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16/07/2014 | CEDH | N°001-145775

CEDH | CEDH, AFFAIRE ALIŠIĆ ET AUTRES c. BOSNIE-HERZÉGOVINE, CROATIE, SERBIE, SLOVÉNIE ET « L'EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE », 2014, 001-145775


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ALIŠIĆ ET AUTRES c. BOSNIE-herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et L’ex-République yougoslave de Macédoine

(Requête no 60642/08)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juillet 2014

Cet arrêt est définitif.




En l’affaire Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi, <

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Mark Villiger,
Isabelle Berro,
Davíd Thór Björgvinsson,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Päivi Hirvelä,
Mirjana L...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ALIŠIĆ ET AUTRES c. BOSNIE-herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et L’ex-République yougoslave de Macédoine

(Requête no 60642/08)

ARRÊT

STRASBOURG

16 juillet 2014

Cet arrêt est définitif.

En l’affaire Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro,
Davíd Thór Björgvinsson,
Danutė Jočienė,
Dragoljub Popović,
Päivi Hirvelä,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Ganna Yudkivska,
Angelika Nußberger,
Linos-Alexandre Sicilianos,
André Potocki,
Faris Vehabović,
Ksenija Turković, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 10 juillet 2013 et le 28 mai 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 60642/08) dirigée contre la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Serbie, la Slovénie et l’ex‑République yougoslave de Macédoine (« les Gouvernements ») et dont trois ressortissants bosniens, Mme Emina Ališić, M. Aziz Sadžak et M. Sakib Šahdanović (« les requérants »), ont saisi la Cour le 30 juillet 2005 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). La première requérante a également la nationalité allemande.

2. Les requérants allèguent que depuis la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie ils se trouvent dans l’incapacité de retirer les « anciens » fonds d’épargne en devises qu’ils avaient déposés sur des comptes ouverts auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de la succursale de Tuzla d’Investbanka. Ils invoquent les articles 13 et 14 de la Convention, ainsi que l’article 1 du Protocole no 1.

3. La requête a été attribuée à la quatrième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement de la Cour – « le règlement »). Le 17 octobre 2011, une chambre de cette section composée de Nicolas Bratza, Lech Garlicki, Nina Vajić, Boštjan M. Zupančič, Ljiljana Mijović, Dragoljub Popović et Mirjana Lazarova Trajkovska, juges, ainsi que de Lawrence Early, greffier de section, a décidé de joindre au fond l’exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par les Gouvernements et a déclaré la requête recevable.

4. Par un arrêt du 6 novembre 2012, la chambre a rejeté par six voix contre une l’exception de non-épuisement des voies de recours internes et a dit :

– à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no l par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović ;

– par six voix contre une, qu’il y avait eu violation de l’article 1 du Protocole no l par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak ;

– à l’unanimité, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 par les autres États défendeurs ;

– à l’unanimité, qu’il y avait eu violation de l’article 13 de la Convention par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović ;

– par six voix contre une, qu’il y avait eu violation de l’article 13 de la Convention par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak ;

– à l’unanimité, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 13 de la Convention par les autres États défendeurs ;

– à l’unanimité, qu’il n’y avait pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 en ce qui concerne la Serbie et la Slovénie, et qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 par les autres États défendeurs.

À l’arrêt se trouvait joint l’exposé de l’opinion dissidente du juge Zupančič.

5. Le 18 mars 2013, faisant droit à la demande formulée par le gouvernement serbe et le gouvernement slovène, le collège de la Grande Chambre a décidé de renvoyer l’affaire devant celle-ci en vertu de l’article 43 de la Convention.

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement. À la suite du déport de Boštjan M. Zupančič, juge élu au titre de la Slovénie (article 28 du règlement), le gouvernement slovène a désigné Angelika Nußberger, juge élue au titre de l’Allemagne, pour siéger à sa place (articles 26 § 4 de la Convention et 29 du règlement). Davíd Thór Björgvinsson et Danutė Jočienė, dont les mandats avaient expiré le 31 octobre 2013, ont continué à siéger dans l’affaire (articles 23 § 3 de la Convention et 24 § 4 du règlement).

7. Les parties ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 10 juillet 2013 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour les requérants
M.B. Mujčin,
MeE. Eser, conseils,
M.A. Mustafić, assistant ;

– pour le gouvernement de la Bosnie-Herzégovine
MmesM. Mijić, agent,
B. Skalonjić, agent assistant,
E. Veledar Arifagić,
MM.Z. Kelić,
T. Ćurak,
S. Bakić,
E. Kubat,
MmesV. Tufek,
N. Trossat,
M.M. Mahmutović, conseillers ;

– pour le gouvernement croate
MmesŠ. Stažnik,agent,
N. Katić,
A. Metelko-Zgombić,
M. Bašić,
J. Vlašić,
B. Grabovac,
V. Zvonar,conseillers ;

– pour le gouvernement serbe
M.S. Carić,agent,
MmesV. Rodić,
D. Dobrković,

MM.N. Petković,
B. Milisavljević,
B. Kurbalija,
MmeS. Đurđević,conseillers ;

– pour le gouvernement slovène
MmeN. Pintar-Gosenca,agent,
Mes C. Annacker,conseil,
A. Nee,
Mme M. Prevc,
M.R. Gabrovec,
MmeA. Polak-Petrič,
MeA. Kulick,conseillers ;

– pour le gouvernement macédonien
M.K. Bogdanov,agent,
MmeV. Stanojevska,conseiller.

La Cour a entendu en leurs déclarations M. Mujčin, Mme Mijić, Mme Stažnik, M. Carić, Me Annacker et M. Bogdanov.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Introduction

9. Les requérants sont nés en 1976, en 1949 et en 1952 respectivement. Ils résident en Allemagne.

10. Avant la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY »), deux des requérants, Mme Ališić et M. Sadžak, avaient déposé des fonds en devises sur des comptes ouverts auprès de la Ljubljanska Banka Sarajevo[1]. En 1990, dans le cadre des réformes économiques menées en 1989-1990 (paragraphe 21 ci-dessous), la Ljubljanska Banka Sarajevo devint une succursale de la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque slovène. Le troisième requérant, M. Šahdanović, avait, également avant la dissolution de la RSFY, déposé des fonds en devises sur des comptes ouverts auprès de la succursale de Tuzla (Bosnie-Herzégovine) d’Investbanka, banque serbe. D’après les éléments dont la Cour dispose, les comptes ouverts par Mme Ališić et M. Sadžak auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana présentaient au 31 décembre 1991 des soldes créditeurs de 4 715 marks allemands (DEM) et de 129 874 DEM respectivement. Les comptes ouverts par M. Šahdanović auprès de la succursale de Tuzla d’Investbanka présentaient au 3 janvier 2002 des soldes créditeurs de 63 880 DEM, de 4 schillings autrichiens et de 73 dollars américains (USD) respectivement.

11. Les griefs soulevés sous l’angle de la Convention concernent l’incapacité dans laquelle les requérants se trouvent de retirer les fonds déposés sur ces comptes. Les intéressés soutiennent que cette situation s’analyse en une violation par les États défendeurs de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention. Par ailleurs, ils se disent victimes d’une violation de l’article 13 de la Convention.

B. La genèse de l’affaire

1. Le système bancaire commercial de la RSFY antérieur à la réforme de 1989-1990

a) Les banques de base, les banques associées et les banques nationales

12. Avant les réformes économiques de 1989-1990, le système bancaire commercial de la RSFY était composé de banques de base et de banques associées. Bien que dotée d’une personnalité juridique propre, chaque banque de base était intégrée dans la structure organisationnelle de l’une des neuf banques associées de la RSFY. En règle générale, les banques de base avaient pour fondatrices et propriétaires des sociétés en propriété collective sises dans l’entité territoriale où elles étaient implantées, c’est-à-dire dans l’une des républiques (la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Macédoine, le Monténégro, la Serbie et la Slovénie) ou provinces autonomes (le Kosovo et la Voïvodine) qui constituaient la RSFY. Fleurons du modèle yougoslave de l’autogestion, les sociétés en propriété collective ne relevaient ni d’un régime de propriété privée ni d’un régime de propriété publique, mais d’un régime de propriété détenue collectivement par leurs employés, qui en assuraient la direction selon une conception communiste de l’organisation du travail (le régime de la propriété collective et le statut des sociétés serbes qui en relèvent encore ont été décrits dans l’arrêt R. Kačapor et autres c. Serbie, nos 2269/06, 3041/06, 3042/06, 3043/06, 3045/06 et 3046/06, §§ 71-76 et 97, 15 janvier 2008). Deux ou plusieurs établissements de base pouvaient se réunir pour constituer une banque associée. La Ljubljanska Banka Ljubljana, qui était l’une des banques associées de la RSFY, regroupait la Ljubljanska Banka Sarajevo – dans laquelle deux des requérants détenaient des comptes –, la Ljubljanska Banka Zagreb[2], la Ljubljanska Banka Skopje[3] et d’autres banques de base. De la même manière, Investbanka, dont le troisième requérant était client, avait constitué avec d’autres banques de base une banque associée dénommée Beogradska udružena Banka.

13. Enfin, on dénombrait neuf banques nationales en RSFY, à savoir la Banque nationale de Yougoslavie (la « BNY ») et les banques nationales respectives des six républiques et des deux provinces autonomes.

b) Les dépôts en devises

14. Confrontée à un grand besoin de devises fortes, la RSFY incita ses ressortissants expatriés et les autres à déposer des devises dans ses banques en rémunérant leurs dépôts par un taux d’intérêt élevé (souvent supérieur à 10 % l’an) et en accordant à ces dépôts la garantie de l’État (article 14 § 3 de la loi de 1985 sur les opérations en devises[4] et article 76 § 1 de la loi de 1989 relative aux banques et autres établissements financiers[5]).

15. La garantie de l’État pouvait être appelée par les banques qui se trouvaient en situation d’« insolvabilité manifeste » (voir l’article 18 de la loi de 1989 sur l’insolvabilité des banques et autres établissements financiers[6] et la réglementation y afférente[7]). Aucune des banques dont il est ici question n’a formulé de demande en ce sens.

16. Les épargnants eux-mêmes n’étaient pas habilités à solliciter la garantie de l’État. En revanche, la loi de 1978 sur les obligations civiles[8] les autorisait à retirer à tout moment leurs avoirs, augmentés des intérêts acquis.

L’article 1035 de cette loi était ainsi rédigé :

« 1) Le dépôt monétaire est le contrat par lequel une banque reçoit en dépôt une somme que lui confie un déposant.

2) Le contrat de dépôt monétaire confère à la banque dépositaire le droit d’utiliser la somme déposée et lui fait obligation de la restituer selon les modalités stipulées au contrat. »

L’article 1043 § 1 de la loi se lisait ainsi :

« L’ouverture d’un compte d’épargne donne lieu, de la part de la banque ou de l’établissement financier concerné, à la délivrance d’un livret d’épargne au titulaire de ce compte. »

L’article 1044 de la loi était ainsi libellé :

« 1) Les dépôts et les retraits sont inscrits sur un livret.

2) Les inscriptions signées et estampillées portées au livret font preuve des dépôts et des retraits effectués.

3) Toute stipulation contraire est réputée nulle et non écrite. »

L’article 1045 de la loi énonçait :

« Les dépôts d’épargne portent intérêt. »

c) Le système des transferts

17. Au milieu des années 1970, les banques commencèrent à subir des pertes de change dues à la dépréciation du dinar. Pour faire face à cette situation, la RSFY instaura un système de « transfert » de devises autorisant les banques à transférer à la BNY les fonds en devises déposés par les ressortissants yougoslaves, à charge pour cette dernière d’assumer le risque de change (article 51 de la loi de 1977 sur les opérations en devises[9]). Bien que ce dispositif fût juridiquement facultatif, les banques n’eurent en réalité pas d’autre choix que d’y recourir car elles n’étaient pas autorisées à ouvrir dans des banques étrangères les comptes en devises nécessaires pour effectuer des paiements à l’étranger et elles n’étaient pas non plus habilitées à accorder des prêts en devises. En conséquence, elles transféraient à la BNY la quasi-totalité des devises en leur possession selon l’une ou l’autre des méthodes qui s’offraient à elles, à savoir la méthode « comptable » – autrement dénommée méthode « pro forma » – ou la méthode du virement effectif sur des comptes de la BNY à l’étranger. La méthode comptable était de loin la plus utilisée, car elle permettait aux banques commerciales de faire supporter le risque de change à la BNY et leur évitait de payer des frais aux banques étrangères (Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 36, 3 octobre 2008, ainsi que la décision AP 164/04 adoptée par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine le 1er avril 2006, § 53). Il ressort d’un rapport interne établi par la BNY en septembre 1988[10] que, au 30 juin 1988, le montant des devises ainsi transférées s’élevait à neuf milliards USD environ, dont 1,4 milliard (soit un peu plus de 15 %) seulement avait été effectivement viré sur les nombreux comptes étrangers de la BNY. Il semble que les fonds virés sur les comptes étrangers de la BNY aient été répartis récemment entre les États successeurs (paragraphe 65 ci-dessous).

18. Le système de transfert de devises en vigueur à la Ljubljanska Banka Sarajevo[11], où les deux premiers requérants avaient leurs comptes, obligeait cette banque, en application des accords qu’elle avait conclus avec la Ljubljanska Banka Ljubljana, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine et la Banque nationale de Slovénie, à transférer tous les mois à cette dernière, pour le compte de la Ljubljanska Banka Ljubljana, le solde créditeur des opérations de dépôt et de retrait de devises. Une partie de ce montant était ensuite rétrocédée à la Ljubljanska Banka Sarajevo, à sa demande, pour couvrir ses besoins de liquidités pendant les périodes où les retraits de devises étaient supérieurs aux dépôts. De 1984 à 1991, 244 665 082 DEM au total furent transférés à Ljubljana, et 41 469 528 DEM – soit moins de 17 % des fonds transférés – furent rétrocédés à Sarajevo. Les devises non rétrocédées à Sarajevo étaient transférées à la BNY selon l’une ou l’autre des méthodes décrites au paragraphe 17 ci-dessus, à savoir la méthode comptable (ou « pro forma ») – qui ne permet pas de savoir si les fonds ont effectivement quitté Ljubljana – ou la méthode du virement effectif sur des comptes étrangers de la BNY. Quelle que fût la méthode de transfert employée, les devises transférées étaient comptabilisées en tant que créances de la Ljubljanska Banka Sarajevo sur la BNY.

19. En vertu des accords mentionnés au paragraphe précédent, la BNY accordait à la Ljubljanska Banka Sarajevo, par l’intermédiaire de la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine, des prêts en dinars – initialement exempts d’intérêt – d’un montant correspondant à la contre-valeur en dinars des devises transférées. Cette banque de base utilisait les sommes en dinars ainsi prêtées pour accorder à son tour des prêts – à un taux d’intérêt inférieur à celui de l’inflation – à des entreprises implantées en règle générale dans la même unité territoriale qu’elle.

20. Fin 1988, une modification apportée à l’article 103 de la loi de 1985 sur les opérations en devises mit fin au système de transfert de devises. Les banques yougoslaves furent autorisées à ouvrir des comptes dans des banques étrangères. Comme d’autres banques, la Ljubljanska Banka Sarajevo usa de cette faculté et déposa, d’octobre 1988 à décembre 1989, environ 13,5 millions USD sur les comptes détenus par elle dans des banques étrangères. Rien dans le dossier ne permet de déterminer ce qu’il est advenu de ces fonds.

2. La réforme du système bancaire commercial de la RSFY (1989‑1990)

21. Lors des réformes menées en 1989-1990, la RSFY mit fin au système des banques de base et des banques associées décrit ci‑dessus. La modification de la réglementation bancaire permit à certaines banques de base d’acquérir leur autonomie, tandis que d’autres devinrent des succursales des anciennes banques associées auxquelles elles étaient auparavant rattachées. Le 1er janvier 1990, la Ljubljanska Banka Sarajevo, dont il a été question ci-dessus, devint une succursale de la Ljubljanska Banka Ljubljana, laquelle reprit l’ensemble de ses droits, de ses actifs et de son passif. Pour sa part, Investbanka (mentionnée ci-dessus) devint une banque autonome ayant son siège en Serbie et des succursales en Bosnie-Herzégovine.

22. En outre, la convertibilité du dinar fut instaurée, décision qui provoqua des retraits massifs de devises. Pour faire face à cette situation, la RSFY prit des mesures d’urgence restreignant de manière importante les retraits de devises. À ce titre, elle apporta à l’article 71 de la loi de 1985 sur les opérations en devises une modification, applicable à partir de décembre 1990, interdisant aux épargnants de retirer leurs avoirs à d’autres fins que le paiement de biens ou de services importés pour leur propre usage ou celui de leurs proches, l’achat d’obligations convertibles libellées en devises, la réalisation de legs à visées scientifiques ou humanitaires ou le paiement de primes de contrats d’assurance-vie passés avec des compagnies d’assurances nationales. De surcroît, les retraits autorisés pour les opérations en question furent plafonnés à 500 DEM par opération et à 1 000 DEM par mois en application de l’article 3 d’une décision adoptée par le gouvernement de la RSFY en avril 1991[12] – demeurée en vigueur jusqu’en février 1992 – et de l’article 17 c) d’une décision prise par la BNY en janvier 1991[13], qui fut déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle de la RSFY en avril 1992 (paragraphe 53 ci-dessous).

3. La dissolution de la RSFY (1991-1992)

23. La dissolution de la RSFY eut lieu en 1991-1992. Dans les États successeurs de la RSFY, les dépôts en devises effectués avant la dissolution furent soumis à un régime spécial. Ils sont communément désignés par l’expression « anciens » fonds d’épargne en devises ou fonds d’épargne en devises « gelés ». On trouvera ci-après un aperçu du droit interne réglementant ces fonds dans chacun des cinq États successeurs de la RSFY et des pratiques respectives de ceux-ci en la matière. Les États successeurs, présentés ci-après suivant l’ordre alphabétique de leurs dénominations respectives en anglais, sont aussi les États défendeurs dans la présente affaire.

C. Les situations respectives des États défendeurs

1. La Bosnie-Herzégovine

a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises

24. En 1992, la Bosnie-Herzégovine prit à sa charge la garantie légale accordée par la RSFY au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises (article 6 de la loi de 1992 sur l’application de la législation de la RSFY[14]). Bien que les dispositions légales pertinentes fussent imprécises sur ce point, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine considéra que la garantie ainsi reprise ne couvrait que les fonds déposés dans les banques bosniennes (voir le rapport 63/94 établi par la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine le 8 août 1994[15]).

25. Si tous les « anciens » fonds d’épargne en devises demeurèrent gelés pendant la guerre, des retraits étaient autorisés à titre exceptionnel, pour des motifs humanitaires ou d’autres raisons particulières (voir la réglementation pertinente[16]).

26. Après la guerre de 1992-1995, chacune des entités constituantes de la Bosnie-Herzégovine – la Fédération de Bosnie-Herzégovine (la « FBH ») et la Republika Srpska – légiféra sur les « anciens » fonds d’épargne en devises. Les succursales en cause dans la présente affaire étant situées en FBH, seule la législation de cette entité est pertinente en l’espèce. En 1997, la FBH prit à sa charge la garantie couvrant les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques et les succursales sises sur son territoire (article 3 § 1 de la loi de 1997 sur le règlement des créances[17] et décret de 1999 sur le règlement des créances des non-résidents[18]). Si les fonds en question demeuraient gelés, la loi en autorisait l’utilisation pour l’acquisition de logements d’État et d’entreprises publiques (article 18 de la loi de 1997 sur le règlement des créances, telle que modifiée en 2004).

27. En 2004, la FBH adopta une nouvelle législation par laquelle elle s’engageait à rembourser à leurs détenteurs, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans des banques sises sur son territoire. Cependant, l’article 9 § 2 de la loi de 2004[19] sur l’apurement des dettes publiques excluait expressément de cette garantie les fonds déposés dans les succursales de la Ljubljanska Banka Ljubljana, d’Investbanka ou d’autres banques étrangères, où les requérants avaient leurs comptes.

28. En 2006, les obligations contractées par les entités au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques bosniennes furent transférées à l’État. Celui-ci déclina derechef toute responsabilité quant aux dépôts effectués dans les succursales locales de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka, mais il s’engagea à aider les clients de ces succursales à recouvrer leurs avoirs auprès de la Slovénie et de la Serbie (article 2 de la loi de 2006 sur les « anciens » fonds d’épargne en devises[20]). En outre, il mit fin par la même loi à toutes les procédures portant sur les « anciens » fonds d’épargne en devises (voir l’article 28 de cette loi, qui fut déclaré conforme à la Constitution par la décision U 13/06 adoptée par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine le 28 mars 2008 (§ 35)).

b) Le statut de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de la Ljubljanska Banka Sarajevo (fondée en 1993)

29. Comme indiqué au paragraphe 21 ci-dessus, la Ljubljanska Banka Sarajevo devint en janvier 1990 une succursale de la Ljubljanska Banka Ljubljana, laquelle reprit l’ensemble de ses droits, de ses actifs et de son passif. Il ressort des inscriptions du registre des sociétés que cette succursale agissait au nom et pour le compte de sa maison mère. Si le montant des dépôts d’épargne en devises inscrits dans les comptes de cette succursale s’élevait à quelque 250 millions de DEM à la fin de l’année 1991, sa chambre forte contenait en réalité moins de 350 000 DEM à cette époque (les mouvements de fonds en devises entre Sarajevo et Ljubljana ont été décrits au paragraphe 18 ci-dessus).

30. Une nouvelle banque de droit bosnien, dénommée Ljubljanska Banka Sarajevo – comme la banque à laquelle la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana avait succédé – fut fondée en 1993. Elle prit à sa charge, de manière unilatérale, les obligations contractées au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque de droit slovène.

