ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)
9 juillet 2025 ( *1 )
« Marque de l’Union européenne – Procédure de nullité – Marque de l’Union européenne tridimensionnelle – Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille et différenciées par leurs couleurs – Cause de nullité absolue – Signe constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique – Article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement (CE) no 40/94 »
Dans l’affaire T‑1171/23,
Spin Master Toys UK Ltd, établie à Marlow (Royaume-Uni), représentée par Mes V. von Bomhard et A. Malkmes, avocates,
partie requérante,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. D. Gája et V. Ruzek, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
Verdes Innovations SA, établie à Chiliomodi (Grèce), représentée par Me R. Kunze, avocat,
LE TRIBUNAL (sixième chambre),
composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva (rapporteure) et E. Tichy‑Fisslberger, juges,
greffier : Mme R. Ūkelytė, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 15 novembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Spin Master Toys UK Ltd, demande l’annulation de la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 20 octobre 2023 (affaire R 850/2022-1) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 25 janvier 2013, l’intervenante, Verdes Innovations SA, a présenté à l’EUIPO une demande de nullité de la marque de l’Union européenne ayant été enregistrée le 9 janvier 2008 sous le numéro 5696232 à la suite d’une demande déposée le 6 février 2007 par Seven Towns Ltd, le prédécesseur en droit de la requérante, pour le signe tridimensionnel suivant :
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3 La représentation de la marque contestée était accompagnée de la description suivante :
« La marque consiste en la représentation de six surfaces géométriquement organisées en trois paires de surfaces parallèles, chaque paire étant placée perpendiculairement aux deux autres paires et se caractérisant par (i) le fait que les deux surfaces adjacentes sont de couleurs différentes, à savoir rouge (PMS 200C*), vert (PMS 347C*), bleu (PMS 293C*), orange (PMS 021C*), jaune (PMS 012C*) et blanc, et (ii) que chacune de ces surfaces est divisée en neuf segments égaux, par des lignes noires,
formant ainsi une grille ; la représentation graphique de la marque présente deux vues tridimensionnelles, l’une latérale et l’autre frontale, de chacun des six côtés ».
4 La marque contestée contenait également la revendication des couleurs suivantes :
« Rouge (PMS 200C), vert (PMS 347C), bleu (PMS 293C), orange (PMS 021C), jaune (PMS 012C) et blanc ».
5 Les produits couverts par la marque contestée pour lesquels la nullité était demandée relevaient de la classe 28 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondaient à la description suivante : « Jouets, jeux et puzzles, puzzles tridimensionnels ; jeux électroniques ; unités de jeux électroniques portables ».
6 La cause invoquée à l’appui de la demande en nullité était celle visée à l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous a), b), c) et e), du même règlement.
7 Le 4 juin 2014, la division d’annulation a suspendu la procédure pendante devant elle dans l’attente d’une décision définitive sur la demande en nullité introduite par Simba Toys contre la marque de l’Union européenne tridimensionnelle numéro 162784 représentant comme suit, en noir et blanc, un puzzle en trois dimensions dénommé Rubik’s Cube :
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8 Le Tribunal a rendu l’arrêt du 25 novembre 2014, Simba Toys/OHMI – Seven Towns (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille) (T‑450/09, EU:T:2014:983). La Cour a annulé cet arrêt du Tribunal et la décision de la chambre de recours dans l’arrêt du 10 novembre 2016, Simba Toys/EUIPO (C‑30/15 P, EU:C:2016:849). Par la décision R 452/2017-1 du 19 juin 2017, la chambre de recours a prononcé la nullité de la marque de l’Union européenne tridimensionnelle numéro 162784 sur le fondement
de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire (JO 1994, L 11, p. 1), lu conjointement avec l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du même règlement. Le Tribunal a confirmé cette décision dans l’arrêt du 24 octobre 2019, Rubik’s Brand/EUIPO – Simba Toys (Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille) (T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765). La Cour n’a pas admis le pourvoi formé contre cet arrêt du
Tribunal (ordonnance du 23 avril 2020, Rubik’s Brand/EUIPO, C‑936/19 P, non publiée, EU:C:2020:286).
9 Le 22 janvier 2021, la procédure de nullité de la marque contestée a repris.
10 Le 25 mars 2022, la division d’annulation a intégralement fait droit à la demande de nullité de la marque contestée sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009.
11 Le 16 mai 2022, la requérante a formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.
12 Par la décision attaquée, la chambre de recours a rejeté le recours. En particulier, elle a considéré que les couleurs des carrés de chaque face du cube étaient une caractéristique essentielle de la marque contestée et faisaient partie intégrante de la forme de cette marque. Elle a constaté que la combinaison de ces six couleurs différentes était nécessaire à l’obtention d’un résultat technique. Elle a conclu, en substance, que ladite marque avait été enregistrée contrairement aux dispositions de
l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 pour tous les produits visés par l’enregistrement.
Conclusions des parties
13 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner l’EUIPO et l’intervenante aux dépens.
14 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
15 L’intervenante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens de la procédure devant le Tribunal et la chambre de recours.
En droit
16 Compte tenu de la date de dépôt de la demande d’enregistrement en cause, à savoir le 6 février 2007, qui est déterminante aux fins de l’identification du droit matériel applicable, les faits de l’espèce sont régis par les dispositions matérielles du règlement no 40/94 (voir, en ce sens, ordonnance du 5 octobre 2004, Alcon/OHMI, C‑192/03 P, EU:C:2004:587, points 39 et 40, et arrêt du 23 avril 2020, Gugler France/Gugler et EUIPO, C‑736/18 P, non publié, EU:C:2020:308, point 3 et jurisprudence
citée).
17 Par suite, en l’espèce, en ce qui concerne les règles de fond, il convient d’entendre les références faites par la chambre de recours dans la décision attaquée et par les parties dans leurs écritures à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 et à l’article 52, paragraphe 1, sous a), du même règlement comme visant, respectivement, l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 et l’article 51, paragraphe 1, sous a), du même règlement, d’une teneur en
substance identique pour ce qui concerne le présent litige.
18 Par ailleurs, dans la mesure où les règles de procédure sont généralement censées s’appliquer à la date à laquelle elles entrent en vigueur (voir arrêt du 11 décembre 2012, Commission/Espagne, C‑610/10, EU:C:2012:781, point 45 et jurisprudence citée), le présent litige est régi par les dispositions procédurales du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).
19 À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, lu conjointement avec l’article 51, paragraphe 1, sous a), du même règlement. Ce moyen s’articule en trois branches tirées, premièrement, d’une erreur d’appréciation dans l’identification des caractéristiques essentielles de la marque contestée, deuxièmement, d’une erreur d’appréciation dans l’analyse de la fonctionnalité de cette marque et,
troisièmement, d’une erreur d’appréciation relative aux « puzzles ». La requérante fait valoir, en substance, que la marque tridimensionnelle contestée présente des caractéristiques essentielles, à savoir la combinaison de six couleurs spécifiques et leur agencement sur les six faces du cube, qui ne sont pas constituées exclusivement par la forme et qui, en tout état de cause, ne sont pas nécessaires à l’obtention d’un résultat technique.
20 Il ressort notamment de l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement no 40/94 que la nullité de la marque de l’Union européenne est déclarée, sur demande présentée auprès de l’EUIPO, lorsque cette marque a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 du même règlement.
21 Aux termes de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, sont refusés à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
22 Il convient de rappeler que l’objectif immédiat de l’interdiction d’enregistrer les formes visées à l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 40/94 est d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer, sans limitation dans le temps, d’autres droits que le législateur de l’Union européenne a entendu soumettre à des délais de péremption [voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2023, BB Services/EUIPO – Lego Juris (Forme d’une figurine de jouet
avec tenon sur la tête), T‑297/22, EU:T:2023:780, point 25 et jurisprudence citée].
23 L’intérêt général sous-tendant l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 est d’éviter que le droit des marques aboutisse à conférer à une entreprise un monopole sur des solutions techniques ou des caractéristiques utilitaires d’un produit (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 43 et jurisprudence citée, et du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non
publié, EU:T:2019:765, point 43 et jurisprudence citée).
24 Une application correcte de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 implique que les caractéristiques essentielles du signe tridimensionnel en cause soient dûment identifiées. L’expression « caractéristiques essentielles » doit être comprise comme visant les éléments les plus importants du signe (arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 68 et 69 ; du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille,
T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 47, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 102).
25 L’identification des caractéristiques essentielles d’un signe doit être opérée au cas par cas, sans aucune hiérarchie systématique entre les différents types d’éléments qu’un signe peut comporter. Elle peut être opérée soit en se basant directement sur l’impression globale dégagée par le signe, soit en procédant, dans un premier temps, à un examen successif de chacun des éléments constitutifs du signe (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516,
point 70 ; du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 48, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 103).
26 Par conséquent, l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe tridimensionnel peut, selon le cas, et en particulier eu égard au degré de complexité de ce signe, être effectuée par une simple analyse visuelle dudit signe ou, au contraire, être basée sur un examen approfondi dans le cadre duquel sont pris en compte des éléments utiles à l’appréciation, tels que des enquêtes et des expertises, ou encore des données relatives à des droits de propriété intellectuelle conférés
antérieurement en rapport avec le produit concerné (arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 71 ; du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 49, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 104).
27 Ainsi, l’autorité compétente peut effectuer un examen approfondi dans le cadre duquel sont pris en compte, outre la représentation graphique et les éventuelles descriptions fournies lors du dépôt de la demande d’enregistrement, des éléments utiles à l’identification convenable des caractéristiques essentielles d’un signe (arrêts du 6 mars 2014, Pi-Design e.a./Yoshida Metal Industry, C‑337/12 P à C‑340/12 P, non publié, EU:C:2014:129, point 54, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet
avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 105).
28 Il s’ensuit que, si l’identification des caractéristiques essentielles du signe en cause doit en principe débuter par l’examen de la représentation graphique de ce signe, l’autorité compétente peut également se référer à d’autres éléments d’information utiles permettant de déterminer correctement ces caractéristiques, tels que la perception du public pertinent (arrêts du 23 avril 2020, Gömböc, C‑237/19, EU:C:2020:296, points 30, 31 et 37, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec
tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 106).
