ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
12 mars 2025 ( *1 )
« Aides d’État – Mesure visant à réduire les prix de gros de l’électricité dans la péninsule Ibérique – Crise énergétique – Décision de ne pas soulever d’objections – Absence de difficultés sérieuses – Principe de non-discrimination – Proportionnalité – Confiance légitime »
Dans l’affaire T‑596/22,
PGI Spain, SL, établie à Barcelone (Espagne),
Berry Superfos Pamplona, SA, établie à Navarre (Espagne),
Promens Packaging, SA, établie à Barcelone,
RPC Envases, SA, établie à Madrid (Espagne),
Zeller Plastik España, SL, établie à Barcelone,
représentées par Me P. Holtrop, avocat,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par MM. T. Scharf, I. Georgiopoulos et Mme C.-M. Carrega, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Royaume d’Espagne, représenté par Mmes A. Gavela Llopis et M. Morales Puerta, en qualité d’agents,
partie intervenante,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),
composé de M. M. van der Woude, président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl, M. I. Nõmm (rapporteur), Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,
greffier : M. A. Marghelis, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 17 septembre 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes, PGI Spain, SL, Berry Superfos Pamplona, SA, Promens Packaging, SA, RPC Envases, SA, et Zeller Plastik España, SL, demandent l’annulation de la décision C(2022) 3942 final de la Commission, du 8 juin 2022, concernant l’aide d’État SA.102454 (2022/N) – Espagne et SA.102569 (2022/N) – Portugal – Mécanisme d’ajustement du coût de production visant à réduire le prix de gros de l’électricité sur le marché ibérique (ci-après la « décision
attaquée »).
Antécédents du litige
2 Le Royaume d’Espagne et la République portugaise ont notifié à la Commission européenne respectivement le 20 et le 23 mai 2022 une mesure visant à réduire le prix de gros de l’électricité dans la péninsule Ibérique en subventionnant le coût des intrants des technologies à base de combustibles fossiles (ci-après la « mesure notifiée »).
3 Par la décision attaquée, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objections au titre de l’article 4, paragraphe 3, du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9).
4 Dans la décision attaquée, en premier lieu, la Commission a décrit les caractéristiques essentielles de la mesure notifiée. Elle a notamment relevé que :
– la mesure notifiée s’inscrivait dans le contexte des crises auxquelles les marchés nationaux et internationaux de l’énergie avaient dû faire face au cours des dernières décennies, lesquelles avaient abouti à une hausse des prix des combustibles fossiles, en particulier celui du gaz naturel (points 4 et 5) ;
– cela avait eu une incidence sur les ménages et les petites et moyennes entreprises relevant de contrats réglementés en Espagne, à savoir le « precio voluntario para el pequeño consumidor » (PVPC, prix volontaire pour les petits consommateurs) et le rabais réglementé pour certains consommateurs vulnérables dénommé « Bono social » (ci-après, pris ensemble, les « contrats réglementés »), et sur pratiquement tous les types d’activité économique (points 6 et 7) ;
– le marché journalier de l’électricité de l’Union européenne reposait sur une méthode de tarification s’appuyant sur le prix marginal, laquelle impliquait que le prix de l’électricité était fixé par la dernière source de production nécessaire pour répondre à la demande à un moment donné, à savoir fréquemment les centrales électriques à combustibles fossiles, lesquelles sont les centrales les plus onéreuses en raison de leurs coûts d’exploitation élevés (points 20 à 23 et 34) ;
– la mesure notifiée consistait à effectuer des paiements aux exploitants de centrales électriques à combustibles fossiles situées dans la péninsule Ibérique afin de réduire les prix de l’électricité sur les marchés de gros et, par voie de conséquence, de détail (points 24 et 33 à 39) ;
– la mesure notifiée serait, notamment, financée par une contribution (ci-après la « contribution ») imposée par l’Operador del Mercado Ibérico de la Energía-Polo Español, SA (OMIE) aux acheteurs sur le marché de gros de l’électricité, à savoir les fournisseurs d’électricité et les consommateurs achetant directement de l’électricité sur le marché de gros pour leur utilisation propre (ci-après les « consommateurs directs »), proportionnellement à la quantité d’électricité qu’ils achetaient
(points 25 et 44) ;
– certains acheteurs sur le marché de gros de l’électricité seraient exemptés du paiement de la contribution et, notamment, ceux ayant conclu des contrats à un prix fixe avant le 26 avril 2022, sous réserve du respect de certaines conditions et notamment de la notification de leurs contrats à l’OMIE (ci-après l’« exemption de la contribution ») [point 45, sous d), à point 48].
5 En deuxième lieu, la Commission a examiné la qualification de la mesure notifiée au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Si elle a considéré que la mesure notifiée relevait du champ d’application de cette disposition, cette conclusion n’a pas été étendue à l’exemption de la contribution. À cet égard, elle a retenu que les acheteurs sur le marché de gros ayant conclu des accords visant la couverture de leurs achats d’électricité avant l’adoption de la mesure notifiée ne bénéficieraient pas
des effets de ladite mesure et en a déduit que l’exemption n’aboutissait pas à leur conférer un avantage sélectif et, partant, ne relevait pas de la qualification d’aide d’État (points 97 à 106 de la décision attaquée).
6 En troisième lieu, la Commission a apprécié la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché intérieur au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE. Elle a, notamment, estimé que ladite mesure était nécessaire, appropriée et proportionnée (points 107 à 154 de la décision attaquée) et qu’elle n’enfreignait aucune des dispositions pertinentes du droit de l’Union et notamment du règlement (UE) 2019/943 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, sur le marché intérieur de
l’électricité (JO 2019, L 158, p. 54), et de la directive (UE) 2019/944 du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et modifiant la directive 2012/27/UE (JO 2019, L 158, p. 125) (points 174 à 192).
