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12/07/2013 | CEDH | N°001-122875

CEDH | CEDH, AFFAIRE ALLEN c. ROYAUME-UNI, 2013, 001-122875


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ALLEN c. ROYAUME-UNI

(Requête no 25424/09)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2013




En l’affaire Allen c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Khanlar Hajiyev,
Davíd Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
George Nicolaou,
András Sajó,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva

,
Vincent A. De Gaetano,
Paul Lemmens,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré e...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE ALLEN c. ROYAUME-UNI

(Requête no 25424/09)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2013

En l’affaire Allen c. Royaume-Uni,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Dean Spielmann, président,
Josep Casadevall,
Guido Raimondi,
Ineta Ziemele,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Khanlar Hajiyev,
Davíd Thór Björgvinsson,
Ján Šikuta,
George Nicolaou,
András Sajó,
Ledi Bianku,
Zdravka Kalaydjieva,
Vincent A. De Gaetano,
Paul Lemmens,
Paul Mahoney,
Krzysztof Wojtyczek, juges,
et de Michael O’Boyle, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 14 novembre 2012 et le 22 mai 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25424/09) dirigée contre le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et dont une ressortissante de cet État, Mme Lorraine Allen (« la requérante »), a saisi la Cour le 29 avril 2009 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. La requérante, qui a été admise au bénéfice de l’assistance judiciaire, a été représentée par le cabinet de solicitors Stephensons, établi à Wigan. Le gouvernement britannique (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, Mme Y. Ahmed, du ministère des Affaires étrangères et du Commonwealth.

3. Invoquant l’article 6 § 2 de la Convention, la requérante alléguait que la décision, rendue à la suite de son acquittement, de ne pas lui octroyer une indemnité pour erreur judiciaire avait violé son droit à la présomption d’innocence.

4. Le 14 décembre 2010, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Elle a en outre résolu de se prononcer en même temps sur la recevabilité et le fond (article 29 § 1 de la Convention).

5. Le 26 juin 2012, une chambre de la quatrième section composée de Lech Garlicki, Davíd Thór Björgvinsson, Nicolas Bratza, George Nicolaou, Ledi Bianku, Zdravka Kalaydjieva et Vincent A. De Gaetano, juges, et de Lawrence Early, greffier de section, s’est dessaisie au profit de la Grande Chambre, aucune des parties ne s’y étant opposée (articles 30 de la Convention et 72 du règlement de la Cour (« le règlement »)).

6. La composition de la Grande Chambre a été arrêtée conformément aux articles 26 §§ 4 et 5 de la Convention et 24 du règlement.

7. Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé un mémoire sur la recevabilité et le fond de l’affaire.

8. Une audience s’est déroulée en public au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 14 novembre 2012 (article 59 § 3 du règlement).

Ont comparu :

– pour le Gouvernement
MmeY. Ahmed, agent,
MM. J. Strachan,conseil,
C. Goulbourn,
G. Baird,conseillers ;

– pour la requérante
M.H. Southey QC,conseil.

La Cour a entendu M. Strachan et M. Southey en leurs déclarations ainsi qu’en leurs réponses aux questions posées par elle.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

9. La requérante est née en 1969 et réside à Scarborough.

A. La condamnation pénale

10. Le 7 septembre 2000, la requérante fut déclarée coupable d’homicide involontaire sur la personne de son fils Patrick, qui était âgé de quatre mois, par un jury à la Crown Court de Nottingham. Elle fut condamnée à une peine de trois ans d’emprisonnement.

11. Des experts médicaux témoignèrent à son procès. Ils expliquèrent en quoi les lésions subies par l’enfant étaient compatibles avec un secouement ou un choc. La condamnation reposait sur l’admission de l’hypothèse du « syndrome du bébé secoué » (aussi appelé « traumatisme crânien non accidentel » (TCNA)), selon laquelle la constatation d’une triade de lésions intracrâniennes combinant encéphalopathie, hémorragie sous-durale et hémorragie rétinienne était indicatrice, ou du moins fortement évocatrice, d’un recours illégal à la force. Au moment de son décès, le fils de la requérante présentait ces trois lésions.

12. La requérante ne fit pas appel de ce jugement immédiatement après sa condamnation.

B. L’annulation de la condamnation

13. À la suite du réexamen par les autorités d’affaires dans lesquelles la justice s’était appuyée sur les éléments émanant d’experts médicaux, la requérante sollicita et obtint l’autorisation d’interjeter appel hors délai. Son recours se fondait sur la remise en question de l’hypothèse précédemment admise concernant le TCNA, de nouveaux éléments médicaux semblant indiquer que la triade de lésions pouvait être attribuée à une autre cause qu’un TCNA.

14. À une date non précisée, la requérante, qui avait purgé seize mois de sa peine, fut remise en liberté.

15. Dans le cadre de la procédure d’appel, la Cour d’appel (chambre criminelle) (« la CA-CC ») entendit un certain nombre d’experts médicaux. Le 21 juillet 2005, elle annula la condamnation de la requérante au motif qu’elle ne reposait pas sur des bases solides.

16. Au sujet de son rôle dans le réexamen des éléments de preuve en appel, la Cour d’appel s’exprima comme suit :

« 70. (...) [À] notre avis, la chambre criminelle de la Cour d’appel ne constitue pas d’ordinaire le cadre approprié pour la résolution de questions générales de ce type, où il y a une véritable divergence entre deux avis médicaux dignes de crédit. L’objectif de cette Cour (qui a aussi été le nôtre) est de déterminer si la condamnation repose sur des bases solides, en gardant à l’esprit le critère, que nous exposerons ci-après, applicable aux appels fondés sur des éléments nouveaux. Cela ne veut pas dire que de telles divergences ne peuvent être réglées lors du procès. Lorsque de telles questions se posent au moment du procès, c’est au jury (en matière pénale) ou au juge (en matière civile) qu’il appartient de les résoudre en tant que questions de fait, sur la base de l’ensemble des éléments du dossier (...) »

17. Concernant les circonstances de la cause de la requérante, la CA-CC souligna derechef qu’il lui incombait de déterminer si la condamnation reposait sur des bases solides (whether the conviction was safe). Elle observa également que, l’affaire revêtant une certaine difficulté, il importait de garder à l’esprit le critère exposé par Lord Bingham of Cornhill dans l’affaire R. v. Pendleton [2001] UKHL 66 (paragraphe 47 ci‑dessous), qui consistait à se demander si les éléments, à supposer qu’ils eussent été présentés lors du procès, auraient raisonnablement pu influer sur la décision du jury de prononcer une condamnation. Elle poursuivit ainsi :

« 143. (...) [L]es éléments soumis au procès et ceux présentés par la Couronne dans le cadre du présent appel pèsent lourdement sur [la requérante]. Nous jugeons convaincante la thèse [de l’avocat de la Couronne] consistant à dire que la triade de lésions est établie et que toute tentative visant à remettre ce point en question repose sur des spéculations. Cependant, aussi valables que puissent être les éléments défavorables à [la requérante], nous nous préoccupons de la solidité de la condamnation. »

18. La CA-CC se pencha sur les éléments médicaux fournis par les experts désignés par la requérante et par la Couronne. Ayant relevé les divergences entre les points de vue, elle déclara :

« 144. Premièrement, pour écarter l’appel, il nous faudrait admettre le point de vue de [l’avocat de la Couronne] nous invitant à rejeter dans son intégralité le témoignage du docteur Squier [expert désigné par la requérante] (...)

145. (...) Nous sommes loin de dire que nous privilégions le témoignage du docteur Squier par rapport à celui du docteur Rorke-Adams [expert désigné par la Couronne]. De fait, eu égard au poids des éléments qui viennent contredire l’avis du docteur Squier, nous sommes réservés quant à la justesse de celui-ci. Mais il faut dire également, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’affaire, que les divergences observées sont de celles que le jury aurait eu à apprécier à la lumière de l’ensemble des éléments versés au dossier.

146. Deuxièmement, bien que le constat d’une hémorragie rétinienne soit un point qui corrobore solidement la thèse du secouement, il n’indique pas en soi que l’enfant ait été secoué. Si l’hémorragie sous-durale est remise en question, les constatations relatives à l’hémorragie rétinienne ne suffisent pas à combler le vide, même si nous admettons que les deux lésions peuvent être considérées ensemble. Subsiste également la question de savoir si le docteur Adams [pour la requérante] a raison d’estimer que les pupilles fixes et dilatées observées par l’équipe d’ambulanciers étaient le signe que l’enfant souffrait alors d’un œdème cérébral.

147. Troisièmement, même si, comme nous l’avons dit, l’intensité de la force requise pour causer la triade de lésions en question implique la plupart du temps davantage qu’une simple manipulation brutale, il apparaît que dans de rares cas les lésions ne correspondent pas à l’intensité de la force employée. Il est tout au moins possible, dans ces cas rares (voire très rares), qu’un usage très restreint de la force cause des lésions catastrophiques. »

19. Soulignant l’importance des éléments cliniques versés au dossier, la CA-CC poursuivit ainsi :

« 150. (...) En bref, [la requérante] a été décrite comme étant une mère attentive et soucieuse du bien-être de son enfant. Tard dans la soirée, elle a appelé le docteur Barber parce qu’elle s’inquiétait pour Patrick. Selon le docteur Barber, elle était à ce moment-là calme et contrôlait ses émotions. Lors du procès, le ministère public a défendu la thèse selon laquelle, dans le laps de temps compris entre le moment où le docteur Barber avait quitté la maison et 2 h 30 du matin – heure à laquelle [la requérante] avait appelé les secours –, [la requérante] avait dû secouer Patrick de façon violente et illicite. À nos yeux, cette version, combinée avec l’absence d’ecchymoses sur la tête, le visage ou le corps de l’enfant, et de fractures ou de tout autre signe hormis les trois lésions en question, ne cadre guère avec la thèse de la Couronne relative à une violence illégale, thèse reposant sur la triade de lésions, qui elle-même est une hypothèse. »

20. La CA-CC conclut ainsi :

« 152. Comme nous l’avons dit, les éléments et arguments sur lesquels s’appuie la Couronne sont convaincants. Nous sommes conscients que les témoins cités pour [la requérante] ne sont pas parvenus de manière satisfaisante à identifier une autre cause spécifique à laquelle attribuer les lésions de Patrick. Cependant, dans cette procédure en appel, la triade de lésions est le seul point en cause, et à notre avis les données cliniques écartent l’hypothèse d’un TCNA. Aujourd’hui, la présence même sur l’enfant d’une triade de lésions est peut-être incertaine, pour les raisons déjà exposées. Quoi qu’il en soit, d’après notre appréciation des éléments disponibles dans le cadre de cet appel, la simple présence de la triade de lésions ne saurait en elle-même automatiquement ou forcément indiquer qu’il y a eu un TCNA.

153. La principale question qui s’est posée lors du procès était de savoir si [la requérante] avait causé la mort de son fils Patrick par un recours illégal à la force. Nous nous demandons si les nouveaux témoignages entendus par nous, concernant la cause du décès et l’intensité de la force nécessaire pour causer la triade de lésions, auraient raisonnablement pu influer sur la décision du jury de prononcer une condamnation. Pour toutes les raisons évoquées, nous avons conclu que tel aurait pu être le cas. Il s’ensuit que la condamnation ne repose pas sur des bases solides et qu’il y a lieu d’accueillir l’appel. La condamnation sera annulée. »

21. La CA-CC n’ordonna pas le réexamen de l’affaire.

C. La demande d’indemnisation

1. La décision du ministre

22. À la suite de l’annulation de sa condamnation, la requérante saisit le ministre d’une demande d’indemnisation pour erreur judiciaire sur le fondement de l’article 133 de la loi de 1988 sur la justice pénale (« la loi de 1988 » – paragraphes 49-53 ci-dessous).

23. Par une lettre datée du 31 mai 2006, les solicitors de l’intéressée furent informés que le ministre considérait qu’il n’y avait pas de droit à indemnisation dans cette affaire. La lettre se lisait ainsi :

« Le ministre de l’Intérieur estime que votre cliente ne remplit pas les conditions prévues à l’article 133 § 1 de la loi, les éléments médicaux examinés par la Cour d’appel ne révélant pas un fait nouveau (...) Il considère que ces nouveaux éléments médicaux, relatifs à l’intensité de la force nécessaire pour provoquer une triade de lésions, ne constituent pas un fait nouveau ou nouvellement révélé ; il s’agit plutôt d’éléments montrant une évolution dans les avis médicaux quant à l’intensité de la force nécessaire pour causer une triade de lésions, et il convient de les qualifier non pas de faits nouveaux mais d’éléments nouveaux concernant des faits qui étaient connus depuis le début. »

2. L’arrêt de la High Court

24. Par la suite, la requérante, estimant remplir les critères d’obtention d’une indemnité posés par l’article 133 de la loi de 1988, engagea une procédure de contrôle juridictionnel pour contester le refus de l’indemniser.

25. Elle fut déboutée par la High Court le 10 décembre 2007. Le juge commença par examiner l’approche qui avait conduit la CA-CC à annuler la condamnation de la requérante. Il en tira les conclusions suivantes :

« 21. (...) 1) La Cour d’appel a appliqué le critère de Pendleton et n’a pas elle‑même tranché les questions médicales complexes soulevées par les éléments examinés par elle ; 2) elle s’est bornée à dire que ceux-ci auraient pu, s’ils avaient été admis par le jury, conduire à un acquittement de l’intéressée ; 3) malgré cette conclusion, la Cour d’appel a jugé que la thèse de la Couronne était solide. À mon sens, cette conclusion n’est pas compatible avec l’affirmation selon laquelle à l’issue d’un nouveau procès, sur la base de ces éléments, le juge du fond aurait été contraint d’inviter le jury à acquitter l’intéressée ; 4) les éléments que la Cour d’appel a examinés et qui l’ont amenée à conclure ainsi qu’elle l’a fait étaient constitués d’un mélange complexe de faits et d’opinions. »

26. Le juge observa que la CA-CC n’avait pas ordonné le réexamen de l’affaire mais estima que cela importait peu, dès lors que la requérante avait dans l’intervalle purgé sa peine et qu’un réexamen de l’affaire aurait été inutile et n’aurait pas répondu à l’intérêt public.

