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15/01/2015 | CEDH | N°001-150294

CEDH | CEDH, AFFAIRE A.F. c. FRANCE, 2015, 001-150294


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE A.F. c. FRANCE

(Requête no 80086/13)

ARRÊT

STRASBOURG

15 janvier 2015

DÉFINITIF

15/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire A.F. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
H

elena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 décembre 2014,
...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE A.F. c. FRANCE

(Requête no 80086/13)

ARRÊT

STRASBOURG

15 janvier 2015

DÉFINITIF

15/04/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire A.F. c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Ganna Yudkivska,
Vincent A. De Gaetano,
André Potocki,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 9 décembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 80086/13) dirigée contre la République française et dont un ressortissant soudanais, M. A.F. (« le requérant »), a saisi la Cour le 19 décembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la section a accédé à la demande de non-divulgation de son identité formulée par le requérant (article 47 § 4 du règlement).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représenté par Me C. Roussel, avocat à Colmar. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant allègue que la mise à exécution de la décision des autorités françaises de l’éloigner vers le Soudan l’exposerait au risque d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention.

4. Le 20 décembre 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1986 et réside à Mulhouse.

A. Sur les faits qui se sont déroulés au Soudan selon le requérant

6. Le requérant est un ressortissant soudanais de l’ethnie tunjur, originaire du sud du Darfour. En 2006, au moment où le conflit armé battait son plein dans la région du Darfour, il rejoignit l’université d’Eljazira à Khartoum. Au cours de l’année universitaire, il participa, à plusieurs reprises, avec d’autres étudiants, à un groupe de discussion sur le Darfour et sur les actes de violence perpétrés par le régime avec l’aide des Janjawids. En avril 2007, des agents de la sûreté l’arrêtèrent sur le campus universitaire avec deux de ses camarades. Après leur avoir lié les mains dans le dos et bandé les yeux, ils les emmenèrent en véhicule dans un endroit inconnu où se trouvaient des bureaux des services de sécurité soudanais. Le requérant fut détenu pendant deux semaines et interrogé, sous la torture, sur ses liens avec la rébellion. Il fut finalement relâché dans une zone désertique qu’il ne connaissait pas.

7. Après avoir réussi à retourner par ses propres moyens à Khartoum, le requérant reprit ses activités de soutien aux victimes du Darfour. Il dit s’être néanmoins senti surveillé et menacé au cours de cette période.

8. Pendant ses vacances en août 2007, il retourna dans son village pour rendre visite à sa famille. S’apercevant de la présence des Janjawids dans la région et de la crainte dans laquelle vivaient ses proches en raison de leurs raids réguliers, il convainquit ses parents de fuir. En septembre 2007, ils s’installèrent tous les trois dans le village de Muhadjirya où résidait son oncle maternel. Le 8 octobre 2007 cependant, à l’occasion d’une attaque par les forces gouvernementales, le village fut bombardé, l’oncle du requérant fut assassiné et sa maison fut brûlée. Le requérant et sa famille fuirent alors vers le camp de réfugiés de Kalma.

9. Après quelque temps, le requérant décida de quitter le camp et revint étudier à Khartoum. Déterminé à dénoncer les agissements du régime, il continua à participer à des groupes de discussion. Le 10 mai 2008, le Mouvement armé pour la justice et l’égalité (JEM), l’un des principaux mouvements de rébellion existant au Darfour, mena un raid violent sur la ville d’Omdurman. Les jours qui suivirent, les forces de sécurité arrêtèrent de nombreuses personnes dans l’espoir de retrouver les auteurs de l’attaque. C’est ainsi que, le 13 mai 2008, le requérant fut à nouveau arrêté, devant son université, et conduit dans un lieu inconnu. Il fut détenu pendant 66 jours, torturé et interrogé sur l’identité de membres du JEM et notamment ceux ayant fomenté l’attaque contre la ville d’Omdurman. Ses tortionnaires lui promirent de le relâcher s’il acceptait de donner des informations et s’il témoignait contre plusieurs de ses camarades originaires du Darfour. Le requérant fut finalement libéré après avoir signé un document l’engageant à ne pas quitter Khartoum et à signaler sa présence au poste de police deux fois par semaines. À son retour à l’université, il découvrit qu’il avait été rayé des listes des inscrits.

