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07/10/2014 | CEDH | N°001-146772

CEDH | CEDH, AFFAIRE ATAUN ROJO c. ESPAGNE, 2014, 001-146772


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ATAUN ROJO c. ESPAGNE

(Requête no 3344/13)

ARRÊT

STRASBOURG

7 octobre 2014

DÉFINITIF

07/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Ataun Rojo c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guer

ra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ATAUN ROJO c. ESPAGNE

(Requête no 3344/13)

ARRÊT

STRASBOURG

7 octobre 2014

DÉFINITIF

07/01/2015

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Ataun Rojo c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Ján Šikuta,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco, juges,
et de Marialena Tsirli, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 7 octobre 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 3344/13) dirigée contre le Royaume d’Espagne et dont un ressortissant de cet État, M. Oihan Unai Ataun Rojo (« le requérant »), a saisi la Cour le 10 janvier 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant a été représenté par Mes L. Bilbao Gredilla, avocate à Alava, O. Sánchez Setién, avocat à Bilbao, O. Peter, avocat à Genève et M. D. Rouget, juriste. Le gouvernement espagnol (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, F. de A. Sanz Gandasegui, avocat de l’État.

3. Invoquant l’article 3 de la Convention, le requérant se plaint en particulier de l’absence d’enquête effective de la part des juridictions internes au sujet des mauvais traitements qu’il dénonça avoir subis au cours de leur garde à vue au secret.

4. Le 12 juin 2013, la requête a été communiquée au Gouvernement. Tant le requérant que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. Le requérant est né en 1986 et réside à Pampelune.

6. Le 10 novembre 2008, à 21 heures environ, le requérant fut arrêté par des agents de la police nationale dans le cadre d’une enquête judiciaire portant sur les délits présumés d’appartenance à l’organisation dite SEGI, une branche de l’ETA. Il fut transféré au poste de police de Chinchilla, à Pampelune, où il fut examiné par un médecin légiste, et ensuite au commissariat général à Madrid, où il fut placé en garde à vue au secret pendant quatre jours.

7. Pendant son transfert à Madrid et durant sa garde à vue au secret, le requérant aurait selon ses dires été soumis à des mauvais traitements sous la forme de menaces et de violences physiques et psychiques, notées lors des visites médicales.

8. Le 11 novembre 2008, à 8 h 10, le requérant fut examiné par un médecin légiste qui observa un érythème sur les deux poignets causé par les menottes. Le même jour, à 19 h 30, le requérant fut de nouveau examiné par un médecin légiste. Dans son rapport consécutif à cette visite, le médecin légiste indiqua que le requérant affirmait avoir été menotté pendant son transfert à Madrid et avoir reçu des tapes sur la tête et des pressions digitales aux mandibules. Le requérant affirme aussi avoir été contraint à rester accroupi avec les jambes écartées pendant assez longtemps.

9. Le 12 novembre 2008, à 6 h 22, le SAMUR (service public d’aide médicale d’urgence) fut appelé car le requérant avait des convulsions et des fourmillements dans les jambes.

10. Le 12 novembre 2008, à 10 h 25, eut lieu une visite du médecin légiste. Le requérant affirma avoir été contraint de rester accroupi avec les mains en l’air pendant très longtemps et de marcher accroupi. Il refusa d’être examiné.

11. Le 12 novembre 2008, à 19 h 30, eut lieu une nouvelle visite du médecin légiste. Le requérant se plaignait de maux de dos et de jambes en raison des positions qu’il avait été contraint d’adopter, comme rester debout en semi-flexion. Il dénonça des gifles sur la tête et des menaces contre sa famille. Le médecin ne constata aucune lésion. Le requérant accepta d’être examiné.

12. Le 13 novembre 2008, à 10 h 50, le requérant rencontra de nouveau le médecin légiste. Il accepta d’être examiné. Il affirma qu’il avait eu froid pendant la nuit, qu’on l’avait giflé à deux reprises sur le visage, qu’on lui avait tiré les poils des favoris et qu’on lui avait couvert la tête à deux ou trois reprises avec un sac en plastique. On lui aurait obturé la vue avec un masque et imposé des flexions. Le médecin demanda des couvertures.

13. Le même jour, à la suite de son interrogatoire en présence d’une avocate commise d’office à 19 heures, le requérant fut de nouveau reçu par le médecin légiste vers 19 h 45, mais refusa d’être examiné. Il fit état de douleurs au dos, mais indiqua ne pas avoir été maltraité.

14. Le 14 novembre 2008, à 10 heures, le requérant expliqua au médecin légiste qu’il avait mal à l’œil gauche, sans en connaître la cause. Il refusa d’être examiné, sauf l’exploration des yeux. Il indiqua ne pas avoir été maltraité, mais expliqua qu’il avait oublié d’informer le médecin que le 12 novembre 2008 on lui avait caché la vue avec un masque en lui posant un objet entre les mains qu’il croyait être un pistolet et qu’il fut obligé de serrer.

