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16/12/2014 | CEDH | N°001-149165

CEDH | CEDH, AFFAIRE BUZADJI c. RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA, 2014, 001-149165


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUZADJI c. MOLDOVA

(Requête no 23755/07)

ARRÊT

STRASBOURG

16 décembre 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 05/07/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Buzadji c. Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
V

aleriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 novem...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BUZADJI c. MOLDOVA

(Requête no 23755/07)

ARRÊT

STRASBOURG

16 décembre 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE 05/07/2016

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Buzadji c. Moldova,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Luis López Guerra,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Kristina Pardalos,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Stephen Phillips, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 18 novembre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 23755/07) dirigée contre la République de Moldova et dont un ressortissant moldave, M. Petru Buzadji (« le requérant »), a saisi la Cour le 29 mai 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant est représenté par Me I. Cerga, avocat à Chişinău. Le gouvernement moldave (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. V. Grosu.

3. Le requérant allègue en particulier qu’il a fait l’objet d’une arrestation irrégulière et que les tribunaux n’ont pas avancé de motifs pertinents et suffisants à l’appui de son placement puis de son maintien en détention provisoire.

4. Le 6 janvier 2010, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1947 et réside à Comrat.

1. La genèse de l’affaire

6. En mars 2006, le requérant, qui était directeur d’une entreprise publique (ci-après, « B-G »), reconnut devant un tribunal que B-G devait à une entreprise privée la somme de 594 067 dollars américains (USD), plus des pénalités (soit une somme totale de 842 404 USD), au titre de l’achat à cette entreprise de gaz liquéfié. Le 26 mai 2006, il fut démis de ses fonctions.

7. Il allègue qu’en juillet 2006, les autorités d’enquête le convoquèrent pour recueillir sa déposition sur une escroquerie supposée aux dépens de B‑G. Il aurait ensuite été convoqué en plusieurs autres occasions et se serait toujours présenté devant les autorités d’enquête, avec lesquelles il aurait toujours coopéré. Selon les documents communiqués par les parties, ses deux fils et lui firent l’objet de treize enquêtes pénales différentes. Les deux premières enquêtes furent ouvertes les 15 et 29 septembre 2006, tandis que la plupart des autres enquêtes furent ouvertes le 5 avril 2007. Le 25 mai 2007, toutes les enquêtes furent jointes.

Il ressort également du dossier que les fils du requérant furent convoqués devant les autorités d’enquête en mai 2007 et interrogés en tant que suspects dans l’affaire. Il semble qu’ils n’aient jamais été arrêtés. Le 13 septembre 2006, les autorités saisirent dans les locaux de l’entreprise publique B-G une facture supposément utilisée pour l’escroquer. Le 30 octobre 2006, l’ordinateur du requérant fut également saisi. On y trouva différents documents censés prouver que le requérant avait escroqué B-G.

8. Le 26 octobre 2006, la cour économique d’appel accueillit une demande d’ouverture de procédure d’insolvabilité (process de insolvabilitate) introduite contre B-G.

9. Le 21 décembre 2006, la Cour suprême de Justice annula les décisions prises par les juridictions inférieures car il avait été établi que la dette à l’égard de l’entreprise privée était fictive. Les juges s’appuyèrent notamment sur les résultats d’un examen des activités économiques et financières de B-G. L’affaire fut renvoyée devant les juridictions inférieures et est encore pendante à ce jour.

10. Le 23 mars 2007, il fut procédé à un nouvel examen des activités économiques et financières de B-G.

2. L’arrestation du requérant et les procédures relatives à la prolongation de sa détention provisoire et à son assignation à résidence

11. Le 2 mai 2007, le requérant fut arrêté. Le 5 mai 2007, il fut formellement accusé d’avoir escroqué B-G.

12. Le 5 mai 2007, le tribunal de district de Buiucani, faisant droit à une requête du procureur, ordonna le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de quinze jours. Il motiva ainsi sa décision :

« (...) l’infraction dont [le requérant] est accusé est considérée comme un délit exceptionnellement grave, ce qui justifie le placement en détention provisoire ; [le tribunal] tient compte de la nature et de la gravité de l’infraction ainsi que de la complexité de l’affaire, et il considère qu’à ce stade précoce de l’enquête, il y a des motifs raisonnables de penser que l’accusé pourrait s’entendre avec d’autres (ses fils, qui n’ont pas été interrogés) sur une position commune à adopter.

