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31/01/2013 | CEDH | N°001-116116

CEDH | CEDH, AFFAIRE EGLISE EVANGELIQUE MISSIONNAIRE ET SALAÛN c. FRANCE, 2013, 001-116116


CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE EGLISE EVANGELIQUE MISSIONNAIRE ET SALAÛN c. FRANCE

(Requête no 25502/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2013

DÉFINITIF

30/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.




En l’affaire Eglise Evangélique Missionnaire et Salaûn c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Ann Power-Forde, >Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Aprè...

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE EGLISE EVANGELIQUE MISSIONNAIRE ET SALAÛN c. FRANCE

(Requête no 25502/07)

ARRÊT

STRASBOURG

31 janvier 2013

DÉFINITIF

30/04/2013

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Eglise Evangélique Missionnaire et Salaûn c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Mark Villiger, président,
Ann Power-Forde,
Ganna Yudkivska,
André Potocki,
Paul Lemmens,
Helena Jäderblom,
Aleš Pejchal, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 8 janvier 2013,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 25502/07) dirigée contre la République française, dont une association de cet Etat, l’association Eglise Evangélique Missionnaire, et son président, M. Eric Salaûn (« les requérants »), ont saisi la Cour le 11 juin 2007 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Les requérants sont représentés par Me J. Paillot, avocat à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Les requérants allèguent en particulier que la taxation des dons manuels à laquelle ils ont été assujettis porte atteinte à leur droit de manifester et d’exercer leur religion garanti par l’article 9 de la Convention.

4. Le 10 juillet 2009, la requête a été communiquée au Gouvernement.

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

5. La requérante est une association soumise aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901 et de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l’Etat. Initialement enregistrée à la préfecture du Doubs, le 3 janvier 1964, sous le titre « Eglise Evangélique de Pentecôte de Besançon », elle fit enregistrer une modification de ses statuts le 3 août 1993 et prit le titre d’« Eglise Evangélique de Pentecôte », puis, dès 1995, utilisa celui de « Eglise Evangélique Missionnaire ». Sur les récépissés émanant de la préfecture du Doubs, antérieurs à 1996, il est précisé que la requérante est une association cultuelle.

Selon l’article 2 de ses statuts :

« (...) l’association a pour but :

2.1 : d’assurer la célébration du culte évangélique,

2.2 : de maintenir et de propager les doctrines énoncées dans la Confession de Foi annexée aux présents statuts,

2.3 : de pourvoir aux frais nécessités par cet objet. »

6. Dans le rapport parlementaire intitulé « Les sectes en France » rendu public le 22 décembre 1995 et largement diffusé, l’association requérante fut qualifiée de mouvement sectaire. Selon la commission parlementaire, le nombre de membres de l’association requérante varie entre cinq cents et deux mille.

7. Suite à ce rapport, l’association fut soumise à une série de mesures de vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 1993 au 31 décembre 1995 par la direction des services fiscaux du Doubs. Ce contrôle s’échelonna du 2 juillet au 30 septembre 1996. Au terme de ces investigations, l’administration constata le caractère non lucratif de l’association. Toutefois, elle considéra que l’association ne pouvait se prévaloir du caractère « cultuel » et par conséquent des exonérations fiscales attachées à ce statut. Deux procédures s’ensuivirent, l’une relative à l’assujettissement à la taxe foncière, l’autre concernant la taxation des dons manuels perçus par la requérante.

8. Le 14 janvier 1997, concernant la taxe foncière, la direction des services fiscaux du Doubs refusa à la requérante l’exonération fiscale accordée aux bâtiments cultuels, en application de l’article 1362-4 du code général des impôts (CGI) au motif que le caractère cultuel ne lui avait pas été reconnu et que le fait que ses statuts soient conformes à l’article 18 de la loi du 9 décembre 1905 ne suffisait pas à lui conférer le caractère d’association cultuelle exigé pour bénéficier de l’exonération permanente prévue par l’article 1342-4o du CGI. Il lui fut réclamé 11 926 euros (EUR). Le 30 septembre 1999, le tribunal administratif de Besançon annula le redressement fiscal, considérant que l’association devait être regardée comme ayant pour objet exclusif l’exercice d’un culte au sens de l’article 1382-4o du CGI et que c’était à tort que l’exonération de la taxe foncière lui avait été refusée.