29 Par ailleurs, ni le caractère distinctif des éléments d’un signe ni le caractère distinctif acquis par l’usage d’un signe ne sont pertinents pour la détermination de ses caractéristiques essentielles au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 [arrêts du 24 septembre 2019, Roxtec/EUIPO – Wallmax (Représentation d’un carré noir contenant sept cercles bleus concentriques), T‑261/18, EU:T:2019:674, point 64, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec
tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 108].
30 La détermination des caractéristiques essentielles de la forme en cause, dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, se fait dans le but précis de permettre l’examen de la fonctionnalité de ladite forme [arrêts du 24 septembre 2019, Représentation d’un carré noir contenant sept cercles bleus concentriques, T‑261/18, EU:T:2019:674, point 55 ; du 30 mars 2022, Établissement Amra/EUIPO – eXpresio, estudio creativo (Forme d’une botte de rebond), T‑264/21, non
publié, EU:T:2022:193, point 41, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 109]. Ainsi, cette détermination doit être effectuée objectivement, à la lumière du résultat technique obtenu par cette forme.
31 Dès que les caractéristiques essentielles du signe sont identifiées, il incombe encore à l’EUIPO de vérifier si ces caractéristiques répondent toutes à la fonction technique ou à l’une des fonctions techniques du produit en cause (voir, en ce sens, arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 72 ; du 23 avril 2020, Gömböc, C‑237/19, EU:C:2020:296, point 28 et jurisprudence citée, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête,
T‑297/22, EU:T:2023:780, point 110), c’est-à-dire de procéder à l’analyse de la fonctionnalité du signe.
32 Afin d’analyser la fonctionnalité d’un signe au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, les caractéristiques essentielles de la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique doivent, dans la mesure du possible, être appréciées au regard de la fonction technique du produit concret représenté. Une telle analyse ne peut être effectuée sans que soient pris en considération, le cas échéant, les éléments supplémentaires ayant trait à la fonction du produit
concret, même s’ils ne sont pas visibles dans la représentation (arrêts du 10 novembre 2016, Simba Toys/EUIPO, C‑30/15 P, EU:C:2016:849, points 46 et 48, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 111).
33 Ainsi, pour l’analyse de la fonctionnalité d’un signe au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, le juge de l’Union n’est pas lié par les seules fonctions visibles à partir de la représentation graphique de la marque, mais doit prendre en considération les autres éléments issus du produit concret, tels que le mécanisme de rotation dans le cas du Rubik’s Cube (voir, en ce sens, arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille,
T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, points 85 et 86), la face inférieure de la brique dans le cas de la brique Lego [arrêt du 12 novembre 2008, Lego Juris/OHMI – Mega Brands (Brique de Lego rouge), T‑270/06, EU:T:2008:483, point 78] et, pour un pansement, son mode d’action [arrêt du 31 janvier 2018, Novartis/EUIPO – SK Chemicals (Représentation d’un timbre transdermique), T‑44/16, non publié, EU:T:2018:48, point 37]. Toutefois, le juge de l’Union ne peut ajouter à la forme du produit concret des
éléments qui n’en sont pas constitutifs (arrêts du 3 juin 2021, Yokohama Rubber et EUIPO/Pirelli Tyre, C‑818/18 P et C‑6/19 P, non publié, EU:C:2021:431, points 62 à 66, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 112).
34 Si des éléments d’information qui ne ressortent pas de la représentation graphique du signe peuvent être pris en compte pour déterminer si ces caractéristiques répondent à une fonction technique du produit en cause, ces éléments d’information doivent provenir de sources objectives et fiables et ne peuvent inclure la perception du public pertinent (arrêts du 23 avril 2020, Gömböc, C‑237/19, EU:C:2020:296, point 37, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête,
T‑297/22, EU:T:2023:780, point 113).
35 La condition selon laquelle une forme de produit ne peut être refusée à l’enregistrement en tant que marque de l’Union européenne en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 que si elle est « nécessaire » à l’obtention du résultat technique visé ne signifie pas que la forme en cause doive être la seule permettant d’obtenir ce résultat (arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, point 53 ; du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des
faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 46, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 114).
36 L’existence d’autres formes permettant d’obtenir le même résultat technique ne constitue pas, pour l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, une circonstance de nature à écarter le motif de refus d’enregistrement (voir arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 58 et 83 et jurisprudence citée ; arrêt du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 115).
37 En d’autres termes, l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 s’oppose à l’enregistrement de toute forme constituée exclusivement, dans ses caractéristiques essentielles, par la forme du produit techniquement causale et suffisante à l’obtention du résultat technique visé, même si ce résultat peut être atteint par d’autres formes employant la même, ou une autre, solution technique (arrêts du 12 novembre 2008, Brique de Lego rouge, T‑270/06, EU:T:2008:483, point 43, et du
6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 116).
38 Dans le cadre de l’examen de la fonctionnalité d’un signe constitué par la forme d’un produit, il importe seulement d’apprécier, après que les caractéristiques essentielles dudit signe ont été identifiées, si ces caractéristiques répondent à la fonction technique du produit concerné. Cet examen doit, de toute évidence, être fait en analysant le signe déposé ou contesté, et non les signes constitués d’autres formes de produit. La fonctionnalité technique des caractéristiques d’une forme peut être
appréciée, notamment, en tenant compte de la documentation relative aux brevets antérieurs qui décrivent les éléments fonctionnels de la forme concernée (arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 84 et 85, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 117).
39 Seules les formes de produit qui ne font qu’incorporer une solution technique, et dont l’enregistrement en tant que marque gênerait donc réellement l’utilisation de cette solution technique par d’autres entreprises, sont refusées à l’enregistrement. L’enregistrement d’une forme exclusivement fonctionnelle d’un produit en tant que marque serait susceptible de permettre au titulaire de cette marque d’interdire aux autres entreprises non seulement l’utilisation de la même forme, mais aussi
l’utilisation de formes similaires [arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 48 et 56 ; du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, points 45 et 46, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 118].
40 La présence d’un ou de quelques éléments arbitraires mineurs dans un signe, dont tous les éléments essentiels sont dictés par la solution technique à laquelle ce signe donne expression, est sans incidence sur la conclusion selon laquelle ledit signe est constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, la présence de caractéristiques non essentielles sans fonction technique étant, dans ce cadre, dépourvue de pertinence (voir, en ce sens, arrêts du
14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 51 et 52 et jurisprudence citée ; du 11 mai 2017, Yoshida Metal Industry/EUIPO, C‑421/15 P, EU:C:2017:360, point 27 et jurisprudence citée, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 119).
41 Le fait qu’un élément essentiel de la marque contestée, qui est nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, possède, en outre, une valeur esthétique ou un caractère inhabituel ne permet pas d’exclure l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 [arrêt du 5 juillet 2023, Wajos/EUIPO (Forme d’un contenant), T‑10/22, non publié, EU:T:2023:377, point 45].
42 En outre, le fait que la combinaison d’éléments exclusivement fonctionnels apporte une valeur esthétique d’ensemble ou contribue à créer une image ornementale de la marque contestée n’empêche pas l’application du motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 [voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2012, Reddig/OHMI – Morleys (Manche de couteau), T‑164/11, non publié, EU:T:2012:443, point 40, et du 5 juillet 2023, Forme d’un contenant, T‑10/22, non
publié, EU:T:2023:377, point 49].
43 En revanche, l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 ne saurait s’appliquer lorsque la marque demandée ou contestée porte sur une forme de produit dans laquelle un élément non fonctionnel, tel qu’un élément ornemental ou de fantaisie, joue un rôle important. Dans ce cas, les entreprises concurrentes ont facilement accès à des formes alternatives de fonctionnalité équivalente, de sorte qu’il n’existe pas un risque d’atteinte à la disponibilité de la solution technique. Cette
dernière pourra, dans cette hypothèse, être incorporée sans difficulté par les concurrents du titulaire de ladite marque dans des formes de produits qui n’ont pas le même élément non fonctionnel que celui dont dispose la forme du produit dudit titulaire et qui, par rapport à celle-ci, ne sont donc ni identiques ni similaires (arrêts du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 52 et 72 ; du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille,
T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 50, et du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, points 119 et 120).
44 Pour être qualifié d’élément arbitraire majeur, un élément non fonctionnel doit présenter un caractère suffisamment significatif [arrêt du 13 novembre 2024, Boehringer Ingelheim Pharma/EUIPO – Glenmark Pharmaceuticals Europe (Forme d’inhalateur), T‑524/23, non publié, sous pourvoi, EU:T:2024:809, point 54].
45 Il résulte de ce qui précède que le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 ne peut s’appliquer que si chacune des caractéristiques essentielles du signe en cause est nécessaire pour obtenir un résultat technique auquel est destiné le produit concerné. En revanche, ce motif ne s’applique pas dès qu’il existe un élément non fonctionnel majeur, tel qu’un élément ornemental ou de fantaisie, qui constitue une caractéristique essentielle dudit signe, mais
qui n’est pas nécessaire à l’obtention d’un tel résultat technique (arrêt du 6 décembre 2023, Forme d’une figurine de jouet avec tenon sur la tête, T‑297/22, EU:T:2023:780, point 121). Toutefois, la présence de caractéristiques non essentielles, même non fonctionnelles, n’empêche pas l’application dudit motif.
46 En synthèse, le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 s’applique si toutes les caractéristiques essentielles de la forme en cause sont fonctionnelles, sauf s’il existe au moins une caractéristique essentielle non fonctionnelle, et peu importe qu’une caractéristique non essentielle soit non fonctionnelle.
47 C’est à la lumière de ces principes qu’il convient, après avoir formulé deux observations liminaires, d’examiner le bien-fondé du moyen unique de la requérante.