En revanche, la thèse de l’accusation selon laquelle il y aurait un risque que l’accusé s’enfuie, qu’il influence des témoins ou qu’il détruise des éléments de preuve n’est étayée par aucun élément précis, et elle est peu plausible. »

13. Le requérant contesta cette décision, renvoyant à la procédure civile en cours quant à la dette de B-G envers l’entreprise privée, ainsi qu’à une confirmation de cette dette par un administrateur que le tribunal avait nommé entre-temps. Il invoquait également l’absence dans le dossier de tout élément suggérant qu’il fût susceptible de s’enfuir ou de faire entrave à l’enquête d’une quelconque manière. Il joignait en outre des certificats médicaux attestant qu’il souffrait de plusieurs affections (il était alors âgé de soixante ans) imposant qu’il suivît un traitement en milieu hospitalier, ce qui était selon lui impossible en détention provisoire. Il faisait valoir qu’il était un personnage public, qu’il avait sa famille, sa résidence et son emploi en Moldova, et qu’il s’était présenté devant les autorités d’enquête à chaque fois qu’elles l’avaient convoqué entre juillet 2006 et mai 2007. Il arguait de plus que lorsqu’il avait statué sur son placement en détention provisoire, le juge n’avait pas eu connaissance du dossier de l’enquête mais n’avait vu que quelques documents relatifs aux charges retenues contre lui et à l’examen de l’activité économique de B-G (mentionné ci-dessus). Il ajoutait que ses deux fils n’avaient été formellement accusés d’aucune infraction et qu’en toute hypothèse, si lui et eux avaient voulu s’entendre, ils auraient eu tout le temps de le faire depuis juillet 2006, moment auquel ils avaient eu connaissance de l’enquête.

14. Le 8 mai 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma la décision du 5 mai 2007, répétant essentiellement les motivations de la juridiction inférieure.

15. Le 16 mai 2007, le tribunal de district de Buiucani prolongea de vingt jours la détention provisoire du requérant. Après avoir récapitulé les thèses des parties et cité les dispositions applicables, il conclut ainsi :

« (...) les motifs invoqués à l’appui de l’application de la mesure préventive [de placement en détention provisoire] demeurent valables ; la majorité des mesures d’enquête ont été prises, mais un certain nombre de mesures supplémentaires nécessitant la participation [du requérant] doivent encore être prises aux fins de l’instruction de l’affaire. Le tribunal considère que la demande formée par la défense aux fins de la substitution [d’une assignation à résidence] à la mesure préventive est prématurée, compte tenu de la gravité et de la complexité de l’affaire ainsi que de la nécessité de préserver l’ordre public et l’intérêt de la collectivité et d’assurer le bon déroulement de l’enquête et son objectivité. »

Le requérant contesta cette décision, invoquant essentiellement les mêmes arguments que précédemment.

16. Le 22 mai 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma la décision du 16 mai 2007. Elle s’appuya essentiellement sur les mêmes motifs que dans sa décision du 8 mai 2007, ajoutant ceci :

« (...) le risque que le requérant détruise des preuves persiste, le procureur ayant déclaré que tous les documents relatifs aux activités financières et économiques [de l’entreprise] n’avaient pas encore été saisis pour expertise. »

17. Le 5 juin 2007, le tribunal de district de Buiucani prolongea à nouveau la détention provisoire du requérant de vingt jours, invoquant essentiellement les mêmes motifs que précédemment. Le requérant contesta cette décision, avançant lui aussi essentiellement les mêmes arguments que précédemment.

18. Le 11 juin 2007, la cour d’appel de Chişinău confirma la décision de la juridiction inférieure, estimant qu’elle était régulière. Elle releva que le requérant était accusé d’agissements particulièrement graves qui avaient selon l’accusation fait subir à B-G un préjudice de près de 9 millions de lei moldaves (MDL, soit environ 553 000 euros (EUR) à l’époque) et qui étaient passibles d’une peine de dix à vingt-cinq ans d’emprisonnement, que les accusations dont il faisait l’objet concernaient treize infractions différentes, et que l’enquête était toujours en cours. Elle estima que si le requérant était remis en liberté, il risquerait de s’enfuir ou d’influencer les témoins employés de B-G sur lesquels il avait de l’ascendant.

