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13/01/2015 | CEDH | N°001-150605

CEDH | CEDH, AFFAIRE ELBERTE c. LETTONIE, 2015, 001-150605


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ELBERTE c. LETTONIE

(Requête no 61243/08)

ARRÊT

STRASBOURG

13 janvier 2015

DÉFINITIF

13/04/2015

Cet arrêt est définitif.




En l’affaire Elberte c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Päivi Hirvelä, présidente,

Ineta Ziemele,

George Nicolaou,

Nona Tsotsoria,

Zdravka Kalaydjieva,

Krzysztof Wojtyczek,

Faris Vehabović, juges,

et de Fatoş Aracı

, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 novembre et 2 décembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE ELBERTE c. LETTONIE

(Requête no 61243/08)

ARRÊT

STRASBOURG

13 janvier 2015

DÉFINITIF

13/04/2015

Cet arrêt est définitif.

En l’affaire Elberte c. Lettonie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Päivi Hirvelä, présidente,

Ineta Ziemele,

George Nicolaou,

Nona Tsotsoria,

Zdravka Kalaydjieva,

Krzysztof Wojtyczek,

Faris Vehabović, juges,

et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 4 novembre et 2 décembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 61243/08) dirigée contre la République de Lettonie et dont une ressortissante lettone, Mme Dzintra Elberte (« la requérante »), a saisi la Cour le 5 décembre 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante a été représentée par Me I. Nikuļceva, avocat à Riga. Le gouvernement letton (« le Gouvernement ») a été représenté successivement par Mme I. Reine et par Mme K. Līce, qui avait remplacé la première nommée dans ses fonctions d’agent du gouvernement.

3. La requérante alléguait en particulier que des tissus avaient, à son insu et sans son consentement, été prélevés sur le corps de son défunt mari et que celui-ci avait été inhumé les jambes ligotées.

4. Le 27 avril 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement en vertu des articles 3 et 8 de la Convention. Le 9 juillet 2013, il a été décidé d’examiner en même temps la recevabilité et le fond de la requête (article 29 § 1 de la Convention).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1969 et réside à Sigulda. Elle est la veuve de M. Egils Elberts (« le mari de la requérante »), ressortissant letton né en 1961 et décédé le 19 mai 2001.

A. Événements ayant conduit la requérante à prendre connaissance du prélèvement de tissus sur le corps de son mari

6. Le 19 mai 2001, le mari de la requérante fut impliqué dans un accident de voiture à Allaži Parish. Une ambulance le transporta à l’hôpital de Sigulda, mais il décéda sur le trajet des suites de ses blessures. Il fut placé dans la chambre mortuaire de l’hôpital de Sigulda. La belle-mère de la requérante, qui travaillait à l’hôpital de Sigulda et avait ainsi appris immédiatement la mort de son fils, resta auprès du corps à l’hôpital de Sigulda jusqu’à ce qu’il soit transporté au centre national médicolégal (Valsts tiesu medicīnas expertīžu centrs ; ci-après « le centre médicolégal ») de Riga.

7. Le 20 mai 2001 à 5 heures, le corps fut remis au centre médicolégal aux fins d’établissement de la cause du décès. De 13 heures à 15 heures, au cours de l’autopsie, de nombreuses blessures furent constatées sur la tête et le tronc du défunt, dont plusieurs côtes et vertèbres fracturées. Il y avait des ecchymoses sur son épaule, sa cuisse et son genou droits. Un médecin légiste, N.S., qualifia les blessures de graves et potentiellement mortelles et établit un lien de causalité entre celles-ci et le décès.

8. Le Gouvernement a expliqué qu’après l’autopsie, N.S. s’était assuré qu’il n’y avait pas dans le passeport de M. Elberts de timbre indiquant qu’il était opposé à l’utilisation de ses tissus corporels et avait prélevé un morceau de 10 × 10 cm de la membrane externe des méninges (dure-mère). La requérante a affirmé pour sa part qu’à ce moment-là le passeport de M. Elberts se trouvait à leur domicile à Sigulda et que N.S. ne pouvait donc pas avoir vérifié l’absence de timbre dans le passeport. Elle a ajouté que le tissu prélevé mesurait plus que 10 × 10 cm et que l’on n’a pas seulement prélevé la dure-mère.

9. Le 21 mai 2001, le parquet délivra un document autorisant d’inhumer le corps. Selon la requérante, sa sœur se rendit au centre médicolégal le 21 ou le 22 mai 2001 en vue d’obtenir le certificat indiquant la cause du décès et elle signa le registre du centre. Le 22 mai 2001, elle aurait présenté ce document avec le passeport de M. Elberts aux autorités compétentes de Sigulda pour obtenir le certificat de décès.

10. Selon le Gouvernement, le corps de M. Elberts fut remis à un parent le 25 mai 2001. La requérante affirme quant à elle que le corps fut remis à une autre personne et que celle-ci aida seulement à le transporter avant les obsèques.

11. Les obsèques se déroulèrent à Sigulda le 26 mai 2001. La requérante vit pour la première fois le corps de son défunt mari lorsque la dépouille lui fut rendue par le centre médicolégal pour les obsèques. Elle vit que ses jambes avaient été ligotées. Il fut inhumé ainsi. La requérante était alors enceinte de son deuxième enfant.

12. La requérante n’apprit le prélèvement de tissus sur le corps de son mari que deux ans plus tard, lorsque la police de sécurité (Drošības Policija) l’informa qu’une enquête pénale avait été ouverte sur des prélèvements illégaux d’organes et de tissus.

B. L’enquête pénale sur le prélèvement illégal d’organes et de tissus

13. Le 3 mars 2003, la police de sécurité ouvrit une enquête pénale sur des prélèvements illégaux d’organes et de tissus envoyés à une société pharmaceutique basée en Allemagne (« la société ») de 1994 à 2003. La succession d’événements suivante a été établie.

14. En janvier 1994, le prédécesseur du centre médicolégal conclut avec la société un accord en vue de coopérer à des fins de recherche scientifique. En vertu de cet accord, divers types de tissus devaient être prélevés sur des personnes décédées – choisies par le centre médicolégal conformément aux normes internationales – et envoyés à la société pour être traités. La société transformait les tissus reçus en bio-implants et les renvoyait en Lettonie à des fins de transplantation. Le ministère de l’Aide sociale accepta le contenu de l’accord, après avoir examiné sa conformité au droit interne à plusieurs reprises. Le parquet émit deux avis sur la compatibilité de l’accord avec la législation nationale et, en particulier, avec la loi sur la protection des corps des défunts et l’utilisation d’organes et de tissus humains (« la loi »).

15. Tout membre qualifié (« expert ») du personnel du centre médicolégal était autorisé à effectuer des prélèvements de tissus de sa propre initiative. Le directeur du service de thanatologie du centre médicolégal était responsable de la formation des experts et de la supervision de leur travail. Il était également responsable de l’envoi des tissus en Allemagne. Les experts étaient rémunérés pour leur travail. Initialement, les tissus étaient prélevés dans les services médicolégaux situés à Ventspils, Saldus, Kuldīga, Daugavpils et Rēzekne. À partir de 1996, ils ne furent plus prélevés qu’au centre médicolégal de Riga et au service médicolégal de Rēzekne.

16. En vertu de l’accord, les experts pouvaient prélever des tissus sur des personnes décédées qui avaient été transportées au centre médicolégal pour un examen médicolégal. Chaque expert devait vérifier si le donneur potentiel ne s’était pas opposé de son vivant au prélèvement de ses organes ou tissus en contrôlant son passeport pour s’assurer qu’aucun timbre n’y avait été apposé à cet effet. Si les proches s’opposaient au prélèvement, leurs souhaits devaient être respectés, mais les experts ne cherchaient pas à prendre contact avec ces derniers ou à connaître leurs souhaits. Les tissus devaient être prélevés dans les vingt-quatre heures à compter de la mort biologique de la personne.

17. Les experts devaient respecter la législation nationale, mais, selon leurs propres témoignages, aucun d’entre eux n’avait lu la loi. Cela étant, son contenu était clair pour eux puisque le directeur du service de thanatologie du centre médicolégal leur avait expliqué que les prélèvements n’étaient autorisés qu’en l’absence dans le passeport d’un timbre indiquant un refus de tout prélèvement d’organes ou de tissus et si les proches ne s’opposaient pas au prélèvement.

18. Au cours de l’enquête, les enquêteurs interrogèrent des spécialistes en droit pénal et prélèvement d’organes et de tissus. Ils conclurent que, d’une manière générale, il existait deux systèmes juridiques de réglementation du prélèvement d’organes et de tissus : le « consentement informé » et le « consentement présumé ». D’un côté, le directeur du centre médicolégal, le directeur du service de thanatologie du centre médicolégal et les experts du centre médicolégal étaient d’avis que, pendant la période en cause (c’est-à-dire après l’entrée en vigueur de la loi le 1er janvier 1993), il existait un système de « consentement présumé » en Lettonie. Ces personnes estimaient que le système de consentement présumé signifiait que « tout ce qui n’était pas interdit était autorisé ». D’un autre côté, les enquêteurs étaient d’avis que l’article 2 de la loi indiquait clairement que le système juridique letton reposait plus sur le concept de « consentement informé » et que le prélèvement n’était acceptable que lorsqu’il avait été (expressément) autorisé, c’est-à-dire lorsque le consentement avait été donné soit par le donneur de son vivant, soit par ses proches.

19. Le 12 mai 2003, l’expert N.S. fut interrogé plus particulièrement sur le prélèvement de tissus sur le corps du mari de la requérante. Le 9 octobre 2003, la requérante fut reconnue comme partie lésée (cietušais) et interrogée à la même date.

20. Le 30 novembre 2005, il fut décidé que l’enquête pénale sur les activités du directeur du centre médicolégal, du directeur du service de thanatologie du centre médicolégal et du directeur du service médicolégal de Rēzekne concernant le prélèvement de tissus devait être classée sans suite. Les considérations exposées ci-dessus furent notées dans la décision (lēmums par kriminālprocesa izbeigšanu), et les différences concernant les possibles interprétations de la législation nationale furent résolues en faveur des accusés. De surcroît, il fut décidé que les amendements à la loi adoptés en 2004 devaient être interprétés en ce sens qu’il existait un système de « consentement présumé » en Lettonie. Il fut conclu que les articles 2 à 4 et 11 de la loi n’avaient pas été violés et qu’aucun élément constitutif d’une infraction au sens de l’article 139 du code pénal n’avait été établi.

21. Le 20 décembre 2005 et le 6 janvier 2006, les procureurs décidèrent de classer sans suite les recours formés par la requérante et jugèrent que la décision d’interrompre l’enquête était légale et justifiée.

22. Le 24 février 2006, un procureur de rang supérieur du bureau du procureur général examina le dossier et conclut que l’enquête n’aurait pas dû être classée sans suite. Il établit que les experts du centre médicolégal avaient enfreint les dispositions de la loi et que le prélèvement de tissus effectué était illégal. La décision de classement sans suite fut annulée et le dossier fut renvoyé à la police de sécurité.

23. Le 3 août 2007, l’enquête pénale concernant le prélèvement de tissus sur le corps du mari de la requérante fut classée sans suite en raison de l’expiration du délai de prescription de cinq ans. Cependant, la base légale indiquée pour le classement sans suite était l’absence de tout élément constitutif d’une infraction. Le 13 août 2007, la requérante fut informée de cette décision. Le 19 septembre et le 8 octobre 2007, en réponse aux recours formés par la requérante, les procureurs déclarèrent que la décision était légale et justifiée.

24. Le 3 décembre 2007, un autre procureur de rang supérieur du bureau du procureur général examina le dossier et conclut que l’enquête n’aurait pas dû être classée sans suite. Il établit que les experts du centre médicolégal avaient enfreint les dispositions de la loi et que le prélèvement de tissus était illégal. La décision de classement sans suite fut à nouveau annulée et le dossier renvoyé à la police de sécurité.

25. Le 4 mars 2008, une nouvelle décision de classement sans suite fut adoptée. Elle était fondée sur l’expiration du délai de prescription. Le 27 mars 2008, en réponse à un recours de la requérante, le procureur annula à nouveau la décision.

26. Une nouvelle enquête fut réalisée. Elle établit qu’en 1999 des tissus avaient été prélevés sur 152 personnes, en 2000 sur 151 personnes, en 2001 sur 127 personnes et en 2002 sur 65 personnes. En contrepartie de la fourniture de tissus à la société allemande, le centre médicolégal avait organisé l’achat, aux frais de la société, d’équipements médicaux, d’instruments, de technologie et d’ordinateurs pour des institutions médicales en Lettonie. Dans le cadre de l’accord, la valeur monétaire totale de l’équipement payé par la société excédait la valeur des tissus prélevés et envoyés à l’entreprise. Dans la décision du 14 avril 2008 (paragraphe 27 ci-dessous), il fut observé que les tissus n’avaient pas été prélevés à des fins de transplantation conformément à l’article 10 de la loi, mais pour être transformés en d’autres produits destinés à être utilisés pour des patients non seulement en Lettonie, mais également dans d’autres pays.

27. Le 14 avril 2008, l’enquête pénale fut classée sans suite en raison de l’expiration du délai de prescription. La décision indiquait que lorsqu’un expert du service médicolégal de Rēzekne, par exemple, interrogeait les proches avant le prélèvement d’organes ou de tissus, il ne les informait jamais expressément du prélèvement potentiel ni ne cherchait à obtenir leur consentement. Il ressortait des témoignages de tous les proches qu’ils n’auraient pas consenti au prélèvement d’organes et de tissus s’ils avaient été informés et si leurs souhaits avaient été établis. Selon leurs propres témoignages, les experts se contentaient de contrôler l’absence de timbre dans les passeports et ne cherchaient pas à obtenir le consentement des proches, expliquant qu’ils n’avaient aucun contact avec ces derniers. La décision précisait que, à compter du 1er janvier 2002, des informations devaient être recherchées dans le registre de la population, ce que les experts avaient omis de faire. Elle concluait que les experts, y compris N.S., avaient enfreint l’article 4 de la loi et violé les droits des proches. Cependant, compte tenu du délai de prescription de cinq ans (qui avait commencé à courir le 3 mars 2003), l’enquête pénale fut classée sans suite, et, les 9 mai et 2 juin 2008, les procureurs confirmèrent cette décision en réponse aux recours formés par la requérante. La requérante forma un nouveau recours.

28. Entre-temps, les experts, dont N.S., formèrent un appel attaquant les motifs du classement sans suite de l’enquête pénale (kriminālprocesa izbeigšanas pamatojums). Ils contestaient leur statut de personnes visées par l’enquête pénale relative aux prélèvements illégaux de tissus, faisant valoir qu’ils n’avaient à aucun moment été informés de ladite enquête et que, par conséquent, ils n’avaient pas été en mesure d’exercer leurs droits de la défense. Le 26 juin 2008, par une décision définitive, le tribunal du district de Vidzeme (qui se trouve à Riga) accueillit leur appel (affaire no 1840000303), annula la décision du 14 avril 2008 et renvoya le dossier à la police de sécurité. Il déclara ce qui suit :

« Nonobstant le fait qu’une certaine proportion des transplants n’aient pas été retournés pour être utilisés sur des patients en Lettonie, il n’y a dans le dossier aucune preuve qu’ils aient été utilisés dans d’autres produits ou à des fins scientifiques ou éducatives. Par conséquent, le tribunal estime qu’il n’y a dans le dossier aucune preuve que les tissus prélevés aient été utilisés à des fins autres que de transplantation (...)