27. Examinant ensuite la demande d’indemnisation formée par la requérante, le juge releva que les deux parties admettaient que l’intéressée avait subi une peine en conséquence d’une condamnation ultérieurement annulée mais que les autres aspects de sa demande fondée sur l’article 133 étaient en litige. Il poursuivit ainsi :

« 29. La Chambre des lords s’est penchée sur l’interprétation de l’article 133 dans l’affaire R. (on the application of Mullen) v. Secretary of State for the Home Department [[2004] UKHL 18, paragraphes 54–62 ci-dessous]. Cette affaire révéla une divergence de vues notoire entre Lord Bingham et Lord Steyn. Les faits à son origine étaient toutefois fort éloignés de ceux de l’espèce, et la ratio decidendi retenue par la Chambre des lords à l’époque ne nous aide guère à statuer sur le présent recours. Il en est ainsi tout simplement parce que le motif pour lequel la condamnation de M. Mullen avait été annulée ne concernait pas l’enquête, la conduite du procès ou les éléments de preuve soumis lors de celui-ci, de sorte que l’intéressé n’avait pas eu droit à une indemnité en vertu de l’article 133. Ce qui est frappant dans cette affaire, c’est qu’à aucun moment M. Mullen n’avait affirmé être innocent de l’infraction pour laquelle il avait été condamné. »

28. Le juge admit que le motif pour lequel l’indemnisation avait été refusée par le ministre dénotait une vision excessivement restrictive de ce qu’était un fait nouveau ou nouvellement révélé. Il observa qu’il était extrêmement difficile d’établir une distinction entre un fait et une opinion médicale et qu’il serait gravement injuste envers un demandeur de rejeter une action en indemnisation pour la simple raison qu’elle reposerait sur une évolution survenue dans les avis médicaux et les constatations cliniques. Il ajouta cependant que cette conclusion n’était pas déterminante pour la demande d’indemnisation de la requérante, estimant qu’il était inutile de la renvoyer au ministre pour réexamen s’il était inévitable que celui-ci statuât de manière identique, fût-ce pour un motif différent.

29. Le juge constata que l’avocat de la requérante plaidait que sa cliente n’avait pas à prouver qu’elle était innocente de l’acte pour lequel elle avait été condamnée et que par ailleurs il admettait qu’il n’était pas possible de soutenir devant la High Court qu’il suffisait, pour que la demande d’indemnisation fût accueillie, que la requérante établît l’existence, relativement à sa culpabilité, d’un doute qui aurait pu ou dû conduire un jury à l’acquitter. Le juge estima cette concession inévitable et juste en principe à la lumière des observations formulées par le Lord Chief Justice dans R. (on the application of Clibery) v. Secretary of State for the Home Department [2007] EWHC 1855 (Admin), qu’il cita :

« 41. (...) [Dans R. (Mullen)] (...), Lord Bingham a envisagé deux situations distinctes, chacune correspondant à ses yeux à la description de l’« erreur judiciaire » au sens de l’article 133 de la loi de 1988. La première est celle où des faits nouveaux démontrent que le demandeur n’est pas coupable de l’infraction pour laquelle il a été condamné. En pareil cas, on peut affirmer que si les faits en question avaient été connus du jury, l’intéressé n’aurait pas été condamné. La deuxième situation est celle où le procès est le théâtre d’actes ou d’omissions qui n’auraient pas dû se produire et qui ont porté atteinte au droit de l’intéressé à un procès équitable à un point tel que l’on peut dire qu’il a été « condamné à tort ». En pareilles circonstances, il y a lieu de déclarer que le demandeur n’aurait pas dû être condamné. »

30. Le juge poursuivit ainsi :

« 42. M. Southey [avocat de la requérante] ne m’a pas parlé de la doctrine de Strasbourg sur la présomption d’innocence. Je ne statuerai pas sur cet aspect. M. Southey indiquera ultérieurement sa position en la matière. Sous réserve de ce point, il me semble que c’est s’éloigner des textes législatifs que de dire d’une affaire dans laquelle un jury aurait pu parvenir à une conclusion différente qu’elle montre « au-delà de tout doute raisonnable qu’il s’est produit une erreur judiciaire ». Les observations de Lord Bingham à propos de l’erreur de procédure me semblent dénuées de rapport avec les affaires où il s’est produit une erreur en matière de preuve. Dans ces affaires-là, il faut que le fait nouveau ou nouvellement révélé montre au-delà de tout doute raisonnable qu’il s’est produit une erreur judiciaire. Or cette démonstration n’est pas faite lorsqu’il est uniquement établi que, si de nouveaux éléments avaient été soumis, un jury ayant reçu des instructions adéquates serait peut‑être parvenu à une conclusion différente. »

31. Le juge observa également :

« 44. Imaginons une affaire dans laquelle l’accusé ne fournit pas d’explications lors de son interrogatoire ni lors de son procès. Les seules preuves à charge sont celles fournies par un seul et unique témoin, et l’accusé est condamné sur le fondement de ces éléments, étayés par son propre silence. S’il est prouvé par la suite que ce témoignage unique était totalement faux, que ce soit en raison d’un mobile répréhensible ou simplement d’une erreur du témoin, on peut à tout le moins soutenir qu’il se serait produit dans le cas de l’intéressé une erreur judiciaire alors que nul n’aurait jamais décidé, voire jamais su, si l’accusé était en fait coupable ou non. Ce postulat n’apporte toutefois rien à la demanderesse en l’espèce. En effet – ainsi que le démontre l’exposé des témoignages des médecins entendus par la Cour d’appel et par le jury, (...) il existait en l’occurrence des éléments à charge convaincants. Après la présentation de la thèse du ministère public et d’ailleurs de l’ensemble des éléments, ainsi que la Cour d’appel l’a expressément déclaré, c’était au jury qu’il serait revenu de trancher la question (...) »

32. Il conclut ainsi :

« 45. Comme le démontrent les passages de l’arrêt de la Cour d’appel [dans l’affaire Clibery] que j’ai cités, la juridiction d’appel s’est bornée à dire que les éléments nouveaux ont fait surgir la possibilité que, si on les combinait avec les éléments soumis lors du procès, un jury serait peut-être fondé à prononcer un acquittement. Nous sommes là bien loin de la démonstration au-delà de tout doute raisonnable qu’il se serait produit une erreur judiciaire dans cette affaire. Dès lors, et pour cette simple raison, je rejette cette demande. »

3. L’arrêt de la Cour d’appel

33. La requérante interjeta appel mais fut déboutée par la Cour d’appel (chambre civile) le 15 juillet 2008. En rendant l’arrêt de cette juridiction, le Lord Justice Hughes commença par résumer l’approche suivie par la CA‑CC pour annuler la condamnation de la requérante. Il renvoya aux conclusions formulées dans l’arrêt de la CA-CC, à savoir qu’il continuait de peser sur la requérante des éléments sérieux mais que la Cour d’appel n’était pas certaine de la solidité des bases sur lesquelles la condamnation reposait. Il ajouta :

« 17. (...) La décision sur la solidité d’une condamnation dans une affaire où il y a des éléments nouveaux appartient à la Cour d’appel elle-même ; il ne s’agit pas de déterminer quel serait l’effet de ces éléments nouveaux sur les jurés, mais dans une affaire difficile la Cour peut juger utile de vérifier la validité de son avis provisoire en se demandant si les éléments désormais disponibles auraient raisonnablement pu influer sur la décision du jury de prononcer une condamnation. Il est clair en l’espèce que la CA-CC a suivi cette dernière approche et s’est largement appuyée, pour statuer, sur l’impact qu’auraient pu avoir les témoignages des médecins entendus par elle s’ils avaient été connus du jury (...) [N]ul doute que la Cour a considéré qu’il ne lui appartenait pas de résoudre la question de savoir si les constatations cliniques avaient été correctement interprétées ou non mais qu’il s’agissait d’une question qui pouvait et devait être résolue par un jury après examen des expertises concurrentes. Suivant cette approche, elle a décidé que les éléments désormais disponibles auraient peut-être conduit, s’ils avaient été examinés par le jury, à une conclusion différente. »

34. Concernant le fait que la CA-CC n’avait pas ordonné le réexamen de l’affaire, le juge s’exprima comme suit :

« 18. (...) [L]orsqu’elle a interjeté appel, l’intéressée avait déjà purgé sa peine et un long laps de temps s’était écoulé. Il est compréhensible, dans ces circonstances, que la Couronne n’ait pas demandé le réexamen de l’affaire, ce qu’elle aurait sans doute fait si la condamnation avait été annulée pour les mêmes raisons peu après le procès. »

35. Le juge se pencha sur le sens de l’expression « erreur judiciaire » et résuma comme suit la divergence entre les approches défendues respectivement par Lord Bingham et Lord Steyn dans R. (Mullen) :

« 21. (...) Lord Steyn a dit (...) que, dans ce contexte, l’expression « erreur judiciaire » signifiait que l’innocence de l’intéressé était reconnue. Lord Bingham (...) ne s’est pas forgé d’opinion sur la question mais a bien précisé qu’il « hésitait à accepter » cette interprétation. Il était disposé pour sa part à admettre que l’« erreur judiciaire » couvrait dans ce cadre les défaillances graves du procès, que l’innocence fût démontrée ou non. »

36. Il expliqua toutefois qu’eu égard à l’avis unanime de la Chambre des lords selon lequel l’action de M. Mullen était vaine, les interprétations divergentes de Lord Steyn et Lord Bingham n’étaient pas strictement nécessaires à la décision.

37. Le juge releva que l’avocat de la requérante admettait que l’innocence de l’intéressée n’avait pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, ou de manière concluante, par la décision de la CA-CC d’annuler la condamnation. Il estima donc que si l’interprétation donnée de l’article 133 par Lord Steyn était correcte, alors l’action de la requérante était vaine. L’intéressée plaidait toutefois qu’il convenait d’adopter l’approche de Lord Bingham et que suivant l’interprétation de celui-ci elle devait obtenir gain de cause au motif qu’il y avait eu une défaillance grave dans son procès. Analysant les commentaires de Lord Bingham dans R. (Mullen), le juge observa :

« 26. (...) [I]l est clair que l’élément crucial de l’interprétation large de l’« erreur judiciaire » que [Lord Bingham] était disposé à envisager est « la constatation d’une défaillance grave dans (...) le déroulement du procès » (...) »

38. Il poursuivit ainsi :

« 27. Dans la présente affaire, il n’y a eu aucune défaillance, grave ou non, dans le déroulement du procès. En parlant de « témoignage d’expert discutable », il est clair que Lord Bingham ne pouvait pas songer aux éléments fondés sur une expertise sérieuse fournis en toute conscience lors du procès. On peut dire tout au plus, au sujet du témoignage d’expert soumis lors du procès, qu’il aurait peut-être besoin d’être révisé à la lumière de nouvelles recherches ou considérations médicales. Quoi qu’il en soit, il n’a pas été démontré que les éléments médicaux fournis au moment du procès fussent discutables, même dans ce sens restreint. Comme le montrent les passages de l’arrêt de la CA-CC que j’ai cités, cette juridiction s’est bornée à affirmer dans sa décision que les divergences entre les opinions médicales devaient être tranchées par un jury. Il ne s’agissait pas non plus en l’espèce d’une affaire dans laquelle on aurait présenté au jury un consensus médical selon lequel la triade de lésions était indicatrice d’un homicide illégal. Les experts médicaux cités pour l’appelante ont admis que la triade de lésions était compatible avec un homicide illégal mais ne conduisait pas nécessairement à cette conclusion. Si l’appel a été accueilli, c’est parce qu’au fil des ans on a accordé davantage de crédit potentiel à l’opinion avancée en faveur de l’appelante et aujourd’hui soutenue par le témoignage du docteur Squier, opinion que le jury n’avait pas examinée et que la CA-CC, malgré des doutes certains à ce sujet, ne pouvait rejeter totalement.

28. Pour les mêmes raisons, il ne fait aucun doute à mes yeux que la décision de la CA-CC ne signifie en rien qu’il ne subsistait plus de charges contre l’appelante une fois les éléments nouveaux mis à jour (...) »

39. Le juge poursuivit en examinant les situations dans lesquelles un désaccord entre d’éminents experts était propre à faire conclure qu’il serait malavisé ou risqué de tenir un procès. Il observa qu’aucun précédent n’indiquait que, face à un conflit d’experts sur les conclusions à tirer de l’existence de lésions, il fallait renoncer à soumettre l’affaire à un jury. Il estima au contraire que le règlement de tels différends, compte tenu du critère de la preuve en matière pénale, constituait un aspect important des fonctions du jury. Le juge conclut donc ainsi :

« 29. En l’espèce, rien ne permettait de dire, eu égard aux éléments nouveaux, qu’il n’y avait pas lieu de soumettre l’affaire à un jury. De plus, si la Cour avait voulu dire qu’il n’y avait pas (ou plus) de charges, elle l’aurait dit clairement. Au contraire, le fait qu’elle ait maintes fois répété que l’appréciation des expertises médicales concurrentes relèverait d’un jury est totalement incompatible avec la conclusion qu’il n’y aurait plus de charges en l’état actuel des preuves médicales. De même, poser la question de Pendleton en guise de contrôle est incompatible avec la conclusion que l’affaire n’aurait jamais dû être soumise à un jury si les éléments nouveaux avaient été connus.