Observations liminaires
Sur le type de la marque contestée
48 Au point 51 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé qu’il était constant entre les parties que la marque contestée correspondait à la forme d’un puzzle en trois dimensions inventé par M. Ernő Rubik et commercialisé avec succès depuis les années 80 sous le nom de Rubik’s Cube.
49 À cet égard, il importe de souligner, d’emblée, que la marque contestée a été déposée et enregistrée en tant que marque tridimensionnelle ou marque de forme, et non en tant que marque bidimensionnelle ou marque de motif s’appliquant aux surfaces d’une forme, ni en tant que marque de position placée ou apposée sur une forme, ni en tant que marque de couleur en soi, indépendamment de toute forme. En substance, la marque contestée est une version 3 x 3 du puzzle en trois dimensions connu sous le nom
de Rubik’s Cube.
50 Or, il ressort de la jurisprudence que, en déposant une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO, le demandeur opère un choix délimitant l’étendue de la protection accordée en fonction du type de la marque demandée. L’EUIPO doit donc tenir compte du choix fait par le déposant dans sa demande et en tirer les conséquences qui s’imposent. De surcroît, l’exigence de clarté et de précision découlant de l’article 4 du règlement no 40/94, telle qu’interprétée, par
analogie, par l’arrêt du 12 décembre 2002, Sieckmann (C‑273/00, EU:C:2002:748, points 46 à 55), a pour objectif primordial de préserver la sécurité juridique, en s’assurant que l’objet de la protection accordée par l’EUIPO est clairement déterminé à l’égard des autorités compétentes et des opérateurs économiques, en particulier les concurrents du déposant. Cette exigence est d’autant plus impérative lorsqu’il s’agit, conformément à l’intérêt public protégé par l’article 7, paragraphe 1, sous e),
ii), du même règlement, d’éviter l’instauration d’un monopole potentiellement perpétuel sur une solution technique [voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2017, Flamagas/EUIPO – MatMind (CLIPPER), T‑580/15, non publié, EU:T:2017:433, points 35 et 36].
51 En l’espèce, il convient donc de tenir compte du choix fait par la requérante (ou son prédécesseur en droit) de déposer la marque contestée en tant que marque tridimensionnelle ou marque de forme.
Sur le résultat technique de la marque contestée
52 Aux points 53 et 54 de la décision attaquée, la chambre de recours a cité sa décision R 452/2017-1 du 19 juin 2017 (ci-après la « décision citée »), dans laquelle elle avait examiné une marque correspondant à un Rubik’s Cube en noir et blanc avec les petits carrés disposés en rangées de 3 x 3 sur chaque face. Elle avait décrit le résultat technique visé par le puzzle en trois dimensions en cause comme étant celui d’un « jeu qui consiste à reconstituer un puzzle de couleur en trois dimensions et
en forme de cube en assemblant six faces de différentes couleurs » et précisé que « [c]ette finalité est atteinte en faisant pivoter selon un axe, verticalement et horizontalement, des rangées de cubes plus petits de différentes couleurs jusqu’à ce que les neuf carrés de chaque face du cube soient de la même couleur » (point 32 de la décision citée).
53 Il y a lieu d’entériner cette appréciation du résultat technique par la chambre de recours – laquelle a déjà été confirmée par le Tribunal dans l’arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille (T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, points 80 à 83), ainsi que l’a relevé la chambre de recours et sans que cela soit contesté par la requérante – tout en la transposant mutatis mutandis à la version 3 x 3 colorée du Rubik’s Cube qui constitue la marque contestée en
l’espèce.
Sur la première branche du moyen unique, tirée d’une erreur d’appréciation dans l’identification des caractéristiques essentielles de la marque contestée
54 Par la première branche du moyen unique, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir violé l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 en l’appliquant à la marque contestée, alors que celle-ci n’est pas constituée exclusivement par une forme. L’une de ses caractéristiques essentielles, comme l’aurait admis la chambre de recours, serait l’agencement spécifique de six couleurs spécifiques sur les six faces du cube. Or, cet agencement ne ferait pas partie intégrante de
la forme du produit et ne saurait être assimilé à celle-ci. La requérante fait grief à la chambre de recours de n’avoir pas reconnu que la couleur ne saurait être assimilée à la « forme », en contradiction avec la définition de la notion de « forme » dans la jurisprudence de la Cour.
55 Plus précisément, la première branche se divise en une allégation liminaire et un grief principal.
Sur l’allégation liminaire, relative aux caractéristiques essentielles de la marque contestée
56 Par une allégation liminaire, qui constitue la prémisse de son grief principal, la requérante avance que le dessin de surface en six couleurs différentes constitue une caractéristique essentielle de la marque contestée, comme l’aurait confirmé la chambre de recours à la suite de la division d’annulation. La requérante prétend que la troisième caractéristique essentielle de cette marque, outre la forme du cube et la structure en grille, a été définie à juste titre par la chambre de recours, au
point 52 de la décision attaquée, comme étant l’agencement spécifique des six couleurs spécifiques en cause.
57 À cet égard, la requérante soutient également que la représentation graphique de la marque contestée ne laissait aucun doute sur le fait que son objet était, principalement, les six couleurs spécifiques agencées de manière spécifique, car les couleurs sont clairement spécifiées au moyen de codes Pantone et leur position sur le cube est précisée par les représentations tridimensionnelles ainsi que par la description citée au point 3 ci-dessus. Le fait que la requérante (ou son prédécesseur en
droit) n’ait pas cherché à protéger principalement la forme en tant que telle, mais le dessin de surface, c’est-à-dire les couleurs spécifiques et leur agencement sur le cube, ressortirait très clairement de ladite description.
58 L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.
59 Il convient de rappeler qu’une application correcte de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 implique que les caractéristiques essentielles du signe tridimensionnel en cause soient dûment identifiées (voir point 24 ci-dessus).
60 Au point 52 de la décision attaquée, la chambre de recours a déclaré qu’il était constant entre les parties que la représentation de la marque contestée présentait les caractéristiques essentielles suivantes :
– une forme de cube ;
– une grille noire sur chaque face du cube formée de carrés disposés en rangées de 3 x 3 ;
– six couleurs différentes pour les carrés de chaque face respective du cube, à savoir le rouge, le vert, le bleu, l’orange, le jaune et le blanc.
61 S’agissant de la troisième caractéristique essentielle susmentionnée de la marque contestée, il y a lieu de rejeter l’allégation liminaire de la requérante selon laquelle l’agencement spécifique des six couleurs spécifiques serait une caractéristique essentielle de cette marque, comme l’aurait défini la chambre de recours au point 52 de la décision attaquée. En effet, il convient de considérer, à l’instar de l’EUIPO, qu’une telle identification de la troisième caractéristique essentielle de
ladite marque ne figure pas dans la décision attaquée et est, de surcroît, erronée.
62 En premier lieu, il convient de relever que la chambre de recours ne fait référence à aucun « agencement spécifique de couleurs spécifiques » en tant que caractéristique essentielle de la marque contestée, mais souligne plutôt le fait que ces couleurs sont différentes et que ces différentes couleurs apparaissent respectivement sur chaque face du cube. L’énumération par la chambre de recours des six couleurs (rouge, vert, bleu, orange, jaune et blanc) consiste seulement en une description des
couleurs qui apparaissent sur les faces du cube dans cette marque. Une telle énumération ne saurait être interprétée en ce sens que la chambre de recours aurait considéré que ces couleurs spécifiques et leur agencement spécifique constituaient une caractéristique essentielle de ladite marque.
63 Cela est confirmé par le fait que la chambre de recours, d’une part, a défini les « six couleurs différentes » comme une seule et même caractéristique essentielle et non comme six caractéristiques essentielles distinctes et, d’autre part, ne s’est pas référée à un quelconque « agencement spécifique » de ces couleurs, contrairement à ce qu’allègue la requérante. La chambre de recours a simplement reconnu que ces couleurs étaient différentes sur chaque carré de chaque face du cube et s’est limitée
à décrire ces couleurs de la manière la plus simple possible.
64 En second lieu, il convient de rappeler, d’une part, que la détermination des caractéristiques essentielles de la forme en cause, dans le cadre de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, doit être effectuée objectivement, à la lumière du résultat technique obtenu par ladite forme, et se fait dans le but précis de permettre l’examen de la fonctionnalité de cette forme (voir point 30 ci-dessus). D’autre part, l’expression « caractéristiques essentielles » doit être comprise
comme visant les éléments les plus importants du signe (voir point 24 ci-dessus), au contraire des éléments arbitraires mineurs (voir point 40 ci-dessus).
65 En l’espèce, il y a lieu de constater que tant l’examen des éléments individuels de la marque tridimensionnelle contestée que celui de l’impression d’ensemble qu’elle produit, compte tenu en particulier du fait qu’un tel examen doit être effectué à la lumière du résultat technique obtenu par la forme en cause et dans le but précis de permettre l’examen de la fonctionnalité de cette forme, conduisent à la conclusion que les six couleurs spécifiques (rouge, vert, bleu, orange, jaune et blanc)
placées sur les faces du cube et leur prétendu « agencement spécifique » ne constituent pas une caractéristique essentielle de ladite marque.
66 En effet, pour les raisons qui suivent, les six couleurs spécifiques et leur prétendu « agencement spécifique » doivent être considérés comme étant d’une importance mineure et secondaire par rapport à la forme du cube, à la structure en grille et à la différenciation des faces du cube, à savoir le fait que celles-ci sont distinguables.
67 Premièrement, il y a lieu de constater que les six couleurs spécifiques en cause, telles que revendiquées, sont basiques, ce qui suggère qu’elles sont d’une importance mineure et secondaire par rapport à la forme. Compte tenu de leur caractère basique, ces couleurs répondent simplement à la fonction de distinguer les différentes faces du cube par ce que le Tribunal a dénommé un « effet de contraste » (arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille,
T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 88). En outre, de telles couleurs basiques, dans la mesure où elles ne seraient pas considérées comme fonctionnelles, ne présentent pas un caractère suffisamment significatif pour être qualifiées d’éléments arbitraires majeurs (voir point 44 ci-dessus).