10. En août 2008, ayant appris par un de ses camarades que sa mère était gravement malade, le requérant rejoignit sa famille dans le camp de Kalma. Le 25 août 2008, l’armée soudanaise attaqua le camp, prétextant que les réfugiés camouflaient des armes et des rebelles. Le requérant fut arrêté au cours de cette attaque. Détenu au centre pénitentiaire de Nyala pendant trois mois avant d’être transféré au centre pénitentiaire de Khartoum, le requérant y fut à nouveau interrogé sous la torture. Il fut libéré un mois plus tard à la condition de signaler sa présence quotidiennement au poste de police durant plus de cinq mois.

11. Le 10 juin 2009, alors qu’il rendait visite à sa sœur, étudiante à l’université de Khartoum, le requérant assista à une bagarre entre des filles originaires du Darfour et des agents de sécurité. Ayant tenté d’intervenir, il fut interpellé puis détenu pendant trois jours, interrogé et battu. Une fois libéré, il se rendit à Omdurman chez un ami pour se faire soigner.

12. En janvier 2010, il participa à une manifestation contre une loi décrétant l’état d’urgence et fut à nouveau arrêté avant d’être relâché trois jours plus tard.

13. Le 10 février 2010, l’un de ses amis fut arrêté puis exécuté par les agents de la sûreté. Le requérant et plusieurs de ses amis décidèrent alors de se rendre à la morgue pour obtenir le rapport d’autopsie et, in fine, dénoncer ce crime aux organismes de protection des droits de l’homme. Une fois à la morgue, ils furent tous interpellés par les services de police. Après avoir été détenu et frappé, le requérant fut relâché six jours plus tard. Il n’eut plus de nouvelles des camarades qui l’accompagnaient.

14. Craignant pour sa sécurité, le requérant s’enfuit dans le camp de Kalma où il retrouva ses parents. Ces derniers lui remirent de l’argent afin de financer son départ. Le requérant quitta le Soudan le 10 mars 2010.

B. Sur les faits tels qu’ils se sont déroulés après l’arrivée en France

15. Peu après son arrivée sur le territoire français, le requérant effectua une demande d’asile qui fut rejetée le 21 juin 2011 par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) aux motifs suivants :

« (...) les déclarations de l’intéressé (...) ont été évasives et parfois confuses au sujet de l’ethnie tunjur et de la région dont il serait originaire. Ses propos ont été vagues et peu personnalisés à propos de son arrestation d’avril 2007 et peu vraisemblables concernant sa présence à Mouhadjirya lors de l’attaque du 8 octobre 2007. Par ailleurs, ses déclarations se sont avérées peu crédibles et parfois inexactes au sujet de son séjour au camp de Kalma, de sa présence lors de l’attaque dont le camp aurait été l’objet le 25 septembre 2008 et de l’arrestation qui s’en serait suivie. Enfin, ses propos ont été peu personnalisés et peu convaincants concernant les accusations à caractère politique et les détentions dont il dit avoir été l’objet en 2008 et 2010. »

16. Le requérant introduisit un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) à l’appui duquel il produisit de nombreuses pièces, dont un certificat médical daté du 18 août 2011 faisant état de plusieurs cicatrices que le médecin considère compatibles avec ses allégations de torture, une attestation de l’Union du Darfour au Royaume-Uni, datée du 2 février 2012 confirmant son appartenance à l’ethnie tunjur et une lettre du JEM, datée du 18 janvier 2012, attestant que le requérant aurait fait l’objet « de poursuites et d’arrestations répétées ». Le 28 mars 2012, la CNDA confirma la décision de l’OFPRA, reprochant au requérant son manque de précision concernant les différents événements allégués par lui, estimant les attestations fournies dépourvues de force probante et jugeant que le certificat médical produit ne pouvait être regardé comme établissant un lien entre les constatations relevées lors de l’examen du requérant et les sévices dont il déclare avoir été victime.

17. Le 15 janvier 2013, le requérant sollicita le réexamen de sa demande d’asile. Il produisit, à l’appui de son recours, une lettre du secrétaire général du JEM, datée du 8 mai 2012, attestant de son engagement au sein du mouvement et réaffirmant ses craintes en cas de retour. Le 27 février 2013, l’OFPRA rejeta la demande, considérant que la lettre du JEM constituait un élément de preuve nouveau se rapportant à des faits précédemment soutenus et qu’elle n’était dès lors pas recevable.

18. Le 31 juillet 2013, le requérant fit l’objet d’un arrêté portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire qu’il contesta vainement devant le tribunal administratif de Strasbourg. Dans son jugement du 5 novembre 2013, le tribunal administratif constata, en effet, que les différentes demandes du requérant en vue de se voir reconnaître la qualité de réfugié avaient toutes été rejetées par les autorités nationales compétentes, essentiellement en raison du caractère jugé peu vraisemblable de son récit et qu’il n’avait produit à l’administration aucun élément nouveau de nature à remettre en cause le bien-fondé de ces décisions de rejet.