30. Dans ces conditions, je conclus clairement que, même suivant l’interprétation de l’article 133 privilégiée par Lord Bingham, cette action ne saurait aboutir (...) »

40. Même si, vu les circonstances, il n’y avait pas lieu de se prononcer sur la divergence entre les interprétations de l’article 133 exposées par Lord Bingham et Lord Steyn, le juge exprima néanmoins sa préférence pour l’approche défendue par Lord Steyn. Il s’exprima notamment comme suit :

« 40. iii. Je conviens certes que la CA-CC ne se penche pas d’ordinaire sur la question de la culpabilité ou de l’innocence, mais qu’elle vérifie uniquement si une condamnation repose sur des bases solides ; cependant, cette juridiction sait reconnaître les affaires dans lesquelles l’innocence de la personne condamnée est réellement prouvée au-delà de tout doute raisonnable par un fait nouveau ou nouvellement révélé, et la décision rendue l’indique clairement dans pratiquement tous les cas (...) Il me semble que l’application de [l’article133] pose des difficultés bien réelles si l’on adopte la définition plus large [de l’erreur judiciaire], car il faut alors se demander, chaque fois qu’une condamnation est annulée en raison d’éléments nouveaux, s’il est satisfait au critère, posé à l’article 133, de l’erreur judiciaire établie au-delà de tout doute raisonnable ou bien s’il s’agit simplement d’un cas où il existe un doute tel que la condamnation ne repose pas sur des bases solides. Si en revanche l’erreur judiciaire exige d’établir l’innocence au-delà de tout doute raisonnable, il n’y a généralement aucune difficulté à distinguer clairement ces cas dans les arrêts de la CA-CC. »

41. Concernant les arguments de la requérante fondés sur la présomption d’innocence, le juge évoqua les arrêts rendus par la Cour européenne dans les affaires Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, série A no 266‑A, Rushiti c. Autriche, no 28389/95, 21 mars 2000, Weixelbraun c. Autriche, no 33730/96, 20 décembre 2001, O. c. Norvège, no 29327/95, CEDH 2003‑II, et Hammern c. Norvège, no 30287/96, 11 février 2003. Il déclara que ces arrêts ne permettaient pas de conclure que la requérante eût un droit à indemnisation en vertu de l’article 133, et ce pour les raisons suivantes :

« 35. i. Dans aucune de ces affaires on n’a examiné les dispositions régissant la question, ici en cause, de l’indemnisation pour erreur judiciaire prouvée qui figurent dans le PIDCP [Pacte international relatif aux droits civils et politiques, 1966 – paragraphe 65 ci-dessous].

ii. L’article 14 du PIDCP juxtapose en son sein la disposition relative à l’indemnisation (l’article 14 § 6, ici examiné) et une disposition (l’article 14 § 2) dont les termes sont identiques à ceux de l’article 6 § 2 de la CEDH. Très clairement, l’article 14 § 6 exige davantage que l’annulation d’une condamnation pour qu’il y ait un droit à indemnisation : il faut qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire. Il me semble que ces dispositions ne pourraient pas coexister en ces termes s’il découlait de l’article 14 § 2 qu’il suffit que la condamnation soit annulée en raison d’un fait nouveau pour qu’il y ait indemnisation (...)

iii. Le PIDCP est un traité indépendant de la Convention européenne, mais son article 14 § 6 trouve son pendant dans l’article 3 du Protocole no 7 à la CEDH. Pour les mêmes raisons, il est clair que l’article 3 ne pourrait être libellé comme il l’est si l’article 6 § 2 de la CEDH signifiait qu’une indemnisation doit automatiquement être accordée après l’annulation d’une condamnation en raison d’éléments nouveaux.

iv. Comme Lord Steyn l’a souligné dans Mullen (...), la Cour de Strasbourg a pris soin, dans l’affaire Sekanina (...) (paragraphe 25 de l’arrêt), d’attirer l’attention sur la différence entre le système national autrichien alors mis en cause et le système international fondé sur l’article 3 du Protocole no 7 (...)

v. Il ressort clairement des affaires autrichiennes et norvégiennes que la ligne de partage entre l’application et la non-application de l’article 6 § 2 est souvent bien subtile. Dans l’affaire Sekanina, la Commission (...) avait expressément déclaré que l’article 6 § 2 n’empêchait pas, « bien entendu », de s’appuyer sur les mêmes faits, après un acquittement au fond, pour engager une action civile contre le défendeur. Cela doit du reste se produire fréquemment, notamment en matière de garde d’enfants. Dans Orr c. Norvège [no 31283/04, 15 mai 2008] (...), qui concernait une affaire de viol, la Cour a dit en revanche que l’article 6 § 2 empêchait la plaignante d’obtenir réparation après l’acquittement de l’accusé, bien que le critère de la preuve appliqué à l’action civile fût différent ; la décision reposait sur la manière dont le tribunal s’était exprimé en traitant cette dernière question.

vi. Le fondement des décisions dans les affaires autrichiennes et norvégiennes tenait à l’étroitesse du lien entre la décision d’acquittement prise au fond et la décision concernant l’indemnisation. Dans les affaires autrichiennes, la décision relative à l’indemnisation relevait de la compétence de la juridiction pénale, même si elle fut le plus souvent rendue quelque temps après l’acquittement par une juridiction pénale différemment composée, comme cela peut être le cas en Angleterre pour une ordonnance de confiscation. De plus, les tribunaux procédèrent en partie en analysant la décision du jury. Dans les affaires norvégiennes, l’acquittement fut prononcé par une juridiction composée de juges et de jurés, et ce furent les mêmes juges qui, plus ou moins immédiatement après, se penchèrent sur la question de l’indemnisation (...)

vii. En revanche, une indemnisation fondée sur des éléments nouveaux, au titre de l’article 14 § 6 du PIDCP et de l’article 133 de la loi sur la justice pénale, n’est pas liée à un acquittement prononcé sur le fond. Une indemnité doit être versée lorsqu’il y a eu annulation de la condamnation et qu’existe le facteur supplémentaire de l’erreur judiciaire établie au-delà de tout doute raisonnable, ou de manière concluante.

viii. On peut sans aucun doute affirmer (...) que le système d’indemnisation pour erreur judiciaire fondé sur l’article 14 § 6 s’apparente au système norvégien de l’indemnisation après acquittement, décrit par la Cour européenne comme une procédure visant « à établir s’il pèse sur l’État une obligation de réparer financièrement le préjudice causé par lui, du fait des poursuites, à la personne (...) » (voir O. c. Norvège (...)). Mais cela revient à poser la question de savoir à quel moment le système en question crée une telle obligation. Si l’article 6 § 2 devait s’appliquer aux actions engagées dans le cadre du système ici examiné, il n’y aurait aucune raison, au regard de la logique ou de l’équité, de faire la distinction entre les personnes dont la condamnation est annulée en raison d’éléments nouveaux et celles dont la condamnation est annulée pour d’autres motifs ; toutes ces personnes seraient fondées à invoquer la présomption d’innocence. En effet, il n’y aurait aucune raison évidente d’établir une distinction entre les individus qui ont été déclarés coupables mais dont la condamnation a été annulée, et ceux qui ont été acquittés à l’issue du procès. Il est clair cependant que l’article 14 § 6 du PIDCP ne prévoit pas d’indemnisation en dehors des circonstances limitées visées par cette disposition.

ix. Dans Mullen, Lord Steyn a déclaré (...) que l’article 6 § 2 de la CEDH ne s’appliquait pas aux règles particulières créées par l’article 14 § 6 du PIDCP. Lord Bingham a estimé que (...) les affaires autrichiennes et norvégiennes (...) n’étaient pas d’un grand secours pour M. Mullen, dont l’« acquittement » était sans rapport avec le fond de l’accusation portée contre lui. »

42. Le 11 décembre 2008, la requérante se vit refuser l’autorisation de saisir la Chambre des lords.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

A. L’annulation d’une condamnation

1. La loi de 1968 sur les appels en matière pénale

43. L’article 2 § 1 de la loi de 1968 sur les appels en matière pénale (telle que modifiée) dispose que la Cour d’appel

« a) accueille un appel contre une condamnation si elle estime que celle-ci ne repose pas sur des bases solides ; et

b) rejette l’appel dans tout autre cas. »

44. En vertu de l’article 2 § 2, la Cour d’appel doit annuler la condamnation si elle a accueilli l’appel.

45. L’article 2 § 3 énonce :

« Sauf si elle ordonne en application de l’article 7 ci-dessous que l’auteur de l’appel soit rejugé, la décision de la Cour d’appel annulant une condamnation vaut injonction, pour le tribunal de jugement, de substituer à la condamnation une sentence d’acquittement. »

46. D’après l’article 7 § 1 de la loi de 1968, lorsque la Cour d’appel accueille un appel interjeté contre une condamnation et qu’il lui paraît que l’intérêt de la justice l’exige, elle peut ordonner que l’auteur de l’appel soit rejugé. Un nouveau procès peut toutefois être inopportun lorsque, par exemple, l’intéressé a déjà purgé sa peine et qu’une nouvelle procédure n’apporterait rien.

2. L’approche judiciaire en matière d’annulation d’une condamnation sur la base d’éléments nouveaux

47. Dans l’affaire R. v. Pendleton, la Chambre des lords s’interrogea sur l’approche à adopter par les juridictions d’appel dans les affaires où viennent au jour des éléments nouveaux. Lord Bingham of Cornhill expliqua :

« 19. (...) [D]ans l’affaire Stafford [v. Director of Public Prosecutions [1974] AC 878], la Chambre des lords a rejeté, à juste titre, l’argument de l’avocat selon lequel la Cour d’appel avait posé la mauvaise question en prenant pour critère l’effet des éléments nouveaux sur l’opinion des juges de la Cour d’appel et non l’effet que ces éléments auraient eu sur celle des jurés (...). Je ne suis pas convaincu que la Chambre des lords ait énoncé dans Stafford un principe incorrect, tant qu’il reste bien clair pour la Cour d’appel que ce qu’il lui faut trancher c’est la question de savoir si la condamnation repose sur des bases solides et non celle de savoir si l’accusé est coupable. Le critère préconisé par l’avocat dans l’affaire Stafford (...) présente cependant une double vertu (...). Il rappelle tout d’abord à la Cour d’appel qu’elle n’est pas et ne doit jamais devenir le principal décideur. Il lui rappelle ensuite qu’elle n’a qu’une idée imparfaite et incomplète de tout le processus ayant conduit le jury à prononcer une condamnation. La Cour d’appel peut certes apprécier les éléments nouveaux qui lui sont soumis mais, excepté dans les affaires limpides, elle est désavantagée lorsqu’il s’agit de rattacher ces éléments au reste des éléments de preuve examinés par le jury. Pour ces raisons, il est en règle générale sage, si l’affaire revêt une difficulté quelconque, que la Cour d’appel mette à l’épreuve son propre avis provisoire en se demandant si les éléments de preuve – dans l’hypothèse où ils auraient été présentés au procès – auraient raisonnablement pu influer sur la décision du jury de prononcer une condamnation. Si la réponse est positive, il faut considérer que la condamnation ne repose pas sur des bases solides. »

48. Par la suite, Lord Brown of Eaton-Under-Heywood, dans le cadre de l’affaire Dial and another v. The State (Trinidad and Tobago) [2005] UKPC 4, examinée par le Conseil privé (Privy Council), fit les commentaires suivants :

« 31. (...) En termes simples, la loi, qui est à présent clairement établie, peut être exposée comme suit. Lorsque des éléments nouveaux sont produits lors d’un appel en matière pénale, c’est à la Cour d’appel, à supposer bien sûr qu’elle admette ces éléments, qu’il revient d’en apprécier l’importance dans le contexte des autres éléments versés au dossier. Si la Cour d’appel conclut que les éléments nouveaux ne font naître aucun doute raisonnable quant à la culpabilité de l’accusé, elle rejette l’appel. La principale question s’adresse à la Cour d’appel elle-même ; elle ne consiste pas à se demander quel effet les éléments nouveaux auraient eu sur l’opinion des jurés. Cela étant, si la Cour d’appel considère que l’affaire est difficile, elle peut juger utile de mettre à l’épreuve son avis « en se demandant si les éléments de preuve – dans l’hypothèse où ils auraient été présentés au procès – auraient raisonnablement pu influer sur la décision du jury de prononcer une condamnation » (R. v. Pendleton (...)). Le principe directeur demeure toutefois celui qui a été posé (...) dans l’affaire Stafford (...) et qui a été énoncé par la Chambre des lords dans l’affaire Pendleton :

« (...) [L]a Cour d’appel et la Chambre des lords peuvent certes juger commode l’approche consistant à se demander ce qu’un jury aurait fait s’il avait eu connaissance des éléments nouveaux, mais c’est à elles et à elles seules qu’incombe la responsabilité ultime de trancher la question [de savoir si le verdict repose sur des bases solides ou non]. »

B. L’indemnisation pour erreur judiciaire

1. La loi de 1988 sur la justice pénale (« la loi de 1988 »)

49. L’article 133 § 1 de la loi de 1988 dispose :

« 1. Sous réserve du paragraphe 2 ci-dessous, lorsqu’une condamnation pénale est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé montre au-delà de tout doute raisonnable qu’il s’est produit une erreur judiciaire, le ministre verse une indemnité pour erreur judiciaire à la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation (...), à moins que la non-révélation du fait inconnu soit imputable en tout ou en partie à ladite personne. »

50. La question de savoir si l’article 133 ouvre un droit à indemnisation est tranchée par le ministre, après le dépôt d’une demande à cet effet par la personne concernée.

51. Selon l’article 133 § 5, le terme « annulée » doit s’entendre comme renvoyant à une condamnation qui a été mise à néant, notamment à la suite d’un appel tardif, ou d’un renvoi à la Cour d’appel par la Commission de contrôle des procédures pénales.

52. L’article 133 § 6 dispose qu’une personne a subi une peine à raison d’une condamnation lorsqu’une sanction a été prononcée contre elle pour l’infraction dont elle a été reconnue coupable.

53. Après l’adoption de la loi de 2008 sur la justice pénale et l’immigration, l’article 133 a été complété par d’autres dispositions instaurant un délai de deux ans pour le dépôt d’une demande d’indemnisation et clarifiant le lien entre l’ « annulation » d’une condamnation et la tenue éventuelle d’un nouveau procès. Ces dispositions sont entrées en vigueur le 1er décembre 2008, c’est-à-dire après le prononcé par la Cour d’appel de l’arrêt sur la demande d’indemnisation formée en l’espèce (paragraphe 33 ci-dessus).

2. L’interprétation par les tribunaux du terme « erreur judiciaire »

a) Avant la procédure relative à la demande d’indemnisation formée par la requérante

54. Dans l’affaire R. (on the application of Mullen) v. Secretary of State for the Home Department [2004] UKHL 18, la Chambre des lords se pencha sur l’application de l’article 133 de la loi de 1988. Le procès de M. Mullen en Angleterre n’avait été possible que parce que les autorités britanniques avaient organisé son expulsion du Zimbabwe, en violation flagrante du droit de ce pays et du droit international. Ce point n’apparut que postérieurement à la condamnation, et le recours de M. Mullen devant la Cour d’appel, quelque sept ans plus tard, aboutit à l’annulation de la sentence au motif que l’expulsion avait entraîné un abus de procédure, plus précisément un grave abus du pouvoir exécutif. La demande d’indemnisation de l’intéressé fondée sur l’article 133, ou sur le système d’indemnisation ex gratia qui existait en parallèle à l’époque, fut écartée par le ministre. Au cours d’une procédure ultérieure de contrôle juridictionnel, la Chambre des lords estima à l’unanimité que l’article 133 n’exigeait pas que l’on versât à M. Mullen une indemnité pour erreur judiciaire. Il y eut cependant des divergences de vues entre Lord Bingham et Lord Steyn quant à l’interprétation à donner à l’article 133.