9. Quant aux dons manuels perçus par l’association requérante (soit 4 093 964 francs français (FRF), soit 624 120 EUR), l’administration fiscale considéra qu’ils avaient été « révélés » au sens de l’article 757 du CGI (paragraphe 19 ci-dessous) lors du contrôle de comptabilité de l’association. Ils furent ainsi soumis aux droits de mutation à titre gratuit conformément à l’alinéa 2 de cette disposition et fixés au taux de 60 %. Par un courrier du 19 décembre 1996, l’administration mit la requérante en demeure de déclarer ces dons. Le 16 janvier 1997, l’association informa l’administration de son refus de procéder à cette déclaration et contesta le montant des dons exagéré selon elle, car comportant un montant de 1 027 944 FRF (156 709 EUR) correspondant à un prêt consenti par des particuliers à l’association qu’elle avait en partie remboursé ainsi que l’interprétation faite par l’administration fiscale de l’article 757 du CGI. L’administration considéra, en l’absence de preuve écrite, que la somme précitée de 156 709 EUR revêtait le caractère de dons manuels.

10. En conséquence, le 19 septembre 1997, l’administration lui notifia un rappel de droits d’enregistrement de 408 797,68 EUR, soit 278 567,50 EUR en principal et 130 230,18 EUR au titre des pénalités (intérêts de retard et majoration à 40 % pour défaut de déclaration) puis procéda à une taxation d’office. Le 16 octobre 1997, l’association requérante contesta celle-ci en faisant notamment valoir que les dons manuels pouvaient être encaissés librement sans autorisation préalable et qu’ils ne pouvaient être taxés en vertu de l’article 757 du CGI car cette disposition ne concernait que les seuls donataires personnes physiques.

11. Le 27 mai 1999, les rappels notifiés furent mis en recouvrement.

12. Le 24 juin 1999, l’association présenta une réclamation en vue d’obtenir la décharge des droits et pénalités en cause, rejetée par une décision du 28 mars 2001.

13. A la suite de l’assignation de l’administration par l’association datée du 23 mai 2001, le tribunal de grande instance de Besançon, le 13 mai 2003, annula le redressement notifié par les services fiscaux au motif suivant :

« En l’espèce, il est constant que l’examen de la comptabilité de l’association à l’occasion d’un contrôle a permis de mettre en évidence toutes les remises de fonds dont elle avait bénéficié durant les trois années précédentes.

Toutefois, l’article 795-10o [paragraphe 17 ci-dessous] prévoit au titre des exceptions que sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit les dons faits aux associations cultuelles.

S’agissant de celles-ci, les articles 18 et 19 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État les définissent comme celles qui ont un objet exclusif de subvenir aux frais, à l’entretien et à l’exercice d’un culte, tout autre objet, commercial, politique, scolaire ou même charitable leur étant formellement interdit.

A cet égard, faire dépendre le caractère cultuel d’une association d’un autre critère que ceux énoncés dans la loi du 9 décembre 1905, notamment de sa reconnaissance par l’autorité publique qui ne peut au regard des dispositions de ladite loi reconnaître un culte quelconque, aboutirait à ajouter au texte une condition qu’il ne contient pas.

En effet, il convient de ne pas confondre la qualification d’association cultuelle qui ne dépend pas d’une autorisation de l’autorité publique et l’acceptation des libertés testamentaires et entre vifs faites à une telle association qui, en vertu de l’article 19 alinéa 6 de la loi du 9 décembre 1905 issu du décret du 13 juin 1966, est soumise à l’autorisation de l’autorité préfectorale.

Au cas d’espèce, il résulte des statuts de l’Église Évangélique Missionnaire que l’objet de l’association est d’assurer l’exercice public du culte évangélique et de pourvoir aux frais et besoins de ce culte.

L’administration fiscale fait valoir que loin de se livrer à l’exercice exclusif d’un culte, l’association demanderesse pratique le prosélytisme, c’est-à-dire une forme de propagande.

Toutefois, ce faisant, elle procède par voie de pure allégation et ne fournit aucune pièce de nature à établir que l’association en cause ne se consacre pas exclusivement à la poursuite de l’objet défini dans ses statuts.