Aucune preuve dans le dossier ne démontre que l’on ait prélevé des tissus à des fins de transplantation sans tenir compte du refus de la personne décédée, formulé de son vivant et enregistré en conformité avec la loi en vigueur à l’époque pertinente, ou en ignorant le refus formulé par les proches.

Compte tenu du fait que les instruments législatifs n’imposent aux experts qui effectuent des prélèvements de tissus et d’organes sur le corps des personnes décédées aucune obligation d’informer les personnes de leur droit de refuser le prélèvement d’organes ou de tissus, le tribunal estime que les experts n’avaient aucune obligation en ce sens ; en n’informant pas les proches de la personne décédée de leur intention de prélever des tissus, les experts n’ont pas enfreint les dispositions de la [loi], telle qu’elle était applicable de 1994 à mars 2003. L’article 4 de la [loi] prévoit le droit pour les proches de refuser le prélèvement d’organes et/ou de tissus sur le corps de la personne décédée, mais n’impose pas à l’expert une obligation d’expliquer ce droit aux proches. Étant donné qu’aucun instrument législatif n’impose aux experts une obligation d’informer les proches de leur intention de prélever des organes et/ou tissus et de leur expliquer leur droit de s’y opposer en refusant leur consentement, le tribunal estime qu’une personne ne peut pas être punie pour manquement à une obligation qui n’est pas clairement définie dans la législation en vigueur. Par conséquent, le tribunal conclut que, en prélevant des tissus et organes sur le corps du défunt, les experts n’ont pas enfreint (...) la [loi].

(...) Le tribunal considère que les actions des experts ne pouvaient s’analyser en éléments constitutifs d’une infraction au sens de l’article 139 du code pénal ; par conséquent, la procédure pénale peut être classée sans suite en raison d’une cause d’exonération, au sens de l’article 377 § 2 du code de procédure pénale – à savoir l’absence d’éléments constitutifs d’une infraction. »

29. Le 2 juillet 2008, le procureur de rang supérieur répondit à un recours formé par la requérante. Il admit que l’enquête avait duré longtemps, expliquant que cela était dû aux nombreux recours formés contre les décisions et que pour le reste rien ne permettait de conclure que l’enquête eût été indûment prolongée. Dans le même temps, il informa la requérante que le tribunal avait annulé la décision du 14 avril 2008 en réponse au recours des experts. Il déclara également qu’une nouvelle décision de classement sans suite de l’enquête pénale avait été adoptée le 27 juin 2008 et serait prochainement dûment notifiée à la requérante.

30. De fait, la requérante reçut quelques jours plus tard la décision du 27 juin 2008. Il y était rappelé que les experts n’avaient aucune obligation juridique d’informer quiconque de son droit de consentir à un prélèvement d’organes ou de tissus ou de le refuser. L’article 4 de la loi prévoyait le droit pour les proches de la personne décédée de s’opposer au prélèvement d’organes et de tissus sur le corps du défunt, mais il n’imposait à l’expert aucune obligation d’expliquer ce droit aux proches. Une personne ne pouvait être punie pour un manquement à une obligation qui n’était pas clairement définie par une disposition juridique ; par conséquent, les experts n’avaient pas enfreint la loi. La requérante forma de nouveaux recours.

31. Le 15 août 2008, le procureur répondit, entre autres, qu’aucune circonstance n’indiquait qu’un corps humain eût été profané. Dans le même temps, il expliqua que les experts avaient pratiqué des actes en lien avec le prélèvement illégal de tissus afin de les utiliser à des fins médicales. Après le prélèvement de tissus, un autre matériau était généralement implanté pour restaurer l’intégrité visuelle des cadavres. Par conséquent, l’enquête pénale avait concerné des actes visés par l’article 139 et non pas par l’article 228 du code pénal, qui interdisait la profanation de cadavre.

32. Le 10 septembre 2008, un procureur de rang supérieur répondit qu’il n’y avait aucune raison d’examiner sous l’angle de l’article 228 du code pénal relatif à la profanation de cadavre les actes des personnes ayant prélevé des tissus. Les experts avaient procédé conformément aux instructions du ministre de la Justice en implantant d’autres matériaux à la place des tissus prélevés. Conformément à ces instructions, les tissus devaient être prélevés de manière à ne pas mutiler le corps et, si nécessaire, moyennant une reconstruction ultérieure.

33. Le 23 octobre 2008, un autre procureur de rang supérieur du bureau du procureur général répondit par une décision négative définitive.

II. DOCUMENTS INTERNATIONAUX PERTINENTS ET DROIT INTERNE

A. Documents du Conseil de l’Europe

34. Le 11 mai 1978, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a adopté la Résolution (78) 29 sur l’harmonisation des législations des États membres relatives aux prélèvements, greffes et transplantations de substances d’origine humaine, qui recommande aux gouvernements des États membres de conformer leur droit aux règles annexées à cette résolution ou d’adopter des règles conformes à celles-ci lors de l’introduction d’une nouvelle législation.

L’article 10 de cette résolution dispose :

« 1. Aucun prélèvement ne doit être effectué lorsqu’il y a une opposition manifeste ou présumée du défunt compte tenu notamment de ses convictions religieuses ou philosophiques.

2. À défaut d’une volonté du défunt manifestée explicitement ou implicitement le prélèvement peut être effectué. Toutefois, un État pourra décider que le prélèvement ne doit pas avoir lieu, si, après une enquête appropriée, compte tenu des circonstances, visant à déterminer l’opinion de la famille du défunt, et dans le cas d’un incapable juridique survivant, celle de son représentant légal, une opposition se manifeste ; lorsque le défunt était un incapable juridique le consentement de son représentant légal peut également être exigé. »

35. La Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine (« la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine » – STE no 164) est le premier traité international à avoir été adopté dans le domaine de la bioéthique. Elle est entrée en vigueur le 1er décembre 1999 à l’égard des États qui l’ont ratifiée. La Lettonie l’a signée le 4 avril 1997 et l’a ratifiée le 25 février 2010 ; elle est entrée en vigueur à l’égard de la Lettonie le 1er juin 2010. La Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine n’est pas applicable au prélèvement d’organes et de tissus sur des personnes décédées. Elle concerne le prélèvement d’organes et de tissus sur des donneurs vivants à des fins de transplantation (articles 19-20).

36. Concernant le prélèvement d’organes ou de tissus sur des personnes décédées, un Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine (STE no 186) a été adopté, auquel le Gouvernement s’est référé. Il est entré en vigueur le 1er mai 2006 à l’égard des États qui l’ont ratifié. La Lettonie ne l’a jamais signé ni ratifié.

37. Les articles pertinents du Protocole additionnel disposent :

Article 1 – Objet

« Les Parties au présent Protocole protègent la personne dans sa dignité et son identité et lui garantissent, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales dans le domaine de la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine. »

Article 16 – Constatation du décès

« Un prélèvement d’organe ou de tissus sur une personne décédée ne peut être effectué que si le décès a été dûment constaté, conformément à la loi.

Les médecins constatant le décès d’une personne doivent être distincts de ceux participant directement au prélèvement d’organes ou de tissus sur cette personne ou aux étapes ultérieures de la transplantation, ainsi que de ceux chargés de soigner d’éventuels receveurs de ces organes ou tissus. »

Article 17 – Consentement et autorisations

« Des organes ou des tissus ne peuvent être prélevés sur le corps d’une personne décédée que si le consentement ou les autorisations requis par la loi ont été obtenus.

Le prélèvement ne doit pas être effectué si la personne décédée s’y était opposée. »

Article 18 – Respect du corps humain

« Dans le cadre du prélèvement, le corps humain doit être traité avec respect et toute mesure raisonnable doit être prise en vue de restaurer l’apparence du corps. »

Les parties pertinentes du rapport explicatif du Protocole additionnel disposent :

Introduction

« (...)

2. L’objet du Protocole est de définir et de garantir les droits des donneurs d’organes et de tissus, qu’ils soient vivants ou décédés, et ceux des bénéficiaires de greffes d’organes et de tissus d’origine humaine. »

Élaboration du Protocole

« (...)

7. Ce Protocole développe les dispositions de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine dans le domaine de la transplantation d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine. Les dispositions de la Convention s’appliquent au Protocole. Afin d’en faciliter la lecture par les destinataires du Protocole, celui-ci a été rédigé de telle sorte qu’il ne soit pas nécessaire de se reporter constamment à la Convention pour comprendre la portée de ses dispositions. Cependant, la Convention contient des principes que le Protocole a pour but de développer. En ce sens, une lecture systématique des deux textes pourra s’avérer utile, voire parfois indispensable. »

Commentaires sur les dispositions du Protocole
Préambule

« 13. Le Préambule met en exergue le fait que l’article 1er de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, protégeant l’être humain dans sa dignité et son identité et garantissant à toute personne le respect de son intégrité, constitue une base appropriée à l’élaboration de normes complémentaires permettant d’assurer la protection des droits et libertés des donneurs, donneurs potentiels et des receveurs de transplantation d’organes et de tissus. »

Article 1 – Objet

« 16. Cet article précise que le Protocole a pour objet de protéger la personne dans sa dignité et son identité et de lui garantir, sans discrimination, le respect de son intégrité et de ses autres droits et libertés fondamentales dans le domaine de la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine.

17. Le terme « personne » est utilisé à l’article 1er car il apparaît comme étant le plus approprié pour être en harmonie avec l’exclusion du champ d’application du Protocole, faite à l’article 2, des organes et tissus embryonnaires et fœtaux (…) Le Protocole ne concerne que le prélèvement d’organes et de tissus sur une personne déjà née, qu’elle soit lors du prélèvement vivante ou décédée, et la greffe d’organes et de tissus d’origine humaine sur une autre personne également née. »

Article 16 – Constatation du décès

« 94. Selon le premier paragraphe, un prélèvement d’organes ou de tissus sur une personne décédée ne peut être effectué que si le décès a été dûment constaté « conformément à la loi ». Il appartient donc à chaque État de définir en droit la procédure spécifique de constatation du décès alors que les fonctions essentielles sont encore sous assistance. À cet égard, on peut constater que, dans la plupart des États, la loi définit le concept et les conditions de la mort cérébrale.

95. La mort est constatée par des médecins selon une procédure établie, et seule cette forme de constatation du décès permet que débute le processus de transplantation. L’équipe chargée du prélèvement doit s’assurer que les procédures requises ont été suivies avant que le prélèvement ne débute. Dans certains États, cette procédure de constatation du décès est différente de celle de la délivrance officielle de l’attestation de décès.

96. Le deuxième paragraphe de l’article 16 prévoit une protection importante pour les personnes décédées en garantissant l’impartialité du constat de décès : il est en effet exigé que l’équipe médicale qui constate le décès ne soit pas la même que celle qui participe à quelque étape que ce soit du processus de transplantation. Il est important que les intérêts et la constatation du décès d’une telle personne soient considérés comme relevant de la responsabilité d’une équipe médicale totalement distincte de celle qui effectue la transplantation. Faute de distinguer ces deux fonctions, on risquerait de compromettre la confiance du public dans le système de transplantation, ce qui aurait des effets négatifs sur le don d’organes.

97. Aux fins du présent Protocole, les nouveau-nés, y compris les nouveau-nés anencéphales, bénéficient de la même protection que celle accordée à toute personne, et les règles concernant la constatation du décès leur sont applicables. »

Article 17 – Consentement et autorisations

« 98. L’article 17 interdit le prélèvement d’organes ou de tissus si la personne proposant de prélever un organe ou des tissus n’a pas obtenu le consentement ou les autorisations requis par la loi. De ce fait, les États membres devront disposer d’un système explicitant dans quelles conditions le prélèvement d’organes ou de tissus est autorisé. D’autre part, en vertu de l’article 8, les Parties doivent prendre des mesures appropriées pour informer le public, notamment des régimes de consentement ou d’autorisation en matière de prélèvement sur des personnes décédées (…)

99. Si la personne a exprimé ses souhaits, qu’il s’agisse d’un consentement ou d’un refus au don d’organes ou de tissus après sa mort, ils devront être respectés. S’il existe un moyen officiel de recueil des volontés et qu’une personne y a consigné son consentement au don, celui-ci doit prévaloir : si un prélèvement est possible, il devra être effectué. De la même façon, il ne pourra être procédé au prélèvement si l’on sait que l’intéressé s’y était opposé. Néanmoins, la consultation d’un registre officiel des volontés n’est valable que pour les personnes qui y sont inscrites. En outre, il ne peut être considéré comme la seule façon de connaître la volonté du défunt que si la consignation des volontés sur le registre a un caractère obligatoire.

100. Un prélèvement d’organes ou de tissus pourra être effectué sur une personne décédée qui n’a pas, de son vivant, la capacité de donner son consentement si toutes les autorisations requises par la loi ont été obtenues. Une autorisation peut également être requise pour effectuer un prélèvement sur une personne décédée qui, de son vivant, était capable de donner son consentement mais qui n’a pas fait connaître ses souhaits concernant un éventuel prélèvement post mortem.

101. Sans préjuger du système à mettre en place, l’article prévoit ainsi qu’en cas de doute concernant la volonté du défunt, il doit être possible de se tourner vers la loi nationale pour connaître la procédure à suivre. Dans certains pays, la loi permet qu’à défaut de refus explicite ou implicite du don, le prélèvement puisse être effectué. Elle peut alors mettre en place des modalités d’expression de cette volonté, comme l’établissement d’un registre des refus par exemple. Dans d’autres pays, la loi ne préjuge pas des vœux des intéressés et prescrit des enquêtes auprès des parents et amis pour déterminer si le défunt était favorable ou opposé au don d’organes.

102. Quel que soit le système, si la volonté du défunt n’est pas suffisamment établie, l’équipe chargée du prélèvement des organes doit, préalablement au prélèvement, s’efforcer de recueillir le témoignage des proches de la personne décédée. À moins que la loi nationale ne le prévoie, cette autorisation ne devrait pas dépendre des préférences des proches eux-mêmes vis-à-vis du don d’organes ou de tissus : on demandera seulement aux proches quels étaient les souhaits explicites et implicites de la personne décédée. Ce sont les vues exprimées par le donneur potentiel qui doivent primer, s’agissant de décider si des prélèvements d’organes ou de tissus peuvent être effectués. Les Parties devraient bien préciser si le prélèvement d’organes ou de tissus peut avoir lieu quand bien même les souhaits du défunt ne sont pas connus et ne peuvent être établis auprès de ses parents et amis.

103. Lorsqu’une personne décède dans un pays différent de celui où elle réside, l’équipe de prélèvement doit prendre toute mesure raisonnable pour connaître la volonté du défunt en matière de prélèvement. En cas de doute, l’équipe de prélèvement devrait respecter la loi applicable pertinente dans le pays de résidence de la personne décédée ou, à défaut, la loi du pays dont cette personne a la nationalité. »

Article 18 – Respect du corps humain

« 104. Un cadavre n’est pas considéré juridiquement comme une personne ; il n’en demeure pas moins qu’il doit être traité avec respect. Cet article prévoit ainsi que dans le cadre du prélèvement, le corps humain doit être traité avec respect, et qu’à l’issue du prélèvement, le corps doit être restauré autant que possible dans son apparence antérieure. »

38. En mai 2002, le Secrétaire Général du Conseil de l’Europe adressa aux États membres du Conseil de l’Europe un questionnaire relatif à leurs lois et pratiques en matière de transplantation[1]. Le gouvernement letton répondit par l’affirmative à la question de savoir si le prélèvement sur un donneur vivant était soumis à autorisation et il fit référence aux articles 19 et 20 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine et à l’article 13 de la loi sur la protection des corps des défunts et l’utilisation d’organes et de tissus humains. Il observa que le consentement écrit était exigé. Dans sa réponse à la question « Quel est le type de relations devant exister entre le donneur vivant d’un organe et le receveur ? », il fit référence aux articles 19 et 20 de la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine. Dans sa réponse à la question « Quelles sont les sanctions prévues pour les contrevenants [auteurs de trafic d’organes], en particulier pour les intermédiaires et les professionnels de santé ? », le gouvernement letton fit référence à l’article 139 du code pénal (paragraphe 53 ci-dessous).