Conclusions des parties
7 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
8 La Commission et le Royaume d’Espagne concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
En droit
9 Les requérantes sont des sociétés espagnoles qui n’acquièrent pas leur électricité directement sur le marché de gros de l’électricité, mais par l’intermédiaire d’un fournisseur d’électricité. Afin de garantir la stabilité du prix de la fourniture d’électricité, les requérantes ont conclu des accords d’achat d’électricité. Pour une partie de la fourniture d’électricité, les requérantes ont conclu des accords impliquant une autre entreprise que leur fournisseur physique d’électricité et reposant sur
des paiements compensatoires en fonction de la différence entre le prix du marché et le prix fixé dans le contrat. Elles qualifient ce type d’accords d’achat d’électricité de financiers.
10 Les requérantes, en tant que parties intéressées et afin d’assurer la sauvegarde des droits procéduraux qu’elles tirent de l’article 108, paragraphe 2, TFUE et de l’article 1er, sous h), du règlement 2015/1589, reprochent à la Commission de ne pas avoir considéré que la mesure notifiée soulevait des difficultés sérieuses de nature à justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen.
11 Il convient de rappeler que la légalité d’une décision, telle que la décision attaquée, de ne pas soulever d’objections, fondée sur l’article 4, paragraphe 3, du règlement 2015/1589, dépend de la question de savoir si l’appréciation des informations et des éléments dont la Commission disposait lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée aurait dû objectivement susciter des doutes quant à la qualification d’aide de cette mesure et à la compatibilité de cette mesure avec le marché
intérieur, étant donné que de tels doutes doivent donner lieu à l’ouverture d’une procédure formelle d’examen à laquelle peuvent participer les parties intéressées visées à l’article 1er, sous h), de ce règlement (voir, en ce sens, arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 38, et du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission, C‑447/22 P, EU:C:2024:678, point 53).
12 Lorsqu’une partie requérante demande l’annulation d’une décision de ne pas soulever d’objections, elle met en cause essentiellement le fait que la décision prise par la Commission à l’égard de l’aide en cause a été adoptée sans que cette institution ouvre la procédure formelle d’examen, violant, ce faisant, ses droits procéduraux. Afin qu’il soit fait droit à sa demande d’annulation, la partie requérante peut invoquer tout moyen de nature à démontrer que l’appréciation des informations et des
éléments dont la Commission disposait lors de la phase préliminaire d’examen de la mesure notifiée aurait dû susciter des doutes quant à la qualification de l’aide ou à sa compatibilité avec le marché intérieur. L’utilisation de tels arguments ne saurait pour autant avoir pour conséquence de transformer l’objet du recours ni d’en modifier les conditions de recevabilité. Au contraire, l’existence de doutes sur la qualification ou sur la compatibilité est précisément la preuve qui doit être
rapportée pour démontrer que la Commission était tenue d’ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 108, paragraphe 2, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 39 et jurisprudence citée).
13 La preuve de l’existence de tels doutes, qui doit être recherchée tant dans les circonstances de l’adoption de la décision de ne pas soulever d’objections que dans son contenu, doit être rapportée par le demandeur de l’annulation de cette décision, à partir d’un faisceau d’indices concordants (arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 40, et du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission, C‑447/22 P, EU:C:2024:678, point 51).
14 En particulier, le caractère insuffisant ou incomplet de l’examen mené par la Commission lors de la procédure d’examen préliminaire constitue un indice de l’existence de difficultés sérieuses dans l’appréciation de la mesure en cause, dont la présence oblige celle‑ci à ouvrir la procédure formelle d’examen (arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 41, et du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission, C‑447/22 P, EU:C:2024:678,
point 52).
15 En outre, la légalité d’une décision de ne pas soulever d’objections prise au terme de la procédure d’examen préliminaire doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction non seulement des éléments d’information dont la Commission disposait au moment où elle l’a arrêtée, mais aussi des éléments dont elle pouvait disposer (voir arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 42 et jurisprudence citée).
16 Or, les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer conformément à la jurisprudence citée au point 11 ci-dessus et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 43, et du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission, C‑447/22 P, EU:C:2024:678,
point 54).
17 En effet, la Commission est tenue de conduire la procédure d’examen des mesures en cause de manière diligente et impartiale afin de disposer, lors de l’adoption d’une décision finale établissant l’existence et, le cas échéant, l’incompatibilité ou l’illégalité de l’aide, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 44, et du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission,
C‑447/22 P, EU:C:2024:678, point 55).
18 Toutefois, si la Cour a jugé que, lors de l’examen de l’existence et de la légalité d’une aide d’État, il pouvait être nécessaire que la Commission aille, le cas échéant, au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, il ne saurait être déduit de cette jurisprudence qu’il incombe à la Commission de rechercher, de sa propre initiative et à défaut de tout indice en ce sens, toutes les informations qui pourraient présenter un lien avec l’affaire dont elle est
saisie, quand bien même de telles informations se trouveraient dans le domaine public (arrêts du 2 septembre 2021, Commission/Tempus Energy et Tempus Energy Technology, C‑57/19 P, EU:C:2021:663, point 45, et du 5 septembre 2024, Slovénie/Commission, C‑447/22 P, EU:C:2024:678, point 56).
19 À l’appui de leur recours, les requérantes invoquent cinq moyens, tirés, le premier, d’une mauvaise compréhension par la Commission de la mesure notifiée, le deuxième, d’erreurs dans l’appréciation des caractères approprié et proportionné de la mesure notifiée, le troisième, de la violation de l’article 10 du règlement 2019/943 et de l’article 5 de la directive 2019/944, le quatrième, de la violation du principe de non-discrimination et, le cinquième, de la violation du principe de protection de
la confiance légitime.
20 En filigrane de ces moyens, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir ouvert la procédure formelle d’examen de la mesure notifiée, alors qu’il existait des doutes quant à la compatibilité de cette mesure avec le marché intérieur, en raison de la limitation du champ d’application de l’exemption de la contribution aux seuls acheteurs sur le marché de gros de l’électricité, et non aux acheteurs sur le marché de détail, et des incidences négatives qu’une telle limitation avait eues
pour les acheteurs sur le marché de détail ayant conclu des accords d’achat d’électricité financiers, tels que les requérantes, sur lesquels s’était répercuté le coût de la contribution par leur fournisseur physique d’électricité sans qu’ils bénéficient d’une baisse du prix de leur électricité.