19. Après avoir tenté de déposer une demande d’asile sous une fausse identité, le requérant fut interpellé, le 10 décembre 2013, et placé le même jour en centre de rétention. Saisi par le requérant, le tribunal administratif de Strasbourg, le 13 décembre suivant, refusa d’annuler la décision de placement en rétention. Le 14 décembre 2013, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Metz ordonna la prolongation du maintien du requérant en rétention pour une durée de vingt jours.

20. Le 19 décembre 2013, le requérant saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire sur le fondement de l’article 39 de son règlement. Le lendemain, le président de la chambre à laquelle l’affaire fut attribuée décida d’indiquer au Gouvernement français, en application de la disposition précitée, qu’il était souhaitable de ne pas expulser le requérant vers le Soudan pour la durée de la procédure devant la Cour.

II. TEXTES ET DOCUMENTS INTERNATIONAUX

A. Sur la situation au Soudan à l’époque des faits rapportés par le requérant

1. Sur l’attaque du village de Muhadjirya le 8 octobre 2007

21. L’International Crisis Group, dans un rapport du 26 novembre 2007 intitulé Darfur’s New Security Reality (Africa Report no 134), et le Représentant spécial de l’Union européenne pour le Soudan, l’ambassadeur Torben Brylle, dans son discours à l’occasion de l’ouverture des négociations de paix pour le Darfour en Libye le 27 octobre 2007, condamnent « les attaques menées par les forces gouvernementales sur la ville de Muhadjirya le 8 octobre 2007. »

2. Sur l’attaque du JEM à Omdurman le 10 mai 2008

22. Dans son rapport du 22 juillet 2008 intitulé Country of Origin Information Bulletin – Sudan: The Justice and Equality Movement (JEM) Attack on Omdurman, 10 May 2008, le Home Office britannique relève :

« 10 May – The Darfur rebel group, the Justice and Equality Movement (JEM), launched an armed attack on Omdurman, one of the three towns that form greater Khartoum.

Amnesty International reported on 23 May that the organisation was seriously concerned by the government’s security forces’ crackdown following the attack on Khartoum by the JEM. « The crackdown has been characterized by serious human rights violations including hundreds of arbitrary arrests, cases of ill-treatment, as well as extra-judicial executions. These violations have mostly been targeted at Darfuris. »

On 23 May, Amnesty International also reported on the arrests of several Darfurians in Khartoum over the previous two weeks accused of supporting the JEM. « Many of those arrested are reported to be held incommunicado in national security detention facilities in the capital or at unknown locations. All the detainees are at risk of torture or other ill-treatment, and may even be killed or subjected to enforced disappearance by the authorities. »

3. Sur l’attaque du camp de Kalma le 25 août 2008

23. Le Haut Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, dans son 11e rapport périodique sur la situation des droits de l’homme au Soudan, indique :

« A January 2009 document from the UN Office of the High Commissioner for Human Rights, under the heading "Background and context", states: The incident at Kalma IDP camp should be analysed in the context of the long-standing tension between the residents of the camp and the Government of Sudan regarding control of the camp. South Darfur governmental authorities have frequently asserted that there is a presence of political, criminal and armed movement elements within the camp. Kalma camp was established in February 2004. As one of the largest camps in Darfur, the total population of Kalma camp is estimated at approximately 80,000 individuals: the majority being from the Fur, followed by the Dajo, Zaghawa Massalit, Birgit and Tunjer tribes. The camp is one to two kilometres long and extends seven kilometres’ along the railway track from east to west.” (UN Office of the High Commissioner for Human Rights (23 January 2009). »

24. Dans un communiqué du 17 décembre 2008, l’Institute for War and Peace Reporting observe :

« In August, Sudanese government, GoS, forces and allied janjaweed militias are reported to have surrounded the Kalma camp near Nyala in south Darfur, before allegedly pounding it with machine-gun fire, in an apparent bid to root out rebels they believed to be stashing weapons there. [...]

Kalma is one of the largest internal refugee camps in Darfur, housing about 90,000 displaced people, or IDPs. [...] ICC prosecutors are aware of the attack, and during a briefing in early December, chief prosecutor Luis Moreno-Ocampo raised the matter with the United Nations Security Council, UNSC.