19. Le 26 juin 2007, le tribunal de district de Buiucani rejeta une nouvelle demande formée par le procureur aux fins de la prolongation de la détention provisoire du requérant et fit droit à la demande par laquelle l’intéressé avait sollicité la substitution à cette mesure d’une assignation à résidence. Il fixa à trente jours la durée de l’assignation à résidence. Il motiva ainsi sa décision :

« (...) le requérant est détenu depuis cinquante-cinq jours et il a participé à toutes les mesures d’enquête nécessaires ; (...) en vertu de l’article 5 § 3 de la Convention, l’accusé doit en principe être libéré dans l’attente de son procès ; (...) certains éléments de preuve, qui pouvaient être suffisants précédemment pour justifier [la détention] ou pour rendre inadaptées des mesures préventives autres que la détention provisoire, peuvent devenir moins convaincants au fil du temps ; (...) il appartient au procureur de prouver l’existence d’un risque de fuite, et la seule gravité de la peine encourue ne suffit pas à prouver l’existence de ce risque ; [autres considérations relatives aux problèmes médicaux du requérant, à son âge, à son absence d’antécédents pénaux, au fait qu’il résidait de manière permanente en Moldova et à sa situation de famille] ; en vertu de la jurisprudence de [la Cour européenne], la détention provisoire doit être une mesure exceptionnelle, être toujours objectivement motivée et refléter l’intérêt public ; le tribunal estime qu’il est improbable que [le requérant] prenne la fuite, influence des témoins ou détruise des preuves, et que l’enquête pénale pourra se poursuivre normalement s’il est assigné à résidence. »

Le tribunal fixa les conditions suivantes pour l’assignation à résidence du requérant : interdiction de quitter la maison, interdiction de téléphoner, interdiction de discuter de l’affaire avec qui que ce soit.

20. Le 29 juin 2007, la cour d’appel de Chişinău annula la décision du 26 juin 2007 et ordonna à nouveau le placement du requérant en détention provisoire pour une durée de vingt jours. Elle motiva ainsi sa décision :

« (...) la juridiction inférieure n’a pas tenu compte de la complexité de l’affaire et de la gravité de l’infraction dont [le requérant] est accusé ; la cour considère que s’il était assigné à résidence, [le requérant] pourrait communiquer avec ses complices, dont la liberté n’est pas entravée et qui, de plus, se trouvent être ses fils ; il pourrait s’enfuir en se rendant [dans l’entité autoproclamée et non reconnue appelée « République moldave de Transnistrie »], qui n’est pas sous le contrôle des autorités moldaves ; il pourrait influencer des témoins (ses anciens employés) pour leur faire modifier leurs déclarations ; il a reçu des visites de médecins et peut obtenir une assistance médicale en prison. »

21. Le 16 juillet 2007, le tribunal de district de Buiucani prolongea à nouveau la détention provisoire du requérant de vingt jours. Il répéta essentiellement les mêmes motifs que précédemment. Le requérant contesta cette décision, avançant lui aussi essentiellement les mêmes arguments que précédemment. Le tribunal rappela la thèse du procureur, qui avait notamment conclu que l’enquête était terminée et que le dossier était prêt à être présenté au requérant et à ses avocats pour qu’ils préparent la défense, et ajouta ceci :

« (...) la mesure préventive a été appliquée en raison de la gravité de l’infraction dont [le requérant] est accusé, de la nécessité de garantir le bon déroulement de la procédure pénale et de préserver l’ordre public, et de l’existence de raisons de penser qu’il pourrait exercer une influence négative sur le cours de la procédure ou s’enfuir. »

Citant ensuite l’article 186 § 3 du code de procédure pénale, le tribunal conclut que « les motifs invoqués par le procureur [étaient] applicables ».

22. Le 20 juillet 2007, la cour d’appel de Chişinău annula la décision de la juridiction inférieure et remplaça la détention provisoire par une assignation à résidence. Elle motiva ainsi sa décision :

« (...) le procureur n’a communiqué aucun élément de preuve confirmant qu’il serait toujours nécessaire de maintenir [le requérant] en détention, ni aucun élément supplémentaire confirmant le risque que l’intéressé exerce une influence sur des témoins qui ont déjà été entendus ; [le requérant] promet de se présenter devant les autorités d’enquête à chaque fois qu’elles le convoqueront ; et il n’y a pas d’information précise relative à un quelconque risque de fuite ».

23. L’assignation à résidence fut confirmée par le tribunal de district de Comrat le 14 septembre et le 14 décembre 2007. Le 12 mars 2008, ce même tribunal ordonna la libération conditionnelle du requérant au motif qu’il avait été détenu puis assigné à résidence pendant plus de dix mois sans jamais violer aucune des restrictions qui lui avaient été imposées.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

24. Les dispositions pertinentes du code de procédure pénale sont les suivantes.

Article 176

« (1) L’autorité de poursuite ou le tribunal peuvent appliquer des mesures préventives à condition qu’il existe des motifs suffisants et raisonnables de craindre que l’accusé (...) s’enfuie, qu’il fasse entrave à la manifestation de la vérité pendant la procédure pénale ou qu’il récidive ; le tribunal peut également appliquer pareilles mesures afin d’assurer l’exécution d’une peine.