Sur les éléments de preuve et l’argumentation des requérantes présentés le 10 août 2023
21 La Commission et le Royaume d’Espagne estiment que les éléments de preuve et l’argumentation présentés par les requérantes le 10 août 2023 en réponse au mémoire en intervention du Royaume d’Espagne doivent être écartés comme étant irrecevables, car présentés tardivement. La Commission ajoute qu’ils sont, en toute hypothèse, inopérants, car postérieurs à la décision attaquée et donc insusceptibles d’être pris en compte aux fins du contrôle de sa légalité.
22 À cet égard, il convient de relever que, lors du dépôt de leurs observations le 10 août 2023, les requérantes ont présenté de nouveaux éléments de preuve, ayant trait, d’une part, à la modification de la mesure notifiée postérieurement à la décision attaquée, laquelle permet désormais aux acheteurs sur le marché de détail de l’électricité de notifier à l’OMIE leurs accords d’achat d’électricité pour la période de mai à décembre 2023, et, d’autre part, à la décision de la Commission du 25 avril
2023 de ne pas soulever d’objections à l’égard de cette modification de la mesure.
23 Sans qu’il soit nécessaire de s’interroger sur la question de savoir si ces nouveaux éléments et l’argumentation qui y est afférente présentent ou non un caractère tardif de nature à les rendre irrecevables, il suffit de souligner que de tels éléments ne peuvent, en toute hypothèse, pas être pris en compte au titre du contrôle de légalité de la décision attaquée, ainsi que le fait valoir à juste titre la Commission.
24 En effet, il ressort de la jurisprudence citée au point 15 ci-dessus que la décision attaquée doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée. Il s’agit là d’une application particulière du principe plus général selon lequel, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté, de telle
sorte que des actes postérieurs à l’adoption d’une décision ne peuvent affecter la validité de celle-ci (voir arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, point 45 et jurisprudence citée).
25 Les éléments de preuve présentés par les requérantes le 10 août 2023 et, par voie de conséquence, l’argumentation de ces dernières qui y est afférente ne peuvent, partant, pas être pris en compte au titre du contrôle de légalité de la décision attaquée.
Sur le premier et le quatrième moyen, tirés, respectivement, d’une mauvaise compréhension par la Commission de la mesure notifiée et de son caractère discriminatoire
26 Le Tribunal estime qu’il convient d’examiner conjointement ces deux moyens.
27 Au titre du premier moyen, les requérantes soutiennent que l’analyse par la Commission du fonctionnement de la mesure notifiée manque de précision, dès lors qu’il n’en ressortirait pas clairement si elle a pris en compte le fait que les acheteurs sur le marché de détail recouraient également à des mécanismes de couverture de leur achat d’électricité équivalent à ceux des acheteurs sur le marché de gros, y compris des accords d’achat d’électricité financiers. À cet égard, elles font valoir que
l’utilisation de ce type d’accords découle de l’organisation juridique du marché de l’électricité en vertu du droit de l’Union et constitue une structure contractuelle simple et courante que la Commission ne pouvait ignorer.
28 Les requérantes en déduisent que la Commission était dans une situation d’incertitude quant à la détermination exacte des acteurs susceptibles de bénéficier de l’exemption. Cela l’aurait conduite à autoriser un régime d’aides dont la conformité avec le droit de l’Union était douteuse. À cet égard, elles soulignent que, si la Commission indique s’être appuyée pour les besoins de son appréciation sur les informations fournies par le Royaume d’Espagne et la République portugaise dans leur
notification ainsi que sur les informations complémentaires présentées par ces États membres, ces différentes informations ne leur étaient pas accessibles. Elles demandent donc que la Commission verse au dossier les notifications ainsi que toute autre information pertinente relative à la mesure notifiée qui lui a été communiquée par lesdits États membres.
29 Au titre du quatrième moyen, les requérantes reprochent à la Commission de ne pas avoir examiné la conformité de la mesure notifiée avec le principe de non-discrimination. Dans ce cadre, elles soutiennent, en substance, que le critère de comparaison pertinent ne pouvait être celui de l’acquisition sur le marché de gros ou de détail, mais aurait dû être celui tenant à la « capacité de couvrir et de faire couvrir ses fournitures d’électricité », et soulignent les grandes similitudes existant entre
leur situation et celles des consommateurs directs sur le marché de gros, à savoir les entreprises acquérant, pour leurs besoins, de l’électricité sur ce marché.
30 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, estime que ces deux moyens ne sont pas révélateurs de l’existence de difficultés sérieuses.
31 Il ressort de la lecture combinée de ces deux moyens que les requérantes, en substance, avancent trois griefs afin de démontrer l’existence de difficultés sérieuses qui justifiaient l’ouverture d’une procédure formelle d’examen. Premièrement, elles considèrent que découle de la lecture de la décision attaquée l’existence d’une incertitude quant à la détermination exacte des acheteurs d’électricité susceptibles de bénéficier d’une exemption. Deuxièmement, elles soutiennent que la Commission ne
pouvait ignorer que certains acheteurs sur le marché de détail de l’électricité assuraient la stabilité des prix de leur approvisionnement par le recours à des accords d’achat d’électricité financiers. Troisièmement, elles estiment que les acheteurs sur le marché de détail ayant recours à de tels accords sont dans une situation comparable à celle des consommateurs directs sur le marché de gros, de sorte que la mesure notifiée méconnaît le principe de non-discrimination.