En conséquence, la demanderesse démontrant qu’elle remplit les conditions lui permettant de prétendre à l’exonération des droits de mutation sur les dons manuels dont elle bénéficie, et ce en application de l’article 795-10o du code général des impôts, il convient de faire droit à la demande et d’annuler le redressement qui lui a été notifié le 19 septembre 1997 par l’administration fiscale pour une somme de 278 567,50 euros en principal et celle de 130 230,18 euros au titre des pénalités. »

14. Par un arrêt du 18 novembre 2004, la cour d’appel de Besançon retint au titre des dons litigieux la somme de 4 093 964 FRF (paragraphe 9 ci‑dessus). Elle infirma le jugement de première instance en décidant que la requérante ne pouvait pas bénéficier de l’exonération prévue à l’article 795‑10o du CGI en faveur des associations cultuelles car elle ne justifiait pas qu’elle était, au jour du fait générateur de l’impôt, soit en 1996, reconnue comme telle par l’administration préfectorale.

15. En 2005, la requérante paya les droits rappelés, soit 278 567,50 EUR, au Trésor Public. Pour ce faire, elle fit un emprunt d’un montant de 127 000 EUR sur cinq ans. Par ailleurs, à titre de garantie, une hypothèque légale fut requise par le Trésor Public le 5 octobre 2005 sur un immeuble de la requérante. Une autre hypothèque fut requise par la banque pour garantir l’emprunt pour payer le redressement des droits mentionné ci‑dessus.

16. La requérante se pourvut en cassation. Elle fit notamment valoir que si la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des Eglises et de l’Etat avait interdit à l’Etat et aux autres collectivités publiques de subventionner les associations cultuelles, c’était précisément parce qu’elle autorisait ces dernières à se financer au moyen des quêtes et collectes auprès des fidèles ; en conséquence, si les tribunaux devaient confirmer la possibilité d’appliquer les droits de mutation au produit de ces quêtes, cela signifierait qu’il n’y a plus de réelle séparation entre les Eglises et l’Etat et que la liberté de culte garantie par l’article 9 de la Convention est remise en cause.

17. Par un arrêt du 12 décembre 2006, la Cour de cassation déclara le pourvoi de la requérante non admis.

18. Par courrier du 21 septembre 2007, la requérante sollicita la remise des pénalités sur les droits d’enregistrement notifiées le 19 septembre 1997, le montant de celles-ci s’élevant à 111 427 EUR au titre de la majoration et 18 803 EUR pour l’intérêt de retard. En mars 2008, l’administration nota que la requérante avait acquitté l’intégralité des droits rappelés soit un montant de 278 567 EUR et que le montant restant dû au titre des pénalités était de 53 780 EUR. Par un courrier du 3 juillet 2008, l’administration informa la requérante de la décision de lui accorder un dégrèvement de 40 780 EUR.

II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS

19. Il est renvoyé à l’arrêt Association Les Témoins de Jéhovah c. France (no 8916/05, §§ 29 à 42, 30 juin 2011) qui expose le contexte de l’affaire et les dispositinons pertinentes. Il est rappelé, pour l’essentiel, que les articles 757 et 795-10o du code général des impôts (CGI) étaient ainsi libellés :

Article 757 (tel que modifié par la loi no 91-1322 du 30 décembre 1991, art 15 II finances pour 1992, Journal Officiel du 31 décembre 1991)

« Les actes renfermant soit la déclaration par le donataire ou ses représentants, soit la reconnaissance judiciaire d’un don manuel, sont sujets au droit de donation.

La même règle s’applique lorsque le donataire révèle un don manuel à l’administration fiscale. »

Article 795

« Sont exonérés des droits de mutation à titre gratuit :

(...)

10º Les dons et legs faits aux associations cultuelles, aux unions d’associations cultuelles et aux congrégations autorisées ; »

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION

20. L’association requérante et son président allèguent que la taxation des dons manuels porte atteinte au droit de manifester et d’exercer la liberté de religion, tel que prévu par l’article 9 de la Convention, ainsi libellé :

« 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.

2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A. Sur la recevabilité

21. A titre liminaire, la Cour observe que la procédure litigieuse concernait l’association requérante, en tant que personne morale, et non son président en sa capacité personnelle. Elle relève que ce dernier ne se plaint pas d’une violation de ses droits en tant que président de l’association et qu’il n’entend pas invoquer un autre préjudice que celui subi par l’association requérante qui a valablement saisi la Cour. Dans ces conditions, la Cour est d’avis que M. Salaûn ne peut se prétendre « victime » au sens de l’article 34 de la Convention et que la requête est incompatible ratione personae avec les dispositions de la Convention en ce qui le concerne.