(...)

(3) Pour apprécier la nécessité d’appliquer des mesures préventives, l’autorité de poursuite et le tribunal tiennent compte des critères supplémentaires suivants :

1) la nature et la gravité du préjudice causé par l’infraction,

2) la personnalité de l’accusé (...),

3) son âge et son état de santé,

4) sa situation professionnelle,

5) sa situation familiale et sa qualité éventuelle de soutien de famille,

6) sa situation économique,

7) l’existence d’un lieu de résidence fixe,

8) les autres circonstances essentielles. »

Article 186

« (...)

(6) S’il s’avère nécessaire de prolonger la détention provisoire d’un accusé, le procureur présente une demande de prolongation de la détention au juge d’instruction au plus tard cinq jours avant l’expiration de la période précédemment fixée. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 § 3 DE LA CONVENTION

25. La Cour note que, sans invoquer formellement l’article 5 § 3 de la Convention, le requérant dénonce dans sa requête un défaut de motivation des décisions par lesquelles les juridictions internes ont ordonné son placement ou son maintien en détention provisoire. Elle examinera donc ce grief sous l’angle de l’article 5 § 3 de la Convention, qui est ainsi libellé :

« 3. Toute personne arrêtée ou détenue dans les conditions prévues au paragraphe 1 c) du présent article (...) a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience. »

A. Sur la recevabilité

26. Constatant que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il n’est pas non plus irrecevable pour d’autres motifs, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Thèses des parties

27. Le requérant soutient que les tribunaux n’ont pas avancé de « motifs pertinents et suffisants » à l’appui de leurs décisions de le placer ou de le maintenir en détention provisoire. En particulier, ils n’auraient donné aucun détail ni renvoyé à aucun élément à l’appui de leurs conclusions relatives aux risques qu’aurait selon eux posé sa libération. Le requérant argue à cet égard qu’il a avancé des arguments précis quant à chaque motif invoqué de manière générale par les juges, mais que ceux-ci n’y ont pas répondu.

28. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse, estimant que les juges ont avancé des motifs pertinents et suffisants sur la base du dossier dont ils étaient saisis. Il considère que seuls les faits datant de la période commençant le 2 mai 2007, date de l’arrestation du requérant, étaient pertinents pour l’examen de l’affaire. Selon lui, les juridictions internes ont clairement relevé le risque d’entrave à la justice, la grande complexité de l’affaire (qui relèverait de la « criminalité en col blanc »), le risque de fuite ou de destruction de preuves, le risque d’entente avec les autres suspects, etc. De plus, le fait que les fils du requérant n’aient pas été mis en accusation à l’époque ne prouverait pas qu’il n’était pas nécessaire de détenir leur père, car la raison pour laquelle celui-ci a été placé en détention aurait été précisément la nécessité d’empêcher une éventuelle collusion, et non la preuve d’une collusion avérée. Enfin, le Gouvernement produit une copie de l’acte d’accusation dirigé contre le requérant et ses fils, estimant que ce document démontre la complexité de l’affaire, dont l’ensemble des pièces couvrirait 100 volumes.

2. Appréciation de la Cour

a) Les principes généraux

29. La Cour rappelle que le deuxième volet de l’article 5 § 3 de la Convention garantit à tout accusé le droit d’être « jugé dans un délai raisonnable, ou libéré pendant la procédure ». L’emploi du mot « ou » n’indique pas qu’un procès à bref délai soit une possibilité alternative à la remise en liberté (Neumeister c. Autriche, 27 juin 1968, § 4, Série A no 8, et Wemhoff c. Allemagne, 27 juin 1968, §§ 4-5, Série A no 7). Une personne accusée d’une infraction doit toujours être libérée dans l’attente de son procès à moins que l’État ne puisse montrer qu’il existe des motifs « pertinents et suffisants » justifiant son maintien en détention (Yağcı et Sargın c. Turquie, arrêt du 8 juin 1995, § 52, Série A no 319‑A).