31. En 1994, la Banque nationale de Bosnie-Herzégovine procéda à une inspection au sein de la nouvelle Ljubljanska Banka Sarajevo, où elle découvrit de nombreuses irrégularités. En premier lieu, elle releva que les dirigeants de cette banque n’avaient pas été régulièrement nommés et que l’on ne savait pas au juste qui étaient les actionnaires. En conséquence, elle nomma un directeur, qu’elle plaça à la tête de la banque. En second lieu, elle considéra qu’une banque bosnienne telle que la Ljubljanska Banka Sarajevo ne pouvait pas reprendre les obligations contractées par une banque étrangère au titre d’« anciens » fonds d’épargne en devises, expliquant qu’une telle opération aurait pour effet d’imposer à la Bosnie-Herzégovine de nouvelles charges financières concernant la garantie légale accordée par l’État aux « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques bosniennes. Elle ordonna la réalisation en urgence d’un bilan de clôture de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana au 31 mars 1992 et la clarification des liens de celle-ci avec sa maison mère.

32. Toutefois, il ressort du registre des sociétés que la nouvelle Ljubljanska Banka Sarajevo est demeurée responsable jusqu’à fin 2004 des obligations contractées par la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises que celle-ci avait reçus en dépôt (paragraphe 35 ci-dessous). En conséquence, elle continua jusqu’à cette époque à gérer ces fonds, dont 3 % environ furent utilisés dans le cadre du processus de privatisation mené en FBH (paragraphe 26 ci‑dessus). Dans un cas précis, elle fut condamnée par un tribunal civil à rembourser un client de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana (Višnjevac c. Bosnie-Herzégovine (déc.), no 2333/04, 24 octobre 2006).

33. La situation antérieure à 2004 a été qualifiée de « chaotique » par la Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine (décision AP 164/04 du 1er avril 2006, § 55). Pour sa part, la Chambre des droits de l’homme de Bosnie-Herzégovine – institution nationale de protection des droits de l’homme – a jugé que l’insécurité juridique qui entourait pendant cette période la question des « anciens » fonds d’épargne en devises, notamment ceux qui avaient été déposés dans les succursales bosniennes de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka, s’analysait en une violation de l’article 1 du Protocole no 1 (décision CH/98/377 et autres du 7 novembre 2003, § 270).

34. En 2003, l’organisme de contrôle bancaire de la FBH plaça la Ljubljanska Banka Sarajevo sous administration provisoire au motif que cette banque de droit bosnien entretenait des liens mal définis avec la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque étrangère située en Slovénie.

35. La même année, le Parlement de la FBH apporta à la loi de 2000 sur le registre des sociétés[21] une modification prolongeant jusqu’en 2004 le délai légal de radiation des inscriptions portées sur ce registre pendant la guerre. Peu après, en novembre 2004, le tribunal municipal de Sarajevo jugea que la Ljubljanska Banka Sarajevo n’était pas le successeur de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana, banque de droit slovène, et qu’elle n’était pas responsable des obligations contractées par celle-ci au titre des « anciens » fonds en devises qu’elle avait reçus en dépôt. En conséquence, il ordonna la radiation des inscriptions contraires portées au registre des sociétés en 1993.

36. En 2006, la Ljubljanska Banka Sarajevo céda ses actifs à une société croate, qui s’engagea en contrepartie à régler ses dettes. Parallèlement, des locaux de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana placés sous l’administration du gouvernement de la FBH dans l’attente d’une décision définitive sur le statut de cette succursale furent loués à cette même société croate au nom et pour le compte de la Ljubljanska Banka Ljubljana.

37. En 2010, un tribunal ouvrit une procédure de faillite contre la Ljubljanska Banka Sarajevo en Bosnie-Herzégovine. Cette procédure est toujours pendante.

c) Le statut de la succursale de Tuzla d’Investbanka

38. La succursale de Tuzla d’Investbanka a toujours été une entité dépourvue de la personnalité juridique. Le montant des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans cette succursale s’élevait à quelque 67 millions USD (soit 100 millions DEM environ) au 31 décembre 1991. La succursale de Tuzla d’Investbanka ferma en juin 1992 et ne reprit jamais ses activités. On ne sait pas précisément ce qu’il est advenu des fonds dont elle était dépositaire.

39. En 2002, un tribunal serbe ouvrit une procédure de faillite contre Investbanka. Les autorités serbes vendirent les locaux des succursales d’Investbanka situées en FBH – comme elles avaient vendu en 1999 ceux des succursales de cette banque situées en Republika Srpska –, retirant par exemple 2 140 650 EUR de la vente des locaux de la rue de Džafer Mahala, à Tuzla. Il semble que la procédure de faillite dirigée contre Investbanka soit toujours pendante.

40. En 2010, le gouvernement de la FBH décida de placer les locaux et les archives des succursales d’Investbanka situées en FBH sous son administration. Toutefois, il semble qu’Investbanka n’avait plus de locaux et d’archives en FBH.

41. En 2011, à la demande des autorités de la FBH, les autorités serbes ouvrirent une enquête pénale pour déterminer comment les archives de la succursale de Tuzla avaient été transférées en Serbie en 2008.

2. La Croatie

a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises

42. Le gouvernement croate affirme avoir remboursé à leurs propriétaires – quelle que fût leur nationalité – les « anciens » fonds en devises déposés dans les banques croates et leurs succursales à l’étranger. Il est de fait établi que la Croatie a restitué à des ressortissants bosniens des fonds déposés dans des succursales de banques croates sises en Bosnie-Herzégovine. Cela étant, le gouvernement slovène a communiqué à la Cour des arrêts de la Cour suprême de Croatie (arrêt Rev 3015/1993-2 rendu en 1994, et arrêts Rev 3172/1995-2 et Rev 1747/1995-2, rendus en 1996) indiquant que le terme (građanin) employé dans la loi désigne les ressortissants croates (comparer avec Kovačić et autres, précité, § 77).

b) Le statut de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana

43. La Croatie autorisa ses ressortissants à transférer dans des banques croates les « anciens » fonds d’épargne en devises qu’ils avaient déposés auprès de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana (voir l’article 14 de la loi de 1993 sur les anciens fonds d’épargne en devises[22] et les textes pris pour son application[23]). Près des deux tiers des clients de cette succursale auraient effectué cette démarche. En mars 2013, la Croatie et la Slovénie conclurent un mémorandum d’entente appelant à de nouvelles négociations sur les questions de succession relatives aux avoirs ainsi transférés. Certains des clients de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana qui n’avaient pas transféré leurs dépôts – dont le montant total s’élevait à 300 millions DEM environ – dans des banques croates exercèrent des actions civiles devant les juridictions croates. Soixante-trois d’entre eux recouvrèrent leurs avoirs à l’issue d’une vente judiciaire d’actifs de cette succursale situés en Croatie (voir les décisions rendues par le tribunal municipal d’Osijek le 8 avril 2005 et le 15 juin 2010[24], ainsi que Kovačić et autres, précité, §§ 122-133). D’autres intentèrent devant les juridictions slovènes des actions civiles, dont certaines sont toujours pendantes (paragraphe 51 ci-dessous). Le gouvernement croate a produit des documents officiels d’où il ressort que la Ljubljanska Banka Ljubljana et sa succursale de Zagreb ne possèdent plus d’actifs en Croatie.

3. La Serbie

a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises

44. Les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques serbes demeurèrent gelés après la dissolution de la RSFY. Toutefois, les épargnants étaient autorisés à effectuer des retraits à titre exceptionnel, pour des motifs humanitaires, quelles que fussent leur nationalité et la localisation des succursales dont ils étaient clients (voir la réglementation pertinente[25]). En outre, la justice serbe a jugé en une occasion au moins que les banques sises en Serbie étaient responsables des obligations contractées au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans leurs succursales situées en Bosnie-Herzégovine (Šekerović c. Serbie (déc.), no 32472/03, 4 janvier 2007).

45. En 1998, puis en 2002, la Serbie s’engagea à rembourser, pour partie en numéraire et pour partie en obligations d’État, les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales serbes de banques serbes par ses citoyens et par les ressortissants d’États autres que les États successeurs de la RSFY, ainsi que ceux déposés dans les succursales étrangères de banques serbes (telles que la succursale de Tuzla d’Investbanka). Il était prévu que les obligations en question arriveraient à échéance en 2016, qu’elles seraient remboursables en douze annuités et qu’elles porteraient un intérêt de 2 % l’an (article 4 de la loi de 2002 sur les anciens fonds d’épargne en devises[26]). Les sommes à rembourser aux épargnants concernés devaient correspondre au montant nominal de leurs dépôts augmentés des intérêts au taux initial acquis au 31 décembre 1997 et des intérêts au taux de 2 % l’an acquis depuis cette date (article 2 de la même loi).

46. En revanche, les autres « anciens » fonds d’épargne en devises – ceux déposés par les ressortissants d’autres États successeurs dans l’ensemble des succursales de banques serbes situées en Serbie ou à l’étranger, et ceux déposés par les citoyens serbes dans des succursales étrangères de banques serbes – devaient rester gelés dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession (les avoirs du troisième requérant relèvent de cette catégorie de fonds). En outre, les articles 21 et 22 de la loi de 1998 sur les anciens fonds d’épargne en devises[27] et les articles 21 et 36 de la loi de 2002 sur les anciens fonds d’épargne en devises mirent fin à toutes les procédures relatives à ces fonds.

b) Le statut d’Investbanka et de ses succursales

47. D’après le registre des sociétés, Investbanka est une société publique. Elle est placée sous le contrôle de l’Agence serbe de garantie des dépôts. En tant qu’entité publique, elle a dû abandonner les importantes créances qu’elle détenait sur des entreprises publiques et des sociétés collectives pour que celles-ci puissent être privatisées, conformément à la loi de 2001 sur la privatisation[28]. En janvier 2002, une procédure de faillite – toujours pendante – fut ouverte contre elle. Plusieurs centaines de clients des succursales bosniennes de cette banque tentèrent en vain de recouvrer leurs avoirs dans le cadre de cette procédure. Par la suite, vingt d’entre eux engagèrent des actions civiles, sans plus de succès.

4. La Slovénie

a) Les mesures relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises

48. En 1991, la Slovénie prit à sa charge la garantie légale accordée par la RSFY au titre des « anciens » fonds en devises déposés dans les succursales slovènes de toutes les banques (y compris Investbanka et d’autres banques étrangères), quelle que fût la nationalité des déposants concernés (voir l’article 19 § 3 de la loi constitutionnelle de 1991 relative à l’Acte constitutionnel fondamental sur l’indépendance et la souveraineté de la République de Slovénie – « la loi constitutionnelle de 1991 »[29]), et convertit en dette publique les dettes des banques à l’égard des déposants (loi de 1993 sur les anciens comptes d’épargne en devises[30]). Elle s’engagea à rembourser aux épargnants concernés le montant nominal de leurs dépôts, augmenté des intérêts au taux initial acquis au 31 décembre 1990 et des intérêts au taux de 6 % l’an acquis pendant la période allant du 1er janvier 1991 au 31 décembre 1992 (article 2 de la loi de 1993 sur les anciens fonds d’épargne en devises). Le taux des intérêts acquis après cette dernière date dépendait de la modalité de remboursement – numéraire ou obligations d’État – choisie par les déposants. Ceux-ci pouvaient en effet opter pour des obligations d’État arrivant à échéance en 2003, remboursables en vingt versements semestriels et portant un intérêt de 5 % l’an, ou pour des règlements en numéraire – payables en dix versements semestriels par les banques dont ils étaient clients – augmentés d’intérêts au taux du marché majoré de 0,25 %, auquel cas les banques concernées se voyaient remettre des obligations d’État. Certains déposants choisirent de se faire rembourser en obligations d’État au motif que celles-ci leur permettaient d’acquérir des logements d’État ou des parts d’entreprises publiques, ainsi que de payer leurs impôts et leurs cotisations de retraite.

b) Le statut de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de ses succursales

49. Peu après avoir proclamé son indépendance, la Slovénie nationalisa la Ljubljanska Banka Ljubljana, puis, en 1994, la restructura en vertu d’une modification apportée à la loi constitutionnelle de 1991. La plupart des actifs de cette banque et une partie de son passif furent transférés à une nouvelle banque, la Nova Ljubljanska Banka (voir l’article 22 b) de la loi constitutionnelle de 1991, dont les passages pertinents sont reproduits au paragraphe 54 ci-dessous). L’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana demeura responsable des obligations contractées au titre des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans ses succursales implantées dans les autres États successeurs et conserva les créances correspondantes sur la BNY (ibidem). Sur le fondement de la loi constitutionnelle de 1991, la justice slovène rendit un certain nombre de décisions condamnant l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana à rembourser aux clients de sa succursale de Sarajevo les « anciens » fonds d’épargne en devises qu’ils y avaient déposés. Elle estima par ailleurs que l’État slovène n’encourait aucune responsabilité à cet égard (voir les arrêts de la Cour suprême II Ips 415/95 du 27 février 1997, II Ips 613/96 du 1er avril 1998 et II Ips 490/97 du 21 janvier 1999). L’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana était initialement administrée par l’Agence pour la restructuration du secteur bancaire. Elle est désormais placée sous le contrôle du Fonds pour la succession, une agence gouvernementale slovène.

50. En 1997, toutes les procédures portant sur les « anciens » fonds en devises déposés dans les succursales de l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana situées dans les autres États successeurs furent suspendues dans l’attente de l’issue des négociations sur la succession, à l’exception des procédures suivies devant la Cour suprême en troisième instance (voir la loi de 1993 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession[31], telle que modifiée en 1997, ainsi que la loi de 2006 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession et sur le Haut Représentant de la République de Slovénie pour la succession[32]). Saisie par deux épargnants croates, la Cour constitutionnelle slovène jugea en décembre 2009 que cette mesure était inconstitutionnelle[33].

51. Depuis lors, le tribunal de district de Ljubljana a rendu de nombreuses décisions condamnant l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana à rembourser les « anciens » fonds en devises déposés dans sa succursale de Sarajevo augmentés des intérêts acquis (voir, par exemple, le jugement P 119/1995-I du 16 novembre 2010, qui acquit force de chose jugée le 4 janvier 2012 après avoir été confirmé par la cour d’appel de Ljubljana, ainsi que les jugements P 9/2007-II du 7 décembre 2010 et P 1013/2012-II du 10 janvier 2013). Dans ces décisions, ce tribunal précisa que, selon le droit de la RSFY, les succursales agissaient au nom et pour le compte de leur maison mère et que, d’après la législation slovène, l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana demeurait responsable des engagements pris au titre des « anciens » fonds en devises déposés auprès de sa succursale de Sarajevo. Il jugea que le fait qu’une banque homonyme – la Ljubljanska Banka Sarajevo – avait repris en 1993 les obligations contractées par l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana au titre des fonds d’épargne déposés auprès de la succursale de Sarajevo (paragraphe 30 ci-dessus) était sans intérêt dès lors que cette opération n’avait pas été approuvée par la banque mère ou par les déposants concernés et que, en tout état de cause, un tribunal bosnien avait ordonné en 2004 la radiation des inscriptions reflétant cette opération portées au registre des sociétés en 1993 (paragraphe 35 ci‑dessus). Enfin, le tribunal de district de Ljubljana considéra que les virements de fonds en devises effectués sur les comptes de la BNY à l’étranger au moyen du système de transfert décrit ci-dessus étaient dépourvus de pertinence.

5. L’ex-République yougoslave de Macédoine

52. L’ex-République yougoslave de Macédoine a remboursé à leurs propriétaires, quelle que fût leur nationalité, les « anciens » fonds en devises déposés dans les banques macédoniennes et les succursales macédoniennes de banques étrangères (telles que la succursale de Skopje de la Ljubljanska Banka Ljubljana[34]).

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

53. Comme indiqué au paragraphe 22 ci-dessus, certaines limitations avaient été apportées aux retraits de fonds d’épargne en devises avant la dissolution de la RSFY. Par exemple, l’article 17 c) de la décision adoptée par la BNY en janvier 1991[35], qui fut jugé inconstitutionnel par la Cour constitutionnelle de la RSFY en avril 1992, était ainsi rédigé :

« Les banques habilitées versent aux déposants yougoslaves les fonds en devises déposés sur leurs comptes en devises (...) à condition que les déposants concernés leur aient notifié leur intention de disposer de ces fonds. Les versements sont effectués selon les modalités suivantes :

i) pour des montants n’excédant pas 500 DEM : dans un délai de quinze jours pour le premier retrait, et dans un délai de trente jours pour les retraits suivants ;

ii) pour des montants n’excédant pas 1 000 DEM : dans un délai de trente jours pour le premier retrait, et dans un délai de quarante-cinq jours pour les retraits suivants ;

iii) pour des montants n’excédant pas 3 000 DEM : dans un délai de quatre-vingt-dix jours ;

iv) pour des montants n’excédant pas 8 000 DEM : dans un délai de cent quatre-vingts jours. »

Les articles 8 § 6 et 17 de la décision précitée excluaient toutefois du bénéfice de cette disposition les expatriés yougoslaves qui, comme les requérants, vivaient et travaillaient à l’étranger. L’incapacité dans laquelle se trouvent les requérants de retirer les avoirs déposés sur leurs comptes découle des dispositions de droit interne exposées ci-après par ordre chronologique.

54. Les passages pertinents de la loi constitutionnelle de la Slovénie, telle que modifiée en 1994, sont ainsi libellés :

Préambule

« Considérant les réticences de certains États qui se sont constitués sur le territoire de l’ex-[RSFY] et des banques situées à l’intérieur de leurs frontières respectives ;

Considérant que des raisons d’ordre pratique et juridique liées à la guerre sévissant sur une partie du territoire de l’ex-RSFY, les sanctions internationales frappant la RFY (la Serbie-Monténégro), l’effondrement du système financier et économique de certains des États successeurs, et l’utilisation d’actifs financiers de la RSFY par la RFY pour financer la guerre d’agression empêchent pour l’instant la conclusion d’un accord sur la succession aux avoirs et engagements financiers de l’ex-RSFY ;

(...)

En vue de trouver une solution équitable, par la négociation avec les créanciers étrangers, à la prise en charge d’une partie adéquate des dettes d’État de l’ex‑RSFY dans les cas où les bénéficiaires finaux des créances correspondantes ne peuvent être déterminés (...) »

Article 22 b)

« La Ljubljanska Banka Ljubljana et la Kreditna Banka Maribor transfèrent leurs activités et actifs respectifs aux nouvelles banques constituées en vertu de la présente loi.

Sans préjudice des dispositions du paragraphe précédent, la Ljubljanska Banka Ljubljana et la Kreditna Banka Maribor :

(...)

iii) demeurent pleinement responsables des obligations contractées au titre des comptes à vue en devises et des comptes d’épargne en devises auxquels la République de Slovénie n’a pas accordé sa garantie ;

(...)

v) conservent les créances correspondant à ces obligations.

La Ljubljanska Banka Ljubljana maintient ses liens avec ses succursales et agences implantées dans les autres républiques qui se sont constituées sur le territoire de l’ex‑RSFY et conserve la partie correspondante des créances détenues sur la Banque nationale de Yougoslavie au titre des comptes d’épargne en devises. »

55. Les passages pertinents de la loi de 1993 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession, telle que modifiée en 1997, se lisent ainsi :

Article 1

« Il est créé un Fonds de la République de Slovénie pour la succession (ci-après « le Fonds ») en vue du recouvrement des créances et du règlement des dettes de la République de Slovénie et de celles des personnes physiques ou morales établies sur son territoire dans le cadre du processus de répartition des droits, actifs et obligations de la RSFY. »

Article 15 č) 1)

« Les tribunaux suspendent d’office les procédures judiciaires et les procédures d’exécution pendantes relatives à un acte juridique ou à une décision judiciaire exécutoire intentées contre des personnes basées ou domiciliées en Slovénie par des créanciers ou des demandeurs basés ou domiciliés dans (...) une république de l’ex‑RSFY (...) »

56. Les passages pertinents de la loi serbe de 2002 sur les anciens fonds d’épargne en devises sont ainsi rédigés :

Article 21 § 1

« Les ressortissants de [la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie et l’ex‑République yougoslave de Macédoine] titulaires d’anciens fonds d’épargne en devises déposés dans des banques ayant leur siège en Serbie-Monténégro[36] et les ressortissants de cet État titulaires de fonds en devises déposés dans les succursales de ces banques situées sur le territoire de [la Bosnie-Herzégovine, la Croatie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine] recouvreront leurs créances selon des modalités à convenir par les États successeurs de la RSFY. »

Article 36

« La présente loi met fin à toutes les procédures – y compris d’exécution – portant sur des fonds d’épargne en devises. »

57. L’article 2 de la loi bosnienne de 2006 sur les anciens fonds d’épargne en devises se lit ainsi :

« 1. Aux fins de la présente loi, l’expression « anciens fonds d’épargne en devises » désigne les fonds d’épargne en devises détenus au 31 décembre 1991 par les banques situées sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine augmentés des intérêts acquis à cette date, déduction faite des paiements effectués après cette date et des fonds transférés sur des comptes de privatisation spéciaux.

2. Sont exclus de la catégorie des anciens fonds d’épargne en devises définie au paragraphe précédent les fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales de la Ljubljanska Banka, d’Investbanka ou d’autres établissements bancaires étrangers sises sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine.

3. Conformément à l’Accord de 2001 sur les questions de succession, les fonds d’épargne en devises définis au paragraphe 2 ci-dessus relèvent de la responsabilité des États successeurs dans lesquels les banques susmentionnées ont leur siège. Dans le cadre de ses activités internationales, la Bosnie-Herzégovine apportera son concours aux titulaires desdits comptes (...) »

58. L’article 23 de la loi de 2006 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession et sur le Haut Représentant de la République de Slovénie pour la succession était ainsi libellé :

« 1) Les décisions rendues par les juridictions slovènes en application de la loi de 1993 sur le Fonds de la République de Slovénie pour la succession suspendant les procédures relatives aux fonds d’épargne en devises déposés dans les banques commerciales ou leurs succursales situées dans l’un quelconque des États successeurs de l’ex-RSFY sont maintenues. Les procédures en question qui auraient déjà repris leur cours sont à nouveau suspendues ou ajournées.

