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16/09/2014 | CEDH | N°001-146376

CEDH | CEDH, AFFAIRE ROZALIA AVRAM c. ROUMANIE, 2014, 001-146376


TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ROZALIA AVRAM c. ROUMANIE

(Requête no 19037/07)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

16 septembre 2014

DÉFINITIF

16/12/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Rozalia Avram c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Dragoljub Popović,
Luis Lóp

ez Guerra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré...

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ROZALIA AVRAM c. ROUMANIE

(Requête no 19037/07)

ARRÊT

(Fond)

STRASBOURG

16 septembre 2014

DÉFINITIF

16/12/2014

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Rozalia Avram c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Alvina Gyulumyan,
Dragoljub Popović,
Luis López Guerra,
Johannes Silvis,
Valeriu Griţco,
Iulia Antoanella Motoc, juges,
et de Fatoş Aracı, greffière adjointe de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 août 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 19037/07) dirigée contre la Roumanie et dont une ressortissante de cet État, Mme Rozalia Avram (« la requérante »), a saisi la Cour le 11 avril 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par Me M. Scarlat, avocate à Arad. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») a été représenté par son agente, Mme C. Brumar, du ministère des Affaires étrangères.

3. La requérante se plaint, sous l’angle de l’article 6 § 1 de la Convention, d’une atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques.

4. Le 8 décembre 2011, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est née en 1947 et réside à Arad.

6. En 1975, en vertu de la législation sur la prescription, l’État inscrivit sur le livre foncier son droit de propriété sur un immeuble situé à Arad qui avait appartenu à l’évêché catholique d’Oradea (ci-après « l’évêché »). En 1980, l’immeuble fut partagé en plusieurs appartements.

7. En 1997, en application de la loi no 112/1995 concernant la situation juridique de certains biens immeubles à usage d’habitation, l’État vendit à la requérante un appartement qu’elle occupait en tant que locataire. Cet appartement provenait lui-même de la division d’un autre appartement plus grand situé dans l’immeuble susmentionné. La même année, d’autres appartements situés dans l’immeuble furent également vendus aux locataires. Certains acquéreurs inscrivirent ces appartements à leurs noms sur le livre foncier.

8. En 1998, l’évêché demanda au tribunal de première instance d’Arad la restitution de l’immeuble. Invoquant les dispositions de l’article 6 de la loi no 213/1998 concernant le domaine public de l’État, il soutint que l’appropriation de l’immeuble avait été illégale au motif que la législation sur la prescription ne constituait pas un titre de propriété valable.

9. Par conséquent, l’évêché demanda la modification du livre foncier, réclamant la radiation des inscriptions au nom de l’État concernant les appartements litigieux. Invoquant l’article 9 de la loi no 112/1995, il sollicita également l’annulation de la vente des appartements et la radiation des inscriptions au nom des tiers acquéreurs, alléguant que la vente était illégale.

10. Par un jugement du 7 décembre 1998, le tribunal rejeta l’action estimant que le transfert du bien dans le patrimoine de l’État avait respecté la législation en vigueur à l’époque et que les contrats de vente étaient valables. Le pourvoi de l’évêché fut rejeté par un arrêt définitif de la cour d’appel de Timişoara du 17 décembre 1999.

11. En 2003, les autorités administratives firent droit partiellement à une demande de restitution de l’évêché, qui invoquait deux ordonnances du Gouvernement adoptées en 2000 et 2002 concernant les biens ayant appartenu aux cultes religieux, et lui restituèrent les appartements qui n’avaient pas fait l’objet d’une vente.

12. L’évêché forma une nouvelle action contre les autorités locales et les tiers acquéreurs, y compris la requérante, demandant l’annulation des contrats. Il soutint que l’appropriation de l’immeuble avait été illégale et que la vente des appartements avait méconnu les dispositions de la loi no 112/1995.

13. Par un jugement du 15 mai 2003, le tribunal de première instance d’Arad rejeta l’action en raison de l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 17 décembre 1999. L’appel de l’évêché fut rejeté par un arrêt du 3 novembre 2003 du tribunal départemental d’Arad qui confirma l’autorité de la chose jugée.

