ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
25 juin 2025 ( *1 )
« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne verbale NERO CHAMPAGNE – AOP antérieure “Champagne” – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 6, du règlement (UE) 2017/1001 – Article 103, paragraphe 2, sous a) et c), du règlement (UE) no 1308/2013 – Marque comportant une AOP – Produits conformes au cahier des charges de l’AOP – Obligation de motivation – Article 94 du règlement 2017/1001 »
Dans l’affaire T‑239/23,
Comité interprofessionnel du vin de Champagne, établi à Épernay (France),
Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), établi à Montreuil (France),
représentés par Mes E. Varese, G. Righini et V. Mazza, avocates,
parties requérantes,
soutenus par
République française, représentée par Mmes E. Timmermans et B. Travard, en qualité d’agents,
par
République italienne, représentée par M. S. Fiorentino, en qualité d’agent, assisté de M. G. Caselli, avvocato dello Stato,
et par
oriGIn, organization for an International Geographical Indication network, établie à Genève (Suisse), représentée par Mes O. Vrins et N. Clarembeaux, avocats,
parties intervenantes,
contre
Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. D. Gája, en qualité d’agent,
partie défenderesse,
l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO, intervenant devant le Tribunal, étant
Nero Lifestyle Srl, établie à Milan (Italie), représentée par Mes E. Cammareri et B. Marone, avocats,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
composé de MM. A. Kornezov, président, G. De Baere, D. Petrlík, K. Kecsmár (rapporteur) et Mme S. Kingston, juges,
greffier : Mme R. Ukelyte, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 18 septembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, le Comité interprofessionnel du vin de Champagne et l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), demandent l’annulation partielle de la décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 17 février 2023 (affaire R 531/2022-2) (ci-après la « décision attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le 19 février 2019, Nero Lifestyle Srl a présenté à l’EUIPO une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour la marque verbale NERO CHAMPAGNE.
3 La marque demandée désignait les produits et les services relevant des classes 33, 35 et 41 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :
– classe 33 : « Vins conformes au cahier des charges de l’appellation d’origine protégée “Champagne” » ;
– classe 35 : « Publicité ; gestion des affaires commerciales ; administration commerciale ; travaux de bureau ; services de vente, au détail et en gros, en ligne et dans des magasins, de vins d’appellation d’origine protégée “Champagne”, de bières et de boissons sans alcool » ;
– classe 41 : « Éducation, formation, divertissement, activités culturelles ; édition de textes (autres que publicitaires), d’illustrations, de périodiques y compris publications électroniques et numériques, édition de cédérom, de livres, de revues, de revues professionnelles, de journaux, de magazines et de publications en tous genres (autres que publicitaires) et sous toutes les formes y compris publications électroniques et numériques ; exploitation de publications électroniques en ligne non
téléchargeables ; production de vidéos ; organisation de colloques, séminaires, ateliers, conférences, congrès, stages à buts culturels ou éducatifs, organisation d’expositions et de salons professionnels ou grand public à buts culturels ou éducatifs ; publication de livres ; micro-édition ; organisation de réceptions et de fêtes ; organisation de programmes de formation ; organisation de concours et de jeux (éducation ou divertissement) ; présentation au public d’œuvres d’arts visuels et
littéraires à des fins culturelles ou éducatives ; événements de dégustation de vins à des fins éducatives ; enseignement et formation en matière de commerce, d’industrie et de technologies de l’information ; organisation et conduite de colloques, de congrès, de conférences, de séminaires, de stages à buts commerciaux et/ou de publicité ; tous les services précités étant destinés à la présentation et à la mise en valeur de vins d’appellation d’origine protégée “Champagne” ».
4 Le 2 août 2019, les requérants ont formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits et les services visés au point 3 ci-dessus.
5 L’opposition était fondée sur l’appellation d’origine protégée (AOP) no AOP-FR-A1359 « Champagne », enregistrée dans l’Union européenne pour du vin depuis le 18 septembre 1973, conformément à l’article 107, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) no 922/72, (CEE) no 234/79, (CE) no 1037/2001 et (CE) no 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347,
p. 671).
6 Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 6, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1), et à l’article 103, paragraphe 2, sous a) à d), du règlement no 1308/2013.
7 Le 1er février 2022, la division d’opposition a partiellement fait droit à l’opposition pour les services de « vente, au détail et en gros, en ligne et dans les magasins, de bières et de boissons sans alcool » compris dans la classe 35 sur le fondement de l’article 103, paragraphe 2, sous c) et d), du règlement no 1308/2013 et a rejeté l’opposition pour les autres produits et services visés au point 3 ci-dessus.
8 Le 31 mars 2022, les requérants ont formé un recours auprès de l’EUIPO contre la décision de la division d’opposition en tant qu’elle a rejeté l’opposition.
9 Par la décision attaquée, la chambre de recours a annulé la décision de la division d’opposition en tant qu’elle a rejeté l’opposition pour les services « publicité ; gestion des affaires commerciale ; administration commerciale ; travaux de bureaux » relevant de la classe 35 et a accueilli l’opposition pour ces services. En revanche, elle a rejeté l’opposition pour les produits relevant de la classe 33 et les services relevant de la classe 41 visés au point 3 ci-dessus, ainsi que les services de
« vente, au détail et en gros, en ligne et dans des magasins, de vins d’appellation d’origine protégée “Champagne” » relevant de la classe 35 (ci-après, pris ensemble, les « produits et services en cause »).
Conclusions des parties
10 Les requérants, soutenus par la République française et la République italienne, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée dans la mesure où elle a rejeté l’opposition ;
– rejeter la demande d’enregistrement de la marque demandée pour les produits et services en cause, ou, à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant une autre chambre de recours pour réexamen ;
– condamner l’EUIPO ainsi que Nero Lifestyle à supporter leurs propres dépens, ainsi que ceux exposés par eux dans le cadre des procédures devant la division d’opposition, la chambre de recours et le Tribunal.
11 L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérants aux dépens en cas de convocation à une audience.
12 Nero Lifestyle conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérants aux dépens.
13 oriGIn, organization for an International Geographical Indication network (ci-après « oriGIn ») soutient les conclusions des requérants et conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de condamner l’EUIPO et Nero Lifestyle aux dépens, y compris ceux qu’elle a exposés.
En droit
Sur les conclusions en annulation
14 Les requérants invoquent, en substance, quatre moyens, tirés, le premier, articulé en trois branches, de la violation de l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, le deuxième, d’une violation de l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1308/2013, le troisième, articulé en deux branches, d’une violation de
l’obligation de motivation énoncée aux articles 263 et 296 TFUE et à l’article 94, paragraphe 1, du règlement 2017/1001 et, le quatrième, d’une violation des principes d’égalité de traitement et de bonne administration.