2) Les procédures mentionnées au paragraphe précédent reprendront de plein droit après que la question des garanties accordées par la RSFY ou la BNY au titre des fonds d’épargne en devises aura été réglée conformément à l’article 7 de l’annexe C à l’Accord sur les questions de succession. »

Cette disposition a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour constitutionnelle de Slovénie le 3 décembre 2009.

III. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le droit international de la succession d’États

59. La succession d’États est régie, au moins en partie, par des règles de droit international général reflétées dans la Convention de Vienne de 1978 sur la succession d’États en matière de traités et, dans une certaine mesure, dans la Convention de Vienne de 1983 sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’États (« la Convention de Vienne de 1983 »)[37]. Bien que le dernier de ces instruments ne soit pas encore entré en vigueur et que seuls trois des États défendeurs à la présente affaire y soient parties (la Croatie, la Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine), il est bien établi en droit international que, même non ratifiée, une disposition d’un traité peut avoir force contraignante si elle reflète le droit international coutumier, soit qu’elle « codifie » ce dernier, soit qu’elle donne naissance à de nouvelles règles coutumières (Cudak c. Lituanie [GC], no 15869/02, § 66, CEDH 2010, et Plateau continental de la mer du Nord, arrêt du 20 février 1969, CIJ Recueil 1969, § 71).

60. L’obligation de négocier de bonne foi en vue d’arriver à un accord constitue le principe de base pour le règlement des différents aspects de la succession (voir l’avis no 9 délivré par la Commission d’arbitrage de la conférence internationale pour la paix en Yougoslavie[38] et l’article 6 de la Résolution sur la succession d’États en matière de biens et de dettes adoptée par l’Institut de droit international – « la résolution de 2001 »). À défaut d’accord, le principe de territorialité revêt une importance capitale pour ce qui est de la succession aux biens d’État (article 18 de la Convention de Vienne de 1983 et articles 16 de la résolution de 2001). En matière de succession aux dettes d’État, le principe applicable est celui de la « proportion équitable ». La disposition pertinente de la Convention de Vienne de 1983, à savoir son article 41, est ainsi libellée :

« Lorsqu’un État se dissout et cesse d’exister et que les parties du territoire de l’État prédécesseur forment deux ou plusieurs États successeurs, et à moins que les États successeurs n’en conviennent autrement, la dette d’État de l’État prédécesseur passe aux États successeurs dans des proportions équitables, compte tenu, notamment, des biens, droits et intérêts qui passent aux États successeurs en relation avec cette dette d’État. »

L’article 23 § 2 de la résolution de 2001 dispose lui aussi que le principe de la « proportion équitable » est le principe directeur en matière de succession aux dettes :

« À défaut d’un accord sur le passage des dettes d’État de l’État prédécesseur, de quelque catégorie que soient ces dettes, leur passage se fait dans une proportion équitable, compte tenu notamment des biens, droits et intérêts qui passent en relation avec cette dette à l’État ou aux États successeurs. »

Toutefois, les articles 27 à 29 de la résolution de 2001 établissent une distinction entre les dettes nationales, les dettes localisées et les dettes locales et appliquent spécifiquement à ces dernières le principe de territorialité.

Article 27 – Dettes nationales

« 1. Les dettes d’État contractées par l’État prédécesseur au bénéfice de l’État entier (dettes nationales) sont soumises aux règles de l’article 22 et suivants de la présente Résolution.

2. Les dettes des institutions et entreprises publiques qui ont un champ d’activité national, sont soumises aux mêmes règles, indépendamment du siège de ces institutions ou entreprises. »

Article 28 – Dettes localisées

« 1. Les dettes d’État souscrites pour des projets ou objets particuliers à une région spécifique qui ont été contractées par l’État prédécesseur ou par une institution ou entreprise publique de cet État ayant un champ d’activité national (dettes nationales localisées), sont soumises aux règles de l’article précédent.

2. Toutefois, la répartition d’une telle dette selon l’équité doit prendre en considération le passage de biens (objets/installations) liés à la dette ainsi que le bénéfice généré par ces biens pour l’État successeur sur le territoire duquel ils sont situés. »

Article 29 – Dettes locales

« 1. Les dettes des institutions publiques locales (communes, régions, entités fédérées, départements, services publics et autres institutions régionales et locales) passent à l’État successeur sur le territoire duquel se trouvent ces institutions.

(...)

6. L’État prédécesseur et l’État ou les États successeurs peuvent convenir par voie d’accord du passage des dettes locales selon des modalités différentes. Pour ce qui concerne des dettes privées, les créanciers de celles-ci devraient participer formellement à l’élaboration et à la conclusion de cet accord. »

Enfin, les passages pertinents de la résolution de 2001 relatifs aux effets de la succession d’État sur les personnes privées se lisent ainsi :

Article 24

« 1. Une succession d’États ne devrait pas porter atteinte aux droits et obligations des créanciers et débiteurs privés.

2. Les États successeurs ont l’obligation de reconnaître dans leur ordre juridique l’existence des droits et obligations des créanciers qui ont été établis dans l’ordre juridique de l’État prédécesseur.

(…) »

Article 25

« Les États successeurs ont l’obligation de respecter dans toute la mesure du possible les droits acquis des personnes privées dans l’ordre juridique de l’État prédécesseur. »

B. L’Accord sur les questions de succession et la pratique pertinente en la matière

61. L’Accord sur les questions de succession est le fruit de près de dix ans de négociations menées sous les auspices de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et du Haut Représentant, administrateur international désigné en application de l’annexe 10 de l’Accord-cadre général pour la paix en Bosnie-Herzégovine. Signé le 29 juin 2001, il est entré en vigueur le 2 juin 2004 à l’égard de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Serbie‑Monténégro (à laquelle la Serbie succéda par la suite), de la Slovénie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine.

62. La question des « anciens » fonds d’épargne en devises était litigieuse. Les vues des États successeurs divergeaient sur le point de savoir si elle devait être réglée sous l’angle des engagements de la RSFY au sens de l’annexe C (avoirs et engagements financiers) à l’Accord ou si elle ressortissait au droit privé et relevait en conséquence du régime prévu à l’annexe G (biens privés et droits acquis[39]). Les États concernés étaient également en désaccord sur la question de savoir si la garantie de la RSFY couvrant les « anciens » fonds en devises devait être assumée par l’État du siège social de la banque mère concernée ou par l’État dans lequel les fonds avaient été effectivement déposés. En définitive, les dispositions suivantes furent insérées dans l’annexe C à l’Accord :

Article 2 § 3

« Les autres engagements financiers [de la RSFY] comprennent :

a) Les garanties de la RSFY ou de la Banque nationale de Yougoslavie destinées à couvrir l’épargne en devises étrangères fortes déposée auprès de banques commerciales et de leurs agences situées sur le territoire de l’un quelconque des États successeurs avant la date à laquelle celui-ci a proclamé son indépendance ; et »

Article 7

« Les garanties de la RFSY ou de la Banque nationale de Yougoslavie destinées à couvrir l’épargne en devises étrangères déposée auprès d’une banque commerciale ou de l’une quelconque de ses agences sur le territoire d’un État successeur avant la date à laquelle celui-ci a proclamé son indépendance seront négociées sans délai, en tenant compte notamment de la nécessité de protéger l’épargne en devises étrangères des particuliers. Cette négociation se déroulera sous les auspices de la Banque des règlements internationaux. »

63. En 2001-2002 se tinrent quatre cycles de négociations consacrés à la répartition des garanties accordées par la RSFY aux « anciens » fonds d’épargne en devises. Les États successeurs n’étant pas parvenus à un accord, la Banque des règlements internationaux (« la BRI ») les informa en septembre 2002 que son expert – M. Meyer – avait décidé de mettre fin à son mandat et qu’elle estimait ne plus avoir aucun rôle à jouer dans les négociations, ajoutant cependant que :

« Si toutefois les cinq États successeurs devaient à l’avenir décider de rouvrir les négociations relatives aux garanties couvrant les fonds en devises fortes et solliciter le concours de la BRI, celle-ci serait disposée à leur prêter assistance selon des conditions à convenir[40]. »

Il semble que peu de temps après tous les États successeurs, à l’exception de la Croatie, aient informé la BRI de leur intention de poursuivre les négociations. La Croatie en fit autant en octobre 2010 et reçut en novembre 2010 une réponse dont les passages pertinents se lisent ainsi :

« (...) La BRI a réexaminé cette question récemment. Elle estime que sa contribution à un nouveau cycle de négociations dans le cadre d’une mission de bons offices n’apporterait rien et tient compte à cet égard du laps de temps qui s’est écoulé depuis le dernier cycle de négociations ainsi que de ses priorités actuelles en matière de stabilité monétaire et financière. Toutefois, elle tient à signaler que les réunions bimensuelles qui se tiennent dans ses locaux à Bâle offrent aux dirigeants des États successeurs l’occasion de discuter de cette question entre eux de manière informelle[41]. »

64. Il convient de relever qu’une question analogue au problème qui se pose en l’espèce, celle des garanties accordées par la RSFY aux dépôts effectués auprès de la caisse d’épargne postale et de ses agences, a été réglée en dehors des négociations qui ont abouti à l’Accord sur les questions de succession, chacun des États successeurs ayant accepté de prendre ces garanties à sa charge relativement aux succursales situées sur son territoire.

65. Les avoirs financiers de la RSFY ont été répartis entre les États successeurs selon la clé de répartition suivante (en application de l’article 5 de l’annexe C à l’Accord) : 15,5 % pour la Bosnie-Herzégovine, 23 % pour la Croatie, 7,5 % pour l’ex-République yougoslave de Macédoine, 16 % pour la Slovénie, 38 % pour la Serbie-Monténégro (à laquelle la Serbie succéda par la suite). Il semble que la quasi-totalité des fonds en devises déposés sur les comptes étrangers de la BNY – soit 237 millions USD environ dans des banques américaines et 221 millions USD environ dans d’autres banques – aient été répartis entre les États successeurs selon la même clé de répartition au cours de la période 2003-2012[42].

66. Conformément à l’article 4 de l’Accord sur les questions de succession, un Comité mixte permanent composé de hauts représentants de chacun des États successeurs fut mis en place avec mission de veiller à l’application effective de l’Accord et d’offrir une enceinte adéquate pour l’examen des questions relatives à l’application de cet accord. Ce comité s’est réuni trois fois : en 2005, en 2007 et en 2009.

67. Les dispositions suivantes de l’Accord sont également pertinentes en l’espèce :

Article 5

« 1) Les désaccords qui pourraient surgir au sujet de l’interprétation et de l’application du présent Accord seront résolus, en premier lieu, par des discussions entre les États concernés.

2) Si les désaccords ne peuvent être résolus par de telles discussions dans un délai d’un mois à compter de la première communication présentée dans le cadre de ces discussions, les États concernés devront :

a) soit saisir de la question une personnalité indépendante de leur choix, en vue d’obtenir sur cette question une décision rapide et faisant autorité, qui sera respectée, et dans laquelle pourraient, le cas échéant, être fixés des délais précis pour les mesures à prendre ;

b) soit saisir de la question, pour règlement, le Comité mixte permanent établi en vertu de l’article 4 du présent Accord.

3) Les désaccords qui pourraient surgir dans la pratique au sujet de l’interprétation des termes utilisés dans le présent Accord ou dans tout autre accord subséquent nécessaire à la mise en œuvre des annexes audit Accord pourront, en outre, à l’initiative de l’un quelconque des États concernés, être soumis à un expert unique (qui ne devra être ressortissant d’aucune des parties au présent Accord) nommé d’un commun accord par les parties au différend ou, faute d’un tel accord, par le président de la Cour de conciliation et d’arbitrage au sein de l’OSCE, afin qu’il propose une solution autorisée qui aura force obligatoire. L’expert décidera de toutes les questions de procédure après avoir consulté, s’il le juge approprié, les parties qui l’ont saisi, avec la ferme intention de parvenir à un règlement rapide et efficace du désaccord.

4) La procédure prévue au paragraphe 3 du présent article sera strictement limitée à l’interprétation des termes utilisés dans les accords en question et n’autorisera en aucun cas l’expert à se prononcer sur l’application pratique de l’un quelconque de ces accords. En particulier, la procédure visée ne s’appliquera pas aux dispositions suivantes :

a) L’appendice au présent Accord ;

b) Les articles 1er, 3 et 4 de l’annexe B ;

c) Les articles 4 et le paragraphe 1 de l’article 5 de l’annexe C ;

d) L’article 6 de l’annexe D.

5) Les paragraphes précédents du présent article ne modifient en rien les droits et obligations des Parties au présent Accord découlant d’une quelconque disposition contraignante en vigueur entre eux en matière de règlement des différends. »

Article 9

« Le présent Accord sera appliqué par les États successeurs de bonne foi conformément aux dispositions de la Charte des Nations unies et dans le respect du droit international. »

C. La jurisprudence internationale en matière de pactum de negotiando dans les affaires interétatiques

68. Un pactum de negotiando impose aux parties qu’il lie l’obligation de négocier en vue de conclure un accord, et le principe fondamental pacta sunt servanda les oblige à négocier de bonne foi. Dans l’affaire Grèce c. République fédérale d’Allemagne, le Tribunal d’arbitrage de l’Accord sur les dettes extérieures allemandes a rendu le 26 janvier 1972 une sentence dont les passages pertinents se lisent ainsi :

[Traduction du greffe]

« 62. Toutefois, la conclusion d’un pactum de negotiando n’est pas dépourvue d’effets juridiques. Elle implique que chacune des parties s’efforce de bonne foi de parvenir à une solution réciproquement satisfaisante par la recherche d’un compromis, même s’il lui faut pour cela renoncer à des positions auxquelles elle tenait fermement. Le pactum de negotiando suppose que chacune des parties soit disposée à s’écarter de ses positions initiales dans un esprit de négociation, et à se rallier partiellement à celles de l’autre partie. Les termes de l’accord ne peuvent être interprétés comme autorisant chacune des parties à s’en tenir à sa position initiale et à exiger la capitulation complète de l’autre. Une telle approche serait incompatible avec la notion de « négociation » et diamétralement opposée à l’objectif poursuivi. En s’engageant à négocier, les parties doivent avoir l’intention de traiter l’une avec l’autre en vue de parvenir à un arrangement. Si l’article 19 combiné avec le paragraphe II de l’annexe I ne peut être interprété comme imposant aux parties l’obligation absolue de conclure un accord, le Tribunal estime que le libellé de ces dispositions les oblige à négocier et à transiger en s’efforçant de bonne foi de parvenir à une solution acceptable pour chacune d’entre elles, dans le but de mettre un terme à ce long différend (...)

63. L’accord conclu en vue de la négociation des réclamations monétaires litigieuses postule que les parties sont disposées à envisager un arrangement. Et cela même si leur différend porte non seulement sur le montant des créances, mais aussi sur leur existence même, circonstances qui sont sans incidence sur le principe du règlement des différends. L’article 19 n’exige pas nécessairement que les parties règlent les questions juridiques en litige. Par exemple, il ne tient pas pour acquis que les parties se mettront d’accord sur certaines questions qui les opposent, en l’occurrence celles de savoir si les créances litigieuses ont ou non une existence juridique, et si elles revêtent un caractère public ou privé. D’ailleurs, les parties conviennent que ces questions prêtent à controverse entre elles. Toutefois, malgré le différend qui les oppose sur ce point, elles se sont engagées à négocier dans toute la mesure du possible en vue de parvenir à un accord de règlement.

(...)

65. Le Tribunal estime que le principe qui sous-tend la solution donnée à l’affaire du Plateau continental de la mer du Nord est pertinent en l’espèce. Ce principe, énoncé par la Cour internationale de justice, confirme le sens courant du terme « négociation » et le concrétise. Pour que la négociation ait un sens, il faut qu’elle ait été engagée en vue de la conclusion d’un accord. Si, comme le Tribunal l’a déjà indiqué, un accord de négociation n’impose pas aux parties l’obligation de conclure un accord de règlement, il les oblige à déployer de réels efforts pour y parvenir. »

69. Dans une affaire récente (Application de l’accord intérimaire du 13 septembre 1995 (ex-République yougoslave de Macédoine c. Grèce), arrêt du 5 décembre 2011, CIJ Recueil 2011, § 132), la Cour internationale de justice a récapitulé la jurisprudence pertinente de la manière suivante :

« La Cour fait observer que la notion de négociation aux fins du règlement des différends, ou d’obligation de négocier, a été clarifiée par sa jurisprudence et celle de sa devancière, ainsi que par des sentences arbitrales. Comme la Cour permanente de justice internationale l’a précisé dès 1931 dans l’avis consultatif qu’elle a donné sur la question du Trafic ferroviaire entre la Lituanie et la Pologne, l’obligation de négocier, avant tout, n’est « pas seulement [celle] d’entamer des négociations, mais encore [celle] de les poursuivre autant que possible, en vue d’arriver à des accords ». De toute évidence, cela n’implique cependant ni « [l’obligation] de s’entendre » (Trafic ferroviaire entre la Lituanie et la Pologne, avis consultatif, 1931, CPJI série A/B no 42, p. 116 ; voir également Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, CIJ Recueil 2010 (I), p. 68, par. 150) ni la nécessité de mener de longues négociations (Concessions Mavrommatis en Palestine, arrêt no 2, 1924, CPJI série A no 2, p. 13). Les États ont néanmoins l’obligation de se comporter de telle sorte que « les négociations aient un sens ». Il n’est pas satisfait à cette condition lorsque, par exemple, l’une ou l’autre partie « insiste sur sa propre position sans envisager aucune modification » (Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d’Allemagne/Danemark ; République fédérale d’Allemagne/Pays‑Bas), arrêt, CIJ Recueil 1969, p. 47, par. 85) ; voir également Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay (Argentine c. Uruguay), arrêt, CIJ Recueil 2010 (I), p. 67, par. 146) ou fait obstacle aux négociations, par exemple, en interrompant toute communication, en causant des retards injustifiés, en ne tenant pas compte des procédures convenues (Affaire du Lac Lanoux (Espagne/France) (1957), Recueil des sentences arbitrales (RSA), vol. XII, p. 307). La tenue de négociations en vue de parvenir à un accord implique également que chaque partie tienne raisonnablement compte de l’intérêt de l’autre (Compétence en matière de pêcheries (Royaume-Uni c. Islande), fond, arrêt, CIJ Recueil 1974, p. 33, par. 78). En ce qui concerne la preuve requise pour établir la mauvaise foi (ce qui fonderait l’une ou l’autre Partie à soutenir qu’elle est libérée de son obligation d’exécution), « le simple échec de certaines négociations ne constitue pas un élément suffisant » (arbitrage de Tacna-Arica (Chili/Pérou) (1925), RSA, vol. II, p. 930). Si ladite preuve peut être apportée par des éléments indirects, elle doit cependant être étayée « non par des déductions contestables mais par des éléments clairs et convaincants qui appellent nécessairement pareille conclusion » (ibidem). »

D. L’arrêt E-16/11 rendu par la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange (AELE) le 28 janvier 2013

70. La Landsbanki était une banque privée de droit islandais qui avait des succursales aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, et dont l’une des activités consistait à commercialiser des comptes d’épargne en ligne sous la désignation « Icesave ». Les dépôts effectués sur ces comptes étaient couverts par les systèmes de garantie islandais, néerlandais ou britannique, selon le cas.

71. En 2008, la Landsbanki s’effondra. Le gouvernement islandais légiféra en urgence pour éviter une crise systémique et créa une nouvelle banque, la « New Landsbanki ». Les dépôts effectués en Islande furent transférés à cette nouvelle banque, mais non ceux qui avaient été réalisés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Peu après la fondation de la New Landsbanki et le transfert des dépôts effectués en Islande, le système de garantie islandais fut appelé à rembourser les avoirs des épargnants, y compris ceux qui avaient été déposés aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. Contrairement à ceux qui avaient effectué des dépôts en Islande, les épargnants qui avaient placé des fonds dans les succursales néerlandaises et britanniques de la Landsbanki ne furent pas indemnisés par le système de garantie islandais, mais se firent, en définitive, rembourser leurs avoirs par le système de garantie néerlandais ou britannique, selon le cas.

72. En 2001, l’Autorité de surveillance de l’Association européenne de libre-échange (AELE) saisit la Cour de justice de l’AELE, alléguant que, faute d’avoir versé aux épargnants qui avaient effectué des dépôts aux Pays‑Bas et au Royaume-Uni l’indemnité minimale (20 000 euros[43]) dans les délais prévus, l’Islande, État partie à l’Accord sur l’Espace économique européen (« EEE »), avait manqué aux obligations découlant de la Directive 94/19/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 1994 relative aux systèmes de garantie des dépôts. La Commission européenne intervint dans la procédure au soutien de l’Autorité de surveillance.

73. Par un arrêt rendu le 28 janvier 2013, la Cour de justice de l’AELE conclut que, bien que les normes de l’Union européenne relatives au marché unique eussent été transposées dans l’ordre juridique de l’EEE, l’Islande n’avait pas violé la directive susmentionnée. Pour se prononcer ainsi, elle releva notamment que la directive en question n’imposait pas aux États et à leurs autorités une obligation d’indemnisation en cas de défaillance d’un système de garantie des dépôts liée à une crise systémique. Par ailleurs, elle souligna que les États jouissaient d’une « ample marge d’appréciation dans les choix fondamentaux à opérer en matière de politique économique dans le contexte particulier d’une crise systémique ».

EN DROIT

74. Les requérants allèguent que l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de retirer les « anciens » fonds d’épargne en devises que les deux premiers d’entre eux avaient déposés dans des succursales d’une banque slovène situées en Bosnie-Herzégovine et que le troisième avait placés auprès d’une succursale d’une banque serbe établie dans le même État s’analyse en une violation par l’ensemble des États défendeurs de l’article 1 du Protocole no 1 pris isolément et combiné avec l’article 14 de la Convention. Ils se disent par ailleurs victimes d’une violation de l’article 13 de la Convention.

I. SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES soulevées par les GOUVERNEMENTs

75. Les Gouvernements invitent la Cour à revenir sur la décision par laquelle la chambre a déclaré la requête recevable le 17 octobre 2011. Chacun d’entre eux soutient que les requérants relèvent non de sa juridiction – au sens de l’article 1 de la Convention –, mais de celle d’un autre État défendeur. Par ailleurs, le gouvernement serbe et le gouvernement slovène avancent que les prétentions des intéressés ne portent pas sur des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1, et que leur requête est par conséquent incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention. Les moyens soulevés par les Gouvernements devant la Grande Chambre sont identiques à ceux qu’ils avaient exposés devant la chambre (Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine (déc.), no 60642/08, § 49-50, 17 octobre 2011).

76. Les requérants combattent ces thèses et, s’appuyant notamment sur les conclusions de la chambre, invitent la Cour à rejeter les exceptions soulevées par les Gouvernements.

77. La chambre a conclu que les requérants relevaient de la juridiction de chacun des États défendeurs après avoir constaté que ceux-ci avaient reconnu, lors des négociations sur la succession, que les « anciens » fonds d’épargne en devises étaient couverts par les engagements financiers de la RSFY qu’ils devaient se répartir (paragraphes 38 et 58 de la décision sur la recevabilité). Par ailleurs, elle a observé que le droit international imposait aux États successeurs de régler par voie d’accord tous les aspects de la succession (paragraphes 36 et 58 de la décision sur la recevabilité). En ce qui concerne la compétence ratione materiae de la Cour, la chambre a estimé, au vu des éléments dont elle disposait, qu’il n’y avait aucune raison de douter que les requérants étaient titulaires d’« anciens » fonds d’épargne en devises dont les montants correspondaient aux sommes qu’ils avaient indiquées. Elle a également considéré, pour diverses raisons, que les créances des intéressés ne s’étaient pas éteintes avec la dissolution de la RSFY (paragraphes 52-55 de la décision sur la recevabilité). Elle a souligné, en particulier, que la législation des États successeurs n’avait pas annulé ou invalidé d’une autre manière les créances litigieuses et que personne n’avait jamais douté que les États successeurs ou certains d’entre eux devraient en définitive rembourser les intéressés. Elle a ajouté (§ 54) :

« D’ailleurs, les États successeurs se sont maintes fois engagés, dans des termes non équivoques, à faire en sorte que les personnes se trouvant dans la même situation que les intéressés obtiennent d’une manière ou d’une autre la restitution de leurs « anciens » fonds en devises (voir, a contrario, l’affaire Bata c. République tchèque (déc.), no 43775/05, 24 juin 2008, dans laquelle l’État défendeur n’avait jamais déclaré qu’il acceptait ou reconnaissait les revendications des requérants et s’était montré hostile, depuis la chute du régime communiste, à toute revendication de ce genre). En outre, les États concernés ont reconnu que les « anciens » fonds en devises faisaient partie des engagements financiers de la RSFY qu’ils devaient se répartir comme ils s’étaient répartis d’autres éléments du passif et de l’actif de la RSFY (...) La présente espèce se distingue par ses particularités d’autres affaires, telles que X, Y et Z c. Allemagne (no 7694/76, décision de la Commission du 14 octobre 1977, Décisions et rapports (DR) 12, p. 131), S.C. c. France (no 20944/92, décision de la Commission du 20 février 1995, DR 80, p. 78), et Abraini Leschi et autres c. France (no 37505/97, décision de la Commission du 22 avril 1998, DR 93, p. 120), dans lesquelles la Commission avait jugé que, en l’absence de textes d’application, les traités internationaux litigieux n’avaient pas fait naître dans le chef des requérants un droit à indemnisation susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 1 du Protocole no 1. »

78. La Cour rappelle que rien n’empêche la Grande Chambre de connaître, le cas échéant, de questions concernant la recevabilité de la requête au titre de l’article 35 § 4 de la Convention. En vertu de cette disposition, en effet, la Cour peut « à tout stade de la procédure » rejeter une requête qu’elle juge irrecevable. Dès lors, même au stade de l’examen au fond, sous réserve de ce qui est prévu à l’article 55 de son règlement, la Cour peut revenir sur la décision par laquelle la requête a été déclarée recevable lorsqu’elle constate que celle-ci aurait dû être considérée comme irrecevable pour une des raisons énumérées aux alinéas 1 à 3 de l’article 35 de la Convention (Odièvre c. France [GC], no 42326/98, § 22, CEDH 2003‑III).

79. Toutefois, après examen des exceptions formulées par les Gouvernements, la Grande Chambre estime qu’il n’y a pas lieu de revenir sur la décision de la chambre de rejeter les exceptions préliminaires dont elle avait été saisie. Au contraire, outre les motifs sur lesquels la chambre s’est fondée pour se prononcer sur ces exceptions, la Grande Chambre retient que les décisions des tribunaux serbes et slovènes exposées aux paragraphes 44, 49 et 51 ci-dessus indiquent que la dissolution de la RSFY n’a pas entraîné l’extinction des créances telles que celles ici en cause. En outre, le gouvernement slovène ayant contesté la réalité et l’exactitude du montant des dépôts dont les requérants se disent créanciers, la Grande Chambre a réexaminé toutes les pièces du dossier, notamment une copie des relevés bancaires de Mme Ališić et de M. Sadžak où figure le solde de leurs comptes respectifs au 31 décembre 1991, une copie du contrat de dépôt conclu par M. Sadžak, des extraits du livret bancaire de M. Šahdanović indiquant le solde de l’un de ses comptes au 17 avril 1992, des données officielles, communiquées par le gouvernement serbe devant la chambre, indiquant le solde des comptes de M. Šahdanović au 3 janvier 2002, des informations sur microfiches relatives aux comptes de Mme Ališić et de M. Sadžak produites par le gouvernement de Bosnie-Herzégovine, et une attestation de l’Agence de la FBH pour la privatisation certifiant que les requérants n’ont pas utilisé leurs « anciens » fonds d’épargne en devises dans le cadre du processus de privatisation.

80. Eu égard également aux circonstances exceptionnelles de l’espèce, la Grande Chambre tient pour établi au-delà de tout doute raisonnable que les requérants sont titulaires d’« anciens » fonds d’épargne en devises dont les montants correspondent aux sommes indiquées au paragraphe 10 ci-dessus et estime qu’il a été suffisamment démontré que les fonds en question constituent des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1 (voir, parmi d’autres, Gayduk et autres c. Ukraine (déc.), nos 45526/99 et 20 autres, CEDH 2002-VI, en ce qui concerne les dépôts initiaux, Merzhoyev c. Russie, no 68444/01, § 48, 8 octobre 2009, Suljagić c. Bosnie-Herzégovine, no 27912/02, § 35, 3 novembre 2009, Boyajyan c. Arménie, no 38003/04, § 54, 22 mars 2011, Kotov c. Russie [GC], no 54522/00, § 90, 3 avril 2012, et A. et B. c. Monténégro, no 37571/05, § 68, 5 mars 2013).

81. En conséquence, la Grande Chambre rejette les exceptions préliminaires soulevées par les Gouvernements. Par ailleurs, elle observe que si les Gouvernements ont soulevé devant la chambre une exception de non-épuisement des recours internes par les requérants, ils ne l’ont pas réitérée devant elle.

II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

82. L’article 1 du Protocole no 1 se lit ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

A. Les conclusions de la chambre

83. La chambre a jugé que le problème des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et auprès de la succursale de Tuzla d’Investbanka relevait des questions de succession (voir la décision sur la recevabilité rendue par la chambre). Tout en soulignant qu’il ne lui appartenait pas de résoudre cette question en lieu et place des États défendeurs, elle a estimé pouvoir néanmoins examiner si l’incapacité dans laquelle se trouvaient les requérants depuis plus de vingt ans de disposer de leurs avoirs du fait de l’absence de règlement de cette question par les États défendeurs s’analysait en une violation de l’article 1 du Protocole no 1 par un ou plusieurs d’entre eux. Prenant en compte un certain nombre d’éléments, notamment le régime de la propriété des banques, les mesures – particulièrement législatives – régissant les actifs des banques en question, le statut des succursales mises en cause après la dissolution de la RFSY, le transfert des fonds détenus par ces succursales vers leurs maisons mères respectives, l’échec en 2002 des négociations menées sous les auspices de la Banque des règlements internationaux, et l’absence de toute véritable négociation ultérieure sur les « anciens » fonds en devises, elle a conclu que la Slovénie avait violé cette disposition à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, et que la Serbie l’avait violée à l’égard de M. Šahdanović (paragraphes 66-74 de l’arrêt de la chambre). La chambre a en outre conclu à la non-violation de l’article 1 du Protocole no 1 par les autres États défendeurs.

B. Thèses des parties

1. Les requérants

84. Les requérants allèguent que, en leur qualité d’États successeurs, les États défendeurs sont tous tenus de leur rembourser leurs « anciens » fonds d’épargne en devises, faute pour eux d’avoir réglé cet aspect de la succession. Ils considèrent que les États défendeurs doivent effectuer ce remboursement selon la clé de répartition employée pour le partage des avoirs de la RSFY (paragraphe 65 ci-dessus).

2. Les gouvernements défendeurs (présentés suivant l’ordre alphabétique de leurs dénominations respectives en anglais)

a) Le gouvernement bosnien

85. Le gouvernement bosnien soutient que la question des « anciens » fonds d’épargne en devises des requérants relève du droit privé. Il estime que les intéressés et les banques ici en cause ont conclu des contrats de droit privé en vertu desquels les premiers pourraient à tout moment exiger la restitution de leurs avoirs par les succursales concernées, ou directement par les maisons mères de celles-ci (le gouvernement bosnien explique que d’après le droit civil yougoslave, les banques étaient tenues aux dettes contractées par leurs succursales). Tout en reconnaissant que la garantie de la RSFY couvrait la totalité des dépôts en devises, le gouvernement bosnien indique que cette garantie n’a jamais été appelée, les banques dont il est ici question ayant, selon lui, été solvables jusqu’à la dissolution de la RSFY. Il en déduit que les obligations de ces banques n’ont pas été transférées à la RSFY et que le différend portant sur les avoirs des requérants ne relève donc pas des questions de succession. Il considère que l’État slovène et l’État serbe doivent être tenus pour responsables, respectivement, des dettes de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de celles d’Investbanka, l’incapacité de ces banques à honorer leurs dettes étant, selon lui, imputable à ces États. À cet égard, il indique que le gouvernement slovène a transféré, par le biais d’une loi, les principaux actifs de la Ljubljanska Banka Ljubljana à une nouvelle banque (paragraphe 49 ci-dessus) et que le gouvernement serbe a annulé les créances détenues par Investbanka sur des sociétés publiques pour pouvoir privatiser les sociétés en question, opération qui lui aurait rapporté des millions.

86. En outre, les succursales de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka auraient été tenues de transférer à leurs maisons mères respectives les devises collectées auprès de leurs clients, ce qui expliquerait pourquoi les coffres des succursales bosniennes de ces banques auraient été presque vides au moment de la dissolution de la RSFY. Il y aurait là un motif supplémentaire de retenir la responsabilité de la Slovénie et de la Serbie dans la présente affaire.

b) Le gouvernement croate

87. Pour les mêmes motifs que ceux exposés par le gouvernement bosnien (paragraphes 85-86 ci-dessus), le gouvernement croate estime que la responsabilité de la Slovénie et de la Serbie se trouve engagée en l’espèce. Il ajoute que, contrairement à ce qu’avance le gouvernement slovène, la restructuration de la Ljubljanska Banka Ljubljana n’était pas nécessaire pour éviter son effondrement, mais visait à exonérer cette banque de toute responsabilité à l’égard des épargnants clients de ses succursales situées hors de Slovénie. À l’appui de cette thèse, il produit la copie d’un rapport établi par Moody’s en 1997 qui indiquerait que les avoirs de la Nova Ljubljanska Banka, fondée seulement quelques années plus tôt avec des actifs de la Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphe 49 ci-dessus), s’élevaient à quelque 3,7 milliards USD.

88. Par ailleurs, il soutient que le mémorandum d’entente conclu entre la Croatie et la Slovénie le 11 mars 2013 et appelant à de nouvelles négociations sur la succession ne portait que sur les dépôts qui avaient été transférés de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana vers des banques croates dans les années 1990 (paragraphe 43 ci-dessus). Il s’ensuit selon lui que, contrairement aux allégations du gouvernement slovène, ce mémorandum ne doit pas être interprété comme signifiant que ses signataires reconnaissaient que tous les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales de la Ljubljanska Banka Ljubljana implantées hors du territoire slovène relevaient des questions de succession (paragraphe 92 ci-dessous).

c) Le gouvernement serbe

89. Le gouvernement serbe soutient que les règles internationales de la succession d’États et les clauses de l’Accord sur les questions de succession lui imposent seulement de négocier de bonne foi la question des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales d’Investbanka situées hors du territoire serbe. En conséquence, il invite la Cour à se borner à rechercher si des négociations ont été menées de bonne foi et à ne pas statuer sur la question de fond consistant à savoir lequel des États mis en cause doit rembourser les avoirs des requérants. Il estime que si la Cour devait néanmoins décider d’examiner cette question, elle devrait conclure en l’espèce à la responsabilité de la Bosnie-Herzégovine, en raison notamment du principe de territorialité et des mesures prises par cet État relativement aux « anciens » fonds d’épargne en devises (paragraphes 24-28 ci-dessus). Il affirme que la Bosnie-Herzégovine est l’État qui a le plus profité des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés auprès de la succursale de Tuzla d’Investbanka. Il en veut pour preuve des copies de contrats de prêts conclus entre, d’une part, la succursale de Tuzla d’Investbanka et, d’autre part, une société bosnienne, succursale d’une société serbe implantée en Bosnie-Herzégovine et un résident de Bosnie-Herzégovine.

90. D’après le gouvernement serbe, le gouvernement slovène n’a pas démontré que les fonds en devises litigieux aboutissaient finalement sur des comptes de la Banque nationale de Yougoslavie (la « BNY ») à l’étranger ou au siège social de cette banque à Belgrade (paragraphe 95 ci-dessous). À cet égard, le gouvernement serbe déclare que les devises étaient en règle générale transférées à la BNY selon la méthode comptable – ou « pro forma » –, qui n’aurait pas exigé de transfert effectif de fonds (paragraphe 17 ci-dessus), et que les devises transférées sur des comptes de la BNY à l’étranger avaient été réparties entre les États successeurs (paragraphe 65 ci-dessus).

91. Enfin, tout en reconnaissant que les avoirs de M. Šahdanović sont gelés depuis de longues années en raison des lois serbes de 1998 et de 2002 relatives aux « anciens » fonds d’épargne en devises, le gouvernement serbe soutient que cette mesure était nécessaire pour « protéger la liquidité des finances de l’État face aux difficultés économiques et à l’effondrement financier auxquels le pays était confronté » et qu’elle n’a pas imposé au requérant une charge individuelle excessive. Il estime que la question des avoirs déposés par M. Šahdanović et par de nombreux autres épargnants dans des succursales de banques serbes situées hors du territoire serbe doit être réglée par voie d’accord entre les États successeurs de la RSFY dans le cadre des négociations sur la succession. Il ajoute que la Cour a jugé, dans l’arrêt Molnar Gabor c. Serbie (no 22762/05, 8 décembre 2009), que la législation incriminée ménageait un juste équilibre entre l’intérêt général, la prétention persistante et légitime du requérant à se voir restituer ses dépôts initiaux et les droits de tous ceux qui se trouvaient dans la même situation que l’intéressé.

d) Le gouvernement slovène

92. S’appuyant notamment sur l’Accord sur les questions de succession (paragraphes 62-63 ci-dessus) et sur le mémorandum d’entente conclu entre la Croatie et la Slovénie en 2013 (paragraphe 43 ci-dessus), le gouvernement slovène soutient que la question des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés par les requérants auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et de la succursale de Tuzla d’Investbanka s’inscrit dans le cadre de la succession. En conséquence, il invite la Cour à se borner à rechercher si des négociations ont été menées de bonne foi à cet égard et à ne pas statuer sur la question de fond consistant à savoir lequel des États mis en cause doit rembourser les avoirs des requérants. Il estime que si la Cour devait néanmoins décider d’examiner cette question, le principe de territorialité devrait la conduire à tenir la Bosnie-Herzégovine pour responsable des « anciens » fonds d’épargne en devises litigieux, d’autant que, jusqu’en 2004, celle-ci n’aurait pas expressément exclu sa responsabilité à ce titre (paragraphes 24-28 ci‑dessus).

93. Il ajoute que les autorités slovènes ont été contraintes de restructurer la Ljubljanska Banka Ljubljana en 1994, considérant que la société était au bord de la faillite. Il estime toutefois que l’État slovène ne doit pas être tenu aux dettes de cette banque par cela seul qu’il en est devenu propriétaire à la suite du processus de restructuration et que, s’il en allait autrement, aucun État ne pourrait restructurer une banque au capital négatif sans risquer d’être reconnu pleinement responsable des dettes de celle-ci. Il affirme en tout état de cause que la Ljubljanska Banka Ljubljana n’a jamais exercé de mission de service public, qu’en ce qui concerne le non-remboursement des « anciens » fonds d’épargne en devises des requérants elle n’a jamais agi sur instruction spécifique de l’État, et qu’elle relevait du droit commun (c’est‑à‑dire du droit des sociétés slovène). Il soutient que, d’après le droit international coutumier tel que codifié par le projet d’articles de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite, le simple fait qu’un État soit propriétaire d’une société et qu’il exerce en ce sens un contrôle sur elle ne suffit pas à lui imputer les activités de la société ou à le tenir pour responsable des dettes de celle-ci.

94. Le gouvernement slovène ajoute que rien ne l’obligeait à restructurer la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana. Il explique à cet égard que les systèmes de garantie des dépôts en vigueur dans plusieurs États membres du Conseil de l’Europe – dont la Belgique, la France, le Portugal, la Suisse, le Royaume-Uni et les Pays-Bas – n’accordent cette garantie qu’aux dépôts effectués dans les succursales des banques nationales situées sur leurs territoires respectifs. Il soutient en outre que, dans son arrêt E-16/11 du 28 janvier 2013 (paragraphes 71-73 ci-dessus), la Cour de justice de l’Association européenne de libre-échange (AELE) a souligné que les États jouissaient d’une « ample marge d’appréciation dans les choix fondamentaux à opérer en matière de politique économique dans le contexte particulier d’une crise systémique », et considère que ce principe trouve aussi à s’appliquer sur le terrain de l’article 1 du Protocole no 1.

95. Enfin, s’il admet que des fonds en devises étaient régulièrement transférés de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana à la Banque nationale de Slovénie, le gouvernement slovène affirme que certains d’entre eux étaient ensuite rétrocédés à Sarajevo (paragraphe 18 ci‑dessus), que les fonds non rétrocédés étaient comptabilisés en tant que créances de la succursale de Sarajevo sur la BNY et qu’ils faisaient l’objet d’un virement effectif sur des comptes de la BNY à l’étranger. Il en veut pour preuve des documents faisant état de transferts de devises opérés avant la dissolution de la RSFY depuis Ljubljana vers des comptes de la BNY à l’étranger (notamment auprès de deux banques appartenant à la Ljubljanska Banka Ljubljana, la LBS – New York et la LHB Internationale Handelsbank A.G. Frankfurt, et auprès d’autres banques commerciales étrangères).

e) Le gouvernement macédonien

96. À l’instar des gouvernements bosnien et croate, le gouvernement macédonien soutient que la question des dépôts des requérants ressortit au droit civil. Il estime qu’en l’absence de lien entre les intéressés et les autorités macédoniennes, force est de conclure à la non‑violation de la Convention par l’ex-République yougoslave de Macédoine.

C. Appréciation de la Grande Chambre

1. Applicabilité de l’article 1 du Protocole no 1

97. La Cour a conclu au paragraphe 80 ci-dessus que les dépôts en devises, objet des griefs des requérants, sont des « biens » au sens de l’article 1 du Protocole no 1. Dès lors, cette disposition trouve à s’appliquer en l’espèce.

2. Observation de l’article 1 du Protocole no 1

a) Règle applicable

98. Ainsi que la Cour l’a déclaré à plusieurs reprises, l’article 1 du Protocole no 1 contient trois normes distinctes : la première, qui s’exprime dans la première phrase du premier alinéa et revêt un caractère général, énonce le principe du respect de la propriété ; la deuxième, qui figure dans la seconde phrase du même alinéa, vise la privation de propriété et la soumet à certaines conditions ; quant à la troisième, consignée dans le second alinéa, elle reconnaît aux États le pouvoir, entre autres, de réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général. La deuxième et la troisième, qui ont trait à des exemples particuliers d’atteintes au droit de propriété, doivent s’interpréter à la lumière du principe consacré par la première (voir, parmi beaucoup d’autres, Sporrong et Lönnroth c. Suède, 23 septembre 1982, § 61, série A no 52, Iatridis c. Grèce [GC], no 31107/96, § 55, CEDH 1999‑II, Immobiliare Saffi c. Italie [GC], no 22774/93, § 44, CEDH 1999‑V, Broniowski c. Pologne [GC], no 31443/96, § 134, CEDH 2004‑V, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, § 93, 25 octobre 2012).