14. Par un arrêt du 16 décembre 2004, la cour d’appel de Timişoara accueillit le pourvoi de l’évêché. La cour d’appel estima que, en application des ordonnances susmentionnées et après l’entrée en vigueur de la loi no 10/2001 sur le régime juridique des immeubles pris abusivement par l’État, les décisions judiciaires concernant les immeubles nationalisés ne jouissaient pas de l’autorité de la chose jugée. Par conséquent, elle renvoya l’affaire au tribunal de première instance pour un nouvel examen du fond.

15. Par un jugement du 26 octobre 2005, le tribunal accueillit l’action de l’évêché. Il considéra que, par rapport à l’article 6 de la loi no 213/1998, le transfert du bien litigieux dans le patrimoine de l’État avait été illégal, la législation de l’époque sur la prescription ne pouvant pas constituer une base légale pour ce transfert. Le tribunal annula également les contrats de vente, estimant qu’ils avaient enfreint les dispositions de l’article 9 de la loi no 112/1995 dès lors que l’immeuble avait appartenu à une organisation religieuse et non pas à un particulier.

16. Sur appel de la requérante et des autres acquéreurs, ce jugement fut confirmé par un arrêt du tribunal départemental d’Arad en date du 9 mars 2006 puis, sur pourvoi des mêmes personnes, par un arrêt définitif de la cour d’appel de Timişoara prononcé le 25 octobre 2006.

17. Les appartements furent réinscrits au livre foncier au nom de l’État. La demande de l’évêché visant à la restitution de l’ensemble de l’immeuble est toujours pendante devant les autorités internes.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

18. Les principales dispositions législatives, la pratique administrative et la jurisprudence interne relatives au régime juridique des biens nationalisés ou confisqués par l’État sous le régime communiste ont été décrites dans les arrêts Maria Atanasiu et autres c. Roumanie (nos 30767/05 et 33800/06, §§ 44-80, 12 octobre 2010) et Preda et autres c. Roumanie (nos 9584/02, 33514/02, 38052/02, 25821/03, 29652/03, 3736/03, 17750/03 et 28688/04, §§ 70-74, 29 avril 2014).

19. L’article 9 de la loi no 112/1995 concernant la situation juridique de certains biens immeubles à usage d’habitation se lit ainsi :

« Les locataires des logements qui ne sont pas restitués en nature aux anciens propriétaires ou à leurs héritiers [selon la procédure instituée par la présente loi] peuvent opter (...) pour l’achat de ces logements par paiement intégral ou échelonné. »

20. L’article 6 § 1 de la loi no 213/1998 sur le domaine public de l’État se lit ainsi :

« Font également partie du domaine public ou privé de l’État ou des autres entités administratives les biens acquis par l’État entre le 6 mars 1945 et le 22 décembre 1989, pour autant qu’ils sont entrés dans le patrimoine de l’État en vertu d’un titre valable, c’est-à-dire dans le respect de la Constitution, des traités internationaux auxquels la Roumanie était partie et des lois en vigueur à la date à laquelle les biens en question sont entrés dans le patrimoine de l’État. »

21. L’article 1201 du code civil en vigueur à l’époque des faits était ainsi libellé:

« Pour que le jugement acquière autorité de la chose jugée, il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »

22. L’article pertinent en l’espèce du nouveau code de procédure civile, entré en vigueur le 15 février 2013, se lit ainsi :

Article 509 § 10

« La révision d’une décision portant sur le fond d’une affaire (pronunţate asupra fondului sau care evocă fondul) peut être demandée si :

(...)

10. la Cour européenne des droits de l’homme a constaté une violation des droits et libertés fondamentaux en raison d’une décision de justice et si les conséquences graves de cette violation existent toujours. »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

23. La requérante dénonce une atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques, au motif que, par son arrêt définitif du 25 octobre 2006, la cour d’appel de Timişoara a annulé le contrat de vente de son appartement et a ainsi – à ses yeux – remis en cause l’autorité de la chose jugée de l’arrêt définitif qu’elle avait elle-même rendu le 17 décembre 1999. Elle invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

A. Sur la recevabilité

24. Le Gouvernement objecte que la requérante n’a pas la qualité de victime, au sens de l’article 34 de la Convention, d’une éventuelle méconnaissance de l’article 6 § 1 de Convention. À cet égard, il expose que la requérante n’a pas été partie à la première procédure devant les juridictions internes, finalisée par l’arrêt du 17 décembre 1999 qui a rejeté l’action de l’évêché. Par conséquent, il estime que la requérante ne saurait alléguer une atteinte à la sécurité des rapports juridiques du fait de la prétendue méconnaissance de cet arrêt dans la seconde procédure qui a visé, parmi d’autres anciens locataires, l’intéressée.

