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27/02/2014 | CEDH | N°001-141199

CEDH | CEDH, AFFAIRE S.J. c. BELGIQUE, 2014, 001-141199


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE S.J. c. BELGIQUE

(Requête no 70055/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 février 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

19/03/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.




En l’affaire S.J. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Paul Lemmens, >Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 5 novembre 2013 ...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE S.J. c. BELGIQUE

(Requête no 70055/10)

ARRÊT

STRASBOURG

27 février 2014

CETTE AFFAIRE A ÉTÉ RENVOYÉE DEVANT LA GRANDE CHAMBRE, QUI A RENDU SON ARRÊT LE

19/03/2015

Cet arrêt peut subir des retouches de forme.

En l’affaire S.J. c. Belgique,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Angelika Nußberger,
Boštjan M. Zupančič,
Ann Power-Forde,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 5 novembre 2013 et 21 janvier 2014,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 70055/10) dirigée contre le Royaume de Belgique et dont une ressortissante nigériane, Mme S.J. (« la requérante »), a saisi la Cour le 30 novembre 2010 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante est représentée par Me S. Micholt, avocate à Bruges. Le gouvernement belge (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. M. Tysebaert, conseiller général, service public fédéral de la Justice.

3. La requérante alléguait que son éloignement au Nigéria l’exposerait à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention et porterait atteinte au droit au respect de sa vie privée et de sa vie familiale tel que garanti par l’article 8 de la Convention. Elle se plaignait aussi de l’absence de recours effectif au sens de l’article 13 de la Convention.

4. Le président de la section à laquelle la requête fut attribuée a décidé d’appliquer l’article 39 du règlement de la Cour, indiquant au Gouvernement qu’il était souhaitable dans l’intérêt des parties et de la bonne conduite de la procédure de ne pas expulser la requérante jusqu’à l’issue de la procédure devant la Cour.

5. Par une décision du 18 décembre 2012, la chambre a déclaré la requête recevable.

6. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites complémentaires (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

A. Procédure d’asile

7. La requérante arriva en Belgique au cours de l’été 2007. Le 30 juillet 2007, alors qu’elle était enceinte de huit mois, elle introduisit une demande d’asile dans laquelle elle indiquait avoir fui son pays au motif qu’elle avait été poussée à l’avortement par la famille de l’homme, M. A., duquel elle était tombée enceinte et chez qui elle avait été hébergée depuis l’âge de onze ans.

8. En raison de sa minorité, la requérante se vit désigner un tuteur, mesure qui prit fin à sa majorité, le 26 décembre 2007.

9. Suite à l’enregistrement des empreintes digitales de la requérante dans le système Eurodac, l’office des étrangers (« OE ») constata qu’elle avait déjà introduit une demande d’asile à Malte le 29 juin 2007.

10. Le 3 août 2007, l’OE fit, auprès des autorités maltaises, une demande de prise en charge de la demande d’asile de la requérante en application du règlement no 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (« règlement Dublin II »). Le 17 septembre 2007, les autorités maltaises marquèrent leur accord.

11. La requérante demeura toutefois en Belgique eu égard à l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour et à la procédure qui s’en suivit (voir paragraphes 33 et suivants ci-dessous).

12. Ensuite, du fait de l’accouchement imminent d’un deuxième enfant (voir paragraphe 20 ci-dessous), l’OE décida début 2009 de procéder lui-même à l’examen de sa demande d’asile. Un premier entretien eut lieu à la suite duquel le dossier fut transmis au Commissaire général aux réfugiés et apatrides (« CGRA »).

13. Le 25 mai 2010, le CGRA refusa la demande d’asile en raison des incohérences du récit de la requérante. Parmi d’autres éléments, le CGRA retint qu’elle avait affirmé ne pas avoir introduit de demande d’asile dans un autre pays, qu’elle n’était pas en mesure d’expliquer le trajet suivi jusqu’en Belgique, qu’elle ne savait pas combien de temps elle était restée à Malte et qu’elle ignorait l’identité exacte des personnes chez qui elle avait vécu au Nigéria.

14. La requérante introduisit un recours devant le Conseil du contentieux des étrangers (« CCE »). Par un arrêt no 49.384 du 12 octobre 2010, celui-ci confirma la décision du CGRA au motif qu’il ne pouvait être attribué de crédibilité à la crainte alléguée par la requérante de poursuite ou à un risque réel de préjudice grave.

15. Aucun recours en cassation administrative ne fut introduit devant le Conseil d’État contre cet arrêt.

B. Situation médicale, familiale et sociale de la requérante

16. Le 1er août 2007, dans le cadre d’un bilan de grossesse, la requérante fut dépistée atteinte par le VIH avec une sérieuse déficience de son système immunitaire nécessitant d’entamer un traitement antirétroviral (« ARV »).

17. Elle donna naissance à un premier enfant le 5 septembre 2007. Le nourrisson reçut un traitement pour éviter d’être atteint par le VIH.

18. En octobre 2007, un traitement ARV (association des molécules Kalestra et Combivir) fut entamé au centre hospitalier universitaire (« CHU ») St Pierre à Bruxelles.

19. Au cours de l’année 2008, la requérante fut accueillie dans une structure semi-résidentielle et suivie par l’association sans but lucratif Lhiving spécialisée dans l’offre d’assistance psycho-sociale aux personnes défavorisées vivant avec le VIH et à leurs enfants.

20. Le 27 avril 2009, la requérante donna naissance à un deuxième enfant issu du même père, M. A.

21. Le 14 juillet 2010, un certificat médical fut établi par le CHU St Pierre à la demande de l’OE qui faisait état d’une évolution du traitement vers une association des molécules Kivexa, Telzir et Norvir.

22. Le 25 novembre 2010, le CHU délivra un nouveau certificat indiquant que le taux de CD4 de la requérante s’était stabilisé à 447 avec une charge virale indétectable. A la même date, une responsable de l’association Lhiving rédigea un rapport sur la situation psycho-sociale de la requérante soulignant la nécessité de soutenir psychologiquement la requérante en raison de son jeune âge et de son tempérament introverti.

23. Entre-temps, à la suite du refus de la demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales (voir paragraphe 44 ci-dessous), la requérante se vit retirer son attestation d’immatriculation qui lui permettait de bénéficier gratuitement des soins nécessaires à son traitement et de l’aide matérielle du centre public d’action sociale (« CPAS ») de Bruxelles. Elle introduisit un recours devant le tribunal du travail de Bruxelles pour bénéficier d’une aide matérielle et fit une nouvelle demande auprès du CPAS.

24. Le 16 mai 2011, le CPAS décida de prolonger l’aide financière de la requérante, de sorte que le recours devant le tribunal du travail fut rayé du rôle.

25. Le 14 décembre 2011, le CHU St Pierre établit un certificat à l’attention de l’OE en ces termes :

« Dernière prise de sang du 1o4/12/2010 montre des CD4 à 269 et une charge virale à 42 900 montrant soit un échappement thérapeutique (apparition de résistance ?) ou une mauvaise observance du traitement pouvant être liée aux multiples problèmes sociaux de la patiente (...). »

26. Le 23 février 2012, le CHU St Pierre établit un certificat destiné à l’OE qui faisait état d’une modification du traitement, l’abandon du Telzir et du Norvir et le remplacement par une association de Reyataz et de Kivexa.

27. Le 1er mars 2012, un rapport élaboré par l’association Lhiving précisa que le soutien psychosocial de la requérante était toujours assuré et nécessaire et qu’il s’agissait de travailler avec la requérante sur l’articulation et les difficultés liées à son rôle de mère, la vie de famille, la scolarisation des enfants en néerlandais, le suivi de sa propre pathologie, etc.

28. Un nouveau certificat établi le 7 juin 2012 par le CHU St Pierre et adressé à l’OE attesta que la requérante était enceinte d’un troisième enfant et que l’accouchement était prévu pour novembre 2012. L’attestation poursuivit en ces termes :

« Sa dernière prise de sang montre une infection VIH non contrôlée avec une charge virale augmentée à 18 900 et taux de T4 diminuée à 126. La situation est donc préoccupante, tant pour la patiente que pour son futur enfant.

(...)

Traitement médicamenteux /matériel médical : Reyataz 200 2/j et Kivexa

Nécessité de bilan sanguin régulier avec typage lymphocytaire et charge virale VIH, stéthoscope, tensiomètre, balance, aiguilles et seringues, pansements, suivi gynéco...

Besoins spécifiques en matière de suivi médical ? Suivi par une équipe multidisciplinaire spécialisée dans la prise en charge du VIH. »

29. Un certificat similaire fut établi le 1er février 2013 révélant l’ajout d’un médicament, le Norvir, une augmentation des T4 à 200 et une charge virale positive moindre et confirmant que la situation était préoccupante tant pour la requérante que pour ses enfants.

30. Entre-temps, le 23 novembre 2012, la requérante donna naissance à un troisième enfant. L’acte de naissance mentionne que le père est également M.A.

31. Le 18 mars 2013, l’association Lhiving fit une nouvelle attestation dans des termes comparables à ceux de la précédente (voir paragraphe 27 ci-dessus) et assurant de la poursuite du suivi psycho-social de la requérante.

32. À partir d’une date indéterminée, M.A., le père des trois enfants, séjourna de temps en temps en Belgique sans titre de séjour.

C. Refus d’autorisation de séjour pour raisons médicales et ordre de quitter le territoire

33. Le 30 novembre 2007, la requérante introduisit une demande d’autorisation de séjour pour raison médicale en application de l’article 9ter de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (« loi sur les étrangers »).

34. Le 13 février 2008, l’OE déclara sa demande recevable et une attestation d’immatriculation lui fut délivrée, l’autorisant à séjourner en Belgique pendant trois mois.

35. Faisant suite à la demande de l’OE, la requérante fit parvenir à l’OE un certificat médical établi par son médecin traitant attestant qu’elle était atteinte par le VIH et dans l’impossibilité de voyager pendant six mois durant lesquels elle avait besoin d’un suivi psychologique.

36. Le 8 juillet 2008, l’OE s’informa auprès des autorités maltaises sur l’accessibilité du traitement médical approprié à Malte. Le jour même, la requérante fut examinée par le médecin conseil de l’OE qui considéra que celle-ci serait en mesure de voyager à partir du 1er septembre 2008.

37. Le 4 août 2008, sur la base des informations communiquées par les autorités maltaises, le médecin conseil de l’OE écrivit :

« (D)’un point de vue médical, il faut conclure que, (...) bien que (le sida) puisse être considéré comme une maladie qui entraîne un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique, en l’espèce, Mme J.S. n’est pas sujette à ce risque de traitements inhumains ou dégradants vu qu’un traitement est disponible à Malte. »

38. Le 20 août 2008, l’OE prit une décision de rejet de la demande d’autorisation de séjour pour raisons médicales au motif qu’il ressortait des informations communiquées par l’ambassade de Malte et figurant sur le site internet du ministre maltais de la politique sociale que le traitement du sida était disponible à Malte et accessible aux étrangers.

39. La requérante introduisit un recours devant le CCE contre la décision de l’OE du 20 août 2008.

40. Le 11 mars 2009, l’OE retira sa décision du 20 août 2008, à la suite de sa décision d’examiner la demande d’asile de la requérante (voir paragraphe 12 ci-dessus). L’OE entama l’examen des possibilités de traitement au Nigéria. La requérante fut à nouveau mise en possession d’une attestation d’immatriculation et l’OE sollicita de son médecin conseil un nouvel avis médical en cas de retour vers le Nigéria.

41. Le 7 mai 2009, le CCE, constatant le retrait de la décision de l’OE du 20 août 2008, rejeta le recours de la requérante à défaut d’objet.

42. Le 17 septembre 2010, le médecin conseil de l’OE rendit son avis en ces termes :

« D’un point de vue médical, l’infection de la requérante, bien qu’elle puisse être considérée comme une infection pouvant comporter un risque réel pour la vie ou l’intégrité physique si elle n’est pas traitée de manière adéquate et n’est pas suivie, n’implique pas un risque réel de traitement inhumain ou dégradant, vu que ce traitement et ce suivi sont disponibles au Nigéria. Il n’y a donc pas d’objection d’un point de vue médical au retour vers le pays d’origine, le Nigéria. »

43. Sur la base de cet avis et des informations recueillies auprès de l’ambassade du Nigéria, le 27 septembre 2010, l’OE rejeta la demande d’autorisation de séjour introduite le 30 novembre 2007 mais prolongea l’immatriculation jusqu’à l’issue de la procédure d’asile. La décision était motivée en ces termes :

« (Les) médicaments actuellement administrés à la requérante sont disponibles au Nigéria (...). Le Nigéria a de nombreux programmes pour le traitement de l’affection de la requérante (...). Le coût est bas car les autorités interviennent dans le prix de la médication (...). L’affection de la requérante peut être traitée gratuitement dans tous les hôpitaux publics du pays. (...) De plus, dans l’état d’Ogun, où est née et où a résidé la requérante, il y a deux hôpitaux. (...). Du reste, il apparaît très improbable que la requérante ne jouisse pas au Nigéria, pays où elle a vécu les dix-huit premières années de sa vie, de famille, d’amis ou de connaissances disposés à l’accueillir, à l’aider à obtenir les médicaments nécessaires et/ou à la soutenir provisoirement sur le plan financier. (...) Il s’ensuit qu’il n’est pas établi qu’un retour vers le pays d’origine (...) enfreindrait la directive européenne 2004/83/CE ni l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. »

44. Le 20 octobre 2010, la procédure d’asile ayant entre-temps abouti au rejet du recours introduit par la requérante (voir paragraphe 14 ci-dessus), l’OE confirma sa décision de rejet de la demande de régularisation de séjour. Un ordre de quitter le territoire fut notifié à la requérante le 22 novembre 2010 en ces termes :

« En exécution de la décision du (...) 20/10/2010, il est enjoint à la nommée S.J. et ses enfants (...), de quitter, au plus tard le [20/12/2010] le territoire de la Belgique (...). »

MOTIF DE LA DECISION :

L’intéressée demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé (loi 15/12/1980 article 7, al. 1.2o)

A défaut d’obtempérer à cet ordre, la prénommée s’expose, sans préjudice de poursuites judiciaires sur la base de l’article 75 de la loi, à être ramenée à la frontière et à être détenue à cette fin pendant le temps strictement nécessaire pour l’exécution de la mesure, conformément à l’article 27 de la même loi.

