La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/04/2013 | CEDH | N°001-233402

CEDH | CEDH, CASE OF ROLIM COMERCIAL, S.A. v. PORTUGAL - [Portuguese Translation] by the Prosecutor General's Office (GDDC), 2013, 001-233402


QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE HUCI c. ROUMANIE

(Requête no 55009/20)

ARRÊT


Art 2 (procédural) • Enquête pénale effective sur le décès du passager lors du crash d’un avion ultraléger motorisé non-homologué durant un vol d’essai dans le contexte d’une procédure de certification • Circonstances de l’accident et responsabilité exclusive du pilote décédé éclaircies • Décision des autorités de ne pas poursuivre insuffisante à faire conclure à la responsabilité de l’État défendeur au titre de l’obligation procédurale de l’art

2 • Action distincte au civil n’était ni prescrite ni nécessairement vouée à l’échec

Préparé par le Greffe. Ne lie pas...

QUATRIÈME SECTION

AFFAIRE HUCI c. ROUMANIE

(Requête no 55009/20)

ARRÊT

Art 2 (procédural) • Enquête pénale effective sur le décès du passager lors du crash d’un avion ultraléger motorisé non-homologué durant un vol d’essai dans le contexte d’une procédure de certification • Circonstances de l’accident et responsabilité exclusive du pilote décédé éclaircies • Décision des autorités de ne pas poursuivre insuffisante à faire conclure à la responsabilité de l’État défendeur au titre de l’obligation procédurale de l’art 2 • Action distincte au civil n’était ni prescrite ni nécessairement vouée à l’échec

Préparé par le Greffe. Ne lie pas la Cour.

STRASBOURG

16 April 2024

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Huci c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l’homme (quatrième section), siégeant en une chambre composée de :

Gabriele Kucsko-Stadlmayer, présidente,
Tim Eicke,
Branko Lubarda,
Armen Harutyunyan,
Ana Maria Guerra Martins,
Anne Louise Bormann,
Sebastian Răduleţu, juges,
et de Simeon Petrovski, greffier adjoint de section,

Vu :

la requête (no 55009/20) dirigée contre la Roumanie et dont deux ressortissants de cet État, Mme Ilinca Huci et M. Eduard-Paulus Huci (« les requérants »), ont saisi la Cour en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention ») le 25 novembre 2020,

la décision de porter à la connaissance du gouvernement roumain (« le Gouvernement ») les griefs concernant les volets matériel et procédural de l’article 2 de la Convention,

les observations des parties,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 26 mars 2024,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

INTRODUCTION

1. La requête concerne, sous l’angle de l’article 2 de la Convention, le décès de V. H., mari de la requérante et père du requérant, lors du crash d’un avion ultraléger motorisé ainsi que l’enquête menée par les autorités internes sur les circonstances du décès.

EN FAIT

2. Les requérants sont nés respectivement en 1951 et en 1986 et résident à Buzău. Ils ont été représentés par Me M.C. Vasile, avocat à Bucarest.

3. Le Gouvernement a été représenté par son agent, Mme O.F. Ezer, du ministère des Affaires étrangères.

1. L’ACCIDENT D’AVION ULM

4. Dans le cadre d’un programme de recherche du ministère de l’éducation et de la recherche, l’ingénieur V.F., en poste à la fondation Icarus, fut chargé de coordonner la construction, avec la société étatique Romaero S.A., d’un avion ultra-léger motorisé (ci-après, « l’avion ULM »), modèle unique modifié à partir d’un avion « F99 Rambo » homologué en 2008 et destiné à un usage personnel en tant qu’avion ULM non‑homologué. Afin de pouvoir être enregistré et utilisé, un avion ULM devait faire l’objet d’un certificat d’identification, lequel, pour les avions non‑homologués, devait être accompagné d’une annexe délivrée sur la base d’un procès-verbal dressé à l’issue d’une vérification au sol de l’appareil et des documents y afférents. Lesdits certificat et annexe étaient émis sous l’autorité de l’Aéroclub de la Roumanie (ci‑après « l’Aéroclub ») en tant qu’institution publique compétente en la matière.

5. En tant que représentant du constructeur, lequel était le propriétaire de l’appareil, V.F. déposa une demande en vue de l’obtention du certificat. Dans le cadre de cette procédure, le 16 juin 2011, un premier examen fut effectué au sol par S.D.E., un inspecteur de l’Aéroclub, qui constata la conformité de l’appareil avec la documentation technique soumise, et fut suivi, avec l’accord de V.F., d’un vol d’essai, qui ne faisait pas partie de la procédure de délivrance du certificat proprement dite. À l’issue du vol, S.D.E. considéra que l’aéronef était inapte au vol en l’état, et fit des recommandations dans un procès-verbal émis à l’attention de V.F. Ce dernier procéda à des changements et demanda à l’Aéroclub un nouvel examen.

6. Le 12 juillet 2011, à l’aérodrome de Şirna-Tăriceni, l’inspecteur T.M., qui avait été désigné par l’Aéroclub, examina au sol l’avion ULM après avoir échangé avec S.D.E. Il effectua ensuite un premier vol d’essai avec succès, sans avoir rempli au préalable le procès-verbal de vérification, puis s’engagea dans un nouveau vol, accompagné cette fois de V. H., l’époux de la requérante et le père du requérant, qui était un pilote à la retraite. Dans la phase de prise d’altitude, l’avion rencontra des problèmes au niveau du moteur et, après un virage à gauche, il commença à descendre vers le sol, où il s’écrasa, déclenchant un incendie. T.M. fut tué sur le coup et V.H., qui avait subi plusieurs traumatismes ainsi que des brûlures sur 80% de son corps, décéda le 1er août 2011 à l’hôpital.

2. L’ENQUÊTE MENÉE PAR LES AUTORITÉS INTERNES
1. Le rapport d’investigation technique

7. Le 19 décembre 2012, un rapport réalisé dans le cadre de l’Ordonnance du gouvernement (OG) no 51/1999 sur l’investigation technique des accidents de l’aviation civile fut établi par une commission placée sous l’autorité du Centre d’investigations et d’analyse pour la sûreté de l’aviation civile (ci‑après « le rapport d’investigation technique du CIASAC »). Ladite commission conclut que la cause de l’accident résidait dans une erreur technique de pilotage et une gestion incorrecte d’un cas de figure spécial s’étant produit pendant le vol, à savoir un arrêt du moteur lors du décollage. Selon ce rapport, la seule approche appropriée en pareille situation était de maintenir l’appareil dans la trajectoire amorcée au moment du décollage, alors que dévier de celle-ci en effectuant un virage réduisait au contraire au minimum les chances de survie.