On 25 August in Kalma, Sudanese government forces entered the camp, reportedly to disarm IDPs, killed 31 displaced persons and wounded 65, he said. »

B. Sur la situation actuelle au Soudan

25. Le Human Rights Watch, Darfur: UN Should End Silence on Rights Abuses, publié le 22 août 2014 rapporte :

« The human rights situation in Darfur, Sudan has deteriorated sharply in 2014, Human Rights Watch said. Rapid Support Forces, a Sudanese government force consisting largely of former militias, attacked scores of villages in South, Central, and North Darfur between February and April. Dozens of civilians died, tens of thousands of people fled, and there was massive destruction and looting of civilian property. »

[...]

« From mid-February to late March, the Rapid Support Forces, consisting of former militia under the command of the Sudanese National Intelligence and Security Services, moved into Darfur from the Kordofan region, where they had been deployed to fight rebels in Southern Kordofan. The forces are led by former militia leader, Brig. Gen. Mohammed Hamdan Dagolo, known as "Hemmeti".

These forces, with other security forces and militia, carried out massive ground attacks on dozens of villages in South and North Darfur, targeting areas where they accused the population of sympathizing with rebel forces. They burned homes and shops, looted livestock, killed and robbed civilians, and forced tens of thousands of residents to flee to towns and camps for displaced people. »

26. Le UN News Service, Darfur: UN official urges support for peace process amid unfolding new dynamics, publié le 24 Avril 2014 rapporte :

« Stepped-up rebel attacks, clashes fuelled by local political rivalries, and mass displacement sparked by the abuses of a pro-Government militia have again left long-troubled Darfur at a crossroads, said the United Nations peacekeeping chief today, appealing to the Security Council and its African Union (AU) counterpart for political support to move the warring factions towards lasting peace.

Once again, Darfur finds itself at a crossroads. Since the beginning of 2014, new dynamics have emerged, with considerable impact on the civilian population, said Hervé Ladsous, Under-Secretary-General for UN Peacekeeping Operations, as he briefed the Council on the latest developments in the strife-torn western region of Sudan, as well as on the work of the joint AU-UN mission there, known as UNAMID.

Mr. Ladsous said Darfur is currently experiencing renewed violence after a relative lull, marked by massive movements of displaced persons and by very "notable and strong discord" among local allies of the Sudanese Government.

The growing political rivalries were most evident in North Darfur. "At stake is not merely the local government, but also the hoarding of mineral resources, [particularly] gold deposits." All of this has led to fighting between the groups and serious loss of civilian life. Moreover, he explained that the "very difficult" regional context is aggravating the situation. »

27. Le Country of Origin Information Report publié le 11 septembre 2012 par le United Kingdom: Home Office rapporte notamment :

« The UN’s High Commissioner for Human Rights, ‘Tenth Periodic report of the UN High Commissioner for Human Rights on the situation of human rights in Sudan’, dated 28 November 2008, observed: Darfurians in the Khartoum area are at heightened risk of being subjected to arbitrary arrests, in particular if they are suspected of maintaining links with Darfurian rebel groups or political movements. Darfurians may raise the suspicion of the security forces by the mere fact of travelling from other parts of Sudan to Darfur, by having travelled abroad, or by having been in contact with individuals and organizations abroad. Over the past three years, United Nations human rights officers have conducted numerous interviews with Darfurians who have been arbitrarily arrested and detained. Many reported that they were ill-treated and tortured. Reports on the questioning which they underwent in detention indicate that most of the detentions were carried out to obtain information about Darfurian political groups and rebel movements. »

28. Le Operational Guidance Note: Sudan publié en août 2012 par le United Kingdom: Home Office rapporte :

« The Tribunal found in AA (Non Arab Darfurians – relocation) Sudan CG [2009] UKAIT 00056, that all non-Arab Darfuris, regardless of their political or other affiliations, are at risk of persecution in Darfur and cannot reasonably be expected to relocate elsewhere in Sudan. Therefore claimants who do not fall within the exclusion clauses are likely to qualify for asylum.

UNHCR reported in 2008 that Darfurians in Khartoum are at heightened risk of arbitrary arrest if they are suspected of links with Darfur rebel groups or movements. Of particular concern is the view that Darfurians may raise the suspicion of the security forces by the mere fact of travelling from other parts of Sudan to Darfur, by having travelled abroad, or by having been in contact with individuals and organisations abroad.

[...]

The largest ethnic group within Darfur are the Fur people, who consist mainly of settled subsistence farmers and traditional cultivators. Other non-Arab, African groups include the Zaghawa nomads, the Meidob, Massaleit, Dajo, Berti, Kanein, Mima, Bargo, Barno, Gimir, Tama, Mararit, Fellata, Jebel, Sambat and Tunjur. The mainly pastoralist Arab tribes in Darfur include Habania, Beni Hussein, Zeiyadiya, Beni Helba, Ateefat, Humur, Khuzam, Khawabeer, Beni Jarrar, Mahameed, Djawama, Rezeigat, and the Ma’aliyah.