15 Il convient d’examiner d’abord le premier moyen et la première branche du troisième moyen ensemble, puis la seconde branche du troisième moyen.
Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 et sur la première branche du troisième moyen, tirée d’une violation de l’obligation de motivation
16 Par la première branche du premier moyen, les requérants soutiennent que l’usage et l’enregistrement de l’AOP « Champagne » en tant que partie de la marque demandée détourneraient les fonctions de l’AOP et seraient, en tant que tels, contraires à l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001.
17 Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, les requérants avancent que la chambre de recours aurait, de manière erronée, considéré que, dès lors que la demande d’enregistrement de la marque demandée portait exclusivement sur des produits conformes au cahier des charges de l’AOP « Champagne » et sur des services relatifs à de tels produits, l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 ne s’appliquait pas. Ainsi, la chambre de recours aurait, à tort, exclu la possibilité
qu’une marque enregistrée pour des produits conformes à ce cahier des charges ou pour des services relatifs à de tels produits puisse exploiter la réputation de l’AOP en cause, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013.
18 Par la troisième branche du premier moyen, les requérants font grief à la chambre de recours de ne pas avoir procédé à une appréciation globale de la marque demandée, en violation de l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, lu en combinaison avec l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, et avancent un faisceau d’indices démontrant, selon eux, que celle-ci exploite la réputation de l’AOP « Champagne », au sens de cette disposition.
19 En outre, les requérants soutiennent, par la première branche du troisième moyen, en substance, que la chambre de recours a manqué à son obligation de motivation en ce que, au point 37 de la décision attaquée, elle n’a pas exposé les motifs pour lesquels elle a considéré qu’il n’existait aucune preuve que l’usage de la marque demandée relevait du champ d’application de l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013.
20 À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, sur opposition de toute personne autorisée en vertu de la législation applicable à exercer les droits qui découlent d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, la marque demandée est refusée à l’enregistrement lorsque et dans la mesure où, en application de la législation de l’Union ou du droit national qui prévoient la protection des appellations d’origine ou des
indications géographiques, d’une part, une demande d’appellation d’origine ou d’indication géographique avait déjà été introduite, conformément à la législation de l’Union ou au droit national, avant la date de dépôt de la marque de l’Union européenne ou avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande, sous réserve d’un enregistrement ultérieur et, d’autre part, cette appellation d’origine ou cette indication géographique confère le droit d’interdire l’usage d’une marque
postérieure.
21 L’article 8, paragraphe 6, du règlement 2017/1001 doit être lu au regard des dispositions pertinentes du droit de l’Union en matière de détermination et de protection des AOP en ce qui concerne les produits vitivinicoles. Par conséquent, il y a lieu de se référer, en l’espèce, aux AOP enregistrées conformément au règlement no 1308/2013 [voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2021, Esteves Lopes Granja/EUIPO – IVDP (PORTWO GIN), T‑417/20, non publié, EU:T:2021:663, point 24].
22 L’article 102, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013, intitulé « Lien avec les marques commerciales », prévoit ce qui suit :
« L’enregistrement d’une marque commerciale contenant ou consistant en une [AOP] ou une indication géographique protégée [IGP] qui n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné ou dont l’utilisation relève de l’article 103, paragraphe 2, et concernant un produit relevant d’une des catégories répertoriées à l’annexe VII, partie II, est :
a) refusé […] ; ou
b) annulé. »
23 L’article 103 du règlement no 1308/2013, intitulé « Protection », dans sa rédaction alors en vigueur à la date de l’opposition, énonce ce qui suit :
« 1. Une [AOP] et une [IGP] peuvent être utilisées par tout opérateur commercialisant un vin produit conformément au cahier des charges correspondant.
2. Une [AOP] et une [IGP], ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant, sont protégés contre :
a) toute utilisation commerciale directe ou indirecte de cette dénomination protégée :
i) pour des produits comparables ne respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée ; ou
ii) dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation d’une appellation d’origine ou indication géographique ;
[…]
c) toute autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l’origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un contenant de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit ;
[…] »
24 Il ressort de la jurisprudence que le système de protection des AOP et des IGP prévu par le règlement no 1308/2013 vise essentiellement à assurer aux consommateurs que les produits agricoles bénéficiant d’une dénomination enregistrée présentent, en raison de leur provenance d’une zone géographique déterminée, certaines caractéristiques particulières et, partant, offrent une garantie de qualité due à leur provenance géographique, dans le but de permettre aux opérateurs agricoles ayant consenti des
efforts qualitatifs réels d’obtenir en contrepartie de meilleurs revenus et d’empêcher que des tiers ne tirent abusivement profit de la réputation découlant de la qualité de ces produits (arrêts du 14 septembre 2017, EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto, C‑56/16 P, EU:C:2017:693, point 82, et du 9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 49).
25 C’est sur la base de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments des requérants.
– Sur la première branche du premier moyen
26 Les requérants, soutenus par la République italienne, font valoir que le droit d’utiliser une AOP visé à l’article 103, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013 concerne le droit de l’utiliser en tant qu’AOP, c’est-à-dire conformément à la fonction d’une AOP. En revanche, cette disposition n’autoriserait pas les tiers à enregistrer une AOP en tant que partie d’une marque, dans la mesure où une telle utilisation serait contraire à l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement
no 1308/2013. Lors de l’audience, les requérants, soutenus par la République française et oriGIn, ont nuancé leur position en admettant, d’une part, que, sous certaines conditions, une AOP peut faire partie d’une marque, tout en soutenant, d’autre part, que la chambre de recours doit effectuer une analyse au cas par cas afin d’apprécier si la marque demandée exploite la réputation de l’AOP en question au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), dudit règlement.
27 L’EUIPO et Nero Lifestyle contestent les arguments des requérants. En particulier, lors de l’audience, l’EUIPO a fait valoir que l’argument des requérants selon lequel la chambre de recours aurait dû effectuer une analyse au cas par cas afin d’évaluer si la marque demandée exploitait la réputation de l’AOP « Champagne » était irrecevable dans la mesure où il a été invoqué pour la première fois lors de ladite audience.
28 Il ressort des dispositions combinées de l’article 76, sous d), et de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, notamment, que la production de moyens ou d’arguments nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ou ces arguments ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure ou qu’ils constituent l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête introductive
d’instance et qui présentent un lien étroit avec celui‑ci (voir arrêt du 22 novembre 2017, von Blumenthal e.a./BEI, T‑558/16, non publié, EU:T:2017:827, point 48 et jurisprudence citée).