B. Documents de l’Union européenne

39. Le 21 juillet 1998, le groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies (GEE)[2] adopta l’avis no 11 sur les aspects éthiques des banques de tissus humains. Les parties pertinentes de l’avis sont libellées comme suit :

« 2.3 Information et consentement

Le prélèvement de tissus humains requiert, par principe, l’information et le consentement de la personne concernée. Il en va autrement en cas de prélèvement de tissus ordonné par un juge dans le cadre de procédures judiciaires, notamment criminelles.

Si le consentement répond à un principe éthique fondamental en Europe, en revanche, les modalités et les formes de ce consentement (oral ou écrit, par devant témoin ou non, exprès ou présumé...) relèvent des législations nationales fondées sur les traditions juridiques de chaque pays.

(...)

2.3.2 Les donneurs décédés

Le consentement du donneur en vue de prélèvement après sa mort peut prendre des formes différentes selon les systèmes nationaux (consentement dit « exprès » ou « présumé »). Toutefois, aucun prélèvement de tissus, en dehors de l’hypothèse des procédures judiciaires, ne doit pouvoir être effectué si l’intéressé s’y est opposé de son vivant. En outre, lorsque la personne n’a pas manifesté sa volonté et que le système applicable est celui du consentement dit « présumé », les médecins doivent veiller à permettre, dans la mesure du possible, à la famille ou aux proches, d’exprimer ce qu’aurait pu souhaiter le défunt et ils doivent en tenir compte. »

40. La Directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil du 31 mars 2004 relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains dispose :

Article 13 – Consentement

« 1. L’obtention de tissus ou de cellules humains n’est autorisée que si toutes les exigences obligatoires en matière de consentement ou d’autorisation en vigueur dans l’État membre concerné sont satisfaites.

2. Les États membres prennent, conformément à leur législation nationale, toutes les mesures nécessaires pour garantir que les donneurs, leurs proches ou les personnes qui fournissent l’autorisation pour le compte des donneurs reçoivent toutes les informations appropriées visées à l’annexe. »

ANNEXE – INFORMATIONS À FOURNIR LORS
D’UN DON DE TISSUS ET/OU DE CELLULES

« B. Donneurs décédés

1. Toutes les informations doivent être données et toutes les autorisations et consentements nécessaires doivent être obtenus conformément à la législation en vigueur dans les États membres.

2. La confirmation des résultats de l’évaluation réalisée sur le donneur doit être communiquée et clairement expliquée aux personnes pertinentes conformément à la législation des États membres. »

C. Documents de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)

41. Les principes directeurs de l’OMS sur la transplantation de cellules, de tissus et d’organes humains (adoptés lors de la soixante-troisième assemblée mondiale de la santé le 21 mai 2010, Résolution WHA63.22) prévoient dans leur partie pertinente :

Principe directeur 1

« Des cellules, tissus et organes peuvent être prélevés sur le corps de personnes décédées aux fins de transplantation uniquement :

a) si tous les consentements prévus par la loi ont été obtenus, et

b) s’il n’y a pas de raison de croire que la personne décédée s’opposait à ce prélèvement. »

Commentaire concernant le principe directeur 1

« Le consentement est le principe éthique de base pour toutes les interventions médicales. Il appartient aux autorités nationales de définir la procédure à suivre pour recueillir et enregistrer le consentement aux dons de cellules, de tissus et d’organes humains à la lumière des normes éthiques internationales, de la manière dont le don d’organes est organisé dans leur pays et du rôle pratique joué par le consentement en tant que protection contre les abus et les violations des règles de sécurité.

La question de savoir si le consentement au prélèvement d’organes et de tissus sur le corps de personnes décédées est « explicite » ou « présumé » dépend des traditions sociales, médicales et culturelles de chaque pays, et notamment de la manière dont les familles sont associées à la prise de décision concernant les soins de santé en général. Toutefois, dans les deux systèmes, le prélèvement est exclu s’il existe une indication valable que la personne décédée était opposée au prélèvement posthume de ses cellules, tissus ou organes.

Dans un régime de consentement explicite – appelé parfois aussi « opting in » –, des cellules, tissus ou organes peuvent être prélevés sur le corps d’une personne décédée si cette personne a expressément consenti à ce prélèvement de son vivant ; en fonction du droit interne, ce consentement peut être donné oralement ou enregistré sur une carte de donneur, un permis de conduire ou une carte d’identité, ou figurer dans le dossier médical ou dans un registre de donneurs. Si la personne décédée n’a ni consenti ni exprimé clairement son opposition au prélèvement d’organes, l’autorisation doit être obtenue auprès d’un représentant légal désigné, généralement un membre de la famille.

L’autre solution, celle du consentement présumé – aussi appelé « opting (or contracting) out », permet de prélever certains matériels sur le corps d’une personne décédée aux fins de transplantation et, dans certains pays, pour des études anatomiques ou des travaux de recherche, à moins que la personne ait exprimé de son vivant son opposition à cette pratique en déposant une déclaration en ce sens dans un bureau désigné, ou qu’une tierce partie bien informée indique que le défunt s’était résolument prononcé contre ce don. Compte tenu de l’importance du consentement sur le plan éthique, un tel système doit permettre d’informer pleinement le public de la politique en vigueur et donner aux intéressés toutes facilités pour retirer leur consentement.

Bien que le consentement exprès ne soit pas requis dans un système de consentement présumé (opting out) pour pouvoir prélever des cellules, des tissus ou des organes sur le corps d’une personne décédée qui n’a pas fait objection à cette pratique de son vivant, les services concernés peuvent hésiter à procéder à de tels prélèvements si les proches du défunt s’y opposent personnellement ; de même, dans les systèmes de consentement exprès (opting in), les services demandent généralement l’autorisation de la famille même si la personne décédée a donné son consentement de son vivant. Il est plus facile aux services de s’appuyer sur le consentement explicite ou présumé de la personne décédée sans demander l’autorisation de la famille lorsque la démarche du don de cellules, de tissus ou d’organes est bien comprise et bien acceptée par le public, sans aucune ambiguïté. Même lorsque l’autorisation des proches n’est pas demandée, les services chargés des prélèvements ont besoin de pouvoir examiner les antécédents médicaux et comportementaux de la personne décédée avec des membres de la famille qui la connaissaient bien, car des informations précises sur les donneurs aident à améliorer la sécurité des transplantations.

Pour les dons de tissus humains dans lesquels les contraintes de temps sont un peu moins fortes, il est recommandé de toujours demander l’autorisation de la famille. Un point important à régler est la façon dont l’apparence du corps du défunt sera restaurée après le prélèvement de tissus. »

D. Le droit interne

1. La loi sur la protection des corps des défunts et l’utilisation d’organes et de tissus humains

42. La loi sur la protection des corps des défunts et l’utilisation d’organes et de tissus humains (likums « Par miruša cilvēka ķermeņa aizsardzību un cilvēka audu un orgānu izmantošanu medicīnā »), en vigueur pendant la période pertinente (avec des amendements ayant été applicables du 1er novembre 1995 au 31 décembre 2001), prévoyait dans son article 2 que toute personne vivante dotée de la capacité juridique pouvait consentir ou s’opposer, par écrit, à l’utilisation de son corps après sa mort. Le souhait formulé était contraignant, à moins qu’il ne fût contraire au droit.

43. L’article 3 disposait que semblable opposition ou consentement à l’usage de son corps après la mort n’avait d’effets juridiques que s’il avait été signé par une personne dotée de la capacité juridique, enregistré dans son dossier médical et matérialisé par un timbre spécial dans son passeport. Le département de la santé du ministère de l’Aide sociale était compétent pour définir la procédure d’enregistrement de l’opposition ou du consentement d’une personne dans son dossier médical (contrairement à la situation qui résulte de l’entrée en vigueur de divers amendements législatifs le 1er janvier 2002, Petrova c. Lettonie, no 4605/05, § 35, 24 juin 2014).

44. Selon l’article 4, intitulé « Les droits des proches », les organes et tissus d’une personne décédée ne pouvaient pas être prélevés contre la volonté qu’elle avait exprimée de son vivant. En l’absence de souhaits exprès, le prélèvement ne pouvait être pratiqué que si aucun des proches (enfants, parents, frères et sœurs ou conjoint) ne s’y opposait. La transplantation pouvait être pratiquée après la mort biologique ou cérébrale du donneur potentiel (article 10).

45. Plus précisément, l’article 11 de la loi prévoyait que les organes et tissus d’un donneur décédé pouvaient être prélevés à des fins de transplantation si la personne ne s’était pas opposée de son vivant à un tel prélèvement ou si ses plus proches parents ne l’avaient pas refusé.

46. En vertu d’une disposition transitoire de la loi, un timbre apposé dans le passeport de la personne avant le 31 décembre 2001 et indiquant son opposition ou son consentement à l’utilisation de son corps après sa mort n’avait d’effets juridiques que jusqu’à la délivrance d’un nouveau passeport ou jusqu’au dépôt d’une demande au bureau de la citoyenneté et des migrations.

47. L’article 17 prévoyait que l’État était responsable de la protection du corps de la personne décédée et de l’utilisation de ses organes ou tissus à des fins médicales. Au moment des faits, cette fonction incombait au département de la santé du ministère de l’Aide sociale (à compter du 1er janvier 2002 au ministère de l’Aide sociale, à compter du 30 juin 2004 au ministère de la Santé). Aucun organe ni aucune autorité ne pouvait effectuer un prélèvement d’organes ou de tissus et les utiliser sans autorisation du département de la santé (à compter du 1er janvier 2002 du ministère de l’Aide sociale, à compter 30 juin 2004 du ministère de la Santé).

48. L’article 18 interdisait la sélection, le transport et l’utilisation d’organes et de tissus prélevés à des fins commerciales. Il prévoyait également que les organes et tissus ne pouvaient être prélevés sur une personne vivante ou décédée que dans le strict respect du consentement ou refus exprimé par la personne.

49. L’article 21 prévoyait initialement que le parquet devait contrôler le respect de la loi (paragraphe 1). Le département de la santé du ministère de l’Aide sociale et les autres autorités compétentes étaient responsables du contrôle de la légalité de l’utilisation d’organes et de tissus humains (paragraphe 2). En vertu d’un amendement entré en vigueur le 1er janvier 2002, le premier paragraphe fut abrogé ; le paragraphe restant prévoyait que le ministère de l’Aide sociale devait assumer la responsabilité du contrôle de la compatibilité de l’utilisation d’organes et de tissus humains avec la loi et tout autre instrument législatif. À compter du 30 juin 2004, cette fonction fut confiée au ministère de la Santé. Le 27 août 2012, cet article a été totalement abrogé.

50. Le 2 juin 2004, des amendements aux articles 4 et 11 de la loi furent adoptés par le Parlement ; ils entrèrent en vigueur le 30 juin 2004. Depuis cette date, l’article 4 prévoit que si le registre de la population ne contient aucune information quant à l’opposition ou au consentement de la personne décédée relativement à l’utilisation de son corps, de ses organes ou de ses tissus après sa mort, ses proches ont le droit d’informer l’institution médicale par écrit des souhaits exprimés de son vivant par la personne décédée. L’article 11 prévoit que les organes et tissus corporels d’une personne décédée peuvent être prélevés à des fins de transplantation si le registre de la population ne contient aucune information quant à l’opposition ou au consentement de la personne décédée relativement à l’utilisation de ses organes ou tissus corporels après sa mort et si ses proches n’ont pas, avant le début de la transplantation, informé l’institution médicale par écrit d’une éventuelle opposition, exprimée de son vivant, de la personne décédée à l’utilisation de ses organes ou tissus corporels après sa mort. Il est interdit de prélever à des fins de transplantation des organes ou tissus corporels sur le corps d’un enfant décédé, à moins que ses parents ou son tuteur légal n’y aient consenti par écrit.

2. Règlement du Conseil des ministres no 431 (1996)

51. Ce règlement (Noteikumi par miruša cilvēka audu un orgānu uzkrāšanas un izmantošanas kārtību medicīnā) prévoit que les organes ou tissus d’une personne peuvent être prélevés après sa mort biologique ou cérébrale si son passeport et son dossier médical contiennent un timbre indiquant qu’elle consent à un tel prélèvement (paragraphe 3 du règlement). En l’absence d’un tel timbre, les dispositions de la loi (paragraphes 42-50 ci-dessus) doivent être respectées.

3. Règles entourant l’action du MADEKKI

52. Les réglementations juridiques régissant l’Inspection du contrôle de qualité des soins médicaux et des capacités professionnelles (« MADEKKI ») en droit letton sont résumées dans l’arrêt L.H. c. Lettonie (no 52019/07, §§ 24-27, 29 avril 2014). Aux fins de la présente affaire, il suffit d’observer que ces réglementations – approuvées par le Conseil des ministres (Règlement no 391 (1999), en vigueur du 26 novembre 1999 au 30 juin 2004) – prévoyaient entre autres que l’une des fonctions principales du MADEKKI était de contrôler la qualité professionnelle des soins médicaux dans les institutions médicales.

4. Dispositions du droit pénal

53. L’article 139 du code pénal (Krimināllikums) prévoit que le prélèvement illégal d’organes ou de tissus sur un être humain vivant ou décédé en vue d’une utilisation médicale est constitutif d’une infraction s’il est pratiqué par un médecin.

54. Les dispositions pertinentes relatives aux droits que l’ancien code de procédure pénale (Latvijas Kriminālprocesa kodekss, en vigueur jusqu’au 1er octobre 2005) garantissait aux parties civiles dans les procès pénaux sont décrites dans les arrêts Liģeres c. Lettonie (no 17/02, §§ 39-41, 28 juin 2011) et Pundurs c. Lettonie ((déc.), no 43372/02, §§ 12-17, 20 septembre 2011).

55. Les dispositions pertinentes relatives aux droits que le code de procédure pénale (Kriminālprocesa likums), entré en vigueur le 1er octobre 2005 et qui s’appliquait donc au moment des faits, garantit aux parties civiles dans les procès pénaux, sont libellées comme suit :

Article 22 – Droit à réparation

« Quiconque a subi une souffrance psychologique, des blessures physiques ou une perte pécuniaire du fait d’une infraction pénale doit avoir accès à des procédures lui permettant de demander et obtenir une réparation pour le dommage matériel ou moral subi. »

Article 351 – Demande de réparation

« 1. Toute partie lésée doit avoir le droit de déposer une demande de réparation à tout moment de la procédure pénale jusqu’à l’ouverture d’une information judiciaire par un tribunal de première instance. La demande doit justifier le montant de la réparation demandée.

2. La demande peut être déposée par écrit ou formulée oralement. Dans ce dernier cas, elle doit être consignée dans le procès-verbal par la personne qui conduit la procédure.