[...]

Members of opposition groups and perceived government critics, including students, journalists and human rights defenders are subjected to harassment, intimidation, arbitrary arrest, incommunicado detention, and are at risk of ill treatment and persecution.

[...]

The UN report of the independent expert on the situation of human rights in the Sudan highlighted "Cases of arbitrary arrest and detention by the National Security Service (NSS)" and ".allegations of incommunicado detention, torture and other forms of ill-treatment of detainees by the NSS.112". In May 2012, Freedom House also noted that the NISS is accused of "systematically detaining and torturing opponents of the government, including Darfuri activists, journalists, and students". »

29. Le 2012 Country Reports on Human Rights Practices – Sudan publié le 19 avril 2013 par le United States’ Department of State rapporte :

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« The interim national constitution prohibits such practices; however, government security forces continued to torture, beat, and harass suspected political opponents and others. In Darfur and other areas of conflict, government forces, rebel groups, and tribal factions committed torture and abuse.

[...]

According to non-governmental organization (NGO) and civil society activists in Khartoum, government security forces beat and tortured persons in detention, including members of the political opposition, civil society activists, and journalists. These persons were often subsequently released without charge. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

30. Le requérant allègue qu’un renvoi vers le Soudan l’exposerait à des traitements inhumains ou dégradants. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

31. En premier lieu, le Gouvernement observe, dans une lettre datée du 8 janvier 2014, que le formulaire de requête introduit devant la Cour le 19 décembre 2013 n’est pas signé par le requérant et n’est donc pas valable.

32. Le Gouvernement estime ensuite que le requérant s’est abstenu de participer effectivement à la procédure en ne fournissant pas à la Cour le compte rendu de son entretien devant l’OFPRA, en violation des articles 44C et 47 du règlement de la Cour.

33. Enfin, le Gouvernement soulève une exception d’irrecevabilité tirée de l’absence de qualité de victime du requérant. Le Gouvernement précise, à ce titre, que les autorités consulaires soudanaises n’ont pas délivré le laissez-passer nécessaire à l’exécution de la mesure de renvoi du requérant. Le Gouvernement fait référence à la jurisprudence de la Cour dans les affaires R.S. c. France ((déc.), no 50254/09, 25 mai 2010) et W.M. c. France ((déc.), no 13134/10, 10 janvier 2012).

34. Le requérant conteste les arguments du Gouvernement. Il indique que deux conseils se sont succédé pour sa défense et qu’il a, depuis l’introduction de la requête, transmis à la Cour le formulaire de requête signé ainsi que le compte rendu de son entretien devant l’OFPRA. S’agissant de son statut de victime, il précise avoir produit un document d’identité, à savoir un acte de naissance, à l’appui de sa demande d’asile initiale. Il ajoute que son identité et son pays d’origine n’ont par ailleurs jamais été remis en cause par les autorités nationales au cours de la procédure d’éloignement.

2. Appréciation de la Cour

35. La Cour observe que le requérant lui a fait parvenir, le 16 janvier 2014, le formulaire de requête dûment signé, le 30 janvier 2014, le formulaire de pouvoir prévu à l’article 36 du règlement et, le 21 avril 2014, le compte rendu de l’entretien avec l’agent de l’OFPRA. Elle écarte donc les deux premières exceptions soulevées par le Gouvernement.

36. S’agissant de la qualité de victime du requérant, la Cour rappelle que dans les affaires R.S. et W.M. citées par le Gouvernement, les autorités consulaires avaient explicitement refusé de délivrer un laissez-passer à des personnes faisant l’objet d’une mesure de renvoi car elles ne reconnaissaient pas ces personnes comme étant leurs ressortissants. Or, en l’espèce, il ressort des éléments du dossier que la non-délivrance de laissez-passer ne procède pas d’un refus des autorités consulaires soudanaises, elle s’explique par le fait que l’article 39 du règlement a été appliqué avant même que le requérant ne soit présenté à ces dernières. La Cour observe, en outre, que les autorités nationales n’ont, à aucun moment de la procédure, remis en cause la nationalité du requérant et que le Gouvernement n’a avancé aucun élément permettant de laisser penser que les autorités consulaires soudanaises auraient refusé de délivrer un laissez-passer au requérant si celui-ci leur avait été présenté. En conséquence, cette exception doit également être rejetée.