8. Soulignant qu’il avait pour objet l’identification des causes et circonstances de l’accident, et non pas la recherche des responsabilités individuelles ou collectives, le rapport contenait un certain nombre d’observations. Parmi celles-ci, il était fait état d’une non‑conformité partielle à la documentation de la configuration de l’avion envoyée à l’Aéroclub et, en particulier, d’une modification par le constructeur, qui n’avait pas été signalée, de l’installation d’alimentation en combustible du moteur (à savoir le remplacement de deux robinets par un seul robinet d’un autre type alimentant les deux réservoirs). Étaient également relevés les éléments suivants : que la durée du validité du certificat médical accompagnant la licence de pilote instructeur de T.M. pour des avions ULM était expirée depuis le 23 septembre 2010 ; que T.M. n’avait pas dressé de procès-verbal à l’issue du premier vol d’essai (paragraphe 6 ci-dessus), s’étant limité à des échanges oraux avec l’équipe technique, lesquels étaient probablement positifs eu égard au second vol d’essai effectué par la suite ; que T.M. avait effectué le second vol d’essai avec un passager, V.H., qui détenait lui aussi une licence de pilote instructeur d’avion ULM ; la non-utilisation de toute la longueur de la piste de décollage ; l’absence de mesures de sûreté telles que des moyens propres à éteindre un incendie ; et l’absence de communication radio bidirectionnelle entre l’avion et le personnel au sol. À la fin du rapport, le CIASAC recommandait à l’Aéroclub, en premier lieu, de réviser la réglementation et les procédures applicables aux fins de remédier aux défaillances constatées, préconisant, à cet égard, l’édiction de mesures minimales de sûreté, la restriction de l’accès à bord de l’avion aux seules personnes y étant autorisées selon les dispositions en vigueur et la désignation, autant que possible, d’un même inspecteur à toutes les étapes de vérification d’un même avion. Elle prônait, en deuxième lieu, que l’Aéroclub assure la diffusion du rapport parmi les constructeurs et les pilotes d’avions ULM et, en troisième lieu, qu’il dispense la formation des pilotes instructeurs en insistant sur le respect des procédures en vigueur. Le CIASAC indiquait en outre au constructeur en cause de refaire l’installation d’alimentation en combustible et d’utiliser un type de robinet préservant de l’interruption d’alimentation pendant le vol et assurant l’arrêt de l’alimentation en cas d’urgence.

2. La procédure pénale engagée par les autorités
1. Décisions par les tribunaux de renvoyer au parquet pour faire effectuer une expertise technique

9. Le 12 juillet 2011, le jour même de l’accident, le parquet près la cour d’appel de Ploiești (ci-après « le parquet ») ouvrit une enquête pénale préliminaire en vue de déterminer les causes de l’accident (dossier 575/P/2011), et dressa un constat des lieux en présence des témoins et de membres du CIASAC. Le parquet effectua par la suite des recherches préliminaires concernant l’éventuelle commission par V.F. et T.M. des délits prévus à l’article 103 § 1 a) de l’OG no 29/1997 approuvant le code aérien (ci-après « le code aérien » - paragraphe 27 ci-dessous) (infraction d’exploitation d’un avion sans certificat d’identification et autorisation de vol) et par l’article 178 §§ 1 et 2 du code pénal (ci-après, le « CP » - homicide involontaire à la suite du non-respect d’une obligation professionnelle).

10. Le 25 mars 2013, le parquet prononça un non‑lieu, se fondant sur le résultat des recherches et sur le rapport d’investigation technique du CIASAC (paragraphes 7 et 8 ci-dessus). Concernant les modifications apportées à l’avion et à son alimentation en carburant, il releva que l’inspecteur T.M. n’avait signalé aucun incident à l’issue du premier vol d’essai effectué le 12 juillet 2011 (paragraphe 6 ci-dessus), ce qui aux yeux du parquet impliquait qu’il en avait connaissance. Il considéra en outre que T.M. ne pouvait se prévaloir de sa licence de pilote instructeur au-delà de la durée de validité du certificat médical, laquelle était expirée à la date de l’accident, mais conclut que son décès empêchait l’exercice de l’action pénale. Quant à V.F., le parquet, se référant aux conclusions du rapport d’investigation technique relatives aux causes de l’accident (paragraphe 7 ci-dessus), estima que les éléments constitutifs des délits susmentionnés n’étaient pas réunis.

11. Par un jugement avant dire droit du 22 avril 2014, rendu à la suite de la plainte que la requérante avait déposée, faisant valoir, entre autres, les observations et recommandations du rapport d’investigation technique, le tribunal de première instance de Ploiești (« le tribunal de première instance ») infirma la décision de non-lieu et enjoignit au parquet d’engager des poursuites pénales du chef des deux délits susmentionnés. Le tribunal estima notamment que le rapport du CIASAC du 19 décembre 2012, en particulier, contenait des conclusions contradictoires et que pareille situation aurait dû conduire le procureur à ordonner la réalisation d’une expertise technique de spécialité pour éclaircir les circonstances de l’accident. Il conclut que le parquet n’avait pas exercé le rôle actif qui lui était dévolu et n’avait pas réuni toutes les preuves nécessaires pour établir la vérité.

12. Par une ordonnance du 11 juillet 2014, le parquet engagea des poursuites du chef des délits prévus par l’article 103 § 1 a) de l’OG no 29/1997 (paragraphe 27 ci-dessous) et par l’article 178 §§ 1 et 2 du CP. Les requérants demandèrent à se constituer parties civiles dans ladite procédure, et leur avocat déposa une demande en vue de l’administration des preuves énoncées ci-après, à laquelle le parquet répondit favorablement le 13 mars 2015 : la communication de plusieurs documents par des autorités compétentes dans le domaine de l’aéronautique (le CIASAC, la société Romaero S.A., la fondation Icarus, l’Aéroclub) ; l’audition de dix témoins, dont l’inspecteur S.D.E. et des personnes présentes sur les lieux au moment de l’accident, parmi lesquelles V.F. ainsi que C.C., qui avait conduit V.H. à l’aérodrome le 12 juillet 2011 ; la réalisation d’une expertise technique spécialisée avec plusieurs objectifs concernant notamment le respect des dispositions de l’annexe no 3 de l’ordre no 630/2007 du ministère des Transports, des Constructions et du Tourisme relative à la règlementation des avions ULM (« l’OM no 630/2007 » - paragraphes 28 et 29 ci-dessous) ; l’examen, d’une part, du processus de planification, de construction et de vérification des pièces et dispositifs utilisés pour ce modèle unique d’avion ULM et, d’autre part, du constat sur les causes de l’accident ; et le contrôle du respect par le constructeur et par l’Aéroclub des normes applicables relativement aux modifications apportées à l’avion à l’issue de la première inspection (paragraphe 5 ci-dessus).

13. Le 5 novembre 2015, le parquet rendit une ordonnance pénale de classement sans suite. Cette décision s’appuyait sur les preuves réunies, dont notamment six témoignages (S.D.E., C.C. et des témoins oculaires de l’assemblage de l’avion à l’aérodrome ou de l’accident), des documents versés au dossier par la société Romaero S.A. et la fondation Icarus, et les avis respectifs du CIASAC et de l’Aéroclub concernant le rapport d’investigation technique, les observations de l’Aéroclub sur ce point s’accordant en partie avec les conclusions dudit rapport, tout en précisant que la cause fondamentale de l’accident résidait dans le non-respect par les personnes à bord de l’avion de la réglementation en vigueur (à savoir les dispositions de l’OM no 630/2007 (paragraphes 28 et 29 ci-dessous), en ce qu’elles commandaient de vérifier l’avion expérimental au sol et de remplir puis faire signer le procès‑verbal y relatif avant de pouvoir envisager son utilisation, laquelle aurait dû se faire en tous les cas sans la présence d’un passager à bord). Le parquet retint le décès du pilote T.M. et estima en outre, se référant à l’article 16 § 1 b) du code de procédure pénale (ci-après, « le CPP »), que les faits n’avaient pas été commis avec le type de culpabilité prescrit par la loi et que par conséquent les conditions requises pour que les délits susmentionnés ou des délits prévus par les articles 98-102 de l’OG no 29/1997 (paragraphe 26 ci-dessous) soient constitués n’étaient pas remplies en l’espèce.

