de manière répétée, lorsqu’il était en état d’ébriété (pour plus de détails, voir le paragraphe 10 ci-dessus), lui causant diverses blessures graves et obligeant celle-ci à demander des soins médicaux le 26 juin 2000, le 18 juillet 2003 et le 8 février 2006 (paragraphe 10 ci‑dessus). Dans son arrêt du 21 février 2008, la Cour suprême confirma la qualification juridique, retenue par les juridictions inférieures, de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, au sens de l’article 215a du code pénal, tel qu’en vigueur à compter du 1er juin 2004, et elle appliqua cette disposition également aux sévices infligés par le requérant à son épouse avant cette date. À cet égard, elle se référa à sa décision no Tzn 12/93 du 8 décembre 1993, qui analysait une infraction pénale continuée en un seul et même acte et précisait que sa qualification pénale devait s’apprécier à l’aune de la loi en vigueur à la date de la dernière de ses manifestations. Elle estima donc que l’article 215a s’appliquait aussi aux faits d’agression antérieurs, pourvu que ceux-ci fussent pénalement réprimés par la précédente loi, et elle jugea que les agissements auxquels s’était livré le requérant avant la modification intervenue le 1er juin 2004 étaient constitutifs au moins d’une infraction visée par les articles 197a ou 221 § 1 du code pénal. Elle conclut également, au vu du dossier, que les agissements de l’accusé réunissaient tous les éléments légaux de l’infraction de maltraitance sur personne vivant sous un même toit au sens de l’article 215a §§ 1 et 2 b) du code pénal. L’infraction en question ayant été commise au moins au cours de la période comprise entre l’année 2000 et le 8 février 2006, la Cour suprême ajouta que les conditions matérielles, posées au paragraphe 2b) de l’article 215a, permettant de la qualifier d’aggravée en raison de sa longue durée se trouvaient satisfaites (paragraphe 13 ci-dessus).

60. La Cour note par ailleurs qu’il ressort implicitement du raisonnement de la Cour suprême tel qu’exposé ci-dessus, qui renvoyait à la décision du 8 décembre 1993, que l’interprétation faite par cette juridiction tenait bien compte des règles particulières énoncées à l’article 89 § 3, qui avait introduit la notion de continuation d’une infraction pénale, d’origine jurisprudentielle, dans le code pénal en 1994 (paragraphes 20 et 24 ci‑dessus), soit avant le premier fait d’agression commis par le requérant contre son épouse et dont il fut reconnu coupable (voir, à l’inverse, l’arrêt Veeber (no 2), précité, § 37). D’ailleurs, comme il le confirme dans ses observations devant la Cour, le requérant ne conteste pas la prévisibilité de l’application faite par les juridictions nationales dans son cas des règles énoncées à l’article 89 § 3.

61. En vertu de cette disposition, la continuation d’une infraction pénale s’entendait de faits distincts dirigés vers le même but, chacun d’eux étant constitutif d’une même infraction et présentant un lien parce que exécutés d’une manière identique ou similaire, proches dans le temps et poursuivant le même objet. Il ressort de la jurisprudence claire et constante de la Cour suprême (paragraphes 25-27 ci-dessus) et des vues exposées par la doctrine (paragraphe 24 ci-dessus) qu’une infraction « continuée » s’analyse en un seul et même acte, dont la qualification en droit pénal tchèque s’apprécie à l’aune des règles en vigueur à la date où s’achève la dernière de ses manifestations, pourvu que les faits commis sous l’empire de dispositions juridiques antérieures soient aussi punissables en vertu de celles-ci.

62. Dès lors que les agissements du requérant antérieurs au 1er juin 2004 s’analysaient en des infractions pénales qui étaient punissables en vertu des articles 197a ou 221 § 1 du code pénal et qu’ils réunissaient les éléments constitutifs de l’infraction visée à l’article 215a, la Cour admet que le fait pour les juridictions internes de déclarer l’intéressé coupable sur le fondement de cette dernière disposition à raison également de faits antérieurs à cette date ne constituait pas une application rétroactive de la loi pénale au détriment du requérant, interdite par la Convention. De plus, dans son arrêt du 10 juin 2008, la Cour constitutionnelle a jugé que les décisions rendues par les tribunaux nationaux en l’espèce étaient logiques et cohérentes et qu’elles n’avaient emporté aucun effet rétroactif prohibé par la Constitution. La Cour n’aperçoit rien qui soit de nature à lui faire considérer que cette appréciation était entachée d’une imprévisibilité proscrite par l’article 7 de la Convention.

63. Au vu de ces circonstances, et compte tenu de la clarté du libellé des règles nationales pertinentes, précisées encore par l’interprétation des juridictions nationales, la Cour estime qu’en persistant dans ses agissements après le 1er juin 2004, date d’introduction dans le code pénal de l’infraction de maltraitance sur personne habitant sous le même toit, le requérant pouvait et devait s’attendre, le cas échéant après s’être entouré de conseils juridiques adéquats, à être jugé pour une infraction continuée, appréciée à l’aune de la disposition légale en vigueur à la date de sa dernière manifestation, à savoir l’article 215a du code pénal. Elle ne voit aucune raison de douter que le requérant était à même de prévoir, pour ce qui est non seulement de la période postérieure à l’entrée en vigueur de cette disposition le 1er juin 2004 mais aussi de la période allant de l’année 2000 jusqu’à cette dernière date, que sa responsabilité pénale pouvait être engagée pour l’infraction continuée évoquée ci-dessus, et de régler sa conduite en conséquence (voir, mutatis mutandis, Streletz, Kessler et Krenz, précité, § 82, et Achour c. France [GC], no 67335/01, §§ 52-53, CEDH 2006‑IV).

64. Dans ces conditions, la Cour est convaincue non seulement que l’infraction dont le requérant a été reconnu coupable avait une base « au moment où elle a été commise (...) d’après le droit national » pertinent, mais aussi que ce droit définissait cette infraction avec suffisamment de clarté pour satisfaire à l’exigence qualitative de prévisibilité découlant du sens autonome que revêt la notion de « droit » figurant à l’article 7 de la Convention.

b) La peine infligée au requérant sur la base de l’article 215a était-elle plus forte ?

65. Par ailleurs, la Cour ne saurait retenir la thèse du requérant selon laquelle l’imposition par les juridictions nationales d’une peine fondée sur l’article 215a à raison également de faits antérieurs au 1er juin 2004 a conduit à alourdir la peine qui lui aurait autrement été infligée.

66. Ainsi qu’il a déjà été indiqué ci-dessus, on peut conclure au vu du raisonnement suivi par les juridictions internes, et en particulier de celui adopté par la Cour suprême dans son arrêt du 21 février 2008, que tous les éléments constitutifs de l’infraction visée à l’article 215a §§ 1 et 2b) du code pénal étaient réunis aussi relativement aux faits commis par le requérant avant l’entrée en vigueur de cette disposition le 1er juin 2004. Au surplus, les tribunaux ont dit expressément que ces faits auraient été punissables en vertu de la loi antérieure.