68 Il s’ensuit que la nature spécifique de ces six couleurs n’est pas une caractéristique essentielle de la marque contestée, au contraire de leur différenciation et de l’effet de contraste que cette différenciation produit.
69 Lors de l’audience, la requérante a soutenu que le caractère basique des six couleurs en cause ne ressortait pas de la décision attaquée. L’EUIPO a rétorqué que ce caractère basique ressortait expressément d’une appréciation effectuée par la division d’annulation dans sa décision, que la chambre de recours avait faite sienne en la confirmant. À cet égard, il convient de rappeler que lorsque la chambre de recours entérine la décision de l’instance inférieure de l’EUIPO dans son intégralité, cette
décision ainsi que sa motivation font partie du contexte dans lequel la décision de la chambre de recours a été adoptée, contexte qui est connu des parties et qui permet au juge d’exercer pleinement son contrôle de légalité quant au bien‑fondé de l’appréciation de la chambre de recours [arrêt du 9 juillet 2008, Reber/OHMI – Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli (Mozart), T‑304/06, EU:T:2008:268, point 47]. En l’espèce, force est de relever que la division d’annulation a effectivement qualifié ces
six couleurs de « basiques » à deux reprises à la page 20 de sa décision.
70 Deuxièmement, il y a lieu de relever, à l’instar de l’EUIPO, que le prétendu « agencement spécifique » des couleurs sur les faces du cube, invoqué par la requérante, n’apparaît pas clairement dans la représentation graphique de la marque contestée. S’il ressort certes de la représentation graphique que les couleurs jaune, verte et rouge, d’une part, et les couleurs bleue, blanche et orange, d’autre part, sont « adjacentes », il n’apparaît toutefois pas clairement avec quelles autres couleurs
chacune de ces couleurs est adjacente ni quel serait l’« agencement spécifique » des couleurs sur les faces du cube invoqué par la requérante, dès lors qu’un tel « agencement spécifique » ne ressort pas sans équivoque de la représentation graphique de la marque contestée et de sa description. La requérante ne peut en réalité invoquer aucun « agencement spécifique » des couleurs au moyen d’une représentation et d’une description claires et non équivoques de toutes les couleurs adjacentes les unes
aux autres, ce qui tend à indiquer que l’objet principal de la marque tridimensionnelle en cause est la forme de cube, la structure en grille et la différenciation des couleurs sur chaque face du cube.
71 Il s’ensuit que le prétendu « agencement spécifique » invoqué par la requérante ne constitue pas une caractéristique essentielle de la marque contestée, au contraire de l’effet de contraste produit par la différenciation des couleurs.
72 Troisièmement, contrairement à ce qu’allègue la requérante, la question de savoir si cette dernière (ou son prédécesseur en droit) a cherché à protéger principalement la forme en tant que telle ou le dessin de surface, ou les deux, ne ressort pas « très clairement » de la description de la marque contestée. Ni le type de la marque contestée (tridimensionnelle), choisi par la requérante (ou son prédécesseur en droit), ni la description de ladite marque, qui commence par « six surfaces
géométriquement organisées en trois paires de surfaces parallèles, chaque paire étant placée perpendiculairement aux deux autres » et se poursuit, après l’identification des couleurs, par « chacune de ces surfaces est divisée en neuf segments égaux, par des lignes noires, formant ainsi une grille ; la représentation graphique de la marque présente deux vues tridimensionnelles, l’une latérale et l’autre frontale, de chacun des six côtés », ne suggèrent que la protection était demandée
« principalement » pour « le dessin de surface, c’est-à-dire les couleurs spécifiques et leur agencement sur le cube », contrairement à ce qu’allègue la requérante. La description mentionne spécifiquement la forme de cube (« trois paires de surfaces parallèles, chaque paire étant placée perpendiculairement aux deux autres ») et le fait que chacune de ces surfaces est « divisée en neuf segments égaux, par des lignes noires, formant ainsi une grille ». Du reste, il ne ressort pas non plus du
dossier que, dans les procédures d’opposition ou de contrefaçon, la requérante (ou son prédécesseur en droit) n’invoque son droit portant sur la marque contestée que dans la mesure étroite des six couleurs spécifiques et d’un agencement spécifique.
73 Il résulte de ce qui précède que la requérante n’a pas démontré que les six couleurs basiques placées sur les faces du Rubik’s Cube représenté dans la marque contestée, ni leur agencement, de surcroît peu clair, constituaient une caractéristique essentielle de cette marque – étant entendu qu’une telle caractéristique serait, dans l’esprit de la requérante, non fonctionnelle. Le seul élément important, et donc la seule caractéristique essentielle de ladite marque en ce qui concerne les couleurs,
est la différenciation entre les petits carrés sur chaque face du cube, qui permet de les distinguer et qui produit un effet de contraste.
74 Force est ainsi de constater que les caractéristiques essentielles de la marque contestée sont les suivantes :
– une forme de cube ;
– une structure en grille séparant 3 × 3 petits carrés sur chacune des six faces du cube ;
– une différenciation de ces petits carrés sur chaque face du cube en six couleurs basiques (rouge, vert, bleu, orange, jaune et blanc), permettant de les distinguer et produisant un effet de contraste entre eux.
75 Cette appréciation des caractéristiques essentielles de la marque contestée correspond, en substance, à celle de la chambre de recours au point 52 de la décision attaquée, laquelle ne mentionne d’ailleurs aucun « agencement spécifique ». En revanche, l’interprétation avancée par la requérante n’est pas cohérente avec l’économie générale de la décision attaquée, qui, dans son analyse de la fonctionnalité, ne se fonde ni sur des couleurs spécifiques ni sur un agencement spécifique. Il convient donc
de comprendre cette décision, à la lumière de son économie générale, comme n’attribuant, à juste titre, la qualité de caractéristique essentielle ni aux six couleurs spécifiques en tant que telles ni à leur prétendu « agencement spécifique », mais seulement à leur capacité de différenciation par un effet de contraste.
76 Il y a lieu de conclure que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a, en substance, constaté que la différenciation en six couleurs permettant de distinguer les petits carrés sur chaque face du cube par un effet de contraste constituait une caractéristique essentielle de la marque contestée au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.
77 L’allégation liminaire de la requérante ne saurait donc prospérer.
Sur le grief principal, tiré de ce que la différenciation en six couleurs ne peut être considérée comme faisant partie intégrante de la forme de la marque contestée
78 Par son grief principal, la requérante allègue, en substance, qu’une couleur n’est pas une « forme » au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. Elle reproche à la chambre de recours d’avoir violé cet article en estimant que « les couleurs f[aisaie]nt partie intégrante de la forme » du produit en cause et en déduisant de cela que la marque contestée était exclusivement constituée par la forme du produit.
79 Plus précisément, la requérante avance cinq arguments. En premier lieu, d’une part, elle soutient que la commercialisation du Rubik’s Cube n’est pas un critère pertinent pour déduire que les couleurs font partie intégrante de la forme. D’autre part, elle fait valoir que, lorsqu’une caractéristique essentielle peut être remplacée de façon arbitraire par tout moyen graphique (par exemple des lettres ou des chiffres) sans que cela ait une incidence sur la forme telle qu’elle est définie par ses
contours, une telle caractéristique ne peut faire partie intégrante de la forme. En deuxième lieu, la requérante allègue que l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, dans sa version applicable en l’espèce, vise seulement les signes qui sont « constitués exclusivement par la forme du produit », a contrario de la modification législative apportée par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, modifiant le règlement (CE) no 207/2009
du Conseil sur la marque communautaire et le règlement (CE) no 2868/95 de la Commission portant modalités d’application du règlement no 40/94, et abrogeant le règlement (CE) no 2869/95 de la Commission relatif aux taxes à payer à l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (JO 2015, L 341, p. 21), en vue d’inclure également d’« autre[s] caractéristique[s] ». En troisième lieu, la requérante invoque la définition qui aurait été donnée par la Cour de la notion
de « forme » d’un produit, à savoir ses contours, dont il résulterait que le dessin de surface ne saurait être assimilé à la « forme » au sens de cet article. Ce serait donc à tort que la chambre de recours aurait considéré que le dessin de surface, en tant que caractéristique essentielle de la marque contestée, faisait partie intégrante de la forme, au lieu d’admettre, conformément à la jurisprudence de la Cour, que la « forme » au sens de cette disposition était définie par les lignes ou les
contours qui délimitaient le produit tridimensionnel, tandis que la couleur, comme tout autre dessin de surface possible, serait un élément distinct. En quatrième lieu, la requérante se prévaut d’autres jugements et arrêts qu’elle estime pertinents. En cinquième lieu, elle soutient que son interprétation de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 ne le rend pas inopérant, contrairement aux déclarations « quelque peu alarmistes » de la chambre de recours.
80 En définitive, selon la requérante, il y aurait lieu de conclure que les six couleurs et leur agencement spécifique sur les faces du cube, qui constituent une caractéristique essentielle du signe tridimensionnel en cause, ne font pas partie intégrante de la « forme » au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. Cette disposition ne s’appliquerait donc pas à la marque contestée, car celle-ci ne serait pas constituée exclusivement par la forme du produit.
81 L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.
82 Aux points 61 à 63 de la décision attaquée, en ce qui concerne les couleurs des carrés de chaque face du cube, la chambre de recours a rejeté l’argument de la requérante selon lequel lesdites couleurs ne sauraient être considérées comme une forme au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94. Selon la chambre de recours, il ressortait clairement des éléments de preuve que la forme de la marque contestée correspondait à un produit qui était commercialisé en couleurs,
comme le confirmait, par exemple, l’image extraite du site Internet Wikipédia sur laquelle se fondaient les deux parties (voir point 108 ci-après). Par conséquent, les couleurs faisaient partie intégrante de la forme et ne pouvaient être exclues au seul motif qu’une couleur, en tant que telle, n’avait pas de « forme ». La chambre de recours a considéré que, si l’argument de la requérante était correct, l’ajout d’une couleur, qu’elle soit essentielle ou simplement décorative, à un élément
fonctionnel d’une marque de forme suffirait à empêcher le signe de tomber sous le coup dudit article au seul motif qu’il ne saurait être considéré comme étant constitué « exclusivement » par une forme. L’application de cette disposition serait effectivement limitée aux marques enregistrées en noir et blanc et ne garantirait plus son intérêt public sous-jacent.