32 En premier lieu, il convient de relever qu’il découle, notamment, des points 4 à 7, 24 et 33 à 39 de la décision attaquée, d’une part, que l’objectif de la mesure notifiée est de provoquer une baisse des prix de l’électricité dans le contexte d’une forte pression à la hausse sur les prix des combustibles, laquelle est liée à un contexte de crises auxquelles les marchés nationaux et internationaux de l’énergie devaient faire face, et, d’autre part, que la mesure vise à atteindre cet objectif par
la subvention de certaines sources d’électricité afin d’obtenir une baisse du prix sur le marché de gros, laquelle devrait entraîner, par voie de conséquence, une baisse des prix sur le marché de détail.
33 S’agissant, premièrement, des sources d’énergie subventionnées, il ressort des points 33 à 39 de la décision attaquée que la mesure notifiée a pour but de réduire les coûts de production des centrales électriques à combustibles fossiles et de conduire à une réduction des offres qu’elles soumettent à l’enchère quotidiennement, notamment, sur le marché de gros de l’électricité. Selon le point 43, le calcul de la subvention correspondante et son règlement effectif relèvent de l’OMIE.
34 S’agissant, deuxièmement, des acheteurs sur le marché de gros de l’électricité, d’une part, il découle du point 44 de la décision attaquée que ceux-ci, en tant que bénéficiaires de la baisse des prix sur le marché de gros, sont assujettis à une contribution couvrant, en partie, le coût de la mesure dont le montant est déterminé par l’OMIE en fonction du volume de leurs acquisitions sur le marché de gros. D’autre part, il ressort du point 45, sous d), de la décision attaquée et de l’article 8,
paragraphe 3, de la mesure notifiée qu’ils sont exemptés du paiement de cette contribution pour la part de leurs achats d’électricité pour laquelle ils ont conclu des contrats d’approvisionnement en électricité à prix fixe avant le 26 avril 2022, sous réserve de la notification desdits contrats à l’OMIE dans les délais spécifiés par ladite mesure. Il ressort également des points 46 à 48 de la décision attaquée que cette exemption présente un caractère temporaire dès lors qu’elle a vocation à ne
plus s’appliquer lorsque les contrats sont renouvelés.
35 S’agissant, troisièmement, des acheteurs sur le marché de détail, il découle de la lecture combinée, notamment, des points 6, 35, 49, 50 et 134 de la décision attaquée qu’une différenciation est effectuée selon que ceux-ci ont conclu, ou non, des contrats réglementés, c’est-à-dire les consommateurs bénéficiant du tarif PVPC et du rabais dénommé « Bono social ».
36 En effet, c’est à l’égard des seuls contrats réglementés que la répercussion tant de la baisse du prix de l’électricité que du montant de la contribution revêt un caractère obligatoire. S’agissant des contrats non réglementés, les auteurs de la mesure notifiée ont escompté, pour ceux qui étaient à prix dynamiques, c’est-à-dire qui reflétaient directement les variations des prix de gros dans les prix de consommation, que tant la baisse du prix de l’électricité sur le marché de gros que le montant
de la contribution seraient directement répercutés sur les consommateurs finals. Pour les autres types de contrats non réglementés, lesdits auteurs ont estimé que la répercussion de la baisse du prix du marché de gros et de la contribution découlerait de l’application du jeu de la concurrence, dès lors qu’il existait un nombre élevé de fournisseurs de détail sur les marchés espagnol et portugais.
37 En deuxième lieu et par voie de conséquence, le grief tiré de l’incertitude quant à la portée de l’étendue de l’exemption dans la décision attaquée manque en fait. Il ressort, en effet, des points 34 et 35 ci-dessus, d’une part, que ladite exemption s’applique exclusivement aux acheteurs sur le marché de gros ayant conclu des contrats d’approvisionnement en électricité à prix fixe avant le 26 avril 2022 et, d’autre part, que l’incidence – tant de la baisse du prix sur le marché de gros que de
l’éventuel paiement de la contribution – sur les contrats conclus par les consommateurs finals, autres que les contrats réglementés, relève de l’application du jeu de la concurrence sur le marché de détail.
38 Plus particulièrement, s’agissant des points 48, 80, 104 et 142 de la décision attaquée, mis en exergue par les requérantes comme impliquant, en substance, que certains acheteurs sur le marché de détail pourraient bénéficier d’une exemption du paiement de la contribution, force est de constater qu’ils ne sauraient être interprétés en ce sens.
39 Premièrement, le point 48 de la décision attaquée s’inscrit dans le contexte des points 44 à 48 mentionnés au point 34 ci-dessus, lesquels concernent la contribution à laquelle sont assujettis les acheteurs sur le marché de gros de l’électricité et leur éventuelle exemption. Plus particulièrement, il expose la position des autorités portugaises et espagnoles selon laquelle cette exemption revêt un caractère temporaire, n’ayant plus vocation à s’appliquer en cas de renouvellement des contrats
d’approvisionnement en électricité à prix fixe et, dans ce cadre, précise que leur durée est généralement d’un an.
40 Deuxièmement, le point 80 de la décision attaquée se limite à rappeler la distinction opérée au point 49 de ladite décision et évoquée au point 35 ci-dessus, s’agissant de la répercussion du montant de la contribution, qui revêt un caractère obligatoire pour les consommateurs relevant de contrats réglementés et qui est attendue pour les autres.
41 Troisièmement, il ressort sans la moindre ambiguïté du point 104 de la décision attaquée que celui-ci se réfère exclusivement aux acheteurs sur le marché de gros. Plus précisément, y est examinée la question de savoir si l’exemption dont bénéficient ceux ayant conclu des contrats d’approvisionnement en électricité à prix fixe avant l’entrée en vigueur de la mesure notifiée est de nature à leur conférer un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
42 Enfin, quatrièmement, s’agissant du point 142 de la décision attaquée, il suffit de souligner que la Commission se réfère explicitement dans la première phrase de celui-ci au fait que « la mesure exempte de l’obligation de payer la contribution les acheteurs sur le marché de gros de l’électricité, pour la part de leurs achats d’électricité pour laquelle ils ont conclu des contrats d’approvisionnement en électricité à prix fixe avant le 26 avril 2022 ». Partant, les considérations qui figurent
ensuite sur l’importance d’une atténuation des risques de prix par le biais de couvertures financières ne peuvent être comprises comme suggérant, ainsi que le soutiennent les requérantes, que l’ensemble des contrats conclus à des fins de couverture, y compris par des acheteurs sur le marché de détail, devraient être pris en compte afin d’éviter que le coût de la contribution ne soit, même indirectement, répercuté sur eux.