30. De plus, les autorités doivent démontrer de manière convaincante que chaque période de détention, aussi courte fût-elle, était justifiée (voir, parmi d’autres arrêts, Belchev c. Bulgarie, no 39270/98, § 82, 8 avril 2004, Sarban c. Moldova, no 3456/05, § 97, 4 octobre 2005, Castravet c. Moldova, no 23393/05, § 33, 13 mars 2007, et Ignatenco c. Moldova, no 36988/07, § 77, 8 février 2011).

31. Les juridictions internes doivent « examiner toutes les circonstances de nature à révéler ou écarter l’existence d’une véritable exigence d’intérêt public justifiant, eu égard à la présomption d’innocence, une exception à la règle du respect de la liberté individuelle et [en] rendre compte dans leurs décisions relatives aux demandes d’élargissement » (Letellier c. France, 26 juin 1991, § 35, Série A no 207).

32. S’il est vrai que l’article 5 de la Convention « n’entraîne pas pour le juge examinant un recours contre une détention l’obligation d’étudier chacun des arguments avancés par l’appelant, les garanties qu’il prévoit seraient vidées de leur sens si le juge, en s’appuyant sur le droit et la pratique internes, pouvait considérer comme dénués de pertinence, ou omettre de prendre en compte, des faits concrets invoqués par le détenu et susceptibles de jeter un doute sur l’existence des conditions indispensables à la « légalité », au sens de la Convention, de la privation de liberté » (Nikolova c. Bulgarie [GC], no 31195/96, § 61, CEDH 1999‑II). Dans ce contexte, « [l]es arguments militant respectivement pour et contre la libération ne doivent pas être « généraux et abstraits » (Smirnova c. Russie, nos 46133/99 et 48183/99, § 63, CEDH 2003‑IX (extraits)).

b) Application de ces principes en l’espèce

33. La Cour note qu’en l’espèce, le requérant a été privé de sa liberté pendant plus de dix mois au total, dont deux mois et demi passés en détention provisoire et le reste en assignation à résidence (voir les paragraphes 12, 22 et 23 ci-dessus). Elle rappelle qu’elle a déjà considéré par le passé que l’assignation à résidence constitue une « privation de liberté » au sens de l’article 5 de la Convention (voir Nikolova c. Bulgarie (no 2), no 40896/98, § 60, 30 septembre 2004, Lavents c. Lettonie, no 58442/00, § 63, 28 novembre 2002, et Mancini c. Italie, no 44955/98, § 17, CEDH 2001‑IX).

34. La Cour rappelle également qu’elle a conclu à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention dans des affaires où les requérants avaient été détenus pendant de courtes durées : treize jours au total dans l’affaire Ţurcan c. Moldova (no 39835/05, 23 octobre 2007), quarante-six jours dans l’affaire Musuc c. Moldova (no 42440/06, 6 novembre 2007), trois mois et quatre jours dans l’affaire Sarban (arrêt précité), et quatre mois et demi environ dans les affaires Becciev c. Moldova (no 9190/03, 4 octobre 2005) et Castravet (arrêt précité).

35. Le requérant a présenté des arguments substantiels devant les juridictions nationales pour contester les motifs de son placement ou de son maintien en détention. Il a fait valoir que depuis le début de l’enquête en 2006, il ne l’avait jamais entravée en aucune manière et il s’était toujours présenté devant les autorités qui l’avaient convoqué, qu’il était un homme d’affaires connu, qu’il avait une famille et que son état de santé nécessitait une assistance médicale spécialisée. Il a également argué que l’accusation n’avait communiqué au tribunal et à la défense aucun document de nature à prouver la réalité des risques que poserait selon elle une remise en liberté dans l’attente du procès.

36. La Cour note par ailleurs que dans la plupart de leurs décisions, les juridictions internes n’ont examiné aucun de ces arguments : elles les ont apparemment jugés sans pertinence pour la régularité de la détention provisoire du requérant, alors qu’ils concernaient des facteurs qu’elles étaient tenues de prendre en compte en vertu de l’article 176 § 3 du code de procédure pénale (paragraphe 24 ci-dessus). Selon les cas, soit elles ne les ont pas mentionnés du tout, soit elles les ont brièvement récapitulés sans y répondre. Elles se sont bornées à répéter dans leurs décisions de manière abstraite et stéréotypée les motifs formels de détention prévus par la loi. Elles ont cité ces motifs sans tenter de montrer comment ils s’appliquaient au cas du requérant, sauf pour ce qui est du risque de collusion avec ses fils.