Conformément à l’article 39/2, § 2, de la loi du 15 décembre 1980, la présente décision est susceptible d’un recours en annulation auprès du Conseil du contentieux des étrangers. Ce recours doit être introduit par requête dans les trente jours suivant la notification de la présente décision.

Une demande de suspension peut être introduite conformément à l’article 39/82 de la loi du 15 décembre 1980. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduites par un seul et même acte. »

45. Le 26 novembre 2010, la requérante introduisit une demande de suspension en extrême urgence de la décision de l’OE du 20 octobre 2010 et de l’ordre de quitter le territoire du 22 novembre 2010, ainsi qu’un recours visant l’annulation de ces décisions. Elle invoquait une violation des articles 3, 8 et 13 de la Convention en raison du risque qu’elle courrait en cas de retour au Nigéria de ne pas avoir accès au traitement approprié et de l’atteinte au droit au respect de sa vie privée et familiale.

46. La demande de suspension fut rejetée par le CCE, par un arrêt no 51.741 du 27 novembre 2010. Le CCE motiva sa décision comme suit :

« (...) La requérante a agi de manière alerte et diligente en introduisant une requête le quatrième jour après la notification de la décision attaquée mais elle ne démontre pas par le biais d’éléments concrets que la suspension de l’exécution de l’acte attaqué, selon la procédure de suspension ordinaire serait tardive. Il est mentionné dans l’ordre attaqué que la requérante dispose jusqu’au 22 décembre 2010 pour quitter le territoire. Pour le moment, la requérante n’est pas détenue en vue de son rapatriement, et il n’y a pas de date de rapatriement prévue.

Elle affirme uniquement qu’une suspension ordinaire serait tardive puisque le délai de traitement est de quatre à cinq mois.

La simple crainte que la décision attaquée pourrait être exécutée à tout moment après le 22 décembre 2010 ne signifie pas que la suspension de la décision attaquée ne pourrait intervenir en temps utile par le biais de la procédure ordinaire.

En l’espèce, l’extrême urgence n’est pas démontrée.

(...) Le Conseil se réfère à la possibilité (...) d’introduire, en cours d’instance, selon la procédure d’extrême urgence, une demande d’ordonner des mesures provisoires, auquel cas (cette demande et la demande de suspension) peuvent être examinées conjointement. »

47. La requérante introduisit, le 8 décembre 2010, un recours en cassation contre l’arrêt du CCE du 27 novembre 2010 devant le Conseil d’État. Elle se plaignait, d’une part, que le risque de préjudice grave et irréparable en cas de retour au Nigéria et la présence de ses deux jeunes enfants n’avaient pas été pris en considération in concreto et, d’autre part, de l’ineffectivité des recours devant le CCE.

48. Le 24 décembre 2010, l’ordre de quitter le territoire fut prorogé par l’OE pour un mois en ces termes :

« Motif : raison exceptionnelle (attente d’une décision de la CEDH).

Veuillez introduire une demande de prolongation chaque mois. La demande sera réévaluée chaque mois suivant l’évolution du dossier. »

49. Le 6 janvier 2011, le Conseil d’État déclara irrecevable le recours contre l’arrêt du CCE du 27 novembre 2010. Selon le Conseil d’État, les moyens invoqués par la requérante, à supposer qu’ils fussent recevables, étaient en tout cas manifestement non fondés, étant donné, d’une part, que l’appréciation de l’extrême urgence relevait de l’appréciation souveraine du juge du fond, et d’autre part, que la requérante pouvait encore introduire une demande de suspension selon la procédure ordinaire assortie, en cours d’instance, d’une demande de mesures provisoires, de sorte qu’elle disposait de recours effectifs.

50. D’après les informations versées au dossier, le recours en annulation des décisions de l’OE (voir paragraphe 45 ci-dessus) est toujours pendant devant le CCE. En réponse à un courrier de la requérante demandant si une date d’audience était fixée, le greffe du CCE lui indiqua, dans une lettre du 14 mai 2012, que la juridiction faisait tout pour que son affaire soit traitée dans les plus courts délais.

51. Le 11 février 2013, à la demande du Gouvernement dans le cadre de la procédure devant la Cour, le médecin conseil de l’OE fit un nouveau rapport sur la situation médicale de la requérante sur la base d’un certificat médical établi par le CHU St Pierre en 2010 (voir paragraphe 22 ci-dessus). Ce rapport constatait que la requérante bénéficiait d’une thérapie journalière associant trois médicaments (Kivexa, Telzir et Norvir). Il poursuivait en ces termes :

« D’après le certificat médical du 25/11/2010, il semble que l’évolution de la requérante soit bonne, que son immunité se soit stabilisée à 447 avec une charge virale indétectable en date du 05/05/2010. Nous n’avons pas d’autres certificats médicaux attestant de l’évolution clinique et immunologique postérieurs à novembre 2010 et/ou relatifs à une modification de la situation médicale ou du traitement médicamenteux.

Le certificat médical précité du 25/11/2010 ne montre pas que l’intéressée ait fait/fasse l’objet d’une stricte contre-indication médicale de voyager (ou qu’elle) ait un besoin médical de prestations de soins.

En ce qui concerne la disponibilité du traitement médicamenteux et le suivi dans le pays d’origine, le Nigéria : les sources suivantes ont été consultées (ces informations ont été ajoutées au dossier administratif de l’intéressée) :

. informations provenant de la banque de données MedCOI (...) des médecins locaux qui travaillent dans le pays d’origine et sont contractuellement pris en charge par le service médical consultatif du ministère néerlandais de l’Intérieur, en date du 01/06/2011 (...) et du 28/03/2012 (...) ;

. informations provenant du site http : /www.abuth.org (...) ;

. informations provenant du site http : /www.buth.org (...) ;

. informations provenant du site http : /www.who.int/ selection_medicines/

country_lists (...) qui contient une liste des principaux médicaments disponibles au Nigéria en 2010.

Il ressort de ces informations que le traitement médicamenteux associant abacavir, lamivudine et les inhibiteurs de protéase sont disponibles au Nigéria. Il ressort de ces informations que la disponibilité actuelle de fosamprenavir au Nigéria n’est pas confirmée, mais que d’autres inhibiteurs de protéase sont disponibles comme alternative : par exemple une préparation combinant lopinavir et ritonavir (...).

Les analyses en laboratoire (en vue de déterminer le taux de CD4) sont disponibles au Nigéria. Le traitement/suivi par un interniste est également disponible au Nigéria. »

D. Intervention de la Cour au titre des mesures provisoires

52. Le 30 novembre 2010, la requérante saisit la Cour d’une demande de mesures provisoires en application de l’article 39 du règlement de la Cour en vue de suspendre l’ordre de quitter le territoire. Elle arguait notamment des risques qu’elle courrait, ainsi que ses enfants, en cas de renvoi au Nigéria en raison de son état de santé. Elle reconnut que les procédures internes n’étaient pas achevées mais faisait valoir que ces recours n’étaient pas suspensifs de son éloignement.

53. Le 17 décembre 2010, en application de l’article 39 du règlement, il fut indiqué au Gouvernement de ne pas éloigner la requérante et ses enfants jusqu’à l’issue de la procédure devant la Cour.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. Procédure d’autorisation de séjour pour raisons médicales

54. Les dispositions applicables aux demandes d’autorisation de séjour pour raisons médicales introduites auprès de l’office des étrangers (« OE ») sur pied de l’article 9ter de la loi sur les étrangers figurent dans l’arrêt
Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique (no 10486/10, §§ 67 et 68, 20 décembre 2011).

55. Le CCE s’est récemment exprimé sur l’articulation entre l’article 9ter précité de la loi sur les étrangers et l’article 3 de la Convention (CCE, arrêts no 92.258, no 92.308 et no 92.309 du 27 novembre 2012) en ces termes :

« 3.3. Le Conseil observe que la modification législative de l’article 9, alinéa 3, ancien, de la Loi a permis, par l’adoption de l’article 9ter, la transposition de l’article 15 de la directive 2004/83/CE du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts.

Il n’en demeure pas moins que, en adoptant le libellé de l’article 9ter de la Loi, le Législateur a entendu astreindre la partie défenderesse à un contrôle des pathologies alléguées qui s’avère plus étendu que celui découlant de la jurisprudence invoquée par la partie défenderesse. Ainsi, plutôt que de se référer purement et simplement à l’article 3 de la CEDH pour délimiter le contrôle auquel la partie défenderesse est tenue, le Législateur a prévu diverses hypothèses spécifiques.

La lecture du paragraphe 1er de l’article 9ter révèle en effet trois types de maladies qui doivent conduire à l’octroi d’un titre de séjour sur la base de cette disposition lorsqu’il n’existe aucun traitement adéquat dans le pays d’origine ou dans le pays de résidence, à savoir :

. celles qui entraînent un risque réel pour la vie ;

. celles qui entraînent un risque réel pour l’intégrité physique ;

. celles qui entraînent un risque réel de traitement inhumain ou dégradant.

Il s’ensuit que le texte même de l’article 9ter ne permet pas une interprétation qui conduirait à l’exigence systématique d’un risque « pour la vie » du demandeur, puisqu’il envisage, au côté du risque vital, deux autres hypothèses. »

56. Par des arrêts nos 225.522 et 225.523 du 19 novembre 2013, le Conseil d’État cassa les arrêts nos 92.258 et 92.309, précités, du CCE. Il constata que l’article 15 b) de la Directive Qualification – directive 2004/83/CE du Conseil du 29 avril 2004 concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts –, qui correspond en substance à l’article 3 de la Convention, fut transposé dans l’ordre juridique belge par l’insertion de l’article 9ter dans la loi sur les étrangers. En adoptant cette dernière disposition, le législateur a manifestement et légitimement entendu réserver le bénéfice de l’article 9ter aux étrangers si « gravement malades » que leur éloignement constituerait une violation de l’article 3 de la Convention, et il a voulu que cet examen se fasse en conformité avec la jurisprudence de la Cour telle qu’énoncée dans l’arrêt N., précité. Le fait que l’article 9ter vise trois hypothèses spécifiques n’implique pas qu’il ait un champ d’application différent de celui de l’article 3. Ces trois types de maladie, lorsqu’elles atteignent un seuil minimum de gravité qui doit être élevé, sont susceptibles de répondre aux conditions de l’article 3. Et le Conseil d’État de conclure que le CCE avait conféré à l’article 9ter une portée qu’il n’avait pas en jugeant que ce dernier astreignait l’État belge a un contrôle plus étendu que celui découlant de la jurisprudence de l’article 3 de la Convention.

57. Quelques jours plus tard, par un arrêt no 225.632 du 28 novembre 2013, une autre chambre du Conseil d’État parvint à une conclusion opposée. Cet arrêt adopta la même interprétation de l’article 9ter de la loi sur les étrangers que celle développée par le CCE dans ses arrêts nos 92.258, 92.308 et 92.309 du 27 novembre 2012 (voir paragraphe 55 ci-dessus). Le Conseil d’État écarta les arguments de l’État belge tirés du droit européen, notant que les standards minimaux de protection fixés par la Convention et la Directive Qualification ne pouvaient pas être invoqués pour réduire la portée du droit belge.

B. Éloignement du territoire

58. En principe, toute décision de refus de séjour est suivie d’un ordre de quitter le territoire. La mise en œuvre d’un tel ordre est régie par l’article 7 de la loi sur les étrangers dont les dispositions applicables en l’espèce sont formulées comme suit :

« Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé ou doit délivrer dans les cas visés au 1o, 2o, 5o, 11o ou 12o, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé :

(...)

2o s’il demeure dans le Royaume au-delà du délai fixé conformément à l’article 6, ou ne peut apporter la preuve que ce délai n’est pas dépassé;

(...)

Sous réserve de l’application des dispositions du Titre IIIquater, le ministre ou son délégué peut, dans les cas visés à l’article 74/14, § 3, reconduire l’étranger à la frontière.