La Cour constate par ailleurs que le grief de l’association requérante n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Sur l’existence d’une ingérence

22. La requérante soutient que la taxation litigieuse constitue une ingérence au sens du premier paragraphe de l’article 9 car elle avait pour finalité de combattre certains mouvements religieux considérés comme sectaires. Elle soutient que l’atteinte à sa réputation directement imputable à la politique anti-sectes menée par l’Etat a porté atteinte à son droit de jouir paisiblement de la liberté de religion, et de fonctionner paisiblement. Elle précise par ailleurs que les dons manuels constituent une source de financement naturelle pour les associations cultuelles et que l’importance des redressements a mis en péril l’existence même de l’association puisqu’elle l’a contrainte à vendre une partie importante de ses bâtiments et de ses lieux de culte, rendant ainsi difficile voire impossible la pratique collective du culte de l’enseignement. La requérante fournit la « liste des immobilisations au 31 décembre 2002 » qui fait apparaître l’ensemble des achats de bâtiments (18 salles et un logement) servant de lieu de culte pour elle ou d’autres associations et dont la valeur résiduelle est de 559 447 EUR.

23. Le Gouvernement s’oppose à cette thèse. Il conteste l’existence d’une ingérence car le principe de neutralité de l’Etat quant à la légitimité des croyances religieuses n’est pas absolu et ne permet pas de se soustraire à l’obligation de payer les taxes ou de s’acquitter de l’impôt. Il précise toutefois que si la Cour venait à constater une ingérence, celle-ci ne pourrait, tout ou plus, que résulter des rappels de taxe qui ont été notifiés à la requérante. Il indique, compte tenu de l’ancienneté des faits, qu’il est difficile de préciser la part que le redressement litigieux représentait dans les ressources totales de l’association à la date de la période vérifiée. Il fournit une liste de bâtiments dont l’association requérante est propriétaire.

24. La Cour rappelle que les dons manuels sont une source de financement importante d’une association et qu’à ce titre leur taxation peut avoir un impact sur sa capacité à mener son activité religieuse. Dans son arrêt Association les Témoins de Jéhovah, précité, pour constater l’existence d’une ingérence dans le droit à manifester et exercer sa liberté de religion, la Cour s’est fondée sur le montant des sommes dues par la requérante à l’administration fiscale, sur le fait que ce redressement avait eu pour effet de couper les ressources vitales de l’association, « laquelle n’était plus en mesure d’assurer concrètement à ses fidèles le libre exercice de leur culte », et que « les lieux de culte étaient eux-mêmes visés » (§ 53).

25. En l’espèce, la Cour observe que le redressement litigieux s’élevait en septembre 1997 à un montant de 408 797 EUR, dont 278 567 EUR pour les droits au principal, et que le montant total des dons manuels taxés était de 624 120 EUR (paragraphes 9 et 14 ci-dessus). La Cour relève cependant que les parties ne fournissent pas d’indications précises sur la part que représentaient les dons manuels proportionnellement aux ressources de la requérante. Dans ces conditions, il est difficile de démontrer clairement que la taxation litigieuse a coupé les ressources vitales de la requérante et l’a empêchée d’assurer le libre exercice de son culte. Toutefois, compte tenu des éléments dont elle dispose concernant le nombre de membres de l’association requérante, considérée comme une petite association (paragraphe 6 ci-dessus), le montant de la taxation rappelée ci-dessus, les modalités du paiement de la taxe (paragraphe 15 ci-dessus), la liste des immobilisations fournie (paragraphe 22 ci-dessus), combinés à l’affirmation selon laquelle elle a dû vendre certaines de ses propriétés pour s’acquitter de l’impôt (idem), non contredite par le Gouvernement, la Cour en déduit que l’impact de la mesure litigieuse sur les ressources de la requérante fut important et de nature à sérieusement freiner l’exercice de son activité religieuse. Dès lors, la Cour conclut à l’existence d’une ingérence dans les droits garantis par l’article 9 de la Convention.