67. Rien n’indique que le raisonnement susmentionné des tribunaux internes ait eu pour conséquence défavorable pour le requérant d’alourdir sa peine (voir, à l’inverse, Veeber (no 2), précité, § 36). Au contraire, si les faits commis par lui avant le 1er juin 2004 et ceux postérieurs à cette date avaient été appréciés séparément, la règle pertinente de fixation des peines posée à l’article 35 § 1 du code pénal se serait traduite par une détermination de la peine sur la base de la disposition légale régissant la plus grave des infractions, à savoir l’article 215a du code pénal. Comme l’indique le Gouvernement, le requérant se serait alors vu infliger une peine qui n’aurait pu être inférieure à celle imposée en réalité et qui aurait même pu être plus lourde, dans la mesure où l’existence d’une pluralité d’infractions aurait vraisemblablement été retenue comme circonstance aggravante en vertu de l’article 34k du code pénal.

68. La Cour n’est pas davantage convaincue par la thèse du requérant selon laquelle si les faits d’agression commis par lui avaient été appréciés séparément, deux d’entre eux (vraisemblablement ceux perpétrés le 24 juin 2000 et le 17 juillet 2003) auraient été prescrits. L’article 67 § 1 d) du code pénal prévoyait un délai de prescription de trois ans pour toute infraction punissable d’une peine d’emprisonnement d’une durée maximale inférieure à trois ans. Dès lors, quand bien même le requérant eût été poursuivi seulement pour les trois incidents mis en exergue par les juridictions nationales, il aurait en tout état de cause pu être jugé au moins pour l’agression commise le 17 juillet 2003, qui tombait sous le coup de l’ancienne loi, et pour celle commise le 8 février 2006, qui relevait de la nouvelle loi.

69. Au vu de ce qui précède, la Cour est convaincue que l’appréciation sous l’angle de la nouvelle loi de faits antérieurs à l’entrée en vigueur de celle-ci n’a pas entraîné la fixation d’un châtiment désavantageux pour le requérant. En effet, celui-ci ne s’est vu imposer qu’une seule peine dont il était de toute manière passible à raison des faits commis par lui après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi (paragraphe 37 ci-dessus et, a contrario, Maktouf et Damjanović, précité, § 70).

c) Conclusion

70. Les éléments ci-dessus suffisent à la Cour pour conclure que la peine infligée au requérant, reconnu coupable de l’infraction pénale continuée de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, était applicable à la date où cette infraction était réputée avoir cessé, conformément à un « droit » qui était prévisible quant à ses effets. La loi pénale n’a pas été appliquée de manière rétroactive et le requérant n’a pas été soumis à des règles de fixation des peines plus sévères que celles qui auraient été applicables s’il avait été jugé pour plusieurs infractions distinctes.

71. La Cour considère que le raisonnement suivi par les juridictions tchèques en l’espèce est conforme à l’objet et au but de l’article 7 de la Convention, qui est de veiller à ce que nul ne fasse l’objet de poursuites, de condamnations ou de peines arbitraires (paragraphe 50 ci-dessus). De plus, en renforçant le dispositif juridique national de protection contre les violences domestiques – celles commises contre les femmes demeurant particulièrement préoccupantes dans les sociétés européennes d’aujourd’hui (paragraphe 38 ci-dessus et Opuz c. Turquie, no 33401/02, CEDH 2009) –, ce raisonnement est aussi conforme aux objectifs fondamentaux de la Convention, dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines (voir, mutatis mutandis, C.R. c. Royaume-Uni, 22 novembre 1995, § 42, série A no 335‑C).

72. Pour parvenir aux conclusions ci-dessus, la Cour a examiné sous l’angle de l’article 7 de la Convention l’application, dans le cas du requérant, de la notion, telle que consacrée par le droit tchèque, de continuation de l’infraction pénale de maltraitance sur personne vivant sous le même toit. À titre de comparaison, il y a lieu de noter dans ce contexte que la notion d’infraction pénale continuée telle que définie par le droit tchèque cadre avec la tradition européenne qui se reflète dans les législations nationales de la vaste majorité des États membres du Conseil de l’Europe (paragraphes 31 et 33 ci-dessus) et que, dès lors, la situation concernant la question de la prévisibilité soulevée en l’espèce n’apparaît pas notablement différente de celle concernant les infractions du même type prévues dans les systèmes juridiques nationaux des autres États parties à la Convention. Ainsi qu’il ressort de la description des agissements du requérant donnée par les autorités internes, ceux-ci étaient dirigés contre une victime précise, à savoir son épouse, et en particulier contre les biens juridiques que constituaient pour elle son intégrité physique et mentale ainsi que son honneur. Il est clair également que le mode opératoire était le même : les agressions étaient commises sous le même toit, il existait un lien de proximité temporelle entre les différents faits, qui se sont étendus sur une période de plusieurs années, chacun des faits commis pendant cette période procédait de la même intention délictueuse et chacun d’eux était contraire au droit pénal. Autrement dit, l’infraction dont le requérant a été reconnu coupable partage certaines caractéristiques avec d’autres infractions de ce type existant au sein du cercle des États contractants, tout comme la solution du système de justice pénale tchèque consistant, dans des cas tels celui de l’espèce, à infliger une peine pour une seule et même infraction a également été adoptée dans d’autres États contractants (paragraphes 33- 37 ci-dessus).

73. En somme, il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 7 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé par écrit le 27 janvier 2015.

Michael O’BoyleDean Spielmann
Greffier adjoint Président

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante de la juge Ziemele ;

– opinion concordante du juge Pinto de Albuquerque.

D.S.
M.O’B.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ZIEMELE

(Traduction)

1. J’approuve tout à fait l’issue de la présente affaire. Je pense toutefois que, lorsqu’il étudiera le raisonnement de la Cour et les éléments jugés pertinents en l’espèce par celle-ci, le lecteur se demandera s’il y avait une quelconque nécessité ici de se prononcer sur l’existence d’un consensus européen concernant la notion d’infraction pénale continuée. Il se posera peut-être la question suivante : si la République tchèque était la seule à avoir reconnu cette notion, la Cour aurait-elle jugé cet élément problématique à la lumière des principes applicables sur le terrain de l’article 7 ?

2. Voilà encore une autre affaire où la Cour aura été tentée de se lancer dans une discussion sur l’existence d’un consensus européen. Cette notion demeure controversée, et la controverse ne se limite pas au terme « consensus » lui-même, lequel, au moins dans son sens ordinaire, exige un accord de la part des intéressés (voir L. Wildhaber, A. Hjartarson et S. Donnelly, « No consensus on consensus », Human Rights Journal, 2013, p. 248-263, et S. Besson et A.-L. Graf-Brugère, « Le droit de vote des expatriés, le consensus européen et la marge d’appréciation des États », Revue trimestrielle des droits de l’homme, 2014, p. 942 et suivantes). J’ai écrit ailleurs qu’une manière d’agir plus orthodoxe pour la Cour consisterait à s’appuyer sur les outils que le droit international offre de toute manière (I. Ziemele, « Customary International Law in the Case law of the European Court of Human Rights », dans The Judge and International Custom, Conseil de l’Europe, 2012). Cela signifie selon moi que, lorsqu’elle examine des lois et pratiques internes ainsi que les positions que les États européens ont pu exprimer dans un autre cadre international sur la question qui se pose, la Cour est en réalité à la recherche d’une pratique régionale particulière que les États jugent nécessaire de suivre, autrement dit une coutume régionale. (Entre parenthèses, la notion de coutume a elle aussi évolué en droit international et elle n’est très vraisemblablement plus aussi rigide qu’elle avait pu être il y a un certain temps.) Si la Cour établit l’existence d’une pratique que les États européens suivent grosso modo (soft custom, par exemple), il ne fait aucun doute qu’elle doit la garder à l’esprit quand elle interprète la Convention à la lumière des développements récents. Cependant, il n’y a rien de nouveau à appliquer la loi dans le temps et à examiner l’applicabilité du droit en question auparavant et maintenant.