29 Or, à cet égard, l’argumentation des requérants selon laquelle la chambre de recours aurait dû, en vertu de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, effectuer une analyse au cas par cas afin d’évaluer si la marque demandée exploitait la réputation de l’AOP « Champagne » ne vise qu’à préciser l’argument présenté dans la requête, et développé dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, selon lequel la chambre de recours aurait dû appliquer ladite disposition
dans les cas où la marque contenait une AOP et visait des produits conformes au cahier des charges de cette AOP ainsi que des services se référant à de tels produits, et est ainsi recevable.
30 Quant au fond, s’agissant de la question de savoir si l’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP est, en tant que tel, contraire aux articles 102 et 103 du règlement no 1308/2013, il convient de rappeler que l’article 102, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013 prévoit que l’enregistrement d’une marque commerciale contenant ou consistant en une AOP ou une IGP qui n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné ou dont l’utilisation relève de l’article 103,
paragraphe 2, dudit règlement, et concernant un produit relevant d’une des catégories répertoriées à l’annexe VII, partie II, de ce règlement est soit refusé, si la demande d’enregistrement de la marque commerciale est présentée après la date de dépôt auprès de la Commission de la demande de protection de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique et que cette demande aboutit à la protection de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique, soit annulé.
31 Il résulte de cette disposition que celle-ci n’interdit pas, par principe, qu’une marque puisse contenir ou consister en une AOP. Au contraire, il en découle qu’une marque contenant ou consistant en une AOP peut être enregistrée sous réserve de certaines conditions, en ce sens que l’enregistrement d’une telle marque est refusé ou annulé uniquement dans deux hypothèses, à savoir, premièrement, si l’AOP n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné ou, deuxièmement, si son
utilisation relève de l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 et concerne un produit relevant d’une des catégories répertoriées à l’annexe VII, partie II, de ce règlement.
32 L’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 prévoit, quant à lui, en substance, une liste exhaustive de pratiques contre lesquelles les AOP sont protégées.
33 En particulier, l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, auquel les requérants font référence dans le cadre de la première branche du premier moyen pour soutenir que l’utilisation et l’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP seraient « en tant que tels » incompatibles avec cette disposition, se limite à prévoir qu’une AOP est protégée contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte de celle-ci « dans la mesure où ladite utilisation
exploite la réputation [de l’AOP] ». Il s’ensuit que cette disposition, lue en combinaison avec l’article 102, paragraphe 1, dudit règlement ne fait pas obstacle à l’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP en tant que telle, mais uniquement à ce que cet enregistrement exploite la réputation de l’AOP en cause.
34 Ainsi, il ressort d’une lecture conjointe de l’article 102, paragraphe 1, et de l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 que ces dispositions ne font pas obstacle à l’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP en tant que telle, excepté lorsqu’un tel enregistrement se heurte à l’une des hypothèses expressément prévues à cette fin.
35 Au demeurant, comme indiqué au point 26 ci-dessus, interrogés lors de l’audience, les requérants ont, en substance, admis que l’article 102, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013 n’interdisait pas l’enregistrement de marques contenant ou consistant en une AOP en tant que tel, mais qu’il exige un examen au cas par cas, afin de vérifier si les conditions permettant un tel enregistrement ont été remplies, ce que la chambre de recours aurait omis de faire en l’espèce.
36 Partant, il convient de rejeter la première branche du premier moyen comme étant non fondée.
– Sur les deuxième et troisième branches du premier moyen et sur la première branche du troisième moyen
37 En l’espèce, au point 37 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, en substance, d’une part, que l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 ne s’appliquait pas, parce que, conformément à la limitation de la liste des produits et des services, l’AOP était utilisée conformément au cahier des charges du produit et, d’autre part, qu’il n’existait aucune preuve que l’usage de la marque demandée relevait de l’article 103, paragraphe 2, dudit règlement.
38 À cet égard, aux points 38 à 41 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré, en substance, en raisonnant a contrario de l’article 102, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1308/2013, que, si l’AOP en cause est utilisée pour des produits qui sont conformes au cahier des charges de l’AOP « Champagne », l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 ne s’appliquait pas et que tel était le cas en l’espèce, étant donné que la liste des produits et des services en cause se
limitait aux produits respectant ledit cahier des charges.
39 Les requérants, soutenus par la République française et oriGIn, font valoir qu’il est erroné de déduire de l’article 102, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013, dont le champ d’application serait limité aux marques contenant ou consistant en une AOP qui n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné, que le champ d’application de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), de ce règlement serait également limité à une utilisation de cette AOP pour des produits non conformes au
cahier des charges. Partant, le seul fait que la marque demandée vise des produits conformes au cahier des charges de l’AOP « Champagne » et des services afférents ne serait pas suffisant, en l’absence d’une appréciation au cas par cas, pour exclure l’applicabilité de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), dudit règlement au cas d’espèce.
40 L’EUIPO et Nero Lifestyle contestent les arguments des requérants.
41 Selon l’EUIPO, dans le cadre de l’examen des motifs absolus de refus des marques contenant ou consistant en une AOP est appliquée depuis de nombreuses années ce que les requérants appellent la « théorie de la limitation ». Selon cette théorie, les objections soulevées au titre de l’article 7, paragraphe 1, sous j), du règlement 2017/1001, lu conjointement avec l’article 103 du règlement no 1308/2013, peuvent être levées si les produits pertinents sont limités de façon à satisfaire aux exigences
du cahier des charges de l’AOP ou de l’IGP en cause. En outre, il découlerait nécessairement de la structure de l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 que la notion d’« exploitation de la réputation » d’une AOP énoncée à l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), dudit règlement serait réservée, en premier lieu, voire exclusivement, aux situations dans lesquelles l’AOP est utilisée pour des produits ou des services qui ne sont pas comparables à ceux couverts par l’AOP en
question. Ceci découlerait d’ailleurs de l’arrêt du 6 octobre 2021, PORTWO GIN (T‑417/20, non publié, EU:T:2021:663, point 52), selon lequel la réputation d’une AOP est susceptible d’être exploitée lorsqu’elle est utilisée pour des produits différents de ceux protégés par l’AOP et lorsque l’image particulière et les qualités distinctives d’une AOP sont transférables aux produits désignés par la marque demandée.
42 Nero Lifestyle soutient l’interprétation de l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 effectuée par l’EUIPO en se fondant sur plusieurs décisions de l’EUIPO.
43 Tout d’abord, selon la « théorie de la limitation » que la chambre de recours a appliquée aux points 37 à 41 de la décision attaquée, il est présumé, en substance, qu’une marque qui inclut une AOP ne peut en principe pas exploiter la réputation de cette AOP lorsque cette marque est exclusivement enregistrée pour des produits conformes au cahier des charges de cette AOP ainsi que pour des services se référant à de tels produits.