A moins que d’autres mesures suffisantes mais moins coercitives puissent être appliquées efficacement, l’étranger peut être maintenu à cette fin, pendant le temps strictement nécessaire à l’exécution de la mesure, en particulier lorsqu’il existe un risque de fuite ou lorsque l’étranger évite ou empêche la préparation du retour ou la procédure d’éloignement, et sans que la durée de maintien ne puisse dépasser deux mois.

(...) »

59. Le délai pour quitter le territoire et sa possible prolongation sont prévus par l’article 74/14 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit :

« § 1er. La décision d’éloignement prévoit un délai de trente jours pour quitter le territoire.

Le ressortissant d’un pays tiers qui, conformément à l’article 6, n’est pas autorisé à séjourner plus de trois mois dans le Royaume, bénéficie d’un délai de sept à trente jours.

Sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, le délai octroyé pour quitter le territoire, mentionné à l’alinéa 1er, est prolongé, sur production de la preuve que le retour volontaire ne peut se réaliser endéans le délai imparti.

Si nécessaire, ce délai peut être prolongé, sur demande motivée introduite par le ressortissant d’un pays tiers auprès du ministre ou de son délégué, afin de tenir compte des circonstances propres à sa situation, comme la durée de séjour, l’existence d’enfants scolarisés, la finalisation de l’organisation du départ volontaire et d’autres liens familiaux et sociaux.

Le ministre ou son délégué informe par écrit le ressortissant d’un pays tiers que le délai de départ volontaire a été prolongé.

(...) ».

60. Les enfants mineurs suivent le régime de l’adulte qu’ils accompagnent et doivent également quitter le territoire si l’adulte n’est pas admis au séjour sur le territoire belge. Au moment où se sont déroulés les faits de la présente affaire, une décision avait été prise par la ministre de la politique de migration et d’asile en vertu de laquelle les familles avec enfants en séjour illégal ne seraient plus mises en détention dans les centres fermés à l’exception de celles qui se verraient refuser l’accès au territoire à la frontière. Les familles concernées ont dès lors été accueillies dans des « maisons ouvertes » et invitées à collaborer à un projet visant à obtenir leur départ volontaire.

61. En mai 2011, le secrétaire d’État à la politique de migration et d’asile annonça la construction de logements spécifiques pour les familles avec enfants au centre fermé « 127bis » à Steenokkerzeel près de l’aéroport de Bruxelles. Un nouvel article fut inséré dans la loi sur les étrangers, par une loi du 16 novembre 2011, prévoyant explicitement la possibilité de détenir des familles avec enfants mineurs dans l’attente de leur éloignement en ces termes :

Article 74/9

« § 1er. Une famille avec enfants mineurs qui a pénétré dans le Royaume sans satisfaire aux conditions fixées aux articles 2 ou 3, ou dont le séjour a cessé d’être régulier ou est irrégulier, n’est en principe pas placée dans un lieu tel que visé à l’article 74/8, § 2, à moins que celui-ci ne soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs.

(...) »

C. Recours devant les juridictions administratives

62. Les décisions individuelles prises par l’administration en matière de séjour et d’éloignement des étrangers peuvent être contestées par la voie d’un recours devant le CCE. Le CCE est une juridiction administrative créée par la loi du 15 septembre 2006 réformant le Conseil d’État et créant un Conseil du contentieux des étrangers. Les attributions, la compétence, la composition et le fonctionnement du CCE sont régis par les dispositions de la loi sur les étrangers modifiées par la loi précitée du 15 septembre 2006. La procédure suivie devant le CCE est fixée par un arrêté royal du 21 décembre 2006.

63. Les décisions de l’OE prises sur pied de l’article 9ter de la loi sur les étrangers peuvent faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 39/2 de la loi sur les étrangers.

64. Le recours en annulation n’est pas suspensif de l’exécution de la mesure contestée. La loi prévoit qu’il peut être assorti d’une demande de suspension de la mesure soit selon la procédure de l’extrême urgence, elle-même suspensive de l’exécution de la mesure, soit selon la procédure « ordinaire » et, ce, conformément à l’article 39/82 de la loi sur les étrangers qui se lit comme suit :

« § 1er. Lorsqu’un acte d’une autorité administrative est susceptible d’annulation en vertu de l’article 39/2, le Conseil est seul compétent pour ordonner la suspension de son exécution.

La suspension est ordonnée, les parties entendues ou dûment convoquées, par décision motivée du président de la chambre saisie ou du juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin.

En cas d’extrême urgence, la suspension peut être ordonnée à titre provisoire sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues.

Lorsque le requérant demande la suspension de l’exécution, il doit opter soit pour une suspension en extrême urgence, soit pour une suspension ordinaire. Sous peine d’irrecevabilité, il ne peut ni simultanément, ni consécutivement, soit faire une nouvelle fois application de l’alinéa 3, soit demander une nouvelle fois la suspension dans la requête visée au § 3.

Par dérogation à l’alinéa 4 et sans préjudice du § 3, le rejet de la demande de suspension selon la procédure d’extrême urgence n’empêche pas le requérant d’introduire ultérieurement une demande de suspension selon la procédure ordinaire, lorsque cette demande de suspension en extrême urgence a été rejetée au motif que l’extrême urgence n’est pas suffisamment établie.

§ 2. La suspension de l’exécution ne peut être ordonnée que si des moyens sérieux susceptibles de justifier l’annulation de l’acte contesté sont invoqués et à la condition que l’exécution immédiate de l’acte risque de causer un préjudice grave difficilement réparable.

Les arrêts par lesquels la suspension a été ordonnée sont susceptibles d’être rapportés ou modifiés à la demande des parties.

§ 3. Sauf en cas d’extrême urgence, la demande de suspension et la requête en annulation doivent être introduits par un seul et même acte.

Dans l’intitulé de la requête, il y a lieu de mentionner qu’est introduit soit un recours en annulation soit une demande de suspension et un recours en annulation. Si cette formalité n’est pas remplie, il sera considéré que la requête ne comporte qu’un recours en annulation.

Une fois que le recours en annulation est introduit, une demande de suspension introduite ultérieurement n’est pas recevable, sans préjudice de la possibilité offerte au demandeur d’introduire, de la manière visée ci-dessus, un nouveau recours en annulation assorti d’une demande de suspension, si le délai de recours n’a pas encore expiré.

La demande comprend un exposé des moyens et des faits qui, selon le requérant, justifient que la suspension ou, le cas échéant, des mesures provisoires soient ordonnées.

La suspension et les autres mesures provisoires qui auraient été ordonnées avant l’introduction de la requête en annulation de l’acte seront immédiatement levées par le président de la chambre ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne, qui les a prononcées, s’il constate qu’aucune requête en annulation invoquant les moyens qui les avaient justifiées n’a été introduite dans le délai prévu par le règlement de procédure.

§ 4. Le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne statue dans les trente jours sur la demande de suspension. Si la suspension est ordonnée, il est statué sur la requête en annulation dans les quatre mois du prononcé de la décision juridictionnelle.

Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, et n’a pas encore introduit une demande de suspension, il peut demander la suspension de cette décision en extrême urgence. Si l’étranger a introduit un recours en extrême urgence en application de la présente disposition dans les cinq jours, sans que ce délai puisse être inférieur à trois jours ouvrables suivant la notification de la décision, ce recours est examiné dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande en suspension de l’exécution en extrême urgence. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible.

(...) »

65. L’article 39/83 de la loi prévoit qu’il n’est procédé à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’étranger fait l’objet, qu’au plus tôt trois jours ouvrables, c’est-à-dire chaque jour sauf un samedi, un dimanche ou un jour férié légal, après la notification de la mesure.

66. Si l’intéressé opte pour la procédure en suspension « ordinaire », il peut demander l’indication de mesures provisoires, éventuellement au bénéfice de l’extrême urgence, conformément à l’article 39/84 de la loi qui se lit comme suit :

« Lorsque le Conseil est saisi d’une demande de suspension d’un acte conformément à l’article 39/82, il est seul compétent, au provisoire et dans les conditions prévues à l’article 39/82, § 2, alinéa 1er, pour ordonner toutes les mesures nécessaires à la sauvegarde des intérêts des parties ou des personnes qui ont intérêt à la solution de l’affaire, à l’exception des mesures qui ont trait à des droits civils.

Ces mesures sont ordonnées, les parties entendues ou dûment convoquées, par arrêt motivé du président de la chambre compétente pour se prononcer au fond ou par le juge au contentieux des étrangers qu’il désigne à cette fin.

En cas d’extrême urgence, des mesures provisoires peuvent être ordonnées sans que les parties ou certaines d’entre elles aient été entendues.

L’article 39/82, § 2, alinéa 2, s’applique aux arrêts prononcés en vertu du présent article.

Le Roi fixe, par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, la procédure relative aux mesures visées par le présent article. »

67. L’examen des mesures provisoires sollicitées au bénéfice de l’extrême urgence suit la procédure prévue par l’article 39/85 de la loi ainsi formulé :

« Si l’étranger fait l’objet d’une mesure d’éloignement ou de refoulement dont l’exécution est imminente, l’étranger qui a déjà introduit une demande de suspension, peut, à condition que le Conseil ne se soit pas encore prononcé sur cette demande, demander, par voie de mesures provisoires au sens de l’article 39/84, que le Conseil examine sa demande de suspension dans les meilleurs délais.

La demande de mesures provisoires et la demande de suspension sont examinées conjointement et traitées dans les quarante-huit heures suivant la réception par le Conseil de la demande de mesures provisoires. Si le président de la chambre ou le juge au contentieux des étrangers saisi ne se prononce pas dans ce délai, il doit en avertir le premier président ou le président. Celui-ci prend les mesures nécessaires pour qu’une décision soit rendue au plus tard dans les septante-deux heures suivant la réception de la requête. Il peut notamment évoquer l’affaire et statuer lui-même.

Dès la réception de la demande de mesures provisoires, il ne peut être procédé à l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement jusqu’à ce que le Conseil se soit prononcé sur la demande ou qu’il ait rejeté la demande. Si la suspension n’a pas été accordée, l’exécution forcée de la mesure est à nouveau possible. »

68. Tant la demande de suspension en extrême urgence que la demande de mesures provisoires en extrême urgence nécessitent, pour qu’elles puissent être accueillies, l’imminence de l’exécution de la mesure d’éloignement (article 39/82, § 4, alinéa 2, et article 39/85, alinéa 1er, de la loi sur les étrangers). Cette exigence doit être lue à la lumière de l’interprétation donnée à la notion de l’extrême urgence par le Conseil d’État, notamment dans des arrêts de l’assemblée générale de la section d’administration du 2 mars 2005 (nos 141.510, 141.511 et 141.512) :

« [la partie requérante] doit apporter la démonstration que la procédure de suspension ordinaire ne permettrait pas de prévenir efficacement la réalisation du préjudice grave allégué, en tenant compte de la possibilité d’introduire en cours d’instance une demande de mesures provisoires d’extrême urgence [...], les deux demandes étant alors examinées conjointement.

(...)

Il est constant que, hormis dans les cas exceptionnels où ils sont assortis d’une mesure de contrainte en vue du rapatriement, la partie adverse ne procède pas systématiquement au contrôle de l’exécution effective des ordres de quitter le territoire qui sont délivrés ; que dès lors, la seule référence à l’ordre de quitter le territoire qui a été délivré ne suffit pas à démontrer l’existence de l’extrême urgence. »

69. Dans la ligne de cette jurisprudence, le CCE considère que, pour que le péril soit imminent, l’étranger doit faire l’objet d’une mesure de contrainte en vue de l’obliger de quitter le territoire. En l’absence d’une telle mesure, l’extrême urgence n’est pas établie (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts des 27 juin 2007, no 456, et 20 février 2008, no 7512).

70. Les dispositions précitées doivent également être lues à la lumière de l’interprétation qu’en a donnée le CCE à la suite de l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, CEDH 2011), dans sept arrêts d’assemblée générale (nos 56.201 à 56.205, 56.207 et 56.208) du 17 février 2011. Le CCE a notamment considéré que, pour satisfaire à l’exigence du recours suspensif de plein droit, l’introduction d’une demande de suspension en extrême urgence devait être considérée comme suspensive de plein droit, même si la demande était introduite en dehors du délai de trois jours ouvrables prévu par l’article 39/83, mais dans le délai prévu à l’article 39/57, c’est-à-dire dans le délai de 15 jours (délai valant pour un étranger qui est maintenu à la disposition du gouvernement). Le CCE a en outre constaté que, si l’étranger avait introduit une demande de suspension ordinaire et si l’exécution de la mesure d’éloignement ou de refoulement devenait imminente, il pouvait introduire une demande de mesures provisoires en extrême urgence, qui était, selon le texte même de l’article 39/85, également suspensive de plein droit de l’exécution forcée de la mesure d’éloignement ou de refoulement.