37. Ce manquement à analyser des éléments que le droit interne imposait d’examiner est encore plus singulier au vu du fait qu’en deux occasions (dans les décisions du 26 juin et du 20 juillet 2007), les tribunaux ont jugé que plusieurs de ces éléments militaient contre le maintien en détention du requérant. Même en ces deux occasions où les juges ont conclu qu’il n’y avait pas de risque d’entrave au bon déroulement de l’enquête ni de raison de croire que le requérant risquait de prendre la fuite, ils ont tout de même ordonné son assignation à résidence.

38. Il est à noter que les décisions de justice adoptées pendant cette période de dix mois ne font mention d’aucun élément nouveau précis dans le dossier. Il faut donc en déduire qu’à chaque fois qu’ils ont tranché la question de la détention provisoire du requérant, les juges ont examiné essentiellement le même dossier. Or ils ont certaines fois considéré que la libération de l’intéressé poserait un risque – sans toutefois mentionner d’éléments précis en ce sens – et d’autres fois conclu à l’absence d’un tel risque.

39. L’absence d’éléments étayant la thèse d’un risque en cas de libération du requérant apparaît de manière particulièrement évidente dans la décision du 16 mai 2007 (paragraphe 15 ci-dessus), où le tribunal a estimé que la plupart des mesures d’enquête avaient déjà été prises, et dans la décision du 16 juillet 2007 (paragraphe 21 ci-dessus), où le même tribunal avait été informé par le procureur que l’enquête était terminée et que le dossier était prêt à être communiqué au requérant pour permettre à celui-ci de préparer sa défense. De l’avis de la Cour, l’argument selon lequel le requérant aurait risqué d’influencer des témoins ou de s’entendre avec ses fils avait perdu beaucoup de sa valeur à partir du moment où l’enquête était terminée et où les éléments pertinents avaient déjà été recueillis et examinés. Le fait de maintenir une personne en détention alors que l’enquête est terminée et à la seule fin qu’elle prenne connaissance du dossier et prépare sa défense est incompatible avec le principe de liberté posé à l’article 5 de la Convention.

40. De plus, dans la décision du 22 mai 2007, le tribunal a estimé que le risque de destruction de preuves persistait car, comme l’arguait l’accusation, tous les documents pertinents n’avaient pas encore été saisis et expertisés (paragraphe 16 ci-dessus). Or le procureur n’avait pas prétendu se heurter pour une raison ou pour une autre à l’impossibilité d’accéder aux documents pertinents ou à un quelconque obstacle l’empêchant de se les procurer, ni même avoir l’intention de se les procurer. La Cour considère que le fait de maintenir une personne en détention en raison du manquement du procureur à recueillir certaines preuves est clairement contraire au principe de liberté susmentionné.

41. Enfin, il est à noter que le risque de collusion entre le requérant et ses fils a disparu le 26 juin 2007, date à laquelle le requérant a été assigné à résidence sans aucune interdiction de voir ses fils, qui vivaient à son domicile (paragraphe 19 ci-dessus). Si eux et lui avaient voulu s’entendre sur une version des faits, ils auraient eu trois jours pour le faire avant le 29 juin 2007, date à laquelle un tribunal a ordonné à nouveau son placement en détention. On ne pouvait donc plus sérieusement dire à partir de ce moment-là qu’il devait être détenu en raison d’un risque de collusion avec ses fils.

42. La Cour considère que les juridictions internes se sont bornées à paraphraser les motifs de détention prévus par le code moldave de procédure pénale, sans expliquer comment ces motifs s’appliquaient au cas du requérant, sauf pour ce qui est du risque de collusion avec ses fils. Même ce motif-ci – qui n’était par ailleurs pas convaincant étant donné que le requérant avait connaissance de l’enquête depuis juillet 2006 – a perdu toute pertinence après que les juges eurent permis au requérant de rester chez lui avec ses fils, mais pourtant ordonné à nouveau son arrestation par la suite.

43. Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1 ET 4 DE LA CONVENTION

44. La Cour note que le requérant se plaint d’une violation de l’article 5 §§ 1 et 4 mais n’a précisé ni quelle disposition du droit interne aurait été méconnue ni la raison pour laquelle il considère que son arrestation a été irrégulière ou que les garanties posées par l’article 5 § 4 n’ont pas été observées. Il se plaint plutôt d’avoir fait l’objet d’une arrestation arbitraire de manière générale, arguant que cette arrestation n’était pas motivée et que les décisions de prolongation de sa détention provisoire ne reposaient sur aucun élément. La Cour considère que rien dans le dossier ne fait apparaître d’éléments posant problème au regard du paragraphe 1 ou du paragraphe 4 de l’article 5 de la Convention.