44 Cette théorie trouve son origine dans les directives de l’EUIPO relatives à l’examen des marques de l’Union européenne [partie C (Opposition), section 6 (Indications géographiques), point 3.1.3 (Limites concernant l’étendue de la protection des IG en vertu des motifs relatifs)], selon lesquelles « lorsque la spécification d’une demande de [marque] n’inclut, en ce qui concerne les produits identiques à ceux couverts par l’[AOP ou l’IGP], que des produits conformes à la spécification de l’[AOP ou
de l’IGP] concernée, la fonction de l’[AOP ou de l’IGP] pertinente est garantie pour ces produits car la demande de [marque] ne couvre que des produits de l’origine géographique spécifique et disposant des qualités spécifiques y afférentes. Par conséquent, toute opposition formée à l’encontre d’une demande de [marque] convenablement limitée est vouée à être rejetée ».
45 À cet égard, il convient de relever que la décision attaquée manque de clarté dans son application de cette « théorie de la limitation », telle qu’elle a été appliquée dans le cas d’espèce. En particulier, il n’est pas clair si, selon la chambre de recours, la « théorie de la limitation » constitue, en substance, une présomption réfragable d’absence d’exploitation de la réputation de l’AOP, tel qu’il découle du point 37 de la décision attaquée, ou irréfragable, tel qu’il découle des points 40
et 41 de ladite décision.
46 Interrogé lors de l’audience, l’EUIPO n’a pas pu clarifier si ladite théorie consistait en une présomption réfragable ou irréfragable et si, dans la décision attaquée, la chambre de recours a appliqué le premier ou le second type de présomption. Ainsi, si l’EUIPO a maintenu que, en principe, une marque désignant uniquement des produits conformes au cahier des charges de l’AOP ne peut exploiter la réputation de cette dernière, il a néanmoins admis qu’il ne pouvait être exclu que, dans de rares
cas, une telle exploitation puisse tout de même être démontrée.
47 Dans ces circonstances, il convient de relever que, selon une première lecture, découlant des points 40 et 41 de la décision attaquée, la chambre de recours a appliqué la « théorie de la limitation » en tant que présomption irréfragable d’absence d’exploitation de la réputation d’une AOP lorsque la marque demandée ne désigne que des produits conformes au cahier des charges ainsi que des services afférents. En effet, la chambre de recours a relevé auxdits points de la décision attaquée que, dès
lors que la marque demandée visait des produits conformes au cahier des charges de l’AOP ainsi que des services se rapportant à de tels produits, l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 ne s’appliquait pas.
48 En procédant ainsi, la chambre de recours a commis une erreur de droit. En effet, d’une part, comme rappelé au point 22 ci-dessus, l’article 102, paragraphe 1, du règlement no 1308/2013 prévoit, en substance, deux motifs de refus d’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP et concernant un produit relevant d’une des catégories répertoriées à l’annexe VII, partie II, de ce règlement. Une marque contenant ou consistant en une AOP ne pourra être enregistrée, premièrement, si
elle n’est pas conforme au cahier des charges du produit concerné ou, deuxièmement, si son utilisation relève de l’article 103, paragraphe 2, dudit règlement.
49 D’autre part, les hypothèses énumérées à l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013, rappelées au point 23 ci-dessus, ne visent pas – à l’exception de celle prévue à l’article 103, paragraphe 2, sous a), i), de ce règlement – les produits comparables non conformes au cahier des charges. En effet, rien dans le texte de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), et sous b) à d), du règlement no 1308/2013 n’indique que les hypothèses qui y sont prévues ne sont pas susceptibles de
s’appliquer à une utilisation d’une AOP pour des produits conformes au cahier des charges de celle-ci.
50 À la différence de l’article 103, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1308/2013, qui limite son champ d’application aux « produits comparables ne respectant pas le cahier des charges », l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), dudit règlement ne spécifie pas qu’il s’applique uniquement à une utilisation de l’AOP en cause pour des produits comparables ou pour des produits et des services non conformes au cahier des charges de cette AOP (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du
9 septembre 2021, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑783/19, EU:C:2021:713, point 54). En effet, il ressort du libellé de l’article 103, paragraphe 2), sous a), ii), du règlement no 1308/2013, qui ne se réfère ni aux « produits comparables » ni à toute autre catégorie spécifique de produits ou de services, que cette disposition a vocation à s’appliquer à toute sorte de produits et de services, y compris à des produits comparables qui respectent le cahier des charges de l’AOP en
question.
51 Il s’ensuit que le simple fait qu’une marque contenant une AOP limite son enregistrement à des produits conformes au cahier des charges ainsi qu’à des services se référant à de tels produits ne fait pas par lui-même obstacle à l’application des motifs de refus ou d’annulation prévus à l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), et sous b) à d), du règlement no 1308/2013. Ainsi, il ne saurait être exclu ab initio que la marque demandée puisse exploiter la réputation de l’AOP au sens de
l’article 103, paragraphe 2), sous a), ii), du règlement no 1308/2013, lorsque les produits ou les services qu’elle vise sont conformes au cahier des charges. Dès lors, et contrairement à ce qu’a considéré la chambre de recours aux points 40 et 41 de la décision attaquée, l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 peut être invoqué pour s’opposer à l’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP, en dépit du fait que les produits ainsi que les services
se rapportant à de tels produits, désignés par la marque demandée, sont conformes au cahier des charges de l’AOP en question.
52 À cet égard, et comme le font valoir à bon droit les requérants, au regard de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, la chambre de recours aurait dû, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes en l’espèce, effectuer une analyse afin d’évaluer si la marque demandée exploitait la réputation de l’AOP « Champagne ». À cet égard, il ressort de la jurisprudence que l’exploitation de la réputation d’une AOP, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a),
ii), du règlement no 1308/2013, suppose une utilisation de cette AOP visant à profiter indûment de la réputation de celle-ci (arrêts du 20 décembre 2017, Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, C‑393/16, EU:C:2017:991, point 40, et du 6 octobre 2021, PORTWO GIN, T‑417/20, non publié, EU:T:2021:663, point 50).
53 Par ailleurs, comme le relèvent à juste titre les requérants, la chambre de recours s’est contredite dans la décision attaquée en constatant, d’une part, au point 40 de la décision attaquée, que « l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 ne s’appliqu[ait] pas » à une marque désignant uniquement des produits conformes au cahier des charges, tout en examinant ensuite, d’autre part, aux points 47 et suivants de la décision attaquée, si l’enregistrement de cette même marque se heurtait
à l’article 103, paragraphe 2, sous c), dudit règlement. La chambre de recours semble avoir ainsi admis, implicitement mais nécessairement, que certaines des hypothèses prévues à l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 peuvent trouver à s’appliquer à une telle marque et ainsi faire obstacle à son enregistrement, ce qui contredit l’existence d’une présomption irréfragable consistant à nier l’applicabilité de l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 aux marques
contenant ou consistant en une AOP visant exclusivement des produits conformes au cahier des charges et des services afférents.