3. Dans le cadre de la procédure préliminaire, le ministère public doit faire état de la présentation d’une demande et indiquer le montant de la réparation demandée, ainsi que son avis à cet égard, dans le document relatif à la clôture de la procédure préliminaire.

4. L’impossibilité d’établir la responsabilité pénale d’une personne ne met pas obstacle à la présentation d’une demande de réparation.

5. Toute partie lésée a le droit de retirer sa demande de réparation à tout moment du procès pénal jusqu’au moment où le tribunal se retire pour délibérer. Le refus d’accorder réparation à une victime ne peut constituer un motif ni d’annulation ou de modification des infractions reprochées ni d’acquittement. »

5. Le droit à obtenir réparation

56. L’article 92 de la Constitution (Satversme) prévoit entre autres que « toute personne victime d’une violation injustifiée de ses droits a droit à une indemnité appropriée ».

57. Les dispositions du droit interne en matière de réparation des dommages matériel et moral en vertu du code civil (Civillikums) (avant et après les amendements entrés en vigueur le 1er mars 2006) sont citées dans leur intégralité dans l’arrêt Zavoloka c. Lettonie (no 58447/00, §§ 17-19, 7 juillet 2009). Les articles 1635 et 1779 sont par ailleurs décrits dans l’arrêt Holodenko c. Lettonie (no 17215/07, § 45, 2 juillet 2013).

58. En vertu de l’article 92 du code de procédure administrative (Administratīvā procesa likums), en vigueur depuis le 1er février 2004, chacun a droit à obtenir une réparation appropriée pour tout dommage matériel et moral lui ayant été causé par un acte administratif ou par l’action d’une autorité publique. En vertu de l’article 93 du même code, la demande de réparation peut être déposée dans le cadre d’un recours introduit devant le tribunal administratif aux fins d’obtention d’une déclaration d’illégalité d’un acte administratif ou de l’action d’une autorité publique, ou adressée à l’autorité publique concernée à la suite d’un jugement rendu dans le cadre d’une telle procédure. En vertu de l’article 188, le recours devant le tribunal administratif concernant un acte administratif ou l’action d’une autorité publique doit être formé dans un délai de un mois ou de un an selon les circonstances. Concernant l’action d’une autorité publique, le délai de un an commence à courir à compter de la date où le requérant découvre qu’une telle action a eu lieu. Enfin, en vertu de l’article 191 § 1, le recours n’est pas recevable si plus de trois ans se sont écoulés depuis le moment où le requérant a découvert ou aurait dû avoir découvert qu’une telle action a eu lieu. Ce délai ne peut être prorogé (atjaunots).

59. Le montant de la réparation et la procédure pour la demander sont définis par la loi relative à la réparation des dommages causés par les autorités publiques (Valsts pārvaldes iestāžu nodarīto zaudējumu atlīdzināšanas likums), en vigueur depuis le 1er juillet 2005. Le chapitre III de la loi définit la procédure à suivre pour demander réparation. En vertu de l’article 15, la victime peut déposer une demande auprès de l’autorité publique responsable du dommage. En vertu de l’article 17, une telle demande doit être déposée dans un délai de un an à compter du moment où la victime a eu connaissance du dommage et, en tout état de cause, au maximum cinq ans après la date de l’acte administratif illégal ou de l’action illégale d’une autorité publique.

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

60. Invoquant l’article 8 de la Convention, la requérante se plaint tout d’abord que des tissus avaient été prélevés sur le corps de son mari sans son consentement ni celui de son mari. Elle plaide ensuite que, compte tenu de l’absence d’un tel consentement, la dignité, l’identité et l’intégrité de son mari ont été violées et son corps traité de manière irrespectueuse.

61. L’article 8 de la Convention est ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

62. Le Gouvernement soutient qu’il n’y a eu aucune violation de cet article.

A. Questions préliminaires

63. La Cour doit commencer par vérifier si elle est compétente ratione personae pour connaître des griefs formulés par la requérante. Cette question appelle un examen d’office de sa part (Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 27, CEDH 2009).

64. L’approche de la Cour concernant les victimes directes et indirectes a récemment été résumée comme suit (références omises) dans l’arrêt Centre de ressources juridiques au nom de Valentin Câmpeanu c. Roumanie ([GC], no 47848/08, §§ 96-100, CEDH 2014) :

« i. Victimes directes

96. Pour pouvoir introduire une requête en vertu de l’article 34, une personne doit pouvoir démontrer qu’elle a « subi directement les effets » de la mesure litigieuse (...) Cette condition est nécessaire pour que soit enclenché le mécanisme de protection prévu par la Convention, même si ce critère ne doit pas s’appliquer de façon rigide, mécanique et inflexible tout au long de la procédure (...)

De plus, suivant la pratique de la Cour et l’article 34 de la Convention, une requête ne peut être présentée que par des personnes vivantes ou en leur nom (...) Ainsi, dans un certain nombre d’affaires où la victime directe était décédée avant l’introduction de la requête, la Cour a refusé de reconnaître à cette victime directe, fût-elle représentée, un locus standi aux fins de l’article 34 de la Convention (...)

ii. Victimes indirectes

97. La Cour a opéré une distinction entre les affaires de la catégorie susmentionnée et celles où les héritiers d’un requérant étaient admis à maintenir une requête déjà introduite. En témoigne la jurisprudence Fairfield et autres (...) : dans cette affaire, une femme, Mme Fairfield, avait introduit après le décès de son père une requête dans laquelle elle alléguait la violation des droits à la liberté de pensée, de religion et d’expression (articles 9 et 10 de la Convention) de celui-ci ; alors que les juridictions internes avaient autorisé Mme Fairfield à poursuivre l’instance après le décès de son père, la Cour a refusé de lui reconnaître la qualité de victime et a distingué cette cause de l’affaire Dalban c. Roumanie (...), dans laquelle c’était le requérant lui-même qui avait introduit la requête, sa veuve n’ayant fait que poursuivre la procédure après son décès.

À cet égard, la Cour distingue selon que le décès de la victime directe est postérieur ou antérieur à l’introduction de la requête devant elle.

Dans des cas où le requérant était décédé après l’introduction de la requête, la Cour a admis qu’un proche parent ou un héritier pouvait en principe poursuivre la procédure dès lors qu’il avait un intérêt suffisant dans l’affaire (...)

98. La situation est en revanche variable lorsque la victime directe est décédée avant l’introduction de la requête devant la Cour. En pareil cas, la Cour, s’appuyant sur une interprétation autonome de la notion de « victime », s’est montrée disposée à reconnaître la qualité pour agir d’un proche soit parce que les griefs soulevaient une question d’intérêt général touchant au « respect des droits de l’homme » (article 37 § 1 in fine de la Convention) et que les requérants en tant qu’héritiers avaient un intérêt légitime à maintenir la requête, soit en raison d’un effet direct sur les propres droits du requérant (...) Il y a lieu de noter que ces dernières affaires avaient été portées devant la Cour à la suite ou à propos d’une procédure interne à laquelle la victime directe avait elle-même participé de son vivant.

La Cour a ainsi reconnu à un proche de la victime la qualité pour soumettre une requête lorsque la victime était décédée ou avait disparu dans des circonstances dont il était allégué qu’elles engageaient la responsabilité de l’État (...)

99. Dans Varnava et autres (...), les requérants avaient introduit leurs requêtes à la fois en leur nom et en celui de leurs parents portés disparus. La Cour jugea inutile de statuer sur le point de savoir s’il fallait ou non reconnaître la qualité de requérants aux disparus, dès lors qu’il n’était pas douteux que les proches de ceux-ci pouvaient présenter des griefs relatifs à leur disparition (...) Elle examina l’affaire en considérant que les proches des disparus étaient les requérants aux fins de l’article 34 de la Convention.

100. Dans des affaires où la violation alléguée de la Convention n’était pas étroitement liée à des disparitions ou décès soulevant des questions au regard de l’article 2, la Cour a suivi une approche bien plus restrictive, comme (...) dans l’affaire Sanles Sanles c. Espagne (...), qui portait sur l’interdiction du suicide assisté. Dans cette affaire, la Cour estima que les droits revendiqués par la requérante au regard des articles 2, 3, 5, 8, 9 et 14 de la Convention relevaient de la catégorie des droits non transférables et conclut que l’intéressée, qui était la belle-sœur et l’héritière légitime du défunt, ne pouvait se prétendre victime d’une violation au nom de feu son beau-frère. La Cour est parvenue à une conclusion identique au sujet de griefs formulés sur le terrain des articles 9 et 10 par la fille de la victime alléguée (...)

Dans d’autres affaires concernant des griefs tirés des articles 5, 6 et 8, la Cour a reconnu la qualité de victime à des proches qui avaient démontré l’existence d’un intérêt moral à voir la défunte victime déchargée de tout constat de culpabilité (...) ou à protéger leur propre réputation et celle de leur famille (...), ou qui avaient établi l’existence d’un intérêt matériel découlant d’un effet direct sur leurs droits patrimoniaux (...) L’existence d’un intérêt général nécessitant la poursuite de l’examen des griefs a également été prise en considération (...)

Quant à la participation du requérant à la procédure interne, la Cour ne l’a considérée que comme un critère pertinent parmi d’autres (...) »

65. Concernant la première partie du grief, la Cour considère que la requérante a démontré de manière appropriée qu’elle a été directement affectée par le prélèvement sans son consentement de tissus sur le corps de son défunt mari (voir aussi Petrova c. Lettonie, no 4605/05, § 56, 24 juin 2014). Elle estime par conséquent que l’intéressée peut être regardée comme une « victime directe » à cet égard (paragraphe 60 ci-dessus). Toutefois, dans la mesure où le grief de la requérante concerne l’absence de consentement de son défunt mari, la Cour estime qu’il est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et doit donc être rejeté conformément à l’article 35 § 4.

66. Pour ce qui est de la deuxième partie du grief, la Cour observe que la requérante admet qu’elle concerne les droits de son défunt mari. Par conséquent, elle doit également être rejetée pour incompatibilité ratione personae avec les dispositions de la Convention, conformément à l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

67. Enfin, la Cour constate que, à certains égards, la deuxième partie du grief se superpose au grief de la requérante tiré de l’article 3 de la Convention. Par conséquent, la Cour l’examinera ci-dessous dans la mesure où il concerne les droits de la requérante.

B. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

68. Le Gouvernement admet que le grief de la requérante relève du domaine de la « vie privée » au sens de l’article 8 de la Convention, mais il estime qu’il ne concerne pas la « vie familiale ».

69. Tout d’abord, invoquant la décision adoptée par la Cour dans l’affaire Grišankova et Grišankovs c. Lettonie ((déc.), no 36117/02, CEDH 2003‑II), le Gouvernement soutient que la requérante n’a pas épuisé les voies de recours internes. Il plaide que les tissus ont été prélevés sur le corps de son mari conformément à la procédure définie par les articles 4 et 11 de la loi, et que la requérante aurait dès lors dû introduire un recours devant la Cour constitutionnelle afin d’obtenir une décision sur la conformité de ces dispositions légales à la Constitution lettone.

70. Deuxièmement, le Gouvernement reproche à la requérante de ne pas avoir saisi le MADEKKI. Il indique qu’au moment des faits le MADEKKI avait pour fonction de contrôler la qualité professionnelle des soins de santé dans les institutions médicales et que c’était donc lui l’organisme compétent pour examiner les griefs de la requérante. Selon le Gouvernement, un examen par le MADEKKI de la conformité de la procédure de prélèvement des tissus au droit interne était une condition préalable nécessaire à l’introduction d’une procédure civile ou pénale contre le responsable du prélèvement. Le Gouvernement n’a pas fourni d’autres informations à cet égard.

71. Troisièmement, le Gouvernement, qui se réfère à plusieurs décisions rendues par les juridictions internes relativement à l’application de la disposition en cause dans la pratique, soutient que la requérante aurait pu s’appuyer sur l’article 1635 du code civil (entré en vigueur le 1er mars 2006) et demander réparation de ses dommages matériel et moral devant les juridictions civiles. Il se réfère notamment à l’affaire PAC-714 (introduite le 7 février 2005), dans laquelle la demanderesse réclamait une réparation pour dommage moral à l’hôpital où elle avait accouché et subi une ligature des trompes (contraception chirurgicale) sans son consentement (L.H. c. Lettonie, no 52019/07, § 8, 29 avril 2014). Le 1er décembre 2006, le tribunal accueillit la demande et accorda à la demanderesse, sur le fondement de l’article 2349 du code civil, une réparation d’un montant de 10 000 lats lettons (LVL) pour blessures physiques et souffrance psychologique à raison de sa stérilisation illégale. Ce jugement est devenu définitif le 10 février 2007. Le Gouvernement mentionne également l’une des affaires de la « tragédie de Talsi » (introduite le 15 septembre 2006) dans laquelle le tribunal saisi accorda une réparation, payable par l’État, d’un montant de 20 000 LVL en lien avec un incident survenu le 28 juin 1997 à Talsi et dans lequel la fille du demandeur et d’autres enfants avaient trouvé la mort. La décision définitive dans ladite affaire fut adoptée le 28 septembre 2011. Le Gouvernement n’a pas fourni de copies des décisions dans cette affaire.

72. La requérante ne partage pas l’analyse du Gouvernement. Elle considère que son grief relève du domaine de la vie privée et familiale au sens de l’article 8 de la Convention.

73. En réponse à l’argument énoncé par le Gouvernement concernant l’absence de saisine de la Cour constitutionnelle, la requérante souligne que la compétence de celle-ci est limitée à l’examen de la conformité des lois et autres instruments juridiques à la Constitution. Elle estime que le prélèvement de tissus était contraire aux articles 4 et 11 de la loi. Pour elle, ces dispositions n’étaient pas contraires à la Constitution. Quant à l’affaire Grišankova et Grišankovs, décision précitée, elle aurait concerné le libellé de la loi sur l’enseignement. La présente affaire concernerait quant à elle une action individuelle, le prélèvement de tissus sur le corps de son mari. La requérante ajoute que si certaines dispositions de la loi n’étaient pas compatibles avec la Constitution, les juridictions pénales, le procureur général ou le Conseil des ministres auraient pu et dû saisir eux-mêmes la Cour constitutionnelle.

74. Concernant la deuxième voie de recours citée par le Gouvernement, la requérante estime que le MADEKKI n’était pas l’organe compétent. Elle considère que le prélèvement de tissus ne relève pas des soins de santé. Elle renvoie à l’article 21 de la loi et explique qu’au moment des faits la supervision était de la responsabilité du parquet (paragraphe 49 ci-dessus).

75. Quant à la troisième voie de recours citée par le Gouvernement, la requérante explique que le centre médicolégal est une institution étatique placée sous la surveillance du ministère de la Santé. Depuis l’entrée en vigueur du code de procédure administrative le 1er février 2004, les actes administratifs et actions des autorités publiques seraient soumis au contrôle juridictionnel des tribunaux administratifs. Ainsi, un recours contre une action d’une autorité publique – en l’espèce le prélèvement de tissus sur le corps du mari de la requérante – n’aurait pu être introduit que devant les tribunaux administratifs. Concernant la réglementation du centre médicolégal, la requérante indique que les actions des employés de cet organe sont susceptibles de recours devant sa direction, dont les décisions ou actions seraient ensuite soumises au contrôle juridictionnel des tribunaux administratifs. Dans son cas à elle, toutefois, les recours au titre du code de procédure administrative auraient été prescrits au moment où la décision définitive fut adoptée dans le cadre de la procédure pénale. Dès lors, les actions de l’expert concerné n’auraient pas pu être soumises au contrôle juridictionnel des tribunaux civils.