Ces griefs sont donc manifestement mal fondés et, partant, ils doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 DE LA CONVENTION

45. Le requérant soutient aussi, sur le terrain de l’article 6 §§ 1 et 2, que les arguments avancés par l’accusation à l’appui de son arrestation n’étaient pas étayés par des éléments pertinents et que plusieurs principes, en particulier (égalité des armes, présomption d’innocence, indépendance et l’impartialité des tribunaux) ont été enfreints.

46. La Cour note qu’aucune des deux parties n’a porté à sa connaissance l’adoption d’une quelconque décision de justice quant au fond de la procédure pénale dirigée contre le requérant. Dès lors, en l’absence de condamnation, les griefs relatifs à d’éventuels manquements procéduraux que le requérant tire de l’article 6 de la Convention sont prématurés.

Il s’ensuit que les griefs tirés de l’article 6 §§ 1 et 2 de la Convention doivent être rejetés en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage moral

48. Le requérant réclame 50 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’il estime avoir subi. Il souligne qu’il est un personnage public de la région moldave de Gagauzia et que son arrestation, largement relayée dans les médias, lui a fait subir un stress considérable et a grandement porté atteinte à sa réputation. Il ajoute que son état de santé s’est détérioré pendant sa détention et qu’il a dû suivre un traitement médical.

49. Le Gouvernement considère pour sa part que les droits du requérant n’ont pas été violés et que, dès lors, il n’y a pas lieu de lui octroyer la moindre indemnisation. En tout état de cause, il estime la somme réclamée excessive au vu de la jurisprudence de la Cour à l’égard de la Moldova.

50. La Cour considère que la violation des droits garantis par l’article 5 § 3 de la Convention qu’a subie le requérant a dû être source pour lui d’une certaine dose de stress et d’anxiété. Statuant en équité, elle lui octroie la somme de 3 000 EUR à titre d’indemnisation de son dommage moral.

B. Frais et dépens

51. Le requérant réclame 30 130 MDL (soit environ 1 850 EUR) au titre des frais et dépens engagés pour la procédure devant la Cour. Il produit à titre de justificatif un contrat passé avec son avocat. Il réclame également 4 437 MDL (soit environ 287 EUR) au titre des frais postaux.

52. Le Gouvernement estime qu’il n’était pas nécessaire que le requérant fasse appel à des services de messagerie express, plus onéreux, pour ses communications avec la Cour. Il ajoute que la somme demandée au titre des frais d’avocat comprend des sommes payées pour la défense du requérant devant les juridictions internes sur un ensemble de questions relatives à l’affaire pénale qui ne concernaient pas toutes le grief porté devant la Cour.

53. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce, eu égard à la nature limitée de la question portée devant elle et au fait qu’il existe déjà dans ce domaine une jurisprudence abondante, la Cour estime raisonnable d’octroyer la somme de 1 300 EUR au titre des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

54. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Déclare, par quatre voix contre trois, la requête recevable quant au grief tiré de l’article 5 § 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;

2. Dit, par quatre voix contre trois, qu’il y a eu violation de l’article 5 § 3 de la Convention ;

3. Dit, par quatre voix contre trois,

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes, à convertir en lei moldaves au taux applicable à la date du règlement :

i) 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt par le requérant, pour dommage moral, et

ii) 1 300 EUR (mille trois cents euros), plus tout montant pouvant être dû sur cette somme à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en anglais, puis communiqué par écrit le 16 décembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Stephen PhillipsJosep Casadevall
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

a) opinion concordante du juge Popović ;

b) opinion dissidente du juge López Guerra, à laquelle se rallie le juge Casadevall ;

c) opinion dissidente de la juge Motoc.

J.C.M.
J.S.P.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE POPOVIĆ

Même si l’on peut dire que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes relativement aux décisions de justice par lesquelles a été ordonnée son assignation à résidence (§§ 19-22 de l’arrêt), j’ai voté avec la majorité en faveur de la conclusion de violation. Je considère en effet qu’une détention provisoire de deux mois et demi (§ 33 de l’arrêt), ordonnée sans que les juridictions internes ne justifient dûment les décisions correspondantes, est tout à fait suffisante pour constituer une violation de l’article 5 § 3 de la Convention.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE LÓPEZ GUERRA, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE CASADEVALL