25. La requérante conteste cette thèse. Si elle admet qu’elle n’a pas participé à la première procédure, elle considère que la raison en était une négligence des autorités locales qui n’auraient pas informé l’évêché de la vente et n’auraient pas mentionné au livre foncier la division de l’appartement plus grand, ce qui l’aurait empêchée d’inscrire son droit au livre foncier (paragraphe 7 ci-dessus).

26. En tout état de cause, elle souligne que la première procédure, introduite contre l’État, concernait l’ensemble de l’immeuble, y compris son appartement, inscrit sur le livre foncier au nom de l’État. Par conséquent, elle s’estime victime au motif que l’annulation de son contrat, décidée à l’issue de la seconde procédure, aurait méconnu les conclusions de l’arrêt du 17 décembre 1999.

27. La Cour considère que l’exception soulevée par le Gouvernement est étroitement liée au fond du grief présenté par la requérante sur le terrain de l’article 6 de la Convention puisque l’appréciation de la qualité de victime tient dans une large mesure aux effets attachés à l’existence et aux conclusions de l’arrêt du 17 décembre 1999 de la cour d’appel de Timişoara (voir, mutatis mutandis, Hogea c. Roumanie, no 31912/04, § 38, 29 octobre 2013). Dès lors, il convient de la joindre au fond de l’affaire.

28. Constatant en outre que le grief de la requérante n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité, la Cour le déclare recevable.

B. Sur le fond

1. Arguments des parties

29. La requérante expose que, dans son arrêt du 17 décembre 1999, la cour d’appel de Timişoara a explicitement validé le transfert de l’immeuble dans le patrimoine de l’État, tout comme la légalité de la vente des appartements à des locataires. Elle estime que cet arrêt avait acquis l’autorité de la chose jugée et que, par conséquent, la même cour d’appel ne pouvait pas revenir sur ses propres conclusions sans porter atteinte au principe de la sécurité des rapports juridiques.

30. Le Gouvernement estime que l’autorité de la chose jugée de l’arrêt du 17 décembre 1999 n’a pas été méconnue, les conditions prévues par l’article 1201 de l’ancien code civil pour son application n’étant, à ses yeux, pas remplies. Il considère que les juridictions internes ont dûment répondu à l’argument des parties défenderesses tiré de l’autorité de la chose jugée de cet arrêt. Il expose qu’elles ont écarté cet argument au motif que, dans la seconde action, l’évêché invoquait une nouvelle législation, à savoir les ordonnances du Gouvernement concernant les biens ayant appartenu aux cultes religieux et un important changement législatif apporté par la loi no 10/2001.

2. Appréciation de la Cour

31. La Cour rappelle que le droit à un procès équitable garanti par l’article 6 § 1 de la Convention doit s’interpréter à la lumière du préambule de la Convention, qui énonce la prééminence du droit comme élément du patrimoine commun des États contractants. L’un des éléments fondamentaux de la prééminence du droit est le principe de la sécurité des rapports juridiques, qui veut, entre autres, que la solution donnée de manière définitive à tout litige par les tribunaux ne soit plus remise en cause (Brumărescu c. Roumanie [GC], no 28342/95, § 61, CEDH 1999-VII, et Kehaya et autres c. Bulgarie, nos 47797/99 et 68698/01, § 61, 12 janvier 2006). En vertu de ce principe, une partie ou une autorité de l’État ne peuvent solliciter la révision d’un jugement définitif et exécutoire à seule fin d’obtenir un réexamen de l’affaire et une nouvelle décision à son sujet, à moins que des motifs substantiels et impérieux ne l’exigent (Riabykh c. Russie, no 52854/99, §§ 52 et 56, CEDH 2003-IX).