99. En l’espèce, la Cour observe qu’en raison de diverses mesures adoptées au niveau national les requérants se trouvent depuis plus de vingt ans dans l’incapacité de disposer de leurs fonds. Si le gel des comptes bancaires des intéressés pouvait passer, au moins au départ, pour une mesure de réglementation de l’usage des biens au sens de la troisième règle de l’article 1 du Protocole no 1, on peut se demander si l’indisponibilité de ces fonds pendant une période aussi longue ne constitue pas une « privation » de biens au sens de la deuxième règle énoncée par cette disposition. Toutefois, la Cour ayant conclu que la législation des États successeurs n’avait pas annulé ou invalidé d’une autre manière les créances des requérants (paragraphes 77-81 ci-dessus), et les États concernés ayant reconnu que les épargnants tels que les requérants devaient en principe pouvoir disposer de leurs avoirs, on ne peut dire que les intéressés aient été formellement privés de leurs biens. Pour les mêmes raisons, la Cour estime que le différend sur lequel porte la présente affaire ne peut être assimilé de manière évidente à une expropriation de fait. Dans ces conditions, et eu égard à la complexité des questions de fait et de droit qui se posent en l’espèce, la Cour estime que la violation du droit de propriété alléguée par les requérants ne relève pas d’une catégorie précise (Beyeler c. Italie [GC], no 33202/96, § 106, CEDH 2000‑I, et Zolotas c. Grèce (no 2), no 66610/09, § 47, CEDH 2013). Dès lors, il convient d’examiner la présente affaire sous l’angle du principe général posé par la première règle de l’article 1 du Protocole no 1.

b) Nature de la violation alléguée

100. L’article 1 du Protocole no 1 tend pour l’essentiel à prémunir l’individu contre toute atteinte injustifiée de l’État au respect de ses biens. L’article 1 de la Convention dispose quant à lui que chaque État contractant « reconnaî[t] à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...) [dans] la (...) Convention ». Cette obligation générale peut impliquer des obligations positives inhérentes à la garantie d’un exercice effectif des droits consacrés par la Convention. En ce qui concerne l’article 1 du Protocole no 1, de telles obligations positives peuvent conduire l’État à devoir prendre les mesures nécessaires à la protection du droit de propriété (voir Broniowski, précité, § 143, et les références qui s’y trouvent citées, ainsi que Likvidējamā p/s Selga et Vasiļevska c. Lettonie (déc.), nos 17126/02 et 24991/02, §§ 94-113, 1er octobre 2013).

101. La frontière entre les obligations positives et les obligations négatives de l’État au titre de l’article 1 du Protocole no 1 ne se prête toutefois pas à une définition précise. Les principes applicables sont néanmoins comparables. Que l’on analyse l’affaire sous l’angle d’une obligation positive à la charge de l’État ou sous celui d’une ingérence des pouvoirs publics demandant une justification, les critères à appliquer ne sont pas différents en substance. Dans les deux cas, il faut avoir égard au juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble. Il est vrai également que les objectifs énumérés au paragraphe 2 peuvent jouer un certain rôle dans l’appréciation de la question de savoir si un équilibre entre les exigences de l’intérêt public et le droit de propriété fondamental du requérant a été ménagé. Dans les deux hypothèses, l’État jouit d’une certaine marge d’appréciation pour déterminer les dispositions à prendre afin d’assurer le respect de la Convention (Broniowski, précité, § 144, et les références qui s’y trouvent citées).

102. En l’espèce, les intéressés se plaignent de ne pas pouvoir retirer les fonds déposés dans les banques en question. L’indisponibilité de leurs avoirs découle d’un certain nombre d’éléments, notamment de l’insuffisance des ressources des banques en cause, du gel des comptes imposé par la loi et du fait que les autorités n’ont pas pris de mesures propres à permettre aux épargnants se trouvant dans la situation des requérants de disposer de leurs avoirs. Cet état de choses peut fort bien s’analyser comme une entrave à l’exercice effectif du droit protégé par l’article 1 du Protocole no 1 ou comme un manquement à l’obligation de permettre l’exercice de ce droit (voir Zolotas, précité, §§ 40, 47 et 53, où la Cour a jugé que la mesure litigieuse s’analysait en une ingérence et que l’État défendeur avait certaines obligations positives). Eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, la Cour juge inutile de trancher le point de savoir s’il faut envisager la cause sous l’angle des obligations positives qui auraient pu peser sur les États défendeurs ou sous celui de leurs obligations négatives. Elle recherchera si la conduite des États défendeurs – que cette conduite puisse être caractérisée comme une ingérence ou comme une inaction, ou encore comme une combinaison des deux – était justifiée au regard des principes de légalité, de légitimité du but poursuivi et de proportionnalité (Broniowski, précité, § 146).

c) Sur le respect par les États défendeurs du principe de légalité

103. La première exigence de l’article 1 du Protocole no 1, qui est également la plus importante, est celle de légalité : en effet, la seconde phrase du premier alinéa de cet article n’autorise une privation de propriété que « dans les conditions prévues par la loi » ; le second alinéa reconnaît aux États le droit de réglementer l’usage des biens en mettant en vigueur des « lois ». De plus, la prééminence du droit, l’un des principes fondamentaux d’une société démocratique, est inhérente à l’ensemble des articles de la Convention. Le principe de légalité présuppose également l’existence de normes de droit interne suffisamment accessibles, précises et prévisibles dans leur application (Broniowski, précité, § 147, et les références qui s’y trouvent citées).

104. En l’espèce, la question du respect du principe de légalité ne fait pas l’objet d’une controverse explicite entre les parties. La Cour ne voit de son côté aucune raison de considérer que ledit principe a été méconnu. La situation dont les intéressés se plaignent, à savoir l’incapacité dans laquelle ils se trouvent de retirer leurs avoirs au moins depuis la dissolution de la RSFY, a manifestement une base légale en droit interne (voir, entre autres, les paragraphes 54-58 ci-dessus).

d) Sur le respect par les États défendeurs du principe de « légitimité du but poursuivi »

105. Toute ingérence dans la jouissance d’un droit reconnu par la Convention doit poursuivre un but légitime. De même, dans les affaires impliquant une obligation positive, il doit y avoir une justification légitime à l’inaction de l’État. Le principe du « juste équilibre » inhérent à l’article 1 du Protocole no 1 lui-même suppose l’existence d’un intérêt général. De surcroît, il convient de rappeler que les différentes règles incorporées dans l’article 1 du Protocole no 1 ne sont pas dépourvues de rapport entre elles et que la deuxième et la troisième ne sont que des cas particuliers d’atteintes au droit au respect des biens. Il en découle, notamment, que l’existence d’une « cause d’utilité publique » requise par la deuxième phrase, ou encore « l’intérêt général » mentionné dans le deuxième alinéa, constituent des corollaires du principe énoncé à la première phrase. En conséquence, une ingérence dans l’exercice du droit au respect des biens, au sens de la première phrase de l’article 1, doit également poursuivre un but d’utilité publique (Beyeler, précité, § 111).

106. Grâce à une connaissance directe de leur société et de ses besoins, les autorités nationales se trouvent en principe mieux placées que le juge international pour déterminer ce qui est « d’utilité publique ». Dans le mécanisme de protection créé par la Convention, il leur appartient par conséquent de se prononcer les premières sur l’existence d’un problème d’intérêt général justifiant des mesures applicables dans le domaine de l’exercice du droit de propriété. Dès lors, elles jouissent ici d’une certaine marge d’appréciation, comme en d’autres domaines auxquels s’étendent les garanties de la Convention. Le législateur disposant d’une grande latitude pour mener une politique économique et sociale, la Cour respecte la manière dont il conçoit les impératifs de l’« utilité publique », sauf si son jugement se révèle manifestement dépourvu de base raisonnable (Broniowski, précité, § 149, et les références qui s’y trouvent citées). La Cour a déjà jugé qu’il en va nécessairement de même lorsque sont en cause des bouleversements aussi radicaux que la dissolution d’un État suivie d’une guerre, phénomènes qui entraînent inévitablement l’adoption de lois économiques et sociales de grande ampleur (Suljagić, précité, § 42).

107. Eu égard à la large marge d’appréciation reconnue aux États défendeurs, la Cour estime que le principe de légitimité du but poursuivi a également été respecté en l’espèce. Selon le gouvernement serbe, les mesures incriminées visaient à protéger la liquidité des finances de l’État face aux difficultés économiques et à l’effondrement financier auxquels le pays était confronté (paragraphe 91 ci-dessus). Les autres États défendeurs n’ont pas formulé d’observations sur ce point. Toutefois, la Cour est disposée à admettre que, après la dissolution de la RSFY et les conflits armés qui s’ensuivirent, les États défendeurs ont dû prendre des mesures pour protéger leur système bancaire et, plus généralement, leur économie. Eu égard au montant total des « anciens » fonds d’épargne en devises, il est évident qu’aucun des États successeurs n’était en mesure d’autoriser leurs détenteurs à les retirer de manière incontrôlée. Aussi la Cour examinera‑t‑elle la question principale qui se pose en l’espèce, celle de savoir si un « juste équilibre » a été ménagé entre l’intérêt général et les droits des requérants découlant de l’article 1 du Protocole no 1.

e) Sur le respect par les États défendeurs du principe du « juste équilibre »

i. Principes généraux

108. Toute mesure d’ingérence dans l’exercice du droit au respect des biens comme toute inaction à cet égard doivent ménager un « juste équilibre » entre les exigences de l’intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l’individu. En conséquence, dans chaque affaire où une allégation de violation de l’article 1 du Protocole no 1 est en cause, la Cour doit vérifier si, en raison de l’action ou de l’inaction de l’État, la personne concernée a dû supporter une charge disproportionnée et excessive. Pour apprécier la conformité de la conduite de l’État à cette disposition, la Cour doit se livrer à un examen global des divers intérêts en jeu, en gardant à l’esprit que la Convention vise à sauvegarder des droits « concrets et effectifs ». À cet égard, il faut souligner que l’incertitude – qu’elle soit législative ou administrative, ou qu’elle tienne aux pratiques mises en œuvre par les autorités – est un facteur qu’il faut prendre en compte pour apprécier la conduite de l’État. En effet, lorsqu’une question d’intérêt général est en jeu, les pouvoirs publics sont tenus de réagir en temps utile, de façon correcte et avec la plus grande cohérence (Broniowski, précité, §§ 147-151).

ii. Application en l’espèce des principes susmentionnés

109. Dans sa décision du 17 octobre 2011 déclarant la requête recevable, la chambre a constaté que la garantie légale accordée par la RSFY aux « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les banques en cause n’avait pas été appelée avant la dissolution de la RSFY et en a déduit que les obligations contractées par ces banques au titre de ces dépôts n’avaient pas été transférées à la RSFY. En outre, elle a relevé que jusqu’à la dissolution de la RSFY, les succursales de la Ljubljanska Banka Ljubljana et celles d’Investbanka avaient, conformément au droit civil de la RSFY et aux inscriptions portées au registre des sociétés, agi au nom et pour le compte de leurs maisons mères respectives. La chambre en a conclu que, jusqu’à la dissolution de la RSFY, la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka étaient demeurées responsables des « anciens » fonds d’épargne en devises reçus en dépôt par leurs succursales respectives (Ališić et autres c. Bosnie-Herzégovine, Croatie, Serbie, Slovénie et l’ex-République yougoslave de Macédoine, no 60642/08, § 67, 6 novembre 2012).

110. Les parties avaient du reste admis que telle était la situation dans les mémoires sur le fond de l’affaire qu’elles avaient soumis à la chambre, et elles n’ont pas dit autre chose dans leurs plaidoiries devant la Grande Chambre.

111. Dans ces conditions, la Grande Chambre approuve et fait sienne la conclusion de la chambre.

112. La Cour constate par ailleurs qu’après la dissolution de la RSFY la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka sont demeurées responsables des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans leurs succursales bosniennes respectives, ce que le droit et la pratique internes exposés aux paragraphes 44, 45, 49 et 51 ci-dessus établissent de manière certaine. Il convient notamment de relever que les juridictions slovènes et serbes ont jugé que l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka demeuraient responsables des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans leurs succursales étrangères respectives.

113. S’il est exact que les mentions inscrites au registre des sociétés pendant la période 1993-2004 indiquent qu’une banque bosnienne dénommée Ljubljanska Banka Sarajevo était elle aussi responsable des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana, des juridictions bosniennes et slovènes ont jugé que les inscriptions portées au registre des sociétés pendant la guerre étaient illégales dès l’origine (paragraphes 30-35 et 51 ci‑dessus) et en ont ordonné la radiation. La Cour n’aperçoit aucune raison de s’écarter des conclusions de ces juridictions. Elle a d’ailleurs dit à maintes reprises que c’est au premier chef aux autorités nationales, notamment aux cours et tribunaux, qu’il appartient d’interpréter la législation interne et que son rôle à elle se limite à vérifier la compatibilité avec la Convention des effets de pareille interprétation (Waite et Kennedy c. Allemagne [GC], no 26083/94, § 54, CEDH 1999‑I, Nejdet Şahin et Perihan Şahin c. Turquie [GC], no 13279/05, § 49, 20 octobre 2011, et Vučković et autres c. Serbie (exception préliminaire) [GC], nos 17153/11 et 29 autres, § 80, 25 mars 2014).

114. La Grande Chambre ayant conclu que la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka étaient et demeurent responsables des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans leurs succursales bosniennes respectives, elle doit rechercher, comme l’a fait la chambre, si le non‑paiement par ces banques de leurs dettes à l’égard des requérants est imputable à la Slovénie et à la Serbie. À cet égard, la Cour rappelle qu’un État peut être tenu aux dettes contractées par une société publique, fût-elle dotée d’une personnalité juridique autonome, dès lors qu’elle ne jouit pas vis-à-vis de l’État d’une indépendance institutionnelle et opérationnelle suffisante pour que celui-ci puisse se trouver exonéré de sa responsabilité au regard de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, Mikhaïlenki et autres c. Ukraine, nos 35091/02, 35196/02, 35201/02, 35204/02, 35945/02, 35949/02, 35953/02, 36800/02, 38296/02 et 42814/02, §§ 43-46, CEDH 2004‑XII, Cooperativa Agricola Slobozia-Hanesei c. Moldova, no 39745/02, §§ 17-19, 3 avril 2007, Yershova c. Russie, no 1387/04, §§ 54-63, 8 avril 2010, et Kotov, précité, §§ 92-107). Dans les affaires précitées, pour apprécier si l’État était effectivement responsable de pareilles dettes, la Cour s’est fondée sur les principaux critères suivants : le statut juridique (de droit public ou de droit privé) de la société concernée, la nature de ses activités (missions de service public ou activités commerciales ordinaires), le cadre d’exercice de ses activités (monopole ou secteur hautement réglementé), et son indépendance institutionnelle (mesurée à l’aune du niveau de participation de l’État au capital social) et opérationnelle (appréciée au regard de l’étendue de la surveillance et du contrôle exercés sur elle par l’État).

115. Dans certaines affaires, la Cour a également recherché si l’État était directement responsable des difficultés financières de la société concernée, s’il avait détourné, au détriment de celle-ci ou de ses partenaires, des fonds appartenant à la société et s’il avait porté atteinte à son indépendance ou abusé d’une autre manière de sa personnalité morale (Anokhin c. Russie (déc.), no 25867/02, 31 mai 2007, et Khachatryan c. Arménie, no 31761/04, §§ 51-55, 1er décembre 2009). Enfin, la Cour a jugé que les sociétés en propriété collective, très répandues en RSFY et encore courantes en Serbie, ne jouissaient généralement pas vis-à-vis de l’État d’une « indépendance institutionnelle et opérationnelle suffisante » pour que celui-ci puisse se trouver exonéré de sa responsabilité au regard de la Convention (voir, parmi beaucoup d’autres, R. Kačapor et autres c. Serbie, nos 2269/06, 3041/06, 3042/06, 3043/06, 3045/06 et 3046/06, §§ 96-99, 15 janvier 2008, et Zastava It Turs c. Serbie (déc.), no 24922/12, §§ 19-23, 9 avril 2013).

116. Bien que la jurisprudence décrite ci-dessus concerne des sociétés qui ne sont pas des établissements financiers, la Cour estime qu’elle trouve à s’appliquer aux banques ici en cause. À cet égard, elle note que la Ljubljanska Banka Ljubljana appartient à l’État slovène et qu’elle est contrôlée par un organisme gouvernemental slovène, le Fonds pour la succession (paragraphe 49 ci-dessus). Le fait que la Slovénie ait apporté à la loi constitutionnelle de 1991 une modification par laquelle la plupart des actifs de la Ljubljanska Banka Ljubljana ont été transférés à une nouvelle banque au détriment de la première et de ses partenaires (ibidem) revêt par ailleurs une importance cruciale. Cette opération démontre en effet que l’État slovène a disposé à sa guise des actifs de la Ljubljanska Banka Ljubljana (comparer avec Khachatryan, précité, § 51). En conséquence, la Grande Chambre approuve et fait sienne la conclusion de la chambre selon laquelle il existe des motifs suffisants pour imputer à la Slovénie la responsabilité des dettes de la Ljubljanska Banka Ljubljana à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak. De surcroît, la Cour observe que certains éléments du dossier indiquent que la plupart des fonds déposés auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana aboutissaient en fin de compte en Slovénie (paragraphe 18 ci-dessus).

117. En ce qui concerne Investbanka, la Cour relève que c’est aussi une société publique, qu’elle appartient à l’État serbe, et qu’elle est administrée par un organisme gouvernemental serbe, l’Agence serbe de garantie des dépôts (paragraphe 47 ci-dessus). Qui plus est, la loi de 2001 sur la privatisation a contraint Investbanka à abandonner, à son détriment et à celui de ses partenaires, les importantes créances qu’elle détenait sur des sociétés publiques et des sociétés en propriété collective (ibidem). Autrement dit, la Serbie a disposé à sa guise des actifs d’Investbanka, comme la Slovénie a disposé de ceux de la Ljubljanska Banka Ljubljana. En conséquence, la Grande Chambre approuve et fait sienne la conclusion de la chambre selon laquelle il existe des motifs suffisants pour imputer à la Serbie la responsabilité des dettes d’Investbanka à l’égard de M. Šahdanović.

118. La Cour tient à préciser que la portée des conclusions auxquelles elle est parvenue ci-dessus est circonscrite aux faits de l’espèce. Ces conclusions n’impliquent pas que les États ne pourront jamais restructurer une banque défaillante sans être tenus pour directement responsables de ses dettes sous l’angle de l’article 1 du Protocole no 1 (Kotov, précité, § 116, et Anokhin, décision précitée). Contrairement à la thèse défendue par la Slovénie (paragraphes 93-94 ci-dessus), elles ne signifient pas non plus que cette disposition oblige les systèmes nationaux de garantie des dépôts à étendre systématiquement leur garantie aux succursales étrangères des banques nationales. La Cour estime que, pour les raisons énumérées ci‑dessous, la présente affaire revêt un caractère singulier. En premier lieu, la RSFY existait encore à l’époque où les requérants ont effectué les dépôts litigieux, et les succursales en question n’étaient pas des établissements implantés à l’étranger. En second lieu, la Ljubljanska Banka Ljubljana était une société publique avant même sa restructuration. En fait, la Ljubljanska Banka Ljubljana et Investbanka ont toujours été des sociétés publiques ou des sociétés en propriété collective. En conséquence, la présente affaire se distingue à l’évidence des affaires ordinaires de restructuration de banques privées insolvables. L’arrêt de la Cour de justice de l’AELE invoqué par le gouvernement slovène, qui portait sur la restructuration d’une banque privée défaillante dans un cadre juridique particulier, celui de l’Islande, n’est guère pertinent en l’occurrence. En outre, à la différence des requérants en l’espèce, les épargnants concernés dans l’affaire en question avaient été remboursés par les autorités néerlandaises et britanniques selon le cas (paragraphes 71-73 ci‑dessus).

119. La Cour garde à l’esprit que le gouvernement serbe a invoqué l’affaire Molnar Gabor (paragraphe 91 ci-dessus) mais précise que les dispositions de la loi serbe relative aux « anciens » fonds d’épargne en devises examinées par la Cour dans cette affaire concernaient des épargnants qui, contrairement aux requérants en l’espèce, étaient éligibles au remboursement échelonné de leurs dépôts par les autorités serbes. Dans l’arrêt Molnar Gabor, la Cour a jugé que, eu égard à la situation désastreuse de l’économie serbe à l’époque pertinente et à la marge d’appréciation accordée aux États en matière de politique économique, les mesures critiquées ménageaient un juste équilibre entre l’intérêt général et les droits des intéressés. M. Šahdanović ne pouvant prétendre à un remboursement échelonné de ses avoirs par les autorités serbes, il y a lieu de distinguer la présente espèce de l’affaire Molnar Gabor.

120. Ayant conclu à la responsabilité de la Slovénie pour les dettes de la Ljubljanska Banka Ljubljana à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, et à la responsabilité de la Serbie pour les dettes d’Investbanka à l’égard de M. Šahdanović, la Cour doit rechercher si une raison valable justifie le non‑remboursement des requérants par ces États depuis tant d’années. Les gouvernements serbe et slovène expliquent que ce retard tient principalement à ce que le droit international de la succession d’États n’obligerait les États qu’à négocier de bonne foi les questions de succession, sans leur imposer de délai pour le règlement de celles-ci. Ils soutiennent en outre que les efforts déployés par eux dans le cadre des négociations sur la succession pour que la Bosnie-Herzégovine soit reconnue responsable des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales bosniennes des banques slovènes et des banques serbes sont parfaitement conformes au principe de territorialité, qui est d’après eux le principe directeur du droit international de la succession d’États.

121. La Cour ne souscrit pas à la thèse de la Slovénie et de la Serbie voulant que les dépôts des requérants soient régis par le principe de territorialité. En matière de dettes d’État, le principe directeur du droit international de la succession d’États est celui de la répartition dans des « proportions équitables ». S’il est vrai que la Résolution de 2001 sur la succession d’États en matière de biens et de dettes adoptée par l’Institut de droit international applique spécifiquement le principe de territorialité aux dettes locales, les dépôts des requérants ne relèvent de toute évidence pas de cette catégorie de dettes (paragraphe 60 ci‑dessus). La Grande Chambre rejette également la thèse de la Slovénie et de la Serbie selon laquelle le droit international n’oblige les États qu’à négocier les questions de succession : en réalité il prévoit aussi que, à défaut d’accord entre les États successeurs, les dettes d’État doivent être réparties entre eux de manière équitable (ibidem).

122. Il convient également de relever que la question de la répartition équitable des dettes d’État ici en cause appellerait une évaluation globale des biens et des dettes de l’État prédécesseur ainsi que des quotes-parts déjà attribuées à chacun des États successeurs. Cette question excède largement le cadre de la présente affaire et ne relève pas de la compétence de la Cour (Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 256, 3 octobre 2008).