15. Le 14 novembre 2008, toujours en situation de garde à vue au secret, le requérant fut traduit devant le juge central d’instruction no 3 auprès de l’Audiencia Nacional. Le requérant déclara, en présence d’une avocate commise d’office qu’il avait fait l’objet de mauvais traitements au cours de sa garde à vue : il aurait été frappé à la tête sur les oreilles et aurait reçu des gifles sur le visage ; on l’aurait obligé à rester accroupi et à faire des pompes ; on aurait proféré des menaces visant des membres de sa famille ; on l’aurait secoué et on lui aurait posé entre les mains un objet qu’il croyait être un pistolet ; enfin, il aurait subi des sessions d’asphyxie au moyen d’un sac en plastique placé autour de la tête.

Le juge central d’instruction no 3 décida de placer le requérant en détention provisoire.

16. Le 6 avril 2009, le requérant porta plainte, assisté par une avocate de son choix, devant le juge de garde de Pampelune, alléguant avoir subi des mauvais traitements pendant son arrestation et sa garde à vue. Il expliqua le délai entre les faits et le dépôt de sa plainte par le fait que tout courrier envoyé par des prisonniers basques depuis la prison, y compris à ses avocats, était ouvert et traduit vers l’espagnol par les autorités. Le requérant sollicita la production des enregistrements des caméras de sécurité des locaux où il était gardé à vue et l’identification et l’audition des agents qui l’avaient interrogé ou qui avaient été en contact avec lui pendant sa garde à vue au secret. Il demanda à être soumis à un examen médical pour établir l’existence d’éventuelles lésions ou séquelles psychologiques.

17. Sur demande de la procureure chargée du dossier auprès du juge d’instruction no 4 de Pampelune, auquel l’affaire avait entre-temps été attribuée, le juge central d’instruction no 3 près l’Audiencia Nacional remit au juge d’instruction no 4 de Pampelune les rapports médicaux et les dépositions faites par le requérant pendant sa garde à vue secrète. Deux rapports manquaient toutefois : celui du médecin légiste de Pampelune, et celui sur l’intervention du SAMUR du 12 novembre 2008 à Madrid. De nombreuses demandes se succédèrent pendant 13 mois afin d’obtenir les rapports manquants. Le 12 août 2010, le rapport médical égaré par le juge central d’instruction no 3 fut remis au juge d’instruction no 4 par la police.

18. Par une ordonnance du 10 février 2011, le juge d’instruction no 4 de Pampelune rendit un non-lieu provisoire. Au vu des rapports des médecins légistes lors de la garde à vue et des copies des dépositions faites par le requérant, il considéra que la commission du délit de torture que le requérant imputait aux agents de la police nationale intervenus en l’espèce n’était pas établie. Il nota par ailleurs qu’en raison de l’absence du « moindre indice de criminalité » l’identification et l’interrogatoire des agents de police ayant été en contact avec le requérant seraient inutiles et « ne serviraient qu’à exposer l’identité de ceux qui travaillent dans la lutte contre le terrorisme et à entendre leurs prévisibles négations des imputations ».

19. Le requérant présenta un recours en réforme (recurso de reforma) devant le même juge d’instruction, qui le rejeta en relevant des contradictions dans ses déclarations devant la justice et celles qu’il avait faites devant les médecins légistes, auxquels il avait affirmé avoir été maltraité, ainsi que l’absence d’indices des faits décrits dans sa plainte.

Sur appel du requérant, par une décision du 14 octobre 2011, l’Audiencia Provincial de Navarre confirma l’ordonnance de non-lieu, au vu des multiples rapports médicaux examinés et de l’absence d’indices permettant de continuer l’enquête. L’Audiencia tint compte également du contenu de la déposition signée par le requérant lors de sa détention, qui ne faisait pas état des faits allégués par la suite.

20. Le 27 janvier 2012, le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel sur le fondement des articles 24 (droit à l’équité de la procédure) et 15 (droit à l’intégrité physique et morale) de la Constitution. Par une décision du 17 juillet 2012, la haute juridiction déclara le recours irrecevable.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

21. Les dispositions pertinentes en l’espèce de la Constitution espagnole sont libellées comme suit :

Article 15

« Toute personne a droit à la vie et à l’intégrité physique et morale. Nul ne peut être soumis, dans quelques circonstances que ce soit, à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants (...) »

Article 24

« 1. Toute personne a droit à la protection effective des juges et des tribunaux dans l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans que la défense puisse être limitée en aucun cas.

2. De même, chacun est en droit d’être traduit devant le juge ordinaire déterminé par la loi, d’être défendu et assisté par un avocat, d’être informé de l’accusation portée contre lui, de bénéficier d’un procès public sans délais indus et avec toutes les garanties, d’utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, de ne pas s’incriminer lui-même, de ne pas faire d’aveux et d’être présumé innocent.