71. Saisie d’une requête en annulation de la loi du 15 mars 2012 modifiant la loi sur les étrangers qui instaurait une procédure accélérée pour les demandeurs d’asile en provenance de pays « sûrs », la Cour constitutionnelle s’est prononcée, par un arrêt no 1/2014 du 16 janvier 2014, sur le point de savoir si les recours en annulation et en suspension d’extrême urgence remplissaient les critères d’effectivité posés par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

72. La Cour constitutionnelle annula partiellement la loi attaquée au motif que le CCE n’étant pas tenu d’examiner, sur la base d’éventuels éléments nouveaux présentés devant lui, la situation actuelle des intéressés, c’est-à-dire la situation au moment de statuer, par rapport à la situation prévalant dans son pays d’origine, les recours en annulation et de suspension d’extrême urgence dont cette juridiction pouvait être saisie ne permettaient pas le contrôle « attentif », « complet » et « rigoureux » de la situation des intéressés voulu par la Cour (M.S.S. précité, §§ 387 et 389 ; Yoh-Ekale Mwanje précité, §§ 105 et 107).

73. Observant en outre que l’extension précitée (voir paragraphe 70 ci-dessus) de l’effet suspensif de l’introduction de la demande de suspension en extrême urgence ne résultait pas d’une modification législative mais d’une interprétation juridictionnelle, la Cour constitutionnelle souligna que les étrangers concernés n’avaient pas la garantie que l’OE adapterait sa pratique, en toutes circonstances, à cette jurisprudence et considéra que cette situation était en porte-à-faux avec la jurisprudence de la Cour (Čonka c. Belgique, no 51564/99, § 83, CEDH 2002‑I, et Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 66, CEDH 2007‑II).

74. Un recours en cassation de l’arrêt du CCE rejetant un recours en annulation est possible devant le Conseil d’État. Ce recours n’est pas suspensif.

D. Recours devant les juridictions de l’ordre judiciaire

75. Les cours et tribunaux sont, aux termes des articles 144 et 145 de la Constitution, compétents pour connaître de contestations relatives à des droits subjectifs. L’article 584 du code judiciaire prévoit, en ces termes, la possibilité de saisir le président du tribunal de première instance par voie de référé ou par requête unilatérale :

« Le président du tribunal de première instance statue au provisoire dans les cas dont il reconnaît l’urgence, en toutes matières, sauf celles que la loi soustrait au pouvoir judiciaire.

(...)

Le président est saisi par voie de référé ou, en cas d’absolue nécessité, par requête (...) »

76. La décision prise en première instance est susceptible d’appel et l’arrêt rendu en appel peut faire l’objet d’un pourvoi en cassation.

77. La demande en référé n’est pas suspensive.

III. LE TRAITEMENT MÉDICAL DE L’AFFECTION PAR LE VIH ET LE SIDA AU NIGÉRIA

78. Les données épidémiologiques publiées par la National Agency for the Control of AIDS (NACA) du Nigéria dans un rapport de 2012 (Global Aids Response, Country Progress Report) se lisent comme suit :

“Nigeria carries the second heaviest burden of HIV in Africa and has an expanding population of People Living with HIV (PLHIV). Despite challenges in scaling up access, institutional reforms and political commitment to tackle the diseases, the country has seen more citizens placed on life saving medication. (...)

Table 1 - Epidemiology of HIV in Nigeria: Key Facts 2008-2012

National Median HIV Prevalence 2008: 4.6% - 2012: 4.1%

Estimated Number of PLWHIV 2008: 2.980,000 – 2012: 3,459,363

Annual AIDS Death 2008: 192,000 – 2012: 217,148

Number requiring ARV Therapy 2008: 857,455 – 2012: 1,449,166

New HIV Infections 2008: 336,379 – 2012: 388,864

Total Number of AIDS Orphans 2008: 2,175,760 – 2012: 2,193,745”

79. Les informations publiées par le UK Border Agency du Royaume-Uni font état des données suivantes :

Nigeria Country of Origin Information (COI) Report, 14 June 2013

“26.14 Avert.org, in its undated (circa 2010) HIV and AIDS in Nigeria section (accessed 19 December 2012), recorded:

‘In Nigeria, an estimated 3.6 percent of the population are living with HIV and AIDS. Although HIV prevalence is much lower in Nigeria than in other African countries such as South Africa and Zambia, the size of Nigeria’s population (around 162.5 million) means that by the end of 2009, there were an estimated 3.3 million people living with HIV ... Approximately 220,000 people died from AIDS in Nigeria in 2009. With AIDS claiming so many lives, Nigeria’s life expectancy has declined significantly. In 2010 the overall life expectancy was only 52 years.’

26.15 The US State Department 2011 report on Human Rights Practices, released 24 May 2012, noted that there was widespread societal discrimination against persons with HIV/AIDS. The public considered the disease a result of immoral behavior and a punishment for homosexual activity. Persons with HIV/AIDS often lost their jobs or were denied health care services. Authorities and NGOs sought to reduce the stigma and change perceptions through public education campaigns.

26.16 The UNAIDS 2010 report on the Global AIDS Epidemic noted that HIV incidence has fallen by more than 25% between 2001 and 2009 in a number of sub-Saharan African countries, including Nigeria. However a Vanguard article of 10 December 2012, “Nigeria Needs Over N700 Billion for Anti-Retroviral Drugs – NACA”, observed:

‘Prof. John Idoko, the Director-General, National Agency for the Control of AIDS (NACA), says more than N700 billion is needed to achieve universal access to antiretroviral (ARVs) drugs in Nigeria ... He explained that there was a huge gap between persons accessing anti-retroviral drugs and those requiring them, stressing that government must commit resources towards meeting their need. “Presently, only 432,000 persons living with HIV and AIDS (PLWHA) are accessing the drugs in contrast with the 1.5 million people needing it. We have realised that the Federal Government need to commit more funds to this cause; drugs are critical they interrupt transmission”, he said.

Idoko said that government should focus more on making HIV treatment cheaper by reducing the cost of drugs and tests, adding that there was the need to strengthen the health systems. The director-general said that 12 states had HIV burden, adding that PMTCT gap should be closed by ensuring that all pregnant women had access to services to reduce new infections.

The ARFH [Association for Reproductive and Family Health] President, Prof. Oladapo Ladipo, said that Nigeria had an estimated burden of 17.5 million Orphans and Vulnerable Children (OVCs), stressing that 2.3 million of them were orphaned by AIDS.

He said that presently an estimated 360,000 children were HIV positive, and that care and support for OVCs should be focused on ... The Managing Director, Society for Family Health, Mr Bright Ekweremadu, said that the society had embarked on HIV counseling and testing for 1.8 million Nigerians.’

26.17 Information obtained from MedCOI (medical advisors in the country of origin via the Dutch Ministry of Interior and Immigration Service) sources in February 2013 indicated that the following antiretroviral medications were available in Nigeria at the time: Abacavir, Didanosine, Emtricitabine, Lamivudine, Stavudine, Tenofovir, Zalcitabine, Zidovudine; Enfuvirtide; Efavirenz, Nevirapine; Amprenavir; Indinavir; Lopinavir/Ritonavir (= Kaletra); Saquinavir Mesylate; Efavirenz+Emtricitabine+ Tenofovir (= Atripla); Zidovudine+Lamivudine (= Combivir); Abacavir+Lamivudine (= Epzicom); Abacavir+Zidovudine+Lamivudine (=Trizivir); Tenofovir+ Emtricitabine(= Truvada).”

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 ET DES ARTICLES 3 ET 8 DE LA CONVENTION

80. La requérante allègue qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, si elle retournait au Nigéria, elle y courrait un risque d’être soumise à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention qui est ainsi formulé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

81. La requérante se plaint ensuite que le refus de séjour qui lui est opposé par les autorités belges porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale. Elle invoque l’article 8 de la Convention qui se lit comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

82. Elle se plaint également d’une violation de l’article 13 de la Convention qui prévoit ce qui suit :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

A. Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

83. La Cour rappelle que, dans sa décision sur la recevabilité de la requête, elle a estimé qu’il y avait lieu de joindre l’exception tirée par le Gouvernement du non-épuisement des voies de recours internes, relative aux griefs fondés sur des violations des articles 3 et 8 de la Convention, à l’examen du fond du grief tiré de l’article 13 de la Convention combiné avec les articles 3 et 8, et de l’examiner dans ce contexte (S.J. c. Belgique, (déc.), 18 décembre 2012, § 60).

1. Thèses des parties

84. La requérante allègue qu’elle ne disposait pas, contre l’ordre de quitter le territoire, d’un recours effectif pour faire valoir ses griefs tirés des articles 3 et 8 de la Convention. Le recours en annulation de l’ordre de quitter le territoire qu’elle a introduit devant le CCE et qui est toujours pendant, n’étant pas suspensif de son éloignement, la requérante a saisi cette juridiction d’une demande de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire afin qu’il soit statué sur le bien-fondé de ses griefs avant son éloignement. Toutefois, cette procédure s’est avérée infructueuse du fait que la requérante n’était pas détenue et n’établissait de ce fait pas l’urgence de la situation. Elle souligne que le CCE applique la même jurisprudence quand il est saisi d’une demande de mesures provisoires au bénéfice de l’extrême urgence dans le cadre d’une demande de suspension ordinaire.

85. La requérante soutient que cette jurisprudence la mettait dans l’impossibilité de facto de faire usage de la seule voie procédurale en droit belge qui pouvait mener à la suspension de plein droit de l’ordre de quitter le territoire qui lui avait été délivré. En effet, la politique poursuivie par le Gouvernement belge était de ne pas arrêter ni détenir les familles avec enfants en vue de leur expulsion. Par conséquent, et de façon paradoxale, l’absence de mesures de contrainte à son endroit a privé la requérante ab initio de la possibilité de faire examiner ses griefs tirés des articles 3 et 8 dans des conditions conformes à l’article 13 de la Convention.

86. Les autres procédures existant en droit belge en vue de suspendre une expulsion – la procédure de suspension ordinaire devant le CCE et le recours en référé auprès du juge judiciaire – n’étant pas suspensives de plein droit de l’exécution de la mesure, la requérante n’avait pas d’autre choix, à la suite du rejet par le CCE de sa demande de suspension, que de demander à la Cour l’indication d’une mesure provisoire.

87. Le Gouvernement expose que le rejet par le CCE de la demande de la requérante de suspension en extrême urgence de l’ordre de quitter le territoire s’explique par l’absence de mesures de contrainte à son encontre. En effet, en droit belge, en pratique, un étranger ne peut être éloigné de manière forcée du territoire sans avoir au préalable été détenu dans un centre fermé ou maintenu dans une zone de transit. Cette détention constitue la mesure de contrainte nécessaire à l’introduction d’un recours en extrême urgence. Cette condition est motivée par la circonstance qu’un ordre de quitter le territoire sans mesure de contrainte peut uniquement être exécuté de manière volontaire par l’étranger.

88. Ceci étant dit, il est faux, selon le Gouvernement, de soutenir que la présence d’enfants mineurs interdit les mesures de contrainte. Au contraire, la loi sur les étrangers prévoit la détention de familles avec enfants mineurs dans l’attente de leur expulsion et ceux-ci suivent le régime de l’adulte qu’ils accompagnent.

89. A la suite de son recours en annulation et comme le CCE le lui suggéra dans son arrêt du 27 novembre 2010 rejetant sa demande de suspension en extrême urgence, la requérante aurait dû introduire un autre recours en annulation ainsi qu’une demande de suspension ordinaire de l’ordre de quitter le territoire assortie – le cas échéant, ultérieurement – d’une demande de mesures provisoires en extrême urgence. Dans ce cas, en vertu de l’article 39/85 de la loi sur les étrangers, le CCE aurait été tenu d’examiner conjointement les demandes en suspension et de mesures provisoires et de se prononcer dans les quarante-huit heures suivant la réception de la demande de mesures provisoires. Cette procédure aurait été effective puisque la mesure d’éloignement n’aurait pas pu être exécutée de manière forcée aussi longtemps que le CCE ne se serait pas prononcé.

90. Ensuite, en cas d’échec de la procédure devant le CCE, la requérante disposait encore de la faculté de saisir le juge des référés judiciaire pour solliciter l’interdiction de l’expulsion.

2. Appréciation de la Cour

91. La Cour considère que la requérante avait prima facie des griefs défendables à faire valoir devant les juridictions internes tant sous l’angle de l’article 3 que de l’article 8 de la Convention et que, par conséquent, l’article 13 s’applique.

92. La Cour constate que le Gouvernement ne suggère pas que la requérante ne pourrait se prévaloir de la qualité de victime d’une violation alléguée de la Convention en raison de l’absence de mesures de contrainte (voir paragraphes 79 à 82 ci-dessus).

93. La Cour observe, à la lumière des dispositions légales applicables et de la jurisprudence y relative (voir paragraphes 46 et 67 ci-dessus), qu’en droit belge, un ordre de quitter le territoire est une décision administrative exécutoire permettant à l’administration d’en poursuivre l’exécution forcée. En l’espèce, l’ordre donné à la requérante de quitter le territoire pouvait ainsi être exécuté à tout moment à partir du 22 décembre 2010. La Cour estime que cette circonstance suffit pour conclure que la requérante avait droit à un recours permettant un examen effectif de ses griefs.