14. Le parquet considéra par ailleurs qu’il découlait des dispositions de l’OM no 630/2007 que les personnes physiques effectuant des vols endossaient l’entière responsabilité de la prise de risques liés à la construction, la maintenance, la réparation et le fonctionnement des avions ultralégers, et que la responsabilité du constructeur concernant l’information des utilisateurs et l’exactitude des données ne les en exonéraient aucunement. Il ajouta, à cet égard, que c’était le pilote qui décidait si les conditions étaient réunies pour utiliser et faire voler un avion dans des conditions de sûreté et en conformité avec la réglementation en vigueur, se reportant en particulier à l’article 4 de l’OM no 630/2007 et au point no 3 des dispositions « RACR‑CCO ULM 1180 » relevant de son annexe no 3 (paragraphes 28-29 et 32 ci‑dessous). Dans ce contexte factuel, et eu égard à la responsabilité des individus participant au vol, le parquet estima qu’une expertise technique n’était pas nécessaire en l’espèce. Il se référa, sur ce point, à deux autres dossiers pénaux similaires, relatifs à des accidents impliquant des avions ULM, où la décision de classement de l’affaire ou de non-lieu à poursuivre sans recourir à une expertise, motif pris de la responsabilité du pilote concernant le déroulement des vols, avait été confirmée par les tribunaux internes.

15. Par une ordonnance du 15 décembre 2015, le procureur général du parquet confirma la décision de classement sans suite dans le dossier en question – référencé sous le numéro no 575/P/2011 – indiquant que les investigations n’avaient pas permis d’établir une quelconque responsabilité de la part de la fondation Icarus ou de ses représentants.

16. À la suite du dépôt d’une nouvelle plainte par la requérante, dans laquelle elle demandait la réalisation de l’expertise technique ordonnée par le tribunal, l’audition de V.F. (qui était parti à l’étranger pendant six mois) et l’ouverture de poursuites du chef des délits visés aux articles 98 et 110 du code aérien (paragraphe 26 ci-dessous), lesquels prévoyaient des peines de prison et des délais de prescription plus longs, le tribunal de première instance, par un jugement avant dire droit du 21 juillet 2016, annula le classement sans suite du 5 novembre 2015 (paragraphes 13 et 14 ci-dessus), renvoyant le dossier au parquet. Se référant à sa décision du 22 avril 2014 dans laquelle il avait souligné l’existence de conclusions contradictoires dans le rapport du CIASAC et la nécessité d’effectuer une expertise technique spécialisée (paragraphe 11 ci-dessus), le tribunal conclut que le parquet n’avait pas administré toutes les preuves nécessaires. Il précisa, à cet égard, que les objectifs de l’expertise devaient être fixés après l’audition des témoins. Il releva, par ailleurs, que le classement du 5 novembre 2015 avait été prononcé aussi à l’égard des infractions réprimées par les articles 98 et 102 de l’OG no 29/1997 (paragraphe 26 ci-dessous) alors qu’aucune recherche n’avait été effectuée à ce titre, et indiqua en outre qu’après le renvoi de l’affaire le parquet devrait compléter les investigations concernant les délits prévus par l’article 103 § 1 a) de l’OG no 29/1997 (paragraphe 27 ci‑dessous) et par l’article 178 §§ 1 et 2 du CP.

2. Classement sans suite de l’affaire en raison du décès de T.M. et de la prescription de la responsabilité pénale

17. Par une ordonnance du 17 mai 2017, le parquet désigna un expert, V.C., chargé de réaliser une expertise technique afin d’établir la dynamique, les conditions et les causes ayant conduit à l’accident du 12 juillet 2011. L’ordonnance comportait une liste de dix-neuf questions auxquelles l’expertise devait répondre et fixait la date limite au 31 décembre 2017.

18. Le 27 septembre 2017, le parquet accueillit en partie une demande que la requérante avait formulée en vue de l’élargissement des objectifs de l’expertise technique. Dix-huit autres objectifs furent ainsi adjoints. Ils avaient trait, pour l’essentiel, au processus de réalisation, de certification et de vérification qui avait été suivi lors de la construction de l’avion inspiré de l’ULM F99 Rambo, y compris concernant le moteur et l’installation d’alimentation en combustible, avant et après le premier test réalisé par l’Aéroclub le 16 juin 2011 (paragraphe 5 ci-dessus).

19. Le 11 décembre 2017, l’avocat des requérants déposa une demande visant à compléter les preuves avant la réalisation de l’expertise. Le 10 janvier 2018, le parquet y fit droit. Ayant appris que l’expert souhaitait s’exprimer sur les objectifs de l’expertise à accomplir, l’avocat des requérants invita le parquet à entendre au préalable douze témoins, dont une partie avaient déjà fait une déposition au cours des investigations (paragraphe 13 ci‑dessus), et à enjoindre à la société Romaero S.A., à la fondation Icarus, au CIASAC et à l’Aéroclub de fournir plusieurs éléments, parmi lesquels figuraient des documents concernant le modèle F99 Rambo homologué en 2008, le dossier technique relatif à l’avion ULM ayant subi l’accident et le dossier de travail, qui selon les requérants comportait plusieurs centaines de pages, établi dans le cadre du rapport d’investigation technique (paragraphes 7et 8 ci‑dessus).

20. Par un procès-verbal du 18 juillet 2019, le parquet communiqua à la requérante une copie du rapport d’expertise technique judiciaire versé au dossier le 24 juin 2019 (rapport comptant 70 pages et comportant de nombreuses annexes, pour un total de cinq tomes). Le rapport exposait d’emblée que certains objectifs n’étaient pas pertinents pour le type d’avion et de certification concernés en l’espèce. Il indiquait ensuite qu’en tant que modèle unique et non-homologué d’avion ULM, pour lequel le propriétaire‑constructeur avait demandé seulement un certificat d’identification et son annexe, la réglementation applicable figurait dans les dispositions « RACR-CCO ULM 1065 », « RACR-CCO ULM 1075 » et « RACR-CCO ULM 1200 » (annexées à l’OM no 630/2007 – paragraphes 31-32 ci-dessous), qui exigeaient uniquement, préalablement à la délivrance desdits certificat et annexe, une vérification de l’avion au sol confirmée par un procès-verbal, et interdisaient tout vol avec un passager. Le rapport concluait que la cause de l’accident était imputable à une erreur de pilotage commise lors de l’incident de moteur, dans un contexte de non‑respect par T.M. et son passager de la règlementation en vigueur, de préparation sommaire du vol et de non‑renouvellement d’un certificat médical obligatoire.

21. Le 22 juillet 2019, la requérante, par l’intermédiaire de son avocat, demanda, eu égard à l’ampleur et à la complexité du rapport d’expertise, un délai de deux mois pour l’étudier et formuler d’éventuelles objections ou demandes.

22. Par une décision du 5 août 2019, le parquet classa l’affaire sans suite sur le fondement de l’article 16 § 1 f) du CPP, compte tenu, d’une part, du décès de T.M. et, d’autre part, de l’intervention le 11 juillet 2019 de la prescription de la responsabilité pénale pour les délits en cause (paragraphe 16 in fine ci-dessus). Reprenant certains passages de l’expertise judiciaire (paragraphe 20 ci-dessus), selon lesquels l’accident était dû exclusivement à une faute du pilote T.M. qui, alors qu’il était chargé uniquement de la vérification de l’aéronef au sol et non pas de la réalisation de vols d’essai, avait effectué le second vol avec un passager et sans utiliser toute la piste de décollage pour tester l’alimentation du moteur, le parquet considéra que la manière dont V.F. avait construit le moteur de l’avion était sans pertinence. Il constata par ailleurs que le classement de l’affaire faisait obstacle à la poursuite de la procédure et à l’administration des preuves, même si des demandes en ce sens avaient été accueillies auparavant.