83 Aux points 64 à 70 de la décision attaquée, la chambre de recours a également considéré que la référence de la requérante aux arrêts du 12 juin 2018, Louboutin et Christian Louboutin (C‑163/16, EU:C:2018:423), et du 14 mars 2019, Textilis (C‑21/18, EU:C:2019:199), n’était d’aucune utilité. Selon elle, tout d’abord, ces arrêts ne concernaient pas des marques de forme, mais des marques de position. Ensuite, il ressortait clairement de l’arrêt du 12 juin 2018, Louboutin et Christian Louboutin
(C‑163/16, EU:C:2018:423), que la Cour n’y avait pas examiné la question de savoir si l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 s’appliquait ou non aux marques de forme enregistrées en couleurs. En outre, dans l’arrêt du 14 mars 2019,Textilis (C‑21/18, EU:C:2019:199), la Cour n’avait pas examiné une forme colorée, mais une marque figurative bidimensionnelle colorée. Selon la chambre de recours, aucun des arrêts ou des jugements invoqués par la requérante n’étayait
l’allégation selon laquelle, dans le cadre de l’appréciation au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, il convenait d’opérer une distinction entre la forme et sa couleur. En l’espèce, la marque contestée n’était pas une couleur en soi ni un motif bidimensionnel à appliquer sur le produit en cause (un puzzle en trois dimensions), mais consistait en la forme colorée du produit même.
84 Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que, eu égard à l’intérêt public sous-jacent à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 (voir points 22 et 23 ci-dessus), ainsi qu’à la nécessité de préserver l’effet utile de cette disposition, la notion de « forme » ne doit pas être interprétée d’une façon excessivement étroite, qui, en particulier, exclurait toute forme colorée d’un produit.
85 En l’espèce, il convient de rappeler que la marque contestée a été déposée et enregistrée en tant que marque tridimensionnelle ou marque de forme, et non en tant que marque de motif, de position ou de couleur (voir points 49 à 51 ci-dessus). Eu égard au type de cette marque ainsi qu’à sa représentation graphique et à sa description, il y a lieu de constater que la troisième caractéristique essentielle de ladite marque, à savoir la différenciation des petits carrés sur chaque face du cube en six
couleurs basiques, permettant de les distinguer et produisant un effet de contraste entre eux, est inhérente et consubstantielle à la forme représentée et, comme l’a relevé à juste titre la chambre de recours, fait partie intégrante de cette forme.
86 À cet égard, il convient également de constater, à l’instar de l’EUIPO, que l’ajout de six couleurs basiques (voir point 67 ci-dessus), de surcroît dans un agencement peu clair (voir point 70 ci-dessus), à la forme tridimensionnelle fonctionnelle, clairement définie et représentée par les lignes fonctionnelles de la grille, ne fait pas obstacle à ce que la marque contestée soit un signe constitué exclusivement par une forme, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement
no 40/94. L’éventualité que d’autres surfaces puissent faire du Rubik’s Cube davantage qu’une forme est sans pertinence pour savoir si, en l’espèce, l’effet de contraste résultant de la différenciation des faces (petits carrés) du cube par des couleurs basiques constitue une caractéristique essentielle de ladite marque.
87 Ces constats ne sauraient être infirmés par les arguments de la requérante.
88 En premier lieu, d’une part, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la commercialisation du Rubik’s Cube n’est pas un critère pertinent, il convient de rappeler que les caractéristiques essentielles de la forme nécessaire à l’obtention d’un résultat technique doivent, dans la mesure du possible, être appréciées au regard de la fonction technique du produit concret représenté (voir point 32 ci-dessus) et que, si l’identification des caractéristiques essentielles du signe en
cause doit en principe débuter par l’examen de sa représentation graphique, l’autorité compétente peut également se référer à d’autres éléments d’information utiles permettant de déterminer correctement ces caractéristiques, tels que la perception du public pertinent (voir point 28 ci-dessus). Il s’ensuit que, outre la représentation graphique de la marque contestée, la chambre de recours pouvait également prendre en compte le fait que la forme de cette marque correspondait à un produit concret
représenté qui était commercialisé en couleurs et perçu comme tel par le public pertinent.
89 D’autre part, en ce qui concerne l’argument de la requérante sur la façon dont la chambre de recours aurait apprécié la forme de la marque contestée s’il y avait eu, par exemple, des lettres ou des chiffres sur les surfaces, il convient de considérer que cette question est purement hypothétique et d’écarter cet argument comme inopérant, étant donné que l’identification des caractéristiques essentielles d’un signe doit être opérée au cas par cas (voir point 25 ci-dessus). En l’espèce, le dessin de
surface du cube se fond avec sa forme et ne constitue pas en lui-même une caractéristique essentielle du signe (voir points 61 à 75 ci-dessus), mais c’est exclusivement l’effet de contraste qu’il produit qui constitue une telle caractéristique essentielle. Il importe peu de savoir si, dans un autre cas particulier, d’autres dessins de surface seraient considérés comme une caractéristique essentielle non fonctionnelle d’une autre marque.
90 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’argument de la requérante selon lequel la chambre de recours n’a pas tenu compte de la modification législative introduisant les termes « autre caractéristique » à l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 207/2009 (ayant remplacé le règlement no 40/94), il y a lieu de le rejeter comme étant inopérant. En effet, le fait que des marques contenant d’« autre[s] caractéristique[s] » que la forme puissent tomber sous le coup de cet article, tel que
modifié par le règlement 2015/2424, ne signifie pas forcément que ledit article, dans sa version antérieure, ne couvrait pas les marques tridimensionnelles comportant des couleurs.
91 Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler, à l’instar de l’EUIPO, que l’insertion des termes « autre caractéristique » par le règlement 2015/2424 au sein de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 (ayant remplacé le règlement no 40/94), ne visait pas à établir que les marques tridimensionnelles en couleurs échappent désormais à l’application de cette disposition dans sa version antérieure, du fait qu’elles contiennent des couleurs. Cette modification législative était
étroitement liée à la suppression de l’exigence de représentation graphique par le règlement 2015/2424 et à l’introduction subséquente de nouveaux types de marques « non traditionnelles » dans le système des marques de l’Union européenne. Les marques tridimensionnelles en couleurs n’ont pas été introduites par ladite modification législative, mais existaient déjà auparavant, de sorte que l’ajout des termes « autre caractéristique » n’a pas modifié l’examen de la fonctionnalité de telles marques.
Ce qui importe, c’est de savoir si la ou les couleurs d’une telle marque tridimensionnelle sont ou non une caractéristique essentielle de cette marque, davantage que de savoir si elles font partie de la forme ou d’une « autre caractéristique ».
92 Ainsi, comme l’a jugé, en substance, la Cour dans l’arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI (C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 51 et 52), dans lequel l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 était applicable, l’ajout de caractéristiques non essentielles sans fonction technique n’a pas fait échapper une forme à ce motif absolu de refus, pour autant que toutes les caractéristiques essentielles de cette forme remplissaient une telle fonction (voir point 40 ci-dessus). Dans
cette affaire, la couleur rouge de la brique Lego a été considérée comme une caractéristique non essentielle par la grande chambre de recours et le Tribunal (arrêt du 14 septembre 2010, Lego Juris/OHMI, C‑48/09 P, EU:C:2010:516, points 73 et 74). De même, dans des affaires similaires, le Tribunal a confirmé la nullité de marques sur le fondement de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, avant sa modification par le règlement 2015/2424, c’est-à-dire lorsque cette
disposition faisait uniquement état de « signes constitués exclusivement par la forme », en présence de couleurs qui n’étaient pas « une forme » [arrêts du 31 janvier 2018, Représentation d’un timbre transdermique, T‑44/16, non publié, EU:T:2018:48, points 101 à 104 ; du 24 septembre 2019, Représentation d’un carré noir contenant sept cercles bleus concentriques, T‑261/18, EU:T:2019:674, points 70 à 72, et ordonnance du 15 juillet 2021, Roxtec/EUIPO – Wallmax (Représentation d’un carré orange
contenant sept cercles noirs concentriques), T‑455/20, non publiée, EU:T:2021:483, points 51 à 53].
93 En troisième lieu, en ce qui concerne l’invocation par la requérante des arrêts du 12 juin 2018, Louboutin et Christian Louboutin (C‑163/16, EU:C:2018:423), et du 14 mars 2019, Textilis (C‑21/18, EU:C:2019:199), il convient de considérer, à l’instar de la chambre de recours, ces arrêts comme étant en l’espèce dénués de pertinence, pour les motifs suivants.
94 D’une part, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 juin 2018, Louboutin et Christian Louboutin (C‑163/16, EU:C:2018:423), n’est pas analogue à la présente espèce, car elle concernait un signe consistant en une couleur appliquée sur la semelle d’une chaussure, à savoir une marque de position, et non une marque tridimensionnelle. La Cour a dit pour droit, en substance, qu’une marque qui visait clairement à protéger l’application d’une couleur particulière sur une partie d’un produit, en
excluant explicitement les contours du produit, n’était pas constituée exclusivement par la forme du produit au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous e), iii), de la directive 2008/95/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 octobre 2008, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 2008, L 299, p. 25) (arrêt du 12 juin 2018, Louboutin et Christian Louboutin, C‑163/16, EU:C:2018:423, point 27). Cela n’est pas incompatible avec le constat selon lequel une marque de
forme comportant des couleurs peut, dans un cas particulier, toujours être considérée comme étant constituée exclusivement par la forme du produit aux fins de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009, avant sa modification par le règlement 2015/2424, ou du règlement no 40/94 (voir, en ce sens, arrêts cités au point 92 ci-dessus).