43 S’agissant, en troisième lieu, du grief tiré de l’absence de prise en compte par la Commission du recours par les acheteurs sur le marché de détail à des accords d’achat d’électricité financiers, il ne saurait non plus prospérer.
44 Certes, les accords d’achat d’électricité financiers du type de ceux conclus par les requérantes présentent des spécificités qui, au regard du fonctionnement de la mesure notifiée, impliquent pour les acheteurs sur le marché de détail les ayant conclus une répercussion du montant de la contribution, mais non de la baisse du prix de l’électricité. En effet, si la mesure notifiée a pour conséquence la répercussion du coût de la contribution par le fournisseur physique, l’application d’un contrat
avec une autre entreprise, reposant sur des paiements compensatoires en fonction de la différence entre le prix du marché et le prix fixé dans ledit contrat, a pour effet de ne pas faire bénéficier lesdits acheteurs de la baisse globale du prix de l’électricité escomptée par les auteurs de la mesure notifiée.
45 Toutefois, force est de constater que les requérantes ne démontrent pas qu’il existait des indices impliquant que certains accords d’achat d’électricité conclus par les acheteurs sur le marché de détail, du fait de leur structure, ne se prêtaient pas, ou mal, à une répercussion de la baisse des prix de l’électricité sur le marché de gros, indices qui auraient été susceptibles de justifier que la Commission aille au-delà du seul examen des éléments de fait et de droit portés à sa connaissance, en
application de la jurisprudence citée au point 18 ci-dessus.
46 Premièrement, dans leurs écritures, les requérantes se bornent à souligner que la « Commission est sans aucun doute au fait de l’existence des [accords d’achat d’électricité] à long terme », en déduisant cette connaissance de la possibilité, découlant du droit de l’Union, pour un consommateur de choisir ce type de modalités de fourniture d’électricité. Toutefois, une telle allégation ne permet pas d’attester que le recours par des acheteurs sur le marché de détail à des accords d’achat
d’électricité financiers revêtait un caractère notoire lorsque la Commission a adopté la décision attaquée.
47 Deuxièmement, il convient de relever que les requérantes renvoient de manière générale à certains documents de la Commission, sans identifier les passages desdits documents qui portent sur la promotion de structures contractuelles équivalentes à celles qu’elles ont privilégiées. Il en est ainsi de la proposition de la Commission du 14 mars 2023 de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant les règlements 2019/943 et (UE) 2019/942 ainsi que les directives (UE) 2018/2001 et 2019/944
afin d’améliorer l’organisation du marché de l’électricité de l’Union (COM/2023/148 final) ou du document de travail de la Commission du 18 mai 2022 intitulé « Orientations destinées aux États membres relatives aux bonnes pratiques qui permettent d’accélérer les procédures d’octroi de permis pour les projets en matière d’énergie renouvelable » (SWD/2022/0149 final). Si ces documents mettent, certes, en exergue l’intérêt que peut représenter la conclusion d’accords d’achat d’électricité, ils
n’abordent pas le cas particulier des accords du type de ceux conclus par les requérantes, lesquelles ne renvoient, d’ailleurs, à aucun passage précis desdits documents.
48 À cet égard, le seul élément de preuve avancé par les requérantes qui, selon la présentation qu’elles en font, évoque leur structure contractuelle d’approvisionnement est une étude effectuée pour le compte de la Banque européenne d’investissement (BEI) et de la Commission. Toutefois, il suffit de souligner qu’il s’agit d’une analyse prospective portant sur les possibilités de développer les accords d’achat d’énergie renouvelable – y compris ceux de la nature de ceux conclus par les requérantes –
dans l’Union. Elle n’est donc pas de nature à démontrer que le recours à ce type d’accords d’achat d’électricité par les acheteurs sur le marché de détail revêtait un caractère notoire impliquant que la Commission aurait dû d’elle-même prendre en compte leur existence lors de l’examen de la mesure notifiée.
49 S’agissant, en quatrième lieu, du grief tiré de la violation du principe de non-discrimination, pour autant que les requérantes y critiquent la limitation du champ d’application de l’exemption de la contribution aux seuls acheteurs sur le marché de gros, il ne saurait, non plus, prospérer.
50 À cet égard, premièrement, il convient de relever qu’une telle critique équivaut à reprocher à la Commission de ne pas avoir relevé que le champ d’application de l’exemption de la contribution aboutissait à conférer aux seuls acheteurs sur le marché de gros un avantage sélectif et, partant, constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
51 En effet, l’appréciation de la condition tenant à la sélectivité de l’avantage vise précisément à identifier l’existence d’un traitement différencié pouvant, en substance, être qualifié de discriminatoire. Elle implique de déterminer si, dans le cadre d’un régime juridique donné, la mesure nationale en cause est de nature à favoriser « certaines entreprises ou certaines productions » par rapport à d’autres, qui se trouvent, au regard de l’objectif poursuivi par ce régime, dans une situation
factuelle et juridique comparable (voir arrêt du 21 décembre 2016, Commission/World Duty Free Group SA e.a., C‑20/15 P et C‑21/15 P, EU:C:2016:981, point 54 et jurisprudence citée).
52 Deuxièmement, d’une part, il convient de relever que, aux points 97 à 101, 104 et 105 de la décision attaquée, la Commission a examiné si ladite exemption était constitutive d’une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et a conclu que tel n’était pas le cas, la condition de sélectivité inhérente à cette notion n’étant pas remplie à son égard. D’autre part, il ressort plus particulièrement du point 104 de la décision attaquée que la Commission s’est seulement explicitement
prononcée sur la question de savoir si la différence de traitement entre les acheteurs sur le marché de gros, selon qu’ils bénéficiaient ou non d’une exemption, était à l’origine d’un avantage sélectif, mais n’a pas abordé l’éventuelle existence d’un avantage sélectif en raison de l’exclusion du bénéfice de l’exemption des acheteurs sur le marché de détail.