Si la Cour faisait mieux le lien entre, d’une part, le recours par elle au consensus et les doctrines de l’instrument vivant et, d’autre part, les notions analogues de droit international, il y aurait peut-être moins matière à discussion sur l’interprétation expansive par elle de la Convention.

3. Dans certains cas, toutefois, point n’est besoin de rechercher s’il existe une pratique régionale contraignante. À mes yeux, la présente affaire est un cas de ce type. Pour les besoins de l’espèce, il est instructif de relever que les systèmes pénaux européens connaissent depuis longtemps la notion d’infraction pénale continuée. Il y a probablement de nombreuses similitudes dans la manière dont le droit pénal interne aborde cette notion (paragraphe 33 de l’arrêt). Mais il y a aussi certainement des différences. Il n’est pas nécessaire dans la partie de l’arrêt consacrée au droit comparé de se prononcer sur l’existence d’un large consensus parmi les États. Compte tenu de l’utilisation précise de la notion de consensus dans la jurisprudence telle que normalement appliquée dans les affaires où l’État jouit d’une marge d’appréciation, on peut s’interroger sur la finalité, dans une affaire relevant de l’article 7, de ce passage au paragraphe 33 de l’arrêt.

Je dirais qu’il ne faut pas voir dans ce passage une démarche de la Cour visant à établir l’existence ou non d’un consensus en vue de fixer les limites de la marge d’appréciation lorsqu’il y a des circonstances sociales nouvelles. J’aurais préféré que, dans cette partie de l’arrêt, la Cour ne se prononce pas sur l’existence d’un large consensus.

4. L’affaire concerne la prévisibilité d’une loi pénale interne et le risque d’imposition d’une peine plus forte. À la lumière de la jurisprudence relative à l’article 7, la tâche de la Cour est très clairement définie au paragraphe 55 de l’arrêt, c’est-à-dire qu’elle doit déterminer si, avant le 1er juin 2004, le droit interne réprimait les faits commis par le requérant. La Cour examine la législation interne et la pratique des juridictions nationales et, en l’espèce, elle a jugé que la pratique interne, mûrement réfléchie par les juridictions nationales, n’était pas arbitraire ni d’ailleurs illicite pour les besoins de l’article 7. Peut-être est-il intéressant que dans d’autres pays des faits de même nature auraient éventuellement été traités de manière similaire par le droit pénal interne, mais ce n’est pas un élément réellement pertinent dans le type d’examen que l’article 7 prévoit. En somme, j’ai du mal à voir comment un consensus européen pourrait entrer en ligne de compte dans l’appréciation des caractéristiques particulières de certaines notions de droit pénal interne. Il existe assurément certaines similarités qui sont le fruit de l’histoire européenne, mais il existe forcément aussi des différences tenant aux choix opérés par les législateurs respectifs.

5. La notion de consensus européen appelle des débats réfléchis et une mise au point dans la jurisprudence future de la Cour. J’ose espérer que cela se fera en gardant à l’esprit les éléments pertinents du droit international. Le recours à cette notion ne devrait pas être imprévisible.

OPINION CONCORDANTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

1. J’approuve tout à fait l’arrêt rendu par la Grande Chambre en l’espèce ainsi que sa méthodologie. En fait, c’est la toute première fois que la Cour traite dans un seul arrêt ex professo à la fois de la terminologie exacte employée concernant une notion importante de droit pénal, de son contexte historique et de son régime actuel dans les quarante-sept systèmes de droit du Conseil de l’Europe. Une étude linguistique, historique et de droit comparé d’une telle ampleur n’avait jamais été faite auparavant et il faut s’en féliciter. Cela dit, justement en raison de la riche histoire de cette notion et de ses nombreuses variantes dans les systèmes de droits nationaux étudiés, je me sens obligé d’ajouter quelques observations additionnelles qui visent à clarifier le principe établi par la Grande Chambre ainsi que ses conséquences pratiques dans la définition des politiques des États membres en matière de droit pénal.

Selon la Grande Chambre, il existe un large consensus issu d’une longue tradition européenne quant aux caractéristiques particulières de l’infraction pénale continuée. La Cour considère que l’application de dispositions internes en vue de réprimer des infractions de ce type ne viole pas en principe l’article 7 de la Convention pourvu que chacun des faits qui les composent soit dirigé contre le même bien juridique, qu’il existe au moins une similarité dans leurs modalités d’exécution, qu’ils soient rattachés par un lien de proximité temporelle, qu’ils soient mus par la même intention ou le même dessein criminels renouvelés et qu’ils réunissent, explicitement ou implicitement, les éléments constitutifs des infractions pénales en question. La présente opinion vise à clarifier la portée substantielle de ce principe et ses implications pratiques, à la lumière de la situation passée et présente de la notion d’infraction continuée en droit européen[1].

Historique de la notion d’infraction continuée

2. Le droit romain ne connaît pas la notion d’infraction continuée. Ce n’est qu’au Moyen Âge que des jurisconsultes tels que Bartole[2], Balde[3] et Farinaccio[4] introduisirent cette notion afin d’adoucir la règle sévère, en matière de fixation des peines, du strict cumul ou de la consécutivité des peines (quod criminae tot poenae), tirée du droit romain[5]. Selon ces jurisconsultes, il y a deux critères essentiels pour que des faits délictueux distincts puissent être réprimés en tant qu’infraction pénale continuée : le bref laps de temps écoulé entre chacun d’eux (cum temporis intervallo, comme le dit Balde) et l’existence d’une seule et même intention ou d’un seul et même but, à l’origine de chacun de ces faits (ad eundem finem, comme le dit Bartole). D’ailleurs, le lien de proximité temporelle entre les faits distincts est considéré comme établissant l’unicité de l’intention. Une infraction continuée est un groupe de faits distincts unis par une même intention et un même but criminel, et commis pendant un bref laps de temps, appelant une seule peine d’emprisonnement[6].

3. La notion d’infraction continuée fut consacrée pour la première fois dans un texte en Toscane, par la loi du 30 août 1795. Cette loi réprimait en tant qu’infraction continuée tous les vols perpétrés au détriment d’une ou plusieurs personnes, à condition qu’ils aient été commis dans un intervalle de vingt-quatre heures. L’article 80 du code pénal de Toscane de 1853 renfermait une disposition générale élargissant cette notion à des infractions autres que le vol[7]. Cette disposition fut reprise, avec des changements mineurs, à l’article 79 du premier code pénal unifié du Royaume d’Italie, le code pénal de 1889, dit « code Zanardelli ».