(...) »

22. Les parties pertinentes en l’espèce de l’arrêté du ministre de la Justice du 16 septembre 1997 approuvant le Protocole relatif aux méthodes à suivre par les médecins légistes lors de l’examen des détenus se lisent comme suit :

Article 2

« Le Protocole médicolégal à suivre lors de l’examen des détenus sera complété, dans ses quatre sections, conformément aux instructions suivantes :

1. Données d’identification : elles servent à déterminer clairement l’identité de la personne détenue faisant l’objet de l’examen médicolégal, l’endroit, la date et l’heure auxquels est effectué l’examen, ainsi que le juge et la procédure diligentée contre la personne privée de liberté, et le nom du médecin légiste.

2. Histoire clinique : [cette section] est destinée à recueillir les informations relatives aux antécédents médicaux familiaux et personnels, aux habitudes nuisibles pour la santé et aux traitements médicaux spéciaux suivis par la personne détenue au moment de la garde à vue.

3. Résultats de l’examen : dans cette rubrique devront figurer le résultat de l’examen médicolégal et, le cas échéant, le traitement prescrit ou la demande d’expertises médicales supplémentaires considérées comme nécessaires par le médecin légiste, y compris l’ordre d’admission dans un service hospitalier.

4. Feuille d’évolution : elle devra être utilisée à chaque examen médicolégal du détenu. Ainsi, lors du premier examen du détenu sera utilisé le protocole général et lors de chaque nouvel examen seront remplies les feuilles d’évolution (une feuille par examen). »

III. LES RAPPORTS DU COMITÉ EUROPÉEN POUR LA PRÉVENTION DE LA TORTURE ET DES PEINES OU TRAITEMENTS INHUMAINS OU DÉGRADANTS (CPT) ET DU COMMISSAIRE AUX DROITS DE L’HOMME DU CONSEIL DE L’EUROPE

23. Le rapport du 13 mars 2003 adressé au gouvernement espagnol par le CPT après la visite effectuée par celui-ci en juillet 2001 se lit comme suit :

« 9. Le CPT considère que les personnes détenues au secret doivent également avoir le droit d’être examinées par un médecin de leur choix, qui pourra effectuer son examen en présence du médecin officiel nommé par l’État. Cependant, dans leur réponse du 11 juillet 2001, les autorités espagnoles ont clairement déclaré qu’elles ne voyaient pas la nécessité de mettre en œuvre cette recommandation.

À la demande des autorités espagnoles, le CPT a également proposé des modifications dans la rédaction des formulaires utilisés par les médecins légistes. Cependant, lors de la visite de 2001, ces recommandations n’avaient pas été incorporées et la délégation constata que, dans la plupart des cas, les médecins légistes n’utilisaient même pas la version en vigueur du formulaire [relatif au protocole à suivre]. (...) Le CPT encourage les autorités à adopter des mesures concrètes pour que ces formulaires soient utilisés. »

24. Le rapport du 10 juillet 2007 adressé au gouvernement espagnol par le CPT après la visite effectuée par celui-ci en décembre 2005 mentionne ce qui suit :

« 45. La Cour européenne des droits de l’homme utilise deux critères pour déterminer si une enquête a été effective :

– l’enquête doit permettre de déterminer si le recours à la force était justifié ou non dans les circonstances (...),

– des mesures raisonnables doivent avoir été prises pour assurer l’obtention des preuves relatives à l’incident en question, y compris, (...) le cas échéant, une autopsie propre à fournir un compte rendu complet et précis des blessures ainsi qu’une analyse objective des constatations cliniques, notamment de la cause du décès.

L’arrêt Martínez Sala et autres c. Espagne du 2 novembre 2004 (§§ 156 à 160) constitue un exemple d’application de ces critères. »

25. Le rapport du 25 mars 2011 concernant la visite en Espagne effectuée par le CPT du 19 septembre au 1er octobre 2007 indique, concernant les personnes placées en garde à vue soumise à l’interdiction de communiquer, dont la durée maximale est de cinq jours (pouvant être prorogée jusqu’à un maximum de treize jours dans certains cas), que, pendant ce laps de temps, le détenu ne peut pas informer une personne de son choix de sa détention ni lui en communiquer le lieu, ne peut pas se faire assister par un avocat librement choisi ni s’entretenir en privé avec l’avocat désigné d’office. Le paragraphe 48 du rapport expose ce qui suit :

« 48. Concernant des personnes suspectées de délits prévus par l’article 384 bis du code pénal, le contrôle juridictionnel de la détention relève exclusivement de l’Audiencia Nacional. Les personnes ainsi détenues doivent être « mises à la disposition » du juge compétent de l’Audiencia Nacional dans les 72 heures à compter de leur mise en détention. Par ailleurs, selon l’article 520 bis § 3 du code de procédure pénale, le juge compétent peut « à tout moment demander des informations sur la situation du détenu et vérifier celle-ci ».