55. Sur l’expression « condamnations injustifiées », Lord Bingham déclara :

« 4. (...) L’expression « condamnations injustifiées » n’est pas une notion juridique et n’a pas un sens bien établi. Il est clair qu’elle englobe les condamnations de personnes innocentes des infractions pour lesquelles elles ont été condamnées. Cependant, dans le langage courant l’expression doit, je pense, s’étendre aux personnes qui, coupables ou non, n’auraient manifestement pas dû être condamnées à l’issue de leur procès. Il est impossible et inutile de recenser les multiples raisons pour lesquelles une personne peut avoir été condamnée alors qu’elle n’aurait pas dû l’être. Il se peut que les éléments à charge aient été fabriqués de toutes pièces ou aient été entachés de parjure, que la justice ait fondé la condamnation sur un témoignage d’expert qui était discutable, que des éléments de preuve qui auraient été utiles à la défense aient été dissimulés ou n’aient pas été divulgués, que le travail du jury ait fait l’objet d’une ingérence malveillante, ou encore qu’il y ait eu un manque d’équité ou formulation de mauvaises indications de la part des juges. Dans ce type d’affaires, il est parfois possible, mais plus souvent impossible, de dire que l’intéressé est innocent ; ce qui est possible en tout cas, c’est de dire qu’il a été condamné à tort. Le point commun à ces affaires est l’existence dans l’instruction relative à l’infraction ou dans le déroulement du procès d’une défaillance grave qui a abouti à la situation où une personne a été condamnée alors qu’elle n’aurait pas dû l’être. »

56. Même si, dans la cause de la requérante, tant la High Court que la Cour d’appel ont considéré, semble-t-il, que cette déclaration se rapportait à l’interprétation donnée par Lord Bingham du terme « erreur judiciaire » figurant à l’article 133, il convient de noter – comme l’a expliqué Lord Hope dans l’arrêt R. (Adams) v. Secretary of State for Justice [2011] UKSC 18 (paragraphe 63 ci-dessous) rendu ultérieurement par la Cour suprême – que les commentaires de Lord Bingham ne visaient pas ce terme mais l’expression « condamnations injustifiées », dans le cadre du système d’indemnisation ex gratia alors en place.

57. Lord Bingham observa que l’adoption de l’article 133 avait pour but de donner effet à l’obligation découlant de l’article 14 § 6 du PIDCP, que cette dernière disposition visait à garantir un procès équitable aux personnes poursuivies et qu’elle était sans pertinence pour les abus du pouvoir exécutif ne débouchant pas sur un procès inéquitable. Il poursuivit ainsi :

« 8. (...) En annulant la condamnation de M. Mullen, la Cour d’appel (chambre criminelle) a sanctionné de la seule façon possible l’abus du pouvoir exécutif ayant conduit à l’arrestation et à l’enlèvement de l’intéressé. La Cour d’appel n’a cependant décelé aucune défaillance dans le procès. C’est en cas de défaillance dans le procès que le ministre est tenu, en vertu de l’article 133 [de la loi de 1988] et de l’article 14 § 6 [du PDCP], de verser une indemnité. Dans ces conditions, j’estime qu’il n’est pas tenu d’allouer une indemnité sur le fondement de l’article 133. »

58. Lord Bingham précisa qu’il hésitait à admettre l’argument du ministre selon lequel l’article 133 de la loi de 1988, inspiré de l’article 14 § 6 du PIDCP, n’impliquait une obligation d’indemnisation qu’à l’égard d’une personne ayant finalement été acquittée dans des circonstances remplissant les conditions légales et dont il était établi au-delà de tout doute raisonnable qu’elle était innocente de l’infraction retenue contre elle. À la lumière de sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas lieu de verser une indemnité, il estima cependant qu’il ne s’imposait pas de trancher ce point.

59. Lord Steyn fit observer que l’article 133 de la loi de 1988, à l’instar de l’article 3 du Protocole no 7 à la Convention, était calqué sur l’article 14 § 6 du PIDCP. Il passa en revue plusieurs arrêts de la Cour européenne ayant constaté une violation de l’article 6 § 2 de la Convention relativement à des demandes d’indemnisation formées par des personnes qui avaient été acquittées, et conclut ainsi :

« 41. (...) Les décisions concernées ne présentent pas d’intérêt pour la question ici examinée. L’interaction entre l’article 6 § 2 et l’article 3 du Protocole no 7 n’était pas à l’étude. En droit autrichien, en effet, il existait un droit à indemnisation plus large que celui prévu par l’article 3 du Protocole no 7. »

60. Ayant conclu que la jurisprudence de la Cour européenne n’était pas d’un grand secours pour l’interprétation de l’article 133 de la loi de 1988, Lord Steyn examina ensuite l’interprétation de l’article 14 § 6 du PIDCP en tant que tel. Il considéra qu’une affaire dans laquelle une personne aurait été condamnée à tort puis aurait vu sa condamnation annulée à la suite d’un appel interjeté dans le délai normal ne remplissait pas les conditions d’une indemnisation. Il déclara par ailleurs que s’il n’y avait pas de fait nouveau ou nouvellement révélé mais qu’il était simplement reconnu qu’un appel antérieur avait été rejeté à tort, alors l’affaire ne relevait pas de l’article 14 § 6. Il en déduisit que l’objectif primordial n’était pas d’indemniser toutes les personnes condamnées à tort et qu’il était incontestable que le droit fondamental découlant de l’article 14 § 6 était strictement délimité. Il poursuivit ainsi :

« 46. L’exigence selon laquelle le fait nouveau ou nouvellement révélé doit montrer de manière concluante (ou au-delà de tout doute raisonnable, pour reprendre les termes de l’article 133) « qu’il s’est produit une erreur judiciaire » est importante. Elle permet d’éliminer les affaires où il est seulement établi qu’il y a peut-être eu une condamnation injustifiée. Sont de même exclus les cas où il est seulement probable qu’il y a eu une condamnation injustifiée. Ces deux catégories couvriraient la grande majorité des affaires où un appel est accueilli malgré sa tardiveté (...) Ces considérations militent à mes yeux contre l’interprétation large de l’« erreur judiciaire » avancée en faveur de M. Mullen. Elles démontrent par ailleurs le caractère discutable de l’interprétation large (...), qui sape entièrement l’effet des éléments montrant « de manière concluante qu’il s’est produit une erreur judiciaire ». Même si l’on admet que dans d’autres contextes l’« erreur judiciaire » peut revêtir une signification soit plus étroite soit plus large, le seul contexte pertinent, à savoir le cas où l’innocence est démontrée, va dans le sens d’une interprétation étroite. »

61. Lord Steyn conclut donc ainsi :

« 56. (...) [L]a portée autonome du terme « erreur judiciaire » vise uniquement les « cas manifestes d’erreur judiciaire, c’est-à-dire ceux où il est reconnu que l’intéressé était manifestement innocent », comme l’indique le Rapport explicatif [du Protocole no 7]. Cela correspond au sens international que le Parlement a retenu en adoptant l’article 133 de la loi de 1988. »

62. Faute d’avoir été déclaré innocent, M. Mullen ne pouvait prétendre à une indemnisation sur le fondement de l’article 133 de la loi de 1988.

b) Après la procédure relative à la demande d’indemnisation formée par la requérante

63. Dans R. (Adams), la Cour suprême, siégeant en une formation de neuf juges, a été appelée à réexaminer la signification du terme « erreur judiciaire » figurant à l’article 133 de la loi de 1988. Les juges ont formulé des avis divers quant à sa bonne interprétation.

III. LA PRATIQUE ET LES TEXTES JURIDIQUES INTERNATIONAUX PERTINENTS

A. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966)

64. L’article 14 § 2 du PIDCP énonce :

« Toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

65. L’article 14 § 6 dispose :

« Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée ou lorsque la grâce est accordée parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation sera indemnisée, conformément à la loi, à moins qu’il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou partie. »

66. Le Comité des droits de l’homme des Nations unies s’est penché sur l’application des articles pertinents du PIDCP. Dans l’affaire W.J.H. c. Pays-Bas (Communication no 408/1990 UN doc. CCPR/c/45/D/408/1990 (1992)), où était alléguée la violation de l’article 14 §§ 2 et 6 à raison du refus d’accorder une indemnité après un acquittement, le Comité a fait observer que l’article 14 § 2 s’appliquait uniquement aux procédures pénales, et non aux procédures d’indemnisation. Il a également estimé que les conditions posées à l’article 14 § 6 n’étaient pas remplies.

67. Dans son Observation générale no 32 sur l’article 14, publiée le 23 août 2007, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déclaré ce qui suit au sujet de la présomption d’innocence :

« 30. En vertu du paragraphe 2 de l’article 14, toute personne accusée d’une infraction pénale est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. Du fait de la présomption d’innocence, qui est indispensable à la protection des droits de l’homme, la charge de la preuve incombe à l’accusation, nul ne peut être présumé coupable tant que l’accusation n’a pas été établie au-delà de tout doute raisonnable, l’accusé a le bénéfice du doute et les personnes accusées d’avoir commis une infraction pénale ont le droit d’être traitées selon ce principe. Toutes les autorités publiques ont le devoir de s’abstenir de préjuger de l’issue d’un procès, par exemple de s’abstenir de faire des déclarations publiques affirmant la culpabilité de l’accusé. Les défendeurs ne devraient pas normalement être entravés ou enfermés dans des cages pendant les audiences, ni présentés au tribunal d’une manière laissant penser qu’ils peuvent être des criminels dangereux. Les médias devraient éviter de rendre compte des procès d’une façon qui porte atteinte à la présomption d’innocence. En outre, la longueur de la détention provisoire ne doit jamais être interprétée comme une indication de la culpabilité ou de son degré. Le rejet d’une demande de libération sous caution ou la mise en cause de la responsabilité civile ne portent pas atteinte à la présomption d’innocence. » (Notes de bas de page omises)

68. Concernant le droit à une indemnisation pour erreur judiciaire, le Comité a dit notamment :

« 53. Cette garantie ne s’applique pas lorsqu’il est prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu est entièrement ou partiellement imputable à l’accusé. En pareil cas, la charge de la preuve incombe à l’État. En outre, aucune indemnisation n’est due lorsque la condamnation est annulée en appel, c’est-à-dire avant que le jugement ne devienne définitif, ou à la suite d’une grâce accordée pour des motifs humanitaires ou dans le cadre de l’exercice de pouvoirs discrétionnaires ou pour des raisons d’équité, qui ne donnent pas à entendre qu’il s’est produit une erreur judiciaire. » (Notes de bas de page omises)

B. L’article 3 du Protocole no 7 à la Convention

69. L’article 3 du Protocole no 7 se lit ainsi :

« Lorsqu’une condamnation pénale définitive est ultérieurement annulée, ou lorsque la grâce est accordée, parce qu’un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire, la personne qui a subi une peine en raison de cette condamnation est indemnisée, conformément à la loi ou à l’usage en vigueur dans l’État concerné, à moins qu’il ne soit prouvé que la non-révélation en temps utile du fait inconnu lui est imputable en tout ou en partie. »

70. Le Royaume-Uni n’a pas signé le Protocole no 7 et n’y a pas adhéré.

71. Le Rapport explicatif du Protocole no 7 a été rédigé par le Comité directeur pour les droits de l’homme et soumis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. Il y est expliqué d’emblée que le rapport lui-même « (...) ne constitue pas un instrument d’interprétation authentique du texte du Protocole, bien qu’il puisse faciliter la compréhension des dispositions qui y sont contenues ».

72. Concernant l’article 3 du Protocole no 7, le rapport indique notamment :

« 23. En second lieu, l’article s’applique uniquement au cas où la condamnation d’une personne est annulée, ou la grâce accordée, parce que, dans les deux hypothèses, un fait nouveau ou nouvellement révélé prouve qu’il s’est produit une erreur judiciaire – c’est-à-dire un défaut grave dans un procès entraînant un préjudice important pour la personne qui a été condamnée. Par conséquent, il n’est pas nécessaire, en vertu de cet article, de verser une indemnité si la condamnation a été annulée ou la grâce accordée pour d’autres motifs (...)

(...)

25. Dans les cas où ces conditions préalables sont remplies, l’indemnité est versée « conformément à la loi ou à l’usage en vigueur dans l’État concerné ». Ces mots ne peuvent pas être interprétés comme signifiant qu’aucune indemnité ne doit être versée lorsque la loi ou l’usage en vigueur ne le prévoit pas. La loi ou cet usage doit prévoir le versement d’une indemnité dans tous les cas auxquels cet article s’applique. Dans l’esprit des auteurs de cette disposition, les États sont obligés d’indemniser des personnes uniquement dans les cas évidents d’erreur judiciaire, c’est-à-dire lorsqu’il aura été reconnu que la personne concernée était clairement innocente. Cet article n’a pas pour but de donner un droit à compensation lorsque toutes les conditions préalables ne sont pas remplies ; par exemple, lorsqu’une cour d’appel a annulé une condamnation parce qu’elle a découvert un fait qui a jeté un doute raisonnable sur la culpabilité de l’accusé et dont le juge de première instance n’aurait pas tenu compte. »

C. Le droit et la pratique des États membres concernant la procédure d’indemnisation après abandon des poursuites ou acquittement

73. La Cour s’est penchée sur le droit et la pratique de trente-six États membres relativement aux procédures d’indemnisation faisant suite à l’abandon de poursuites ou à un acquittement. L’étude menée a montré que les États n’ont pas une approche uniforme en la matière. Certains États ont plus d’un système, donc différents types d’indemnisation.

74. Les procédures de demande d’indemnisation varient sensiblement d’un État à l’autre. Dans dix États, la procédure d’indemnisation existante semble directement liée à la procédure pénale, le tribunal qui a statué sur l’action pénale étant compétent aussi pour apprécier la demande d’indemnisation lorsqu’il y a eu acquittement à l’issue du procès initial (Allemagne, Russie et Ukraine) ou annulation d’une condamnation à la suite de la réouverture de la procédure (Allemagne, Belgique, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Monaco et Suisse).