123. Cela étant, les négociations sur la succession n’empêchaient pas les États successeurs de prendre au niveau national des mesures protectrices des intérêts d’épargnants tels que les requérants. Le gouvernement croate a remboursé à ses ressortissants une grande partie des « anciens » fonds d’épargne en devises qu’ils avaient déposés auprès de la succursale de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphe 43 ci-dessus), et le gouvernement macédonien a restitué la totalité de ces « anciens » fonds qui avaient été déposés auprès de la succursale de Skopje de cette banque (paragraphe 52 ci-dessus). Toutefois, les gouvernements croate et macédonien n’ont jamais abandonné leur position selon laquelle la Slovénie devrait en définitive être tenue pour responsable de ces dettes et ils ont maintenu au niveau interétatique – notamment dans le cadre des négociations sur la succession – leurs demandes de remboursement des sommes qu’ils avaient versées aux épargnants. Parallèlement, le gouvernement slovène a remboursé l’intégralité des « anciens » fonds d’épargne en devises qui avaient été déposés dans les succursales slovènes d’Investbanka et dans d’autres banques étrangères (paragraphe 48 ci‑dessus), et le gouvernement serbe s’est engagé à restituer aux ressortissants des États autres que les États successeurs de la RSFY les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales étrangères de banques serbes, telles que la succursale de Tuzla d’Investbanka (paragraphe 45 ci-dessus). Autrement dit, des solutions ont été trouvées pour certaines catégories de titulaires d’« anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales visées, mais non pour les requérants.

124. Si certains retards peuvent être justifiés dans des circonstances exceptionnelles (voir Merzhoyev, précité, § 56, et, mutatis mutandis, Immobiliare Saffi, précité, § 69), la Cour estime que l’on a fait trop attendre les requérants et que, nonobstant l’ample marge d’appréciation dont elles bénéficient dans ce domaine (paragraphe 106 ci-dessus), les autorités slovènes et les autorités serbes n’ont pas ménagé un juste équilibre entre l’intérêt général et le droit de propriété des requérants, qui se sont vu imposer une charge disproportionnée.

125. Au vu de ce qui précède, la Cour conclut à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, à la violation de cet article par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović, et à la non-violation de cette disposition par les autres États défendeurs.

III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA CONVENTION

126. L’article 13 de la Convention est ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Conclusions de la chambre

127. Après avoir analysé un certain nombre de voies de recours internes, la chambre a conclu que les requérants n’avaient disposé d’aucun recours effectif quant à leurs griefs matériels. En conséquence, elle a rejeté les exceptions de non-épuisement des voies de recours internes soulevées par les Gouvernements. Par ailleurs, après avoir jugé que la Slovénie et la Serbie étaient responsables, pour la première, des « anciens » fonds d’épargne en devises déposés auprès de la succursale de Sarajevo de la Ljubljanska Banka Ljubljana et, pour la seconde, de ceux déposés auprès de la succursale de Tuzla d’Investbanka, la chambre a conclu à la violation de l’article 13 de la Convention par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, à la violation de cette disposition par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović, et à la non-violation de cet article par les autres États défendeurs (paragraphes 83-90 de l’arrêt de la chambre).

B. Thèses des parties

1. Les requérants

128. Les requérants allèguent sans plus de détails qu’ils n’ont disposé d’aucun recours effectif quant à leurs griefs matériels.

2. Les gouvernements défendeurs

129. Seul le gouvernement slovène soutient que le droit interne offrait des recours effectifs aux requérants. À cet égard, il avance que ceux-ci auraient notamment pu exercer une action contre l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana devant les tribunaux slovènes. Il ajoute que les intéressés auraient également pu attraire cette banque devant les juridictions croates, indiquant que plus de cinq cents clients de la succursale de Zagreb de l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana ont obtenu des jugements contre cette banque et que soixante-trois d’entre eux ont recouvré leurs « anciens » fonds d’épargne en devises à l’issue d’une vente judiciaire d’actifs de la succursale de Zagreb situés en Croatie (paragraphe 43 ci-dessus).

130. Les autres gouvernements défendeurs concèdent que les requérants ne disposaient d’aucun recours effectif. Le gouvernement bosnien ajoute que, même si les intéressés avaient obtenu des décisions ordonnant à l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana de leur rembourser leurs « anciens » fonds d’épargne en devises, ces décisions n’auraient certainement pas reçu exécution car, selon lui, la législation adoptée en 1994 n’avait pas laissé à cette banque des actifs suffisants (paragraphe 49 ci‑dessus). Pour sa part, le gouvernement croate soutient qu’une action contre l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana devant les juridictions croates aurait été tout aussi inefficace, faute pour la banque d’avoir encore des actifs en Croatie (paragraphe 43 ci-dessus).

C. Appréciation de la Grande Chambre

131. La Cour l’a dit à de nombreuses reprises, l’article 13 de la Convention garantit l’existence en droit interne d’un recours permettant de s’y prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu’ils peuvent s’y trouver consacrés. Cette disposition a donc pour conséquence d’exiger un recours interne offrant la possibilité d’obtenir l’examen du contenu d’un « grief défendable » fondé sur la Convention et l’octroi du redressement approprié. La portée de l’obligation que l’article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant. Toutefois, le recours exigé par l’article 13 doit être « effectif » en pratique comme en droit. L’« effectivité » d’un « recours » au sens de l’article 13 ne dépend pas de la certitude d’une issue favorable pour le requérant. De même, l’« instance » dont parle cette disposition n’a pas besoin d’être une institution judiciaire, mais alors ses pouvoirs et les garanties qu’elle présente entrent en ligne de compte pour l’appréciation de l’effectivité du recours s’exerçant devant elle. En outre, l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13, même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 157, CEDH 2000‑XI).

132. S’agissant d’abord de l’action civile contre l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana que les requérants, aux dires du gouvernement slovène, auraient pu exercer devant les juridictions slovènes, la Cour relève que le tribunal de district de Ljubljana a rendu de nombreuses décisions ordonnant à cette banque de rembourser les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans sa succursale de Sarajevo augmentés des intérêts acquis (paragraphe 51 ci-dessus). Toutefois, le gouvernement slovène n’a pas démontré que l’une au moins de ces décisions eût été exécutée. En conséquence, il n’est pas établi à ce jour que cette voie de recours fût susceptible d’offrir aux requérants un redressement adéquat et suffisant de leurs griefs.

133. S’agissant ensuite de la possibilité d’introduire une action civile contre l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana devant les juridictions croates, la Grande Chambre observe que, d’après les documents en sa possession, cette banque ne possède plus d’actifs en Croatie. En conséquence, cette voie de droit n’offrait pas aux intéressés des chances raisonnables de succès.

134. La Cour prend note de l’argument du gouvernement slovène consistant à dire que l’article 13 de la Convention ne va pas jusqu’à exiger un recours par lequel on puisse dénoncer, devant une autorité nationale, les lois d’un État contractant comme contraires en tant que telles à la Convention, et qu’il n’y avait donc en l’espèce nulle obligation de fournir aux requérants un recours interne. Tout en confirmant cette interprétation de l’article 13 (Roche c. Royaume-Uni [GC], no 32555/96, § 137, CEDH 2005‑X, Sejdić et Finci c. Bosnie-Herzégovine [GC], nos 27996/06 et 34836/06, § 60, CEDH 2009, et Paksas c. Lituanie [GC], no 34932/04, § 114, CEDH 2011), la Cour relève que les griefs des intéressés ne sont pas dirigés contre les législations nationales des États défendeurs, ni même contre une décision ou une mesure interne. Les requérants reprochent aux États défendeurs de ne pas avoir assuré, d’une manière ou d’une autre, le remboursement de leurs avoirs. En conséquence, la Cour considère que les intéressés auraient dû disposer d’un recours interne effectif.

135. En ce qui concerne Investbanka, la Cour observe que la Serbie ne conteste pas que M. Šahdanović n’a pas disposé d’un recours effectif.

136. Dans ces conditions, la Grande Chambre conclut, à l’instar de la chambre, que l’article 13 de la Convention a été violé par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak, qu’il a été violé par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović, et qu’il n’a pas été violé par les autres États défendeurs.

IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION

137. L’article 14 de la Convention est ainsi libellé :

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la (...) Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

138. Les requérants ont invoqué cet article dans leurs observations devant la Grande Chambre, mais sans y consacrer de véritables développements. Les observations des gouvernements défendeurs sont tout aussi lapidaires sur ce point. En conséquence, la Grande Chambre conclut, à l’instar de la chambre, qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire sous l’angle de l’article 14 en ce qui concerne la Serbie et la Slovénie, et qu’il n’y a pas eu violation de cette disposition par les autres États défendeurs.

V. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

139. Les passages pertinents de l’article 46 de la Convention se lisent ainsi :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

(...) »

A. Conclusions de la chambre

140. La chambre a en l’espèce appliqué la procédure de l’arrêt pilote et indiqué un certain nombre de mesures générales (paragraphes 98-101 de l’arrêt de la chambre).

B. Thèses des parties

141. Seuls le gouvernement serbe et le gouvernement slovène s’opposent à l’application de la procédure de l’arrêt pilote à la présente affaire, avançant notamment qu’ils ne seraient pas en mesure de vérifier le solde des « anciens » comptes d’épargne en devises tenus par les succursales de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka situées dans les autres États défendeurs sans l’aide de ceux-ci. Le gouvernement bosnien et le gouvernement croate soutiennent que le gouvernement serbe et le gouvernement slovène disposent de toutes les informations nécessaires à cet égard.

C. Appréciation de la Grande Chambre

1. Principes généraux

142. La Cour rappelle que l’article 46 de la Convention interprété à la lumière de l’article 1 impose à l’État défendeur l’obligation légale de mettre en œuvre, sous le contrôle du Comité des Ministres, les mesures générales et/ou individuelles appropriées pour garantir le droit du requérant dont la Cour a constaté la violation. L’État doit également appliquer ces mesures à l’égard des autres personnes se trouvant dans la même situation que le requérant, l’objectif pour lui devant être de résoudre les problèmes qui ont conduit la Cour à son constat de violation (Lukenda c. Slovénie, no 23032/02, § 94, CEDH 2005‑X). Le Comité des Ministres ne cesse de souligner cette obligation lors du contrôle de l’exécution des arrêts de la Cour (ResDH(97)336, IntResDH(99)434, IntResDH(2001)65 et ResDH(2006)1).

143. Afin de faciliter une mise en œuvre effective de ses arrêts, la Cour peut adopter une procédure d’arrêt pilote lui permettant de mettre clairement en lumière l’existence de problèmes structurels à l’origine des violations et d’indiquer à l’État défendeur des mesures pour y remédier (voir la Résolution Res(2004)3 sur les arrêts qui révèlent un problème structurel sous-jacent adoptée par le Comité des Ministres le 12 mai 2004, l’article 61 du règlement de la Cour et l’arrêt Broniowski, précité, §§ 189-194). Cette procédure vise à faciliter la résolution la plus rapide et la plus efficace d’un dysfonctionnement affectant la protection des droits conventionnels en cause dans l’ordre juridique interne (Wolkenberg et autres c. Pologne (déc.), no 50003/99, § 34, 4 décembre 2007). Si elle doit tendre principalement au règlement de ces dysfonctionnements et à la mise en place, le cas échéant, de recours internes effectifs permettant de dénoncer les violations commises, l’action des États défendeurs peut aussi comprendre l’adoption de solutions ad hoc telles que des règlements amiables avec les requérants ou des offres unilatérales d’indemnisation, en conformité avec les exigences de la Convention. La Cour peut donc décider d’ajourner l’examen de toutes les affaires similaires, donnant ainsi aux États défendeurs une possibilité de les régler selon ces diverses modalités (voir, par exemple, Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 127, CEDH 2009). Si toutefois l’État défendeur n’adopte pas ces mesures à la suite de l’arrêt pilote et s’il persiste à méconnaître la Convention, la Cour n’a d’autre choix que de reprendre l’examen de toutes les requêtes similaires portées devant elle et de statuer sur celles-ci afin de garantir le respect effectif de la Convention (E.G. c. Pologne et 175 autres affaires de la rivière Boug (déc.), no 50425/99, § 28, CEDH 2008, et Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) [GC], no 26828/06, § 136, CEDH 2014).

2. Application en l’espèce des principes susmentionnés

144. Les violations constatées par la Cour dans la présente affaire touchent un grand nombre de personnes. Plus de 1 850 requêtes similaires, concernant plus de 8 000 requérants, sont pendantes devant la Cour. Elles portent sur les « anciens » fonds d’épargne en devises déposés dans les succursales de Sarajevo et de Zagreb de la Ljubljanska Banka Ljubljana ainsi que dans les succursales de banques serbes situées en Serbie ou à l’étranger (paragraphe 46 ci-dessus). En outre, les requérants potentiels se comptent par milliers. En conséquence, la Grande Chambre souscrit à la conclusion de la chambre selon laquelle il y a lieu d’appliquer en l’espèce la procédure de l’arrêt pilote, bien que le gouvernement serbe et le gouvernement slovène s’y opposent.

145. Compte tenu de la situation à caractère systémique qu’elle constate, la Cour estime que des mesures générales au niveau national s’imposent sans aucun doute dans le cadre de l’exécution du présent arrêt.

146. En particulier, la Slovénie doit prendre, dans un délai d’un an, sous la surveillance du Comité des Ministres, toutes les mesures, y compris d’ordre législatif, nécessaires pour permettre à Mme Ališić, à M. Sadžak et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation qu’eux de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les personnes ayant déposé de tels fonds dans les succursales slovènes de banques slovènes (ces conditions ont été décrites au paragraphe 48 ci-dessus). De son côté, la Serbie doit prendre dans un délai d’un an, sous la surveillance du Comité des Ministres, toutes les mesures, y compris d’ordre législatif, nécessaires pour permettre à M. Šahdanović et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation que lui de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les ressortissants serbes ayant déposé de tels fonds dans les succursales serbes de banques serbes (ces conditions ont été décrites au paragraphe 45 ci‑dessus).

147. Il convient de souligner que les mesures indiquées ci-dessus ne s’appliquent pas aux personnes qui, bien que se trouvant dans la même situation que les requérants, se sont vu restituer l’intégralité de leurs « anciens » fonds en devises – par exemple celles qui ont pu les retirer pour des raisons humanitaires (paragraphes 25 et 44 ci-dessus) ou en disposer dans le cadre du processus de privatisation mené en Fédération de Bosnie-Herzégovine (paragraphe 32 ci‑dessus) –, ou ont obtenu du gouvernement croate ou du gouvernement macédonien le remboursement des dépôts effectués dans les succursales de Zagreb et de Skopje de la Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphes 43 et 52 ci-dessus). En conséquence, la Serbie et la Slovénie pourront exclure ces personnes de leurs programmes de remboursement respectifs. Toutefois, en cas de remboursement seulement partiel des « anciens » fonds en devises, la Serbie et la Slovénie demeureront débitrices du reliquat des créances dues à ces personnes – la Serbie pour les « anciens » fonds en devises déposés dans les succursales de banques serbes, la Slovénie pour les « anciens » fonds en devises déposés dans les succursales de banques slovènes – quelles que soient la nationalité des déposants concernés et la localisation des succursales en question.

148. Pour permettre aux autorités serbes et aux autorités slovènes de vérifier le solde des comptes concernés par les mesures susmentionnées, les requérants et tous ceux qui se trouvent dans la même situation qu’eux devront se conformer aux exigences des procédures de vérification que la Serbie et la Slovénie pourront mettre en place. Cela étant, compte tenu du temps écoulé et des guerres qui ont affecté tant de personnes de différentes façons, les réclamations des déposants ne pourront être rejetées au seul motif que ceux-ci ne disposent pas des originaux de leurs contrats ou de leurs livrets bancaires lorsque l’existence de leurs créances pourra être établie par d’autres moyens. En outre, toutes les décisions prises dans le cadre des procédures de vérification devront être susceptibles de contrôle juridictionnel.

149. S’il ne fait aucun doute que l’incapacité dans laquelle les personnes concernées se trouvent depuis plus de vingt ans de disposer librement de leurs « anciens » fonds d’épargne en devises est pour elles source de détresse et de frustration, la Cour estime qu’à ce stade il n’y a pas lieu d’indiquer à titre de mesure générale que la Serbie et la Slovénie doivent leur fournir une réparation adéquate de ce préjudice. Toutefois, si l’un ou l’autre de ces États devait rester en défaut d’appliquer les mesures indiquées au paragraphe 146 ci-dessus et persister de ce fait à violer la Convention, la Cour pourrait réexaminer la question de la réparation dans une prochaine affaire qui serait dirigée contre l’État concerné et qui se prêterait à un tel réexamen (Suljagić, précité, § 64).

150. Enfin, la Cour décide d’ajourner pendant un an l’examen de toutes les requêtes similaires à la présente affaire dirigées contre la Serbie ou la Slovénie (Suljagić, précité, § 65), tout en précisant que, comme le prévoit la Convention, elle peut néanmoins à tout moment déclarer telle ou telle de ces requêtes irrecevable ou la rayer de son rôle.

VI. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

151. Aux termes de l’article 41 de la Convention :

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

152. Les requérants réclament pour préjudice matériel le remboursement de leurs « anciens » fonds en devises augmentés d’intérêts. La Cour a déjà statué sur ce point au paragraphe 146 ci-dessus.

153. En outre, les intéressés sollicitent chacun 4 000 euros (EUR) pour préjudice moral.

154. Les Gouvernements ne se sont pas exprimés à ce sujet dans leurs observations devant la Grande Chambre.

155. À l’instar de la chambre, la Grande Chambre admet que l’incapacité dans laquelle les requérants se trouvent depuis plus de vingt ans de disposer librement de leurs « anciens » fonds d’épargne en devises n’a pu manquer de leur causer de la détresse et de la frustration. Le fait que les intéressés aient pris la peine – dans une certaine mesure au moins – d’agir au nom des épargnants se trouvant dans la même situation qu’eux a inévitablement aggravé ces sentiments de détresse et de frustration (Hutten‑Czapska c. Pologne [GC], no 35014/97, § 248, CEDH 2006‑VIII). En conséquence, statuant en équité comme le veut l’article 41 de la Convention, la Cour alloue aux requérants les sommes qu’ils réclament, à savoir 4 000 EUR chacun à Mme Ališić et M. Sadžak (sommes à verser par la Slovénie) et 4 000 EUR à M. Šahdanović (somme à verser par la Serbie).

B. Frais et dépens

156. Les requérants sollicitent 27 351 EUR au titre des frais et dépens exposés par eux dans le cadre de la procédure devant la Grande Chambre.

157. Les Gouvernements jugent cette demande excessive et non étayée.

158. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. Autrement dit, le requérant doit les avoir réglés, ou être tenu de les régler, en vertu d’une obligation légale ou contractuelle, et il faut qu’il ait été contraint de les engager pour empêcher la violation constatée ou y faire remédier. À cet égard, la Cour exige la production de notes d’honoraires et de factures suffisamment précises pour lui permettre de déterminer dans quelle mesure les conditions susmentionnées se trouvent remplies. Les requérants n’ayant produit ni notes d’honoraires ni factures, la Cour rejette leur demande pour frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

159. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1. Rejette, à l’unanimité, les exceptions préliminaires soulevées par les gouvernements défendeurs ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no l par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 1 du Protocole no l par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak ;

4. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 1 du Protocole no 1 par les autres États défendeurs ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention par la Serbie à l’égard de M. Šahdanović ;

6. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention par la Slovénie à l’égard de Mme Ališić et de M. Sadžak ;

7. Dit, par quinze voix contre deux, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention par les autres États défendeurs ;

8. Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief sous l’angle de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 en ce qui concerne la Serbie et la Slovénie, et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 13 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1 par les autres États défendeurs ;

9. Dit, à l’unanimité, que le fait que le gouvernement serbe et le gouvernement slovène n’ont pas intégré les requérants et tous ceux qui se trouvent dans la même situation qu’eux dans leurs programmes respectifs de remboursement des « anciens » fonds en devises constitue un problème systémique ;

10. Dit, par seize voix contre une, que la Serbie doit prendre dans un délai d’un an, sous la surveillance du Comité des Ministres, toutes les mesures, y compris d’ordre législatif, nécessaires pour permettre à M. Šahdanović et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation que lui de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les ressortissants serbes ayant déposé de tels fonds dans les succursales serbes de banques serbes ;

11. Dit, par seize voix contre une, que la Slovénie doit prendre dans un délai d’un an, sous la surveillance du Comité des Ministres, toutes les mesures, y compris d’ordre législatif, nécessaires pour permettre à Mme Ališić, à M. Sadžak et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation qu’eux de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les personnes ayant déposé de tels fonds dans les succursales slovènes de banques slovènes ;

12. Décide, à l’unanimité, d’ajourner pendant un an l’examen de toutes les requêtes similaires à la présente affaire dirigées contre la Serbie ou la Slovénie, étant entendu qu’en vertu de la Convention elle peut toujours, à tout moment, déclarer telle ou telle de ces requêtes irrecevable ou la rayer de son rôle ;

13. Dit, par seize voix contre une,

a) que la Serbie doit verser, dans les trois mois, 4 000 EUR (quatre mille euros) à M. Šahdanović pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe sur cette somme ;

b) que la Slovénie doit verser, dans les trois mois, 4 000 EUR (quatre mille euros) chacun à Mme Ališić et à M. Sadžak pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt ou de taxe sur cette somme ;

c) qu’à compter de l’expiration desdits délais et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

14. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable des requérants pour le surplus.

Fait en français et anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 16 juillet 2014.

Michael O’BoyleDean Spielmann
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante de la juge Ziemele ;

– opinion en partie concordante du juge Popović ;

– opinion en partie dissidente de la juge Nußberger, à laquelle se rallie le juge Popović.