23. Le 24 septembre 2019, le procureur général, statuant sur la contestation formée par les requérants, confirma la décision de classement rendue le 5 août 2019. En réponse à l’argument des intéressés selon lequel, en premier lieu, les faits litigieux étaient constitutifs du délit, qui faisait l’objet d’un délai de prescription plus long, prévu par les articles 98 et 110 de l’OG no 29/1997 (paragraphe 26 ci-dessous) concernant la responsabilité du « personnel aéronautique civil » en cas de fautes professionnelles ayant mis en danger la sûreté du vol et s’étant soldées par des accidents mortels, et, en second lieu, la non‑administration de preuves autorisées préalablement était infondée, le procureur général releva qu’au moment de l’accident, T.M. avait pour seule attribution d’effectuer des vérifications au sol et que, par ailleurs, l’appareil n’était ni certifié, ni homologué, et il considéra par suite que les faits litigieux ne mettaient pas en cause de « personnel » d’« aéronef civil ».

24. Par un jugement avant dire droit du 7 avril 2020, signifié aux requérants le 26 mai 2020, le tribunal de première instance rejeta, en dernier ressort, la plainte formée par ceux-ci contre le classement sans suite de l’affaire, confirmant celui-ci ainsi que le raisonnement du parquet concernant l’intervention de la prescription pénale.

3. LA REQUÊTE INTRODUITE PAR LES REQUÉRANTS DEVANT LA COUR

25. Le 25 novembre 2020, les requérants ont saisi la Cour d’une requête au titre de l’article 34 de la Convention. Dans le formulaire de requête, après la présentation des faits, dans laquelle ils décrivaient le déroulement de l’enquête relative à l’accident ayant causé le décès de V.H., les requérants ont formulé les griefs soumis à l’examen de la Cour sous l’angle de l’article 6 de la Convention comme suit :

« 15.1. Le droit des soussignés à l’examen de l’affaire dans un délai raisonnable a été méconnu. Le dossier a été traité pendant plus de 8 ans par plusieurs procureurs [successifs], pour aboutir à une ordonnance de classement sans suite au motif de l’intervention de la prescription de la responsabilité pénale, alors qu’en réalité les faits commis n’étaient pas prescrits. Les procureurs qui ont rendu ces ordonnances de classement contraires à la loi, en méconnaissance de [décisions] obligatoires des tribunaux relativement à l’administration des preuves, [qui ordonnaient], respectivement, de réaliser une expertise technique judiciaire aéronautique et de procéder à l’audition de V. F., sont responsables du retard dans le traitement de l’affaire.

15.2. Notre droit à un procès équitable a été méconnu car :

. 2.1. Le parquet près la cour d’appel de Ploiești et le tribunal de première instance de Ploiești ont décidé, de manière non-conforme à la loi, qu’il y avait prescription de la responsabilité pénale pour les faits commis [et] couverts par l’article 178 §§ 1 et 2 du code pénal. En réalité, [la prescription] n’était pas acquise, ainsi que nous l’avons démontré dans la plainte formulée contre l’ordonnance du Procureur général du 24 septembre 2019 [référence interne] et dans nos conclusions écrites auprès du tribunal de première instance [référence interne] ;

. 2.2. Malgré notre demande, le parquet près la cour d’appel de Ploiești et le tribunal de première instance de Ploiești ne se sont pas prononcés et n’ont pas davantage effectué de recherches relativement aux infractions prévues à l’article 98 du code aérien et combiné avec l’article 110 du même code, pas plus qu’ils n’ont ordonné d’élargir les poursuites à ces infractions (comme cela a été le cas dans des accidents d’aviation ayant eu pour résultat le décès d’une personne), qui prévoyaient une peine allant jusqu’à la réclusion à perpétuité.

[Citation des articles 33, 35, 98 et 110 du code aérien]

Partant, au vu des dispositions légales susmentionnées, les autorités de poursuite avaient l’obligation d’engager des poursuites également du chef de l’infraction prévue à l’article 98 combiné avec l’article 110 du code aérien, et d’effectuer des recherches quant au respect ou non-respect des devoirs professionnels par le personnel non‑naviguant, à savoir le personnel technique qualifié ayant travaillé directement à la planification et à la préparation opérationnelle du vol, au projet, à la certification, la fabrication, l’inspection, l’entretien, la réparation et l’exploitation/utilisation de l’avion, ainsi que [par le] personnel de l’aérodrome ayant réalisé des opérations spécifiques avec un impact sur la sûreté du vol.

Nous vous invitons à constater que V.F. faisait partie du personnel technique qualifié, qu’il supervisait, qui a travaillé directement [aux activités décrites dans le paragraphe précédent]. Des membres du personnel de l’Aéroclub, de la S.C. Romaero SA ainsi que d’autres personnes ont également été impliquées. Il était obligatoire d’identifier l’ensemble du personnel technique non-naviguant qui avait travaillé directement [aux activités décrites dans le paragraphe précédent], et de vérifier et rechercher, pour chacun d’entre eux, à commencer par V.F., s’il y avait eu respect [de leur part] des devoirs professionnels. De toute évidence, le délai de prescription de la responsabilité pénale n’était acquis ni pour les infractions prévues par les articles 98 et 110 du code aérien, ni pour le délit prévu par l’article 178 § 1 et 2 du code pénal.

-2.3. Nous n’avons pas eu le droit de formuler des objections ou des demandes concernant le rapport d’expertise technique, ni de solliciter une contre-expertise. Après la communication du rapport d’expertise, [nous] avons sollicité un délai raisonnable pour en prendre connaissance et formuler des objections ou des demandes, mais le procureur chargé de l’affaire n’a pas répondu à notre demande, s’empressant de prononcer l’ordonnance de classement sans suite non-conforme à la loi.

-2.4. Les dispositions obligatoires [de la décision] du tribunal relatives au complément de preuves (cf. à l’article 335 § 5 du code de procédure pénal) ont été méconnues ; malgré l’ordonnance du 10 janvier 2018 ayant fait droit à toutes nos demandes de preuves, y compris l’audition de V.F., [le parquet a] renoncé, par l’ordonnance de classement, à les administrer. Le motif avancé, selon lequel la poursuite de l’action pénale par l’administration de preuves n’était pas possible en raison d’une prescription de la responsabilité pénale, n’était pas conforme à la loi et était, en outre, sans fondement, car d’une part, comme il a été mentionné ci-dessus, le délai de prescription n’était pas acquis et, d’autre part, il était possible, une fois toutes les preuves administrées, de changer la qualification juridique des faits ou d’élargir les poursuites à d’autres faits (y compris au regard des articles 98 et 110 du code aérien susmentionnés) et d’autres personnes. En tout état de cause, l’affaire ne devait être tranchée qu’après l’administration de toutes les preuves [visées dans] l’ordonnance du tribunal et admises par les autorités de poursuites, car c’est seulement ainsi que l’on pouvait déterminer les qualifications juridiques correctes et les délais de prescription de la responsabilité pénale [correspondant] relativement à chaque fait et chaque personne. »

LE CADRE JURIDIQUE INTERNE PERTINENT

1. LE CODE AÉRIEN

26. Le code aérien, tel qu’en vigueur à l’époque des faits et jusqu’à l’adoption du nouveau code aérien par la loi no 21/2020, avait été adopté par l’ordonnance du gouvernement no 29/1997. Son article 98 § 1 punissait d’une peine de cinq ans d’emprisonnement le non-respect par le personnel aéronautique civil de devoirs professionnels si pareille méconnaissance était de nature à mettre en danger la sûreté du vol, et l’article 102 § 1 réprimait de la même peine le fait pour une personne de piloter un type d’avion pour lequel elle n’avait pas les certificats requis par la réglementation en vigueur. Dans le cas où ces faits entraînaient le décès d’une ou plusieurs personnes, la peine encourue pouvait aller, selon l’article 110, jusqu’à la prison à perpétuité.