2. Sur la justification de l’ingérence

26. La requérante fait valoir que l’ingérence n’était pas prévue par la loi. Ils précisent que la perception des dons manuels n’a jamais été soumise à autorisation et que les autorités nationales, ayant décidé en application de l’article 757 du CGI de leur imposition, ne pouvaient exiger d’eux une telle autorisation pour bénéficier de l’exonération prévue par l’article 795-10o du CGI. Ils expliquent que l’Etat a créé, sans aucune base légale, une condition nouvelle pour que les associations cultuelles puissent bénéficier de l’exonération des droits de mutation à titre gratuit. Cette soudaine mise sous condition de l’exonération des droits de mutations des dons manuels revient à remettre en cause la liberté de culte garantie par l’article 9 de la Convention

27. Le Gouvernement soutient que la mesure litigieuse était prévue par la loi. D’une part, l’article 757 du CGI énumère limitativement les cas dans lesquels les dons manuels sont sujets à une taxation, parmi lesquels la révélation du don manuel par le donataire à l’administration fiscale depuis la loi du 30 décembre 1991. Ainsi, la taxation ne résulte pas d’une doctrine nouvelle mais d’une évolution législative intervenue plusieurs années avant le contrôle dont a fait l’objet l’association requérante. D’autre part, l’article 795-10o du CGI limite « l’exonération des droits de mutation à titre gratuit aux dons et legs de toute nature – y compris les dons manuels – consentis aux associations cultuelles à la condition que ces dernières aient été autorisées ». Selon le Gouvernement, la taxation poursuivait le but légitime de protection de l’ordre et des droits et liberté d’autrui et était proportionnée à ce but dès lors que l’association requérante s’était elle-même placée en dehors du dispositif légal d’exonération en ne demandant pas une autorisation préfectorale de percevoir des dons et legs.

28. La Cour rappelle que dans son arrêt Association les Témoins de Jéhovah (fond) précité, elle a conclu à la violation de l’article 9 de la Convention car la taxation des dons manuels dans des circonstances similaires à celle de la présente espèce ne satisfaisait pas à la condition de légalité prévue au paragraphe 2 de cette disposition. Elle a considéré que le redressement fiscal appliqué en vertu de l’article 757 alinéa 2 du CGI tel qu’en vigueur à l’époque des faits était « imprévisible» en particulier parce que cette législation n’était pas suffisamment précise pour prévoir qu’elle était applicable aux personnes morales (paragraphe 69 de l’arrêt) et qu’un contrôle fiscal puisse être assimilé à une « révélation » d’un don manuel (paragraphe 70 de l’arrêt).

29. La Cour constate que l’état du droit dans la présente affaire est le même que celui qui prévalait dans l’affaire Association les Témoins de Jéhovah et elle ne voit pas de raison en l’espèce de s’écarter de la conclusion à laquelle elle est parvenue dans celle-ci. Il s’ensuit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention.

II. SUR LES AUTRES VIOLATIONS ALLÉGUÉES

30. Invoquant l’article 14 de la Convention combiné avec l’article 9, la requérante soutient que les mesures fiscales n’ont été mises en œuvre que du fait de la qualification arbitraire de secte de l’association. Ainsi, elle estime discriminatoire, d’une part, le fait de subordonner une association à une autorisation afin qu’elle puisse recevoir des dons manuels sans être taxée, d’autre part, le fait de sanctionner une association pour avoir bénéficié de ces dons quand elle figure sur la liste des sectes. Selon elle, l’Etat a créé un nouveau statut discriminatoire d’« associations cultuelles autorisées», à côté du statut de droit commun.

La requérante estime également que le montant exigé par l’administration fiscale (taxation d’office et pénalités) est tel qu’il met en péril la survie de l’association, ce qui serait contraire au droit à la liberté d’association garantie par l’article 11 de la Convention. Elle invoque aussi l’article 7 de la Convention et considèrent que les mesures fiscales prises par l’Etat sont fondées sur une interprétation imprévisible des dispositions fiscales en vigueur. Enfin, invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, elle se plaint de la durée de la procédure, le premier contrôle fiscal ayant eu lieu le 2 juillet 1996 et l’arrêt de la Cour de cassation ayant été rendu le 12 décembre 2006.