D. S.
M. O’B.

OPINION CONCORDANTE DE LA JUGE ZIEMELE

(Traduction)

1. J’ai voté avec la majorité dans la présente affaire. À mon avis, l’arrêt rendu par la Cour est appelé à devenir l’un des arrêts de principe dans un domaine particulier, celui de la succession d’États et de l’application de la Convention européenne des droits de l’homme, sur la question extrêmement délicate de la répartition des responsabilités pour dettes d’États. Il incombait à la Cour d’identifier les principes du droit de la succession d’États susceptibles d’influer sur l’interprétation qu’elle devait donner à l’article 1 du Protocole no 1 en l’espèce. La partie de l’arrêt consacrée au droit et à la pratique internationaux pertinents revêtait donc ici une importance particulière.

2. Il convient de souligner que, bien que la Cour ait une approche extrêmement large des sources du droit international, exposée dans son arrêt Demir et Baykara c. Turquie ([GC], no 34503/97, §§ 85-86, CEDH 2008), ses interventions s’inscrivent dans certaines limites, raison pour laquelle elle s’est abstenue de décrire et d’analyser de manière plus détaillée les principes du droit de la succession d’États, matière qui suscite encore de nombreuses questions et donne lieu à des pratiques très diverses de la part des États (Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 256, 3 octobre 2008). Aussi la Cour s’en est-elle tenue aux points essentiels de la branche pertinente du droit international tout en mettant l’accent – cela va sans dire – sur sa propre jurisprudence et sur les principes qui sont les siens.

3. Il convient aussi de relever que la Slovénie et la Serbie défendaient principalement la thèse selon laquelle il fallait appliquer le principe de territorialité en cas de succession d’États pour déterminer les responsabilités respectives des États concernés. Or la Cour a estimé qu’il ne s’agissait certainement pas là du seul principe applicable au problème du sort des dettes d’un État après la dissolution de celui-ci (paragraphe 121 de l’arrêt). Pour résoudre ce problème, la Cour s’est principalement attachée à rappeler et à mettre en exergue les principes relatifs à l’obligation de négocier en matière de succession d’États (Kovačić et autres, précité, opinion concordante du juge Ress, point 4) et le principe selon lequel les États successeurs doivent se répartir les dettes de l’État prédécesseur dans des proportions équitables. La présente affaire ayant une portée limitée, la Cour n’a pas approfondi la question de la répartition équitable des dettes litigieuses en tant que telle (paragraphe 123 de l’arrêt) et n’a assurément pas abordé celle de l’enrichissement sans cause, question qui était à mes yeux non dénuée de pertinence en l’espèce (voir les articles 37, 40 et 41 de la Convention de Vienne sur la succession d’États en matière de biens, archives et dettes d’États, l’avis no 1 de la Commission d’arbitrage Badinter et l’article 8 de la Résolution de 2001 sur la succession d’États en matière de biens et de dettes adoptée par l’Institut du droit international). Cela étant, la solution retenue dans l’arrêt peut passer pour conforme à l’esprit de ces principes et à l’application qui en est faite par la pratique internationale, même si la Cour n’en a pas fait expressément mention.

4. Quant à la question centrale de l’affaire – celle de savoir quelle était la place à accorder au principe de territorialité en matière de succession d’États –, la conclusion de la Cour selon laquelle ce principe n’est qu’un élément parmi d’autres à prendre en compte aux fins de l’établissement des responsabilités respectives des États concernés renforce la position de l’Institut du droit international exposée dans la résolution adoptée par celui-ci en 2001, étant entendu que la nature des droits en cause revêt une importance certaine. La Cour a imputé à la Serbie et à la Slovénie respectivement la responsabilité des dettes des banques auprès desquelles les requérants détiennent des comptes en devises gelés (paragraphes 116‑117 de l’arrêt). Cette solution est à comparer avec l’approche suivie par la Cour dans l’affaire Likvidējamā p/s Selga et Vasiļevska c. Lettonie ((déc), nos 17126/02 et 24991/02, 1er octobre 2013), qui portait sur des comptes en devises gelés tenus par une banque sise en Fédération de Russie. Si le statut juridique international de la Lettonie diffère de celui des États défendeurs ici en cause en ce que celle-ci n’est pas un État successeur issu de l’effondrement de l’URSS, la Fédération de Russie est un État prédécesseur. Or la Cour a également constaté dans ce cas de figure que le principe de territorialité dont les requérants se prévalaient n’était pas applicable.

5. Comme je l’ai déjà indiqué, je souscris pleinement aux conclusions auxquelles la majorité est parvenue sur le fond de l’affaire. Cela dit, j’émets de sérieuses réserves sur les énonciations de l’arrêt relatives à son exécution (points 10 et 11 du dispositif), bien que j’aie en définitive voté avec la majorité. Il arrive parfois à la Cour d’impartir aux États des délais pour l’exécution de ses arrêts sous le contrôle du Comité des Ministres. Or la pratique montre qu’elle doit fréquemment revenir sur ses décisions initiales à cet égard. Pareille situation me paraît inévitable car les arrêts de la Cour portent généralement sur des questions de principe et appellent des réformes législatives, processus politiques complexes (voir, par exemple, L. c. Lituanie, no 27527/03, CEDH 2007‑IV), a fortiori en matière de succession d’États. Il est incontestablement dans l’intérêt collectif de l’Europe que les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme soient exécutés rapidement et que les États concernés assument les conséquences plus générales qui en découlent, dans la mesure du possible. Pour ce qui est de la Cour et de sa part dans la responsabilité collective du système de protection des droits de l’homme instauré par la Convention, aucun effort n’a été épargné, la Cour allant même jusqu’à indiquer des solutions possibles au titre de l’article 46 lorsque celui-ci trouve à s’appliquer. Il est grand temps que les États fassent leurs « devoirs » en ce qui concerne le respect de la jurisprudence de Strasbourg, leur attitude à cet égard ayant aussi des effets directs sur l’efficacité de la Cour. C’est dans ce contexte qu’il arrive à la Cour – comme en l’espèce – d’impartir aux États défendeurs des délais dans lesquels ils doivent se conformer à ses arrêts, mesure quelque peu désespérée. Il est extrêmement regrettable que la Cour se trouve placée dans des situations l’obligeant à recourir à des dispositions de ce genre. En outre, de telles dispositions présentent des risques pour la Cour dans la mesure où celle-ci peut être appelée à reconsidérer ses décisions, et elles soulèvent de sérieuses questions au regard du principe de sécurité juridique et du caractère définitif des décisions de justice. Je préfèrerais de beaucoup que les États parties à la Convention et le Comité des Ministres adoptent une position plus stricte en ce qui concerne l’exécution des arrêts de la Cour plutôt que de la voir contrainte de prendre de tels risques.

OPINION EN PARTIE CONCORDANTE DU JUGE POPOVIĆ

(Traduction)

J’ai voté avec la majorité en ce qui concerne la violation de la Convention par la Slovénie et la Serbie en l’espèce. Toutefois, j’estime que les paragraphes 109 à 125 du présent arrêt auraient dû être clarifiés. En effet, celui-ci n’autorise en aucun cas la Cour à appliquer la procédure du juge unique à des requêtes qui seraient dirigées contre la Bosnie-Herzégovine, la Croatie et/ou l’ex-République yougoslave de Macédoine. De telles requêtes ne pourront être déclarées irrecevables d’office. Elles devront au contraire être attribuées à une chambre, qui examinera d’abord leur recevabilité, puis statuera sur le fond de celles qui auront été déclarées recevables.

OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DE LA JUGE NUßBERGER, À LAQUELLE SE RALLIE LE JUGE POPOVIĆ

(Traduction)

A. Dimension historique et conséquences financières de l’affaire

Il ne fait aucun doute que les droits des requérants au titre de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 13 de la Convention ont été violés en l’espèce. Toutefois, dans cette affaire très complexe et difficile, la Grande Chambre était non seulement appelée à se prononcer sur la réalité des atteintes alléguées aux droits de l’homme, mais aussi à rechercher qui était responsable de ces violations qui duraient depuis plus de vingt ans, et qui revêtaient une dimension historique en ce qu’elles s’inscrivaient dans le contexte de la dissolution de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY »).

Parallèlement, il incombait à la Grande Chambre de déterminer les sommes à verser aux requérants eux-mêmes ainsi qu’à tous ceux qui se trouvaient dans la même situation qu’eux. Aussi la Grande Chambre devait‑elle rendre une décision aux conséquences financières considérables.

À mon grand regret, je ne puis souscrire à la solution à laquelle la majorité est parvenue.

B. L’imputation à la Slovénie et à la Serbie de l’entière responsabilité de la violation des droits patrimoniaux des requérants

L’obligation d’indemniser la perte des « anciens » dépôts d’épargne en devises pouvait être regardée soit comme une question de droit civil (cette position, exposée aux paragraphes 85, 87 et 96 du présent arrêt, était celle de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de l’ex-République yougoslave de Macédoine), soit comme une question de succession à régler par application du droit international (telle était la position de la Serbie et de la Slovénie, exposée aux paragraphes 89 et 92 du présent arrêt). Optant pour une approche civiliste[44], la majorité de la Grande Chambre a jugé en l’espèce que la Slovénie et la Serbie étaient seules responsables, respectivement, de la violation des droits de Mme Ališić, de M. Sadžak et de M. Šahdanović. Et c’est ainsi que des États où se trouvait à « l’époque yougoslave » le siège de banques associées constituées sur le modèle de l’autogestion socialiste sont aujourd’hui tenus de rembourser l’intégralité des dettes issues d’un système créé par un autre État avant l’entrée en vigueur de la Convention.

J’estime que cette solution est insatisfaisante et inappropriée en ce qu’elle est fondée sur une vision réductrice d’une évolution historique complexe et qu’elle élude un certain nombre d’éléments importants. Il pouvait être tentant d’apporter une solution tranchée et « facile » à ce problème. Pourtant, une approche plus nuancée s’imposait.

1. La responsabilité de la RSFY quant à la mise en place du système

Il est incontestable que ni la Slovénie ni la Serbie ne sont seules responsables de la mise en place de l’ensemble du système bancaire et du mécanisme des transferts, et que la responsabilité en incombe à la RSFY, qui était à l’époque confrontée à un grand besoin de devises fortes (paragraphe 14 du présent arrêt). Il est tout aussi indiscutable que le système en question ne reposait pas sur des bases financières saines (paragraphes 14 et 17 de l’arrêt). Ce système doit être considéré comme un mécanisme de placements à risque qui attirait les dépôts des épargnants en les rémunérant par des taux d’intérêts beaucoup plus élevés que ceux du marché, et souvent supérieurs à 10 % (paragraphe 14 de l’arrêt). Il est clair que les gains élevés promis aux épargnants ne reposaient sur aucun fondement économique.

La Cour l’a clairement indiqué, dans les termes suivants (Suljagić c. Bosnie-Herzégovine, no 27912/02, § 51, 3 novembre 2009) :

« Tout d’abord, chacun sait que la crise économique mondiale des années 1970 fut particulièrement dure pour la RSFY. Celle-ci fit appel aux marchés internationaux de capitaux, et devint rapidement l’un des pays les plus endettés au monde. Lorsque la communauté internationale abandonna les pratiques de crédit laxistes des années 1970, la RSFY utilisa les dépôts d’épargne en devises de ses citoyens pour honorer ses dettes extérieures et financer ses importations. (…) »

2. L’effondrement du système à « l’époque yougoslave »

Le système s’était déjà effondré à « l’époque yougoslave » (abandon du mécanisme des transferts en 1988 (paragraphe 20 de l’arrêt), abolition du système des banques de base et des banques associées dans les années 1989‑1990 (paragraphe 21 de l’arrêt), retraits massifs de devises étrangères (paragraphe 22 de l’arrêt)). La RSFY eut recours la première à des mesures d’urgence restreignant de manière importante les retraits de fonds en devises (paragraphes 22 et 53 de l’arrêt). Ces mesures n’auraient pas été nécessaires si les dépôts des épargnants n’avaient pas déjà disparu à cette époque. Tous ces événements ont eu lieu dans un État qui n’existe plus aujourd’hui.

Cette situation a été explicitement constatée dans la jurisprudence de la Cour (Suljagić, précité, § 10, comparer également avec Kovačić et autres c. Slovénie [GC], nos 44574/98, 45133/98 et 48316/99, § 40, 3 octobre 2008, et Molnar Gabor c. Serbie, no 22762/05, § 6, 8 décembre 2009), dans les termes suivants :

« Les difficultés dues à la dette extérieure et intérieure de la RSFY provoquèrent une crise monétaire dans les années 1980. L’économie nationale étant sur le point de s’effondrer, la RSFY prit des mesures d’urgence, notamment des dispositions législatives restreignant les remboursements des dépôts en devises (article 71 de la loi de 1985 sur les opérations en devises), de telle manière que les dépôts en devises furent en pratique gelés. »

Bien que la garantie de droit civil accordée par l’État n’ait pas été appelée avant la dissolution de la RSFY (paragraphe 15 de l’arrêt), les conséquences des dysfonctionnements du système instauré par cet État relèvent de la responsabilité conjointe des États successeurs.

Il s’ensuit que l’affaire présente une dimension de droit international que l’on ne saurait ignorer.

3. L’étendue de la compétence ratione temporis de la Cour

La plupart des mesures que les États successeurs prirent en vue de parer à l’effondrement du système par la création de régimes spéciaux applicables aux « anciens » fonds d’épargne en devises furent adoptées au début des années 1990 (paragraphes 23 et suivants de l’arrêt), c’est-à-dire avant l’entrée en vigueur de la Convention dans les États concernés (le 28 juin 1994 en Slovénie, le 10 avril 1997 en ex-République yougoslave de Macédoine, le 5 novembre 1997 en Croatie, le 12 juillet 2002 en Bosnie-Herzégovine et le 3 mars 2004 en Serbie). En pratique, les comptes en devises demeurèrent « gelés » dans tous les États successeurs, mais il était possible d’effectuer des retraits dans des situations particulières, notamment pour des motifs humanitaires (en ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, voir par exemple le paragraphe 25 de l’arrêt, et le paragraphe 44 pour ce qui est de la Serbie, les éléments mis à la disposition de la Cour ne comportant aucune indication sur les mesures d’urgence prises par la Croatie et l’ex-République yougoslave de Macédoine au début des années 1990, voir les paragraphes 42 et 52 de l’arrêt). La Slovénie avait accepté dès 1991 de reprendre à sa charge la garantie initialement accordée par l’ex-RSFY et, en 1993, de rembourser les fonds initiaux majorés des intérêts acquis, mais seulement ceux qui avaient été déposés dans des succursales bancaires slovènes (sachant que cet engagement s’étendait aux banques slovènes et aux succursales slovènes de banques étrangères, voir le paragraphe 48 de l’arrêt). La garantie accordée par la Bosnie-Herzégovine ne couvrait que les banques bosniennes (paragraphe 24 de l’arrêt).

Il va sans dire que toutes ces dispositions prises immédiatement après l’effondrement de la RSFY étaient des mesures d’urgence visant à inspirer confiance dans les nouvelles structures étatiques et à éviter un mécontentement profond et un mouvement de protestation à une époque perturbée. Au fil du temps, d’autres mesures furent adoptées. Elles étaient adaptées aux besoins concrets de chacun des États successeurs et s’accompagnaient de mécanismes d’inclusion et d’exclusion (par exemple, la Bosnie-Herzégovine a garanti et par la suite remboursé les seuls dépôts effectués dans les banques bosniennes – paragraphes 24 et 27 de l’arrêt – tandis que la Serbie a exclu de son programme de remboursement les ressortissants des autres États de l’ex-RSFY (paragraphe 45 de l’arrêt)). Au contraire, l’ex-République yougoslave de Macédoine a remboursé l’intégralité des dettes correspondant aux anciens dépôts en devises (paragraphe 52 de l’arrêt), tandis que cette question semble prêter à controverse en ce qui concerne la Croatie (paragraphe 42 de l’arrêt et Kovačić et autres, précité, § 183).

La Cour n’a pas compétence ratione temporis pour examiner dans quelle mesure les dispositions adoptées avant l’entrée en vigueur de la Convention portaient atteinte aux droits des requérants au titre de l’article 1 du Protocole no 1 ou étaient discriminatoires et contraires à cette disposition combinée avec l’article 14. Au moment de l’entrée en vigueur de la Convention dans chacun des États concernés, les requérants se trouvaient depuis plusieurs années déjà dans l’impossibilité d’accéder à leurs dépôts. Par conséquent, j’estime que les devoirs des États au titre de la Convention doivent être analysés en termes d’obligations positives et non en termes d’ingérence. Concrètement, les fonds des intéressés avaient déjà disparu et ne pouvaient disparaître à nouveau, mais les pertes encourues devaient faire l’objet d’une indemnisation.

4. La violation d’obligations positives

Dans le cadre de la succession d’États, l’article 1 du Protocole no 1 imposait aux États défendeurs une double obligation : sur le plan vertical, ils devaient réparer les pertes subies par les requérants et leur apporter une aide immédiate tandis que, sur le plan horizontal, ils devaient négocier entre eux pour parvenir à une répartition adéquate des dettes contractées dans un système qu’ils avaient tous contribué à mettre en place. Si le premier de ces devoirs était une conséquence directe de l’article 1 de la Convention, il était étroitement lié au second, qui découlait du droit international général et de l’Accord sur les questions de succession. La Cour rappelle fréquemment que les droits garantis par la Convention ne sont pas théoriques ou illusoires, mais concrets et effectifs. Le droit à une indemnisation ne peut être effectif que si le débiteur de celle-ci est clairement identifié. En conséquence, tous les États défendeurs avaient l’obligation positive de négocier sur la question des « anciens » dépôts en devises.

J’estime que la Croatie a manqué à ce devoir en refusant en 2002 de continuer à négocier (paragraphe 63 de l’arrêt), alors même que tous les autres États concernés souhaitaient reprendre les négociations.

En ce qui concerne l’obligation positive de compenser les pertes subies par les requérants, je souscris à l’opinion de la majorité selon laquelle la Slovénie et la Serbie ont manqué à cette obligation au titre de l’article 1 du Protocole no 1. En restructurant l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana et en transférant la majeure partie des actifs de cet établissement à la Nova Ljubljanska Banka en 1994, alors que la Convention était déjà entrée en vigueur, la Slovénie a de facto empêché tout remboursement sans pour autant prendre la moindre mesure compensatoire (paragraphe 49 de l’arrêt). Il en va de même de la Serbie, qui n’a rien fait pour empêcher la faillite d’Investbanka (paragraphe 47 de l’arrêt).

En revanche, je marque mon désaccord avec la conclusion de la majorité exonérant la Bosnie-Herzégovine de toute responsabilité à cet égard. En refusant délibérément de garantir et de rembourser les « anciens » dépôts en devises effectués dans les succursales étrangères des banques bosniennes (paragraphes 24 et suivants de l’arrêt), la Bosnie-Herzégovine a laissé les violations des droits de l’homme se poursuivre. L’exemple de l’ex-République yougoslave de Macédoine (paragraphe 52 de l’arrêt) et le règlement de la question des dépôts effectués auprès de la caisse d’épargne postale – aux termes duquel chacun des États successeurs a garanti les fonds déposés dans les succursales situées sur son territoire (paragraphe 64 de l’arrêt) – montrent que l’exclusion de la responsabilité de l’État où les dépôts avaient été effectués ne faisait pas consensus. Le refus catégorique de payer opposé par la Bosnie-Herzégovine est d’autant plus injustifié qu’il est incontestable qu’une partie des fonds lui a été rétrocédée par le biais du système des transferts.

En d’autres termes, la majorité n’a pas examiné les obligations positives de tous les États défendeurs contre lesquels les griefs des requérants étaient dirigés.

C. Le système d’indemnisation

1. Une indemnisation fondée sur des dispositifs conçus avant l’entrée en vigueur de la Convention

La majorité de la Grande Chambre a enjoint à la Slovénie de « prendre (...) toutes les mesures (...) nécessaires pour permettre à Mme Ališić, à M. Sadžak et à tous ceux qui se trouvent dans la même situation qu’eux de recouvrer leurs « anciens » fonds en devises dans les mêmes conditions que les personnes ayant déposé de tels fonds dans les succursales slovènes de banques slovènes », c’est-à-dire de rembourser les dépôts initiaux majorés des intérêts acquis (paragraphes 146 et 48 de l’arrêt[45]). Pour sa part, la Serbie doit rembourser les « anciens » dépôts d’épargne en devises « dans les mêmes conditions que les ressortissants serbes ayant déposé de tels fonds dans les succursales serbes de banques serbes », c’est-à-dire pour partie en numéraire et pour partie en obligations d’État (paragraphes 146 et 45 de l’arrêt).

Une telle solution aurait été justifiée si la Cour avait conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 14, car elle aurait alors constitué un remède adéquat à un traitement discriminatoire. Elle aurait également été justifiée sur le terrain de l’enrichissement sans cause s’il avait été établi que la Slovénie et la Serbie étaient encore en possession des fonds déposés par les requérants et qu’elles avaient perçu des intérêts sur ces sommes au cours de la période 1990-2014.

Or aucune de ces conditions n’est remplie en l’espèce.

La Cour a expressément indiqué qu’il n’y avait pas lieu de conclure à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 combiné avec l’article 14 dans la présente affaire.

En ce qui concerne la question de « l’enrichissement sans cause », il convient de tenir compte des éléments exposés ci-après.