53 Toutefois, troisièmement, au vu de la logique de la mesure notifiée, telle qu’elle est rappelée dans la décision attaquée (voir points 32 à 36 ci-dessus), il était évident que les acheteurs sur le marché de gros et de détail n’étaient pas dans une situation comparable sous l’angle de la manière dont la baisse des prix sur le marché de gros et le paiement de la contribution avait vocation à se refléter dans le prix de l’électricité, de sorte que la Commission n’avait pas à se prononcer
explicitement sur la question de savoir si la limitation du champ d’application de l’exemption de la contribution aux seuls acheteurs sur le marché de gros était constitutive d’un avantage sélectif.
54 En effet, s’agissant, d’un côté, des acheteurs sur le marché de gros, ils acquièrent directement leur électricité au prix découlant de ce marché. L’avantage dont ils bénéficient est précisément fonction de la différence, calculée par l’OMIE, entre, d’une part, le prix du marché tel qu’il résulte du subventionnement de certaines sources d’énergie et, d’autre part, ce qu’il aurait été en l’absence d’un tel subventionnement. De même, l’OMIE est chargé de déterminer précisément le montant de la
contribution ainsi que de l’exemption pour les acheteurs n’ayant pas été en mesure de bénéficier de la baisse desdits prix.
55 D’un autre côté, le prix sur le marché de détail de l’électricité est formé sur la base de l’offre et de la demande sur ce second marché. Ainsi qu’il a été exposé au point 36 ci-dessus, cette considération a été prise en compte par les auteurs de la mesure notifiée, dès lors que ceux-ci – à l’exception des contrats réglementés – envisageaient une répercussion indirecte de la baisse du prix de l’électricité, mais également du montant de la contribution sur les consommateurs, du fait de la
concurrence sur ce marché, en se référant au nombre important de fournisseurs de détail en Espagne et au Portugal.
56 Il découle des considérations qui précèdent que le troisième grief des requérantes n’est pas à même de démontrer l’existence de difficultés sérieuses de nature à justifier l’ouverture de la procédure formelle d’examen.
57 Cette conclusion n’est pas infirmée par l’argumentation des requérantes tirée de ce qu’elles seraient dans une situation comparable à celle des consommateurs directs sur le marché de gros.
58 D’une part, une telle argumentation repose sur le postulat que la Commission aurait dû d’elle-même prendre en compte la spécificité des acheteurs sur le marché de détail ayant recours à des accords d’achat d’électricité financiers. Or, pour les raisons exposées aux points 43 à 48 ci-dessus, un tel postulat ne peut être pris en compte.
59 D’autre part, et en toute hypothèse, si l’acquisition de l’électricité par les consommateurs directs sur le marché de gros se rapproche, par sa finalité, de celle des requérantes, en ce sens qu’elle est effectuée pour leur propre consommation et non à des fins de fourniture d’électricité à des acquéreurs subséquents, il n’en demeure pas moins que cette acquisition se fait sur deux marchés différents pour lesquels la fixation des prix ne suit pas la même logique, ainsi que cela a été exposé aux
points 53 et 54 ci-dessus.
60 Au vu de ce qui précède, il convient de rejeter les premier et quatrième moyens comme non fondés.
61 S’agissant de la demande des requérantes visant, en substance, à ce que soient versées au dossier les notifications effectuées par le Royaume d’Espagne et la République portugaise ainsi que les échanges de ces États membres avec la Commission, il convient de rappeler qu’il appartient au Tribunal d’apprécier l’utilité des mesures d’organisation de la procédure sollicitées par l’une des parties principales (voir, en ce sens, arrêt du 6 juillet 1999, Séché/Commission, T‑112/96 et T‑115/96,
EU:T:1999:134, point 284).
62 Pour permettre au Tribunal de déterminer s’il est utile au bon déroulement de la procédure de demander la production de certains documents, la partie qui en fait la demande doit identifier les documents sollicités et fournir au Tribunal au moins un minimum d’éléments accréditant l’utilité de ces documents pour les besoins de l’instance (arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, point 93 ; voir, également, arrêt du 16 octobre 2013, TF1/Commission, T‑275/11,
non publié, EU:T:2013:535, point 117 et jurisprudence citée). Ainsi, ladite partie doit notamment apporter des indices précis et pertinents de nature à expliquer en quoi les documents en question pouvaient présenter un intérêt pour la solution du litige [voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2016, Oikonomopoulos/Commission, T‑483/13, EU:T:2016:421, point 253 (non publié)].
63 Premièrement, il convient de relever, d’une part, que les requérantes ont eu accès au texte de la mesure notifiée et, d’autre part, pour les raisons exposées lors de l’examen du présent moyen, que celle-ci repose sur une logique claire fondée sur la distinction entre acquisitions sur les marchés de gros et de détail.
64 Deuxièmement, la demande de mesures d’organisation de la procédure des requérantes, par son ampleur, vise à ce que soient versés au débat les documents du dossier administratif de la Commission, alors même que les requérantes, même en leur capacité de parties intéressées, ne disposent pas d’un droit d’accès audit dossier (voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2010, Commission/Technische Glaswerke Ilmenau, C‑139/07 P, EU:C:2010:376, point 58).
65 Troisièmement, dans ces conditions, il eût été nécessaire que les requérantes apportent des éléments accréditant l’idée que, au-delà du texte de la mesure notifiée, la question du recours par les acheteurs sur le marché de détail à des accords d’achat d’électricité financiers avait été abordée à l’occasion des échanges entourant la notification, ce que tant la Commission que le Royaume d’Espagne réfutent. Or, force est de constater que de tels éléments font défaut.