76. La requérante souligne également que le montant de la réparation et la procédure permettant de réclamer réparation à une autorité publique pour les dommages causés par un acte administratif illégal ou une action illégale d’une autorité publique sont définis par la loi relative à la réparation des dommages causés par des autorités publiques, et non pas par le code civil. Une action introduite en vertu de l’ancienne loi aurait toutefois également été prescrite.

77. Enfin, la requérante plaide que même si elle avait, comme le suggère le Gouvernement, introduit une action civile sur le fondement de l’article 1635 du code civil contre les experts qui ont prélevé des tissus sur le corps de son mari, celle-ci aurait été vouée à l’échec puisque, dans le cadre du procès pénal, il aurait été établi qu’ils n’étaient pas coupables. Elle estime par ailleurs que les exemples de jurisprudence nationale mentionnés par le Gouvernement ne sont pas comparables. Dans la première affaire, la procédure civile aurait été introduite contre un hôpital privé, et non pas contre une institution publique. La deuxième affaire aurait concerné des événements remontant à 1997, c’est-à-dire à une époque bien antérieure à l’entrée en vigueur du code de procédure administrative et de la loi relative à la réparation des dommages causés par des autorités publiques. En outre, le code de procédure civile aurait, à l’époque, comporté un chapitre concernant les contentieux trouvant leur origine dans des relations administratives qui aurait été remplacé lors de l’entrée en vigueur du code de procédure administrative.

2. Appréciation de la Cour

a) Sur le non-épuisement des voies de recours internes

78. Concernant le recours constitutionnel présenté par le Gouvernement comme une voie de recours pertinente dans le cas de la requérante, la Cour considère qu’un tel recours ne constituait pas un moyen effectif de protéger les droits de la requérante au sens de l’article 8 de la Convention, et ce pour les raisons suivantes.

79. La Cour a déjà examiné l’étendue du contrôle qu’exerce la Cour constitutionnelle en Lettonie (Grišankova et Grišankovs, décision précitée, Liepājnieks c. Lettonie (déc.), no 37586/06, §§ 73-76, 2 novembre 2010, Savičs c. Lettonie, no 17892/03, §§ 113-117, 27 novembre 2012, Mihailovs c. Lettonie, no 35939/10, §§ 157-158, 22 janvier 2013, Nagla c. Lettonie, no 73469/10, § 48, 16 juillet 2013, et Latvijas jauno zemnieku apvienība c. Lettonie (déc.), no 14610/05, §§ 44-45, 17 décembre 2013).

80. La Cour a observé dans les affaires précitées que la Cour constitutionnelle examine, entre autres, les recours individuels contestant la constitutionnalité d’une disposition législative ou sa conformité à une disposition ayant une force légale supérieure. Un recours constitutionnel individuel ne peut être formé contre une disposition législative que si un individu estime que la disposition en question enfreint l’un des droits que lui reconnaît la Constitution. La procédure de recours constitutionnel individuel ne peut par conséquent constituer une voie de recours effective si la violation alléguée ne découle que de l’application ou de l’interprétation erronée d’une disposition législative dont le contenu n’est pas inconstitutionnel (Latvijas jauno zemnieku apvienība, décision précitée, §§ 44-45).

81. En l’espèce, la Cour estime que le grief de la requérante concernant le prélèvement de tissus ne concerne pas la compatibilité d’une disposition législative avec une autre disposition ayant une force légale supérieure. Le Gouvernement soutient que les tissus ont été prélevés conformément à la procédure définie par la loi. La requérante, pour sa part, ne conteste pas la constitutionnalité de cette procédure. Elle considère en revanche que le prélèvement de tissus effectué sur le corps de son mari s’analyse en une action individuelle contraire aux articles 4 et 11 de la loi. La Cour estime que le grief de la requérante concerne l’application et l’interprétation du droit interne, eu égard en particulier à l’absence de toute réglementation administrative pertinente. On ne peut pas dire que des questions de compatibilité se posaient. Dans ces conditions, la Cour considère que la requérante n’avait pas à exercer la voie de recours proposée.

82. La Cour comprend l’argument du Gouvernement relatif à l’examen par le MADEKKI (paragraphe 70 ci-dessus) concernant principalement les voies de recours au civil. La Cour l’examinera immédiatement ci-dessous. Les éléments du dossier ne permettent pas de dire avec certitude si le MADEKKI a effectué, en l’espèce, un quelconque contrôle dans le cadre du procès pénal (voir, a contrario, Petrova, précité, § 15). En tout état de cause, il ne semble pas qu’un examen par le MADEKKI fût nécessaire pour l’introduction d’une procédure pénale. Quoi qu’il en soit, peu importe que la requérante n’ait pas introduit un recours distinct devant le MADEKKI, puisqu’elle a formé des recours contre toutes les décisions adoptées par les autorités d’enquête et de poursuite, dont la tâche est normalement d’établir si une infraction a été commise (ibidem, § 71).

83. Concernant la possibilité d’introduire une action en réparation au civil, la Cour s’est exprimée ainsi dans l’arrêt Calvelli et Ciglio c. Italie ([GC], no 32967/96, § 51, CEDH 2002‑I) :

« (…) Dans le contexte spécifique des négligences médicales, pareille obligation peut être remplie aussi, par exemple, si le système juridique en cause offre aux intéressés un recours devant les juridictions civiles, seul ou conjointement avec un recours devant les juridictions pénales, aux fins d’établir la responsabilité des médecins en cause et, le cas échéant, d’obtenir l’application de toute sanction civile appropriée, tels le versement de dommages-intérêts et la publication de l’arrêt. Des mesures disciplinaires peuvent également être envisagées. »

84. La Cour a en outre précisé que ce principe s’applique si l’atteinte litigieuse au droit à la vie ou à l’intégrité physique n’est pas volontaire (Vo c. France [GC], no 53924/00, § 90, CEDH 2004‑VIII, et Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, § 92, CEDH 2004‑XII).

85. Cependant, la Cour a également jugé que, dans le cas où il existe plusieurs voies de recours internes possibles, la personne concernée peut choisir la voie de recours qui lui paraît la plus appropriée pour son grief principal (Jasinskis c. Lettonie, no 45744/08, § 50, 21 décembre 2010). La Cour observe qu’au départ la requérante ignorait que des tissus avaient été prélevés sur le corps de son mari ; elle ne l’apprit que lorsque la police de sécurité ouvrit une enquête pénale sur ces faits. Par la suite, elle exerça les recours disponibles devant les juridictions pénales ; elle fut déclarée partie lésée dans les procédures en question et elle les poursuivit en formant différents recours devant les autorités d’enquête et de poursuite. Ces recours auraient pu aboutir à la constatation que les tissus avaient été prélevés sur le corps de son mari en violation de la procédure interne et que ses droits en tant que proche avaient été violés. Ils auraient pu aboutir à l’octroi d’une indemnité étant donné que le système juridique letton reconnaît le droit pour les victimes de se porter partie civile dans un procès pénal et de demander réparation du dommage subi en conséquence d’une infraction (paragraphes 54-55 ci-dessus). Dans ces conditions, rien ne laisse penser que la requérante pouvait légitimement s’attendre à ce que le recours devant les juridictions pénales ne soit pas effectif dans son cas.

86. La Cour estime que la requérante n’avait pas l’obligation de présenter aux juridictions civiles une demande en réparation supplémentaire et séparée, qui aurait, là aussi, permis de constater que les tissus avaient été prélevés sur le corps de son mari en violation de la procédure interne et que les droits qu’elle possédait en tant que parente la plus proche avait été violés (Voir également les affaires Sergiyenko c. Ukraine, no 47690/07, §§ 40-43, 19 avril 2012, Arskaya c. Ukraine, no 45076/05, §§ 75-81, 5 décembre 2013, et Valeriy Fuklev c. Ukraine, no 6318/03, §§ 77-83, 16 janvier 2014, dans lesquelles les requérants n’ont pas eu à saisir les juridictions civiles d’une demande distincte pour la faute médicale qu’ils alléguaient). La Cour conclut donc que la requérante a épuisé les voies de recours internes en exerçant le recours qu’offrait la voie pénale.

87. Au vu de cette conclusion, la Cour estime ne pas devoir aborder l’argument du Gouvernement selon lequel un examen par le MADEKKI était nécessaire pour l’engagement d’une procédure au civil. Elle ne juge pas davantage nécessaire d’aborder les arguments de la requérante consistant à dire qu’une action au titre du code de procédure administrative et de la loi relative à la réparation des dommages causés par des autorités publiques était prescrite ou qu’une action au civil était vouée à l’échec.

b) Sur la recevabilité

88. La Cour observe que si le Gouvernement considère que le recours de la requérante ne concerne pas sa « vie familiale », il ne conteste pas qu’il concerne sa « vie privée », au sens de l’article 8 de la Convention.

89. La Cour rappelle que les notions de vie privée et de vie familiale sont des notions larges qui ne peuvent faire l’objet d’une définition exhaustive (Hadri-Vionnet c. Suisse, no 55525/00, § 51, 14 février 2008). Dans l’affaire Pannullo et Forte c. France (no 37794/97, § 36, CEDH 2001‑X), elle a jugé que le retard excessif mis par les autorités françaises à restituer le corps de leur enfant après une autopsie s’analysait en une atteinte à leur droit au respect de leur vie privée et familiale. Elle a également estimé que le refus des autorités d’enquête de restituer le corps de défunts à leurs proches était constitutif d’une ingérence dans la vie privée et familiale des requérants (Sabanchiyeva et autres c. Russie, no 38450/05, § 123, CEDH 2013, et Maskhadova et autres c. Russie, no 18071/05, § 212, 6 juin 2013). Cette question ne se pose toutefois pas en l’espèce, et aucun grief n’a été soulevé à cet effet. La Cour observe que les parties ne contestent pas que le droit qu’avait la requérante en vertu de la législation interne d’exprimer son consentement ou son opposition au prélèvement de tissus sur le corps de son mari relève du champ d’application de l’article 8 de la Convention dans la mesure où la vie privée de l’intéressée est concernée. La Cour ne voit aucune raison d’en juger autrement et elle considère donc que cet article est applicable dans les circonstances de l’espèce.

c) Conclusion

90. La Cour juge que le grief de la requérante, pour autant qu’il concerne le prélèvement sans son consentement de tissus sur le corps de son défunt mari, n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle estime par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité et doit donc être déclaré recevable.

C. Sur le fond

1. Thèses des parties

91. La requérante voit dans le prélèvement sans son consentement de tissus sur le corps de son mari une ingérence dans sa vie privée. Elle estime ne pas avoir pu exprimer ses souhaits relativement à pareil prélèvement. Elle n’aurait même pas été informée de cette intrusion. La requérante affirme également qu’à l’époque pertinente le passeport de son mari se trouvait à leur domicile de Sigulda, qu’il était ainsi inaccessible pour l’expert et que, par conséquent, ce dernier ne peut y avoir vérifié la présence ou non d’un timbre.

92. Tout d’abord, invoquant l’arrêt Hokkanen c. Finlande (23 septembre 1994, § 55, série A no 299‑A), la requérante soutient que l’ingérence n’était pas conforme au droit applicable et qu’elle ne poursuivait aucun but légitime. Se référant aux articles 4 et 11 de la loi, elle estime qu’en 2001 c’était le système du « consentement explicite » qui était en vigueur en Lettonie. Selon elle, les articles susmentionnés imposaient aux experts l’obligation, qu’ils auraient méconnue, de se renseigner pour savoir si les proches consentaient ou s’opposaient au prélèvement de tissus. L’objectif de la loi aurait été de protéger le corps des personnes décédées et il aurait été nécessaire de prendre en compte cette finalité lors de l’interprétation de ses dispositions. Le droit international irait du reste dans le même sens (paragraphe 37 ci-dessus). Enfin, les amendements apportés à la loi en 2004 démontreraient que c’était le système du « consentement explicite » qui était auparavant en vigueur. La discussion concernant les systèmes de consentement « explicite » ou « présumé » en Lettonie n’aurait débuté que vers l’époque de l’ouverture de l’enquête pénale en l’espèce. Ce serait à la suite de ces discussions que des amendements substantiels auraient été adoptés par le Parlement en 2004 (paragraphe 50 ci-dessus). Même après ces amendements, les dispositions pertinentes ne seraient toujours pas suffisamment claires, mais leur libellé aurait été modifié pour établir le système du « consentement présumé ».

93. La requérante plaide en outre que le droit interne n’était pas prévisible dans son application en ce qu’il ne prévoyait aucune possibilité pour les proches de s’opposer au prélèvement de tissus. Elle se réfère à diverses décisions des autorités nationales dont il ressortirait que les dispositions en vigueur n’étaient pas claires (paragraphe 28 ci-dessus) et que de nombreux procureurs avaient estimé que la loi avait effectivement été enfreinte (paragraphes 22, 24 et 27 ci-dessus). Elle estime que les experts ont exploité ce défaut de clarté à leurs propres fins et en ont retiré des bénéfices financiers. Elle conclut que les tissus n’ont pas été prélevés sur le corps de son mari conformément à la loi.

94. Ensuite, la requérante soutient que « sauver d’autres vies » ne peut constituer un but légitimant le prélèvement de tissus sans consentement. Enfin, elle estime que le Gouvernement n’a pas suffisamment prouvé que pareil prélèvement sans consentement fût nécessaire dans une société démocratique.

95. Le Gouvernement soutient, quant à lui, que l’ingérence dans la vie privée de la requérante étant résultée du prélèvement de tissus sur le corps de son mari sans le consentement de ce dernier et sans son consentement à elle est conforme aux critères définis à l’article 8 § 2.

96. Premièrement, le Gouvernement estime que les tissus ont été prélevés dans le respect de la législation nationale. Il souligne en particulier que si la Cour devait rejeter son exception de non-épuisement des voies de recours internes relativement à la possibilité de saisir la Cour constitutionnelle, il lui faudrait partir de l’idée que le droit national était compatible avec le principe défini à l’article 8 de la Convention.

97. Invoquant le paragraphe 3 du règlement no 431 (1996) et les articles 4 et 11 de la loi, il affirme que les tissus ont été prélevés conformément à la législation nationale. Il explique qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir un consentement préalable ni de demander la permission des proches de la personne décédée. Selon lui, il n’était pas illégal de prélever des tissus sans le consentement de la personne décédée ou de ses proches. En vertu des articles 4 et 11 de la loi, seule « l’absence de toute opposition exprimée par le défunt avant sa mort ou l’absence de toute opposition explicite de ses [proches] exprimée avant le prélèvement des tissus » aurait été requise. Ce serait ainsi le système du « consentement présumé » qui aurait été en vigueur en Lettonie au moment des faits. Ce système ne serait du reste pas innovant, et la Lettonie ne serait pas le seul pays à l’avoir appliqué ; il aurait également été institué dans onze autres États.

98. L’expert aurait vérifié, avant le prélèvement des tissus, l’absence sur le passeport de M. Elberts d’un timbre indiquant son opposition à l’utilisation de ses tissus corporels et il aurait attesté l’absence de pareil timbre de manière abrégée (« zīm. nav ») dans le registre. Dans la copie du registre fournie à la Cour, toutefois, aucune abréviation lisible de ce type n’est visible.