27. Selon l’article 103 § 1 a) dudit code aérien, la peine encourue pour l’exploitation d’un avion en l’absence de certificat d’identification ou d’immatriculation et d’autorisation de vol ou de document équivalent était d’un an d’emprisonnement.

2. LA RÉGLEMENTATION SPÉCIFIQUE AUX AVIONS ULM

28. Les textes applicables en la matière sont l’ordre no 630/2007 du ministère des Transports, des Constructions et du Tourisme concernant la réglementation dans le domaine aéronautique civil des avions ultralégers motorisés (ULM) en Roumanie (« l’OM no 630/2007 ») et son annexe no 3 (RACR-CCO-ULM), publiés aux nos 265 et 265bis du moniteur officiel du 19 avril 2007. Leurs dispositions pertinentes, telles qu’elles étaient rédigées à l’époque des faits, peuvent être résumées comme suit.

29. L’article 4 §§ 5 et 6 de l’OM no 630/2007 disposait que la responsabilité concernant les risques relatifs à la construction, l’entretien, la réparation et l’utilisation des avions ULM était entièrement imputable aux personnes physiques effectuant ou participant à de tels vols. Le pilote était le responsable de l’avion et il décidait de son utilisation au regard des conditions existantes pour le vol qu’il voulait effectuer, afin que la sûreté de celui-ci soit assurée conformément à la réglementation aéronautique et à la législation en vigueur.

30. Les dispositions « RACR-CCO-ULM 1015 » prévoyaient, dans les principes généraux, qu’un avion ULM non-homologué devait faire l’objet, pour pouvoir être utilisé, d’un certificat d’identification, lequel précisait les conditions d’utilisation de l’appareil en annexe.

31. Les dispositions « RACR-CCO-ULM 1065 », qui portaient sur la procédure de délivrance du certificat d’identification et de son annexe, indiquaient notamment les documents devant être produits par le propriétaire sollicitant l’identification, parmi lesquels figurait le manuel d’utilisation et d’entretien de l’avion. Les dispositions « RAR-CCO-ULM 1075 » concernaient les vérifications à effectuer lors de cette procédure. Selon ce texte, l’inspecteur désigné à cet effet devait vérifier si les documents déposés étaient conformes aux exigences réglementaires, auquel cas il devait procéder à la vérification visuelle de l’avion du point de vue de son intégrité structurelle afin de remplir un procès-verbal spécifique et préconiser, le cas échéant, la délivrance du certificat en question. Le propriétaire devait en outre fournir tous les renseignements sollicités concernant la sûreté en vol. Les vérifications avaient toutefois pour objectif non pas de garantir ladite sûreté, mais de s’assurer du respect des exigences réglementaires nécessaires à l’admission au vol de l’avion.

32. Selon les dispositions « RACR-CCO-ULM 1080 », le certificat d’identification n’attestait nullement de la navigabilité de l’avion. Celle-ci faisait l’objet d’une annexe au certificat, régie par les dispositions « RACR‑CCO-ULM 1085 », lesquelles prévoyaient qu’elle devait préciser le type de vols que l’avion pouvait faire. De plus, les dispositions « RACR‑CCO-ULM 1200 », dans leur rédaction en vigueur à l’époque des faits, énonçaient que les avions ULM non-homologués ne pouvaient être utilisés que s’ils avaient donné lieu à la délivrance d’un certificat d’identification assorti d’une annexe indiquant le type de vol autorisé (vol en intérêt propre ; vol particulier ; vol technique en vue de l’homologation ; vol technique afin d’établir le manuel d’utilisation et d’entretien, si celui-ci n’existait pas ou n’était pas conforme à la réglementation). Le transport des passagers était en outre formellement interdit, et était considérée comme passager toute personne présente dans l’appareil autre que le pilote qualifié pour ce type d’avion ULM.

33. Les dispositions « RAR-CCO-ULM 1270 », enfin, avaient trait aux inspecteurs et régissaient, entre autres, leur processus de sélection (en fonction de leur expérience théorique et pratique et de leur rigueur dans le respect de la réglementation applicable). Elles indiquaient également qu’un seul inspecteur devait être chargé des vérifications lors d’une procédure, sauf dans les cas où des questions de complexité ou de disponibilité appelaient la désignation de plusieurs contrôleurs.

EN DROIT

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 2 DE LA CONVENTION

34. Invoquant l’article 6 de la Convention, les requérants se plaignent de la manière dont les autorités ont mené l’enquête pénale relative à l’accident ayant coûté la vie à leur proche, ainsi que de la durée, qu’ils estiment déraisonnable, de ladite enquête. Maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause (Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, §§ 114 et 126, 20 mars 2018), la Cour estime que la nature du grief ainsi que sa formulation appellent un examen sous le seul angle de l’article 2 de la Convention.

Le passage de cette disposition pertinent en l’espèce se lit ainsi :

« 1. Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (...) »

1. Sur la recevabilité
1. Arguments des parties

a) Le Gouvernement

35. Notant à titre liminaire que, dans le formulaire de requête introduit le 25 novembre 2020, les requérants ont dénoncé une ineffectivité de l’enquête pénale relative à l’accident d’avion ayant entraîné le décès de V.H., le Gouvernement soulève une exception préliminaire tirée de la tardiveté de ce grief sous ses deux volets, procédural et matériel, tels que communiqués par la Cour.

36. Pour ce qui concerne en particulier le volet matériel de l’article 2 de la Convention, qui a trait à des questions portant sur des obligations relatives au cadre règlementaire, lequel devait être effectif et accompagné de contrôles suffisants pour réduire le risque pour la vie humaine à un minimum raisonnable, le Gouvernement relève que lesdites questions ne visent pas le caractère effectif de la procédure pénale et il est d’avis que le point de départ du délai de saisine de la Cour doit être la date de l’accident d’avion, à savoir le 12 juillet 2011, quand le défaut allégué dudit cadre règlementaire s’est manifesté.

37. Concernant le volet procédural de l’article 2 de la Convention, le Gouvernement note que le jugement du 7 avril 2020 du tribunal de première instance s’est borné à confirmer, sans examen au fond, le classement sans suite de l’affaire pour cause de prescription. Dès lors, à partir de son prononcé, et sans attendre sa signification survenue le 26 mai 2020, les requérants auraient dû savoir que l’enquête n’était pas apte à éclaircir les circonstances de l’accident et à établir les éventuelles responsabilités pénales. Il s’ensuivrait que la date de départ du délai de six mois prévu à l’article 35 § 1 de la Convention devrait être fixée au 7 avril 2020 et que la requête, introduite le 25 novembre 2020, serait tardive.

b) Les requérants

38. Les requérants contestent la thèse du Gouvernement. Ils considèrent que le point de départ du délai de six mois doit être la date à laquelle ils se sont vu communiquer le jugement de première instance du 7 avril 2020, définitif en l’espèce, qui confirmait le classement sans suite de l’enquête pénale en cause – soit le 26 mai 2020 (paragraphe 24 ci-dessus).

2. Appréciation de la Cour

a) Sur le volet matériel de l’article 2 de la Convention

39. La Cour considère que tant l’exception préliminaire du Gouvernement que, plus généralement, l’examen du respect de la règle du délai d’introduction d’une requête, qu’elle doit vérifier globalement et de son propre chef en tant que règle d’ordre public (Matić et Polonia DOO c. Serbie (déc.), no 23001/08, § 31 in fine, 23 juin 2015), exigent nécessairement qu’elle se penche sur le contenu de la requête et des griefs tels qu’ils ont été formulés par les requérants.