66 La demande de mesures d’organisation de la procédure des requérantes doit, partant, être rejetée.
Sur le deuxième moyen, tiré, en substance, du caractère disproportionné de la mesure notifiée
67 Les requérantes soutiennent, en substance, que la Commission aurait dû considérer que la mesure notifiée ne revêtait pas un caractère approprié et proportionné et, partant, ouvrir la procédure formelle d’examen. Elles critiquent, à cet égard, premièrement, une prétendue exclusion du champ d’application de l’exemption de certaines manières de couvrir les prix de l’électricité, à savoir l’utilisation d’accords d’achat d’électricité financiers, deuxièmement, une limitation de la possibilité de
bénéficier d’une exemption aux seuls acheteurs sur le marché de gros et, troisièmement, une absence de prise en compte par la Commission des effets de la mesure notifiée sur les consommateurs finals se trouvant dans la même situation qu’elles.
68 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, rappelle, à titre liminaire, qu’elle n’était pas tenue de prendre en compte la situation des acheteurs d’électricité sur le marché de détail se trouvant dans la situation des requérantes. Elle estime, en toute hypothèse, que l’examen de la proportionnalité de la mesure notifiée ne soulevait aucune difficulté sérieuse.
69 À titre liminaire, pour autant que le présent moyen repose sur le postulat que la Commission aurait dû prendre en compte la situation particulière des acheteurs sur le marché de détail ayant conclu des accords du type de ceux privilégiés par les requérantes, il doit d’emblée être rejeté, pour des motifs analogues à ceux exposés aux points 43 à 48 ci-dessus.
70 De même, l’argumentation des requérantes tirée de ce que la mesure notifiée aurait exclu du champ d’application de l’exemption un type d’accords d’achat d’électricité particulier procède d’une lecture erronée de la décision attaquée. Pour les raisons exposées aux points 33 à 35 ci-dessus, le champ d’application de l’exemption envisagée au point 45, sous d), de la décision attaquée n’est pas fonction du type d’accords conclus, mais du marché sur lequel l’électricité est achetée.
71 Seule est donc pertinente la question de savoir si la limitation de l’exemption de la contribution aux seuls acheteurs sur le marché de gros était constitutive d’une difficulté sérieuse sous l’angle de sa proportionnalité.
72 Le principe de proportionnalité, rappelé à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause (voir, en ce sens, arrêt du 17 mai 1984, Denkavit Nederland, 15/83, EU:C:1984:183, point 25), étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et
que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés [arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 55].
73 Le respect du principe de proportionnalité par une mesure inclut, ainsi, trois composantes. La première composante porte sur son caractère approprié, à savoir son aptitude à réaliser l’objectif légitime poursuivi. La deuxième composante concerne sa nécessité et implique que ledit objectif légitime ne puisse être atteint par des moyens moins contraignants, mais tout aussi appropriés (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Dansk Jurist- og Økonomforbund, C‑546/11, EU:C:2013:603, point 69).
Enfin, la troisième composante, parfois qualifiée de « proportionnalité au sens strict », porte sur son caractère proportionné, à savoir l’absence d’inconvénients démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 2013, Pologne/Commission, T‑370/11, EU:T:2013:113, point 89, et du 26 septembre 2014, Romonta/Commission, T‑614/13, EU:T:2014:835, point 74).
74 S’agissant, plus particulièrement, de la composante tenant à la nécessité de la mesure notifiée, il ressort d’une jurisprudence constante que la Commission n’a pas à se prononcer abstraitement sur toutes les mesures alternatives susceptibles d’être envisagées, puisque, si l’État membre concerné doit exposer de façon circonstanciée les raisons ayant présidé à l’adoption du régime d’aides en cause, en particulier quant aux critères d’éligibilité retenus, il n’est pas tenu de démontrer, de manière
positive, qu’aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne pourrait permettre d’assurer l’objectif poursuivi de meilleure manière. Si ledit État membre n’est pas soumis à une telle obligation, une partie requérante ne saurait être fondée à demander au Tribunal d’imposer à la Commission de se substituer aux autorités nationales dans cette tâche de prospection normative afin d’examiner toute mesure alternative envisageable (voir arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non
publié, EU:T:2019:287, point 94 et jurisprudence citée).
75 En outre, dès lors que les requérantes remettent en cause, par le présent moyen, l’appréciation de la proportionnalité d’un régime d’aides que la Commission a estimé compatible avec l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, il convient de rappeler que cette dernière bénéficie, pour l’application de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social (voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren
Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 80 et jurisprudence citée), de sorte que le contrôle juridictionnel doit se limiter à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation ainsi qu’à celle de l’exactitude matérielle des faits et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation, d’erreur de droit et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, EU:C:2008:764, point 78 et jurisprudence citée).
76 En premier lieu, ainsi que cela a été souligné au point 32 ci-dessus, il convient de relever que la mesure notifiée a pour objectif d’obtenir une baisse des prix de l’électricité dans le contexte d’une forte pression à la hausse sur les prix des combustibles liée à un contexte de crise auquel les marchés nationaux et internationaux doivent faire face. Or, d’une part, la matérialité de ce contexte de crise et de ses incidences sur les prix n’est pas remise en cause par les requérantes. D’autre
part, un tel objectif est conforme à celui envisagé à l’article 107, paragraphe 3, sous b), TFUE, visant à « remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre ».
77 En second lieu, ainsi que cela a également été souligné au point 32 ci-dessus, la mesure notifiée cherche à atteindre cet objectif par la subvention de certaines sources d’électricité afin d’obtenir une baisse du prix sur le marché de gros, laquelle doit entraîner, par voie de conséquence, une baisse sur le marché de détail. En outre, ainsi qu’il découle des points 33 à 35 et 53 à 56 ci-dessus, la répercussion de la baisse des prix sur le marché de détail, hormis en ce qui concerne les contrats
réglementés, relève de l’application du jeu de la concurrence sur ce marché.
