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28/06/2013 | CEDH | N°001-122287

CEDH | CEDH, AFFAIRE FABRIS c. FRANCE, 2013, 001-122287


GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE FABRIS c. FRANCE

(Requête no 16574/08)

ARRÊT

(Satisfaction équitable - radiation)

STRASBOURG

28 juin 2013

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Fabris c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Françoise Tulkens,
Nina Vajić,
Lech Garlicki,
Karel Jungwiert,
Elisabeth Steiner,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Dragolju

b Popović,
George Nicolaou,
András Sajó,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
André Potoc...

GRANDE CHAMBRE

AFFAIRE FABRIS c. FRANCE

(Requête no 16574/08)

ARRÊT

(Satisfaction équitable - radiation)

STRASBOURG

28 juin 2013

Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Fabris c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en une Grande Chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Françoise Tulkens,
Nina Vajić,
Lech Garlicki,
Karel Jungwiert,
Elisabeth Steiner,
Alvina Gyulumyan,
Egbert Myjer,
Dragoljub Popović,
George Nicolaou,
András Sajó,
Ledi Bianku,
Nona Tsotsoria,
Işıl Karakaş,
Guido Raimondi,
Paulo Pinto de Albuquerque,
André Potocki, juges,
et de Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 5 juin 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 16574/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet Etat, M. Henry Fabris («le requérant»), a saisi la Cour le 1er avril 2008 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »). Le requérant est représenté par Me A. Ottan, avocat à Lunel. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

2. Par un arrêt du 7 février 2013 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que la différence de traitement subie par le requérant, enfant « adultérin », vis-à-vis de son demi-frère et de sa demi-sœur légitimes, quant à leurs droits successoraux, et en particulier ceux auxquels le premier pouvait prétendre en vertu de la loi du 3 décembre 2001, était dénuée de justification objective et raisonnable, ce qui constitue une violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 (Fabris c. France [GC], no 16574/08).

3. En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, le requérant réclamait une satisfaction équitable de 128 550,75 euros (EUR), correspondant au montant de la part successorale qui lui serait revenue s’il avait été traité à égalité avec son demi-frère et sa demi-sœur, augmentée des intérêts légaux. Il demandait également 30 000 EUR au titre du préjudice moral et 20 946 EUR au titre des frais et dépens.

4. La question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvant pas en état, la Cour l’a réservée et a invité le Gouvernement et le requérant à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (ibidem, § 85, et point 3 du dispositif).

5. Le 3 mai 2013, le Gouvernement a informé la Cour de « l’accord intervenu entre les parties pour un montant total de 165 097,77 EUR destiné à réparer l’ensemble des préjudices matériel et moral subis par M. Fabris ainsi que les frais et dépens engagés par ce dernier consécutivement à la violation de l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 1 du Protocole no 1 constatée par la Cour dans son arrêt du 7 février 2013 ». Il a envoyé la déclaration suivante signée par le requérant le 2 mai 2013 :

« M. Henry Fabris déclare accepter la somme de 165 097,77 euros (cent soixante- cinq mille quatre-vingt-dix-sept euros et soixante-dix-sept centimes) » que le gouvernement français offre de verser en vue de l’indemnisation de l’ensemble des préjudices ainsi que des frais et dépens ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la détermination de la satisfaction équitable ».

EN DROIT

6. Le 3 mai 2013, la Cour a reçu le texte du règlement amiable conclu entre le Gouvernement et le requérant et portant sur les demandes de ce dernier au titre de l’article 41 de la Convention.

7. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle constate qu’il revêt un caractère équitable au sens de l’article 75 § 4 du règlement de la Cour et s’inspire du respect des droits de l’homme tels que les reconnaissent la Convention et ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement). En conséquence, elle estime approprié de rayer le restant de l’affaire du rôle (articles 37 § 1 b) de la Convention et 43 § 3 du règlement de la Cour).

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

Décide, par seize voix contre une, de rayer le restant de l’affaire du rôle.

Fait en français et en anglais, puis communiqué par écrit le 28 juin 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Johan CallewaertJosep Casadevall
Adjoint au GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l’exposé de l’opinion séparée du juge Pinto de Albuquerque.

J.C.M.
J.C.

OPINION DISSIDENTE DU JUGE
PINTO DE ALBUQUERQUE

(Traduction)

Les Etats parties sont tenus de se conformer aux normes fixées par la jurisprudence de la Cour, même s’ils n’ont pas été concernés par tel ou tel différend ayant nourri la jurisprudence. Telle est la grande leçon à tirer de l’arrêt Fabris. En fait, l’Etat défendeur a lui-même quelquefois fourni des exemples louables de ce type de bonne conduite : en témoignent la réaction qu’a eue le Conseil d’Etat français après le prononcé de l’arrêt Moustaquim c. Belgique, lorsqu’en 1991 il a modifié sa jurisprudence sur l’expulsion des étrangers, ou, plus récemment, en avril 2011, la réaction de la Cour de cassation à l’arrêt Salduz c. Turquie (2008) sur la question de l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Rappelons que dans ce second cas la Cour de cassation, siégeant dans sa formation la plus solennelle, a déclaré : « les Etats adhérents à [la] Convention sont tenus de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ».