95 D’autre part, l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 14 mars 2019, Textilis (C‑21/18, EU:C:2019:199), n’est pas non plus analogue à la présente espèce, puisque la Cour y a examiné une marque figurative avec des motifs décoratifs qui était apposée sur des produits, et non une marque tridimensionnelle avec des couleurs basiques.
96 En quatrième lieu, en ce qui concerne l’invocation par la requérante d’autres arrêts et jugements, il convient également de considérer ces derniers comme étant dénués de pertinence en l’espèce.
97 Premièrement, s’agissant du jugement du rechtbank Gelderland (tribunal de Gueldre, Pays-Bas) (pièce jointe AP 1), il suffit de relever, comme l’a fait la chambre de recours au point 69 de la décision attaquée, que les marques invoquées par la requérante « ne vis[ai]ent pas à protéger la forme, mais uniquement l’application du motif en cause à un endroit spécifique des produits » (point 4.19 de ce jugement). En l’espèce, en revanche, l’allégation selon laquelle la marque contestée vise uniquement
à protéger le dessin de surface du produit, à savoir un « agencement spécifique de couleurs spécifiques », ne ressort pas de la représentation graphique et de la description de cette marque (voir points 61 à 75 ci-dessus), mais il s’agit plutôt d’une forme enregistrée en couleurs. En outre, les décisions nationales ne lient pas l’EUIPO, comme le reconnaît la requérante, et, en tout état de cause, la chambre de recours a dûment tenu compte dudit jugement.
98 Deuxièmement, s’agissant de l’arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille (T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765), l’invocation de ses constatations par la requérante n’est pas pertinente en l’espèce. Tout d’abord, il importe de souligner que cet arrêt portait sur la marque de l’Union européenne tridimensionnelle numéro 162784 pour le Rubik’s Cube en noir et blanc, reproduite au point 7 ci-dessus, et non sur la marque contestée, enregistrée en couleurs et
reproduite au point 2 ci-dessus. En outre, dans la mesure où le Tribunal a jugé que « la caractéristique bien connue du “Rubik’s Cube” tenant à l’existence de différences de couleur sur les six faces du cube[,] élément non visible sur la représentation graphique de la marque [numéro 162784,] pouvait, à l’instar du mécanisme interne au “Rubik’s Cube” qui permet la rotation verticale et horizontale des rangées de petits cubes, valablement être pris[e] en considération par la chambre de recours dans
l’évaluation de la fonctionnalité des deux caractéristiques essentielles correctement identifiées de ladite marque » (arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 99), il ne saurait en aucune façon en être déduit que l’ajout de six couleurs basiques au Rubik’s Cube permettrait à la marque contestée de n’être pas constituée exclusivement par une forme au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du
règlement no 40/94.
99 Troisièmement, s’agissant de l’arrêt du 24 mai 2023, Glaxo Group/EUIPO – Cipla Europe (Forme d’un inhalateur) (T‑477/21, non publié, EU:T:2023:280), il suffit de relever que cette affaire concernait le caractère distinctif de la marque en cause, et non sa fonctionnalité, de sorte qu’elle n’est pas pertinente en l’espèce. En effet, l’examen au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 ne relève pas des mêmes règles que l’appréciation des éléments distinctifs, dont
l’identification vise à évaluer la fonction d’indication de l’origine des produits aux yeux du consommateur, ce qui est différent de la détermination des éléments essentiels d’une forme (arrêts du 24 septembre 2019, Représentation d’un carré noir contenant sept cercles bleus concentriques, T‑261/18, EU:T:2019:674, point 53, et du 30 mars 2022, Forme d’une botte de rebond, T‑264/21, non publié, EU:T:2022:193, point 43).
100 En cinquième lieu, en ce qui concerne les critiques de la requérante envers l’assertion, « quelque peu alarmiste » à ses yeux, de la chambre de recours selon laquelle l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 serait rendu pratiquement inopérant si l’ajout d’une couleur, qu’elle soit essentielle ou simplement décorative, à une forme fonctionnelle rendait cette disposition inapplicable, force est de constater que l’assertion critiquée procède d’une généralisation de la part de
la chambre de recours et s’avère surabondante en l’espèce. Or, un grief qui conteste une appréciation surabondante n’est pas de nature à affecter le dispositif de la décision attaquée et doit être écarté comme étant inopérant [voir arrêt du 28 juin 2023, CEDC International/EUIPO – Underberg (Forme d’un brin d’herbe dans une bouteille), T‑145/22, EU:T:2023:365, point 113 et jurisprudence citée].
101 Au vu de l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de conclure que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a constaté que la marque contestée, à savoir une marque tridimensionnelle enregistrée en couleurs, était constituée exclusivement d’une forme au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94.
102 Le grief principal de la requérante ne saurait donc prospérer.
103 La première branche du moyen unique doit donc être rejetée.
Sur la deuxième branche du moyen unique, tirée d’une erreur d’appréciation dans l’analyse de la fonctionnalité de la marque contestée
104 Par la deuxième branche du moyen unique, la requérante allègue que, même à supposer que les couleurs spécifiques et leur agencement spécifique fassent partie de la forme de la marque contestée, ils ne sont pas nécessaires à l’obtention d’un résultat technique. Bien qu’il soit certes nécessaire que les six faces du cube puissent être différenciées, la façon d’y parvenir ne serait cependant pas une question technique, mais purement esthétique.
105 Plus précisément, la requérante avance quatre arguments. En premier lieu, elle soutient qu’il existe des possibilités infinies de conception pour le dessin de surface permettant de distinguer les six faces du cube et que le choix n’est aucunement limité par des considérations techniques. Par conséquent, la marque contestée ne conférerait pas de monopole, sur quelque forme que ce soit. En deuxième lieu, la requérante invoque le processus créatif du Rubik’s Cube. Selon sa déclaration du
25 novembre 1998 (point 20 de cette déclaration), M. Rubik aurait choisi ces couleurs vives pour rendre le cube « plus excitant », et non pour opérer une simple différenciation. La requérante « soutient que l’excitation ne fait pas partie de la fonction technique d’un produit ». En troisième lieu, la requérante estime que la jurisprudence relative aux « formes alternatives » ne s’applique pas aux simples décorations de surface arbitraires qui n’ont aucune incidence sur la fonction, comme en
l’espèce. Lorsque la décoration de surface est une caractéristique essentielle d’une marque tridimensionnelle, il n’y aurait pas de risque de monopolisation d’une solution technique incorporée dans la forme et l’étendue de la protection serait limitée aux éléments non fonctionnels. En quatrième lieu, la requérante fait valoir que les brevets qui, à l’époque, protégeaient le Rubik’s Cube ne revendiquaient pas de couleurs et n’en contenaient même pas, mais faisaient simplement référence à des
faces pouvant être différenciées. La protection du dessin de surface, tel que décrit dans la marque contestée, ne conduirait donc à aucune protection perpétuelle d’un élément qui aurait été précédemment protégé par des brevets.
106 L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.
107 À titre liminaire, il n’y a pas lieu de remettre en cause les appréciations de la chambre de recours, au demeurant non contestées par la requérante, relatives à l’analyse de la fonctionnalité de la structure en grille et de la forme de cube.
108 Ainsi, aux points 55 à 58 de la décision attaquée, en ce qui concerne la structure en grille, constituée de lignes noires qui s’entrecroisent, horizontalement et verticalement, sur chacune des faces du cube, en divisant chacune en petits cubes de même taille répartis en rangées de 3 x 3, la chambre de recours a considéré qu’une telle structure était nécessaire à l’obtention du résultat technique recherché, en se fondant sur la décision citée (points 40 à 42) concernant la marque de l’Union
européenne numéro 162784, laquelle a été confirmée par l’arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille (T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, points 86 et 87). La chambre de recours a estimé que la séparation physique entre les petits cubes était nécessaire pour faire pivoter, verticalement et horizontalement, grâce à un mécanisme logé au centre du cube, les différentes rangées de ces petits cubes (points 40 à 42 de la décision citée). Elle a ajouté que,
dans le cadre de la procédure devant la division d’annulation, les deux parties avaient produit une page du site Internet Wikipédia relative au Rubik’s Cube (voir annexe 16 et pièce 1), qui comprenait l’image reproduite ci-après. Selon la chambre de recours, il ressortait clairement de cette image que la marque contestée faisait référence à un produit qui, mis à part les couleurs, n’était pas différent de celui examiné dans la décision citée. Par conséquent, les conclusions de cette décision
concernant la fonctionnalité technique de la structure en grille devaient également s’appliquer en l’espèce.
Image
109 De même, au point 59 de la décision attaquée, en ce qui concerne la forme de cube, la chambre de recours a relevé que le Tribunal avait confirmé ses conclusions selon lesquelles cette forme était nécessaire à l’obtention du résultat technique recherché. Étant donné que le puzzle en trois dimensions était composé de petits cubes disposés en rangées de 3 x 3, qui devaient être tournées verticalement et horizontalement pour résoudre le puzzle, en donnant à chaque face une couleur différente, la
forme du produit dans son ensemble était nécessairement celle d’un cube (arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille, T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765, point 89). En l’espèce, la chambre de recours a considéré que, étant donné que la forme de cube était indissociable de la structure en grille, ces conclusions s’appliquaient également à la marque contestée.
110 Il convient, à présent, de procéder à l’analyse de la fonctionnalité de la troisième caractéristique essentielle, à savoir la différenciation des petits carrés sur chaque face du cube en six couleurs basiques, permettant de les distinguer et produisant un effet de contraste entre eux (voir point 74 ci-dessus).