Dans son célèbre Programa del corso di diritto penale, Francesco Carrara donna la définition classique de la notion d’infraction continuée[8], celle qui allait être reprise à l’article 81 du code pénal de 1930, dit « code Rocco ». Comme l’avait proposé Carrara, l’article 81 visait le « même dessein criminel » (medesimo disegno criminoso). Selon Carrara, c’est non pas l’élément volontaire du dolus qui unifie les différents faits délictueux perpétrés par l’auteur de l’infraction, mais son élément intellectuel, c’est-à-dire l’existence d’une même idée odieuse à l’origine de l’ensemble de ces faits. Manzini parlait de même projet criminel, Carnelutti de même intérêt et Leone de même désir, ces diverses formulations n’étant rien de plus que des variations autour de la doctrine subjective de Carrara[9]. Considérée comme une simple règle de fixation des peines imposée par le principe de la justice, cette doctrine subjective, par sa portée générale, permettait par exemple l’unification de différents actes perpétrés contre la vie et l’intégrité physique de différentes personnes.

4. En France, l’article 365 du code d’instruction criminelle prévoyait une solution générale en cas de pluralité d’infractions perpétrées par le même auteur : la peine la plus lourde devait toujours être celle appliquée, indépendamment du nombre d’actes commis ou de la relation entre eux (delictum majus absorvet minus). Le principe de l’absorption rendait moins problématique la répression d’une infraction continuée. La discussion du problème passa sur le terrain de la procédure pénale. Confrontée au problème de faits délictueux successifs perpétrés dans le même but, la doctrine française, avec à sa tête Faustin Hélie, procureur général près la Cour de cassation, fit sien le point de vue des jurisconsultes italiens. La nouveauté de la démarche adoptée par Hélie tient à la conclusion procédurale qu’il tire de la doctrine italienne : une personne inculpée pour un ou plusieurs faits distincts constitutifs d’une infraction continuée ne peut être inculpée une seconde fois en vue d’être jugée pour d’autres faits distincts s’inscrivant dans la même infraction continuée mais n’ayant pas été pris en compte lors du premier procès[10]. Le principe non bis in idem s’opposerait alors à la tenue d’un second procès.

5. Les débats doctrinaux connurent un tournant fondamental en Allemagne, grâce aux travaux d’éminents jurisconsultes et de législateurs réceptifs. Le paragraphe 110 du code pénal bavarois de 1813, le paragraphe 106 du code pénal hanovrien de 1840, le paragraphe 56 du code pénal brunswickois, l’article 112 du code pénal hessois de 1841, l’article 180 du code pénal badois de 1845 ainsi que d’autres introduisirent une conception nouvelle qui allait se répandre lentement partout en Europe.

Le code pénal bavarois, sous l’influence de Feuerbach, opérait une distinction entre wiederholtes Verbrechen, ou « infraction répétée », sanctionnée par plusieurs peines lorsque les actes de son auteur portaient sur différents objets, et fortgesetztes Verbrechen, ou « infraction continuée », sanctionnée par une seule peine lorsque les actes de son auteur portaient sur un seul objet (an demselben Gegenstande oder an einer und derselben Person)[11]. La célèbre critique faite par Mittermaier des modalités de cette distinction eut l’immense mérite d’ouvrir, sur le sens de l’expression « un seul et même objet », un débat théorique qui n’est pas encore clos[12]. Ce n’est pas, comme le défend Feuerbach, le seul fait que l’objet de l’infraction est le même ni, comme l’enseignaient les jurisconsultes italiens, le seul élément intellectuel qui unifie les différents faits commis par l’auteur de l’infraction, mais plutôt l’unité de la volonté globale de ce dernier de perpétrer l’infraction, l’homogénéité de ces faits et la violation du même bien juridique (Rechtsgut)[13]. Mittermaier avait une bonne intuition lorsqu’il disait qu’imposer une peine plus légère pour une infraction continuée était justifié par le fait que la répétition des faits délictueux distincts et le dessein criminel renouvelé de l’auteur de l’infraction étaient « facilités » par les circonstances matérielles qui entourent l’auteur[14]: c’est la situation extérieure favorable entourant ce dernier qui le conduit à porter atteinte plus d’une fois au bien juridique identique ou similaire pendant un bref laps de temps. C’est précisément parce que la culpabilité de l’auteur, conduit par des circonstances extérieures favorables à répéter l’infraction, est amoindrie qu’imposer une peine plus clémente est justifié. Cette vision trouva un appui au sein de la cour impériale allemande, qui donna droit de cité à la notion d’infraction continuée malgré le silence du code pénal impérial de 1871 et l’abolition partielle de la règle du strict cumul des peines[15]. Par la suite, cette conception se répandit partout en Europe et fut même dans certains pays consacrée par la loi. Entendue, en théorie de la responsabilité pénale, sous l’angle de l’unité juridique du comportement de l’auteur de l’infraction (juristische Handlungseinheit), l’infraction continuée repose sur le dessein renouvelé de l’auteur de tirer parti d’un ensemble constant de circonstances extérieures favorables afin de s’attaquer à un bien juridique identique ou similaire, pas nécessairement en violation de la même règle pénale.

6. Il y a lieu de noter que l’Allemagne, le pays de naissance de cette conception de droit pénal substantiel nouvelle, mixte, de l’infraction continuée, n’a jamais fait le pas supplémentaire de la consacrer dans sa loi pénale et l’a presque abandonnée dans une jurisprudence de la Cour suprême fédérale de 1994, qui réserve l’application de l’infraction continuée à des cas exceptionnels[16]. Des raisons de politique pénale en sont à l’origine[17]. La critique souvent émise dans la sphère politique était que la notion d’infraction continuée favorisait le récidivisme et affaiblissait la force juridique des règles sociales en ce qu’elle traiterait de manière excessivement clémente les auteurs de plusieurs faits délictueux commis pendant un bref laps de temps. Dans le droit fil de ces critiques, une politique pénale sévère avait pris le pas, incompatible avec l’idée libérale qui sous-tend la notion d’infraction continuée.

Ce n’est pas un mince exploit pour ce présent arrêt de Grande Chambre de prouver que cette rhétorique n’a pas trouvé d’écho dans la plupart des pays européens, qui ont maintenu leur législation en l’état antérieur à la jurisprudence allemande de 1994 et ont même introduit la notion d’infraction continuée dans des codes postérieurement approuvés et entrés en vigueur[18].