37. La Cour constate, par ailleurs, que le grief tiré de la violation de l’article 3 n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

38. Le requérant estime avoir exposé de façon détaillée les craintes auxquelles il serait exposé en cas de retour au Soudan. Il considère que les incohérences relevées par le Gouvernement dans ses récits ne sauraient remettre en cause la crédibilité de ses déclarations. Il plaide que la possibilité de former un recours devant la CNDA doit notamment permettre de préciser et compléter les faits évoqués devant l’OFPRA.

39. S’agissant de la seconde demande d’asile déposée par le requérant, celui-ci estime qu’il ne peut en être tiré aucune conséquence dans la mesure où, au moment où le Gouvernement a formulé ses observations, les instances de l’asile n’avaient pas encore statué sur cette demande.

40. Le requérant estime enfin que le Gouvernement ne motive pas les raisons qui l’amènent à considérer les documents fournis comme dénués de force probante. Le fait qu’il ne fournisse pas d’informations à l’appui de l’attestation d’adhésion au JEM ne saurait suffire à exclure la réalité de son engagement auprès du mouvement. Le requérant affirme que les constatations établies par le certificat médical qu’il fournit sont de nature à corroborer ses allégations de mauvais traitements.

41. Le Gouvernement rappelle que le risque de mauvais traitements allégué par le requérant a été examiné par les autorités compétentes en matière d’asile, lesquelles n’ont pas été convaincues par ses déclarations.

42. Le Gouvernement émet, par ailleurs, de sérieux doutes quant à la crédibilité du requérant. Il souligne plusieurs contradictions entre les différents récits du requérant devant les instances nationales. Ainsi, le requérant fait état, devant l’OFPRA, d’une détention de sept jours en avril 2007 alors que, devant la CNDA, il mentionne une détention d’une durée de quinze jours à la même période. En outre, le requérant dit avoir été arrêté et détenu pendant trois jours en juin 2009 devant la CNDA, alors que ces faits n’ont pas été évoqués devant l’OFPRA. Le Gouvernement note, enfin, que le requérant indique, dans son recours devant le tribunal administratif, s’être évadé de « la prison d’Ouad Hadad » alors qu’il ne fait état de cet événement dans aucun autre récit.

43. Le Gouvernement souligne ensuite que le requérant a tenté de déposer frauduleusement une nouvelle demande d’asile sous une fausse identité le 10 décembre 2013. Le Gouvernement indique que les récits du requérant quant à son trajet et sa date d’arrivée en France diffèrent selon les deux demandes d’asile, ce qui discrédite, selon le Gouvernement, l’ensemble des déclarations du requérant.

44. Enfin, le Gouvernement émet des réserves s’agissant des documents présentés comme éléments de preuve par le requérant. Le Gouvernement relève, à ce titre, que le requérant a produit une attestation du JEM au moment de sa demande de réexamen de demande d’asile alors qu’il n’avait pas fait état de son appartenance au mouvement précédemment. Le Gouvernement souligne, en outre, que le requérant ne produit aucune explication à l’appui de ce document. Le Gouvernement note également que les traductions produites par le requérant ont été effectuées par un traducteur non assermenté et qu’elles comportent des fautes de français, ce qui permet de remettre en cause leur authenticité. Enfin, le Gouvernement estime que le certificat médical présenté par le requérant, s’il fait état de cicatrices, ne permet pas de prouver les mauvais traitements allégués.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

45. La Cour rappelle que les États contractants ont, en vertu d’un principe de droit international bien établi et sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, y compris la Convention, le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Cependant, l’expulsion par un État contractant peut soulever un problème au regard de l’article 3, et donc engager la responsabilité de l’État en cause au titre de la Convention, lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3. Dans ce cas, l’article 3 implique l’obligation de ne pas expulser la personne en question vers ce pays (Saadi c. Royaume-Uni [GC], no 13229/03, §§ 124-125, CEDH 2008).

46. Il appartient en principe au requérant de produire des éléments susceptibles de démontrer qu’il serait exposé, en cas de mise à exécution de la mesure incriminée, à un risque de traitements contraires à l’article 3, à charge ensuite pour le Gouvernement de dissiper les doutes éventuels au sujet de ces éléments (Saadi précité, § 129). La Cour rappelle également qu’il ne lui appartient pas normalement de substituer sa propre appréciation des faits à celle des juridictions internes, mieux placées pour évaluer les preuves produites devant elles (voir, entre autres, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, § 29, série A no 269). Elle reconnaît que, eu égard à la situation particulière dans laquelle se trouvent souvent les demandeurs d’asile, il convient dans de nombreux cas de leur accorder le bénéfice du doute lorsque l’on apprécie la crédibilité de leurs déclarations et des documents soumis à l’appui de celles-ci. Toutefois, lorsque des informations sont soumises qui donnent de bonnes raisons de douter de la véracité des déclarations du demandeur d’asile, celui-ci est tenu de fournir une explication satisfaisante pour les incohérences de son récit (voir, notamment, Collins et Akaziebie c. Suède (déc.), no 23944/05, 8 mars 2007, et N. c. Suède, no 23505/09, § 53, 20 juillet 2010). De la même manière, il incombe au requérant de fournir une explication suffisante pour écarter d’éventuelles objections pertinentes quant à l’authenticité des documents par lui produits (Mo. P. c. France (déc.), no 55787/09, § 53, 30 avril 2013).