78 Dans ce contexte, premièrement, la Commission a pu retenir, sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation, aux points 131 à 134 de la décision attaquée que, en l’absence de la mesure notifiée, le jeu de la concurrence ne permettait pas d’atteindre ces objectifs légitimes.
79 Deuxièmement, il convient de relever que tant l’article 3, sous a) et b), du règlement 2019/943 que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2019/944 promeuvent la libre formation des prix de l’électricité sur la base de l’offre et de la demande. Lesdits articles précisent que « les prix sont formés sur la base de l’offre et de la demande », « les règles du marché encouragent la formation libre des prix et évitent les actions qui empêchent la formation des prix sur la base de l’offre et de la
demande », « [l]es fournisseurs sont libres de déterminer le prix auquel ils fournissent l’électricité aux clients » et « [le]s États membres prennent des mesures appropriées pour assurer une concurrence effective entre les fournisseurs ».
80 Or, force est de constater que la mesure notifiée, en ce qu’elle limite l’intervention directe des autorités nationales à la formation des prix du marché de gros et ne l’étend pas au marché de détail, sauf en ce qui concerne les contrats réglementés, préserve autant que possible le principe de la libre formation des prix de l’électricité sur la base de l’offre et de la demande figurant dans le règlement 2019/943 et la directive 2019/944.
81 Troisièmement, pour autant que les requérantes soutiennent que la baisse du prix de l’électricité sur le marché de détail aurait dû être recherchée en prévoyant la possibilité pour les acheteurs sur ce marché de notifier leurs accords d’achat d’électricité afin de bénéficier, en tant que tels, d’une exemption du paiement de la contribution, elles mettent en avant une approche alternative à celle privilégiée par les États membres et avalisée par la Commission, laquelle, en application de la
jurisprudence citée au point 74 ci-dessus, ne peut être prise en compte.
82 En toute hypothèse, il convient de relever que l’approche à laquelle les requérantes se réfèrent s’écarte plus encore de la logique du principe de la libre formation des prix découlant de la directive 2019/944 et du règlement 2019/943 et ne saurait donc être considérée comme étant nécessaire au sens de la jurisprudence citée au point 73 ci-dessus.
83 Au vu de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième moyen.
Sur le troisième moyen, tiré de la méconnaissance par la mesure notifiée du règlement 2019/943 et de la directive 2019/944
84 Les requérantes font valoir que, dès lors que la mesure notifiée s’écarte du principe de libre formation des prix, elle aurait dû être conforme aux conditions permettant une dérogation à l’application de ce principe, figurant à l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2019/944, ce qui n’aurait pas été le cas, en raison des effets de la mesure notifiée sur les consommateurs d’électricité se trouvant dans la même situation qu’elles.
85 Force est de constater que le présent moyen repose exclusivement sur le postulat que la Commission aurait dû prendre en compte la situation des acheteurs d’électricité sur le marché de détail ayant conclu des accords d’achat d’électricité financiers. Le présent moyen doit, partant, être rejeté d’emblée, pour des motifs analogues à ceux exposés aux points 43 à 48 ci-dessus, ainsi que le font valoir à juste titre la Commission et le Royaume d’Espagne.
Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime
86 Les requérantes soulignent que la Commission et, de manière plus générale, l’Union ont encouragé la conclusion d’accords d’achat d’électricité financiers, notamment en vue de la promotion des énergies renouvelables. Elles en déduisent qu’elles pouvaient légitimement s’attendre à ne pas être moins bien traitées que les entreprises qui n’avaient pas cherché à couvrir les risques du marché, à mieux s’organiser et à être moins polluantes.
87 La Commission, soutenue par le Royaume d’Espagne, fait valoir qu’aucune confiance légitime n’a pu naître chez les requérantes.
88 En vertu d’une jurisprudence constante, le principe de protection de la confiance légitime s’inscrit parmi les principes fondamentaux de l’Union et la possibilité de s’en prévaloir est ouverte à tout opérateur économique chez lequel une institution, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître des espérances fondées (voir arrêt du 24 octobre 2013, Kone e.a./Commission, C‑510/11 P, non publié, EU:C:2013:696, point 76 et jurisprudence citée).
89 Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle elles sont communiquées, des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises qui lui auraient été fournies par l’administration (voir arrêt du 14 février 2006, TEA-CEGOS e.a./Commission, T‑376/05 et T‑383/05, EU:T:2006:47, point 88 et jurisprudence citée).
90 Force est de constater que l’argumentation des requérantes repose sur le postulat que la Commission aurait fait naître à leur égard une confiance légitime selon laquelle les consommateurs finals ayant eu recours à des accords d’achat d’électricité financiers seraient traités au moins aussi favorablement que ceux ayant conclu d’autres types d’accords.
91 À cet égard, il suffit de souligner que, pour des raisons analogues à celles exposées aux points 46 à 48 ci-dessus, les requérantes n’apportent aucun élément de preuve démontrant que des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources autorisées et fiables auraient prévu que la situation des consommateurs recourant à des accords d’achat d’électricité financiers serait prise en compte lors de l’exercice par la Commission de ses compétences de contrôle des aides d’État.
92 Il convient, partant, de rejeter le cinquième moyen.
93 Il résulte de ce qui précède qu’aucun des moyens avancés par les requérantes n’est à même de démontrer que la Commission aurait dû relever l’existence de difficultés sérieuses impliquant l’ouverture de la procédure formelle d’examen de la mesure notifiée.
94 Le recours doit, dès lors, être rejeté.
Sur les dépens
95 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par la Commission, conformément aux conclusions de cette dernière.
96 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs dépens. Dès lors, le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) PGI Spain, SL, Berry Superfos Pamplona, SA, Promens Packaging, SA, RPC Envases, SA et Zeller Plastik España, SL sont condamnées à supporter leurs propres dépens et ceux de la Commission européenne.
3) Le Royaume d’Espagne supportera ses propres dépens.
Van der Woude
Škvařilová-Pelzl
Nõmm
Steinfatt
Kukovec
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 12 mars 2025.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.