L’infraction continuée aujourd’hui

7. Dans la tradition juridique européenne, les règles régissant le concours d’infractions sont strictement tributaires 1) du principe de légalité, tant sous son volet nullum crimen sine lege praevia que sous son volet nulla poena sine lege praevia, lequel impose au procureur d’inculper l’accusé de l’infraction précise commise sous l’empire de la loi en vigueur au moment des faits et, une fois établis les éléments constitutifs de cette infraction, impose au juge de reconnaître l’accusé coupable de celle-ci et de le condamner aux peines correspondantes prévues par la loi en vigueur au moment des faits, ce qui exclut en principe toute inculpation ou condamnation alternative, cumulative ou multiple pour la même atteinte à un bien juridique ainsi que les peines imprévisibles ou indéfinies[19], 2) de la finalité des sanctions pénales, et en particulier de l’optique de réinsertion, dans la mesure où une peine indéfinie ou à durée indéterminée, une peine fixe dont la durée excède la durée de vie normale ou une peine fixe d’une durée extrêmement longue contreviennent à ce but, ce qui justifie donc une limitation du strict cumul des peines[20], et 3) du principe non bis in idem, qui empêche que l’auteur d’une infraction fasse l’objet de plusieurs inculpations ou peines pour la même infraction et s’applique donc à la répression répétée de la même infraction au cours d’un procès ou de procès successifs. L’infraction continuée est un cas de concours d’infractions et les règles qui le régissent doivent donc respecter les principes ci-dessus.

8. Compte tenu de ces principes, les éléments qui caractérisent la notion d’infraction continuée, telle qu’établie par la Grande Chambre, méritent davantage de précisions.

Une infraction continuée peut être établie dès lors que son auteur commet un certain nombre d’infractions pénales identiques ou similaires contre le même bien juridique (Rechtsgut, legally protected interest, bene giuridico, bem juridico), pas nécessairement en violation de la même règle pénale. Par conséquent, si l’on suit le raisonnement de la Grande Chambre, une infraction continuée peut englober l’infraction pénale de base, des formes atténuées ou aggravées de celle-ci ou des infractions similaires contre le même bien juridique. En revanche, une succession de faits de nature pénale et de faits relevant de la contravention administrative (Ordnungswidrikeiten par exemple) ne peuvent être unifiés et sanctionnés en tant qu’infraction continuée. Dans le cas de biens juridiques éminemment personnels (höchtspersönlicher Rechtsgut), les faits distincts doivent porter atteinte au même bien juridique, excluant ainsi le châtiment en tant qu’infraction continuée lorsque, par exemple, plusieurs personnes sont tuées ou agressées sexuellement[21].

De plus, il doit exister au moins une similarité dans le mode d’exécution des différents faits concernés ou d’autres circonstances matérielles qui unissent ceux-ci comme un tout. Cette condition objective, qui se rapporte selon la formulation de la Cour à l’actus reus, exclut la répression en tant qu’infraction continuée d’actions et omissions délictueuses successives par le même auteur ou d’une succession d’actes commis par un auteur principal, un incitateur ou un complice puisque le mode d’exécution des infractions est fondamentalement différent, mais n’exclut pas la répression en tant qu’infraction continuée d’une succession de faits délictueux accomplis et tentés.

Par ailleurs, chacun des faits doit être mû par le même dessein criminel renouvelé, c’est-à-dire que la répétition de l’intention délictueuse doit être déterminée par des circonstances extérieures qui favorisent la perpétration de l’infraction. Ici, la Grande Chambre touche au cœur de l’aspect subjectif de la notion, et deux conclusions principales doivent en être tirées. Premièrement, il n’est pas nécessaire que tous ces faits s’inscrivent dans un dessein initial ou une « intention globale » (Gesamtvorsatz)[22]. Il suffit que chaque nouveau fait distinct soit considéré comme faisant délibérément suite à celui ou ceux qui le précèdent (Fortsetztungsvorsatz ou erweiterter Gesamtvorsatz)[23]. En principe, une personne qui de sang-froid prévoit à l’avance de commettre une série de faits délictueux ne mérite pas d’être mieux traitée, du point de vue de l’imputation de la responsabilité pénale et de la fixation de la peine, qu’une personne qui ne prévoit pas de commettre des faits délictueux successifs mais qui ne peut résister à la tentation de les perpétrer dans les mêmes circonstances extérieures favorables. Comme le dit clairement la Grande Chambre, les faits « ne doivent pas tous être projetés ab initio », ce qui veut dire que la mens rea globale à l’origine de chacun des faits n’a pas à exister lorsqu’est commis le premier d’entre eux ni même lorsque chacun des faits constitutifs du même comportement juridiquement unifié est perpétré, et qu’elle peut apparaître au moment où le dernier de ces faits est commis[24].

Deuxièmement, les infractions pénales non intentionnelles n’échappent pas par elles-mêmes à toute sanction en tant qu’infraction continuée. Il peut y avoir une infraction continuée constituée de différents actes non intentionnels[25], ou constituée aussi bien d’actes intentionnels que d’actes non intentionnels, compte tenu de la large portée subjective de la notion d’erweiterter Gesamtvorsatz[26].

La nécessité d’un lien de proximité temporelle entre les différents faits a également été reconnue par la Grande Chambre. Cet élément s’apprécie manifestement au vu des circonstances de chaque cas d’espèce, sans délai prédéterminé[27]. Cela dit, si l’on suit la propre logique de la Grande Chambre, un délai inhérent peut se déduire du fait que ces faits doivent être imbriqués au point de montrer que les mêmes circonstances extérieures favorables à la perpétration des infractions et le dessein criminel global demeurent, et concomitamment que la culpabilité de l’auteur des faits est moindre et homogène. En tout état de cause, plus le laps de temps entre les faits est long, plus ténu sera le lien psychologique entre eux, plus grande sera la culpabilité de l’auteur et donc moins il y aura de chances que les faits soient constitutifs d’une infraction continuée.

Enfin, pour la Grande Chambre, de manière à ce que plusieurs faits délictueux successifs puissent s’analyser en une infraction continuée, chacun d’eux doit réunir, explicitement ou implicitement, les éléments constitutifs de la ou les infraction(s) pénale(s) en cause. D’un point de vue négatif, les faits pour lesquels il y a lieu d’exclure la responsabilité pénale, par exemple en cas d’aliénation mentale, d’état d’intoxication, d’état de nécessité, de contrainte ou de conflit de devoirs, ne peuvent être intégrés à une infraction continuée, mais ceux commis à la suite d’une erreur de fait ou de droit peuvent l’être lorsque l’erreur est imputable à l’auteur de l’infraction et peut lui être reprochée.

9. Quatre conséquences pratiques importantes doivent notamment être tirées du traitement unifié de faits distincts en infraction continuée. Pourvu qu’il existe des circonstances extérieures facilitant la répétition de l’atteinte au même bien juridique et amoindrissant donc la culpabilité de l’auteur des faits, le principe de justice exige que les faits distincts successifs s’analysent juridiquement en un ensemble unifié et sanctionné par une seule peine plutôt que par des peines cumulées. Voilà la conséquence pratique principale de l’unification juridique. S’il y a différents faits délictueux de gravité diverse, leur auteur pourra être puni pour le plus grave d’entre eux, le juge de la fixation des peines tenant alors compte du comportement juridiquement unifié dans son ensemble[28].

La deuxième conséquence pratique est que la loi en vigueur à la date où prend fin l’infraction continuée est applicable à chacun des faits survenus avant son entrée en vigueur, pourvu qu’ils satisfassent tous aux conditions de la nouvelle loi. Il est nécessaire que les éléments constitutifs de l’infraction définie par la nouvelle loi existent dès le début même du comportement délictueux, c’est-à-dire à l’égard aussi des faits antérieurs à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi[29]. Il faut y ajouter une réserve : si le comportement continu en question n’est pas répressible pénalement en vertu de la loi ancienne, seuls les faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi réprimant ce comportement doivent être pris en compte et punis.