99. Dans le même temps, le Gouvernement reconnaît que le droit national n’imposait au médecin aucune obligation de rechercher les éventuels proches et de les informer d’un possible prélèvement de tissus. Il renvoie sur ce point à la décision rendue par le tribunal dans le cadre du procès pénal (paragraphe 28 ci-dessus).

100. Deuxièmement, le Gouvernement soutient que les tissus ont été prélevés afin de « sauver et/ou améliorer d’autres vies ». Il renvoie là aussi à la décision rendue par le tribunal dans le cadre du procès pénal (paragraphe 28 ci-dessus), dans laquelle il était indiqué que « les tissus avaient été prélevés au nom de l’humanité dans le but d’améliorer la santé d’autres personnes et de prolonger leur vie ». Il évoque également le Protocole additionnel à la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine, selon lequel le don et le prélèvement de tissus aux fins de transplantation « contribuent à sauver des vies humaines ou à en améliorer considérablement la qualité » et la « transplantation (...) de tissus fait partie intégrante des services de santé mis à la disposition de la population ». Il en conclut que le prélèvement litigieux poursuivait un but légitime, à savoir la protection de la santé et des droits d’autrui.

101. Troisièmement, le Gouvernement rappelle que les États disposent d’une marge d’appréciation dans la détermination des mesures à adopter en réponse au besoin social impérieux de protéger la santé et les droits d’autrui. Invoquant l’arrêt Dudgeon c. Royaume-Uni (22 octobre 1981, § 52, série A no 45), le Gouvernement estime que c’est d’abord aux autorités nationales qu’il appartient de juger de la réalité d’un tel besoin social impérieux et qu’elles disposent à cet égard d’une marge d’appréciation. Le prélèvement et la transplantation de tissus contribueraient à sauver des vies et à en améliorer considérablement la qualité. Ainsi, il existerait un « besoin social impérieux » de dons de tissus, car la transplantation de tissus ferait partie intégrante des services de santé mis à la disposition de l’ensemble de la population. Le prélèvement de tissus sur la dépouille de M. Elberts aurait visé à l’obtention de biomatériaux utilisables dans le cadre de transplantations se donnant pour objectif d’améliorer et/ou sauver des vies.

102. Le Gouvernement plaide qu’il incombait avant tout aux proches de la personne décédée de dûment informer le personnel médical en temps utile de l’opposition du défunt au prélèvement de ses tissus. Il ajoute que le droit national alors en vigueur n’empêchait ni M. Elberts ni la requérante, en tant que plus proche parent, de faire connaître leur position en la matière. Selon lui, l’un comme l’autre auraient pu s’opposer au don de tissus. Or ni l’un ni l’autre ne l’aurait fait avant que les tissus ne soient prélevés conformément à la loi. Un juste équilibre aurait ainsi été trouvé entre le droit de la requérante au respect de sa vie privée, au sens de la Convention, et un besoin social impérieux d’obtenir des bio-implants pour des transplantations de tissus. Le Gouvernement explique en effet, d’une part, que la législation nationale prévoyait le droit pour le plus proche parent de s’opposer, avant la procédure de prélèvement, au prélèvement de tissus sur le défunt, mais que la requérante n’a pas exercé ce droit, et, d’autre part, que les transplantations de tissus font désormais partie des services de santé mis à la disposition de l’ensemble de la population.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

103. L’article 8 a essentiellement pour objet de prévenir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics. Toute ingérence dans l’exercice de l’un des droits consacrés par le premier paragraphe de l’article 8 doit être justifiée au regard du second paragraphe, notamment être « prévue par la loi » et être « nécessaire » dans une société démocratique pour atteindre l’un des buts légitimes énumérés. La notion de nécessité suppose que l’ingérence réponde à un besoin social impérieux et, en particulier, qu’elle soit proportionnée au but légitime poursuivi par les autorités (A, B et C c. Irlande [GC], no 25579/05, §§ 218-241, CEDH 2010).

104. La Cour renvoie à l’interprétation de l’expression « prévue par la loi » donnée par elle dans sa jurisprudence (S. et Marper c. Royaume-Uni [GC], nos 30562/04 et 30566/04, §§ 95-96, CEDH 2008). Revêt une importance particulière en l’espèce l’exigence selon laquelle la mesure litigieuse doit avoir une base en droit interne, le droit interne devant quant à lui être compatible avec la prééminence du droit, ce qui signifie qu’il doit être énoncé avec une précision suffisante et fournir une protection adéquate contre l’arbitraire. Par conséquent, le droit interne doit indiquer avec suffisamment de clarté l’étendue de la marge d’appréciation accordée aux autorités compétentes et les modalités de son exercice (voir, plus récemment, L.H. c. Lettonie, précité, § 47).

b) Application en l’espèce

105. Se tournant vers les circonstances de l’espèce, la Cour observe que, à la suite d’un accident de voiture, le mari de la requérante subit de graves blessures, dont il mourut au cours de son transport à l’hôpital. Le jour suivant, son corps fut transféré au centre médicolégal, où une autopsie fut pratiquée. Par la suite, certains tissus furent prélevés sur son corps puis envoyés à une société en Allemagne pour être transformés en bio-implants avant d’être renvoyés en Lettonie à des fins de transplantation. La requérante, qui comptait au nombre de ses plus proches parents, ne fut pas informée dudit prélèvement et ne put exercer les droits que lui reconnaissait la législation nationale, notamment celui d’exprimer son consentement ou son opposition à un prélèvement de tissus sur le corps de son mari. Elle n’apprit le prélèvement de tissus qu’environ deux ans plus tard, lorsque la police de sécurité, qui enquêtait sur des prélèvements illégaux d’organes et de tissus censés avoir eu lieu entre 1994 et 2003, prit contact avec elle.

106. La Cour observe qu’il n’a pas été contesté que le centre médicolégal était un organisme public et que les actes ou omissions de son personnel médical, y compris les experts qui effectuaient les prélèvements d’organes et de tissus, pouvaient engager la responsabilité de l’État défendeur sur le terrain de la Convention (Glass c. Royaume-Uni, no 61827/00, § 71, CEDH 2004‑II).

107. La Cour considère que les circonstances susmentionnées sont suffisantes pour justifier la conclusion qu’il y a eu ingérence dans l’exercice par la requérante de son droit au respect de sa vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention.

108. Sur la question de savoir si cette ingérence était « prévue par la loi », la Cour observe que la loi lettone en vigueur à l’époque des faits prévoyait explicitement le droit pour la personne concernée, mais aussi pour ses plus proches parents, dont son conjoint, de faire connaître leur position quant au prélèvement de tissus après le décès de la personne (paragraphes 44-45 ci-dessus). Les parties ne sont pas en désaccord sur ce point. Leurs avis divergent en revanche sur les modalités d’exercice de ce droit. La requérante considère que les experts avaient l’obligation d’établir les souhaits des plus proches parents. Le Gouvernement soutient de son côté que l’absence d’opposition était suffisante pour permettre le prélèvement de tissus. Pour la Cour, ces questions concernent la qualité du droit interne, en particulier les questions de savoir si la législation nationale était formulée de manière suffisamment précise et si elle fournissait une protection adéquate contre l’arbitraire en l’absence de règlements administratifs pertinents.

109. Dans ce contexte, la Cour observe que le principal désaccord entre les parties concerne la question de savoir si la loi, qui accordait en principe aux proches le droit d’exprimer leur consentement ou leur opposition au prélèvement de tissus, était suffisamment claire et prévisible dans son application relativement à l’exercice de ce droit. La requérante soutient qu’il ne lui a pas été possible, en tant que plus proche parent, de s’opposer au prélèvement de tissus, mais le Gouvernement plaide qu’elle aurait parfaitement pu exercer le droit en question, dès lors que rien ne l’empêchait d’exprimer ses souhaits ou son opposition.

110. La Cour rappelle néanmoins que lorsque la législation nationale est en cause, elle n’a point pour tâche de la contrôler dans l’abstrait. Elle doit au contraire se limiter autant que possible à examiner les problèmes soulevés par le cas dont elle est saisie (Taxquet c. Belgique [GC], no 926/05, § 83 in fine, CEDH 2010). La Cour observe que les parties avancent des arguments détaillés sur la question de savoir si le système qui était en vigueur en Lettonie au moment des faits était celui du « consentement explicite » ou celui du « consentement présumé » (voir également les opinions divergentes des experts et enquêteurs exposées au paragraphe 18 ci-dessus). Il convient toutefois de garder à l’esprit que la question posée à la Cour en l’espèce n’est pas de savoir d’une manière générale si l’État défendeur devait prévoir tel ou tel système de consentement particulier. La question concerne plutôt le droit de la requérante à exprimer ses souhaits relativement à la possibilité d’un prélèvement de tissus sur le corps de son mari après la mort de celui-ci et le manquement allégué des autorités nationales à leur obligation d’assurer les conditions juridiques et pratiques nécessaires à l’exercice de ce droit.

111. Le point de départ de l’analyse de la Cour est le fait que la requérante ne fut pas informée du prélèvement de tissus sur le corps de son mari lorsque ce prélèvement fut effectué. Les autorités nationales ont établi qu’à l’époque les experts du centre médicolégal avaient l’habitude de pratiquer de tels prélèvements sans chercher à prendre contact avec les proches du défunt (paragraphe 16 ci-dessus). Il a également été prouvé que lorsque les experts avaient des contacts avec les proches, ils ne les informaient pas non plus de l’imminence d’un prélèvement de tissus et ils ne sollicitaient pas leur consentement (paragraphe 27 ci-dessus).

112. Quant à la question de savoir si le droit national était formulé de manière suffisamment précise, la Cour observe que les autorités nationales elles-mêmes avaient des opinions divergentes quant à l’étendue des obligations prévues par la législation nationale. D’un côté, alors que la police de sécurité considérait que le prélèvement de tissus n’était autorisé que sous réserve de l’obtention d’un consentement préalable exprès et que l’absence de pareil consentement rendait le prélèvement illégal, elle n’en accepta pas moins, sur la base des opinions avancées par les experts, que le droit national se prêtait à différentes interprétations et qu’il était de ce fait impossible de se forger une opinion (paragraphes 18 et 20 ci-dessus). Par ailleurs, différents procureurs de rang supérieur conclurent qu’en prélevant des tissus sans avoir obtenu un consentement exprès, les experts avaient enfreint la loi et engagé leur responsabilité pénale (paragraphes 22, 24 et 25 ci-dessus). En définitive, la police de sécurité accepta l’interprétation du droit national donnée par les procureurs et elle estima que les droits des proches, au nombre desquels figurait la requérante, avaient été violés. La possibilité d’intenter une action pénale était toutefois entre-temps prescrite (paragraphe 27 ci-dessus). Enfin, une juridiction nationale, tout en admettant que les proches avaient le droit d’exprimer leur consentement ou leur opposition au prélèvement de tissus, passa outre l’avis du ministère public et déclara que le droit national n’imposait aux experts ni l’obligation d’informer les parents les plus proches ni celle de leur expliquer leurs droits. Les experts ne pouvaient être reconnus coupables d’avoir enfreint une obligation qui n’était pas clairement établie par la loi (paragraphe 28 ci-dessus).

113. La Cour considère qu’un tel désaccord quant à l’étendue du droit applicable parmi les autorités responsables de sa mise en œuvre indique inévitablement un manque de clarté. Elle renvoie à cet égard à la décision de la juridiction nationale selon laquelle l’article 4 de la loi prévoyait certes le droit pour les parents les plus proches de refuser le prélèvement d’organes et/ou de tissus sur le corps de la personne décédée, mais n’imposait pas à l’expert une obligation d’expliquer ce droit aux proches (paragraphe 28 ci-dessus). Le Gouvernement s’appuie également sur cette décision pour soutenir que le prélèvement de tissus n’était pas illégal (paragraphes 97 et 99 ci-dessus). La Cour conclut dès lors que si le droit letton établissait le cadre juridique autorisant les parents les plus proches à exprimer leur consentement ou leur opposition au prélèvement de tissus, il ne définissait pas clairement l’étendue de l’obligation en découlant ou la marge d’appréciation accordée aux experts ou à d’autres autorités à cet égard. La Cour observe à ce propos que les documents européens et internationaux pertinents en la matière accordent une importance particulière au principe selon lequel les opinions des proches doivent être établies au moyen d’une enquête appropriée (paragraphes 34 et suivants ci-dessus). Plus précisément, comme l’observe le rapport explicatif du Protocole additionnel, quel que soit le système – « consentement explicite » ou « consentement présumé » – que l’État choisit de mettre en place, des procédures et registres appropriés doivent être établis. Si les souhaits du défunt ne sont pas établis de manière suffisamment claire, il convient de prendre contact avec les proches pour connaître leur position avant le prélèvement de tissus (voir, en particulier, le commentaire relatif à l’article 17 du Protocole additionnel, paragraphe 37 ci-dessus).

114. En outre, la Cour rappelle que le principe de légalité exige des États non seulement qu’ils respectent et appliquent, de manière prévisible et cohérente, les lois adoptées par eux, mais aussi, corrélativement à cette obligation, qu’ils garantissent les conditions juridiques et pratiques de leur mise en œuvre (voir, mutatis mutandis, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, §§ 147 et 184, CEDH 2004‑V). Après la mort du mari de la requérante le 19 mai 2001, un expert du centre médicolégal fut autorisé à prélever des tissus sur le corps de ce dernier dans les vingt-quatre heures de la vérification par lui que son passeport ne contenait pas le timbre spécial indiquant une opposition à pareil prélèvement (paragraphe 16 ci-dessus). Il apparaît toutefois qu’au moment des faits, il n’y avait pas de registre commun des timbres apposés dans les passeports pour indiquer l’opposition ou le consentement des titulaires à l’utilisation de leur corps après leur mort (contrairement à la situation – décrite dans l’arrêt Petrova, précité, § 35 – qui est résultée des amendements législatifs entrés en vigueur le 1er janvier 2002 et de l’insertion des informations en cause dans le registre de la population). En outre, il apparaît qu’il n’existait pas de procédure à suivre par les organismes nationaux et les experts pour demander et obtenir ces informations. Le Gouvernement explique qu’en l’espèce l’expert contrôla physiquement le passeport de M. Elberts avant de prélever des tissus sur sa dépouille, mais la requérante affirme que le passeport de son mari se trouvait à leur domicile. On ne sait donc pas avec certitude comment l’expert procéda pour vérifier les informations contenues dans le passeport en question. Indépendamment du point de savoir si l’expert vérifia ou non le passeport de M. Elberts, la manière dont le système de consentement établi par la loi lettone en vigueur au moment des faits a concrètement fonctionné en l’espèce reste incertaine. En effet, bien qu’elle eût un droit en sa qualité de parent le plus proche, la requérante ne fut pas informée de la manière dont ce droit pouvait être exercé, ni à quel moment il pouvait l’être, et elle ne reçut aucune explication.

115. Sur la question de savoir si le droit interne garantissait une protection adéquate contre l’arbitraire, la Cour observe que le prélèvement de tissus effectué en l’espèce n’était pas un acte isolé comme dans l’affaire Petrova, précitée, mais qu’il fut pratiqué dans le cadre d’un accord, approuvé par l’État, avec une société pharmaceutique étrangère. Des prélèvements furent effectués sur un grand nombre de personnes (paragraphes 13-14 et 26 ci-dessus). Dans de telles circonstances, il est particulièrement important que des mécanismes adéquats soient mis en place pour contrebalancer l’ample marge d’appréciation accordée aux experts pour procéder à des prélèvements de leur propre initiative (paragraphe 15 ci-dessus). Or en l’espèce cela n’avait pas été fait (voir également les documents internationaux cités aux paragraphes 34 et suivants ci-dessus). En réponse à l’argument du Gouvernement selon lequel rien n’empêchait la requérante d’exprimer ses souhaits relativement à la question du prélèvement de tissus, la Cour note l’absence de toute réglementation administrative ou juridique à cet égard. Par conséquent, la requérante n’était pas en mesure de savoir ce qu’elle devait faire pour exercer ce droit.