47. En outre, l’existence d’un risque de mauvais traitements doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi et des circonstances propres au cas de l’intéressé. Lorsque les sources dont la Cour dispose décrivent une situation générale, les allégations spécifiques du requérant doivent être corroborées par d’autres éléments de preuve (Saadi, précité, §§ 130-131).

48. Enfin, s’il convient de se référer en priorité aux circonstances dont l’État en cause avait connaissance au moment de l’expulsion, la date à prendre en compte pour l’examen du risque encouru est celle de la date de l’examen de l’affaire par la Cour (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 86, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

49. S’agissant de la situation générale au Soudan, la Cour a récemment rappelé dans l’arrêt A.A c. Suisse (no 58802/12, §§ 39-40, 7 janvier 2014) que la situation des droits de l’homme dans ce pays était alarmante, en particulier pour les opposants politiques. Elle note que depuis le début de l’année 2014, la situation s’est encore détériorée. Les forces gouvernementales, appuyées par des milices, conduisent d’importantes opérations armées dans les régions du Darfour du nord et du Darfour du sud, région d’origine du requérant. Ces actions visent à combattre les groupes rebelles mais engendrent d’importants dommages parmi les populations civiles. Les rapports internationaux consultés font également état de ce que les individus suspectés d’appartenir ou de soutenir les mouvements rebelles continuent d’être arrêtés, détenus et torturés par les autorités soudanaises. La Cour note, en outre, qu’il ressort des données internationales disponibles que certaines catégories de la population sont particulièrement à risque au Soudan, notamment les membres de mouvements politiques d’opposition, les personnes soupçonnées d’entretenir des liens avec des groupes rebelles darfouris, les étudiants, les journalistes et les défenseurs des droits de l’homme. De plus, comme l’a rappelé la Cour dans l’arrêt A.A. c. Suisse précité, il apparaît que les individus encourant un risque de mauvais traitement ne sont pas uniquement les opposants au profil marqué, mais toute personne s’opposant ou étant suspectée de s’opposer au régime en place.

50. La Cour relève, en outre, que la lecture des rapports internationaux (voir, en particulier, paragraphe 27) démontre que la seule appartenance d’un individu à une ethnie non arabe du Darfour entraîne pour ce dernier un risque de persécutions et qu’il n’existe aucune possibilité de relocalisation dans le pays.

51. En l’espèce, le requérant fait valoir que ses risques de mauvais traitements en cas de retour sont liés à deux éléments : son appartenance à l’ethnie tunjur et ses liens supposés avec le JEM.

52. S’agissant du premier élément, le requérant verse aux débats une attestation de l’Union du Darfour au Royaume-Uni du 2 février 2012 confirmant son appartenance à l’ethnie tunjur. La Cour constate que le Gouvernement remet en cause l’appartenance du requérant à cette ethnie en se fondant sur les motivations de ses instances nationales à cet égard. Si l’OFPRA et la CNDA ont effectivement estimé que « les déclarations du requérant sont restées évasives et parfois confuses tant sur ses origines ethniques que sur la région dont il allègue être originaire », la Cour note qu’elles l’ont fait sans indiquer les motifs fondant leurs suspicions. La Cour ne trouve pas d’éléments suffisamment explicites dans ces motivations pour la faire douter de l’origine ethnique du requérant et considère donc celle-ci comme avérée. Il ressort des données internationales consultées (voir paragraphe 27) que l’ethnie tunjur est une des ethnies non arabes du Darfour. Compte tenu des conclusions auxquelles elle est parvenue au paragraphe 49, la Cour ne peut donc que considérer, avec le requérant, que son appartenance ethnique constitue un premier facteur de risques en cas de retour au Soudan.