La troisième conséquence est que l’infraction continuée débute avec le premier des faits qui la composent mais ne prend fin qu’une fois commis le dernier d’entre eux. Deux conséquences logiques en découlent : premièrement, tout délai de prescription applicable ne commencera à s’écouler qu’à l’achèvement de l’infraction, c’est-à-dire une fois commis le dernier des faits constitutifs de celle-ci et, deuxièmement, la répression de faits prescrits n’est pas exclue lorsqu’il y a infraction pénale continuée[30].

La quatrième conséquence, de nature procédurale, est que, en vertu du principe non bis in idem, un jugement constatant une infraction continuée fait obstacle à la tenue d’un nouveau procès pour des chefs d’accusation se rapportant à tout nouveau fait distinct s’inscrivant dans la continuité du comportement délictueux en cause. Faire rejuger l’auteur des faits condamné reviendrait à l’exposer au risque d’être puni deux fois pour la même infraction juridiquement unifiée. Cela vaut non seulement pour tout fait distinct antérieur au dernier des faits constitutifs de l’infraction continuée ayant déjà fait l’objet d’un procès mais aussi pour tout fait distinct postérieur[31].

À la lumière des principes énoncés ci-dessus, c’est au juge interne qu’il reviendra d’interpréter et d’appliquer ces règles aux faits particuliers de l’espèce. Les États membres n’en demeurent pas moins tenus, en vertu de l’article 7 de la Convention, de n’infliger aucune peine arbitraire ou incertaine. La répression en cas de concours d’infractions doit donc respecter les limites définies ci-dessus.

La présente affaire à la lumière de la notion européenne d’infraction continuée

10. Les faits et le cadre légal national en l’espèce sont clairs. Au moins entre 2000 et février 2006, le requérant maltraita son épouse physiquement et psychologiquement à plusieurs reprises lorsqu’il était en état d’ébriété. Il causa ainsi des hématomes, des contusions et une fracture du nez à son épouse, ce qui obligea celle-ci à consulter un médecin en juin 2000, en juillet 2003 et en février 2006. Il fut reconnu coupable de l’infraction continuée de maltraitance sur personne vivant sous le même toit, commise entre 2000 et le 8 février 2006, sur la base d’une disposition, l’article 215a, introduite dans le code pénal le 1er juin 2004. En droit tchèque, une infraction continuée s’analyse en un seul et même acte, dont la qualification en droit pénal s’apprécie à l’aune de la loi en vigueur à la date de la dernière des manifestations de cette infraction. En l’espèce, le requérant voyait dans sa condamnation et sa peine prononcées sur la base d’une disposition pénale entrée en vigueur le 1er juin 2004 une application rétroactive du code pénal à son détriment, en violation de l’article 7 § 1 de la Convention. Il soutenait que les tribunaux internes n’avaient pas recherché s’il avait effectivement perpétré les infractions punissables avant cette date en vertu des articles 197a et 221 § 1 du code pénal.

11. Ainsi, la Grande Chambre avait principalement pour tâche en l’espèce de dire si la décision des juridictions internes d’appliquer l’article 215a du code pénal, entré en vigueur le 1er juin 2004, aux actes du requérant accomplis avant cette date a eu des conséquences négatives pour lui, par exemple eu égard à la peine infligée. À la lumière des observations du gouvernement et des règles de fixation des peines définies par le droit tchèque, l’approche suivie par les juridictions internes ne pouvait pas avoir et n’a pas eu d’effet préjudiciable sur la gravité de la peine imposée au requérant. Fût-ce sommairement, les juridictions internes ont constaté à bon droit que tous les éléments de l’infraction prévue à l’article 215a §§ 1 et 2b du code pénal étaient réunis pour ce qui concerne aussi les agressions commises avant l’entrée en vigueur de ces dispositions.

Conclusion

La notion d’infraction continuée n’est pas morte. Au contraire, cet attribut d’une politique de droit pénal libérale se trouve encore au cœur du droit européen relatif au concours d’infractions, voire d’un système universel de droit pénal, une « grammaire du droit pénal » comme le dit George Fletcher (Verbrechenslehre, théorie des éléments de l’infraction, teoria del reato, teoria del delito, teoria do crime)[32]. Le législateur et le juge peuvent s’en servir comme d’un instrument permettant d’atténuer la sévérité de la peine lorsque l’auteur des faits est conduit à commettre des faits délictueux en raison de circonstances extérieures favorables, ce qui amoindrit considérablement sa culpabilité. Cet instrument peut même être appliqué dans les systèmes de droit nationaux où il n’y a aucune règle de strict cumul des peines ou de peines consécutives, mais il s’impose en particulier dans les systèmes où une telle règle existe. Le but de réinsertion que poursuit toute sanction pénale ainsi que les principes de légalité et de non bis in idem en préconisent l’utilisation. En cas d’adoption de lois pénales successives, l’auteur d’une infraction continuée peut être puni sous l’empire de la loi nouvelle lorsque les conditions énoncées dans celles-ci sont satisfaites à raison aussi des faits commis par lui avant l’entrée en vigueur de cette loi.

* * *

[1]1. Cette opinion n’aborde pas le concours d’infractions en droit pénal international. Compte tenu du silence en la matière des statuts des juridictions pénales ad hoc et de la portée limitée des règles énoncées à l’article 78 § 3 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale et de l’article 87 C commun aux Règlements de procédure et de preuve du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le droit pénal international d’aujourd’hui offre aux tribunaux une grande latitude en matière de fixation des peines. La latitude presque illimitée qui caractérise encore actuellement la pratique des tribunaux internationaux, fondée sur le « principe de la totalité » appliqué au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, au Tribunal pénal international pour le Rwanda, au Tribunal spécial pour la Sierra Leone, au Tribunal spécial pour le Liban et aux Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens, ainsi que le pouvoir de fixer des peines globales, confondues ou consécutives, voire un mélange de peines confondues et consécutives, ne fournit guère d’aide pour le sujet précisément abordé dans cette opinion.

[2]. Bartolus de Saxoferrato, Lucernae Juris. Additio I. Ad Librum Nonum Digest. Lex XXXII, 1585.

[3]. Baldus de Ubaldis, Perusini iurisconsulti … In sextum codicis librum commentaria, 1599.

[4]. Prosperus Farinacius, Praxis et theoriae criminalis. Quaestio CLXVII, 1597.

[5]. À des fins de clarté, dans la présente opinion, les expressions « peines consécutives » et « peines confondues » sont entendues dans le sens que leur donne le paragraphe 29 de l’arrêt, c’est-à-dire dans leur sens classique (voir, par exemple, 18 USC § 3584 (a), et articles 718.2 et 718.4 du code pénal canadien).

[6]. Pour une analyse des travaux des jurisconsultes italiens, voir Giovanni Leone, Del Reato Abituale, Continuato e Permanente, 1933, p. 193 et suivantes.