75. Dans trente États (Albanie, Autriche, Bosnie-Herzégovine, Bulgarie, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, France, Hongrie, Irlande, l’ex-République yougoslave de Macédoine, Lituanie, Luxembourg, Malte, République de Moldova, Monaco, Monténégro, Norvège, Pologne, République tchèque, Roumanie, Russie, Serbie, Slovaquie, Slovénie, Suède, Turquie et Ukraine), la procédure d’indemnisation est indépendante de la procédure pénale. Dans ces États, la demande d’indemnisation peut être formée au niveau administratif auprès d’un ministre ou d’une autre autorité (Autriche, Bosnie‑Herzégovine, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Irlande, l’ex‑République yougoslave de Macédoine, Luxembourg, Monaco, Monténégro, République tchèque, Serbie, Slovaquie et Slovénie), auprès des juridictions civiles ou administratives (Albanie, Bulgarie, France, Hongrie, Lituanie, République de Moldova, Norvège, Roumanie, Russie, Suède et Ukraine) ou auprès des juridictions pénales, devant des juges autres que ceux qui ont connu de l’affaire pénale initiale (Pologne et Turquie). Dans pratiquement tous les États étudiés, à l’exception de l’Irlande et de Malte, la demande d’indemnisation doit être déposée dans un certain délai qui court à compter de la date de clôture de la procédure pénale.

76. La grande majorité des États étudiés possèdent des systèmes d’indemnisation bien plus généreux que celui du Royaume-Uni. Dans un grand nombre des États examinés, l’indemnisation est pour l’essentiel automatique après un verdict de non-culpabilité, l’annulation d’une condamnation ou l’abandon de poursuites (Allemagne, Bulgarie, Croatie, Danemark, Finlande, l’ex-République yougoslave de Macédoine, Monténégro, République tchèque, Roumanie, Turquie et Ukraine, notamment).

77. La pratique des États contractants en matière d’indemnisation fournit très peu d’informations utiles pour l’interprétation du terme « erreur judiciaire ».

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 2 DE LA CONVENTION

78. La requérante plaide que les motifs sur lesquels était fondé le refus de lui allouer une indemnité après son acquittement ont emporté violation de la présomption d’innocence. Elle invoque l’article 6 § 2 de la Convention, ainsi libellé :

« Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

79. Le Gouvernement conteste cet argument.

A. L’étendue du grief

80. La requérante admet que le refus de lui accorder une indemnité ne soulève pas en soi de problème au regard de l’article 6 § 2, cette décision ne signifiant rien quant à l’opinion de l’État sur sa culpabilité ou son innocence. Elle se plaint en réalité que, dans son cas, le refus de la High Court et de la Cour d’appel reposait sur des motifs propres à faire naître des doutes relativement à son innocence.

81. Pour le Gouvernement, le simple fait qu’une fois acquittée une personne est présumée innocente des actes qui lui étaient reprochés n’ouvre pas à l’intéressée un quelconque droit général à une indemnisation au titre de l’article 6 § 2. Les termes de l’article 133 de la loi de 1988 ne doivent pas, selon lui, être interprétés dans un sens large au motif qu’il conviendrait d’indemniser le plus grand nombre possible de personnes acquittées.

82. La Cour rappelle que l’article 6 § 2 ne garantit pas à l’accusé un droit à réparation pour une détention provisoire régulière ou un droit au remboursement de ses frais lorsque les poursuites sont par la suite abandonnées ou aboutissent à un acquittement (voir, parmi de nombreux précédents, Englert c. Allemagne, 25 août 1987, § 36, série A no 123, Sekanina c. Autriche, 25 août 1993, § 25, série A no 266-A, Capeau c. Belgique, no 42914/98, § 23, CEDH 2005‑I, Yassar Hussain c. Royaume-Uni, no 8866/04, § 20, CEDH 2006‑III, et Tendam c. Espagne, no 25720/05, § 36, 13 juillet 2010). De même, cette disposition ne garantit pas à une personne acquittée d’une infraction pénale un droit à réparation pour une erreur judiciaire, quelle qu’elle soit.

83. La question qui se pose à la Cour n’est pas de savoir si le refus d’indemnisation a en soi emporté violation du droit de la requérante à être présumée innocente. Dans son examen du grief, la Cour s’attachera à déterminer si la décision négative litigieuse, notamment sa motivation et les termes employés, était compatible avec la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 § 2.

B. Sur la recevabilité

1. Thèses des parties

a) Le Gouvernement

84. Selon le Gouvernement, l’article 6 § 2 s’applique uniquement aux personnes accusées d’une infraction. Même dans le cadre de l’interprétation large donnée à la notion de « procédure pénale » par la Cour, l’action en indemnisation ici en cause sortirait du champ de cette interprétation.

85. Premièrement, rien dans la jurisprudence de la Cour n’indiquerait que l’article 6 § 2 s’applique à l’appréciation d’un droit à bénéficier d’une réparation suivant les critères énoncés par l’article 3 du Protocole no 7. Dans l’arrêt Sekanina (précité, § 25), la Cour aurait du reste considéré que l’article 6 § 2 ne s’appliquait pas à une telle procédure, position qui serait en phase avec celle adoptée par le Comité des droits de l’homme des Nations unies dans l’affaire W.J.H. c. Pays-Bas (paragraphe 66 ci-dessus). Le refus d’indemniser une personne au motif qu’elle ne remplit pas les conditions requises ne pourrait pas être incompatible avec l’article 6 § 2 ; en juger autrement priverait de sens les critères et les restrictions posés par l’article 14 § 6 du PIDCP et l’article 3 du Protocole no 7 à la Convention.

86. Deuxièmement, tout en admettant que l’article 6 § 2 a été jugé applicable à certains types d’actions en réparation, le Gouvernement indique que tel a été le cas uniquement dans des situations où il existait un lien étroit avec la procédure pénale antérieure ayant donné lieu à l’action en question. En l’espèce, la décision relative à l’indemnisation aurait au contraire été distincte et séparée de la décision d’annulation de la condamnation pénale, pour les raisons suivantes : la décision sur l’indemnisation relèverait en général du pouvoir exécutif et non du pouvoir judiciaire ; elle serait prise dans le cadre d’une procédure administrative et non pénale ; elle pourrait reposer sur des éléments de preuve différents, ignorés lors du procès pénal ; elle serait éloignée dans le temps, étant donné qu’il serait possible de former une demande d’indemnisation jusqu’à deux ans après l’annulation de la condamnation, et elle serait adoptée et communiquée au demandeur de manière confidentielle. Pour le Gouvernement, même s’il a fallu évaluer les éléments de preuve ayant dans un premier temps conduit à la condamnation pour déterminer si l’existence d’une erreur judiciaire était établie de manière concluante au sens de l’article 133 de la loi de 1988, ce processus n’a pas porté atteinte à la présomption d’innocence ni remis en cause l’acquittement de la requérante.

87. En conséquence, le Gouvernement invite la Cour à conclure que la présomption d’innocence n’est nullement en jeu dans le cadre des décisions prises sur le fondement de l’article 133 de la loi de 1988 et, partant, à déclarer la requête irrecevable.

b) La requérante

88. La requérante soutient que dans un nombre important d’arrêts la Cour européenne des droits de l’homme a jugé l’article 6 § 2 de la Convention applicable dans le cadre de l’examen du droit d’une personne à être indemnisée après un acquittement (l’intéressée mentionne notamment les arrêts Rushiti c. Autriche, no 28389/95, 21 mars 2000, Hammern c. Norvège, no 30287/96, 11 février 2003, et Puig Panella c. Espagne, no 1483/02, 25 avril 2006). D’après elle, si la Cour a par ailleurs conclu à la non‑applicabilité de l’article 6 § 2 dans certaines affaires concernant des actions civiles en réparation, il s’agissait dans ces affaires pour les tribunaux de se prononcer sur la responsabilité civile des personnes mises en cause, tandis que l’article 133 de la loi de 1988 appellerait une appréciation du fondement de l’acquittement de la personne concernée et de ce que cet acquittement dit de la responsabilité pénale de l’intéressée. De plus, alors que dans une procédure civile il faudrait ménager un équilibre avec les droits des tiers, pareil équilibre ne serait pas pertinent en l’occurrence, l’État étant responsable de l’indemnisation. La Cour aurait de toute façon jugé l’article 6 § 2 de la Convention applicable dans certaines affaires relatives à une procédure civile, après avoir estimé que la procédure avait conduit à une remise en question de l’innocence du requérant (l’intéressée mentionne Orr c. Norvège, no 31283/04, 15 mai 2008).

89. La requérante conteste par ailleurs l’argument consistant à dire que l’article 6 § 2 s’applique uniquement lorsqu’il existe un lien étroit avec la procédure pénale. Elle évoque les affaires Šikić c. Croatie (no 9143/08, § 47, 15 juillet 2010) et Vanjak c. Croatie (no 29889/04, § 41, 14 janvier 2010), dans lesquelles la Cour aurait conclu que lorsque des poursuites sont abandonnées, la présomption d’innocence doit être garantie « dans toute autre procédure, de quelque nature qu’elle soit ». Elle considère que cela vaut a fortiori en cas d’acquittement, où la protection offerte par l’article 6 § 2 serait encore plus forte.

90. La requérante estime qu’en tout état de cause l’octroi d’une indemnité sur le fondement de l’article 133 de la loi de 1988 est clairement et étroitement lié à la procédure pénale ayant abouti à l’annulation de la condamnation. Il ressortirait à l’évidence de l’article 133 et de l’arrêt rendu par la Cour suprême dans Adams (paragraphe 63 ci-dessus) que la question clé dans une action en indemnisation est le motif précis pour lequel la condamnation a été annulée, et qu’une décision sur la question de l’indemnisation exige que l’organe décisionnel examine l’arrêt de la Cour d’appel ayant annulé la condamnation. Un refus d’indemnisation fondé sur les motifs indiqués dans Adams soulèverait des doutes quant au point de savoir si l’État admet que le demandeur était réellement innocent. Cela suffirait en soi à établir l’applicabilité de l’article 6 § 2 de la Convention.

91. Enfin, la requérante estime qu’il serait incohérent que l’article 6 § 2 ne s’applique pas aux systèmes d’indemnisation prévus par l’article 14 § 6 du PIDCP et par l’article 3 du Protocole no 7 à la Convention mais qu’il s’applique à toute autre forme d’indemnisation consécutive à un acquittement. Il n’y aurait aucune raison logique à une telle distinction.

2. L’appréciation de la Cour

a) Principes généraux

i. Introduction

92. L’objet et le but de la Convention, instrument de protection des êtres humains, appellent à comprendre et appliquer ses dispositions d’une manière qui en rende les exigences concrètes et effectives (voir, notamment, Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 87, série A no 161, et Al-Skeini et autres c. Royaume-Uni [GC], no 55721/07, § 162, CEDH 2011). La Cour a déclaré expressément que cela valait aussi pour le droit consacré par l’article 6 § 2 (voir, par exemple, Allenet de Ribemont c. France, 10 février 1995, § 35, série A no 308, et Capeau, précité, § 21).

93. L’article 6 § 2 protège le droit de toute personne à être « présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». Considérée comme une garantie procédurale dans le cadre du procès pénal lui-même, la présomption d’innocence impose des conditions concernant notamment la charge de la preuve (Barberà, Messegué et Jabardo c. Espagne, 6 décembre 1988, § 77, série A no 146, et Telfner c. Autriche, no 33501/96, § 15, 20 mars 2001) ; les présomptions de fait et de droit (Salabiaku c. France, 7 octobre 1988, § 28, série A no 141‑A, et Radio France et autres c. France, no 53984/00, § 24, CEDH 2004‑II) ; le droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (Saunders c. Royaume-Uni, 17 décembre 1996, § 68, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, et Heaney et McGuinness c. Irlande, no 34720/97, § 40, CEDH 2000‑XII) ; la publicité pouvant être donnée à l’affaire avant la tenue du procès (Akay c. Turquie (déc.), no 34501/97, 19 février 2002, et G.C.P. c. Roumanie, no 20899/03, § 46, 20 décembre 2011) ; la formulation par le juge du fond ou toute autre autorité publique de déclarations prématurées quant à la culpabilité d’un prévenu (Allenet de Ribemont, précité, §§ 35-36, et Nešťák c. Slovaquie, no 65559/01, § 88, 27 février 2007).

94. Compte tenu toutefois de la nécessité de veiller à ce que le droit garanti par l’article 6 § 2 soit concret et effectif, la présomption d’innocence revêt aussi un autre aspect. Son but général, dans le cadre de ce second volet, est d’empêcher que des individus qui ont bénéficié d’un acquittement ou d’un abandon des poursuites soient traités par des agents ou autorités publics comme s’ils étaient en fait coupables de l’infraction qui leur avait été imputée. Dans de telles situations, la présomption d’innocence a déjà permis – par l’application lors du procès des diverses exigences inhérentes à la garantie procédurale qu’elle offre – d’empêcher que soit prononcée une condamnation pénale injuste. Sans protection destinée à faire respecter dans toute procédure ultérieure un acquittement ou une décision d’abandon des poursuites, les garanties d’un procès équitable énoncées à l’article 6 § 2 risqueraient de devenir théoriques et illusoires. Ce qui est également en jeu une fois la procédure pénale achevée, c’est la réputation de l’intéressé et la manière dont celui-ci est perçu par le public. Dans une certaine mesure, la protection offerte par l’article 6 § 2 à cet égard peut recouvrir celle qu’apporte l’article 8 (voir, par exemple, Zollmann c. Royaume-Uni (déc.), no 62902/00, CEDH 2003‑XII, et Taliadorou et Stylianou c. Chypre, nos 39627/05 et 39631/05, §§ 27 et 56-59, 16 octobre 2008).

ii. Applicabilité de l’article 6 § 2

95. Comme l’indique expressément son libellé même, l’article 6 § 2 s’applique lorsqu’une personne est « accusée d’une infraction ». La Cour a maintes fois souligné qu’il s’agit là d’une notion autonome, qu’il convient d’interpréter selon les trois critères énoncés dans sa jurisprudence, à savoir la qualification de la procédure en droit national, sa nature substantielle et le degré de la gravité de la peine encourue (voir, parmi de nombreux précédents sur la notion d’« accusation en matière pénale », Engel et autres c. Pays‑Bas, 8 juin 1976, § 82, série A no 22, et Phillips c. Royaume-Uni, no 41087/98, § 31, CEDH 2001‑VII). Pour apprécier un grief tiré de l’article 6 § 2 et né dans le contexte d’une procédure judiciaire, il faut avant tout déterminer si la procédure litigieuse portait sur le bien-fondé d’une accusation en matière pénale, au sens de la jurisprudence de la Cour.

96. Cependant, dans les affaires qui mettent en jeu le second aspect de la protection offerte par l’article 6 § 2, qui surgit lors de la clôture d’une procédure pénale, l’application du critère précédent est clairement inappropriée. Dans ces affaires, la procédure pénale est nécessairement close et, à moins que la procédure judiciaire subséquente donne lieu à une nouvelle accusation en matière pénale, au sens autonome de la Convention, si l’article 6 § 2 trouve à s’appliquer ce doit être pour d’autres motifs.