53. S’agissant du second facteur de risques évoqué par le requérant, la Cour constate que le récit fait par ce dernier des mauvais traitements dont il aurait été victime en raison de ses liens supposés avec le JEM est particulièrement circonstancié et qu’il est compatible, notamment au niveau des dates et des lieux désignés comme ayant fait l’objet d’attaques de la part des forces de l’ordre, avec les données internationales disponibles (voir paragraphes 21 à 24). Il est également étayé par des attestations du JEM faisant état de l’engagement du requérant auprès de ce mouvement et des poursuites dont il ferait l’objet, ainsi que d’un certificat médical du 18 août 2011. Si la Cour estime, avec le Gouvernement, que les documents émanant du JEM ne sauraient suffire à eux seuls à prouver les faits allégués, le certificat médical qui atteste de la présence de plusieurs cicatrices sur le corps du requérant que le médecin déclare « compatibles » avec les dires de ce dernier rend néanmoins vraisemblables les allégations de torture et les liens, supposés par les autorités soudanaises, du requérant avec le JEM.

54. La Cour note cependant les réserves soulevées par le Gouvernement quant à la crédibilité du récit du requérant, eu égard aux incohérences qu’il relève et à la demande d’asile présentée par le requérant sous une fausse identité.

55. Concernant les incohérences, la Cour est d’avis qu’elles ne suffisent pas à remettre en cause les faits allégués par le requérant. Ainsi, si, à propos de sa première arrestation, le requérant a affirmé avoir été détenu pendant « à peu près sept jours » devant l’OFPRA et « environ deux semaines » devant la CNDA, la Cour observe qu’il a constamment fait état devant les juridictions internes d’une arrestation en avril 2007 et que, devant elle, il confirme avoir été incarcéré deux semaines à la suite de cette arrestation. Le Gouvernement reproche ensuite au requérant de n’avoir pas évoqué devant l’OFPRA son arrestation et sa détention de trois jours intervenues en juin 2009, faits qu’il a pourtant évoqués devant la CNDA et au cours de la présente procédure. À cet égard cependant, la Cour accepte l’argument du requérant selon lequel son recours devant la CNDA lui a permis de préciser son récit et, notamment, de rapporter certains éléments omis devant l’OFPRA. La Cour observe d’ailleurs que la CNDA ne s’est nullement fondée sur ces prétendues incohérences pour rejeter le recours du requérant. Enfin, s’agissant des faits relatifs à l’évasion de la prison d’Ouad Haddad invoqués par le requérant devant le tribunal administratif, la Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur leur crédibilité dans la mesure où le requérant ne fait pas mention de cet événement dans sa requête.

56. La Cour ne considère pas non plus que la demande d’asile présentée par le requérant sous une fausse identité discrédite l’ensemble de ses déclarations devant elle. Elle note, en effet, que si le récit du requérant dans cette demande d’asile différait de celui fait initialement quant aux dates et à la manière dont il aurait quitté son pays, les risques de persécution invoqués étaient exactement les mêmes, ce qui n’est d’ailleurs pas contesté par le Gouvernement.

57. Au vu de la méfiance témoignée par les autorités soudanaises à l’encontre des darfouris ayant voyagé à l’étranger (voir paragraphe 26), la Cour estime enfin probable que le requérant, à son arrivée à l’aéroport de Khartoum, attire l’attention défavorable de ces dernières en raison de ses quelques années passées à l’étranger.

58. En conséquence, la Cour considère que, compte tenu du profil du requérant et de la situation de violences endémiques perpétrées à l’égard des membres des ethnies darfouries, son renvoi vers le Soudan l’exposerait, au vu des circonstances de l’espèce, à un risque de mauvais traitements au regard de l’article 3 de la Convention. Elle estime donc que la mise à exécution de la mesure d’éloignement du requérant vers le Soudan emporterait violation de l’article 3 de la Convention.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

59. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

60. La Cour considère, avec le requérant et le Gouvernement, qu’eu égard aux circonstances de l’espèce, le constat d’une violation potentielle de l’article 3 de la Convention constitue en lui-même une satisfaction équitable suffisante pour tout dommage moral pouvant avoir été subi par le requérant.

61. Le requérant n’a présenté aucune demande au titre des frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de lui octroyer de somme à ce titre.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

62. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

63. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (paragraphes 3 et 4 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard (voir dispositif).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit que, dans l’éventualité de la mise à exécution de la décision de renvoi vers le Soudan, il y aurait violation de l’article 3 de la Convention ;

3. Dit que le constat d’une violation fournit en soi une satisfaction équitable suffisante pour le dommage moral subi par le requérant ;

4. Décide de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser le requérant jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 15 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-150294
Date de la décision : 15/01/2015
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Expulsion) (Conditionnel) (Soudan)

Parties
Demandeurs : A.F.
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : ROUSSEL C.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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