Toutefois, les informations recueillies lors de la visite [du CPT] de 2007 confirment qu’en pratique, les personnes dont la détention est prolongée au-delà de 72 heures ne sont pas vues par le juge avant l’adoption de la décision de prolongation. L’autorisation de prolonger la détention (toujours au secret) jusqu’à 5 jours est donnée par un juge suivant une procédure écrite. En outre, lors des discussions avec l’Audiencia Nacional, la délégation a été informée que cette juridiction ne se prévaut pas en pratique de la possibilité que lui offre l’article 520 bis § 3 de procéder à une surveillance directe ou par personne interposée. À cet égard, le rôle du médecin légiste, qui rend visite au détenu une fois par jour, voire plus, est considéré comme suffisant. Pour sa part, le CPT estime que les visites d’un médecin légiste ne remplacent pas une surveillance juridictionnelle appropriée.

Par ailleurs, l’examen par la délégation des documents relatifs aux personnes détenues en mars-avril 2007 montre que, au moins pour les cas passés en revue, le juge compétent de l’Audiencia Nacional n’a entrepris aucune action en réponse aux allégations de mauvais traitements. Il faut rappeler qu’en pareil cas la loi espagnole oblige le juge soit à ouvrir une enquête préliminaire sur les allégations formulées soit à déférer l’affaire à un autre tribunal compétent. »

Le CPT formule les recommandations suivantes à l’intention des autorités espagnoles :

« – (...) veiller à ce que la personne détenue au secret ait le droit d’informer une personne de son choix de sa détention et de lui en communiquer le lieu dès que possible et au plus tard 48 heures après sa privation initiale de liberté ;

– prendre les mesures nécessaires pour que les personnes détenues au secret puissent s’entretenir avec un avocat en privé dès leur placement en détention ;

– les médecins doivent établir des rapports médicaux et les remettre au juge ;

– veiller à ce que les personnes détenues au secret aient le droit d’être examinées par un médecin de leur choix ;

– établir des règles claires sur la procédure à suivre par les représentants de la loi pour mener les interrogatoires ;

– ces règles doivent expressément interdire de bander les yeux des personnes en garde à vue ou de leur mettre une cagoule ;

– interdire d’obliger les détenus à faire des exercices physiques ou à rester debout de manière prolongée ;

– prendre des mesures pour améliorer sensiblement la tenue des registres par les représentants de la loi dans le cadre des détentions au secret (...) ;

– les personnes détenues au secret doivent être correctement informées de leur situation juridique et de leurs droits ;

– la législation [et les règlements] en vigueur doivent être modifiés sans délai afin d’interdire l’application aux mineurs du régime de détention au secret ;

– les personnes assujetties à l’article 520 bis du code de procédure pénale doivent être systématiquement traduites physiquement devant le juge compétent avant qu’il statue sur la question de la prolongation de la détention au-delà de 72 heures ; s’il y a lieu, modifier la législation pertinente ;

– le Conseil de la magistrature doit inciter les juges à adopter une approche plus proactive concernant les pouvoirs de surveillance dont ils disposent en vertu du paragraphe 3 de l’article 520 bis du code de procédure pénale ;

– prendre des mesures appropriées (...) concernant l’enregistrement vidéo de détentions au secret. »

26. Le rapport du 30 avril 2013 adressé au gouvernement espagnol par le CPT à la suite des visites effectuées par celui-ci entre mai et juin 2011 mentionne ce qui suit :

« 14. Dix des onze personnes interrogées qui avaient été détenues au secret dans des opérations conduites par la Guardia civil pendant les premiers mois de l’année 2011 ont formulé auprès de la délégation des allégations crédibles et cohérentes de mauvais traitements. Ces derniers auraient commencé au cours du transfert par véhicule du lieu d’arrestation au centre de détention à Madrid : ils auraient surtout consisté en des coups de pieds et de matraque à la tête et au corps. De plus, au cours de l’entretien, ces personnes ont affirmé qu’un sac de plastique leur était mis sur la tête, faisant naître en eux une sensation d’asphyxie (une pratique appelée « la bolsa ») et que, en même temps, elles étaient contraintes d’accomplir des exercices physiques prolongés. Une personne a dit avoir été menacée d’abus sexuels, après que son pantalon et ses sous-vêtements avaient été ôtés, tandis qu’une autre a déclaré avoir été victime d’abus de ce type. Plusieurs personnes ont également signalé qu’elles avaient entendu les hurlements d’un compagnon depuis une salle d’interrogatoire adjacente. Au vu des éléments recueillis, il apparaît que les mauvais traitements allégués visaient à faire signer par la personne détenue une déclaration (par exemple des aveux) avant la fin de la détention au secret et de faire valider cette déclaration au cours d’une audience en justice.

(...)