97. Aucune des parties n’a défendu l’idée que l’action en indemnisation engagée par la requérante aurait engendré une « accusation en matière pénale », au sens autonome de la Convention. C’est donc le second aspect de la protection offerte par l’article 6 § 2 qui est ici en jeu. Aussi la Cour recherchera-t-elle comment elle a abordé l’applicabilité de l’article 6 § 2 à une procédure judiciaire ultérieure dans ce type d’affaires.

98. La Cour a déjà eu à se pencher sur l’application de l’article 6 § 2 à des décisions judiciaires rendues consécutivement à une procédure pénale close par l’abandon des poursuites ou par une décision d’acquittement, notamment dans des procédures qui concernaient :

a) l’obligation faite à un ancien accusé d’assumer les frais judiciaires et les frais d’enquête (Minelli c. Suisse, 25 mars 1983, §§ 30-32, série A no 62, et McHugo c. Suisse (déc.), no 55705/00, 12 mai 2005) ;

b) une demande d’indemnisation formée par un ancien accusé au titre d’une détention provisoire ou d’un autre préjudice causé par une procédure pénale (Englert, précité, § 35, Nölkenbockhoff c. Allemagne, 25 août 1987, § 35, série A no 123, Sekanina, précité, § 22, Rushiti, précité, § 27, Mulaj et Sallahi c. Autriche (déc.), no 48886/99, 27 juin 2002, O. c. Norvège, no 29327/95, §§ 33-38, CEDH 2003-II, Hammern, précité, §§ 41-46, Baars c. Pays-Bas, no 44320/98, § 21, 28 octobre 2003, Capeau c. Belgique (déc.), no 42914/98, 6 avril 2004, Del Latte c. Pays-Bas, no 44760/98, § 30, 9 novembre 2004, A.L. c. Allemagne, no 72758/01, §§ 31-33, 28 avril 2005, Puig Panella, précité, § 50, Tendam, précité, §§ 31 et 36, Bok c. Pays-Bas, no 45482/06, §§ 37-48, 18 janvier 2011, et Lorenzetti c. Italie, no 32075/09, § 43, 10 avril 2012) ;

c) une demande formée par un ancien accusé en vue du remboursement des frais de sa défense (Lutz c. Allemagne, 25 août 1987, §§ 56-57, série A no 123, Leutscher c. Pays-Bas, 26 mars 1996, § 29, Recueil 1996‑II, Yassar Hussain, précité, § 19, et Ashendon et Jones c. Royaume-Uni (révision), nos 35730/07 et 4285/08, §§ 42 et 49, 15 décembre 2011) ;

d) une demande d’indemnisation formée par un ancien accusé au titre du préjudice causé par une enquête ou une procédure irrégulières ou abusives (Panteleyenko c. Ukraine, no 11901/02, § 67, 29 juin 2006, et Grabtchouk c. Ukraine, no 8599/02, § 42, 21 septembre 2006) ;

e) l’obligation civile d’indemniser la victime (Ringvold c. Norvège, no 34964/97, § 36, CEDH 2003‑II, Y c. Norvège, no 56568/00, § 39, CEDH 2003‑II, Orr, précité, §§ 47-49, Erkol c. Turquie, no 50172/06, §§ 33 et 37, 19 avril 2011, Vulakh et autres c. Russie, no 33468/03, § 32, 10 janvier 2012, Diacenco c. Roumanie, no 124/04, § 55, 7 février 2012, Lagardère c. France, no 18851/07, §§ 73 et 76, 12 avril 2012, et Constantin Florea c. Roumanie, no 21534/05, §§ 50 et 52, 19 juin 2012) ;

f) le rejet d’une action civile engagée par le requérant contre une compagnie d’assurances (Lundkvist c. Suède (déc.), no 48518/99, CEDH 2003‑XI, et Reeves c. Norvège (déc.), no 4248/02, 8 juillet 2004) ;

g) le maintien en vigueur d’une ordonnance de placement d’un enfant, après la décision du parquet de ne pas inculper le parent pour sévices sur enfant (O.L. c. Finlande (déc.), no 61110/00, 5 juillet 2005) ;

h) des questions disciplinaires ou de licenciement (Moullet c. France (déc.), no 27521/04, 13 septembre 2007, Taliadorou et Stylianou, précité, § 25, Šikić, précité, §§ 42-47, et Çelik (Bozkurt) c. Turquie, no 34388/05, § 34, 12 avril 2011) ; et

i) la révocation du droit du requérant à un logement social (Vassilios Stavropoulos c. Grèce, no 35522/04, §§ 28-32, 27 septembre 2007).

99. Dans certaines de ces affaires, la Cour a conclu à l’applicabilité de l’article 6 § 2. Dans trois affaires anciennes, la Cour, expliquant pourquoi cette disposition s’appliquait malgré l’absence d’accusation pendante en matière pénale, a dit que les décisions sur le point de savoir si les intéressés avaient droit au remboursement de leurs frais et à une indemnité constituaient « le corollaire et le complément obligé » ou « le prolongement immédiat » de l’arrêt de la procédure pénale (Englert, précité, § 35, Nölkenbockhoff, précité, § 35, et Lutz, précité, § 56). De même, dans une série d’affaires postérieures, la Cour a conclu que la législation et la pratique autrichiennes « li[ai]ent (...) à tel point les deux questions – responsabilité pénale de l’accusé et droit à indemnité – que l’on [pouvait] considérer la décision sur la seconde comme un corollaire et, dans une certaine mesure, un complément de celle qui [avait] tranché la première », de sorte que l’article 6 § 2 était applicable à l’action en indemnisation (Sekanina, précité, § 22, Rushiti, précité, § 27, et Weixelbraun c. Autriche, no 33730/96, § 24, 20 décembre 2001).

100. Affinant cette idée dans des affaires ultérieures, la Cour a estimé que « non seulement l’action en réparation sui[vait] la procédure pénale dans le temps, mais [qu’]elle [était] également liée à celle-ci en droit comme en pratique, du point de vue tant de la compétence juridictionnelle que des questions à trancher », ce qui avait créé un lien entre les deux procédures, de sorte que l’article 6 § 2 trouvait à s’appliquer (O. c. Norvège, précité, § 38, et Hammern, précité, § 46).

101. Dans des affaires concernant le droit de la victime à être indemnisée par le requérant – qui avait préalablement été déclaré non coupable de l’accusation pénale en cause –, la Cour a dit que si la décision sur l’action civile devait renfermer une déclaration imputant une responsabilité pénale, cela aurait pour effet de créer entre les deux procédures un lien propre à faire entrer en jeu l’article 6 § 2 relativement à la décision sur la demande d’indemnisation (Ringvold, précité, § 38, Y c. Norvège, précité, § 42, et Orr, précité, § 49).

102. Plus récemment, la Cour a considéré qu’après l’abandon de poursuites pénales la présomption d’innocence exige de tenir compte, dans toute procédure ultérieure, de quelque nature qu’elle soit, du fait que l’intéressé n’a pas été condamné (Vanjak, précité, § 41, et Šikić, précité, § 47). Elle a également indiqué que le dispositif d’un jugement d’acquittement doit être respecté par toute autorité qui se prononce, de manière directe ou incidente, sur la responsabilité pénale de l’intéressé (Vassilios Stavropoulos, précité, § 39, Tendam, précité, § 37, et Lorenzetti, précité, § 46).

iii. Conclusion

103. La présente affaire porte sur l’application de la présomption d’innocence dans le cadre d’une procédure judiciaire consécutive à l’annulation par la Cour d’appel (chambre criminelle) (« la CA-CC ») de la condamnation de la requérante, annulation qui a donné lieu à un acquittement. Eu égard aux buts de l’article 6 § 2 examinés ci-dessus (paragraphes 92-94) et à l’approche qui se dégage de l’étude de sa jurisprudence, la Cour formule comme suit le principe de la présomption d’innocence dans ce contexte : la présomption d’innocence signifie que si une accusation en matière pénale a été portée et que les poursuites ont abouti à un acquittement, la personne ayant fait l’objet de ces poursuites est considérée comme innocente au regard de la loi et doit être traitée comme telle. Dans cette mesure, dès lors, la présomption d’innocence subsiste après la clôture de la procédure pénale, ce qui permet de faire respecter l’innocence de l’intéressé relativement à toute accusation dont le bien-fondé n’a pas été prouvé. Ce souci prépondérant se trouve à la base même de la façon dont la Cour conçoit l’applicabilité de l’article 6 § 2 dans ce type d’affaires.

104. Chaque fois que la question de l’applicabilité de l’article 6 § 2 se pose dans le cadre d’une procédure ultérieure, le requérant doit démontrer l’existence d’un lien – tel que celui évoqué plus haut – entre la procédure pénale achevée et l’action subséquente. Pareil lien peut être présent, par exemple, lorsque l’action ultérieure nécessite l’examen de l’issue de la procédure pénale et, en particulier, lorsqu’elle oblige la juridiction concernée à analyser le jugement pénal, à se livrer à une étude ou à une évaluation des éléments de preuve versés au dossier pénal, à porter une appréciation sur la participation du requérant à l’un ou à l’ensemble des événements ayant conduit à l’inculpation, ou à formuler des commentaires sur les indications qui continuent de suggérer une éventuelle culpabilité de l’intéressé.

105. Eu égard à la nature de la garantie – exposée ci-dessus – qu’offre l’article 6 § 2, le fait que l’article 133 de la loi de 1988 ait été adopté pour permettre à l’État défendeur de remplir ses obligations découlant de l’article 14 § 6 du PIDCP et qu’il soit libellé de façon quasi identique à ce dernier ainsi qu’à l’article 3 du Protocole no 7 à la Convention n’a pas pour conséquence, contrairement à ce que plaide le Gouvernement, de faire sortir l’action en indemnisation litigieuse du champ d’applicabilité de l’article 6 § 2. Ces deux derniers articles portent sur des aspects totalement distincts de la procédure pénale, et rien ne donne à penser que l’article 3 du Protocole no 7 ait été conçu pour étendre à une situation particulière des garanties générales telles que celles contenues à l’article 6 § 2 (voir, cependant, Maaouia c. France [GC], no 39652/98, §§ 36-37, CEDH 2000‑X). L’article 7 du Protocole no 7 précise en effet que les dispositions normatives du Protocole doivent être considérées comme des articles additionnels à la Convention, et que « toutes les dispositions de la Convention s’appliquent en conséquence ». Dès lors, on ne saurait affirmer que l’article 3 du Protocole no 7 constitue une sorte de lex specialis excluant l’application de l’article 6 § 2.

b) Application des principes généraux aux faits de la cause

106. La requérante ayant été inculpée d’homicide involontaire, la présomption d’innocence s’appliquait à cette infraction dès le moment de son inculpation. Si la protection offerte par la présomption d’innocence a cessé avec la condamnation de l’intéressée, non frappée d’appel à l’époque, elle a été rétablie lors de l’acquittement étant résulté ultérieurement de l’arrêt de la CA-CC (paragraphe 45 ci-dessus).

107. À ce stade de son analyse, la Cour a donc pour tâche de rechercher si, eu égard aux considérations formulées ci‑dessus (paragraphe 104), il existait un lien entre la procédure pénale achevée et l’action en indemnisation. Sur ce point, elle fait observer qu’une procédure relevant de l’article 133 de la loi de 1988 implique qu’une condamnation préalable ait été annulée. C’est de ce renversement ultérieur de la condamnation que découle le droit de demander une indemnisation pour erreur judiciaire. De plus, pour déterminer si les critères cumulatifs posés par l’article 133 sont remplis, le ministre et les juridictions appelés à statuer dans le cadre de la procédure de contrôle juridictionnel doivent tenir compte de l’arrêt rendu par la CA-CC. Seul l’examen de cette décision permet à ces autorités de déterminer si le renversement de la condamnation – qui dans le cas de la requérante en l’espèce a abouti à un acquittement – reposait sur des éléments nouveaux et si elle était révélatrice d’une erreur judiciaire.

108. La Cour constate donc que la requérante a démontré l’existence du lien requis entre la procédure pénale et l’action en indemnisation engagée par elle ultérieurement. En conséquence, l’article 6 § 2 trouvait à s’appliquer dans le cadre de la procédure relevant de l’article 133 de la loi de 1988, et il devait y assurer à la requérante un traitement compatible avec son innocence. Dès lors, la requête ne peut être rejetée en application de l’article 35 § 3 a) de la Convention pour incompatibilité ratione materiae avec les dispositions de la Convention.

109. Par ailleurs, la Cour estime que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. En conséquence, elle rejette l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Gouvernement et déclare le grief recevable.

C. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) La requérante

110. La requérante soutient que le refus d’une indemnisation lui ayant été opposé par la High Court et par la Cour d’appel reposait sur des motifs propres à faire naître des doutes quant à son innocence. Elle souligne notamment que la High Court a conclu qu’il subsistait « des éléments à charge convaincants » (paragraphe 31 ci-dessus) et que la Cour d’appel a déclaré que les éléments nouveaux « auraient peut-être conduit, s’ils avaient été examinés par le jury, à une conclusion différente » (paragraphe 33 ci‑dessus), qu’« il ne [faisait] aucun doute (...) que [l’arrêt] de la CA-CC ne signifi[ait] en rien qu’il ne subsistait plus de charges » (paragraphe 38 ci‑dessus) et que « rien ne permettait de dire, eu égard aux éléments nouveaux, qu’il n’y avait pas lieu de soumettre l’affaire à un jury » (paragraphe 39 ci-dessus). L’intéressée estime qu’il convient d’examiner ces commentaires à la lumière de la position générale concernant le droit à bénéficier d’une indemnité. Selon elle, il se dégage clairement de l’arrêt de la Cour d’appel qu’elle aurait pu être condamnée si elle avait été rejugée.

111. La requérante indique que la Cour a conclu dans un certain nombre d’arrêts que l’obligation faite à une personne de prouver son innocence emportait violation de l’article 6 § 2 (elle renvoie aux arrêts Capeau, Puig Panella et Tendam, tous précités). À ses yeux, si un État subordonne le versement d’une indemnité à l’établissement par l’intéressé de son innocence, la décision selon laquelle aucune indemnité n’est due implique forcément que l’État met en doute l’innocence de la personne concernée.