94. La Cour se réfère, à cette fin, aux principes généraux relatifs à l’effectivité des recours et des garanties à fournir par les États parties en cas d’expulsion d’un étranger en vertu des articles 13 et 3 combinés tels qu’ils sont résumés dans l’arrêt M.S.S. c. Belgique et Grèce [GC] (no 30696/09, §§ 286 à 293, CEDH 2011 ; voir, plus récemment, I.M. c. France, no 9152/09, §§ 127 à 135, 2 février 2012, et De Souza Ribeiro c. France [GC], no 22689/07, §§ 77 à 83, CEDH 2012).

95. La Cour constate qu’en droit belge, le recours porté devant le CCE visant l’annulation d’un ordre de quitter le territoire ou d’un refus de séjour n’est pas suspensif de l’exécution de l’éloignement. La loi sur les étrangers prévoit par contre des procédures spécifiques pour en demander la suspension, soit la procédure de l’extrême urgence, soit la procédure de suspension « ordinaire » (voir paragraphes 64 à 73 ci-dessus).

96. La demande de suspension en extrême urgence a pour effet de suspendre de plein droit la mesure d’éloignement. Le CCE peut, dans ce cas, sur la base notamment d’un examen du caractère sérieux des moyens fondés sur la violation de la Convention, ordonner, dans un délai de 72 heures, le sursis à l’exécution des décisions attaquées et prévenir de la sorte que les intéressés soient éloignés du territoire avant un examen approfondi de leurs moyens, à effectuer dans le cadre du recours en annulation.

97. Le Gouvernement fait valoir, ainsi que le CCE l’a souligné dans son arrêt du 27 novembre 2010 (voir paragraphe 46 ci-dessus), que la suspension peut également être obtenue par le jeu d’une autre combinaison de recours : d’abord, un recours en annulation et une demande de suspension ordinaire dans le délai de trente jours à compter de la notification de la décision faisant grief ; ensuite, au moment où l’étranger fait l’objet d’une mesure de contrainte, une demande de mesures provisoires en extrême urgence. Le CCE est alors dans l’obligation légale d’examiner, dans les 72 heures et en même temps, la demande de mesures provisoires en extrême urgence et la demande de suspension ordinaire introduite auparavant. L’introduction de la demande de mesures provisoires en extrême urgence a, à partir du moment de son introduction, un effet de suspension de plein droit de l’éloignement.

98. En vertu de l’interprétation qu’a donnée le CCE de la notion d’extrême urgence, tant la demande de suspension en extrême urgence que la demande de mesures provisoires en extrême urgence nécessitent, pour pouvoir être déclarées recevables et fondées, l’existence d’une mesure de contrainte (voir paragraphes 46 et 67 ci-dessus).

99. En l’espèce, la requérante a saisi le CCE d’un recours en annulation et d’une demande de suspension en extrême urgence dirigés contre la décision de rejet de la demande de régularisation de séjour et l’ordre de quitter le territoire délivrés par l’OE les 20 octobre et 22 novembre 2010 respectivement. Le CCE a constaté qu’en l’absence de mesure de contrainte prise à son égard, la requérante n’avait pas démontré l’extrême urgence de sa situation. Le CCE a donc rejeté la demande de suspension en extrême urgence pour ce motif par un arrêt du 27 novembre 2010.

100. La requérante allègue qu’en rejetant ainsi sa demande de suspension, le CCE l’a privée, en violation de la jurisprudence de la Cour relative à l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention, de la seule possibilité en droit belge d’obtenir la suspension de plein droit de son éloignement alors que celui-ci pouvait être exécuté à tout moment après le 22 décembre 2010.

101. Le Gouvernement soutient, quant à lui, que la requérante aurait dû utiliser, comme le lui suggérait le CCE par son arrêt du 27 novembre 2010, l’autre combinaison de recours, à savoir un recours en annulation et une demande de suspension ordinaire de l’ordre de quitter le territoire assortie, le moment venu, d’une demande de mesures provisoires en extrême urgence.

102. La Cour observe que ce système, tel que décrit ci-dessus (voir paragraphes 96 et 97 ci-dessus), a pour effet d’obliger l’étranger, qui est sous le coup d’une mesure d’éloignement et qui soutient qu’il y a urgence à demander le sursis à exécution de cette mesure, à introduire un recours conservatoire, en l’occurrence une demande de suspension ordinaire. Ce recours, qui n’a pas d’effet suspensif, doit être introduit dans le seul but de se préserver le droit de pouvoir agir en urgence lorsque la véritable urgence, au sens donné par la jurisprudence du CCE, se réalise, c’est-à-dire quand l’étranger fera l’objet d’une mesure de contrainte. La Cour observe au surplus que, dans l’hypothèse où l’intéressé n’a pas mis en mouvement ce recours conservatoire au début de la procédure, et où l’urgence se concrétise par après, il est définitivement privé de la possibilité de demander encore la suspension de la mesure d’éloignement.

103. Selon la Cour, si une telle construction peut en théorie se révéler efficace, en pratique, elle est difficilement opérationnelle et est trop complexe pour remplir les exigences découlant de l’article 13 combiné avec l’article 3 de disponibilité et d’accessibilité des recours en droit comme en pratique (Çakıcı c. Turquie [GC], no 23657/94, § 112, CEDH 1999‑IV, M.S.S., précité, § 318, et I.M., précité, § 150). Elle note en outre que si, dans l’hypothèse précitée (voir paragraphe 102 in fine), l’étranger ne retire pas son recours en annulation initial et ne le réintroduit pas, cette fois accompagné d’une demande de suspension ordinaire, le système préconisé par le Gouvernement peut mener à des situations dans lesquelles l’étranger n’est en fait protégé par un recours à effet suspensif ni durant la procédure contre l’ordre d’expulsion ni face à l’imminence d’un éloignement. C’est cette situation qui s’est produite en l’espèce, alors même que la requérante était conseillée par un avocat spécialisé. Eu égard à l’importance du droit protégé par l’article 3 et au caractère irréversible d’un éloignement, une telle situation est incompatible avec les exigences desdites dispositions de la Convention (voir, parmi d’autres, Gebremedhin [Gaberamadhien] c. France, no 25389/05, § 66, CEDH 2007‑II, M.S.S., précité, § 293 et 388, Diallo c. République tchèque, no [20493/07](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#%7B.), § 74, 23 juin 2011, Auad c. Bulgarie, no [46390/10](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#%7B.), § 120, 11 octobre 2011, Al Hanchi c. Bosnie-Herzégovine, no [48205/09](http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#%7B.), § 32, 15 novembre 2011, I.M., précité, § 58, De Souza Ribeiro, précité, § 82, Mohammed c. Autriche, no 2283/12, § 72, 6 juin 2013, et M.A. c. Chypre, no 41872/10, § 133, CEDH 2013 (extraits)).

104. La Cour observe en outre que ce système accule les intéressés, qui se trouvent déjà dans une position vulnérable, à agir encore in extremis au moment de l’exécution forcée de la mesure. Cette situation est d’autant plus préoccupante dans le cas d’une famille accompagnée d’enfants mineurs sachant que l’exécution de la mesure sous la forme d’un placement en détention, si elle ne peut pas être évitée, doit être réduite au strict minimum conformément, notamment, à la jurisprudence de la Cour (Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, 19 janvier 2010, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, 13 décembre 2011, et Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012).

105. La Cour n’estime pas nécessaire de se prononcer sur la possibilité qu’avait la requérante de saisir le juge judiciaire des référés (voir paragraphes 75 à 77 ci-dessus). Il lui suffit de constater que ce recours n’est pas non plus suspensif de plein droit de l’exécution de la mesure d’éloignement et qu’il ne remplit donc pas non plus les exigences requises par l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 3 (voir, mutatis mutandis, Singh et autres c. Belgique, no 33210/11, § 97, 2 octobre 2012).

106. Au vu de l’analyse du système belge qui précède, la Cour conclut que la requérante n’a pas disposé d’un recours effectif, dans le sens d’un recours à la fois suspensif de plein droit et permettant un examen effectif des moyens tirés de la violation de l’article 3 de la Convention. Il y a donc eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention.

107. Il s’ensuit qu’il ne saurait être reproché à la requérante de ne pas avoir usé de la multitude de recours devant le CCE ou du recours devant le juge judiciaire des référés pour faire valoir son grief tiré de l’article 3. L’exception tirée par le Gouvernement du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le grief fondé sur l’article 3 (voir paragraphe 83 ci-dessus) doit donc être rejetée.

108. Vu la conclusion sur l’article 13 combiné avec l’article 3 et les circonstances de l’affaire, la Cour estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief de la requérante sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention.

B. Sur la violation alléguée de l’article 3 de la Convention

109. La requérante allègue qu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que, si elle retournait au Nigéria, elle y courrait un risque d’être soumise à des traitements inhumains et dégradants contraires à l’article 3 de la Convention qui est ainsi formulé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

1. Thèses des parties

110. La requérante rappelle qu’elle souffre d’une maladie mortelle et qu’elle bénéficie en Belgique d’un traitement qui est régulièrement adapté en raison des effets secondaires et de l’évolution de la maladie. Elle bénéficie également depuis son arrivée en Belgique d’un suivi psychosocial intensif pour l’aider à faire face, compte tenu de son jeune âge, à la maladie et à la présence de jeunes enfants. Elle fait valoir qu’elle ne dispose d’aucune garantie qu’au Nigéria l’association médicamenteuse qui lui est actuellement administrée – Reyataz et Kivexa – est disponible ni qu’une autre association puisse avoir les mêmes résultats sur l’évolution de sa maladie ni en termes d’effets secondaires. Les informations auxquelles se réfère le médecin conseil de l’OE dans son rapport de 2013 et qui l’ont amené à conclure à la disponibilité des traitements ARV au Nigéria sont obsolètes puisqu’elles concernent une association médicamenteuse qui n’est plus aujourd’hui adaptée à ses besoins. Elles ne tiennent pas non plus compte du fait qu’elle ne bénéficiera plus du suivi médical spécialisé dont elle a besoin.

111. La requérante soutient en outre qu’au Nigéria les traitements ARV ne sont, en tous les cas, pas accessibles. De facto, seule une minorité des personnes vivant avec le VIH à un stade avancé y a accès gratuitement. Or, la requérante n’a pas de ressources, ne dispose d’aucun réseau social et risque d’être victime des stigmatisations et discriminations dont souffrent les personnes atteintes par le VIH en général et les femmes en particulier pour accéder au marché du travail. Il lui serait donc très difficile voire impossible de trouver les moyens pour financer le traitement de sa maladie et un retour au Nigéria l’exposerait au risque d’une mort à brefs délais dans des conditions de souffrance physique et morale atteignant le seuil de gravité requis par l’article 3. Selon la requérante, il y a lieu d’appliquer le même raisonnement que celui de la Cour dans l’affaire D. c. Royaume-Uni (2 mai 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997‑III) et de considérer que la différence entre quelqu’un qui est déjà sur son lit de mort et quelqu’un qui va décéder sous peu est minime et que tant l’éloignement d’une personne mourant que celui d’une personne qui va mourir sous peu est contraire à l’article 3 de la Convention.

112. La requérante souligne enfin que sa vulnérabilité est aggravée du fait qu’elle a à sa charge trois jeunes enfants à qui elle ne pourra pas assurer une vie décente et qu’un retour au Nigéria les exposerait au risque de devenir orphelins ou à tout le moins livrés à eux-mêmes à défaut de réseau social et familial susceptible de les prendre en charge.

113. Le Gouvernement ne conteste pas que la requérante est atteinte d’une affection entraînant en soi un risque pour sa vie et son intégrité physique. Toutefois, son retour au Nigéria ne l’exposerait pas à un risque de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. Ce risque a été évalué par le médecin conseil de l’OE en tenant compte de la situation individuelle de la requérante, de l’évolution de son état de santé, des médicaments dont elle a besoin et de l’existence d’un traitement approprié suffisamment accessible au Nigéria. Sur ce dernier point, le Gouvernement se réfère à plusieurs rapports, publiés notamment par la NACA, qui montrent que le Nigéria poursuit une politique de prévention des populations les plus vulnérables et met en place une stratégie d’accès universel aux médicaments dans les hôpitaux publics sous réserve de leur disponibilité. Le Gouvernement ajoute qu’il existe aujourd’hui un traitement ARV qui donne de très bons résultats, le « traitement antirétroviral hautement actif » (« HAART ») qui est une association de plusieurs médicaments qui existent chacun séparément au Nigéria. Le rapport du fonctionnaire médecin fait apparaître également que la requérante est en état de voyager et que son état n’est pas à ce jour préoccupant au point de s’opposer à un retour dans son pays d’origine.

114. Le Gouvernement est par ailleurs conscient de l’existence au Nigéria, comme dans le reste de l’Afrique sub-saharienne, de phénomènes de stigmatisation et de discrimination à l’encontre des personnes vivant avec le VIH. Toutefois, l’article 3 ne saurait avoir pour conséquence qu’un État contractant viole la Convention chaque fois qu’il refuserait le séjour à un étranger et procéderait à son expulsion vers un pays où il n’aurait aucune possibilité d’assurer sa subsistance par un travail régulier et décent. Il rappelle également que rien n’établit que la requérante ne dispose pas en réalité d’un réseau social et familial pouvant l’aider. En effet, sa demande d’asile avait été rejetée au motif que son récit n’était pas crédible notamment et précisément en ce qui concerne sa situation familiale (voir paragraphe 13 ci-dessus).