40. La Cour a déjà dit par le passé que l’objet d’une affaire dont elle est « saisie » dans l’exercice du droit de recours individuel est défini par le grief ou la « prétention » du requérant (Radomilja et autres, précité, § 109 in fine). Elle rappelle également qu’un grief ou une « prétention » comporte deux éléments, à savoir des allégations factuelles (en ce sens que le requérant se dit « victime » d’une action ou d’une omission) et les arguments juridiques qui en sont tirés (en ce sens que l’action ou l’omission en question emporte « violation par l’une des Hautes Parties contractantes des droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles »). Ces deux éléments sont imbriqués puisque les faits dénoncés doivent être interprétés à la lumière des arguments juridiques avancés, et vice versa (ibidem, § 110).

41. La Cour ne peut statuer que sur les faits dont le requérant se plaint. En conséquence, il ne suffit pas que l’existence d’une violation de la Convention soit « évidente » au vu des faits de l’espèce ou des observations soumises par le requérant. Il incombe au contraire à celui-ci de dénoncer une action ou omission comme contraire aux droits reconnus dans la Convention ou ses Protocoles de telle manière que la Cour n’ait pas à spéculer sur la question de savoir si tel ou tel grief a été ou non soulevé (Grosam c. République tchèque [GC], no 19750/13, § 90, 1er juin 2023). Cela signifie que la Cour n’a pas le pouvoir de se substituer au requérant et de retenir des griefs nouveaux sur la seule base des arguments et des faits exposés (ibidem, § 91).

42. En l’espèce, dans la requête dont ils ont saisi la Cour le 25 novembre 2020, les requérants se sont plaints, sous l’angle de l’article 6 de la Convention, de la manière dont le parquet avait mené les poursuites engagées à la suite de l’accident d’avion. Selon eux, leur droit à un procès équitable avait été violé par des limitations à la portée des poursuites, à l’administration des preuves et à la possibilité pour les plaignants de présenter des objections à l’expertise technique. Sur le même fondement, ils ont aussi dénoncé la durée, qu’ils jugeaient déraisonnable, de ces poursuites et le fait que celles-ci avaient abouti à un classement sans suite pour prescription de la responsabilité pénale (paragraphe 25 ci-dessus).

43. Tout en rappelant qu’en vertu du principe jura novit curia, elle peut décider de la qualification juridique à donner aux faits d’un grief en examinant celui-ci sur le terrain d’articles ou de dispositions de la Convention autres que ceux invoqués par le requérant, la Cour répète qu’elle ne peut toutefois pas se prononcer sur la base de faits non visés par le grief car cela reviendrait à statuer au-delà de l’objet de l’affaire ou, autrement dit, à trancher des questions qui ne lui auraient pas été « soumises » au sens de l’article 32 de la Convention (Radomilja et autres, précité, § 126). Or, force est de constater que dans le formulaire de requête, le grief des requérants visait seulement le caractère ineffectif de l’enquête pénale relative à l’accident d’avion ainsi que sa durée, qualifiée de déraisonnable, soit des aspects que la Cour a constamment choisi d’examiner sous l’angle du volet procédural de l’article 2 de la Convention, et ne portait aucunement sur l’insuffisance du cadre règlementaire et des contrôles antérieurs des autorités pour réduire le risque pour la vie humaine, élément qui relève du volet matériel dudit article. Si les requérants entendaient, à ce stade, faire valoir la responsabilité de l’État relativement au volet matériel et le manquement des autorités nationales concernant la protection du droit à la vie, ils auraient dû l’expliciter clairement dans leur formulaire de requête, à l’instar de ce qu’ils ont fait par la suite, dans leurs observations du 30 mai 2022 présentées après la communication au Gouvernement, sous l’angle des deux volets susmentionnés, de la requête par la Cour (comparer avec Grosam, précité, § 95, et Rustavi 2 Broadcasting Company Ltd et autres c. Géorgie, no 16812/17, § 246, 18 juillet 2019). Le simple fait que la Cour ait ainsi communiqué sous les deux volets, matériel et procédural, le grief formulé par les requérants dans leur requête ne change rien à ce constat, pour autant que cela ne s’apparente pas à une requalification juridique d’un grief déjà soulevé, mais à une modification de la substance du grief tel que présenté par les requérants (voir, mutatis mutandis, Radomilja et autres, précité, § 132 in fine, et, pour une application dans le contexte d’une autre affaire, Ivașcu c. Roumanie (déc.) [comité], no 41719/12, § 48, 3 juillet 2018). Par ailleurs, la Cour ajoute, si besoin est, que le nouveau grief formulé par les requérants sur le terrain du volet matériel de l’article 2 de la Convention dans leurs observations postérieures à la communication de la requête au Gouvernement ne peut davantage être considéré comme rattaché au grief soumis dans leur requête, ni comme découlant de celui-ci, qui mettait en cause des obligations distinctes, d’ordre procédural, de l’État défendeur (voir, mutatis mutandis, Grosam, précité, § 96 in fine).

44. Ayant constaté que l’objet de la requête introduite par les requérants était limité aux aspects du grief relevant du volet procédural de l’article 2 de la Convention, qu’elle examinera par la suite, la Cour rappelle que, si rien n’empêche un requérant de présenter un grief nouveau au cours de la procédure devant la Cour, celui-ci doit, à l’instar de tout autre grief, satisfaire aux conditions de recevabilité (Radomilja et autres, précité, § 135 in fine). Sans qu’il y ait besoin de répondre à l’argument avancé par le Gouvernement à cet égard (paragraphe 36 ci-dessus), et même en retenant la thèse – soutenue par les requérants (paragraphe 38 ci-dessus) – que la procédure pénale interne, qui a donné lieu au jugement définitif du 7 avril 2020, communiqué le 26 mai 2020, était un recours à exercer au regard des responsabilités que les requérants cherchaient à faire établir sous le volet matériel de l’article 2 de la Convention, la Cour note que le grief présenté par les intéressés pour la première fois dans leurs observations produites le 30 mai 2022 n’a pas été introduit dans le respect de la règle du délai de six mois prévue par l’article 35§ 1 de la Convention dans sa rédaction en vigueur à l’époque des faits.

45. Au vu de ce qui précède, la Cour estime que le grief tiré du volet matériel de l’article 2 de la Convention est tardif, et qu’il doit donc être rejeté en application de l’article 35 § 4.

b) Sur le volet procédural de l’article 2 de la Convention

46. La Cour observe d’emblée que les parties ne contestent pas que l’article 2 de la Convention trouve à s’appliquer en l’espèce sous son volet procédural, l’accident du 12 juillet 2011 ayant causé le décès du proche des requérants, ce qui, à son tour, a entraîné l’obligation, pour l’État défendeur, de mener une enquête effective pour éclaircir les circonstances de ce décès et pour établir d’éventuelles responsabilités (Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie ([GC], no 41720/13, §§ 137-138, 25 juin 2019).

47. Pour ce qui concerne l’exception préliminaire soulevée par le Gouvernement (paragraphe 37 ci-dessus), la Cour rappelle avoir maintes fois confirmé l’approche initialement adoptée dans l’affaire Worm c. Autriche ((déc.), no 22714/93, 27 novembre 1995) : lorsque, en vertu du droit interne, la décision définitive doit être communiquée par écrit, le délai de six mois se calcule à partir de la date de la signification de la décision en question (Sabri Güneş c. Turquie [GC], no 27396/06, § 53, 29 juin 2012). L’approche selon laquelle le délai ne court pas tant que le requérant n’a pu avoir connaissance des motifs de la décision définitive, par la signification de celle-ci ou, le cas échéant, par sa mise au net, a ainsi été retenue, en particulier, dans une affaire où l’enquête pénale avait été clôturée en raison de la prescription de la responsabilité pénale (voir, mutatis mutandis, Akın c. Turquie, no 58026/12, § 46, 17 novembre 2020). Rien ne permet de s’écarter de pareille approche dans la présente affaire, dans laquelle les requérants pouvaient escompter la signification, effectuée le 26 mai 2020, d’une copie du jugement définitif du 7 avril 2020 (paragraphe 24 ci-dessus) pour être à même d’apprécier s’il y avait lieu de soumettre une requête à la Cour eu égard aux motifs par lesquels le tribunal de première instance avait confirmé le raisonnement du parquet quant à l’intervention de la prescription pénale et le classement sans suite. En l’espèce, la requête a été introduite le 25 novembre 2020, soit dans le délai de six mois à compter du 26 mai 2020.