[7]. L’article 80 était ainsi libellé : « Più violazioni della stessa legge penale, commesse in uno stesso contesto di azione, o, anche in tempi diversi, con atti esecutivi della medesima risoluzion criminosa, si considerano per un solo delitto continuato: ma la continuazione del delitto accresce la pena entro i suoi limiti legali. »

[8]. Programa del corso di diritto penale, 1874, paragraphe 536.

[9]. Pour une analyse de ces dispositions, voir Gian Domenico Pisapia, Reato continuato, 1938, pp. 111 et suiv.

[10]. Traité de l’instruction criminelle, volume III, 1848, pp. 587 et suiv.

[11]. Cette distinction est exposée dans le Lehrbuch des gemeinen in Deutschland gültigen Peinlichen Rechts, 1801, § 152. Au paragraphe suivant, Feuerbach préconise aussi la règle romaine du strict cumul des peines. Il y a lieu de préciser que la première édition du Lehrbuch ne mentionnait que « an einem und demselben Object », mais que les éditions postérieures ajoutaient « oder an einer und derselben Person ». En fait, Feuerbach avait fait siennes les vues de Koch, lequel défendait des thèses similaires dans son Institutiones Iuris Criminalis de 1758. Dans son Grundsätze des Deutschen Peinlichen Rechts de 1794, Quistorp est le premier à avoir employé au singulier l’expression delictus continuatus (fortgesetzes Delikt), car elle n’avait auparavant été utilisée qu’au pluriel (delicta continuata, fortgesetze Delikte).

[12]. Mittermaier exposa sa critique dans son article intitulé « Über den Unterschied zwischen fortgesetztem und wiederholtem Verbrechen », in Neues Archiv des Criminalrechts (1818), puis dans son article intitulé « Über den Begriff fortgesetzter Verbrechen und die Aufstellung derselben in einem Strafgesetzbuch », in Annalen der deutschen und ausländischen Criminalrechtspflege (1837).

[13]. Bien sûr, Feuerbach ne fait pas expressément mention de la notion de Rechtsgut, ni Mittermaier, puisque c’est Birnbaum qui fut le premier à introduire cette notion dans son article de 1834 intitulé Über das Erforderniß einer Rechtsgutverletzung zum Begriff des Verbrechens. Dans cet article, Birnbaum critique l’opinion de Feuerbach selon laquelle une infraction pénale est une violation des droits de victimes individuelles, car, selon lui, une telle perspective est trop étroite puisqu’elle ne tient pas compte des infractions pénales sans victime. Cela étant, la critique de Feuerbach par Mittermaier pose les bases pour l’avenir d’une notion d’infraction continuée mixte, détachée à la fois de la perspective strictement subjective des jurisconsultes italiens et de la perspective strictement objective de la contre-proposition de Feuerbach.

[14]. Mittermaier, Über den Unterschied, article précité, p. 242.

[15]. La loi prussienne du 9 mars 1853 tempérait le principe du strict cumul des peines (Kumulationsprinzip) énoncé au paragraphe 56 du code pénal prussien avec le « principe de l’atténuation » (Milderungsprinzip), précurseur du paragraphe 74 du code pénal impérial. Ce paragraphe introduisit le « principe de l’absorption » (Asperationsprinzip), encore applicable en droit allemand aujourd’hui (§ 52 (2) du code pénal allemand).

[16]. Arrêt de la chambre criminelle de la Cour suprême fédérale, rendu le 30 mai 1994. Sur les causes et conséquences de cet arrêt, voir Guido Miller, Neuere Entwicklung zur fortgesetzten Handlung, thèse, Tübingen, 1997 ; Volker Brähler, Die rechtliche Behandlung von Serienstraftaten und – ordnungswidrigkeiten, thèse, Köln, 1998, publiée par Duncker & Humblot, 2000, et Ulrike Jasper, Die Entwicklung des Fortsetzungszusammenhangs, thèse, Tübingen, 2003.

[17]. En Allemagne, les projets de nouveau code pénal établis par le gouvernement en 1958, 1960 et 1962 ainsi que le projet alternatif de 1969 excluaient l’insertion d’une disposition sur les infractions continuées au motif que les caractéristiques de la notion n’étaient pas encore clairement définies dans la jurisprudence et les travaux de la doctrine, laquelle devrait être libre de développer davantage la notion (Entwurf eines Strafgesetzbuches, Allgemeiner Teil, 1958, p. 70, et Alternativentwurf eines Strafgesetzbuches, Allgemeiner Teil, 2. Auflage, 1969, p. 123). Au bout du compte, l’argument décisif de politique pénale contre l’insertion d’une telle disposition était que celle-ci aurait entraîné le « danger d’une application extensive » (Gefahr einer erweiterten Anwendung) de la notion, ce qui pour des raisons tenant à la justice matérielle (materielle Gerechtigkeit) et à des conséquences procédurales préjudiciables (prozessuale Unzuträglichkeiten) n’était pas souhaitable (Bundesrat-Drucksache 270/60, p. 181, 200/61, p. 191, et Bundestags-Drucksache, III, 2150, p. 181).

[18]. En tout état de cause, la critique politique de la notion d’infraction continuée a eu des répercussions dans certains pays puisque certains législateurs en ont restreint l’application à certaines catégories d’infractions (par exemple l’article 52 § 2 du code pénal croate, l’article 30 § 3 du code pénal portugais et l’article 43 § 3 du code pénal turc).

[19]. Il ne faudrait pas contourner le principe de la légalité des peines par l’imposition, de manière discrétionnaire, de peines d’emprisonnement confondues et/ou consécutives. Sur le principe de légalité en droit international des droits de l’homme, voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Maktouf et Damjanović c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 2312/08 et 34179/08, CEDH 2013.

[20]. Sur les finalités des sanctions pénales, voir mon opinion séparée jointe à l’arrêt Öcalan c. Turquie (no 2), nos 24069/03 et 3 autres, 18 mars 2014.

[21]. Voir, par exemple, l’article 6 § 2 de la loi hongroise no C de 2012 relative au code pénal, l’article 49 du code pénal monténégrin, l’article 12 du code pénal polonais, l’article 30 § 3 du code pénal portugais, l’article 35 du code pénal roumain et l’article 61 du code pénal serbe. L’article 59 du code pénal andorran permet d’englober dans une infraction continuée certaines infractions contre des biens juridiques éminemment personnels, en l’occurrence des infractions contre l’honneur ou la liberté sexuelle.

[22]. Selon ce critère subjectif, l’intention de l’auteur doit englober les éléments les plus importants de l’enchaînement des faits distincts et le « résultat global » final (Gesamterfolg). À titre d’exemple, il y a le vol en plusieurs étapes d’une motocyclette dans une usine par un agent de sécurité de nuit s’étalant sur une semaine entière. La portée de chacun des actes distincts de l’auteur de l’infraction ne peut s’apprécier qu’à la lumière du résultat global voulu. Ce critère subjectif strict a fait l’objet de critiques. D’aucuns ont même soutenu que la conception de l’infraction continuée qui se limiterait à la réalisation planifiée d’un objectif au moyen de faits successivement commis pendant un bref laps de temps ne contribuerait guère à la théorie de la responsabilité pénale puisque l’exécution d’un tel plan s’analyserait en une infraction unique et non en une infraction continuée.