115. S’agissant du suivi psychosocial, le Gouvernement fait valoir que la requérante n’en a pas fait apparaître la nécessité dans les certificats médicaux qu’elle a communiqués à l’OE et qu’il n’appartenait pas à l’administration de faire des recherches complémentaires a posteriori. En tout état de cause, il est toujours loisible à la requérante d’introduire une nouvelle demande d’autorisation de séjour sur pied de l’article 9ter de la loi sur les étrangers.

116. En conclusion, le Gouvernement est d’avis que l’affaire n’est pas caractérisée par des considérations humanitaires impérieuses au sens de la jurisprudence de la Cour, telle qu’énoncée dans l’arrêt N. c. Royaume-Uni [GC] (no 26565/05, CEDH 2008-III) et appliquée dans l’arrêt Yoh-Ekale Mwanje précité, qui s’opposeraient au retour de la requérante au Nigéria.

2. Appréciation de la Cour

117. Le grief que la requérante tire de l’article 3 se fonde sur son état de santé et sur l’absence de traitement médical apte à soigner sa maladie dans son pays d’origine.

118. Selon la jurisprudence de la Cour, la souffrance due à une maladie survenant naturellement, qu’elle soit physique ou mentale, peut relever de l’article 3 si elle se trouve ou risque de se trouver exacerbée par un traitement – que celui-ci résulte de conditions de détention, d’une expulsion ou d’autres mesures – dont les autorités peuvent être tenues pour responsables (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 52, CEDH 2002‑III).

119. La Cour a toutefois considéré que cela n’impliquait pas que les non-nationaux qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion puissent revendiquer un droit à rester sur le territoire d’un État partie afin de continuer à bénéficier de l’assistance et des services médicaux, sociaux ou autres fournis par cet État. La décision d’expulser un étranger atteint d’une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l’État partie n’est en effet susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3 que dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses (N., précité, § 42).

120. Le fait qu’en cas d’expulsion de l’État partie, l’étranger connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, ne suffit pas pour emporter violation de l’article 3 (ibidem). Selon la Cour, il faut que des circonstances humanitaires encore plus impérieuses caractérisent l’affaire. Dans les affaires N. et Yoh-Ekale Mwanje précitées, dans lesquelles les requérantes étaient également malades du sida, la Cour a considéré que leur éloignement n’était pas susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3 de la Convention. La Cour tint compte de ce qu’au moment de leur éloignement, l’état de santé des requérantes était stable grâce aux traitements dont elles avaient bénéficié jusque-là, qu’elles n’étaient pas dans un « état critique » et qu’elles étaient aptes à voyager.

121. En l’espèce, la requérante a été diagnostiquée séropositive après son arrivée en Belgique en 2007 lors d’un bilan de grossesse. Il ressort des certificats médicaux établis par l’équipe médicale du CHU St Pierre où est soignée la requérante que celle-ci est actuellement traitée avec une association de trois médicaments (voir paragraphes 28 et 29 ci-dessus).

122. S’il est vrai que la Cour ne dispose d’aucune information attestant que ces trois médicaments sont disponibles au Nigéria, il n’en demeure pas moins que des traitements ARV y sont disponibles ainsi que cela ressort des rapports relatifs à la situation de l’épidémie de sida dans ce pays (voir paragraphe 79 ci-dessus). Eu égard à ces circonstances, la Cour estime ne pas devoir attacher une importance prépondérante au fait que les informations versées au dossier en 2013 par le Gouvernement se réfèrent encore à l’association médicamenteuse qui avait été prescrite à la requérante en 2010 (voir paragraphe 21 ci-dessus) et qui a été abandonnée depuis (voir paragraphe 26 ci-dessus).

123. La Cour n’est pas sans ignorer que l’accès aux médicaments au Nigéria est aléatoire et que, faute de ressources suffisantes, la distribution gratuite des traitements contre le sida ne bénéficie pas à la majorité des personnes qui en ont besoin (voir paragraphes 78 et 79 ci-dessus). Elle sait également, ainsi qu’en attestent, s’il en est besoin, les certificats médicaux produits par la requérante devant les autorités internes et devant elle, que, comme toutes les personnes vivant avec le VIH dans sa situation, priver la requérante des médicaments essentiels pourrait avoir pour conséquence de détériorer son état de santé et même d’engager son pronostic vital à court ou moyen terme.

124. Toutefois, elle note également que, d’après les certificats médicaux établis en 2012 et 2013 (voir paragraphes 28 et 29 ci-dessus), l’évolution de la maladie de la requérante est actuellement sous contrôle grâce à l’administration des médicaments administrés au CHU St Pierre et que la requérante n’a pas développé de maladie opportuniste. Elle n’est donc pas dans un « état critique » et est apte à voyager. Sur la base des principes rappelés ci-dessus (voir paragraphes 119 à 120 ci-dessus), que la Cour estime devoir suivre en l’espèce, les éléments du dossier ne lui permettent pas de considérer que le niveau de gravité requis par l’article 3 de la Convention est atteint.

125. La requérante fait encore valoir que sa vulnérabilité est accentuée du fait qu’elle est accompagnée de ses enfants qui sont en bas âge, qu’ils seront témoins de la dégradation de santé de leur mère et risquent de se retrouver livrés à eux-mêmes dans un pays où ils ne disposent pas de réseau social ni familial. La Cour considère que ces éléments ne sont pas de nature à changer son appréciation du seuil de gravité requis par l’article 3 mais relèvent de l’appréciation de la situation sous l’angle de l’article 8.

126. Partant, même si le cas de la requérante est marqué par de fortes considérations humanitaires militant en faveur d’une régularisation de son séjour, la Cour estime que ces considérations ne sont pas tellement impérieuses qu’elles s’opposent, sous l’angle de l’article 3 de la Convention, au retour de la requérante dans son pays d’origine.

127. La Cour conclut que l’éloignement de la requérante vers le Nigéria n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention.

C. Sur la violation alléguée de l’article 8 de la Convention

1. Thèses des parties

128. La requérante expose que, depuis son arrivée en Belgique en 2007, elle a donné naissance à trois enfants. Ceux-ci n’ont jamais vécu au Nigéria et les deux aînés sont à ce jour scolarisés en Belgique. Elle soutient que, du fait de la qualité de la formation en Belgique, ses enfants y ont un avenir qui n’existe pas au Nigéria. De plus, le père des enfants, également de nationalité nigériane, séjourne en Belgique et, bien qu’il ne dispose pas d’un titre de séjour, y habite depuis peu avec la requérante et ses enfants. Il a ainsi pu développer une relation avec ses enfants ; il s’en occupe et les conduit régulièrement à l’école. Selon la requérante, la Belgique est le seul pays où elle pourra avec son partenaire et leurs enfants exercer une vie familiale normale et conforme à l’article 8 de la Convention.

129. Le Gouvernement met en doute, sur le fond, l’existence d’une vie familiale entre le père et les enfants à défaut de pièces en attestant, qu’il s’agisse de la preuve d’un droit de visite ou d’une prise en charge financière. S’agissant de la relation entre la requérante et le père des enfants, le Gouvernement souligne qu’il n’est nullement démontré qu’il existe entre eux des éléments supplémentaires de dépendance autres que les liens affectifs normaux. En tout état de cause, en matière d’immigration, l’article 8 ne s’interprète pas comme comportant pour un État l’obligation générale de respecter le choix par les étrangers de leur pays de résidence et de permettre le regroupement familial sur son territoire. De plus, le retour de la requérante se fera avec ses enfants de sorte que l’unité familiale sera préservée.

2. Appréciation de la Cour

130. La Cour rappelle qu’elle n’a pas estimé nécessaire d’examiner le grief tiré de la violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 (voir paragraphe 108 ci-dessus). Elle considère, de même, qu’elle peut laisser ouverte la question de savoir si la requérante a épuisé les voies de recours internes pour faire valoir son grief tiré de la violation de l’article 8 pris isolément. Pour les raisons développées ci-dessous, ce dernier grief est en tout cas non fondé.

131. La Cour observe que la relation entre la requérante et ses enfants, tous trois nés en Belgique, constitue une « vie familiale » aux fins de l’article 8 de la Convention. Elle ne juge pas important, dans les circonstances de l’espèce, de déterminer si une vie familiale s’est établie avec le père des enfants. Il lui suffit de constater que le Gouvernement ne conteste pas la paternité de celui-ci.

132. Tout en constatant que la présente espèce concerne à la fois le refus par les autorités nationales d’autoriser la requérante à résider en Belgique et la menace subséquente de la renvoyer au Nigéria avec ses enfants, la Cour estime que la question centrale est celle de savoir si les autorités belges avaient l’obligation d’autoriser la requérante à séjourner en Belgique pour lui permettre, ainsi qu’à ses enfants, de maintenir et de développer une vie familiale sur le territoire belge (voir, mutatis mutandis, Rodrigues da Silva et Hoogkamer c. Pays-Bas, no 50435/99, § 38, CEDH 2006-I).

a) Rappel des principes généraux

133. Dans le contexte des obligations positives comme dans celui des obligations négatives, l’État doit ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la communauté dans son ensemble. Il jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation (voir, parmi d’autres, Powell et Rayner c. Royaume-Uni, 21 février 1990, § 41, série A no 172, Ahmut c. Pays-Bas, 28 novembre 1996, § 63, Recueil 1996‑VI).

134. La Cour a reconnu que les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l’entrée et le séjour des étrangers sur leur sol ; la Convention ne garantit pas le droit pour un étranger d’entrer ou de résider dans un pays particulier. L’article 8 n’emporte pas une obligation générale pour un État de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence (voir, parmi beaucoup d’autres, Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, 28 mai 1985, § 67, série A no 94 et Boujlifa c. France, 21 octobre 1997, § 42, Recueil 1997‑VI, Nunez c. Norvège, no 55597/09, § 66, 28 juin 2011).

135. Cela dit, dans une affaire qui concerne la vie familiale aussi bien que l’immigration, l’étendue des obligations pour l’État varie en fonction de la situation particulière des personnes concernées et de l’intérêt général (Gül c. Suisse, 19 février 1996, § 38, Recueil 1996‑I, Rodrigues da Silva et Hoogkamer, précité, § 39). Les facteurs à prendre en considération dans ce contexte sont la mesure dans laquelle il y a effectivement entrave à la vie familiale, l’étendue des liens que les personnes concernées ont avec l’État partie en cause, la question de savoir s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou plusieurs des personnes concernées et celle de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion (voir, parmi d’autres, Solomon c. Pays-Bas, déc., no 44328/98, 5 septembre 2000).

136. Un autre point important est celui de savoir si la vie familiale en cause s’est développée à une époque où les personnes concernées savaient que la situation au regard des règles d’immigration de l’une d’elles était telle qu’il était clair immédiatement que le maintien de cette vie familiale au sein de l’État hôte revêtirait d’emblée un caractère précaire. Lorsqu’une telle situation se présente, ce n’est que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles que le renvoi du membre de la famille n’ayant pas la nationalité de l’État hôte emporte violation de l’article 8 de la Convention (Rodrigues da Silva et Hoogkamer, précité, § 39, Darren Omoregie et autres c. Norvège, no 265/07, § 57, 31 juillet 2008, Nunez, précité, § 70, Antwi et autres c. Norvège, no 26940/10, § 89, 14 février 2012).

137. Lorsqu’il y a des enfants, la question fondamentale est celle de savoir si ceux-ci sont d’un âge où ils peuvent s’adapter à un environnement différent (voir, parmi d’autres, Darren Omoregie et autres, précité, § 66, Arvelo Aponte c. Pays-Bas, no 28770/05, § 60, 3 novembre 2011).

138. Il ressort au surplus de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles avec enfants, les autorités nationales doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité aux fins de la Convention, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant (voir, parmi d’autres, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, §§ 134-135, CEDH 2010), y compris en matière d’immigration (Nunez, précité, § 84, Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, § 67, 13 décembre 2011, Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, § 109, 19 janvier 2012).

b) Application des principes en l’espèce

139. La Cour note que la requérante a quitté le Nigéria pour gagner la Belgique à l’âge de dix-sept ans. Même si elle réside dans ce pays depuis près de sept ans déjà, elle est née et a été élevée au Nigéria et y a passé la majeure partie de sa vie.

140. La requérante a déposé une demande d’asile dès son arrivée en Belgique qui fut rejetée en dernière instance par le CCE par un arrêt du 12 octobre 2010 devenu définitif. La requérante a également cherché, trois mois après son arrivée en Belgique, à régulariser son séjour en Belgique en raison de son état de santé et de la naissance de son premier enfant. L’OE rejeta cette demande le 20 octobre 2010.