54 Dès lors, la chambre de recours, en introduisant, en substance, aux points 40 et 41 de la décision attaquée, une présomption irréfragable, selon laquelle l’enregistrement d’une marque contenant ou consistant en une AOP pour des produits conformes au cahier des charges ainsi que pour des services afférents à de tels produits est réputé ne pas exploiter la réputation de cette AOP au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, a commis une erreur de droit dans
l’interprétation de cette disposition.
55 Selon une seconde lecture de la décision attaquée, distincte de celle exposée au point 47 ci-dessus et découlant du point 37 de ladite décision, la « théorie de la limitation » introduirait une présomption réfragable, selon laquelle il peut être présumé qu’une marque enregistrée uniquement pour des produits conformes au cahier des charges et des services relatifs à ces produits n’exploite pas la réputation d’une AOP, à moins que le contraire ne puisse être démontré.
56 Comme rappelé au point 37 ci-dessus, la chambre de recours a indiqué, au point 37 de la décision attaquée, que l’article 103, paragraphe 2, du règlement no 1308/2013 ne s’appliquait pas en l’espèce, parce que l’AOP était utilisée conformément au cahier des charges et parce qu’il n’existait aucune preuve que l’usage de la marque demandée relevait du champ d’application de l’article 103, paragraphe 2, dudit règlement. Ce faisant, la chambre de recours semble admettre que ladite présomption peut
être renversée sur la base d’éléments susceptibles de démontrer, en l’espèce, que l’utilisation de la marque est susceptible d’exploiter la réputation de l’AOP.
57 À cet égard, il convient de rappeler, comme constaté au point 24 ci-dessus, que le système de protection des AOP et des IGP prévu par le règlement no 1308/2013 vise essentiellement à assurer aux consommateurs que les produits agricoles bénéficiant d’une dénomination enregistrée présentent, en raison de leur provenance d’une zone géographique déterminée, certaines caractéristiques particulières et, partant, offrent une garantie de qualité due à leur provenance géographique.
58 Ainsi, il peut être présumé qu’une marque contenant ou consistant en une AOP, enregistrée uniquement pour des produits respectant le cahier des charges de cette AOP ou pour des services afférents, n’exploitera pas de manière indue la réputation de cette AOP, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, étant donné qu’elle ne sera censée être utilisée sur le marché que pour des produits répondant aux exigences de qualité relatives à cette AOP ou pour des
services relatifs à de tels produits. Partant, l’objectif de protection de la qualité des produits désignés par une AOP poursuivi par le règlement no 1308/2013 est présumé rempli dans ce cas de figure.
59 Toutefois, une telle présomption peut être renversée lorsqu’il peut être démontré, sur la base d’éléments concrets, étayés et concordants, qu’une marque donnée est susceptible d’exploiter indûment la réputation d’une AOP, quand bien même elle ne désigne que des produits conformes au cahier des charges de cette AOP ou des services afférents. Ainsi, lorsque de tels éléments sont portés à la connaissance des instances de l’EUIPO, celles-ci doivent les examiner afin de vérifier s’ils permettent de
renverser ladite présomption.
60 Partant, dans la mesure où la décision attaquée est interprétée comme introduisant une présomption réfragable, elle n’est pas entachée d’une erreur de droit. Néanmoins, comme relevé à juste titre par les requérants, il convient d’examiner si la chambre de recours a exposé à suffisance de droit les raisons l’ayant menée à conclure que cette présomption n’était pas renversée en l’espèce.
61 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 94, paragraphe 1, première phrase, du règlement 2017/1001, les décisions de l’EUIPO doivent être motivées. Cette obligation a la même portée que celle découlant de l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, lequel exige que la motivation fasse apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, sans qu’il soit nécessaire que cette motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, la
question de savoir si la motivation d’un acte satisfait auxdites exigences devant cependant être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 28 juin 2018, EUIPO/Puma, C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 65 et jurisprudence citée).
62 Par ailleurs, la chambre de recours n’est pas tenue de répondre expressément et de manière exhaustive à l’ensemble des arguments avancés par les parties à la procédure devant elle (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2012, Rubinstein et L’Oréal/OHMI, C‑100/11 P, EU:C:2012:285, point 112, et du 6 septembre 2012, Storck/OHMI, C‑96/11 P, non publié, EU:C:2012:537, point 88), à condition toutefois qu’elle expose les faits et les considérations juridiques revêtant une importance essentielle dans
l’économie de la décision [voir arrêt du 24 novembre 2015, Intervog/OHMI (meet me), T‑190/15, non publié, EU:T:2015:874, point 48 et jurisprudence citée].
63 Sur ce point, la chambre de recours a constaté, au point 37 de la décision attaquée, que les requérants n’avaient produit aucune preuve à cette fin.
64 Toutefois, il ressort des écritures des requérants que plusieurs éléments, tendant à démontrer que la marque demandée était susceptible d’exploiter la réputation de l’AOP « Champagne », ont été soulevés au stade de la procédure administrative. Il s’agit, premièrement, de la réputation particulièrement élevée de l’AOP « Champagne », deuxièmement, de l’argument selon lequel un service ne peut être, par définition, conforme au cahier des charges d’une AOP, de sorte que la « théorie de la
limitation » ne saurait valoir pour les services, troisièmement, de la mention du fait que la marque demandée est une marque verbale, qui peut donc être utilisée de nombreuses manières différentes sur le marché, y compris de manière contraire aux objectifs de l’AOP, quatrièmement, des arguments faisant valoir, en substance, que le terme « nero » qualifiait le terme « champagne » au sein de la marque demandée et, cinquièmement, des arguments relatifs à l’étiquetage des produits commercialisés par
Nero Lifestyle. Enfin, les requérants avaient renvoyé, dans leur mémoire devant la chambre de recours, aux éléments de preuve déjà produits devant la division d’opposition et listés au point 6 de la décision attaquée.
65 Or, la chambre de recours n’a examiné, aux points 42 à 46 de la décision attaquée, qu’un seul de ces éléments, à savoir celui selon lequel la marque demandée contrevenait aux règles d’étiquetage prévues dans le cahier des charges de l’AOP « Champagne ».
66 Ainsi, indépendamment du bien-fondé des arguments et des éléments relevés par les requérants et listés au point 64 ci-dessus, en se bornant à constater qu’« il n’existe aucune preuve que l’usage de la marque [demandée] relève de l’article 103, paragraphe 2 », la chambre de recours a violé l’obligation de motivation qui lui incombe au regard de la jurisprudence citée aux points 61 et 62 ci-dessus, en ce qu’elle n’a pas suffisamment exposé en quoi les éléments produits par les requérants n’étaient
pas susceptibles de renverser, dans le cas d’espèce, la présomption exposée au point 58 ci-dessus.