Une troisième personne a dit qu’elle avait été giflée et frappée à coups de poings pendant son transfert à Madrid par la Guardia Civil et que, au cours de son premier interrogatoire à Calle Guzman el Bueno, elle avait été mise à nu, drapée dans une couverture et frappée au sol à plusieurs reprises. Elle a allégué en outre que, au cours d’une séance d’interrogatoire, alors qu’elle était soumise à « la bolsa », de la vaseline lui avait été appliquée au vagin et à l’anus et qu’un bâton lui avait été inséré dans le rectum, tout en étant menacée d’abus sexuels plus graves si elle refusait de parler. Elle a ajouté par ailleurs que, au cours de chaque séance d’interrogatoire, elle était toujours dénudée et qu’elle et son compagnon étaient constamment sous la menace d’autres abus physiques. Elle a relaté en particulier que, après avoir été aspergée d’eau, des électrodes avaient été fixées à son corps et qu’on avait menacé de l’électrocuter. Les mauvais traitements auraient cessé une fois qu’elle avait décidé de produire une déclaration le dernier jour de sa détention au secret. Les allégations de mauvais traitements, y compris concernant les abus sexuels et les menaces d’électrocution, ont été consignées dans les rapports du médecin légiste à la date des troisième et quatrième examens médicaux. »

27. Le rapport du 9 octobre 2013 établi par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la suite de sa visite en Espagne du 3 au 7 juin 2013 (CommDH (2013)18) précise ce qui suit :

« (...) Les mauvais traitements perpétrés par les services répressifs et l’impunité de ces derniers sont un problème très grave et persistant en Espagne touchant les droits de l’homme, s’agissant en particulier des détentions au secret par la Guardia Civil. Dans un certain nombre d’affaires dont ont été saisis la Cour européenne des droits de l’homme et le Comité de l’ONU contre la torture (« le CAT »), il a été constaté que l’Espagne avait violé les standards des droits de l’homme prohibant la torture.

(...)

1. Violations des droits de l’homme dans le contexte des détentions au secret

100. Des éléments relatant un recours excessif à la force par les services répressifs espagnols au cours des manifestations contre l’austérité tenues en 2011 et 2012 ont mis en lumière un certain nombre de graves problèmes en matière de droits de l’homme tenant aux actions desdits services. De surcroît, la grâce accordée par l’État, notamment dans des affaires de graves violations des droits de l’homme, par exemple celle dont ont bénéficié en novembre 2012 quatre policiers reconnus coupables de faits de torture, est un sujet de préoccupation majeur pour le Commissaire.

101. Le Commissaire regrette que des violations des droits de l’homme – en particulier des mauvais traitements – continuent d’être commises par la Guardia Civil au cours de détentions au secret, malgré les recommandations formulées depuis longtemps par plusieurs organisations internationales de protection des droits de l’homme. Le groupe le plus important de requêtes se rapportant aux actions des services répressifs introduites devant la Cour et le CAT a pour objet des mauvais traitements subis par des personnes détenues au secret par la Guardia Civil.

102. Depuis 1991, le Comité pour la prévention de la torture (« le CPT ») appelle l’attention sur le problème des mauvais traitements commis par la Guardia Civil contre des personnes soupçonnées de certaines catégories d’infractions, par exemple d’« appartenance à des groupes armés de terroristes ou d’individus rebelles, ou [de] liens avec eux ». Les autorités espagnoles ont été invitées à abolir les détentions au secret au motif que, par leur nature même, celles-ci risquent de donner lieu à des abus et à des violations des droits de l’homme. Dans son rapport sur l’Espagne publié en mai 2013, le CPT a regretté que, en pratique, les garanties contre les violations des droits de l’homme à l’occasion de détentions au secret n’aient pas été renforcées depuis sa visite précédente et ses recommandations formulées en 2007. Il a déploré en particulier la possibilité pour les détenus de s’entretenir en privé avec leur avocat, bien qu’ils jouissent depuis 2007 du droit à un avocat commis d’office. Des garanties supplémentaires comme la possibilité de voir un médecin de son choix, le droit pour le détenu de prévenir sa famille de son incarcération ou l’enregistrement vidéo et audio 24 heures sur 24 de la détention au secret ne sont pas systématiquement mises en œuvre. Le CPT a également critiqué l’absence de contrôle judiciaire adéquat des détentions au secret et la quasi-impossibilité pour les détenus d’identifier les auteurs d’abus allégués puisqu’ils avaient régulièrement les yeux bandés au cours des interrogatoires. Le médiateur national, dans son rapport de 2012, a également jugé illégal et injustifiable le fait que des policiers ont interrogé des auteurs allégués d’infractions et se sont dans certains cas entretenus avec leurs avocats en se mettant une cagoule sur la tête de manière à ne pas pouvoir être identifiés. Par ailleurs, le CPT a souligné que, s’il n’y a plus de détention au secret de mineurs depuis 2007, il reste encore à modifier la législation applicable de manière à interdire complètement cette pratique.

103. Le Commissaire s’inquiète de ce que bon nombre d’allégations de graves mauvais traitements en détention, pourtant souvent confirmées par des médecins légistes, n’aient pas abouti à l’ouverture d’une enquête effective. Souvent, les enquêtes conduites sur des plaintes de mauvais traitements ne sont pas suffisamment effectives.