141. Cela dit, la requérante n’a, à aucun moment depuis le rejet de sa demande d’asile, séjourné régulièrement en Belgique. Si son séjour a pu être maintenu et le délai pour quitter le territoire en exécution de l’ordre d’expulsion prolongé, c’est uniquement en raison de l’indication d’une mesure provisoire par la Cour qui a suspendu son éloignement (voir paragraphe 53 ci-dessus) et dans l’attente que la Cour se prononce (voir paragraphe 48 ci-dessus). La requérante n’a donc pu se prévaloir d’une quelconque espérance légitime qu’un droit de séjour lui serait finalement accordé par les autorités belges. Dans un contexte marqué d’une telle précarité, la Cour estime que le choix fait par la requérante de donner naissance à trois enfants et de demeurer avec eux en Belgique ont mis les autorités nationales devant un fait accompli qui ne saurait, eu égard aux principes rappelés ci-dessus, peser, dans la balance des intérêts en présence, en faveur de la requérante.

142. La Cour constate certes que les enfants de la requérante sont nés en Belgique et y ont toujours vécu, que les deux aînés y sont scolarisés, et que leur éloignement vers le Nigéria ne leur serait pas nécessairement favorable. Toutefois, en raison de leur jeune âge – six ans, quatre ans et demi et un an respectivement –, la Cour est d’avis que leur capacité d’adaptation est encore suffisamment grande pour qu’une réinstallation dans le pays d’origine de leurs parents soit réaliste. La circonstance selon laquelle les possibilités de scolarisation et de formation seraient meilleures en Belgique qu’au Nigéria ne saurait entrer en compte ; la Cour réaffirme, sur ce point, que l’article 8 de la Convention n’emporte pas d’obligation générale à charge d’un État de respecter le choix par des immigrants de leur pays de résidence (voir paragraphe 134 ci-dessus).

143. Ne saurait davantage être prise en considération la présence du père des enfants en Belgique. Outre que celui-ci y séjourne vraisemblablement de façon illégale, la requérante n’invoque aucun élément qui s’opposerait à ce qu’il retourne au Nigéria et y accompagne la requérante et leurs enfants pour y maintenir ou développer une vie familiale.

144. Cette dernière possibilité permet d’ailleurs, selon la Cour, de relativiser le risque évoqué par la requérante qu’en cas de renvoi au Nigéria, ses enfants seraient témoins de la dégradation de santé de leur mère et se retrouveraient livrés à eux-mêmes dans un pays où ils ne disposeraient pas de réseau social ni familial.

145. En tout état de cause, et cela est déterminant à ses yeux pour évaluer l’ampleur des obligations pesant sur l’État défendeur dans cette affaire au titre de la vie familiale, la Cour constate que l’unité familiale de la requérante et de ses enfants ne sera pas affectée par la décision prise par les autorités belges de les éloigner. Les enfants resteront avec leur mère et leur vie familiale pourra être poursuivie au Nigéria. Le risque de décès prématuré de la requérante et les conséquences qui pourraient en résulter sur la vie familiale de ses enfants, une fois de retour au Nigéria, ne sauraient faire peser sur l’État belge une obligation de reconnaître à la requérante un droit de séjour en Belgique.

146. Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que les autorités belges, en refusant un droit de séjour à la requérante, n’ont pas fait indûment prévaloir l’intérêt public par rapport aux intérêts de la requérante et à l’intérêt supérieur de ses enfants.

147. Partant, la Cour estime qu’à supposer qu’elle puisse connaître du grief tiré de la violation de l’article 8 de la Convention (voir paragraphe 130 ci-dessus), les autorités belges n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation, de sorte que le refus d’un droit de séjour à la requérante n’a pas emporté violation de ladite disposition.

II. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 39 DU RÈGLEMENT DE LA COUR

148. La Cour rappelle que, conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, le présent arrêt deviendra définitif : a) lorsque les parties déclareront qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejettera la demande de renvoi formulée en application de l’article 43.

149. Elle considère que les mesures qu’elle a indiquées au Gouvernement en application de l’article 39 de son règlement (voir paragraphes 4 et 52 ci-dessus) doivent demeurer en vigueur jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard.

III. SUR L’ARTICLE 46 DE LA CONVENTION

150. L’article 46 de la Convention, en son passage pertinent en l’espèce, se lit ainsi :

« 1. Les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs de la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties.

2. L’arrêt définitif de la Cour est transmis au Comité des Ministres qui en surveille l’exécution.

(...). »

151. En vertu de l’article 46 de la Convention, les Hautes Parties contractantes s’engagent à se conformer aux arrêts définitifs rendus par la Cour dans les litiges auxquels elles sont parties, le Comité des Ministres étant chargé de surveiller l’exécution de ces arrêts. Il en découle notamment que, lorsque la Cour constate une violation, l’État défendeur a l’obligation juridique non seulement de verser aux intéressés les sommes éventuellement allouées au titre de la satisfaction équitable prévue par l’article 41, mais aussi de choisir les mesures générales et/ou, le cas échéant, individuelles à adopter. Les arrêts de la Cour ayant un caractère pour l’essentiel déclaratoire, l’État défendeur demeure libre, sous le contrôle du Comité des Ministres, de choisir les moyens de s’acquitter de son obligation juridique au regard de l’article 46 de la Convention, pour autant que ces moyens soient compatibles avec les conclusions contenues dans l’arrêt de la Cour (Scozzari et Giunta c. Italie [GC], nos [39221/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B.) et [41963/98](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B.), § 249, CEDH 2000‑VIII, Sejdovic c. Italie [GC], no [56581/00](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B.), § 119, CEDH 2006‑II, Kurić et autres c. Slovénie [GC], no [26828/06](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B.), § 406, CEDH 2012 (extraits)).

152. Dans des cas exceptionnels, pour aider l’État défendeur à remplir ses obligations au titre de l’article 46, la Cour peut chercher à indiquer le type de mesures à prendre pour mettre un terme à la situation constatée (voir, par exemple, Broniowski c. Pologne [GC], no [31443/96](http://hudoc.echr.coe.int/sites/eng/Pages/search.aspx#%7B.), § 194, CEDH 2004‑V, Kurić et autres, précité, § 415).

153. En l’espèce, la Cour estime que l’État belge doit aménager le droit interne pour assurer que tous les étrangers qui se trouvent sous le coup d’un ordre de quitter le territoire puissent introduire, dès que l’exécution de la mesure est possible ou au plus tard au moment où l’exécution forcée est mise en mouvement, une demande de suspension de l’exécution de cette mesure qui ait un effet suspensif automatique et qui ne dépende pas de l’introduction préalable d’un autre recours que le recours au fond. Elle précise également qu’un délai suffisant doit être ménagé pour introduire cette demande et que l’effet suspensif de la mesure d’éloignement doit demeurer jusqu’à ce que la juridiction compétente ait procédé à un examen complet et rigoureux du bien-fondé de la demande de suspension au regard de l’article 3 de la Convention. Cette indication ne concerne pas les cas où, avant la délivrance de l’ordre de quitter le territoire, l’étranger a pu faire examiner l’ensemble de ses griefs tirés de l’article 3 de la Convention par une juridiction au terme d’une procédure répondant aux exigences de l’article 13 de la Convention.

IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

154. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

155. La requérante réclame 5 000 euros (EUR) au titre du dommage moral qu’elle a subi et continue de subir du fait de l’anxiété que génère l’imminence d’un retour au Nigéria. Elle réclame également un montant provisionnel de 10 000 EUR au titre du dommage matériel, ce montant vise à rembourser les dettes qu’elle a contractées pour subvenir à ses besoins à la suite de la décision de refus de régularisation et de la suppression subséquente de l’aide matérielle et sociale dont elle bénéficiait jusque-là pour elle et ses enfants.

156. Le Gouvernement estime que ces demandes doivent être rejetées. Afin d’obtenir réparation du préjudice moral résultant d’une éventuelle violation de la Convention, il est possible d’intenter un recours en responsabilité de l’État pour faute extracontractuelle. Quant au préjudice matériel allégué, le Gouvernement explique que, même en situation irrégulière, la requérante avait droit à l’aide sociale. Or, celle-ci ne démontre ni avoir sollicité l’aide sociale auprès du CPAS compétent ni avoir essuyé de refus ni encore avoir introduit de recours devant les juridictions du travail.

157. Quant au préjudice moral, la Cour rappelle qu’elle a considéré que la requérante a été privée d’un recours effectif la protégeant contre un éloignement forcé avant que le CCE n’examine le bien-fondé des griefs défendables qu’elle tirait de l’article 3 de la Convention en cas de retour au Nigéria. La Cour ne doute pas que cette situation ait causé de l’angoisse dans le chef de la requérante. Toutefois, elle considère que le sursis mis à l’exécution de son éloignement du fait de l’indication de la mesure provisoire par la Cour a été de nature à lever cette angoisse. Dans ces circonstances, elle estime que le constat de violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention représente en soi une satisfaction suffisante au titre du préjudice moral allégué (voir, mutatis mutandis, I. M. précité, § 166, et Singh et autres, précité, § 111).

158. Quant au préjudice matériel, la Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué. Elle rejette donc la demande de satisfaction équitable de ce chef.

B. Frais et dépens

159. La requérante réclame 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés pour sa défense devant la Cour. Elle explique qu’elle bénéficie de l’assistance juridique gratuite et que le montant forfaitaire versé à sa représentante dans ce contexte avoisine les 950 EUR, ce qui est bien inférieur aux frais réels engendrés par la procédure devant la Cour. Aucun justificatif n’est fourni à l’appui de cette demande.

160. Le Gouvernement explique que la disposition du code judiciaire relative à l’aide juridique interdit à l’avocat désigné d’office de réclamer à son client des frais et honoraires. Le Gouvernement comprend donc la demande ci-dessus comme étant formulée pour le compte de la représentante de la requérante alors qu’elle n’est pas partie à la cause. Le Gouvernement invite donc la Cour à rejeter les prétentions ou, à tout le moins, à les réduire substantiellement.

161. La Cour rappelle qu’elle ne s’estime pas liée par les barèmes et pratiques internes, même si elle peut s’en inspirer (Venema c. Pays-Bas, no 35731/97, § 116, CEDH 2002‑X, et M.S.S., précité, § 420). Cela étant dit, suivant la jurisprudence bien établie de la Cour, les frais et dépens ne peuvent donner lieu à remboursement au titre de l’article 41 de la Convention que s’il est établi qu’ils ont été réellement exposés, qu’ils correspondaient à une nécessité et qu’ils sont raisonnables quant à leur taux. Par conséquent, en l’absence de justificatif établissant la réalité des frais engagés en sus de l’aide juridique dont a bénéficié la requérante, la Cour se voit dans l’obligation de rejeter la demande de remboursement des frais et dépens.

C. Intérêts moratoires

162. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Rejette, à l’unanimité, l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 3 de la Convention, après avoir examiné le fond de l’affaire, et dit qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’exception du Gouvernement tirée du non-épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article 8 de la Convention ;

2. Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention ;

3. Dit, à l’unanimité, qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les griefs de la requérante sous l’angle de l’article 13 combiné avec l’article 8 de la Convention ;

4. Dit, par six voix contre une, que la mise à exécution de la décision de renvoyer la requérante au Nigéria n’emporterait pas violation de l’article 3 de la Convention ;

5. Dit, à l’unanimité, qu’à supposer que la Cour puisse connaître du grief tiré de la violation de l’article 8 de la Convention, il n’y a pas eu violation de cette disposition ;

6. Décide, à l’unanimité, de continuer à indiquer au Gouvernement, en application de l’article 39 de son règlement, qu’il est souhaitable, dans l’intérêt du bon déroulement de la procédure, de ne pas expulser la requérante jusqu’à ce que le présent arrêt devienne définitif ou que la Cour rende une autre décision à cet égard ;

7. Dit, à l’unanimité, que le constat d’une violation de l’article 13 combiné avec l’article 3 de la Convention fournit en soi une satisfaction suffisante pour le dommage moral subi par la requérante à cause de la violation desdites dispositions ;

8. Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 février 2014, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident

Au présent arrêt se trouvent joints, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion concordante du juge Lemmens, à laquelle se rallie la juge Nußberger, et de l’opinion dissidente de la juge Power-Forde.

M.V.

C.W.

OPINION CONCORDANTE DU JUGE LEMMENS,
À LAQUELLE SE RALLIE LA JUGE NUSSBERGER

Je souscris à l’arrêt sur tous les points. Je voudrais toutefois ajouter quelques réflexions sur la question de la violation de l’article 3 de la Convention.

La majorité a basé son analyse essentiellement sur l’arrêt N. c. Royaume‑Uni ([GC], no 26565/05, CEDH 2008), dans lequel la Grande Chambre de la Cour a tenu le raisonnement suivant : « le fait qu’en cas d’expulsion de l’État contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n’est pas en soi suffisant pour emporter violation de l’article 3. La décision d’expulser un étranger atteint d’une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l’État contractant est susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3, mais seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses » (§ 42, italiques ajoutés ; voir les paragraphes 119 et 120 du présent arrêt).

Nous avons conclu, en nous appuyant expressément sur ces principes – que nous estimons devoir suivre en l’espèce (paragraphe 124) – que le seuil de gravité requis aux fins de l’application de l’article 3 n’est pas atteint dans la présente affaire.