L’arrêt litigieux de la Cour de cassation du 14 novembre 2007 constitue un fait internationalement illicite dont les effets ont porté atteinte au droit du requérant à ne pas subir de discrimination et à hériter d’une part des biens de sa mère. Le devoir de l’Etat défendeur de mettre fin à cette discrimination et de reconnaître le droit du requérant aurait dû être inscrit dans l’ordre juridique national au sein duquel il y a eu atteinte à ce droit. Or ce n’est pas le résultat auquel aboutit l’accord amiable proposé.

Dès lors que l’Etat défendeur avait l’obligation, depuis Mazurek, de faire cesser sur-le-champ toute violation semblable dans une procédure pendante, notamment dans l’action en réduction qu’avait intentée M. Fabris et qui était alors pendante, et que le « droit interne de la Haute Partie contractante » évoqué à l’article 41 ne peut faire obstacle à l’obligation de mettre fin sur-le-champ au comportement illicite, l’Etat défendeur ne pouvait pas choisir de maintenir le traitement discriminatoire à l’égard des enfants nés hors mariage et verser une indemnité au requérant, au lieu de faire cesser la discrimination en cause et d’accorder la réduction de la donation-partage en vertu du principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage.

L’obligation de mettre fin à un fait judiciaire internationalement illicite vise à faire cesser une violation du droit international et à garantir que la règle sous-jacente qui se trouve enfreinte demeure valable et continue à produire ses effets. Cette obligation englobe aussi les situations dans lesquelles un Etat a violé la même règle à plusieurs reprises, avec le risque de répétition à l’avenir (commentaires relatifs à l’article 30 des Articles sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement illicite, adoptés par la Commission du droit international en 2001). La cessation de la violation n’est pas une question qui est laissée à la discrétion de la partie lésée, car la violation doit cesser même si la partie lésée ne l’exige pas. De plus, la cessation de la violation ne peut faire l’objet de restrictions ayant trait à la proportionnalité. Il faut veiller au respect de la règle qui a été violée, en particulier si l’atteinte prend la forme d’un acte judiciaire émanant de la plus haute juridiction de l’Etat fautif.

En l’espèce, l’arrêt de la Cour de cassation du 14 novembre 2007 a porté atteinte au principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage. Avec le règlement amiable proposé, le fait judiciaire internationalement illicite (c’est-à-dire l’arrêt susmentionné de la Cour de cassation) demeurera valable, et ainsi le principe d’égalité n’aura pas été dûment protégé.

La pleine exécution de l’arrêt de Grande Chambre aurait appelé une autre réaction de la part de l’Etat défendeur. Pour atteindre ce but, l’arrêt aurait dû avoir trois conséquences concrètes : premièrement, l’Etat défendeur aurait dû se pencher sur l’arrêt litigieux de la Cour de cassation du 14 novembre 2007 et instaurer, s’il n’en avait pas encore, une procédure en révision des jugements civils propre à mettre fin à la discrimination en question et à la violation consécutive de la Convention européenne des droits de l’homme ; deuxièmement, les juridictions nationales auraient dû procéder au partage ex novo des biens de Mme M., avec une réduction de la donation-partage effectuée en 1970, afin de protéger la part réservataire du requérant, conformément à l’article 922 du code civil français ; troisièmement, l’Etat défendeur aurait dû réexaminer la disposition de la loi du 3 décembre 2001 qui prévoit que les successions ouvertes au 4 décembre 2001 sont régies selon le principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage, excepté s’il y a eu partage des biens avant cette date. Aucune de ces conséquences ne dépend de la volonté de la partie lésée, puisqu’il s’agit d’effets juridiques découlant obligatoirement de l’arrêt de la Grande Chambre du 7 février 2013. Le fait que l’arrêt de la Cour de cassation du 14 novembre 2007 demeure valable, de même dès lors que le partage discriminatoire des biens de Mme M., et, pire, que l’article 25 § 2 de la loi du 3 décembre 2001 reste applicable, permettant un traitement discriminatoire à l’égard des enfants nés hors mariage dans les successions ouvertes au 4 décembre 2001 si le partage a été effectué avant cette date, n’est pas conforme à l’arrêt susmentionné de la Grande Chambre et témoigne donc d’un grave irrespect envers l’autorité de la Cour.

Pour dire les choses simplement, l’Etat défendeur ne peut pas se contenter de verser une indemnité au titre de la situation continue de discrimination juridique subie par M. Fabris dans le cadre de l’ordre juridique interne ; au lieu de cela, il doit offrir au requérant, à son demi-frère et à sa demi-soeur un traitement juridique égal dans le partage des biens de Mme M. L’Etat défendeur ne peut pas non plus maintenir en vigueur une disposition discriminatoire qui porte atteinte au principe d’égalité entre les enfants issus du mariage et les enfants nés hors mariage.

Je désapprouve dès lors l’accord amiable proposé, car il ne s’inspire pas des principes posés à l’article 37 § 1 in fine de la Convention, et je réprouve la radiation de la demande de satisfaction équitable formée par le requérant.


Synthèse
Formation : Cour (grande chambre)
Numéro d'arrêt : 001-122287
Date de la décision : 28/06/2013
Type d'affaire : satisfaction équitable
Type de recours : Radiation du rôle (Article 37-1-b - Litige résolu)

Parties
Demandeurs : FABRIS
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : OTTAN A.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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