[23]. Selon ce critère subjectif plus large, l’intention de l’auteur de commettre des faits délictueux supplémentaires doit se rattacher à ceux antérieurement perpétrés, comme y faisant suite, dans une séquence d’ordre psychologique. Par exemple, à l’occasion de divers entretiens et auditions conduits dans le cadre de la même procédure pénale et devant différentes autorités d’instruction et de jugement, un témoin répète sous serment la même version fausse des faits. Le lien réciproque entre chacun des faits délictueux commis par cette personne tient non pas à un « résultat global » mais à l’affaiblissement progressif de sa capacité à résister à la tentation du délit.

[24]. Par exemple : un caissier retire un certain montant du tiroir-caisse un jour en pensant le rendre le lendemain, mais il ne le rend pas le lendemain, parce qu’il n’a pas pu trouver les fonds nécessaires, et il retire le même montant d’un autre tiroir-caisse pour compenser le manque d’argent dans le premier, espérant pouvoir rendre l’argent manquant dans le second le lendemain ; il répète ce stratagème plusieurs fois jusqu’à ce qu’on le découvre. Autre exemple : sachant que les propriétaires sont partis, un voleur pénètre par effraction dans une résidence secondaire et en soustrait tous les biens sauf un coffre-fort mural qu’il découvre mais ne peut pas ouvrir. Il décide de revenir deux jours plus tard pour percer le coffre-fort à l’aide d’outils adéquats, ce qu’il fait.

[25]. L’exemple doctrinal habituel est celui d’un médecin qui par mégarde et itérativement prescrit le même mauvais médicament pour son patient. Comme l’a démontré la psychologie, l’envie de répéter une mauvaise action dans le même concours de circonstances peut même être plus forte dans le cas d’une infraction non intentionnelle que dans le cas d’une infraction intentionnelle.

[26]. Bien que formulé d’une manière quelque peu restrictive, l’élément subjectif a été souligné par le Tribunal de l’Union européenne dans son arrêt rendu le 13 mai 2013 dans les affaires jointes T-147/09 et T-148/09, Trelleborg Industrie SAS et Trelleborg AB c. Commission européenne, paragraphes 56-63, 83, 88 et 89, selon lequel la Commission peut présumer que l’infraction au droit de l’Union – ou la participation d’une entreprise à l’infraction au droit de l’Union – est une infraction continuée pour autant que les différentes actions qui font partie de cette infraction poursuivent une « seule finalité ». Une telle constatation doit reposer sur des indices objectifs et concordants démontrant l’existence d’un « plan d’ensemble ». Lorsque ces conditions sont réunies, la notion d’infraction continuée permet ainsi à la Commission d’infliger une amende pour l’ensemble de la période infractionnelle prise en considération et détermine la date à laquelle commence à courir le délai de prescription, à savoir la date à laquelle l’infraction continuée a pris fin. Le Tribunal n’a pas démontré que les contraventions administratives justifient une conception de la notion d’infraction continuée plus stricte qu’en matière pénale.

[27]. Par exemple, l’article 52 du code pénal croate parle du « lien de temporalité » entre les faits en question, l’article 12 du code pénal polonais de « brefs intervalles » et l’article 61 du code pénal serbe de « continuité temporelle ».

[28]. Cette règle est applicable même à Chypre et en Irlande, les deux seuls États membres de common law du Conseil de l’Europe où n’est signalée l’existence ni en droit ni en pratique de la notion d’infraction continuée. Le pays de civil law dans une situation similaire, la Finlande, a introduit en 1992 le principe de la peine globale lorsque l’auteur des faits est reconnu coupable de plus d’un chef d’accusation, sans qu’une peine distincte n’ait à être prononcée pour chacun de ces chefs, et a abandonné le système antérieur des infractions continuées. À Chypre et en Irlande, le principe général est que les infractions s’inscrivant dans le cadre du même incident appellent des peines confondues (la règle dite de l’« opération unique »), tandis que celles constitutives ou nées d’incidents séparés appellent des peines purgées consécutivement. En cas de peines confondues, la durée globale d’emprisonnement est celle de la plus longue de chacune d’elles. En cas de peines consécutives, la durée globale d’emprisonnement est celle du total de chacune d’elles. En pareil cas, elle ne doit pas être disproportionnée. L’essence de la règle de l’opération unique apparaît être que l’ensemble des infractions prises comme un tout constituent une atteinte au même bien juridique, ce qui justifie par exemple l’imposition d’une peine absorbante en cas d’incidents successifs d’agressions sexuelles contre la même victime et de peines consécutives en cas de pluralité d’incidents d’agression sexuelle contre différentes victimes (voir, par exemple, DPP v. M (1994), 2 IRLM 541). Si le juge de fixation des peines ne précise pas si celles-ci doivent être confondues ou consécutives, la confusion des peines est présumée. En Angleterre et au pays de Galles, le régime juridique en cas de concours d’infractions a récemment évolué. La réforme de l’article 14.2(2) des règles de procédure pénale de 2013, qui permet désormais à un chef d’accusation unique d’englober plus d’un incident pour la même infraction dans certaines circonstances, semble être une réponse à l’ancienne critique d’Ashworth selon laquelle le processus de détermination des peines en Angleterre était une « honte pour la tradition de la common law ».

[29]. Ainsi, la Grande Chambre a clairement fait sienne, au paragraphe 62 de son arrêt, l’opinion concordante du juge Lemmens, qui coïncide avec la jurisprudence constante de la Cour de cassation belge (voir, notamment, les arrêts rendus par cette dernière le 25 octobre 2006, Pasicrisie 2006, no 514 ; le 5 avril 2005, Pasicrisie 2005, no 198 ; le 24 septembre 1974, Pasicrisie 1975, I, 8 ; le 17 mai 1983, Pasicrisie 1983, I, no 513 ; le 27 janvier 1943, Pasicrisie 1943, I, 32, et le 8 août 1924, Pasicrisie 1924, I, 518).

[30]. La thèse selon laquelle l’unification de faits distincts risque de reporter indéfiniment le délai de prescription et donc de le rendre sans objet, ce qui serait contraire au principe de la sécurité juridique, est à écarter puisque de toute manière le délai de prescription commence à s’écouler une fois commis le dernier de ces faits.

[31]. La garantie non bis in idem englobe aussi bien les faits examinés au cours du procès que ceux qui auraient dû l’être, conformément au principe de légalité. L’accusation ne peut contourner ce principe en segmentant la répression d’une infraction continuée en chefs d’inculpation multiples.

[32]. Je me réfère bien sûr à l’ouvrage de George Fletcher intitulé « The Grammar of Criminal Law: American, Comparative, and International », 2007, et à ses travaux antérieurs comme exemple louable de ces universitaires qui, par leurs efforts de longue haleine, ont contribué à la naissance d’un système universel de droit pénal.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-151053
Date de la décision : 27/01/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 7 - Pas de peine sans loi (Article 7-1 - Peine plus forte;Nullum crimen sine lege;Moment ou l'action ou l'omission a été commise)

Parties
Demandeurs : ROHLENA
Défendeurs : RÉPUBLIQUE TCHÈQUE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : KRUZIK J.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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