Comme certains collègues anciens et actuels, je trouve très élevé le niveau auquel ce seuil est situé. Dans l’affaire Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique (no 10486/10, 20 décembre 2011), six des sept juges de la chambre qui a conclu à la non-violation de l’article 3 ont relevé que selon l’arrêt N. c. Royaume-Uni, il fallait pour que l’éloignement d’un étranger emporte violation de l’article 3 que « la personne soit à un stade ultime de la maladie, proche de la mort ». Tout en suivant l’approche de la Grande Chambre, ils ont exprimé le souhait qu’elle revoie sa jurisprudence sur ce point (voir l’opinion partiellement concordante commune aux juges Tulkens, Jočienė, Popović, Karakaş, Raimondi et Pinto de Albuquerque).

Sans aller aussi loin, je tiens à souligner que dans le présent arrêt la Cour constate que « le cas de la requérante est marqué de fortes considérations humanitaires militant en faveur d’une régularisation de son séjour » (paragraphe 126). Même si ces considérations ne sont pas « tellement impérieuses qu’elles interdisent aux autorités belges de renvoyer la requérante et ses enfants au Nigéria » (ibidem), elles sont bien présentes.

L’article 53 de la Convention laisse aux États parties la possibilité d’offrir aux personnes relevant de leur juridiction une protection plus étendue que celle requise par la Convention. J’observe qu’en vertu du droit belge un étranger peut être autorisé à séjourner dans le Royaume quand il y a des « circonstances exceptionnelles » (article 9bis de la loi sur les étrangers). L’existence de telles circonstances est laissée à l’appréciation des autorités compétentes. Je suis conscient du fait qu’on entend par « circonstances exceptionnelles » des circonstances qui s’opposent à ce que l’étranger retourne temporairement dans son pays d’origine pour y accomplir les formalités nécessaires aux fins de l’introduction d’une demande d’autorisation de séjour. Je suis également conscient du fait que « les éléments qui ont été invoqués dans le cadre d’une demande d’obtention d’autorisation de séjour sur la base de l’article 9ter » « ne peuvent pas être retenus comme circonstances exceptionnelles » (article 9bis, § 2, 4o, de la loi sur les étrangers). Je me demande néanmoins si l’article 9bis ne permet pas aux autorités belges, bien sûr dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, de donner aux considérations humanitaires relevées dans le présent arrêt le poids qu’elles méritent, au-delà des exigences de la Convention.


OPINION DISSIDENTE DE LA JUGE POWER-FORDE

(Traduction)

Si N. c. Royaume-Uni représente la jurisprudence de la Cour en matière d’expulsion de personnes séropositives, je ne puis, en mon âme et conscience, approuver son application en l’espèce. L’appliquer conduira presque certainement au décès imminent de la requérante et à la perte pour ses trois jeunes enfants de la présence, de l’amour, de l’attention et du soutien de leur mère. Privée des médicaments dont elle avait besoin, la requérante dans l’affaire N. est morte quelques mois après avoir été expulsée vers son pays d’origine[1]. Selon toute probabilité, le même sort attend la requérante en l’espèce. J’ai du mal à voir comment une telle issue pourrait être compatible, de quelque manière que ce soit, avec ses droits découlant des articles 2 ou 3 de la Convention[2].

Reconnaissant que l’espérance de vie de la requérante « aurai[t] à pâtir » de sa décision, la Cour dans l’affaire N. a trouvé du « réconfort » dans le fait que la rapidité avec laquelle son état se dégraderait « comporte nécessairement une part de spéculation », eu égard en particulier à l’évolution constante de la situation en matière de traitement de l’infection à VIH dans le monde entier[3].

Cependant, vu la dégradation rapide de l’état de N. et son décès, consécutivement à son expulsion, la « part de spéculation » qui est celle que la Cour doit apprécier ici a considérablement diminué. Par conséquent, la quasi-certitude d’un décès imminent est un élément vital que la Cour doit prendre en compte dans l’examen des griefs de la requérante.

Même dans l’arrêt N. la Cour a affirmé la nécessité de se ménager une certaine souplesse afin d’empêcher l’expulsion « dans des cas très exceptionnels ». De par sa gravité particulière, la présente affaire se distingue de l’affaire N. Premièrement, il n’y a pas ou guère matière à conjectures sur la question de l’accès aux médicaments vitaux. Dans l’arrêt N., la Cour a constaté que les médicaments antirétroviraux étaient disponibles en Ouganda, tout en reconnaissant que seule la moitié des personnes qui en avaient besoin en recevaient. La situation au Nigéria est pire. En 2010, seules 34 % des personnes infectées par le VIH à un stade avancé recevaient un traitement antirétroviral et, à l’heure actuelle, la situation se détériore[4]. Ce qui est encore plus déconcertant, toutefois, c’est que la requérante en l’espèce apparaît n’avoir aucun espoir d’obtenir la trithérapie dont elle a besoin[5] parce que l’association de médicaments nécessaires à sa survie ne fait pas partie des traitements antirétroviraux actuellement disponibles au Nigéria (§ 79). La majorité reconnaît qu’elle ne dispose d’aucune information attestant que ces trois médicaments sont disponibles au Nigéria (§ 122) mais elle est néanmoins disposée à sanctionner la décision des autorités belges ordonnant son expulsion tout en sachant qu’elle sera privée d’un traitement vital.

Deuxièmement, la vulnérabilité particulière de la requérante en l’espèce se caractérise par son jeune âge et par sa situation en tant que mère de trois enfants. Alors qu’elle était encore mineure, elle fut mise enceinte par un homme avec la famille duquel elle vivait depuis qu’elle avait 11 ans. À l’âge de 22 ans, elle était devenue mère de trois enfants dont elle s’occupe quotidiennement.

Troisièmement, indépendamment des horribles souffrances physiques qu’entraîne un décès dû au sida, cette requérante devra en plus subir de profondes souffrances émotionnelles lorsqu’elle regardera ses trois jeunes enfants assister à la détérioration de l’état et au décès de leur mère à cause d’un manque de médicaments, tout en sachant qu’elle sera incapable de les aider et qu’elle les laissera orphelins après son décès.

Que l’État, en l’espèce, soit conscient du risque réel et imminent pour la vie de la requérante mais ne prenne aucune mesure pour l’éviter soulève non seulement la question des obligations positives[6] mais aussi la question fondamentale de la responsabilité à raison d’un traitement prohibé. Si la majorité dans l’arrêt N. a fait sortir la cause du territoire de la Partie contractante, la logique de cette opinion n’est pas défendable. Le fait crucial qui provoquera le décès de cette requérante n’est pas le manquement par le Nigéria à inclure son association de médicaments parmi les thérapies antirétrovirales disponibles. Ce manquement ne peut avoir la moindre conséquence pour elle tant qu’elle n’est pas renvoyée au Nigéria. Le fait crucial qui déterminera si elle vivra ou mourra est l’exécution de la décision d’expulsion prise par l’État. C’est le déplacement intentionnel et précipité de la requérante du lieu où elle peut obtenir un traitement vital vers un lieu où elle ne le peut pas qui provoquera son décès. C’est l’exposition délibérée de cette personne à un risque réel et imminent, quasi-certain mais évitable, de souffrance et de décès qui engage la responsabilité de l’État sur le terrain de la Convention. « Défendre l’inverse reviendrait à dire que c’est à cause de la dureté du sol qu’a été blessée une personne poussée d’une falaise, et non à cause de la main qui l’a poussée »[7].

La non-pertinence de la géographie en matière de causalité est démontrée à l’évidence par l’obligation de non-refoulement découlant de la Convention. L’article 3 protège les personnes relevant de la juridiction de l’État contractant de tout traitement proscrit par lui, que celui-ci soit infligé directement sur le territoire de cet État ou ailleurs ultérieurement[8]. La responsabilité de l’État contractant est engagée « lorsqu’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l’intéressé, si on l’expulse vers le pays de destination, y courra un risque réel d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 »[9]. La Cour a bien précisé que cette responsabilité est engagée « du chef d’un acte qui a pour résultat direct d’exposer quelqu’un à un risque de mauvais traitements prohibés » (c’est moi qui souligne)[10].

Cette approche cohérente a été récemment confirmée dans l’arrêt Aswat c. Royaume-Uni[11]. Le requérant, soupçonné d’être un terroriste, était visé par une demande d’extradition formulée par les États-Unis. Lorsqu’il était détenu dans un hôpital britannique, son affection (schizophrénie) était bien contrôlée et il recevait les médicaments nécessaires à sa santé et à sa sécurité. La Cour a estimé que la conformité ou non de son extradition à l’article 3 dépendait dans une large mesure a) des conditions dans lesquelles il se retrouverait et ii) des services médicaux dont il disposerait (§ 52). Reconnaissant que le requérant aurait accès à des services de soins psychologiques quel que soit l’établissement où il serait détenu, la Cour a constaté l’absence de garantie qu’il ne serait pas incarcéré à ADX Florence – une prison de très haute sécurité où les longues périodes d’isolement sont la norme. Elle a jugé qu’il existait un risque réel que l’extradition du requérant dans un environnement carcéral potentiellement plus hostile conduise à une détérioration significative de son état de santé mental et physique. Elle a conclu qu’il en résulterait une violation de l’article 3.

À l’instar de l’affaire Aswat, la requérante en l’espèce se retrouvera certainement dans un « environnement plus hostile » qui affectera sa santé. Faute d’accès à un traitement vital, elle connaîtra une détérioration rapide et fatale de son état. Si l’article 3 interdit, fort justement, l’expulsion d’une personne soupçonnée de terrorisme vers un État tiers parce que les conditions là-bas affecteraient son état de santé, il n’est pas logique que la même Cour dise que cette disposition n’interdit pas l’expulsion d’une mère vulnérable vers un État tiers où les conditions lui seront fatales. C’est à la Grande Chambre de corriger une divergence aussi manifeste dans la jurisprudence de la Cour[12].

Dans les affaires de type N., l’obligation de protection contre un risque réel de traitement inhumain ou dégradant ne naît que si la maladie du requérant a atteint le stade terminal. Une application plus humaine du critère des « circonstances exceptionnelles » s’impose d’urgence de manière à sauver la vie de la requérante en l’espèce. Les arrêts de la Cour doivent protéger non seulement les mourants mais aussi les vivants contre les traitements prohibés par l’article 3 de la Convention.

* * *

[1] XVIIIème Conférence internationale sur le sida. Voir le résumé de C. Izambert: [http://pag.aids2010.org/Abstracts.aspx?SID=432&AID=5953](http://pag.aids2010.org/Abstracts.aspx?SID=432&AID=5953).

[2] Quant à l’article 8, mon vote se fonde uniquement sur le fait que, si les droits de la requérante tirés de l’article 3 avaient été respectés comme l’exige la Convention, il n’y aurait pas de violation de l’article 8. Je ne partage donc pas le raisonnement de la majorité sur le terrain de l’article 8 et, en particulier, je ne crois pas qu’il ait été tenu suffisamment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dont la vie familiale sera bel et bien irrémédiablement interrompue en conséquence directe du décès prévisible et évitable de la requérante.

[3] Ibid., § 50.

[4] Agence des frontières du Royaume-Uni, Nigeria: Country of Origin Information Report, 6 janvier 2012. Le rapport pour 2013, cité par la majorité, montre que seules 28,8 % des personnes ayant besoin d’un traitement en reçoivent un.

[5] Si les faits dans la présente affaire montrent quelque chose, c’est bien que, en matière de traitement de l’infection au VIH, les « lignes » d’antirétroviraux ont de l’importance. La requérante était gravement malade et avait souffert d’infections opportunistes lorsque son taux de T4 avait baissé jusqu’à 126 (voir § 28). Son état s’est considérablement amélioré une fois son association de médicaments modifiée. Son taux de T4 s’est stabilisé et sa charge virale est devenue indétectable. A l’heure actuelle, son affection est sous contrôle et elle n’a contracté aucune infection opportuniste (§ 124).

[6] L’État est tenu de prendre des mesures pour éviter tout risque de décès ou de mauvais traitements dont il connaît, ou aurait dû connaître, l’existence. S’il est établi que l’État connaissait ou aurait dû connaître l’existence d’un tel risque mais qu’il n’a rien fait pour en protéger l’intéressé, la Cour conclura à une violation de la Convention (voir par exemple les affaires Osman c. Royaume-Uni, 28 octobre 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998‑VIII, et Öneryıldız c. Turquie [GC], no 48939/99, CEDH 2004‑XII).

[7] Antony Julian, “Exceptional Circumstances: Too Exceptional?”, Kings College London

[http://www.kslr.org.uk/blogs/humanrights/2012/05/31/exceptional-circumstances-too-exceptional/](http://www.kslr.org.uk/blogs/humanrights/2012/05/31/exceptional-circumstances-too-exceptional/)

[8] Saadi c. Italie [GC], no 37201/06, § 125, CEDH 2008.

[9] H.L.R. c. France, 29 avril 1997, § 34, Recueil 1997‑III , et Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 74, Recueil 1996‑V.

[10] Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 91, série A no 161, et Saadi, précité, § 126.

[11] Aswat c. Royaume-Uni, no 17299/12, 16 avril 2013.

[12] Je suis d’accord avec les six juges dans l’affaire Yoh-Ekale Mwanje c. Belgique qui, dans leur opinion séparée, appellent la Grande Chambre à réexaminer la jurisprudence N. c. Royaume-Uni.


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