32. La Cour a ainsi maintes fois conclu à la violation de l’article 6 de la Convention à raison de l’annulation par la voie d’un recours extraordinaire, sans motifs substantiels et impérieux, de décisions de justice définitives (voir, parmi d’autres, les arrêts Brumărescu et Riabykh, précités). Elle a également considéré dans plusieurs affaires que, même en l’absence d’annulation d’un jugement, la remise en cause de la solution apportée à un litige par une décision de justice définitive dans le cadre d’une autre procédure judiciaire pouvait porter atteinte à l’article 6 de la Convention dans la mesure où elle pouvait rendre illusoire le droit à un tribunal et enfreindre le principe de la sécurité juridique (Kehaya et autres, précité, §§ 67-70, Gök et autres c. Turquie, nos 71867/01, 71869/01, 73319/01 et 74858/01, §§ 57-62, 27 juillet 2006, et Esertas c. Lituanie, no 50208/06, §§ 23-32, 31 mai 2012).

33. En l’espèce, la Cour note que, le 17 décembre 1999, à l’issue de la première action en restitution de l’immeuble, la cour d’appel de Timişoara a écarté les arguments que l’évêché tirait des lois nos 112/1995 et 213/1998 pour alléguer la nullité de l’appropriation du bien litigieux par l’État et la vente des appartements aux locataires. Elle note que la cour d’appel a jugé que le titre de propriété de l’État et la vente des appartements étaient valables.

34. La Cour constate qu’à l’occasion de la seconde action, introduite après l’entrée en vigueur des ordonnances concernant les biens ayant appartenu aux cultes religieux et de la loi no 10/2001, la même cour d’appel est revenue sur ses conclusions dans son arrêt définitif du 25 octobre 2006, estimant cette fois que le transfert du bien et la vente des appartements étaient illégaux car contraires aux lois nos 112/1995 et 213/1998.

35. La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence constante, elle n’a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. En particulier, il ne lui appartient pas de connaître des erreurs de fait ou de droit prétendument commises par une juridiction interne, ou de substituer sa propre appréciation à celle des juridictions nationales, sauf si et dans la mesure où ces erreurs lui semblent susceptibles d’avoir entraîné une atteinte aux droits et libertés garantis par la Convention (García Ruiz c. Espagne [GC], no 30544/96, §§ 28-29, CEDH 1999-I).

36. Elle rappelle également que, dans tous les systèmes juridiques, l’autorité de la chose jugée d’une décision de justice définitive comporte des limitations ad personam et ad rem (Esertas, précité, § 22).

37. Cela étant, tout en acceptant que dans la présente affaire il n’y avait pas d’identité des parties dans les deux procédures internes, la Cour constate que ces procédures concernaient le même immeuble et qu’elles portaient sur la même question juridique, à savoir le caractère légal ou non de l’appropriation et de la vente du bien par l’État, déterminante pour leur issue (voir, mutatis mutandis, Siegle c. Roumanie, no 23456/04, § 36, 16 avril 2013).

38. De surcroît, la Cour note que les juridictions internes ont examiné cette question par rapport aux mêmes dispositions législatives, à savoir l’article 9 de la loi no 112/1995 et l’article 6 de la loi no 213/1998, à l’égard desquels elles ont adopté une interprétation diamétralement opposée (paragraphes 10 et 15 ci-dessus).

39. D’après le Gouvernement, le changement normatif apporté par les deux ordonnances du Gouvernement et la loi no 10/2001 justifiait le réexamen de la légalité de l’appropriation de l’immeuble par l’État et de la vente des appartements.

40. À ce sujet, la Cour ne sous-estime ni la complexité du processus d’adoption des mesures réparatrices au titre des privations de propriété subies avant 1989 ni son impact économique et social. Toutefois, cela ne saurait exonérer l’État de ses obligations au regard des droits garantis par la Convention.