116. Au vu de ce qui précède, la Cour ne peut considérer que la loi lettone applicable était formulée de manière suffisamment précise ou qu’elle fournissait une protection adéquate contre l’arbitraire.

117. Par conséquent, la Cour conclut que l’atteinte portée au droit de la requérante au respect de sa vie privée n’était pas prévue par la loi, au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. Il y a donc eu violation de l’article 8. Au vu de cette conclusion, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner le grief sous l’angle des autres exigences de l’article 8 § 2 (voir, par exemple, Kopp c. Suisse, 25 mars 1998, § 76, Recueil des arrêts et décisions 1998‑II, et Heino c. Finlande, no 56720/09, § 49, 15 février 2011).

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

118. La requérante se plaint aussi, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, que le prélèvement de tissus sur le corps de son mari fut effectué à son insu et sans son consentement et qu’elle fut contrainte de l’inhumer avec les jambes ligotées.

119. L’article 3 de la Convention se lit ainsi :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

120. Le Gouvernement combat cette thèse.

A. Sur la recevabilité

121. Le Gouvernement soulève les mêmes exceptions préliminaires de non-épuisement des voies de recours internes que celles déjà exposées ci-dessus et dont la requérante plaidait le caractère infondé (paragraphes 69-77 ci-dessus). La Cour renvoie sur ce point à son appréciation (paragraphes 78-87 ci-dessus) et la juge également applicable sur le terrain de l’article 3.

122. Le Gouvernement se réfère en outre, d’une part, à une directive du ministère de la Justice qui fut en vigueur jusqu’au 1er janvier 2002 concernant la procédure médicolégale applicable aux examens post mortem et, d’autre part, à la loi sur l’ordre d’examen des demandes, plaintes et suggestions par les organismes étatiques et municipaux, qui fut en vigueur jusqu’au 1er janvier 2008. Il soutient que la requérante aurait pu former un recours relativement à l’état du corps de son défunt mari. La requérante récuse cette thèse. La Cour observe que le Gouvernement ne précise pas la manière dont la voie de recours proposée aurait pu remédier au grief de la requérante. Elle juge suffisant de renvoyer à son appréciation ci-dessus selon laquelle le recours de la requérante devant les juridictions pénales était approprié (paragraphe 85 ci-dessus). Elle ajoute que la requérante avait également allégué, dans le cadre du procès pénal concernant la plainte pour prélèvement illégal de tissus, que des actes de profanation avaient été commis sur le corps de son mari après le prélèvement de tissus. Des procureurs ont examiné ses doléances à deux niveaux et les ont rejetées, estimant qu’il n’y avait aucune preuve de profanation (paragraphes 31-32 ci-dessus). L’exception soulevée par le Gouvernement est par conséquent rejetée.

123. Le Gouvernement explique que la requérante a découvert l’état du corps de son défunt mari lors des obsèques de ce dernier, le 26 mai 2001, et qu’elle ne s’est donc pas conformée au délai de six mois. La Cour note toutefois qu’à ladite date la requérante ne savait pas encore que des tissus avaient été prélevés sur le corps de son mari. Elle ne l’apprit qu’environ deux ans plus tard, lorsque l’enquête pénale fut ouverte et qu’elle devint partie à cette enquête. La Cour juge donc que la décision définitive concernant le grief de la requérante a été adoptée le 23 octobre 2008, date à laquelle l’enquête pénale fut classée sans suite en vertu d’une décision définitive. Elle rejette l’exception préliminaire à cet égard.

124. Le Gouvernement, qui invoque à cet égard l’arrêt Çakıcı c. Turquie ([GC], no 23657/94, § 98, CEDH 1999‑IV), plaide que dès lors que ni elle ni son mari ne se sont jamais opposés au prélèvement de tissus, la requérante ne peut être considérée comme victime au sens de l’article 3 de la Convention. Il considère par ailleurs que la requérante ne peut alléguer devant la Cour être victime du fait d’avoir été contrainte d’enterrer son mari les jambes ligotées alors qu’elle ne s’en est jamais plainte au niveau national. La requérante explique qu’à la différence de l’affaire Çakıcı, qui concernait une disparition, elle a pour sa part vu la dépouille de son mari avant les obsèques de celui-ci et constaté que ses jambes étaient ligotées. Elle aurait été choquée mais aurait été, à l’époque, dans l’ignorance du prélèvement de tissus. La Cour estime qu’en l’espèce la question de savoir si la requérante peut être considérée comme victime est étroitement liée au fond de l’affaire et doit donc être jointe au fond.

125. Enfin, le Gouvernement soutient que le grief de la requérante est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. Il explique que seule la membrane externe des méninges (dure‑mère) fut prélevée. Tout en reconnaissant que le prélèvement de tissus sur une personne décédée sans le consentement ou à l’insu des parents les plus proches de cette personne peut, selon la sensibilité personnelle des individus concernés, créer une souffrance, il considère que cela ne soulève pas en soi une question au titre de l’article 3 de la Convention. Il soutient qu’en matière de prélèvement de tissus, l’article 3 ne prévoit pas une obligation générale d’obtenir le consentement des proches ou de les informer et considère que le grief de la requérante ne relève que de l’article 8 de la Convention. La Cour estime quant à elle qu’en l’espèce la question de savoir si le grief de la requérante relève du champ d’application de l’article 3 de la Convention est étroitement liée au fond de l’affaire et qu’il convient donc de la joindre au fond.

126. La Cour juge que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention, qu’il n’est pas irrecevable pour d’autres motifs, sous réserve des questions jointes au fond, et qu’il doit donc être déclaré recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

127. La requérante soutient que le seuil minimum de gravité requis pour l’application de l’article 3 de la Convention est atteint en l’espèce. Elle explique qu’elle a vu l’état du corps de son mari, qui avait les jambes ligotées, après le prélèvement de tissus. Elle était alors enceinte de son deuxième enfant. Elle considère que le prélèvement litigieux, qu’elle dit avoir été illégal et lui avoir causé un choc et des souffrances, s’analyse en un traitement inhumain et dégradant interdit par l’article 3 de la Convention. Elle produit à l’appui une déclaration écrite de sa sœur qui atteste qu’elle a vu le corps de M. Elberts à Sigulda après son retour du centre médicolégal et avant les obsèques, que les jambes du défunt étaient ligotées avec du ruban adhésif foncé, et qu’elle a pensé que cela était dû à l’accident de voiture.

128. La requérante ajoute que tout au long de l’enquête pénale elle s’est vu refuser la possibilité de savoir quels organes et tissus avaient été prélevés sur le corps de son mari. Elle aurait d’abord pensé que ses jambes avaient été ligotées à des fins de prévention de certaines conséquences de l’accident de voiture. Elle aurait ensuite supposé qu’elles avaient été ligotées après le prélèvement de tissus sur les jambes et en raison de l’insertion d’un autre matériau. Elle n’aurait finalement pu savoir quels tissus précis avaient été prélevés sur le corps de son mari que lorsqu’elle reçut les observations du Gouvernement dans la présente affaire.

129. Invoquant l’arrêt Labita c. Italie ([GC], no 26772/95, § 131, CEDH 2000‑IV), la requérante se plaint d’un manque d’effectivité de l’enquête menée, qui aurait duré cinq ans et aurait été abandonnée en raison de l’expiration du délai légal de prescription. Elle indique qu’elle a formé treize recours et que quatre décisions ont été annulées. Elle considère que l’enquête n’a pas été achevée dans un délai raisonnable et qu’elle a été indûment prolongée. Elle ajoute que ni elle-même ni les autres victimes n’ont reçu de réparation et que les experts n’ont pas été punis.

130. Le Gouvernement soutient que les tissus ont été prélevés conformément au droit national. Il estime que la requérante n’a pas réussi à démontrer que le prélèvement de tissus sur le corps de son mari s’analyse en un traitement inhumain ou dégradant. Invoquant l’arrêt Selçuk et Asker c. Turquie (24 avril 1998, § 78, Recueil 1998‑II), il plaide de même que la requérante n’a pas réussi à démontrer qu’elle ait subi « angoisse et souffrance » du fait du prélèvement de tissus sans son consentement. Se référant à l’arrêt Irlande c. Royaume-Uni (18 janvier 1978, § 167, série A no 25), il considère enfin qu’elle n’a pas démontré avoir ressenti des « sentiments de peur, d’angoisse et d’infériorité propres à [l’]humilier [et à l’]avilir ». Il rappelle que seule la dure-mère a été prélevée sur le corps. Même si par-delà la souffrance et la détresse inhérentes à la perte d’un membre proche de sa famille la requérante a ressenti un certain degré de souffrance émotionnelle et de détresse à raison du prélèvement de tissus effectué à son insu et sans son consentement, une telle souffrance n’atteint pas le minimum de gravité que suppose l’article 3 de la Convention. Le Gouvernement explique en outre que, pendant l’autopsie, le cœur fut également prélevé sur le corps du mari de la requérante et que la dure-mère devait dans tous les cas être prélevée et examinée, dès lors qu’il fallait vérifier si le crâne avait été endommagé. Cela pourrait également avoir causé une souffrance émotionnelle, mais n’atteint pas le seuil minimum de gravité requis pour l’application de l’article 3.

131. Le Gouvernement indique que la requérante n’était pas présente à l’hôpital de Sigulda et que c’étaient aux plus proches parents qu’il incombait d’informer le personnel médical et de prendre contact avec lui s’ils souhaitaient s’opposer au prélèvement de tissus. Il ajoute que le prélèvement fut pratiqué dans le cadre de l’accord passé avec la société, que les tissus furent envoyés à la société pour être transformés en bio-implants puis renvoyés en Lettonie à des fins de transplantation et que le but sous-jacent était d’améliorer et de sauver d’autres vies. Il soutient que les tissus devaient être prélevés « très rapidement » et que le retard le plus insignifiant pouvait entraîner la perte d’un temps précieux au cours duquel le prélèvement de tissus était possible. Expliquant que, de son vivant, le mari de la requérante ne s’était jamais opposé au prélèvement de tissus ni n’avait exprimé une telle opinion à la requérante, il estime que celle-ci ne peut avancer que le prélèvement ait été pratiqué contre les souhaits de son mari ou les siens propres.

132. Le Gouvernement estime en outre que les allégations de la requérante selon lesquelles les jambes de son défunt mari étaient ligotées ne sont confirmées par aucune preuve crédible et qu’elles doivent donc être réputées fausses. Il explique que, selon les informations fournies par le centre médicolégal, le corps fut arrangé, nettoyé et lavé après l’autopsie et il ajoute qu’aucune plainte ne fut enregistrée sur l’état dans lequel il se trouvait. Selon le rapport d’autopsie, les jambes du défunt n’avaient pas été endommagées dans l’accident de voiture. Les allégations de la requérante concernant l’état du corps de son défunt mari ne seraient confirmées par aucune preuve, et le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ne serait donc pas rempli en l’espèce.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

133. Dans l’affaire Svinarenko et Slyadnev c. Russie ([GC], nos 32541/08 et 43441/08, §§ 113-118, CEDH 2014), la Cour a récemment résumé comme suit les principes applicables :

« 113. La Cour l’a dit à maintes reprises, l’article 3 de la Convention consacre l’une des valeurs les plus fondamentales des sociétés démocratiques. Il prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les circonstances et le comportement de la victime (voir, parmi de nombreux précédents, Labita c. Italie [GC], no 26772/95, § 119, CEDH 2000‑IV).

114. Pour tomber sous le coup de l’article 3, un traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses conséquences physiques ou psychologiques, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, par exemple, Jalloh c. Allemagne [GC], no 54810/00, § 67, CEDH 2006‑IX). La question de savoir si le traitement avait pour but d’humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte, mais l’absence d’un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (voir, entre autres précédents, V. c. Royaume-Uni [GC], no 24888/94, § 71, CEDH 1999‑IX).

115. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3 s’il humilie ou avilit un individu, s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité, voire la diminue, ou s’il suscite chez lui des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à briser sa résistance morale et physique (M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC], no 30696/09, § 220, CEDH 2011, et El-Masri c. l’ex-République yougoslave de Macédoine [GC], no 39630/09, § 202, CEDH 2012). Le caractère public du traitement peut être une circonstance pertinente ou aggravante pour apprécier s’il est « dégradant » au sens de l’article 3 (voir, entre autres, Tyrer c. Royaume‑Uni, 25 avril 1978, § 32, série A no 26, Erdoğan Yağız c. Turquie, no 27473/02, § 37, 6 mars 2007, et Kummer c. République tchèque, no 32133/11, § 64, 25 juillet 2013).

116. Pour qu’un traitement soit « dégradant », la souffrance ou l’humiliation qu’il entraîne doivent en tout état de cause aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement légitime (V. c. Royaume-Uni, précité, § 71). (...)

118. Le respect de la dignité humaine est au cœur même de la Convention (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 65, CEDH 2002‑III). L’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives. Toute interprétation des droits et libertés qui s’y trouvent garantis doit se concilier avec l’esprit général de la Convention, qui vise à sauvegarder et promouvoir les idéaux et valeurs d’une société démocratique (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87, série A no 161). »

134. La Cour ajoute que lorsqu’elle apprécie le bien-fondé d’un grief tiré de l’article 3 de la Convention, elle adopte le principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Une telle preuve peut toutefois résulter d’un faisceau d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (Farbtuhs c. Lettonie, no 4672/02, § 54, 2 décembre 2004, et Bazjaks c. Lettonie, no 71572/01, § 74, 19 octobre 2010).

b) Application en l’espèce

135. Se tournant vers les circonstances de la présente espèce, la Cour observe que la requérante allègue avoir subi une souffrance émotionnelle à raison de ce que des tissus auraient été prélevés sur le corps de son mari à son insu et sans son consentement, en violation du droit interne, et qu’elle aurait été contrainte d’inhumer son mari les jambes ligotées. Elle note par ailleurs que le Gouvernement plaide que la première de ces allégations n’atteint pas le minimum de gravité que suppose l’article 3 de la Convention et que la deuxième n’a pas été prouvée « au-delà de tout doute raisonnable ».

136. La Cour observe que la requérante a eu connaissance du prélèvement de tissus litigieux deux ans après les obsèques de son mari et qu’une autre période de cinq ans s’est écoulée avant que des conclusions définitives ne soient émises quant au point de savoir si des actes délictueux avaient ou non été commis dans ce cadre. Sans être contredite par le Gouvernement, la requérante allègue que pendant toute cette période on ne lui a pas indiqué quels organes ou tissus avaient été prélevés sur le corps de son défunt mari. Elle n’a eu la réponse à cette question qu’après avoir reçu les observations déposées par le Gouvernement dans la présente cause. Elle a par ailleurs avancé diverses hypothèses quant aux raisons pour lesquelles les jambes de son mari avaient été ligotées, et ses déclarations à cet égard se trouvent corroborées par un témoignage écrit d’un membre de sa famille. Au vu de ces faits, on peut admettre qu’en tant que plus proche parente de son mari, la requérante a pu éprouver une souffrance émotionnelle.