112. Enfin, la requérante estime qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour que même la simple expression de doutes quant à l’innocence d’une personne est incompatible avec l’article 6 § 2 après un acquittement (elle renvoie aux arrêts Sekanina, Rushiti et Diacenco, tous précités). Or son acquittement à elle reposerait clairement sur les éléments de fond de la cause, la CA‑CC ayant indiqué en annulant sa condamnation que la base de celle-ci avait été affaiblie au regard des faits et des éléments de preuve.

113. La requérante estime en conséquence que, dans le cadre de l’action en indemnisation engagée par elle, les juridictions ont remis en question son innocence. Elle invite la Cour à conclure à la violation de l’article 6 § 2.

b) Le Gouvernement

114. Selon le Gouvernement, il n’y a pas eu en l’espèce violation de l’article 6 § 2. L’article 133 de la loi de 1988 ne toucherait pas à la justesse de l’acquittement ou au droit du demandeur à être présumé innocent, et il ne méconnaîtrait donc pas la présomption d’innocence. On ne pourrait pousser l’interprétation des arrêts évoqués par la requérante, par exemple l’arrêt Rushiti (précité), jusqu’à faire dire à l’article 6 § 2 qu’une fois acquittée, une personne devrait toujours et à tous égards être traitée comme étant réellement innocente. Pareille interprétation ne se concilierait pas avec l’article 3 du Protocole no 7 ni avec la jurisprudence de la Cour sur la compatibilité avec l’article 6 § 2 d’une procédure civile engagée à raison des mêmes faits (le Gouvernement renvoie à l’arrêt Y c. Norvège, précité).

115. Dans de précédentes affaires concernant des actions en indemnisation, notamment celles mentionnées par la requérante, ce qui aurait posé problème à la Cour c’est que le refus d’indemniser n’avait laissé aucun doute sur le fait que cette décision reposait sur une présomption de culpabilité ; les termes employés seraient allés au-delà de simples soupçons ou suppositions. Or semblable problème ne se poserait pas pour les refus d’indemniser en vertu de l’article 133 de la loi de 1988 en général ou pour le refus spécifique opposé à la requérante. Le refus d’indemniser serait compatible avec l’article 6 § 2, sous réserve qu’il ressorte clairement des termes employés qu’aucune culpabilité ne peut être imputée à l’intéressé (le Gouvernement renvoie à l’arrêt A.L. c. Allemagne, précité).

116. Enfin, le Gouvernement évoque la jurisprudence de la Cour sur le fonctionnement de la présomption d’innocence dans le cadre de procédures civiles ou disciplinaires (il mentionne les arrêts Šikić, Vanjak et Bok, tous précités). Cette jurisprudence confirmerait que la Cour adopte une approche souple quant à la portée de la présomption d’innocence en dehors du cadre pénal et qu’elle se montre sensible à la nécessité de veiller à l’effectivité des procédures civiles et disciplinaires.

117. Le Gouvernement estime en conséquence que rien dans les décisions rendues par les juridictions internes n’a affaibli ou remis en question l’acquittement de la requérante. Il invite donc la Cour à conclure à l’absence de violation de l’article 6 § 2 en l’espèce.

2. L’appréciation de la Cour

118. La Cour observe que la présente affaire ne porte pas sur la conformité du système d’indemnisation instauré par l’article 133 de la loi de 1988 avec l’article 3 du Protocole no 7, instrument que l’État défendeur n’a pas ratifié (paragraphe 70 ci-dessus). Dès lors, la Cour n’a pas à rechercher si l’article 3 du Protocole no 7 a été respecté ; elle n’a pas non plus à apprécier l’interprétation donnée par l’État défendeur à l’expression « erreur judiciaire » figurant dans cet article, sauf si ladite interprétation peut passer pour incompatible avec la présomption d’innocence consacrée par l’article 6 § 2.

119. Comme indiqué ci-dessus, une fois établie l’existence d’un lien entre les deux procédures, la Cour doit déterminer si, eu égard à l’ensemble des circonstances de la cause, la présomption d’innocence a été respectée. Il convient donc d’analyser d’abord l’approche adoptée par la Cour dans l’examen au fond de précédentes affaires du même type.

a) L’approche de la Cour dans des précédents comparables

120. Dans Minelli (arrêt précité), une affaire ancienne qui portait sur une décision de justice par laquelle le requérant s’était vu ordonner de rembourser une partie des frais de procédure après la clôture des poursuites, la Cour a énoncé comme suit le principe applicable :

« 37. Aux yeux de la Cour, la présomption d’innocence se trouve méconnue si, sans établissement légal préalable de la culpabilité d’un prévenu et, notamment, sans que ce dernier ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense, une décision judiciaire le concernant reflète le sentiment qu’il est coupable. Il peut en aller ainsi même en l’absence de constat formel ; il suffit d’une motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable. (...) »

121. Dans les premières affaires qu’elle a eu à traiter concernant des demandes formées par d’anciens accusés en vue d’obtenir une indemnité ou le remboursement des frais de leur défense, la Cour s’est appuyée sur le principe posé dans Minelli, expliquant qu’une décision refusant à un « accusé », après l’arrêt des poursuites, le remboursement de ses frais et dépens nécessaires ou une réparation pour détention provisoire pouvait soulever un problème sous l’angle de l’article 6 § 2 si des motifs indissociables du dispositif équivalaient en substance à un constat de culpabilité sans établissement légal préalable de celle-ci et, notamment, sans que l’intéressé ait eu l’occasion d’exercer les droits de la défense (Englert, précité, § 37, Nölkenbockhoff, précité, § 37, et Lutz, précité, § 60). Dans ces trois affaires, des poursuites antérieures avaient abouti à une décision de clôture mais non d’acquittement. En concluant à la non-violation de l’article 6 § 2, la Cour a expliqué que les juridictions nationales avaient décrit un « état de suspicion » et que leurs décisions ne contenaient aucun constat de culpabilité.

122. Dans l’affaire Sekanina, examinée ultérieurement, la Cour a établi une distinction entre les cas où il y a eu abandon des poursuites et ceux où un jugement d’acquittement définitif a été rendu, précisant que l’expression de soupçons sur l’innocence d’un accusé se concevait tant que la clôture des poursuites pénales n’emportait pas décision sur le bien-fondé de l’accusation, mais que l’on ne pouvait s’appuyer à bon droit sur de tels soupçons après un acquittement devenu définitif (Sekanina, précité, § 30). Il apparaît ainsi que le principe qui se dégage de Sekanina tend à limiter le principe établi dans Minelli aux affaires où il y a eu abandon des poursuites. La jurisprudence montre que dans les affaires de ce type le principe issu de Minelli est invariablement cité comme étant le principe général applicable (Leutscher, précité, § 29, Mulaj et Sallahi, décision précitée, Baars, précité, §§ 26-27, Capeau, précité, § 22, A.L. c. Allemagne, précité, § 31, Panteleyenko, précité, § 67, et Grabtchouk, précité, § 42). La distinction, établie dans Sekanina, entre les cas de clôture des poursuites et les cas d’acquittement a été appliquée à la plupart des affaires postérieures concernant des jugements d’acquittement (voir, par exemple, Rushiti, précité, § 31, Lamanna c. Autriche, no 28923/95, § 38, 10 juillet 2001, Weixelbraun, précité, § 25, O. c. Norvège, précité, § 39, Hammern, précité, § 47, Yassar Hussain, précité, §§ 19 et 23, Tendam, précité, §§ 36-41, Ashendon et Jones, précité, §§ 42 et 49, et Lorenzetti, précité, §§ 44-47 ; voir, cependant, les arrêts Del Latte et Bok, précités).

123. Dans des affaires relatives à des actions civiles en réparation engagées par des victimes, indépendamment du point de savoir si les poursuites avaient débouché sur une décision de clôture ou une décision d’acquittement, la Cour a souligné que si l’acquittement prononcé au pénal devait être respecté dans le cadre de la procédure en réparation, cela ne mettait pas obstacle à l’établissement, sur la base de critères de preuve moins stricts, d’une responsabilité civile emportant obligation de verser une indemnité à raison des mêmes faits. Elle a ajouté toutefois que si la décision interne sur l’action civile devait renfermer une déclaration imputant une responsabilité pénale à la partie défenderesse, cela poserait une question sur le terrain de l’article 6 § 2 de la Convention (Ringvold, précité, § 38, Y c. Norvège, précité, §§ 41-42, Orr, précité, §§ 49 et 51, et Diacenco, précité, §§ 59-60). Cette approche a également été suivie dans des affaires concernant des actions civiles engagées par des personnes acquittées contre des compagnies d’assurances (décisions Lundkvist et Reeves, précitées).

124. Dans des affaires portant sur des procédures disciplinaires, la Cour a admis qu’il n’y avait pas automatiquement violation de l’article 6 § 2 lorsqu’un requérant était déclaré coupable d’une infraction disciplinaire à raison de faits identiques à ceux visés dans une accusation pénale antérieure n’ayant pas abouti à une condamnation. Elle a souligné que les organes disciplinaires avaient le pouvoir et la capacité d’établir de manière indépendante les faits des causes portées devant eux et que les éléments constitutifs des infractions pénales et ceux des infractions disciplinaires n’étaient pas identiques (Vanjak, précité, §§ 69-72, et Šikić, précité, §§ 54‑56).

125. L’examen ci-dessus de la jurisprudence de la Cour concernant l’article 6 § 2 fait apparaître qu’il n’existe pas une manière unique de déterminer les circonstances dans lesquelles il y a violation de cette disposition dans le contexte d’une procédure postérieure à la clôture d’une procédure pénale. Comme le montre la jurisprudence de la Cour, les choses dépendent largement de la nature et du contexte de la procédure dans le cadre de laquelle la décision litigieuse a été adoptée.

126. Dans tous les cas, et indépendamment de l’approche adoptée, les termes employés par l’autorité qui statue revêtent une importance cruciale lorsqu’il s’agit d’apprécier la compatibilité avec l’article 6 § 2 de la décision et du raisonnement suivi (voir, par exemple, Y c. Norvège, précité, §§ 43‑46, O. c. Norvège, précité, §§ 39-40, Hammern, précité, §§ 47-48, Baars, précité, §§ 29-31, Reeves, décision précitée, Panteleyenko, précité, § 70, Grabtchouk, précité, § 45, et Konstas c. Grèce, no 53466/07, § 34, 24 mai 2011). Ainsi, dans une affaire où la juridiction nationale avait déclaré qu’il était « clairement probable » que le requérant avait « commis les infractions (...) dont il [avait] été accusé », la Cour a considéré que la juridiction en question avait outrepassé le cadre civil et ainsi jeté un doute sur le bien-fondé de l’acquittement (Y c. Norvège, précité, § 46 ; voir aussi Orr, précité, § 51, et Diacenco, précité, § 64). De même, dans une affaire où la juridiction nationale avait estimé que le dossier pénal contenait suffisamment d’éléments de preuve pour établir qu’une infraction pénale avait été commise, la Cour a jugé que les termes utilisés avaient méconnu la présomption d’innocence (Panteleyenko, précité, § 70). Il est également des affaires où la Cour a expressément indiqué dans son arrêt que les soupçons de culpabilité n’avaient pas été dissipés et conclu à la violation de l’article 6 § 2 (voir, par exemple, Sekanina, précité, §§ 29-30, et Rushiti, précité, §§ 30-31). Cela étant, lorsque l’on tient compte de la nature et du contexte de la procédure en question, même l’usage de termes malencontreux peut ne pas être déterminant (paragraphe 125 ci-dessus). La jurisprudence de la Cour fournit quelques exemples d’affaires où il a été conclu à la non-violation de l’article 6 § 2 alors même que les formules employées par les autorités et les juridictions nationales étaient critiquées par la Cour (Reeves, décision précitée, et A.L. c. Allemagne, précité, §§ 38‑39).

b) Sur le point de savoir si le droit de la requérante à être présumée innocente a été respecté en l’espèce

127. Pour bien cerner le contexte général de la présente affaire, il faut tenir compte du fait que la condamnation de la requérante a été annulée par la CA-CC au motif qu’elle « ne repos[ait] pas sur des bases solides », la haute juridiction ayant estimé que les éléments nouveaux, s’ils avaient été connus lors du procès, auraient pu influer sur la décision du jury (paragraphe 20 ci‑dessus). La CA-CC n’a pas apprécié elle-même l’ensemble des preuves, à la lumière des éléments nouveaux, aux fins de déterminer si la culpabilité était établie au-delà de tout doute raisonnable. Elle a résolu de ne pas ordonner le réexamen de l’affaire, car la requérante avait déjà purgé sa peine d’emprisonnement au moment de l’annulation de sa condamnation (paragraphes 21, 26 et 34 ci-dessus). En application de l’article 2 § 3 de la loi de 1968 sur les appels en matière pénale, l’annulation en question a débouché sur l’enregistrement d’une sentence d’acquittement (paragraphe 45 ci-dessus). Cependant, aux yeux de la Cour, l’acquittement de la requérante n’était pas à proprement parler un acquittement « sur le fond » (voir également, à titre de comparaison, les affaires Sekanina et Rushiti (arrêts précités), dans lesquelles l’acquittement reposait sur le principe voulant que tout doute raisonnable doit profiter à l’accusé). En ce sens, bien qu’il s’agisse formellement d’un acquittement, on peut considérer que l’issue qu’a connue la procédure pénale dirigée contre la requérante en l’espèce rapproche celle-ci des affaires où il y a eu abandon des poursuites (voir, par exemple, Englert, Nölkenbockhoff et Lutz, tous précités, Mulaj et Sallahi, décision précitée, Roatis c. Autriche (déc.), no 61903/00, 27 juin 2002, et Fellner c. Autriche (déc.), no 64077/00, 10 octobre 2002).

128. Il importe également de souligner que l’article 133 de la loi de 1988 exige, pour qu’il y ait un droit à indemnisation, que certains critères bien définis soient remplis. Il faut, en résumé, que le demandeur ait été condamné, qu’il ait subi une peine à raison de cette condamnation et qu’un appel tardif ait été accueilli au motif qu’un fait nouveau montre au-delà de tout doute raisonnable qu’il s’est produit une erreur judiciaire. Ces critères, en dehors de quelques différences linguistiques mineures, correspondent à ceux de l’article 3 du Protocole no 7 à la Convention, lequel doit pouvoir s’interpréter de manière compatible avec l’article 6 § 2. La Cour constate dès lors que rien dans les critères eux-mêmes ne remet en question l’innocence d’une personne acquittée et que la législation elle-même n’exige aucune appréciation de la culpabilité pénale de l’intéressée.