104. Dans quatre affaires, la Cour a conclu que l’Espagne avait violé l’article 3 de la CEDH pour défaut d’enquête effective sur des allégations de mauvais traitements commises à l’occasion de détentions au secret. Un premier arrêt rendu en 2004 (Martinez Sala et autres c. Espagne) concernait l’arrestation à Barcelone et Madrid de quinze personnes soupçonnées d’appartenir à un groupe armé et les mauvais traitements qu’elles disaient avoir subis par la suite alors qu’elles se trouvaient entre les mains de membres de la Guardia Civil. La Cour a conclu que investigations sur ces allégations n’étaient pas effectives.

(...)

105. Dans trois arrêts plus récents rendus contre l’Espagne, la Cour a une nouvelle fois conclu à des violations de l’article 3 de la CEDH commises au cours de détentions au secret. Ces arrêts mettaient en lumière un certain nombre de lacunes dans le système en vigueur, par exemple l’absence d’examen médicolégal indépendant et diligent des personnes détenues au secret, qui rendait ineffectives les enquêtes conduites sur les allégations de mauvais traitements commises par les services répressifs. À l’heure actuelle, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe surveille l’exécution de ces arrêts par l’Espagne.

106. Le CAT a pour sa part conclu dans deux affaires que l’Espagne avait violé la Convention contre la torture a raison d’enquêtes inadéquates sur des allégations de torture au cours de détentions au secret, de la main de membres de la Guardia civil à Madrid (dans l’affaire Encarnacion Blanco Abad) et par la police nationale basque au Pays basque (dans l’affaire Oskartz Gallastegi Sodupe). (...). Enfin, en mai 2013, le Comité des droits de l’homme de l’ONU a conclu, dans l’affaire María Cruz Achabal Puertas, que l’Espagne avait violé le Pacte international relatif aux droits civils et politiques faute d’enquête effective sur les faits de torture et autres formes de mauvais traitements que la requérante disait avoir subis alors qu’elle était détenue au secret par la Guardia Civil à Madrid.

(...)”

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

28. Le requérant estime qu’il n’y a pas eu d’enquête effective de la part des juridictions internes sur sa plainte au sujet des mauvais traitements qu’il aurait subis au cours de sa garde à vue au secret. Il invoque l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

29. Le Gouvernement récuse les allégations du requérant.

A. Sur la recevabilité

30. La Cour constate que le grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les thèses des parties

31. Le Gouvernement se réfère à l’arrêt de la Cour Egmez c. Chypre, y voyant l’idée qu’au sujet de griefs de violation de l’article 3 un recours peut être reconnu comme effectif sans devoir forcément conduire à la sanction des fonctionnaires impliqués (Egmez c. Chypre, no 30873/96, § 70, CEDH 2000‑XII). En ce qui concerne l’étendue d’une enquête approfondie et effective, le Gouvernement se réfère à l’arrêt Archip c. Roumanie (no 49608/08, §§ 61-62, 27 septembre 2011).

32. Il indique qu’en l’espèce le requérant n’avait suggéré que deux éléments de preuve, à savoir sa propre déposition devant le juge et l’apport de certains documents, et qu’il n’a pas non plus fourni d’éléments de preuve additionnels sur sa situation physique pour s’opposer au non-lieu rendu et demander la réouverture de la procédure d’instruction. Le Gouvernement est par conséquent d’avis qu’au vu de l’inexistence d’indices corroborant la plainte du requérant et des rapports des médecins légistes examinés, le non-lieu rendus par le juge d’instruction no 4 de Pampelune confirmé ultérieurement par l’Audiencia Provincial de Navarre doit être considéré comme suffisamment respectueux du devoir d’enquête qui découle de l’article 3 de la Convention.

33. Le requérant allègue que l’enquête menée par les autorités ne peut être considérée comme suffisante au regard des exigences de l’article 3 de la Convention, malgré le caractère défendable de ses griefs. Il rappelle qu’il avait sollicité de nombreux actes d’instruction et notamment demandé à être soumis à un examen médical propre à établir d’éventuelles séquelles physiques ou psychiques des mauvais traitements subis, ce qui a été refusé par le juge. Il note que ni son jeune âge (22 ans) ni le caractère disproportionné d’une détention au secret de quatre jours face au simple reproche d’avoir participé à l’organisation d’activités associatives pour la jeunesse indépendantiste n’ont été pris en compte. Par ailleurs, le requérant souligne que ni lui-même ni le médecin légiste n’ont été entendus, dans une enquête qui a duré presque deux ans. Il estime pour le moins discutable le raisonnement utilisé pour refuser l’audition des agents de police accusés des insultes et des menaces contre lui et sa famille, reposant sur l’idée qu’il n’existerait pas le « moindre indice de criminalité » et que les auditions seraient inutiles compte tenu de la prévisible négation des imputations (paragraphe 18 ci-dessus).