137. La tâche de la Cour consiste à établir, au vu des circonstances particulières de l’affaire, si la souffrance en question a pu atteindre un degré propre à le faire entrer dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention. La Cour n’a jamais remis en cause dans sa jurisprudence l’impact psychologique profond d’une violation grave des droits de l’homme sur les membres de la famille de la victime. Néanmoins, pour qu’elle puisse conclure à une violation séparée de l’article 3 de la Convention à l’égard des proches de la victime, il faut que soient présents des facteurs particuliers qui donnent à leur souffrance une dimension et un caractère distincts du désarroi affectif découlant inévitablement de la violation susmentionnée (Salakhov et Islyamova c. Ukraine, no 28005/08, § 199, 14 mars 2013). Parmi ces facteurs figurent la proximité de la parenté et la manière dont les autorités ont réagi aux demandes des proches (Çakıcı, précité, § 98, où ce principe fut appliqué dans le cadre d’une disparition forcée ; Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, § 61, CEDH 2006‑XI, où la Cour appliqua ce principe dans le cas d’une mère qui invoquait la souffrance subie par elle à raison de la détention dans un autre pays de sa fille âgée de cinq ans ; et M.P. et autres c. Bulgarie, no 22457/08, §§ 122-124, 15 novembre 2011, où le grief pertinent concernait la souffrance des proches d’un enfant victime d’abus). Dans les affaires précitées, la Cour a attaché de l’importance au lien parent-enfant. Elle a ainsi estimé que l’essence d’une violation résidait dans les réactions et attitudes des autorités à l’égard de la situation qui avait été portée à leur attention (Salakhov et Islyamova, précité, § 200). De telles considérations peuvent également s’appliquer dans la présente affaire, qui concerne la requérante et son défunt mari.

138. La présente affaire doit être distinguée d’affaires portées devant la Cour par des membres de familles de victimes de « disparitions » ou d’exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité (voir, par exemple, Loulouïev et autres c. Russie, no 69480/01, §§ 116-118, CEDH 2006‑XIII) et d’affaires dans lesquelles des personnes avaient été tuées dans le cadre d’actions menées par les autorités en violation de l’article 2 de la Convention (voir, par exemple, Esmukhambetov et autres c. Russie, no 23445/03, §§ 138-151 et 190, 29 mars 2011). Par ailleurs, nul n’allègue en l’espèce que le corps ait été mutilé (Akkum et autres c. Turquie, no 21894/93, §§ 258-259, CEDH 2005‑II, et Akpınar et Altun c. Turquie, no 56760/00, §§ 84-87, 27 février 2007) ou démembré et décapité (Khadjialiyev et autres c. Russie, no 3013/04, §§ 120‑122, 6 novembre 2008).

139. Si l’on ne peut pas dire que la requérante se soit trouvée dans une incertitude prolongée quant au sort de son mari, la Cour constate qu’elle a été pendant une longue période dans l’incertitude et en proie à la détresse relativement à l’ampleur, au but et aux modalités des prélèvements d’organes et de tissus pratiqués sur le corps de celui-ci. Dans ce contexte, la thèse du Gouvernement selon laquelle seule la dure-mère fut prélevée n’est pas pertinente. En tout état de cause, la requérante n’en a été informée que dans le cadre de la procédure devant la Cour. À l’époque des événements, elle n’avait aucune raison de mettre en cause les actes accomplis par le centre médicolégal, puisque le corps de son mari y avait été transporté aux fins d’établissement de la cause du décès. Par la suite, les autorités ouvrirent une enquête pénale pour déterminer si les prélèvements de tissus effectués par le centre médicolégal l’avaient été dans le respect de la loi, et il apparaît que des tissus avaient été prélevés non seulement sur le corps du mari de la requérante, mais aussi sur des centaines d’autres personnes (près de 500 personnes en seulement trois ans, à titre d’exemple) sur une période de près de neuf ans (paragraphes 13-33 ci-dessus). Il fut également établi que les prélèvements avaient été pratiqués en vertu d’un accord, approuvé par l’État, avec une société pharmaceutique étrangère. Cet accord avait été mis en œuvre par des fonctionnaires de l’État, experts en médecine légale, qui, en plus de leur tâche ordinaire consistant à procéder à des examens médicolégaux, avaient pratiqué des prélèvements de leur propre initiative (paragraphe 15 ci-dessus). Il s’agit là de facteurs particuliers qui ont causé une souffrance supplémentaire à la requérante.

140. La Cour considère que la souffrance de la requérante a revêtu une dimension et un caractère qui la placent au-delà de la souffrance inhérente au chagrin que provoque le décès d’un proche parent. La Cour a déjà constaté une violation de l’article 8 de la Convention au motif que si la requérante, en tant que parente la plus proche, avait le droit d’exprimer son consentement ou son opposition à un prélèvement de tissus, l’obligation ou la marge d’appréciation des autorités nationales à cet égard n’étaient pas clairement établies par le droit letton qui ne comportait aucun texte législatif, réglementaire ou administratif en la matière (paragraphes 109-116 ci-dessus). S’il existe entre la présente affaire et l’affaire Petrova, précitée, des différences considérables quant à l’échelle et à l’ampleur des prélèvements d’organes et de tissus effectués, la Cour a néanmoins observé dans les deux cas certaines défaillances structurelles dans le domaine de la transplantation d’organes et de tissus en Lettonie. Ces facteurs doivent également être pris en considération, dans le contexte letton, relativement à l’article 3 de la Convention. De plus, non seulement les droits qu’avait la requérante en tant que parente la plus proche n’ont pas été respectés, mais l’intéressée s’est trouvée confrontée à des opinions divergentes de la part des autorités nationales quant aux obligations prévues par le droit national. Par ailleurs, si la police de sécurité et différents procureurs étaient en désaccord sur la question de savoir si le droit national était suffisamment clair pour permettre l’ouverture de poursuites contre telle ou telle personne, leur opinion unanime était que le prélèvement sans consentement était illégal (paragraphes 18, 20, 22, 24 et 25 ci-dessus). Le temps, toutefois, que leur désaccord se règle, l’action pénale était devenue prescrite (paragraphe 27 ci-dessus). En tout état de cause, dès lors que la loi n’était pas suffisamment claire, la juridiction nationale n’aurait pas autorisé l’exercice d’une telle action (paragraphe 28 ci-dessus). Ces faits démontrent la manière dont les autorités nationales géraient les plaintes portées à leur attention et leur indifférence à l’égard des victimes des actes litigieux et de leurs proches parents, catégorie dont faisait partie la requérante. Ces circonstances ont contribué au désarroi de cette dernière face à une violation de ses droits personnels touchant un aspect très sensible de sa vie privée, à savoir le consentement ou l’opposition au prélèvement de tissus, couplée à l’impossibilité d’obtenir réparation.

141. La souffrance de la requérante a également été aggravée par le fait qu’elle ne savait pas exactement ce qu’avait fait le centre médicolégal. Elle n’avait pas été informée du prélèvement de tissus et, en découvrant les jambes ligotées de son défunt mari le jour des obsèques, elle pensa qu’il s’agissait d’une conséquence de l’accident de voiture. Deux ans plus tard, elle fut informée qu’une enquête pénale était en cours et que le corps de son défunt mari avait fait l’objet d’actes potentiellement illégaux. Il est clair qu’à partir de ce moment-là la requérante a subi une angoisse particulière en pensant que si son mari avait été inhumé les jambes ligotées, c’était peut‑être en raison des actes qui avaient été pratiqués par le centre médicolégal sur son corps. La thèse du Gouvernement selon lequel cela n’a pas été prouvé « au-delà de tout doute raisonnable » est déplacée puisque le grief de la requérante concerne une angoisse précisément liée à l’incertitude relative aux actes pratiqués par le centre médicolégal sur le corps de son défunt mari.

142. Dans le domaine particulier de la transplantation d’organes et de tissus, il est reconnu que le corps humain doit être traité avec respect, même après le décès. De fait, des traités internationaux, dont la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine et son Protocole additionnel, ont été adoptés, comme l’indique le rapport explicatif dudit Protocole, pour protéger les droits des donneurs d’organes et de tissus, qu’ils soient vivants ou décédés. L’objet de ces traités est de protéger la dignité, l’identité et l’intégrité de « toute personne » déjà née, qu’elle soit vivante ou décédée (paragraphe 37 ci-dessus). Comme cela a été dit au paragraphe 133 ci-dessus, le respect de la dignité humaine est au cœur même de la Convention. Un traitement peut être qualifié de « dégradant » au sens de l’article 3, entre autres, s’il humilie la personne à laquelle il est administré et s’il témoigne d’un manque de respect pour sa dignité. La souffrance de la requérante a été causée non seulement par la violation des droits qu’elle possédait en tant que parente la plus proche et par l’incertitude quant à ce qu’avait fait le centre médicolégal, mais également par la nature intrusive des actes pratiqués sur le corps de son défunt mari et par l’angoisse qu’en tant que parente la plus proche elle a éprouvée à cet égard.

143. Dans ces circonstances particulières, les exceptions du Gouvernement consistant à dire que le grief de la requérante ne relève pas du champ d’application de l’article 3 de la Convention et que l’intéressée ne peut pas être considérée comme victime à cet égard doivent être rejetées. Il est absolument clair pour la Cour que la souffrance causée à la requérante en l’espèce s’analyse en un traitement dégradant, contraire à l’article 3 de la Convention. Elle constate donc une violation de cette disposition.

III. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES DE LA CONVENTION

144. Enfin, la requérante invoque l’article 13 de la Convention relativement à sa thèse selon laquelle il existait plusieurs interprétations possibles du droit interne.

145. Le Gouvernement combat cette thèse.

146. La Cour observe que ce grief est lié à celui tiré de l’article 8 de la Convention examiné ci-dessus et qu’il doit par conséquent être également déclaré recevable.

147. La Cour relève toutefois qu’elle a déjà examiné le défaut de clarté du droit national sous l’angle de l’article 8 de la Convention. Par conséquent, elle estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner ce grief séparément sous l’angle de l’article 13 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

148. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

149. La requérante réclame 40 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

150. Le Gouvernement plaide que la requérante n’a pas suffisamment démontré avoir subi un dommage moral de l’ampleur décrite par elle et estime le montant demandé excessif et exorbitant. Invoquant l’arrêt Shannon c. Lettonie (no 32214/03, § 84, 24 novembre 2009), il considère que le constat d’une violation représenterait en soi une satisfaction équitable suffisante.

151. Eu égard à la nature des violations établies en l’espèce, la Cour, statuant en équité, alloue à la requérante 16 000 EUR pour préjudice moral.

B. Frais et dépens

152. La requérante demande également 500 EUR pour les frais et dépens engagés par elle devant la Cour.

153. Le Gouvernement ne conteste pas la demande de la requérante, qu’il estime suffisamment étayée et raisonnable.

154. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, compte tenu des documents dont elle dispose et des critères susmentionnés, la Cour juge raisonnable d’allouer la somme de 500 EUR tous frais confondus.

C. Intérêts moratoires

155. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond les exceptions du Gouvernement selon lesquelles le grief de la requérante tiré de l’article 3 est incompatible ratione materiae et ratione personae avec les dispositions de la Convention et les rejette ;

2. Déclare recevables le grief de la requérante tiré de l’article 8 pour autant qu’il concerne le prélèvement sans son consentement de tissus sur le corps de son défunt mari et le grief tiré de l’article 13, et irrecevable pour le surplus le grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

3. Déclare recevable le grief tiré de l’article 3 ;

4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;

6. Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 13 de la Convention ;

7. Dit

a) que l’État défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i. 16 000 EUR (seize mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral,

ii. 500 EUR (cinq cents euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 13 janvier 2015, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıPäivi Hirvelä
Greffière adjointePrésidente

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Wojtyczek.

P.H.
F.A.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE WOJTYCZEK

(Traduction)

1. Dans la présente affaire, j’ai voté avec la majorité ; néanmoins, j’ai quelque doute sur une partie du raisonnement.

2. J’ai déjà exprimé mon avis concernant les droits en matière de transplantation dans mon opinion concordante jointe à l’arrêt Petrova c. Lettonie (no 4605/05, 24 juin 2014). J’aimerais ajouter ici quelques explications.

Selon moi, le droit de la requérante de s’opposer à la transplantation d’organes de son défunt mari n’est pas un droit autonome qui pourrait être exercé ad libitum. Ce droit découle du droit du défunt de décider librement de la transplantation de ses organes. Le proche survivant agit en tant que dépositaire des droits du défunt. Par conséquent, la requérante ne peut consentir ou s’opposer à la transplantation des organes de son défunt mari que si elle exprime le souhait du défunt. En juger autrement reviendrait à transformer le corps d’une personne décédée en un objet de décisions arbitraires de ses proches.

3. Le fait que la requérante exerce un droit protégeant le souhait de son défunt mari ne signifie pas, au regard de la Convention, que ce droit a un statut identique à celui de son mari. Si étroit que soit le lien entre les deux droits en question, la protection qui leur est accordée au titre de la Convention peut être différente. Comme je l’ai expliqué dans mon opinion concordante jointe à l’arrêt Petrova, le droit pour un individu d’exprimer le souhait d’un proche décédé quant à la question de la transplantation relève du domaine de la vie familiale au sens de l’article 8 de la Convention. Le droit en question assure une protection multidimensionnelle, car il protège non seulement le souhait de la personne décédée, mais aussi celui de ses proches et les relations au sein de la famille. La question de savoir si le droit pour un individu de décider librement de la transplantation de ses organes relève du champ d’application de l’article 8 de la Convention est une question à part.

4. La jurisprudence de la Cour a constamment étendu le domaine de la vie privée au sens de l’article 8. Des arrêts récents semblent suggérer que la protection de la vie privée doit être identifiée à une liberté générale de décision dans les questions personnelles ou privées. La notion de « vie privée » est ainsi graduellement transformée en une liberté d’action générale, notion connue sous le nom de allgemeine Handlungsfreiheit dans la doctrine juridique allemande. Selon moi, une interprétation aussi extensive de l’article 8 dans la jurisprudence de la Cour n’a pas une base légale suffisante dans la Convention. La disposition en question est parfois détournée pour combler des lacunes dans la protection assurée par la Convention.

5. En l’espèce, la Cour a déclaré irrecevable pour « incompatibilité ratione personae » le grief énoncé par la requérante au nom de son défunt mari.

J’accepte l’opinion selon laquelle l’article 8 de la Convention n’est pas applicable aux droits du défunt mari, en jeu dans la présente affaire. Une telle interprétation restrictive correspond plus aux règles applicables à l’interprétation des traités. Néanmoins, d’après moi, la requête aurait dû être considérée comme irrecevable ratione materiae plutôt que ratione personae. Je ne vois pas d’arguments assez forts pour considérer que les décisions relatives à la transplantation d’organes sont couvertes par les notions de vie privée ou de vie familiale telles que comprises sur le fondement des règles d’interprétation des traités établies en droit international. En bref, les droits en matière de transplantation ne sont que partiellement protégés par la Convention.

* * *

[1]. www.coe.int/T/DG3/Health/Source/CDBI_INF(2003)11_fr.pdf.

[2]. Institué en décembre 1997, le GEE est un comité consultatif auprès de la Commission européenne. Son prédécesseur était le groupe de conseillers pour l’éthique de la biotechnologie auprès de la Commission européenne, qui était un comité consultatif ad hoc.


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