31. Le Gouvernement soutient que le grief tiré de l’article 14 combiné avec l’article 9 de la Convention ne peut être examiné par la Cour en raison du défaut d’épuisement par la requérante des voies de recours internes. Il observe que la requérante n’a invoqué ce grief ni devant les juges du fond, ni dans son mémoire en cassation.

La requérante estime que la procédure litigieuse a nécessairement placé le litige sur le terrain de l’article 14 de la Convention. En contestant l’interprétation nouvelle des dispositions du CGI par l’administration fiscale qui revenait à créer deux types d’associations cultuelles, les unes autorisées, les autres non, la disposition conventionnelle était invoquée en substance selon eux.

32. La Cour rappelle qu’aux termes de l’article 35 § 1 de la Convention, elle ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes. A cet égard, elle souligne que tout requérant doit avoir donné aux juridictions internes l’occasion que l’article 35 § 1 de la Convention a pour finalité de ménager aux Etats contractants : éviter ou redresser les violations alléguées contre lui (Cardot c. France, 19 mars 1991, § 36, série A no 200). Cette disposition doit s’appliquer « avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif » ; il suffit que l’intéressé ait soulevé devant les autorités nationales « au moins en substance, et dans les conditions et délais prescrits par le droit interne » les griefs qu’il entend formuler par la suite à Strasbourg (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, §§ 65-69, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV ; Fressoz et Roire c. France [GC], no 29183/95, § 37, CEDH 1999‑I).

33. En l’espèce, la Cour constate que la requérante n’a pas, dans ses moyens de cassation en particulier, mentionné l’article 14 de la Convention, ni exposé devant la juridiction suprême la « discrimination fondée sur la religion » dont elle aurait été victime. Dans ces conditions, elle considère qu’il convient d’accueillir l’exception de non-épuisement du Gouvernement.

34. Ensuite, la Cour observe que les griefs tirés des articles 7 et 11 de la Convention n’ont pas été invoqués devant les juridictions nationales. Quant au grief tiré de la durée de la procédure, la Cour rappelle que tout grief tiré de la durée d’une procédure judiciaire, introduit devant elle après le 20 septembre 1999, sans avoir préalablement été soumis aux juridictions internes dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, est en principe irrecevable, quel que soit l’état de la procédure au plan interne (Mifsud c. France (déc.) [GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII). Or, la requérante ne justifie pas avoir exercé ce recours préalablement à la saisine de la Cour. Partant, cette partie de la requête doit être rejetée pour non‑épuisement des voies de recours internes en application de l’article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

III. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

35. Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A. Dommage

36. La requérante réclame 387 722 EUR au titre du préjudice matériel subi correspondant au montant des impositions acquittées (la requérante a obtenu un dégrèvement de 40 780 EUR) auxquels s’ajoutent les frais d’emprunt auprès d’une banque pour 13 375 EUR ainsi que les frais d’hypothèque pour 2 520 EUR. Elle souligne que la seule réparation possible est le remboursement des sommes illégalement exigées et des frais que leur paiement a engendrés. Elle demande également 1 EUR au titre du préjudice moral, faisant valoir que même si le classement de l’association sur la liste des sectes et la taxation qui en a suivi ont entraîné le départ de nombreux fidèles, un fidèle « n’appartenant » pas à une église, le préjudice moral ne peut être quantifié.

37. Le Gouvernement observe que la somme de 387 722 EUR correspond au montant des impositions en litige (droits, pénalités, intérêts) auxquels s’ajoutent les frais d’emprunt et les frais d’hypothèque. Il considère que la satisfaction équitable ne saurait consister en un montant de dommages et intérêts susceptible d’annuler la charge d’impôt.

38. S’agissant du préjudice matériel, la Cour renvoie à son arrêt sur la satisfaction équitable dans l’affaire Association les Témoins de Jéhovah c. France (satisfaction équitable) (no 8916/05, §§ 19 et 20, 5 juillet 2012) dans lequel elle a considéré dans des circonstances similaires à la présente espèce, que compte tenu du caractère illégal au regard de la Convention de l’ingérence litigieuse, il y avait lieu de faire droit à la demande de remboursement de la somme acquittée par l’association auprès du Trésor Public pour que celle-ci soit placée le plus possible dans une situation équivalente à celle où elle se trouverait s’il n’y avait pas eu manquement aux exigences de l’article 9. Dans ces conditions, la Cour fait droit à la demande de restitution de la somme indiquée par la requérante en y ajoutant le remboursement des frais d’emprunt et des frais d’hypothèque, soit la somme totale de 387 722 EUR.