129. La Cour observe par ailleurs que dans l’État défendeur la possibilité d’être indemnisé après un acquittement est considérablement limitée par les critères posés à l’article 133 de la loi de 1988. Il est clair qu’un acquittement prononcé dans le cadre d’un appel interjeté dans les délais ne ferait naître aucun droit à indemnisation au titre de l’article 133. De même, un acquittement prononcé en appel au motif que le jury a reçu des instructions inadéquates ou qu’ont été pris en compte des éléments de preuve inéquitables ne répondrait pas aux critères énoncés à l’article 133. C’est aux juridictions nationales qu’il revient d’interpréter la loi afin de traduire dans les faits la volonté du législateur et, pourvu qu’elles ne remettent pas en question l’innocence de la personne concernée, elles sont fondées dans cet exercice à conclure qu’il faut plus qu’un acquittement pour établir l’existence d’une « erreur judiciaire ». Dès lors, la Cour n’a pas à se pencher sur les interprétations divergentes données de cette expression par les juges de la Chambre des lords dans l’affaire R. (Mullen) et, après le prononcé de l’arrêt de la Cour d’appel en l’espèce, par les juges de la Cour suprême dans l’affaire Adams. Ce que la Cour doit examiner, c’est le point de savoir si, eu égard à la nature de la tâche qui était celle des juridictions nationales, et dans le contexte lié à la décision d’annulation de la condamnation litigieuse (paragraphe 127 ci-dessus), les termes employés par ces juridictions étaient compatibles avec la présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2.

130. Concernant la nature de la tâche des tribunaux, il est clair que pour déterminer si les critères posés par l’article 133 étaient satisfaits les juridictions nationales devaient se référer à l’arrêt de la CA-CC ayant annulé la condamnation, afin d’établir les motifs de l’acquittement et de définir dans quelle mesure il était possible d’affirmer qu’un fait nouveau avait montré au-delà de tout doute raisonnable qu’il s’était produit une erreur judiciaire. En ce sens, le contexte de la procédure a obligé la High Court, et plus tard la Cour d’appel, à apprécier l’arrêt de la CA-CC à la lumière des critères posés par l’article 133.

131. Pour ce qui est de l’arrêt de la High Court, la Cour observe que le juge a analysé la conclusion de la CA-CC et estimé qu’elle n’était pas « compatible avec l’affirmation selon laquelle à l’issue d’un nouveau procès (...) le juge du fond aurait été contraint d’inviter le jury à acquitter l’intéressée » (paragraphe 25 ci-dessus). Après avoir examiné les affaires concernant des demandes d’indemnisation au titre de l’article 133 précédemment portées devant les tribunaux, le juge a considéré que l’on s’éloignait des termes de l’article 133 si l’on disait d’une affaire dans laquelle un jury aurait pu parvenir à une conclusion différente qu’elle montre au-delà de tout doute raisonnable qu’il s’est produit une erreur judiciaire (paragraphe 30 ci-dessus). Dans le cas de la requérante, il a jugé que les témoignages des médecins entendus par la CA-CC et par le jury démontraient qu’il existait en l’occurrence des « éléments à charge convaincants » et que c’était au jury qu’il serait revenu de trancher la question (paragraphe 31 ci-dessus). Le juge a conclu que la CA-CC s’était bornée à dire que les éléments nouveaux « [avaient] fait surgir la possibilité » que, si on les avait combinés avec les éléments soumis lors du procès, un jury « [aurait] peut-être [été] fondé à prononcer un acquittement ». Pour le juge, on était là bien loin de la démonstration au‑delà de tout doute raisonnable qu’il se serait produit une erreur judiciaire dans cette affaire (paragraphe 32 ci-dessus).

132. La Cour d’appel a commencé elle aussi par se référer aux termes de la décision d’annulation de la condamnation. Elle a expliqué que la CA-CC avait décidé que les éléments désormais disponibles « auraient peut-être conduit, s’ils avaient été examinés par le jury, à une conclusion différente » (paragraphe 33 ci-dessus). Elle a déclaré ensuite que la décision de la CA‑CC « ne signifi[ait] en rien » qu’il ne subsistait plus de charges contre l’appelante, et que « rien ne permettait de dire », eu égard aux éléments nouveaux, qu’il n’y avait pas lieu de soumettre l’affaire à un jury (paragraphes 38-39 ci-dessus).

133. Il est vrai qu’en recherchant si les faits de la présente cause relevaient de la notion d’« erreur judiciaire », tant la High Court que la Cour d’appel ont évoqué les interprétations divergentes que Lord Bingham et Lord Steyn avaient données de cette expression lors de l’examen de l’affaire Mullen par la Chambre des lords. Lord Steyn ayant estimé qu’il ne pouvait y avoir erreur judiciaire que dans le cas où l’innocence aurait été établie au-delà de tout doute raisonnable, un débat devait nécessairement avoir lieu sur la question de l’innocence et sur le point de savoir dans quelle mesure un arrêt de la CA‑CC annulant une condamnation pouvait passer pour démontrer de façon générale l’innocence de l’intéressé. À cet égard, la Chambre des lords a fait référence au Rapport explicatif du Protocole no 7 à la Convention, qui explique que pour les auteurs de l’article 3 de cet instrument le but était d’obliger les États à verser une indemnité uniquement dans les cas où il était reconnu que la personne concernée était « clairement innocente » (paragraphe 72 ci-dessus). Il est parfaitement compréhensible qu’en cherchant à établir le sens d’un concept législatif aussi ambigu que celui d’« erreur judiciaire », qui trouve ses origines dans des dispositions d’instruments internationaux – l’article 14 § 6 du PIDCP et l’article 3 du Protocole no 7 à la Convention –, les juges nationaux renvoient à la jurisprudence internationale relative à ces dispositions et aux travaux préparatoires qui exposent la conception de leurs rédacteurs. Cependant, le Rapport explicatif du Protocole no 7 lui-même indique que, s’il vise à faciliter la compréhension des dispositions contenues dans le Protocole, il ne constitue pas pour autant un instrument d’interprétation authentique du texte (paragraphe 71 ci-dessus). Les références du rapport à la nécessité de démontrer l’innocence doivent désormais être considérées comme étant dépassées par la jurisprudence de la Cour relative à l’article 6 § 2. Par ailleurs, et ce point revêt une importance capitale, ni la High Court ni la Cour d’appel n’ont estimé dans leurs décisions que la requérante devait satisfaire au critère énoncé par Lord Steyn, c’est-à-dire démontrer son innocence. La High Court, en particulier, a souligné que les faits à l’origine de l’affaire Mullen étaient fort éloignés de ceux de la cause de la requérante et que la ratio decidendi retenue dans la première affaire n’aidait guère à statuer dans celle de l’intéressée (paragraphe 27 ci-dessus).

134. La Cour estime que, considérés dans le cadre de l’exercice auquel les juridictions nationales avaient été appelées à se livrer, les termes employés par celles-ci ne peuvent passer pour avoir remis en cause l’acquittement de la requérante ou constitué un traitement incompatible avec l’innocence de l’intéressée. Les juridictions se sont concentrées – comme il leur incombait en vertu de l’article 133 de la loi de 1988 – sur la nécessité de déterminer s’il s’était ou non produit une « erreur judiciaire ». Dans le cadre de cette appréciation, elles n’ont pas formulé de commentaires sur la question de savoir, sur la base des éléments connus lors de la procédure d’appel, si l’intéressée devait être acquittée ou condamnée, ou s’il était probable qu’elle le fût. De même, elles n’ont pas émis de remarques sur le point de savoir si les éléments de preuve allaient dans le sens de la culpabilité de la requérante ou plutôt dans celui de son innocence. Elles se sont bornées à admettre les conclusions de la CA-CC, qui elle-même s’était penchée sur la question de savoir si à l’époque, à supposer que les éléments nouveaux eussent été présentés avant ou pendant le procès, il y aurait encore eu des charges contre l’intéressée. Elles ont invariablement répété que, si un réexamen de l’affaire avait été ordonné, la tâche d’apprécier les éléments nouveaux serait revenue à un jury (paragraphes 31, 33 et 38-39 ci-dessus).

135. À cet égard, la Cour souligne que, d’après le droit anglais de la procédure pénale, c’est au jury qu’il incombe, dans un procès sur acte d’accusation, d’évaluer les éléments à charge et de statuer sur la culpabilité de l’accusé. Le rôle de la CA-CC dans la cause de la requérante a consisté à rechercher si la condamnation reposait ou non sur des « bases solides », au sens de l’article 2 § 1 a) de la loi de 1968 (paragraphe 43 ci-dessus), et non à se substituer au jury pour déterminer, au vu des éléments désormais disponibles, si la culpabilité de l’intéressée avait été établie au-delà de tout doute raisonnable. La décision de ne pas ordonner un réexamen de l’affaire a épargné à la requérante le stress et l’anxiété que lui aurait causés un autre procès. L’intéressée n’a du reste pas plaidé que l’affaire aurait dû être réexaminée. La High Court et la Cour d’appel se sont l’une et l’autre amplement référées à l’arrêt de la CA-CC pour rechercher s’il s’était produit une erreur judiciaire, et aucune des deux n’a cherché à formuler de conclusions autonomes sur le dénouement de l’affaire. Ces juridictions n’ont pas remis en question la conclusion de la CA-CC selon laquelle la condamnation ne reposait pas sur des bases solides ; elles n’ont pas non plus laissé entendre que la CA-CC avait mal apprécié les éléments portés à sa connaissance. Elles ont accepté tels quels les constats de la CA-CC et se sont appuyées sur ceux-ci, sans les modifier ni les réévaluer, pour déterminer si les critères posés à l’article 133 de la loi de 1988 étaient remplis.

136. Dans ces conditions, la Cour considère que les arrêts rendus par la High Court et la Cour d’appel dans la cause de la requérante ne révèlent aucun manquement à la présomption d’innocence dont l’intéressée bénéficie relativement à l’accusation d’homicide involontaire dont elle a été acquittée. Elle conclut dès lors à l’absence de violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête recevable ;

2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 2 de la Convention.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des droits de l’homme, à Strasbourg, le 12 juillet 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.

Michael O’BoyleDean Spielmann
Greffier adjointPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge De Gaetano.

D.S.
M.O’B.

OPINION SÉPARÉE DU JUGE DE GAETANO

(Traduction)

1. Je souscris dans cette affaire au constat de non-violation de l’article 6 § 2 de la Convention. L’arrêt n’a toutefois pas résolu la question – peut-être la plus importante du point de vue d’une juridiction nationale – de savoir ce qui peut et ce qui ne peut pas être dit dans le cadre d’une action civile en réparation fondée sur les faits mêmes qui ont donné lieu à la procédure pénale ou à l’instruction.

2. Dans l’affaire Ashendon et Jones c. Royaume-Uni (révision) (nos 35730/07 et 4285/08, 15 décembre 2011), j’avais exprimé l’espoir que la Cour réévaluerait un jour l’article 6 § 2, eu égard notamment aux difficultés que notre jurisprudence a fait naître pour les juridictions nationales dans le traitement des procédures ultérieures à un acquittement. Or en l’espèce la majorité a opté pour une simple compilation des affaires (paragraphe 98 e) de l’arrêt) et pour les déclarations générales contenues aux paragraphes 101,102 et 123 de l’arrêt.

3. Déclarer que tout dépend du point de savoir si « la décision interne sur l’action civile [renferme] une déclaration imputant une responsabilité pénale à la partie défenderesse » (paragraphe 123 de l’arrêt) – ce qui en fait signifie « tout dépend de ce que vous dites et de la manière dont vous le dites » – revient tout simplement à jouer avec les mots et n’apporte absolument aucune aide. Cela équivaut à dire que « [l]a question de savoir si les motifs [exposés dans le jugement civil] soulèvent un problème sous l’angle de l’article 6 § 2 doit être examinée dans le contexte de l’ensemble de la procédure et de ses particularités » (Reeves c. Norvège (déc.), no 4248/02, 8 juillet 2004).

4. En réalité, dans la plupart des actions civiles en réparation qui suivent un acquittement prononcé au terme d’une procédure pénale (ou, en fait, lorsqu’il n’y a pas eu de poursuites du tout), pour statuer en faveur du demandeur et contre le défendeur la juridiction nationale doit constater non seulement que l’élément matériel (actus reus) de l’infraction a été commis par le défendeur, mais aussi que l’élément intentionnel ou moral (mens rea) de cette infraction était présent. Il est vrai que dans le cadre d’une procédure civile le critère de la preuve sera moins strict que dans le cadre d’une procédure pénale – critère de la plus forte probabilité, et non de la preuve au-delà de tout doute raisonnable –, mais cela ne veut pas vraiment dire grand-chose en ce qui concerne la perception du public quant à la culpabilité ou à l’innocence, et donc quant à l’existence d’une responsabilité pénale ou à l’absence de celle-ci. Cette question a été très clairement mise en évidence dans l’opinion dissidente du juge Costa jointe à l’arrêt Ringvold c. Norvège (no 34964/97, CEDH 2003-II). Dans cette affaire, en fait, deux juges avaient adopté des positions diamétralement opposées sur les mêmes passages d’un arrêt de la Cour suprême norvégienne. L’opinion concordante de la juge Tulkens reflète l’approche théorique – oserais-je dire académique – de la question de l’article 6 § 2 dans une procédure civile consécutive, tandis que l’opinion dissidente du juge Costa est un rappel vigoureux de la réalité pragmatique : « Le juge pénal (...) dit [au requérant] qu’il est acquitté du chef de l’infraction qui lui était imputée, mais le juge civil vient ensuite lui dire (sur la base des mêmes faits) qu’il est clair qu’il l’a commise, et le condamne à payer une indemnité à la victime. »

5. Je continue à avoir du mal à concilier l’arrêt Ringvold avec l’arrêt rendu ultérieurement dans l’affaire Orr c. Norvège (no 31283/04, 15 mai 2008). Le présent arrêt n’allège en rien cette difficulté. Je continue de penser que l’article 6 § 2 n’a pas sa place dans le contexte des actions civiles en réparation, que ce soit à la suite d’un acquittement prononcé au terme d’une procédure pénale ou lorsqu’aucune procédure pénale n’a jamais été engagée.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-122875
Date de la décision : 12/07/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6-2 - Présomption d'innocence)

Parties
Demandeurs : ALLEN
Défendeurs : ROYAUME-UNI

Composition du Tribunal
Avocat(s) : STEPHENSONS

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

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