48. Au vu de ce qui précède, la Cour estime qu’il y a lieu de rejeter l’exception préliminaire de tardivité soulevée par le Gouvernement à l’égard du grief portant sur le volet procédural de l’article 2 de la Convention.

49. Constatant par ailleurs que ce grief n’est pas manifestement mal fondé ni irrecevable pour un autre motif visé à l’article 35 de la Convention, la Cour le déclare recevable

2. Sur le fond
1. Arguments des parties

a) Les requérants

50. Les requérants soutiennent que les autorités, à savoir les procureurs du parquet, sont responsables de la durée, selon eux excessive, de la procédure pénale relative à l’accident d’avion, laquelle s’est échelonnée sur plus de huit ans. Ils arguent en outre qu’elles ne se sont pas conformées aux décisions judiciaires qui leur enjoignaient de faire réaliser une expertise technique et d’entendre V.F. Relevant que la procédure s’est soldée par un classement sans suite de l’affaire pour cause de prescription de la responsabilité pénale, les requérants contestent, d’une part, la décision de classement, estimant que le parquet aurait dû poursuivre les faits du chef des délits prévus aux articles 98 et 110 du code aérien (paragraphe 26 ci-dessus) et que le délai de prescription les concernant n’était pas échu et, d’autre part, la manière, trop limitée selon eux, dont le parquet a administré les preuves dans ladite procédure. À ce sujet, les requérants pointent, en sus des défaillances susmentionnées, le refus du parquet de leur permettre de formuler des objections à l’égard du rapport d’expertise technique (paragraphe 20 ci-dessus) et d’administrer les preuves déjà autorisées à leur demande, mettant en avant que la qualification ultime des faits ainsi que l’application des délais de prescription correspondant auraient dû se faire ultérieurement.

b) Le Gouvernement

51. S’appuyant sur la jurisprudence de la Cour en matière de décès causé de manière non-intentionnelle par la négligence d’un particulier (voir, entre autres, Ciechońska c. Pologne, no 19776/04, § 66, 14 juin 2011, et Lopes de Sousa Fernandes c. Portugal [GC], no 56080/13, §§ 137 et 215, 19 décembre 2017), le Gouvernement argue que les autorités ont diligenté immédiatement et de leur propre chef tant une investigation technique, accomplie par le CIASAC (paragraphes 7 et 8 ci-dessus), qu’une enquête pénale, menée par les autorités de poursuite. Il ajoute que les requérants ont été associés à celle‑ci, étant informés de son déroulement et ayant la possibilité de se constituer parties civiles et de proposer des moyens de preuve. Il estime en outre que la durée de l’enquête était due à son caractère difficile et à sa complexité, ce qui, selon lui, est illustré par le temps qu’a nécessité la réalisation de l’expertise technique (paragraphe 20 ci-dessus), et il explique que le parquet s’est abstenu de réentendre des témoins durant ce laps de temps afin d’apprécier la pertinence de leurs déclarations à la lumière du rapport de l’expert. À cet égard, il allègue que la prescription de la responsabilité pénale est intervenue peu après la rédaction de ce rapport et que le parquet a donc classé l’affaire sans suite, ce qui rendait inutile la poursuite de l’examen de celle-ci.

52. Le Gouvernement soutient par ailleurs que les requérants ne se sont pas plaints de la durée de l’enquête au cours de celle-ci. Il est également d’avis que si l’expertise susmentionnée n’a pas été prise en compte lors de la décision de classement de l’affaire, elle offrait toutefois une explication quant aux causes de l’accident d’avion, qui était, d’après lui, cohérente avec celle du rapport d’investigation technique du CIASAC (paragraphes 7 et 20 in fine ci-dessus). De plus, il fait observer que bien que l’affaire ait été finalement classée sans suite pour cause de prescription, le parquet avait néanmoins précédemment conclu à une absence d’éléments constitutifs des délits poursuivis ainsi qu’à une impossibilité de poursuivre ceux-ci à l’égard de T.M. en raison de son décès. Il considère par conséquent que malgré l’intervention de la prescription de la responsabilité pénale, les efforts des autorités ont permis d’établir, dans les deux documents en question, tant la cause de l’accident que les responsabilités y afférentes, conformément à l’obligation qui leur incombait au regard du volet procédural de l’article 2 de la Convention.

2. Appréciation de la Cour

a) Principes généraux

53. Les principes généraux applicables à l’espèce sont résumés dans les arrêts Mikhno c. Ukraine (no 32514/12, §§ 131-134, 1er septembre 2016) et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 157-171). Les critères que la Cour examine pour déterminer si une enquête dans les circonstances d’un décès a été conforme aux exigences procédurales de l’article 2 de la Convention sont : l’adéquation des mesures d’investigation, la promptitude de l’enquête, la participation des proches du défunt à celle-ci et l’indépendance de l’enquête (Mikhno, précité, § 132, et Mustafa Tunç et Fecire Tunç c. Turquie [GC], no 24014/05, § 225, 14 avril 2015). Ces paramètres sont liés entre eux mais, contrairement aux exigences en matière de procès équitable définies à l’article 6, ils ne constituent pas, pris isolément, une finalité en soi. Ils sont autant de critères qui, pris conjointement, permettent d’apprécier le degré d’effectivité de l’enquête. C’est à l’aune de cet objectif d’effectivité de l’enquête que toute question en la matière, dont celle de célérité et de diligence raisonnable, doit être appréciée (ibidem, § 225, et Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 171).

b) Application de ces principes au cas d’espèce

54. La Cour observe que le décès du proche des requérants a eu lieu lors d’un vol d’essai effectué dans le contexte d’une procédure de certification par les autorités (l’Aéroclub) d’un avion ULM non-homologué et que les pouvoirs publics avaient accès au premier chef aux informations concernant les circonstances de l’accident. Les autorités avaient une position privilégiée en matière d’expertise et de ressources nécessaires pour identifier et établir les causes et les responsabilités de l’accident, et il leur appartenait de veiller à ce qu’une enquête effective fût menée. Compte tenu du caractère essentiellement technique des questions à éclaircir, la Cour doit donner un poids particulier aux conclusions des autorités nationales (voir, mutatis mutandis, Stoyanovi c. Bulgarie, no 42980/04, § 63 in fine, 9 novembre 2010). Dans ce contexte, la Cour considère que même si les circonstances de l’accident imposaient la tenue d’une enquête pénale effective (voir Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 160), une fois établi que le décès n’avait pas été provoqué volontairement, l’ensemble des voies disponibles en théorie comme en pratique, tant civiles que pénales, prévues par le droit interne, pouvaient constituer des voies de droit permettant d’établir les faits, d’obliger les éventuels responsables à rendre des comptes et d’offrir à la victime une réparation adéquate (ibid., §§ 163 et 169-170).