111 Aux points 71 à 74 de la décision attaquée, pour ce qui est de la « fonction technique des couleurs », la chambre de recours a rappelé que, dans la décision citée concernant la validité de la marque de l’Union européenne numéro 162784, elle avait considéré que les différentes hachures (lignes verticales, lignes diagonales, points, etc.) des carrés de chaque face du cube suggéraient des couleurs différentes et, par conséquent, que les différentes couleurs sur les six faces du cube constituaient
la troisième caractéristique essentielle du signe. Compte tenu du résultat technique recherché, à savoir faire pivoter, horizontalement et verticalement, des rangées de cubes jusqu’à ce que chacune des faces du puzzle présente neuf carrés de la même couleur, elle avait estimé que les couleurs étaient nécessaires à l’obtention de ce résultat. Ainsi, le cube ne fonctionnerait pas comme un puzzle si ses six faces avaient toutes la même couleur (points 22 et 44 de la décision citée). Selon elle, le
Tribunal avait implicitement confirmé, dans son arrêt du 24 octobre 2019, Forme d’un cube avec des faces ayant une structure en grille (T‑601/17, non publié, EU:T:2019:765), que les couleurs du Rubik’s Cube étaient nécessaires à l’obtention d’un résultat technique.
112 Aux points 75 à 86 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté que l’allégation de la requérante selon laquelle la combinaison spécifique des six couleurs revendiquées était distinctive et arbitraire, outre qu’elle bénéficiait d’une protection par le droit d’auteur, ne saurait remettre en cause les conclusions susmentionnées. D’emblée, elle a rejeté l’argument selon lequel la combinaison de couleurs conférait un caractère distinctif au Rubik’s Cube commercialisé avec succès par la
requérante. Il ressortait de l’article 51, paragraphe 2, du règlement no 40/94 que, même si une forme de produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique avait, par l’usage qui en avait été fait, acquis un caractère distinctif, elle devait être déclarée nulle. Ensuite, elle a rejeté l’allégation selon laquelle les couleurs n’étaient pas la seule solution pour obtenir le résultat technique consistant à distinguer les différents cubes, au motif qu’elle reposait sur l’hypothèse erronée
selon laquelle les couleurs devaient être distinguées de la forme. En effet, l’existence de formes alternatives permettant d’obtenir le même résultat technique n’empêchait pas, en elle-même, qu’une marque puisse tomber sous le coup de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), dudit règlement. Le fait que le même résultat technique du Rubik’s Cube puisse être obtenu en ajoutant des motifs, des symboles ou des lettres sur la surface des cubes était donc dénué de pertinence aux fins de
l’appréciation du caractère fonctionnel des couleurs en cause. En outre, elle a, pour la même raison, rejeté l’argument selon lequel le choix des couleurs spécifiques avait été effectué de manière arbitraire. Elle a relevé que, comme M. Rubik lui-même l’avait expliqué dans sa déclaration écrite du 26 février 2015 (annexe 22 de la demande en nullité), il avait à l’origine apposé différents autocollants sur la surface des cubes, de sorte que le mouvement de chaque cube en rotation puisse être
distingué (point 16 de la déclaration). Selon la chambre de recours, il s’ensuivait que toute combinaison de six couleurs suffisamment distinctes l’une de l’autre serait appropriée pour obtenir le résultat technique recherché. Elle a constaté que la combinaison des couleurs rouge, verte, bleue, orange, jaune et blanche répondait à ce critère et était donc nécessaire pour obtenir le résultat technique du Rubik’s Cube. Enfin, elle a ajouté qu’une éventuelle protection par le droit d’auteur, dont
bénéficierait cette combinaison de couleurs ou le design du Rubik’s Cube, ne saurait avoir d’incidence sur l’appréciation de la validité de la marque contestée au regard dudit article.
113 Au point 87 de la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que la troisième caractéristique essentielle, à savoir les six couleurs différentes des carrés de chaque face du cube, était nécessaire à l’obtention d’un résultat technique.
114 À cet égard, il y a lieu de constater que le fait que chaque face (et chaque petit carré) du cube soit distinguable par six couleurs différenciées constitue une caractéristique essentielle de la marque contestée qui est nécessaire à l’obtention du résultat technique de cette marque, tel que cela a été établi aux points 52 et 53 ci-dessus. La fonction technique de cette caractéristique essentielle est de permettre de distinguer, par un effet de contraste, chaque face du cube, de même que chacun
des petits carrés de la structure en grille figurant sur chacune de ces faces.
115 Il y a également lieu de constater que la présence dans la marque contestée de caractéristiques non essentielles consistant en une palette de six couleurs basiques, dans la mesure où ces couleurs en elles-mêmes ne sont pas fonctionnelles, est sans incidence sur la conclusion selon laquelle ladite marque est constituée exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, eu égard à la jurisprudence sur les éléments arbitraires mineurs (voir point 40 ci-dessus).
Du reste, eu égard au caractère basique desdites couleurs, l’allégation de la requérante selon laquelle « l’excitation ne fait pas partie de la fonction technique d’un produit » est inopérante en l’espèce, dès lors que la fonction technique des couleurs différenciées en cause ne consiste pas à « exciter » l’observateur, mais à lui permettre de distinguer, par un effet de contraste, les faces du cube et les petits carrés sur celles-ci.
116 Ces constats ne sauraient être infirmés par les arguments de la requérante.
117 En premier lieu, en ce qui concerne l’invocation par la requérante de possibilités infinies de conception pour le dessin de surface du Rubik’s Cube, il convient de considérer que, même s’il est vrai que le résultat technique recherché peut être obtenu par un nombre infini de dessins de surface, la question, en l’espèce, n’est pas celle de l’existence d’alternatives possibles pour les caractéristiques non essentielles, mais celle du lien causal entre une caractéristique essentielle et le résultat
technique, à savoir si le « dessin de surface » particulier figurant dans la marque contestée et permettant de distinguer les faces du cube et les petits carrés de la structure en grille par un effet de contraste constitue une caractéristique essentielle de cette marque qui est nécessaire à l’obtention du résultat technique de ladite marque. Or, un tel lien causal a été constaté au point 114 ci-dessus. Dès lors, la circonstance que d’autres dessins de surface (éléments graphiques, symboles,
motifs, images, logos, caractères, lettres, chiffres, moyens tactiles ou électroniques, hologrammes, couleurs néons ou métalliques vives, pastel ou foncées) soient possibles est dépourvue de pertinence en l’espèce. L’invocation de possibilités infinies de conception est donc inopérante.
118 Il convient également de considérer, à l’instar de l’EUIPO, que le choix de six couleurs basiques pour distinguer les faces du cube est l’une des solutions les plus évidentes qui puissent être envisagées. Le caractère basique de ces couleurs suggère qu’elles sont d’une importance mineure et secondaire par rapport à la forme (voir point 67 ci-dessus). De surcroît, leur agencement sur les faces du cube est peu clair (voir point 70 ci-dessus). Les éléments les plus importants de la marque contestée
sont la forme de cube, la structure en grille et le fait que chaque face du cube soit distinguable des autres par un effet de contraste. L’éventualité que d’autres finitions de la surface, plus sophistiquées et moins basiques, puissent « élever » ces dessins au rang de caractéristique essentielle demeure sans incidence pour la solution du présent litige (voir point 70 ci-dessus).
119 En deuxième lieu, pour ce qui concerne l’argument de la requérante relatif au « processus créatif » du Rubik’s Cube, il suffit de relever que la chambre de recours a précisé, au point 78 de la décision attaquée, que « toute combinaison de six couleurs » serait appropriée pour obtenir le résultat technique recherché. Elle n’a pas fait référence à d’autres dessins de surface possibles, tels que des logos qui seraient visuellement accrocheurs ou « excitants ». À supposer même que la chambre de
recours ait considéré à tort que « toute combinaison de six couleurs » serait appropriée pour obtenir le résultat technique, parce que certaines autres combinaisons spécifiques de couleurs pourraient être considérées, à elles seules, comme une caractéristique essentielle de la marque contestée, cela ne serait pas suffisant pour remettre en cause la légalité de ladite décision, dès lors que la présente combinaison de six couleurs spécifiques (de surcroît dans un agencement peu clair), bien que
non fonctionnelle en elle-même, n’est pas une caractéristique essentielle de cette marque. Cet argument est donc inopérant.
120 En troisième lieu, l’argument de la requérante concernant l’inapplicabilité de la jurisprudence relative aux formes alternatives repose sur la prémisse selon laquelle, en l’espèce, la combinaison spécifique de six couleurs est une caractéristique essentielle de la marque contestée. Or, la présente combinaison spécifique de six couleurs (de surcroît dans un agencement peu clair), bien que non fonctionnelle en elle-même, n’est pas une caractéristique essentielle de cette marque. Dès lors, la
question de savoir si la chambre de recours a ou non considéré à tort que cette jurisprudence était applicable en l’espèce est sans pertinence pour l’issue du présent litige. Cet argument est donc inopérant.
121 En quatrième lieu, quant à l’allégation de la requérante selon laquelle les brevets qui protégeaient autrefois le Rubik’s Cube ni ne revendiquaient ni ne contenaient même de couleurs, mais faisaient simplement référence aux faces latérales distinguables, force est de constater qu’une telle circonstance ne permet pas de tirer des conclusions quant à l’étendue de la protection de la marque contestée. Il ne ressort nullement de la représentation de cette marque, qui est une marque tridimensionnelle
et non une marque de couleur, de position ou de motif, ni de sa description, que la protection soit demandée uniquement pour la combinaison des six couleurs spécifiques et leur agencement, lequel est de surcroît peu clair. Cette allégation est donc inopérante.
122 À cet égard, il convient de préciser que le droit des marques de l’Union européenne ne comporte pas de jurisprudence équivalente à celle applicable dans le cadre distinct du droit des dessins ou modèles de l’Union européenne, dans lequel l’apparence constitue l’élément déterminant de l’objet de la protection (voir arrêt du 8 mars 2018, DOCERAM, C‑395/16, EU:C:2018:172, point 25 et jurisprudence citée). Selon cette jurisprudence, dans l’hypothèse où un agencement particulier des caractéristiques
est choisi à des fins autres que la nécessité de remplir une fonction technique et, notamment, à des fins ornementales, le dessin ou modèle est valide, mais confère protection uniquement à cet agencement particulier et non pas aux caractéristiques de l’apparence du produit exclusivement fonctionnelles qui sont concernées par cet agencement [voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2020, Tinnus Enterprises/EUIPO – Mystic Products et Koopman International (Installations pour la distribution de
fluides), T‑574/19, EU:T:2020:543, points 25 et 26]. En droit des marques de l’Union européenne, en revanche, le fait que la combinaison d’éléments exclusivement fonctionnels apporte une valeur esthétique d’ensemble ou contribue à créer une image ornementale de la marque dont l’enregistrement est demandé n’empêche pas l’application du motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 (voir point 42 ci-dessus), ni de la cause de nullité correspondante.