67 L’ensemble des considérations précédentes ne sont pas remises en cause par les arguments de l’EUIPO et de Nero Lifestyle. En effet, premièrement, il n’apparaît pas, dans l’arrêt du 6 octobre 2021, PORTWO GIN (T‑417/20, non publié, EU:T:2021:663, point 31), invoqué par l’EUIPO, que, en indiquant que l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 accorde une protection contre toute utilisation commerciale directe ou indirecte d’une AOP « tant pour des produits comparables ne
respectant pas le cahier des charges lié à la dénomination protégée que pour des produits non comparables dans la mesure où ladite utilisation exploite la réputation de cette AOP », le Tribunal ait interprété l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013 en ce sens qu’il ne trouve à s’appliquer qu’aux produits non comparables à ceux visés par une AOP donnée. En effet, la question de savoir si cette dernière disposition est applicable à une utilisation de cette AOP pour des
produits comparables conformes au cahier des charges ne se posait pas dans ladite affaire. Ainsi, le Tribunal a interprété l’article 103, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1308/2013 au regard des circonstances factuelles de cette affaire, à savoir l’utilisation d’une AOP dans une marque pour désigner des spiritueux ne correspondant pas aux caractéristiques des vins couverts par cette AOP. Par ailleurs, le Tribunal a également considéré que le champ d’application de la protection prévue à
ladite disposition était « particulièrement large ».
68 Secondement, et contrairement à ce que soutient Nero Lifestyle, l’arrêt du 14 septembre 2017, EUIPO/Instituto dos Vinhos do Douro e do Porto (C‑56/16 P, EU:C:2017:693, points 81 à 84), ne permet pas d’infirmer les conclusions précédentes. En effet, si, conformément à cet arrêt, les AOP « visent à garantir que le produit qui en est revêtu provient d’une zone géographique déterminée et présente certains caractères particuliers », ledit arrêt précise également que « la réglementation applicable
protège leurs bénéficiaires contre une utilisation abusive desdites appellations par des tiers désirant tirer profit de la réputation qu’elles ont acquise », ce que la chambre de recours a omis d’examiner, tel que cela résulte du point 65 ci-dessus. Ainsi, le seul fait que les produits ainsi que les services afférents à de tels produits sont conformes au cahier des charges ne suffit pas ab initio pour conclure qu’une marque enregistrée pour de tels produits ou services n’est pas susceptible de
tirer abusivement profit de la réputation de l’AOP au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous a), ii), du règlement no 1308/2013, sans avoir examiné concrètement les caractéristiques spécifiques de cette marque ainsi que toutes les circonstances pertinentes de l’espèce.
69 Pour l’ensemble des motifs qui précèdent, il convient d’accueillir ensemble les deuxième et troisième branches du premier moyen et la première branche du troisième moyen et d’annuler, par conséquent, la décision attaquée dans la mesure où la chambre de recours rejette le recours introduit devant elle par les requérants.
70 Il demeure toutefois nécessaire d’examiner également la seconde branche du troisième moyen, dans la mesure où celle-ci, à la différence de l’erreur de droit et au défaut de motivation qui viennent d’être relevés, présente une incidence sur la réponse à apporter au deuxième chef de conclusions des requérants tendant à la réformation de la décision attaquée.
Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée de la violation de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013
71 Les requérants, soutenus par la République française et oriGIn, considèrent que c’est à tort que la chambre de recours a conclu que les consommateurs italophones ne seraient pas induits en erreur sur la nature et les qualités substantielles du vin mentionné dans la liste des produits et des services visés par la marque demandée, au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013. Selon eux, d’une part, le terme « nero », qui signifie « noir » en français, pourrait être
perçu par le public pertinent soit comme une indication de la couleur du vin, soit comme une indication du cépage dudit vin, indiquant par exemple que celui-ci serait produit uniquement à partir de raisins noirs, ou présenterait une plus grande quantité de cépage « pinot noir ». Ainsi, l’expression « nero champagne » pourrait être comprise comme signifiant « champagne noir » et comme faisant référence à une nouvelle variété de champagne, et ce alors même qu’il ressort du cahier des charges de
l’AOP que le vin de Champagne ne peut être que blanc ou rosé. Or, la chambre de recours n’aurait pas fourni d’autre explication convaincante sur la manière dont le public percevrait le terme « nero » associé à la dénomination « Champagne ». À cet égard, la simple constatation que le « champagne noir » n’existe pas ne serait pas suffisante. Au contraire, ce serait précisément en raison du fait qu’une telle variété de champagne n’existe pas que la chambre de recours aurait dû conclure au risque que
le public pertinent puisse être induit en erreur. Enfin, les requérants contestent la conclusion de la chambre de recours excluant que la marque demandée puisse induire en erreur les consommateurs, au motif qu’elle ferait partie du « NERO Lifestyle Project » et qu’elle appartiendrait à une famille de marques NERO détenue par Nero Lifestyle.
72 L’EUIPO et Nero Lifestyle contestent les arguments des requérants.
73 L’EUIPO fait valoir que les motifs pour lesquels la chambre de recours a rejeté l’opposition sur le fondement de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013 sont énoncés clairement aux points 47 et suivants de la décision attaquée. En outre, les motifs de la décision attaquée à cet égard seraient corrects, puisqu’il n’y aurait aucune raison que le public pertinent comprenne le mot « nero » comme un qualificatif du mot « champagne », dans la mesure où, en italien, les adjectifs
décrivant les couleurs sont normalement placés après le nom qu’ils qualifient, et non avant lui. Selon l’EUIPO, le libellé « champagne noir » n’est manifestement pas trompeur étant donné qu’il fait référence à un concept inexistant. En outre, l’affirmation des requérants selon laquelle les consommateurs comprendraient le mot « nero » comme une référence à une variété de raisins n’aurait été étayée par aucun élément de preuve. Enfin, en ce qui concerne l’argument relatif à la famille de marques,
selon l’EUIPO, le point 49 de la décision attaquée doit être compris comme une appréciation additionnelle sur la manière dont l’expression « nero champagne » est comprise par le public italien, mais la décision attaquée reste la même en l’absence de ces développements.
74 Le Tribunal considère qu’il convient de requalifier cette seconde branche du troisième moyen, d’après son contenu, comme étant, en substance, tirée d’une violation de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013.
75 Ainsi que cela est rappelé au point 23 ci-dessus, il ressort de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013 qu’une AOP ainsi que le vin qui fait usage de cette dénomination protégée en respectant le cahier des charges correspondant sont protégés contre toute indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, à l’origine, à la nature ou aux qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au
produit vitivinicole concerné, ainsi que contre l’utilisation pour le conditionnement d’un contenant de nature à créer une impression erronée sur l’origine du produit.