Quant au préjudice moral, la Cour le juge suffisamment réparé par le constat de violation de la Convention auquel elle parvient.

B. Frais et dépens

39. La requérante demande également 136 416 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et 15 000 EUR pour ceux engagés devant la Cour. Elle présente des factures relatives à l’assistance au cours de la phase précontentieuse d’un montant total de 20 229 EUR, taxe sur la valeur ajoutée comprise (TVA). Les frais engagés au titre des procédures suivies devant les juridictions internes s’élèvent, selon les notes d’honoraires figurant au dossier, à 116 187 EUR et se décomposent comme suit : 55 012 EUR en 2001 et 2002 pour la préparation des contentieux, 35 613 EUR en 2003 pour le suivi des procédures devant le TGI et devant le tribunal administratif, 25 562 EUR pour la procédure devant la cour d’appel et la Cour de cassation. Quant aux frais exposés devant la Cour, elle présente une facture de 17 940 EUR.

40. Le Gouvernement souligne que les factures produites ne sont pas toujours précises ou qu’elles se réfèrent aux autres instances engagées par l’association devant les juridictions nationales. Il considère la somme réclamée largement disproportionnée et conclut à ce que celle éventuellement allouée au requérant n’excède pas la somme de 5 000 EUR.

41. Selon la jurisprudence de la Cour, l’allocation des frais et dépens au titre de l’article 41 présuppose que se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, les frais de justice ne sont recouvrables que dans la mesure où ils se rapportent à la violation constatée (voir, par exemple, Beyeler c. Italie (satisfaction équitable) [GC], no 33202/96, § 27, 28 mai 2002).

42. Quant aux frais exposés devant les juridictions internes, la Cour observe que les réclamations auprès de l’administration fiscale lors de la phase précontentieuse ne visaient pas à réparer les violations de la Convention alléguées (Association les Témoins de Jéhovah c. France (satisfaction équitable), précité, § 35) ; ces frais ne peuvent donc être pris en compte. Il n’en est pas de même, en revanche, des sommes réclamées pour la procédure devant les juridictions nationales car il n’est pas contesté que l’affaire de la requérante visait partiellement la violation de la Convention. A ce sujet, la Cour rappelle cependant qu’elle n’a conclu en l’espèce à la violation de la Convention que pour l’un des griefs développés par la requérante, celui tiré de l’article 9 de la Convention. En outre, elle juge élevés les montants réclamés à titre d’honoraires et considère qu’il y lieu de les rembourser en partie seulement. Se livrant à sa propre appréciation sur la base des informations disponibles, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante 40 000 EUR.

43. Quant aux frais et dépens exposés au cours de la procédure devant elle, la Cour juge raisonnable d’allouer à la requérante la somme demandée, soit 15 000 EUR.

C. Intérêts moratoires

44. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Déclare la requête irrecevable à l’égard de M. Salaûn ;

2. Déclare le grief tiré de l’article 9 de la Convention recevable et le restant de la requête irrecevable ;

3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 9 de la Convention ;

4. Dit

a) que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois, à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention,

i) le remboursement de la somme de 387 722 EUR (trois cent quatre‑vingt‑sept mille sept cent vingt-deux euros) au titre du préjudice matériel ;

ii) 55 000 EUR (cinquante-cinq mille euros) pour frais et dépens ;

plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt par la requérante,

b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

5. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 31 janvier 2013, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Claudia WesterdiekMark Villiger
GreffièrePrésident


Synthèse
Formation : Cour (cinquiÈme section)
Numéro d'arrêt : 001-116116
Date de la décision : 31/01/2013
Type d'affaire : au principal et satisfaction équitable
Type de recours : Violation de l'article 9 - Liberté de pensée de conscience et de religion (Article 9-1 - Manifester sa religion ou sa conviction)

Parties
Demandeurs : EGLISE EVANGELIQUE MISSIONNAIRE ET SALAÛN
Défendeurs : FRANCE

Composition du Tribunal
Avocat(s) : PAILLOT J.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/02/2021
Fonds documentaire ?: HUDOC

Source

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