41. En particulier, la Cour souligne que le fait que de nouvelles dispositions ont été introduites pour améliorer la protection des droits des anciens propriétaires ne peut pas se faire au détriment des principes fondamentaux qui sous-tendent la Convention, tels le principe de la sécurité des rapports juridiques (voir, mutatis mutandis, Străin et autres c. Roumanie, no 57001/00, § 53, CEDH 2005‑VII). Dans ce contexte, le défaut de cohérence sur le plan législatif et la remise en cause des solutions définitives des litiges données par les tribunaux sont de nature à engendrer une incertitude permanente et à diminuer la confiance du public dans le système judiciaire, qui est l’une des composantes fondamentales de l’État de droit (voir, mutatis mutandis, Păduraru c. Roumanie, no 63252/00, §§ 98 et 99, CEDH 2005‑XII (extraits)).

42. Pour la Cour, la présente affaire ne concerne assurément pas l’effacement d’une décision de justice « irrévocable » et ayant acquis l’autorité de la chose jugée (comparer avec Brumărescu, précité, § 62). Toutefois, l’on peut raisonnablement penser que la nouvelle appréciation des faits opérée par la cour d’appel, qui a conduit celle-ci à rendre un arrêt radicalement opposé à son arrêt antérieur, a porté atteinte au principe de la sécurité juridique, et ce d’autant plus que la requérante attendait légitimement que cette même juridiction tranchât la suite du même litige dans le sens du respect de l’autorité de la chose jugée de son précédent arrêt (voir, mutatis mutandis, Siegle, précité, § 38, et Amurăriţei c. Roumanie, no 4351/02, § 37, 23 septembre 2008).

43. Par conséquent, la Cour estime que la cour d’appel, en revenant sur la question de la légalité du transfert du bien litigieux et de la vente des appartements – qui avait déjà été tranchée et qui avait fait l’objet d’une décision définitive –, et ce en l’absence de faits nouveaux, a enfreint le principe de la sécurité des rapports juridiques.

44. Ces éléments suffisent à la Cour pour rejeter l’exception tirée de l’absence de qualité de victime et pour conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1 À LA CONVENTION

45. La requérante allègue que l’annulation du contrat de vente de son appartement a emporté violation de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

46. Compte tenu de la conclusion à laquelle elle est arrivée sur le terrain de l’article 6 § 1 de la Convention ci-dessus, la Cour estime qu’il n’y a lieu d’examiner ni la recevabilité ni le bien-fondé du grief présenté par la requérante sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

47. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

48. Au titre du préjudice matériel qu’elle dit avoir subi, la requérante réclame la restitution de l’appartement litigieux ou l’octroi de 70 000 euros (EUR), précisant que cette somme représente la valeur de l’appartement. Au titre du dommage moral, elle demande 5 000 EUR.

49. Le Gouvernement affirme que les prétentions de la requérante au titre du préjudice matériel sont excessives. Quant au préjudice moral, il considère que le constat de violation pourrait constituer une satisfaction équitable suffisante.

50. La Cour estime que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état. Par conséquent, il y a lieu de la réserver et de fixer dans un délai de six mois à compter de la date du présent arrêt la procédure ultérieure en tenant compte de l’éventualité d’un accord entre l’État défendeur et la requérante.

B. Frais et dépens

51. La requérante, qui a bénéficié de l’assistance judiciaire du Conseil de l’Europe, ne demande pas de remboursement de frais et dépens supplémentaires.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Joint au fond l’exception tirée de la qualité de victime de la requérante et la rejette ;

2. Déclare la requête recevable quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner la recevabilité et le bien-fondé du grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 à la Convention ;

5. Dit que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouve pas en état ;

En conséquence :

a) la réserve en entier ;

b) invite le Gouvernement et la requérante à lui adresser par écrit, dans un délai de six mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, leurs observations sur cette question et, notamment, à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir ;

c) réserve la procédure ultérieure et délègue au président de la chambre le soin de la fixer au besoin.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 septembre 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Fatoş AracıJosep Casadevall
Greffière adjointePrésident


Synthèse
Formation : Cour (troisiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-146376
Date de la décision : 16/09/2014
Type d'affaire : au principal
Type de recours : Violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile;Article 6-1 - Procès équitable)

Parties
Demandeurs : ROZALIA AVRAM
Défendeurs : ROUMANIE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCARLAT M.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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