76 En l’espèce, au point 48 de la décision attaquée, la chambre de recours a indiqué que les allégations des requérants n’étaient pas étayées. En outre, la chambre de recours a souligné que la partie italophone du public pertinent faisait couramment référence à la couleur des vins comme étant « rosso » ou « rossi » (vin rouge), « bianco » ou « bianchi » (vin blanc) et « rosato » ou « rosati » (vin rosé), pour conclure, en substance, que le public pertinent ne serait pas induit en erreur, étant donné
qu’il n’existe ni de champagne « nero » ni de « champagne noir ». Enfin, au point 49 de la décision attaquée, la chambre de recours a constaté l’existence d’une famille de marques NERO appartenant à Nero Lifestyle, ce qui constituerait une « autre raison » de comprendre que le terme « nero » ne fait pas référence à la couleur du vin, mais à la famille de marques détenue par Nero Lifestyle.
77 Premièrement, il convient d’indiquer que la marque demandée est composée d’un premier élément verbal « nero », qui est un adjectif courant en italien signifiant « noir », et d’un second élément verbal « champagne ».
78 Deuxièmement, il ressort du cahier des charges de l’AOP « Champagne », invoqué par les requérants, que les vins de Champagne peuvent être blancs ou rosés, avec l’utilisation de trois cépages : le pinot noir, le pinot meunier et le chardonnay, sans règles spécifiques régissant la proportion à intégrer dans l’élaboration du vin de Champagne. À cet égard, les requérants ont indiqué lors de l’audience, sans être contredits par l’EUIPO, qu’il était très rare qu’un champagne soit composé exclusivement
de pinot noir et que, dans ce cas, il était désigné par l’expression « blanc de noirs » et qu’un tel champagne serait en réalité un vin blanc, obtenu à partir de raisins noirs. Ainsi, le public pertinent pourrait penser que l’expression « nero champagne » décrit un champagne composé exclusivement de pinot noir, ce qui ne serait pas nécessairement le cas.
79 Troisièmement, il ressort de la jurisprudence que la limitation de la base factuelle de l’examen opéré par la chambre de recours n’exclut pas que celle-ci prenne en considération, outre les faits avancés explicitement par les parties à la procédure d’opposition, des faits notoires, c’est-à-dire des faits qui sont susceptibles d’être connus par toute personne ou qui peuvent être connus par des sources généralement accessibles [voir arrêts du 22 juin 2004, Ruiz-Picasso e.a./OHMI – Daimler Chrysler
(PICARO), T‑185/02, EU:T:2004:189, point 29, et du 9 avril 2014, Pico Food/OHMI – Sobieraj (MILANÓWEK CREAM FUDGE), T‑623/11, EU:T:2014:199, point 19].
80 À cet égard, le terme « nero » est employé dans le nom de plusieurs cépages italiens connus, tels que « Nero d’Avola » ou « Nero Buono », et est même inclus dans le nom d’AOP italiennes telles que « Pinot Nero dell’Oltrepò Pavese » ou « Castel del Monte Bombino Nero ». Ce fait notoire est confirmé par la décision de la division d’opposition, dans laquelle il est indiqué qu’il existe de multiples variétés de vignes qui incluent la caractéristique « nero » dans leur dénomination, telles que
« Albana nera », « Bombino nero », « Greco nero », « Nero buono » ou encore « Nero d’Avola ».
81 Par conséquent, le public pertinent pourrait être induit en erreur, en pensant que la marque demandée évoque le cépage du champagne en cause, pour les motifs exposés au point 78 ci-dessus.
82 Par ailleurs, comme le font valoir à juste titre les requérants, le terme « nero » sera compris par le public pertinent italophone comme signifiant « noir ». Dès lors, dans la mesure où la marque demandée vise des vins répondant au cahier des charges de l’AOP « Champagne », ledit public est susceptible d’être induit en erreur, en pensant que ledit terme indique la couleur de ce vin, et ce d’autant plus qu’il existe déjà, sur le marché, des champagnes blancs et des champagnes rosés. Ainsi, le
public pertinent pourrait être induit en erreur quant à la couleur du vin de Champagne commercialisé sous la marque demandée, en pensant qu’il s’agit d’une nouvelle variété de champagne, à savoir un « champagne noir », alors même que, selon le cahier des charges de l’AOP, un champagne ne peut être que blanc ou rosé.
83 Contrairement à ce que soutient l’EUIPO, le fait que le champagne de couleur noire n’existe pas n’exclut pas que l’expression « champagne noir » puisse être trompeuse. En effet, il est habituel que le champagne, et plus généralement le vin, soit décrit par sa couleur. Le public pertinent pourrait donc être amené à penser qu’il s’agit d’un produit nouveau sur le marché.
84 Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que la famille de marques NERO, prétendument détenue par Nero Lifestyle, serait particulièrement renommée ou connue du public pertinent, de sorte qu’il n’a pas été démontré que, exposé à la marque demandée, ce public comprendrait immédiatement que celle-ci fait référence à cette famille de marques. Par ailleurs, la chambre de recours n’a aucunement expliqué les motifs lui permettant de constater l’existence d’une telle famille de marques, ni
d’ailleurs de quelles marques cette famille serait composée. En outre, quand bien même une partie du public pertinent aurait connaissance de cette supposée famille de marques et établirait un lien entre celle-ci et la marque demandée, il n’en demeure pas moins que, pour une autre partie du public pertinent, qui n’en a pas connaissance, le terme « nero » pourrait être perçu comme évoquant soit le cépage du champagne, soit sa couleur, de sorte que, pour cette partie du public pertinent, la marque
demandée pourrait être perçue comme véhiculant une indication fausse ou fallacieuse au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013.
85 Dès lors, et pour les raisons évoquées ci-dessus, la chambre de recours a commis une erreur d’appréciation en estimant que la marque demandée ne relevait pas de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013.
86 Partant, il y a lieu d’accueillir la seconde branche du troisième moyen et, dès lors, d’annuler, pour ce motif également, la décision attaquée, dans la mesure où la chambre de recours a rejeté le recours introduit devant elle par les requérants, sans qu’il soit besoin d’examiner les deuxième et quatrième moyens.
Sur les conclusions en réformation
87 Par leur deuxième chef de conclusions, les requérants demandent au Tribunal, à titre principal, de rejeter la demande d’enregistrement de la marque demandée pour les produits et services en cause.
88 Il convient de considérer que ce chef de conclusions vise, en substance, à ce que le Tribunal exerce son pouvoir de réformation pour annuler la décision de la division d’opposition et accueillir l’opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits et services en cause, adoptant ainsi la décision que, selon les requérants, la chambre de recours aurait dû prendre lorsqu’elle a été saisie du recours.