2. L’appréciation de la Cour

34. La Cour rappelle que, lorsqu’un individu affirme de manière défendable avoir subi, aux mains de la police ou d’autres services comparables de l’État, des sévices contraires à l’article 3, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l’État par l’article 1 de la Convention de « reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction, les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention », requiert, par implication, qu’il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l’instar de celle résultant de l’article 2, doit pouvoir mener à l’identification et à la punition des responsables (voir, en ce qui concerne l’article 2 de la Convention, les arrêts McCann et autres c. Royaume-Uni, 27 septembre 1995, § 161, série A no 324, Dikme c. Turquie, no 20869/92, § 101, CEDH 2000-VIII, Beristain Ukar, précité, § 28 et Otamendi, precité, § 38). S’il n’en allait pas ainsi, nonobstant son importance fondamentale, l’interdiction légale générale de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants serait inefficace en pratique et il serait possible dans certains cas à des agents de l’État de fouler aux pieds, en jouissant d’une quasi-impunité, les droits de ceux soumis à leur contrôle (Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 102, Recueil 1998‑VIII).

35. En l’espèce, la Cour note que le requérant a été placé gardé au secret pendant quatre jours sans pouvoir en informer une personne de son choix ni lui en communiquer le lieu, ni se faire assister par un avocat librement choisi. L’intéressé s’est plaint de manière précise et circonstanciée d’avoir fait l’objet de mauvais traitements au cours de sa garde à vue au secret : le 14 novembre 2008, lorsqu’il a été traduit devant le juge central d’instruction de l’Audiencia Nacional ; et une seconde fois le 6 avril 2009, lorsqu’il a porté plainte devant le juge d’instruction no 4 de Pampelune (par l’intermédiaire du juge de garde). La Cour estime dès lors que le requérant avait un grief défendable sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Elle rappelle que, dans ce cas, la notion de recours effectif implique, de la part de l’État, des investigations approfondies et effectives propres à conduire à l’identification et à la punition des responsables (Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 79, CEDH 1999‑V).

36. S’agissant des investigations menées par les autorités nationales au sujet des allégations de mauvais traitements, la Cour observe que le juge d’instruction no 4 de Pampelune a rendu son ordonnance de non-lieu provisoire du 10 février 2011 sur la seule base des rapports médicaux et des copies des dépositions faites par le requérant pendant sa garde secrète, qui lui ont suffi pour conclure que les tortures que le requérant imputait aux agents de la police nationale intervenus en l’espèce n’étaient pas accréditées, faute d’indices corroborant les faits décrits dans sa plainte. Elle note qu’aucune suite n’a été donnée aux demandes du requérant tendant à la production des enregistrements des caméras de sécurité des locaux où il était gardé, ou bien à l’identification et à l’audition des agents qui l’avaient interrogé ou qui avaient été en contact avec lui, ou encore à ce que soit pratiqué un examen médical pour établir l’existence d’éventuelles lésions ou séquelles psychologiques.

37. À la lumière des éléments qui précèdent, la Cour estime que l’enquête menée dans la présente affaire n’a pas été suffisamment approfondie et effective pour remplir les exigences précitées de l’article 3 de la Convention. Une investigation effective s’impose pourtant d’autant plus fortement lorsque, comme en l’espèce, le requérant se trouvait, pendant la période de temps où les mauvais traitements allégués se seraient produits, dans une situation d’isolement et d’absence totale de communication avec l’extérieur, pareil contexte exigeant un effort plus important, de la part des autorités internes, pour établir les faits dénoncés. De l’avis de la Cour, l’administration des moyens de preuve supplémentaires suggérés par le requérant, tout particulièrement une audition des agents chargés de sa surveillance lors de sa garde à vue secrète, aurait pu contribuer à l’éclaircissement des faits, dans un sens ou dans l’autre, comme l’exige la jurisprudence de la Cour (paragraphe 34 ci-dessus).

38. La Cour insiste par ailleurs sur l’importance d’adopter les mesures recommandées par le CPT pour améliorer la qualité de l’examen médicolégal des personnes soumises à des détentions au secret (paragraphe 23 et suivants ci-dessus et Otamendi, précité, § 41). Elle estime que la situation de vulnérabilité particulière des personnes détenues au secret commande que soient imposées par le code de procédure pénale des mesures de surveillance juridictionnelle appropriées et que celles-ci soient rigoureusement appliquées, afin que les abus soient évités et que l’intégrité physique des détenus soit protégée (paragraphe 25 ci-dessus). La Cour souscrit aux recommandations du CPT, reprises par le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe dans son rapport du 9 octobre 2013 (paragraphe 27 ci-dessus) concernant aussi bien les garanties à assurer en pareil cas que le principe même, en Espagne, de la possibilité de garder une personne au secret.