Je ne souscris pas à la conclusion de violation de l’article 5 § 3 de la Convention à laquelle la chambre est parvenue. Le requérant a été privé de liberté en deux occasions différentes mais consécutives : d’abord du 2 mai au 20 juillet 2007, dans le cadre d’une mesure de détention provisoire, puis du 21 juillet 2007 au 12 mars 2008, dans le cadre d’une assignation à résidence. Il est à noter que c’est le requérant lui-même qui a demandé aux juridictions moldaves de l’assigner à résidence et que, logiquement, il n’a donc pas contesté les décisions correspondantes. La question se pose donc de savoir s’il a réellement épuisé les voies de recours internes conformément à l’article 35 § 1 de la Convention, étant donné qu’il n’a jamais contesté la décision d’assignation à résidence qu’il avait lui-même demandé aux juges moldaves d’imposer. En toute hypothèse, la durée totale qu’il a passée en détention du 2 mai 2007 au 12 mars 2008 n’est pas constitutive d’une violation de l’article 5 § 3 de la Convention au vu des circonstances de l’espèce. Lorsqu’elles ont imposé des mesures privatives de liberté dans l’attente du procès, les juridictions moldaves ont clairement exposé les raisons de ces mesures, qui n’étaient ni déraisonnables ni disproportionnées, et qui reposaient sur leur appréciation des circonstances de la cause et l’état de la procédure au moment de chaque décision. Ainsi, les motifs d’imposition de ces mesures préventives comprenaient notamment le risque de collusion entre le requérant et d’autres accusés qui n’étaient pour leur part pas détenus à l’époque (5 mai 2007), le fait que certains documents pertinents n’avaient pas encore été saisis (22 mai 2007) et le risque que le requérant ne s’enfuie en « République moldave de Transnistrie » (29 juin 2007). Le fait que la détention provisoire de l’intéressé ait été remplacée par une assignation à résidence (à sa demande et sans qu’il ne conteste cette mesure) suffit à démontrer que les mesures préventives ordonnées par les juges n’étaient pas le résultat d’un raisonnement stéréotypé ou mécanique, mais bien une réponse à l’évolution de sa situation. J’estime donc que la Cour n’a pas à substituer son appréciation de ces circonstances et de la nécessité d’adopter des mesures préventives à celle des juridictions internes, qui avaient une connaissance directe des aspects spécifiques de la cause.

OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE MOTOC

L’arrêt Buzadji c. République de Moldova fait apparaître une application de l’article 5 § 3 manifestement en contraction avec la Convention.

1. Il est évident que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes, contrairement à ce qu’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Il a été détenu pendant deux mois et demi (2 mai – 20 juillet 2007) et a été assigné à résidence pendant sept mois et demi (21 juillet 2007 – 12 mars 2008), mais il n’a jamais contesté la deuxième mesure. Tout au contraire, il avait lui-même demandé cette mesure d’assignation à résidence, qu’il n’a jamais contestée devant les instances de la République de Moldova. À mon avis, il est clair que le non-épuisement de voies de recours internes aurait dû amener la Cour à considérer la partie de la requête concernant l’assignation à résidence comme irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

2. À titre subsidiaire, même en ne tenant pas compte de l’argument de l’irrecevabilité, la Cour n’avait aucune raison de conclure à la violation de l’article 5 § 3 de la Convention. Les instances moldaves ont bien motivé les décisions de détention du requérant, conformément à l’article 5 § 3, qui est d’ailleurs connu et invoqué par ces instances. Les instances moldaves avaient invoqué et motivé le risque que le cours de la justice fût entravé. Il est certain que ce risque existait, comme ces instances l’ont démontré, d’abord par rapport aux relations entre le requérant et ses fils (décision de mai 2007), qui allaient être inculpés dans le dossier avec le requérant (même si à l’époque ils n’avaient pas encore été inculpés) et ensuite par rapport aux subordonnés du requérant (juin 2007). Les instances nationales ont démontré tant factuellement que juridiquement la manière dont le requérant, qui était un directeur d’entreprise et ancien homme politique impliqué dans des infractions de corruption, aurait pu influencer les témoins et, de manière générale, les investigations sur une infraction de fraude très complexe. Par ailleurs, le dossier final comptait plus de 100 volumes qui montrent la complexité de l’infraction.

3. La décision me semble être un précédent négatif pour les instances moldaves, et un argument pour ne pas enquêter avec tout le soin nécessaire sur les infractions commises par les délinquants en col blanc.


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-149165
Date de la décision : 16/12/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-3 - Caractère raisonnable de la détention provisoire)

Parties
Demandeurs : BUZADJI
Défendeurs : RÉPUBLIQUE DE MOLDOVA

Composition du Tribunal
Avocat(s) : CERGA I.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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