En premier lieu, il est indiscutable que les fonds n’ont pas tous « abouti » en Slovénie et en Serbie (paragraphe 116 de l’arrêt). Par conséquent, il est inapproprié d’exiger de la Slovénie et de la Serbie le remboursement de l’intégralité des « anciens » dépôts en devises. À l’époque socialiste, les banques associées implantées en Slovénie et en Serbie rétrocédaient une partie des fonds qu’elles avaient reçus pour permettre aux banques de base de couvrir leurs besoins de liquidités (paragraphes 18 et 19 de l’arrêt). Les prêts en dinars (initialement exempts d’intérêts) ayant été accordés par la Banque nationale de Yougoslavie à des sociétés implantées en Bosnie-Herzégovine sur la base des devises transférées et ayant ainsi bénéficié à l’économie locale, la règle de droit international qui régit les dettes locales (article 29 de la Résolution sur la succession d’États en matière de biens et de dettes adoptée par l’Institut de droit international, paragraphe 60 de l’arrêt) n’apparaît pas « évidemment » inapplicable, contrairement à ce qu’indique la majorité de la Grande Chambre au paragraphe 121 de l’arrêt. En deuxième lieu, il ne prête pas à controverse que des fonds ont été versés à la Banque nationale de Yougoslavie, à Belgrade, par le biais du système des transferts. En troisième et dernier lieu, dès lors que la RSFY elle-même avait estimé que des mesures d’urgence s’imposaient et qu’elle avait pris de telles dispositions (paragraphe 22 de l’arrêt), il est fort probable que la majeure partie des fonds avaient déjà disparu à « l’époque yougoslave ».

D’ailleurs, s’appuyant sur la Résolution 1410 (2004) relative à la restitution des dépôts en devises étrangères effectués dans les filiales de l’ancienne Ljubljanska Banka situées en dehors du territoire de la Slovénie entre 1977 et 1991 adoptée par l’Assemblée parlementaire le 23 novembre 2004 et sur la note introductive préparée par M. Jurgens, rapporteur, la Cour s’est exprimée ainsi dans l’affaire Suljagić (précitée, § 51) :

« (…) L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a établi que, de ce fait, une grande partie des dépôts initiaux avaient disparu avant la dissolution de la RSFY (...) »

2. La question de l’indemnisation dans les affaires liées à des changements de régime politique

Par ailleurs, l’approche adoptée par la Grande Chambre en l’espèce n’est pas compatible avec la jurisprudence établie par la Cour dans des affaires similaires. En général, la Cour est très peu encline à condamner des États pour des violations de droits patrimoniaux survenues avant l’entrée en vigueur de la Convention à leur égard (Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, §§ 53-61, CEDH 2004‑IX, Von Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, §§ 110-114, CEDH 2005‑V, et Jahn et autres c. Allemagne [GC], nos 46720/99, 72203/01 et 72552/01, §§ 99-117, CEDH 2005‑VI). Il est fait exception à ce principe lorsque sont en cause des violations continues (Loizidou c. Turquie (fond), 18 décembre 1996, §§ 63-64, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI) ou des espérances légitimes portant sur des intérêts patrimoniaux (Broniowski c. Pologne (déc.) [GC], no 31443/96, §§ 97-102, CEDH 2002‑X). En revanche, lorsque des violations de l’article 1 du Protocole no 1 sont liées à des événements de grande ampleur survenus avant l’entrée en vigueur de la Convention, la Cour s’accommode de dispositifs offrant une indemnisation inférieure à la réparation intégrale du préjudice subi (Broniowski c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 31443/96, §§ 31 et 43, CEDH 2005‑IX, Hutten-Czapska c. Pologne (règlement amiable) [GC], no 35014/97, § 27, 28 avril 2008, et Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie [GC], no 71243/01, §§ 115 et 118-131, 25 octobre 2012).

Dans l’affaire Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (ibidem, § 113), la Cour l’a précisé en ces termes :

« Ce principe s’impose avec encore plus de vigueur lorsque sont en cause des lois adoptées dans le contexte d’un changement de régime politique et économique, surtout au cours d’une période initiale de transition nécessairement marquée par des bouleversements et des incertitudes. En pareil cas, l’État dispose d’une marge d’appréciation particulièrement large (voir, notamment, Kopecký c. Slovaquie [GC], no 44912/98, § 35, CEDH 2004-IX, Jahn et autres précité, § 116 a), et Suljagić c. Bosnie-Herzégovine, no 27912/02, § 42, 3 novembre 2009). Ainsi la Cour a-t-elle jugé qu’une indemnisation inférieure à une réparation intégrale pouvait s’imposer également, a fortiori, en cas de mainmise sur des biens visant à opérer « des changements du système constitutionnel d’un pays aussi radicaux que la transition de la monarchie à la république » (Ex-roi de Grèce et autres (fond) précité, § 87). Elle a réaffirmé ce principe dans l’arrêt Broniowski précité (§ 182), où était en cause une politique de restitution de biens et d’indemnisation, précisant qu’un dispositif de réglementation des rapports de propriété « ayant de lourdes conséquences et prêtant à controverse, dont l’impact économique sur l’ensemble du pays [était] considérable » pouvait impliquer des décisions restreignant l’indemnisation pour la privation ou la restitution de biens à un niveau inférieur à la valeur marchande de ceux-ci. La Cour a également réitéré ces principes en ce qui concerne l’adoption de lois dans « le contexte unique de la réunification allemande » (Von Maltzan et autres c. Allemagne (déc.) [GC], nos 71916/01, 71917/01 et 10260/02, §§ 77 et 111-112, CEDH 2005‑V, et Jahn et autres précité).

Certes, les affaires précitées portaient sur des expropriations de biens fonciers. Cela étant, aucune raison convaincante n’impose de réserver aux pertes de placements à risque un traitement nettement plus favorable qu’aux pertes de biens fonciers et d’exiger des responsables des premières, outre le remboursement intégral des sommes perdues, le versement des intérêts non perçus.

Il faut relever que, dans d’autres affaires portant sur l’indemnisation d’« anciens » dépôts en devises disparus, la Cour s’est accommodée de remboursements très réduits et qu’elle a reconnu aux États défendeurs une ample marge d’appréciation en la matière (Trajkovski c. l’ex-République yougoslave de Macédoine (déc.), no 53320/99, CEDH 2002-IV, Suljagić, précité, §§ 27-30 et 52-54, et Molnar Gabor, précité, §§ 21, 23-25, 50).

Par ailleurs, en ce qui concerne plus particulièrement les taux d’intérêt stipulés dans les régimes initiaux mis en place dans les années 1980, on peut considérer que toute espérance légitime d’en obtenir le paiement avait disparu lorsque la Convention est entrée en vigueur à l’égard de la Slovénie (en 1994) et de la Serbie (en 2004). En revanche, les effets de l’inflation sur les dépôts initiaux effectués en marks allemands doivent entrer en ligne de compte aux fins de la fixation d’une indemnisation adéquate (Vistiņš et Perepjolkins c. Lettonie (satisfaction équitable) [GC], no 71243/01, §§ 38‑44, CEDH 2014).

3. La subsidiarité et la marge d’appréciation

Jusqu’à présent, lorsqu’elle a été conduite à mettre en place des procédures pilotes, la Cour avait toujours laissé une ample marge d’appréciation aux États membres pour rechercher une solution adéquate à des problèmes systémiques. Dans les deux premières affaires (Broniowski et Hutten-Czapska, précitées), la Grande Chambre a entériné le règlement amiable conclu par les parties, tant sur le plan des mesures générales que des mesures individuelles, s’accommodant ainsi de systèmes de remboursement offrant une indemnisation inférieure à la réparation intégrale du préjudice en ce qui concerne d’autres personnes lésées. Dans un arrêt récent rendu en l’affaire Kurić et autres c. Slovénie (satisfaction équitable) ([GC], no 26828/06, CEDH 2014), où les parties n’étaient pas parvenues à un règlement amiable, la Cour a dûment tenu compte du fait que le gouvernement slovène avait mis en place un régime d’indemnisation ad hoc au niveau interne après l’expiration du délai indiqué dans l’arrêt au principal afin d’assurer un redressement adéquat aux « personnes effacées » (ibidem, §§ 138-140). À cet égard, la Grande Chambre a considéré que, conformément au principe de subsidiarité et à la marge d’appréciation qui en découlait, le montant des indemnités accordées au niveau national à d’autres personnes touchées, dans le cadre des mesures générales prises en vertu de l’article 46 de la Convention, relevait de l’appréciation de l’État défendeur, pour autant que ce montant fût compatible avec l’arrêt de la Cour ordonnant ces mesures (ibidem, § 141, et, mutatis mutandis, Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 88, CEDH 2009).

4. La nécessaire coopération des États successeurs en vue de la recherche de solutions adéquates

J’ai indiqué ci-dessus que l’on ne pouvait faire abstraction du contexte de la succession d’États pour déterminer qui était responsable des violations des droits de l’homme constatées en l’espèce. Cela vaut également pour la mise en place d’un système d’indemnisation. La coopération de tous les États successeurs en vue de l’établissement d’un tel système et de la vérification des créances qui en relèvent revêt une importance cruciale. La Cour a déjà été confrontée à des abus regrettables à cet égard, notamment de la part de deux des requérants de l’affaire Kovačić et autres (précitée, § 260), qui avaient omis de l’informer qu’ils avaient obtenu le remboursement intégral de leurs dépôts à la suite d’un jugement rendu par le tribunal de comté d’Osijek le 7 juillet 2005.

Dans l’arrêt Suljagić (précité, § 19), la Cour s’est exprimée ainsi :

« Les dispositions législatives réglementant l’usage des « anciens » dépôts d’épargne en devises dans le cadre du processus de privatisation n’étaient guère attractives et ont donné lieu à des abus. Un marché parallèle apparut, où les dépôts en question se négociaient parfois à 3 % seulement de leur valeur nominale. (…) »

Je considère que l’importante question de la nécessaire coopération des États défendeurs au dispositif de vérification des créances n’a pas été suffisamment examinée dans l’arrêt.

D. L’autre solution à donner à l’affaire

En résumé, j’estime, d’une part, que la Slovénie, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie sont responsables de la violation des droits de Mme Ališić et de M. Sadžak au titre de l’article 1 du Protocole no 1 et de l’article 13 et, d’autre part, que la Serbie, la Bosnie-Herzégovine et la Croatie sont responsables de la violation des droits de M. Šahdanović au titre des mêmes dispositions. La Croatie, responsable uniquement d’avoir prolongé la durée des atteintes aux droits des requérants, doit régler une partie des sommes allouées par la Cour pour préjudice moral. La Slovénie et la Serbie, principales responsables de ces violations, doivent payer la majeure partie des sommes accordées au titre du dommage matériel. La Bosnie-Herzégovine est également responsable du préjudice moral et du dommage matériel subis par les requérants, mais dans une mesure nettement moindre.

Les États défendeurs étant conjointement responsables du système instauré en RSFY, ils doivent coopérer en vue de la mise en place d’un dispositif d’indemnisation approprié.

De telles conditions devraient permettre d’indemniser convenablement les personnes illégalement privées de leurs fonds et de garantir l’exécution rapide de l’arrêt.

* * *

[1]. La Ljubljanska Banka Sarajevo n’est pas la même banque que la banque homonyme fondée en 1993, dont il est fait état au paragraphe 30 ci-dessous, et ne doit pas être confondue avec celle-ci.

[2]. Paragraphe 43 ci-dessous.

[3]. Paragraphe 52 ci-dessous.

[4]. Zakon o deviznom poslovanju, Journal officiel de la RSFY nos 66/85, 13/86, 71/86, 2/87, 3/88, 59/88, 85/89, 27/90, 82/90 et 22/91. La présente note et les suivantes indiquent l’intitulé complet, dans la langue originale, des normes de droit interne auxquelles elles renvoient.

[5]. Zakon o bankama i drugim finansijskim organizacijama, Journal officiel de la RSFY nos 10/89, 40/89, 87/89, 18/90, 72/90 et 79/90.

[6]. Zakon o sanaciji, stečaju i likvidaciji banaka i drugih finansijskih organizacija, Journal officiel de la RSFY nos 84/89 et 63/90.

[7]. Odluka o načinu izvršavanja obaveza Federacije po osnovu jemstva za devize na deviznim računima i deviznim štednim ulozima građana, građanskih pravnih lica i stranih fizičkih lica, Journal officiel de la RSFY no 27/90.

[8]. Zakon o obligacionim odnosima, Journal officiel de la RSFY nos 29/78, 39/85, 45/89 et 57/89.

[9]. Zakon o deviznom poslovanju i kreditnim odnosima, Journal officiel de la RSFY nos 15/77, 61/82, 77/82, 34/83, 70/83 et 71/84.

[10]. Le gouvernement slovène a fourni une copie de ce rapport à la Cour (annexe no GC10).

[11]. Comme indiqué dans la note de bas de page no 1, la Ljubljanska Banka Sarajevo ne doit pas être confondue avec la banque homonyme fondée en 1993 et mentionnée au paragraphe 30 ci-dessous.

[12]. Odluka o načinu na koji ovlašćene banke izvršavaju naloge za plaćanje domaćih fizičkih lica devizama sa njihovih deviznih računa i deviznih štednih uloga, Journal officiel de la RSFY nos 28/91, 34/91, 64/91 et 9/92.

[13]. Odluka o načinu vođenja deviznog računa i deviznog štednog uloga domaćeg i stranog fizičkog lica, Journal officiel de la RSFY nos 6/91, 30/91, 36/91 et 25/92.

[14]. Uredba sa zakonskom snagom o preuzimanju i primjenjivanju saveznih zakona koji se u Bosni i Hercegovini primjenjuju kao republički zakoni, Journal officiel de la République de Bosnie-Herzégovine no 2/92.

[15]. Le gouvernement bosnien a fourni une copie de ce document à la Cour.

[16]. Odluka o uslovima i načinu isplata dinara po osnovu definitivne prodaje devizne štednje domaćih fizičkih lica i korišćenju deviza sa deviznih računa i deviznih štednih uloga domaćih fizičkih lica za potrebe liječenja i plaćanja školarine u inostranstvu, Journal officiel de la République de Bosnie-Herzégovine no 4/93 ; Odluka o uslovima i načinu davanja kratkoročnih kredita bankama na osnovu definitivne prodaje deponovane devizne štednje građana i efektivno prodatih deviza od strane građana, Journal officiel de la Republika Srpska nos 10/93 et 2/94 ; et Odluka o ciljevima i zadacima monetarno-kreditne politike u 1995, Journal officiel de la République de Bosnie-Herzégovine nos 11/95 et 19/95.

[17]. Zakon o utvrđivanju i realizaciji potraživanja građana u postupku privatizacije, Journal officiel de la FBH nos 27/97, 8/99, 45/00, 54/00, 32/01, 27/02, 57/03, 44/04, 79/07 et 65/09.

[18]. Uredba o ostvarivanju potraživanja lica koja su imala deviznu štednju u bankama na teritoriju Federacije, a nisu imala prebivalište na teritoriju Federacije, Journal officiel de la FBH no 44/99.

[19]. Zakon o utvrđivanju i načinu izmirenja unutrašnjih obaveza Federacije, Journal officiel de la FBH nos 66/04, 49/05, 35/06, 31/08, 32/09 et 65/09.

[20]. Zakon o izmirenju obaveza po osnovu računa stare devizne štednje, Journal officiel de la Bosnie-Herzégovine nos 28/06, 76/06, 72/07 et 97/11.

[21]. Zakon o postupku upisa pravnih lica u sudski registar, Journal officiel de la FBH nos 4/00, 49/00, 32/01, 19/03 et 50/03.

[22]. Zakon o pretvaranju deviznih depozita građana u javni dug Republike Hrvatske, Journal officiel de la République de Croatie no 106/93.

[23]. Pravilnik o utvrđivanju uvjeta i načina pod kojima građani mogu prenijeti svoju deviznu štednju s organizacijske jedinice banke čije je sjedište izvan Republike Hrvatske na banke u Republici Hrvatskoj, Journal officiel de la République de Croatie no 19/94.

[24]. Le gouvernement slovène a fourni à la Cour une copie de ce document (annexes nos 273-274).

[25]. Odluka o uslovima i načinu davanja kratkoročnih kredita bankama na osnovu definitivne prodaje deponovane devizne štednje građana, Journal officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 42/93, 49/93, 71/93 et 77/93 ; Odluka o uslovima i načinu isplate dela devizne štednje građana koja je deponovana kod NBJ, Journal officiel nos 42/94, 44/94 et 50/94 ; Odluka o uslovima i načinu isplate dela devizne štednje građana koja je deponovana kod NBJ, Journal officiel nos 10/95, 52/95, 58/95, 20/96, 24/96 et 30/96, et Odluka o privremenom obezbeđivanju i načinu i uslovima isplate sredstava ovlašćenim bankama na ime dinarske protivvrednosti dela devizne štednje deponovane kod NBJ isplaćene građanima za određene namene, Journal officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 41/96, 21/98 et 4/99.

[26]. Zakon o regulisanju javnog duga Savezne Republike Jugoslavije po osnovu devizne štednje građana, Journal officiel de la République fédérale de Yougoslavie no 36/02.

[27]. Zakon o izmirenju obaveza po osnovu devizne štednje građana, Journal officiel de la République fédérale de Yougoslavie nos 59/98, 44/99 et 53/01.

[28]. Zakon o privatizaciji, Journal officiel de la République de Serbie nos 38/01, 18/03, 45/05, 123/07 et 30/10.

[29]. Ustavni zakon za izvedbo Temeljne ustavne listine o samostojnosti in neodvisnosti RS, Journal officiel de la République de Slovénie nos 1/91 et 45/94.

[30]. Zakon o poravnavanju obveznosti iz neizplačanih deviznih vlog, Journal officiel de la République de Slovénie no 7/93.

[31]. Zakon o Skladu Republike Slovenije za sukcesijo, Journal officiel de la République de Slovénie nos 10/93, 38/94 et 40/97.

[32]. Zakon o Skladu Republike Slovenije za nasledstvo in visokem predstavniku Republike Slovenije za nasledstvo, Journal officiel de la République de Slovénie nos 29/06 et 59/10.

[33]. Décision publiée au Journal officiel de la République de Slovénie no 105/09.

[34]. Закон за преземање на депонираните девизни влогови на граѓаните од страна на Република Македонија, Journal officiel de la République de Macédoine no 26/92 ; Закон за гаранција на Република Македонија за депонираните девизни влогови на граѓаните и за обезбедување на средства и начин за исплата на депонираните девизни влогови на граѓаните во 1993 и 1994, Journal officiel nos 31/93, 70/94, 65/95 et 71/96 ; et Закон за начинот и постапката на исплатување на депонираните девизни влогови на граѓаните по кои гарант е Република Македонија, Journal officiel nos 32/00, 108/00, 4/02 et 42/03.

[35]. Odluka o načinu vođenja deviznog računa i deviznog štednog uloga domaćeg i stranog fizičkog lica, Journal officiel de la RSFY nos 6/91, 30/91, 36/91 et 25/92.

[36]. Cette loi a été adoptée par la République fédérale de Yougoslavie. Instaurée en 1992 et dissoute en 2003, cette république regroupait la Serbie et le Monténégro. La Serbie en est l’unique successeur.

[37]. La RSFY a signé ce traité en 1983. En 2001, la République fédérale de Yougoslavie a déposé un instrument par lequel elle exprimait la volonté de succéder à la signature apposée par la RSFY.

[38]. Établie par la Communauté européenne et ses États membres en 1991, cette commission a délivré quinze avis portant sur des questions juridiques posées par la dissolution de la RSFY (International Law Reports 92 (1993), pp. 162-208, et 96 (1994), pp. 719-737).

[39]. Voir les travaux préparatoires à l’Accord produits par le gouvernement slovène (annexes nos 265-270).

[40]. Le gouvernement croate a fourni copie de cette lettre à la Cour.

[41]. Le gouvernement croate a fourni copie de cette lettre à la Cour.

[42]. Le gouvernement serbe a fourni à la Cour copie de communications SWIFT et d’autres documents pertinents.

[43]. Le niveau de garantie a été porté de 20 000 à 100 000 euros en 2010 (Directive 2009/14/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2009 modifiant la directive 94/19/CE relative aux systèmes de garantie des dépôts).

[44]. Pour justifier son choix de l’approche civiliste, la majorité s’est principalement appuyée sur la jurisprudence des tribunaux slovènes et serbes (paragraphes 44, 45, 49, 51, 112 du présent arrêt) qui, selon elle, établit « de manière certaine » la responsabilité de la Ljubljanska Banka Ljubljana et d’Investbanka. Toutefois, cette assertion est inexacte, au moins pour ce qui est de la jurisprudence des juridictions slovènes. En effet, celles-ci ont jugé que l’ancienne (et non la nouvelle !) Ljubljanska Banka Ljubljana était tenue au remboursement des « anciens » dépôts d’épargne en devises. Cependant, l’ancienne Ljubljanska Banka Ljubljana (paragraphe 49 de l’arrêt) et Investbanka (paragraphe 47 de l’arrêt) étant en situation de « restructuration » ou de faillite, les actions civiles directes exercées contre ces banques se heurtent à leur insolvabilité.

[45]. L’exécution de l’arrêt risque de poser problème. Adoptée en 1993, la loi à laquelle la Grande Chambre s’est référée ne réglemente pas les taux d’intérêt au-delà de cette époque, de sorte qu’il est difficile de savoir quel sera le régime applicable aux intérêts acquis après 1993.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-145775
Date de la décision : 16/07/2014
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Exceptions préliminaires rejetées (Article 35-3 - Ratione materiae);Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) (Serbie);Violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) (Slovénie);Non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Respect des biens) (Bosnie-Herzégovine) (Croatie) (ex-République yougoslave de Macédoine);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Serbie);Violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Slovénie);Non-violation de l'article 13 - Droit à un recours effectif (Article 13 - Recours effectif) (Bosnie-Herzégovine) (Croatie) (ex-République yougoslave de Macédoine);Etat défendeur tenu de prendre des mesures générales (Article 46 - Arrêt pilote;Problème structurel;Mesures générales) (Serbie);Etat défendeur tenu de prendre des mesures générales (Article 46 - Arrêt pilote;Problème structurel;Mesures générales) (Slovénie);Dommage matériel - demande rejetée;Préjudice moral - réparation

Parties
Demandeurs : ALIŠIĆ ET AUTRES
Défendeurs : BOSNIE-HERZÉGOVINE, CROATIE, SERBIE, SLOVÉNIE ET « L'EX-RÉPUBLIQUE YOUGOSLAVE DE MACÉDOINE »

Composition du Tribunal
Avocat(s) : MUJCIN B.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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