89 En effet, il ressort de l’article 71, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement 2017/1001 que la chambre de recours peut annuler la décision de l’instance de l’EUIPO ayant pris la décision attaquée et exercer les compétences de cette instance, en l’occurrence statuer sur l’opposition et l’accueillir. Par conséquent, ces mesures figurent parmi celles pouvant être prises par le Tribunal au titre de son pouvoir de réformation, consacré par l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001 [voir
arrêt du 14 décembre 2011, Völkl/OHMI – Marker Völkl (VÖLKL), T‑504/09, EU:T:2011:739, point 40 et jurisprudence citée ; arrêt du 13 décembre 2018, Monster Energy/EUIPO – Bösel (MONSTER DIP), T‑274/17, EU:T:2018:928, point 97 (non publié)].
90 Or, il y a lieu de rappeler que le pouvoir de réformation, reconnu au Tribunal en vertu de l’article 72, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, n’a pas pour effet de conférer à celui-ci le pouvoir de procéder à une appréciation sur laquelle la chambre de recours n’a pas encore pris position. L’exercice du pouvoir de réformation doit, par conséquent, en principe être limité aux situations dans lesquelles le Tribunal, après avoir contrôlé l’appréciation portée par ladite chambre, est en mesure de
déterminer, sur la base des éléments de fait et de droit tels qu’ils sont établis, la décision que la chambre de recours était tenue de prendre [voir arrêt du 24 octobre 2019, ZPC Flis/EUIPO – Aldi Einkauf (Happy Moreno choco), T‑498/18, EU:T:2019:763, point 129 et jurisprudence citée].
91 En l’espèce, il convient de relever que la chambre de recours a examiné, dans la décision attaquée, tous les éléments de preuve présentés par les requérants afin d’étayer l’indication fausse ou fallacieuse au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013, communiquée par la marque demandée pour les produits et les services pour lesquels l’enregistrement est demandé, de sorte que le Tribunal dispose du pouvoir de réformer ladite décision sur ce point [voir, en ce sens,
arrêt du 5 juin 2024, Supermac’s/EUIPO – McDonald’s International Property (BIG MAC), T‑58/23, non publié, EU:T:2024:360, point 109].
92 Or, ainsi qu’il ressort des points 77, 78, 80, 83 et 84 ci-dessus, la chambre de recours était tenue de considérer, à l’issue d’une appréciation globale des éléments de preuve fournis par les requérants, que ceux-ci étaient suffisants pour démontrer que le terme « nero » pourrait être perçu comme évoquant soit le cépage du champagne, soit sa couleur, de sorte que, pour, à tout le moins, une partie du public pertinent, la marque demandée pourrait être perçue comme véhiculant une indication fausse
ou fallacieuse au sens de l’article 103, paragraphe 2, sous c), du règlement no 1308/2013.
93 Dans ces conditions, il y a lieu, par réformation de la décision attaquée, d’annuler la décision de la division d’opposition dans la mesure où celle-ci a rejeté l’opposition à l’enregistrement de la marque demandée et d’accueillir ladite opposition pour les produits et services en cause.
Sur les dépens
94 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
95 L’EUIPO et Nero Lifestyle ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens exposés par les requérants et par oriGIn, conformément aux conclusions de ces derniers.
96 En outre, les requérants ont conclu à ce que le Tribunal condamne l’EUIPO et Nero Lifestyle aux dépens qu’ils ont exposés devant la chambre de recours. À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 190, paragraphe 2, du règlement de procédure, les frais indispensables exposés par les parties aux fins de la procédure devant la chambre de recours sont considérés comme dépens récupérables. Partant, il y a également lieu de condamner l’EUIPO et Nero Lifestyle aux dépens
indispensables exposés par les requérants aux fins de la procédure devant la chambre de recours.
97 Il n’en va toutefois pas de même des frais exposés aux fins de la procédure devant la division d’opposition. Partant, la demande des requérants tendant à ce que l’EUIPO et Nero Lifestyle soient condamnés aux dépens de la procédure administrative devant l’EUIPO ne peut être accueillie que s’agissant des seuls dépens indispensables exposés par les requérants aux fins de la procédure devant la chambre de recours [arrêt du 12 janvier 2006, Devinlec/OHMI – TIME ART (QUANTUM), T‑147/03, EU:T:2006:10,
point 115].
98 Enfin, en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la République française et la République italienne supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision de la deuxième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 17 février 2023 (affaire R 531/2022-2) est annulée en tant qu’elle a rejeté le recours contre la décision de la division d’opposition du 1er février 2022 relative à la marque de l’Union européenne verbale NERO CHAMPAGNE.
2) L’opposition est accueillie pour les produits et les services relevant des classes 33, 35 et 41 et correspondant, pour chacune de ces classes, à la description suivante :
– classe 33 : « Vins conformes au cahier des charges de l’appellation d’origine protégée “Champagne” » ;
– classe 35 : « Services de vente, au détail et en gros, en ligne et dans des magasins, de vins d’appellation d’origine protégée “Champagne” » ;
– classe 41 : « Éducation, formation, divertissement, activités culturelles ; édition de textes (autres que publicitaires), d’illustrations, de périodiques y compris publications électroniques et numériques, édition de cédérom, de livres, de revues, de revues professionnelles, de journaux, de magazines et de publications en tous genres (autres que publicitaires) et sous toutes les formes y compris publications électroniques et numériques ; exploitation de publications électroniques en ligne non
téléchargeables ; production de vidéos ; organisation de colloques, séminaires, ateliers, conférences, congrès, stages à buts culturels ou éducatifs, organisation d’expositions et de salons professionnels ou grand public à buts culturels ou éducatifs ; publication de livres ; micro-édition ; organisation de réceptions et de fêtes ; organisation de programmes de formation ; organisation de concours et de jeux (éducation ou divertissement) ; présentation au public d’œuvres d’arts visuels et
littéraires à des fins culturelles ou éducatives ; événements de dégustation de vins à des fins éducatives ; enseignement et formation en matière de commerce, d’industrie et de technologies de l’information ; organisation et conduite de colloques, de congrès, de conférences, de séminaires, de stages à buts commerciaux et/ou de publicité ; tous les services précités étant destinés à la présentation et à la mise en valeur de vins d’appellation d’origine protégée “Champagne” ».
3) L’EUIPO et Nero Lifestyle Srl sont condamnés aux dépens, y compris ceux exposés devant la chambre de recours par le Comité interprofessionnel du vin de Champagne et l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), et ceux exposés par oriGIn, organization for an International Geographical Indication network.
4) La République française et la République italienne supporteront leurs propres dépens.
Kornezov
De Baere
Petrlík
Kecsmár
Kingston
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 2025.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.