39. En conclusion, eu égard à l’absence d’enquête approfondie et effective au sujet des allégations défendables du requérant (Martinez Sala et autres c. Espagne, no 58438/00, §§ 156-160, 2 novembre 2004) selon lesquelles il avait subi des mauvais traitements au cours de sa garde à vue, la Cour estime qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural.

40. Bien que le requérant maintienne « avoir fait l’objet de mauvais traitements et de torture dans la caserne de la Guardia Civil de Madrid », la Cour observe qu’il se déclare « conscient que les graves défauts dans l’enquête menée par les autorités espagnoles ont pour conséquence de le priver des éléments nécessaires à prouver les mauvais traitements subis », précisant dans ses observations « ne pas être en mesure de prouver avec le degré de certitude voulu par la jurisprudence une violation du volet matériel de l’article 3 de la Convention ».

41. Au vu de ce qui précède, la Cour n’estime pas nécessaire de se pencher sur le volet matériel du grief relatif à l’article 3 de la Convention à son égard et décide de ne pas l’examiner plus avant. Elle tient toutefois à signaler qu’elle est consciente des difficultés qu’un détenu peut rencontrer pour produire des preuves des mauvais traitements subis pendant une détention au secret, notamment lorsqu’il s’agit d’allégations d’actes de mauvais traitements ne laissant pas de traces. En outre, l’absence d’éléments probatoires suffisants, même si elle peut trouver sa cause dans l’insuffisance de l’enquête menée, ne permet pas à la Cour d’affirmer avec un degré de certitude conforme à sa propre jurisprudence que le requérant a été soumis, lors de son arrestation et de sa détention, à des mauvais traitements.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

42. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

43. Le requérant réclame 20 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’il aurait subi.

44. Le Gouvernement estime que rien ne saurait justifier pareil montant.

45. La Cour considère que, compte tenu de la violation constatée en l’espèce, une indemnité pour tort moral doit être accordée au requérant. Elle estime que le montant réclamé est raisonnable et décide de l’accorder en entier.

B. Frais et dépens

46. Notes d’honoraires à l’appui, le requérant demande 165,60 EUR pour les frais d’avoué engagés devant le Tribunal constitutionnel et 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant la Cour.

47. Le Gouvernement estime les sommes réclamées notoirement excessives.

48. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l’espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour estime raisonnable d’allouer la somme de 4 000 EUR au titre des frais et dépens pour la procédure nationale et pour la procédure devant la Cour et l’accorde au requérant.

C. Intérêts moratoires

49. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

D. Demande de déclaration d’insaisissabilité

50. Le requérant invite la Cour à préciser dans son arrêt que les montants alloués au titre de l’article 41 ne pourront donner lieu à aucune saisie pour des motifs de compensation avec des dettes envers le Royaume d’Espagne.

51. Quant à la demande du requérant tendant à ce que les sommes accordées ne soient pas saisies par le Gouvernement, ce dernier estime qu’une telle prétention n’entre pas dans la compétence de la Cour. Au demeurant, le Gouvernement ignore s’il y a des créanciers reconnus et habilités à demander la saisie des sommes en cause. En tout état de cause, il renvoie à la décision CM/Del/OJ/DH(2013)1186/19 du 2 décembre 2013 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe dans le cadre de l’exécution de l’arrêt Del Río Prada c. Espagne [GC] (no 42750/09, CEDH 2013), selon laquelle :

« la pratique du Comité des Ministres ne semble pas faire obstacle à ce que les sommes allouées au titre de la satisfaction équitable pour préjudice moral soient retenues par les autorités en compensation des dettes internes des requérants envers des personnes privées (...)

Pour ce qui est du paiement des frais et dépens, le Comité des Ministres a porté une attention particulière à ce que les représentants des requérants dans la procédure devant la Cour soient payés, cela étant perçu comme un moyen de préserver l’effectivité du droit de recours individuel (...) ».

52. La Cour rappelle qu’elle n’a pas compétence pour accéder à une telle demande (voir, notamment, arrêts Philis c. Grèce (no 1), 27 août 1991, § 79, série A no 209, Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, §§ 18-19, série A no 308, Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 133, CEDH 1999‑V). En conséquence, elle ne peut que s’en remettre à la sagesse des autorités espagnoles sur ce point ainsi qu’à la décision du Comité des Ministres dans le cadre de l’exécution du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention dans son volet procédural ;

3. Dit qu’elle n’estime pas nécessaire de se pencher sur le volet matériel du grief relatif à l’article 3 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention, les sommes suivantes :

i) 20 000 EUR (vingt mille euros) pour dommage moral ;

ii) 4 000 EUR (quatre mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par le requérant, pour frais et dépens ;

b) qu’à compter de l’expiration de ce délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 octobre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Marialena TsirliJosep Casadevall
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-146772
Date de la décision : 07/10/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Enquête efficace) (Volet procédural)

Parties
Demandeurs : ATAUN ROJO
Défendeurs : ESPAGNE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BILBAO GREDILLA L. ; SANCHEZ SETIEN O. ; PETER O. ; ROUGET D.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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