123 C’est donc sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a constaté, en substance, que la caractéristique essentielle tenant au fait que chaque face (et chaque petit carré) du cube soit distinguable par six couleurs différenciées produisant un effet de contraste était fonctionnelle, c’est-à-dire nécessaire à l’obtention du résultat technique de la marque contestée.
124 La deuxième branche du moyen unique doit donc être rejetée.
Sur la troisième branche du moyen unique, tirée d’une erreur d’appréciation relative aux « puzzles »
125 Par la troisième branche du moyen unique, qui concerne plus spécifiquement les « puzzles » (au sens étroit de « jigsaw puzzles » en anglais) relevant de la classe 28, la requérante reproche à la chambre de recours d’avoir, à tort, appliqué l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, car, tout d’abord, la forme du Rubik’s Cube n’est pas une « image » et, ensuite, le résultat technique sur lequel la chambre de recours a fondé son appréciation (voir point 52 ci-dessus), à
savoir, en substance, celui de faire tourner des éléments déjà assemblés, n’est pas celui d’un puzzle, dont le but est de compléter une image en assemblant des éléments individuels qui s’emboîtent.
126 L’EUIPO et l’intervenante contestent les arguments de la requérante.
127 Aux points 88 à 90 de la décision attaquée, la chambre de recours a relevé que la division d’annulation avait considéré que les « puzzles en trois dimensions », pour lesquels les trois caractéristiques essentielles de la marque contestée avaient été jugées nécessaires à l’obtention d’un résultat technique, étaient identiques aux catégories plus vastes des « jouets, jeux et jouets, puzzles en trois dimensions » relevant de la classe 28 ou étaient compris dans celles-ci. En ce qui concerne les
puzzles (au sens étroit de « jigsaw puzzles » en anglais), la division d’annulation avait estimé qu’il ne pouvait être exclu que la forme tridimensionnelle constituée de cubes de différentes couleurs puisse servir à obtenir le résultat technique consistant à appuyer sur ces cubes afin de les assembler dans une certaine position avec la même séquence de couleurs. La chambre de recours a relevé que, devant elle, le recours contestait uniquement cette motivation concernant les puzzles et a convenu
que l’explication fournie par la division d’annulation à cet égard n’était pas intelligible. Toutefois, elle a constaté que la conclusion selon laquelle la forme protégée par la marque contestée était nécessaire à l’obtention du résultat technique des puzzles devait être confirmée. Selon son sens littéral, un puzzle était un jeu qui consistait à assembler des pièces sous forme de mosaïques, généralement irrégulières, qui s’emboîtaient, chacune représentant généralement une partie d’une image, de
sorte qu’une fois assemblées, les pièces du puzzle donnaient une image complète. La chambre de recours a considéré que, même si un Rubik’s Cube n’était peut-être pas le premier exemple de puzzle qui vienne à l’esprit, rien dans la représentation du signe n’excluait la possibilité de démonter le cube et de le réassembler afin d’obtenir la combinaison parfaite, la structure en grille étant nécessaire pour séparer les différents cubes et les couleurs étant nécessaires pour indiquer l’ordre dans
lequel les cubes devaient être réassemblés.
128 La chambre de recours a conclu, en substance, que la marque contestée avait été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 pour tous les produits visés par l’enregistrement, y compris les puzzles.
129 À cet égard, il est constant que la présente branche du moyen unique ne concerne pas les « puzzles en trois dimensions » (au sens de « casse-têtes mécaniques » ou de « mechanical puzzles » en anglais), mais seulement l’indication des « puzzles » (au sens étroit de « jigsaw puzzles » en anglais), c’est-à-dire des produits qui sont typiquement en deux dimensions, même s’il en existe aussi en trois dimensions.
130 Il y a lieu d’observer que, si l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94, qui concerne les formes, et donc les produits tridimensionnels, à une telle indication de produits typiquement bidimensionnels peut paraître déconcertante, la cause en revient initialement au choix de cette indication par la requérante (ou son prédécesseur en droit).
131 Or, il convient de rappeler que, aux termes de la règle 2, paragraphe 2, du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement no 40/94 (JO 1995, L 303, p. 1), telle qu’applicable en l’espèce, la liste des produits et des services pour lesquels une marque est demandée doit être établie de manière à faire apparaître clairement leur nature.
132 Il s’ensuit qu’il incombe à celui qui demande l’enregistrement d’un signe en tant que marque de l’Union européenne d’indiquer, dans sa demande, la liste des produits ou des services pour lesquels l’enregistrement est demandé et de fournir, pour chacun desdits produits ou desdits services, une description faisant apparaître clairement sa nature [voir arrêt du 6 avril 2017, Nanu-Nana Joachim Hoepp/EUIPO – Fink (NANA FINK), T‑39/16, EU:T:2017:263, point 44 et jurisprudence citée].
133 Cette exigence de clarté a, par ailleurs, été renforcée par la jurisprudence de la Cour, selon laquelle les produits ou les services pour lesquels une marque de l’Union européenne est demandée doivent être identifiés par le demandeur avec suffisamment de clarté et de précision pour permettre aux autorités compétentes et aux opérateurs économiques, sur cette seule base, de déterminer l’étendue de la protection conférée par la marque (arrêt du 19 juin 2012, Chartered Institute of Patent Attorneys,
C‑307/10, EU:C:2012:361, point 64).
134 En l’espèce, il y a lieu de relever que l’indication « jigsaw puzzles » en anglais (langue de dépôt de la marque contestée) pour des produits relevant de la classe 28 est susceptible de faire l’objet de deux interprétations divergentes. D’une part, cette indication pourrait être interprétée restrictivement, à l’instar de la requérante, comme signifiant une « image » en deux dimensions. Toutefois, le dépôt d’une marque tridimensionnelle pour de tels produits bidimensionnels n’apparaît pas
plausible. D’autre part, cette indication pourrait être interprétée plus largement comme visant à la fois des « jigsaw puzzles » en images (deux dimensions) et des « jigsaw puzzles » en volumes (trois dimensions), ce qui serait davantage plausible pour une marque tridimensionnelle, type de marque choisi par la requérante (ou son prédécesseur en droit).
135 Force est de constater que, en autorisant les deux interprétations divergentes susmentionnées pour des produits relevant de la classe 28 couverts par la marque tridimensionnelle contestée, l’indication « jigsaw puzzles » revêt un caractère ambigu et, par voie de conséquence, ne peut satisfaire à l’exigence de clarté qui résulte de la règle 2, paragraphe 2, du règlement no 2868/95 et de la jurisprudence.
136 Or, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, le titulaire d’une marque ne saurait tirer profit d’une violation de son obligation d’indiquer la liste des produits de manière claire et précise (voir arrêt du 6 avril 2017, NANA FINK, T‑39/16, EU:T:2017:263, point 48 et jurisprudence citée).
137 Dès lors, l’indication concernée ne doit pas être interprétée de façon à ce qu’elle comprenne seulement, au profit de la requérante, les « jigsaw puzzles » en deux dimensions, ce qui permettrait à cette indication d’échapper au motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 et à la cause de nullité correspondante. Cette indication doit être interprétée de façon à ce qu’elle comprenne également les « jigsaw puzzles » en trois dimensions.
138 En ce qui concerne les « jigsaw puzzles » en trois dimensions, il y a lieu de constater que ceux-ci sont nécessaires à l’obtention du résultat technique de la marque contestée (voir points 52 et 53 ci-dessus). En effet, comme l’a justement considéré la chambre de recours au point 90 de la décision attaquée, rien dans la représentation de cette marque, fournie par le prédécesseur en droit de la requérante, n’exclut la possibilité de démonter le cube et de le réassembler afin d’obtenir la
combinaison parfaite, la structure en grille étant nécessaire pour séparer les différents cubes et les couleurs étant nécessaires pour indiquer l’ordre dans lequel les cubes doivent être réassemblés.
139 C’est donc sans commettre d’erreur d’appréciation que la chambre de recours a constaté que le motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 40/94 s’appliquait également aux « puzzles » (« jigsaw puzzles » en anglais) et, partant, a conclu que la marque contestée se heurtait à la cause de nullité correspondante pour tous les produits visés par l’enregistrement.
140 La troisième branche du moyen unique doit donc être rejetée.
141 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
142 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
143 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO et de l’intervenante. Par ailleurs, s’agissant des dépens exposés par cette dernière devant la chambre de recours, il suffit de relever que, étant donné que le présent arrêt rejette le recours dirigé contre la décision attaquée, c’est le point 2 du dispositif de celle-ci qui continue à régler les dépens en cause [voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2019, Lotte/EUIPO – Générale
Biscuit-Glico France (PEPERO original), T‑459/18, non publié, EU:T:2019:119, point 194].
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Spin Master Toys UK Ltd est condamnée aux dépens.
Costeira
Kancheva
Tichy-Fisslberger
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 9 juillet 2025.
Signatures
Table des matières
Antécédents du litige
Conclusions des parties
En droit
Observations liminaires
Sur le type de la marque contestée
Sur le résultat technique de la marque contestée
Sur la première branche du moyen unique, tirée d’une erreur d’appréciation dans l’identification des caractéristiques essentielles de la marque contestée
Sur l’allégation liminaire, relative aux caractéristiques essentielles de la marque contestée
Sur le grief principal, tiré de ce que la différenciation en six couleurs ne peut être considérée comme faisant partie intégrante de la forme de la marque contestée
Sur la deuxième branche du moyen unique, tirée d’une erreur d’appréciation dans l’analyse de la fonctionnalité de la marque contestée
Sur la troisième branche du moyen unique, tirée d’une erreur d’appréciation relative aux « puzzles »
Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.