55. En l’espèce, la Cour constate que l’enquête pénale a débuté le jour même de l’accident d’avion, les autorités ayant alors dressé un constat des lieux en présence des témoins et des membres du CIASAC (paragraphe 9 ci‑dessus). Le rapport d’investigation technique, établi par le CIASAC en parallèle de l’enquête susmentionnée et publié moins de dix-huit mois après l’accident en question, a conclu que la cause de celui-ci était imputable à une erreur technique de pilotage de T.M. et à la gestion incorrecte d’un incident spécifique s’étant produit pendant le vol, à savoir l’arrêt du moteur lors du décollage. Le rapport comportait également un certain nombre d’observations concernant la méconnaissance par ledit pilote d’obligations règlementaires, parmi lesquelles, outre des prescriptions techniques et de sûreté, l’interdiction pour V.H. de se joindre au vol en tant que « passager » (paragraphes 7-8 ci‑dessus).

56. La Cour observe que dans le cadre de l’enquête pénale qui a suivi et après l’ouverture de poursuites du chef des deux délits retenus pour qualifier les faits, les requérants ont pu demander de se constituer parties civiles (paragraphe 12 ci-dessus), ont eu accès au dossier et ont activement participé à la procédure. Ils ont vu leur demande de preuves (documents, témoignages, supplément d’objectifs pour l’expertise technique notamment) prospérer et ont pu faire appel des décisions de non-lieu et de classement sans suite du parquet, obtenant gain de cause à plusieurs reprises devant le tribunal (paragraphes 16 et 18-20 ci-dessus).

57. La Cour prend, certes, acte de l’inaction qui ne saurait se justifier du parquet, qui n’a pas donné suite à l’injonction du tribunal de première instance de faire réaliser une expertise technique pour clarifier des conclusions du rapport d’investigation technique du CIASAC jugées contradictoires (paragraphe 11 ci-dessus) retardant ainsi la procédure d’environ trois ans, à savoir d’avril 2014 à mai 2017. Combiné avec le temps pris par la suite par l’expert pour répondre aux nombreux objectifs fixés, dont ceux, formulés par les requérants, qui ont amplement élargi la portée de l’expertise et justifié une extension du délai octroyé audit expert, pareil retard a pu contribuer à l’intervention du classement sans suite prononcé par le parquet le 5 août 2019 en raison de la prescription de la responsabilité pénale, acquise le 11 juillet 2019, concernant les délits poursuivis (paragraphes 17 à 22 ci-dessus). Il est à noter, en particulier, que le parquet n’a communiqué à la requérante une copie du rapport d’expertise technique judiciaire que le 18 juillet 2019 (paragraphe 20 ci-dessus), lorsque les délits étaient déjà prescrits.

58. Cela étant, la Cour rappelle qu’au regard de l’article 2 de la Convention, c’est à l’aune de l’objectif d’effectivité de l’enquête et de l’obligation de moyens des autorités de clarifier les circonstances pertinentes et les responsabilités en découlant, que toute question en la matière, dont celle de célérité et de diligence raisonnable, doit être appréciée (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 171). Or, tout au long de la procédure pénale, et même pendant la période de trois ans relevée au paragraphe précédent, les autorités de poursuite ne sont pas restées inactives et ont régulièrement pris des mesures, recueilli des éléments de preuve et déployé d’importants efforts pour éclaircir les circonstances de l’espèce, ce qui ressort d’ailleurs de leurs décisions, lesquelles étaient de plus en plus détaillées (paragraphes 12-14 et 17-20 ci‑dessus – voir, mutatis mutandis, Nicolae Virgiliu Tanase, précité, § 212). Il ne fait pas de doute que la procédure pénale en question, ayant trait à un accident d’avion ULM, et en particulier l’expertise technique qui, devant répondre à un grand nombre d’objectifs, a nécessité deux ans, présentaient un caractère particulièrement complexe. La Cour relève toutefois qu’alors que la proximité de l’échéance du délai de prescription découlant de la qualification retenue était connue (paragraphe 16 ci-dessus) et que les causes principales de l’accident – une erreur de pilotage lors de l’incident de moteur et le non‑respect préalable de la règlementation en vigueur par le pilote décédé – avaient été identifiées de manière assez cohérente tout au long de la procédure (paragraphes 7, 13, 20 et 22-24 ci-dessus), tant les requérants que les autorités de poursuite ont fait le choix, respectivement, de solliciter et d’autoriser une recherche des responsabilités sous un très large spectre en administrant un vaste ensemble de preuves en vue d’éclaircir toute question et contradiction éventuelle. Par ailleurs, elle observe qu’au cours de la procédure, les principales interrogations des requérants, telles que celles relatives à une défaillance du moteur ou à la requalification des faits et l’allongement corrélatif du délai de prescription pénale, ont été traitées, respectivement, par le rapport d’expertise technique, dont des extraits ont été reproduits dans la décision de classement, et par plusieurs décisions du parquet et du tribunal de première instance (paragraphes 16 in fine, 20 et 22-24 ci-dessus).

59. Au vu de ce qui précède, la Cour ne saurait considérer, dans les circonstances de l’espèce, que l’enquête a été superficielle ou arbitraire, ni qu’elle a échoué à établir les circonstances de l’accident et la responsabilité des personnes impliquées (voir, mutatis mutandis, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 181 in fine, 182,184 et 196, où la procédure pénale menée à la suite d’un accident d’automobile avait duré plus de huit ans et s’était soldée par un classement fondé sur des raisons similaires, et Trofin c. Roumanie (déc.), no 4348/02, § 56, 21 février 2012 ; voir également, a contrario, Mircea Pop c. Roumanie, no 43885/13, §§ 82-84, 19 juillet 2016, et Marius Alexandru et Marinela Ștefan c. Roumanie, no 78643/11, §§ 88-90, 24 mars 2020, où la non-réalisation de l’expertise requise ou les carences des autorités dans le recueil et la conservations de preuves essentielles, respectivement, avaient empêché l’éclaircissement des circonstances des décès et l’établissement des responsabilités en cause).

60. Rappelant que l’article 2 ne garantit pas un droit à obtenir une condamnation pénale à l’égard d’un tiers (Nicolae Virgiliu Tănase, précité, § 185), la Cour estime qu’en l’espèce, la décision des autorités de ne pas poursuivre ne suffit pas à faire conclure à la responsabilité de l’État défendeur au titre de l’obligation procédurale découlant pour lui de l’article 2 de la Convention. Par ailleurs, pour autant que les requérants auraient souhaité, à la suite de la décision de classement sans suite et de l’éclaircissement des causes de l’accident, chercher à établir au civil des responsabilités éventuelles des autorités ou autres particuliers sur la base de l’ensemble des preuves qui avaient été administrées, la Cour observe qu’une telle action n’aurait été ni prescrite ni nécessairement vouée à l’échec (comparer, mutatis mutandis, Nicolae Virgiliu Tănase, précité, §§ 70 et 196-200, dans un contexte similaire, mais lors d’un examen de l’accès à un tribunal au regard de l’article 6 § 1, Trofin, décision précitée, §§ 58-62, et Stoyanovi, précité, §§ 66-68).

61. Partant, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare le grief concernant le volet procédural de l’article 2 de la Convention recevable et la requête irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 2 de la Convention.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 16 avril 2024, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Simeon Petrovski Gabriele Kucsko-Stadlmayer
Greffier adjoint Présidente


Synthèse
Formation : Cour (quatriÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-233402
Date de la décision : 16/04/2013
Type d'affaire : au principal
Type de recours : Violation of Article 1 of Protocol No. 1 - Protection of property (Article 1 para. 1 of Protocol No. 1 - Deprivation of property);Just satisfaction reserved

Composition du Tribunal
Avocat(s) : BRITO CAMACHO J.

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2024
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award