ORDONNANCE DU TRIBUNAL (troisième chambre)
3 février 2025 ( *1 )
« Recours en annulation – Décision 2006/928/CE – Mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption – Décision (UE) 2023/1786 abrogeant la décision 2006/928 – Défaut d’affectation directe – Irrecevabilité »
Dans l’affaire T‑1126/23,
Asociația Inițiativa pentru Justiție, établie à Constanţa (Roumanie), représentée par Me V.-D. Oanea, avocat, et M. C. Zatschler, SC,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mme K. Herrmann, MM. T. Maxian Rusche, P. Van Nuffel et I. Rogalski, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (troisième chambre),
composé de Mme P. Škvařilová‑Pelzl, faisant fonction de présidente, MM. I. Nõmm et D. Kukovec (rapporteur), juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 19 février 2024,
– les observations de la requérante sur l’exception d’irrecevabilité déposées au greffe du Tribunal le 11 avril 2024,
– la demande d’intervention de la Roumanie déposée au greffe du Tribunal le 22 février 2024,
rend la présente
Ordonnance
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Asociația Inițiativa pentru Justiție, demande l’annulation de la décision (UE) 2023/1786 de la Commission, du 15 septembre 2023, abrogeant la décision 2006/928/CE établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2023, L 229, p. 94, ci‑après la
« décision attaquée »).
Antécédents du litige et décision attaquée
2 La présente affaire s’inscrit dans le contexte d’une réforme d’envergure en matière de justice et de lutte contre la corruption en Roumanie, réforme qui a fait l’objet d’un suivi à l’échelle de l’Union européenne depuis l’année 2007 en vertu du mécanisme de coopération et de vérification institué par la décision 2006/928/CE de la Commission, du 13 décembre 2006, établissant un mécanisme de coopération et de vérification des progrès réalisés par la Roumanie en vue d’atteindre certains objectifs de
référence spécifiques en matière de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption (JO 2006, L 354, p. 56) à l’occasion de l’adhésion de la Roumanie à l’Union (ci-après le « MCV »).
3 La requérante est une association professionnelle de procureurs créée le 14 novembre 2018, qui a pour objet d’assurer le respect de la valeur de l’État de droit en Roumanie en garantissant, notamment, le respect des droits des procureurs ainsi que de leur indépendance.
4 Le 13 décembre 2006, la Commission des Communautés européennes a adopté la décision 2006/928 sur le fondement, notamment, des articles 37 et 38 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion à l’Union européenne de la République de Bulgarie et de la Roumanie et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 2005, L 157, p. 203, ci-après l’« acte d’adhésion »). Ces articles habilitent la Commission à adopter des mesures appropriées en cas, respectivement, de risque imminent
de dysfonctionnement grave du marché intérieur lié au non-respect, par la Roumanie, d’engagements pris dans le cadre des négociations d’adhésion et de risque imminent de manquements graves de la Roumanie en ce qui concerne le respect du droit de l’Union relatif à l’espace de liberté, de sécurité et de justice.
5 Ainsi que la Cour l’a relevé, notamment, dans l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, points 157 et 158), la décision 2006/928 constitue une telle mesure, qui a été adoptée en raison de l’existence de risques imminents de la nature de ceux visés aux articles 37 et 38 de l’acte d’adhésion. En effet, comme il ressort de son rapport de suivi du 26 septembre 2006 sur le degré de préparation
à l’adhésion à l’Union de la Bulgarie et de la Roumanie [COM(2006) 549 final], auquel se réfère le considérant 4 de cette décision, la Commission a constaté la persistance en Roumanie de défaillances, notamment dans les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption et a proposé au Conseil de l’Union européenne afin d’y remédier de subordonner l’adhésion de cet État à l’institution d’un mécanisme de coopération et de vérification.
6 L’annexe de la décision 2006/928 énonçait quatre objectifs de référence que la Roumanie devait atteindre en matière, notamment, de réforme du système judiciaire et de lutte contre la corruption pour résoudre lesdites défaillances et garantir la capacité des instances chargées de faire appliquer la loi à mettre en œuvre et à appliquer les mesures adoptées pour contribuer au fonctionnement du marché intérieur et de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Plus particulièrement, le premier de
ces objectifs se lisait comme suit :
« [La Roumanie doit] [g]arantir un processus judiciaire à la fois plus transparent et plus efficace, notamment en renforçant les capacités et la responsabilisation du Conseil supérieur de la magistrature. Rendre compte de l’incidence des nouveaux codes de procédure civile et administrative et l’évaluer. »
7 Les articles 1er et 2 de la décision 2006/928 prévoyaient que la Roumanie devait faire rapport à la Commission, sur une base annuelle, sur les progrès qu’elle avait réalisés en vue d’atteindre chacun des objectifs de référence visés à l’annexe de cette décision. La Commission devait, pour sa part, établir au moins tous les six mois des rapports adressés au Parlement européen et au Conseil comportant ses propres commentaires et conclusions sur les rapports présentés par la Roumanie.
8 Conformément à son article 4, la décision 2006/928 avait pour destinataires l’ensemble des États membres, ce qui incluait la Roumanie à compter de son adhésion.
9 Selon le considérant 9 de la même décision, celle-ci serait abrogée lorsque tous les objectifs de référence auraient été atteints.
10 Le 15 septembre 2023, la Commission a adopté la décision attaquée.
11 Ainsi qu’il ressort des considérants 7 à 9 de cette décision, la Commission a considéré, pour l’essentiel, que, eu égard aux progrès réalisés par la Roumanie au titre du MCV, tels qu’ils avaient été constatés dans son rapport du 22 novembre 2022 au Parlement et au Conseil [COM(2022) 664 final], notamment ceux ayant trait au renforcement de l’indépendance et de l’efficacité de la justice grâce à une refonte complète du système judiciaire, cet État membre avait honoré les engagements pris au moment
de son adhésion à l’Union et les quatre objectifs de référence définis dans la décision 2006/928 avaient été atteints de manière satisfaisante.
12 Par ailleurs, comme cela est indiqué au considérant 10 de la décision attaquée, la Commission poursuivra la mise en œuvre des réformes tant par la Roumanie que par les autres États membres par le biais du cycle annuel de l’État de droit, lancé par sa communication du 17 juillet 2019 au Parlement, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, intitulée « Renforcement de l’État de droit au sein de l’Union : Plan d’action » [COM(2019) 343 final].
Dans le cadre de ce cycle, la Commission continuera à établir des rapports annuels sur l’État de droit comportant, notamment, des recommandations adressées aux États membres.
13 Conformément à l’article 1er de la décision attaquée, la décision 2006/928 est abrogée.
Conclusions des parties
14 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
15 Dans l’exception d’irrecevabilité, soulevée au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme manifestement irrecevable ;
– condamner la requérante aux dépens.
16 Dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission ;
– à titre subsidiaire, joindre l’exception d’irrecevabilité au fond ;
– condamner la Commission aux dépens afférents à l’exception d’irrecevabilité.
17 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 22 février 2024, la Roumanie a, au titre de l’article 143 du règlement de procédure, demandé à intervenir au soutien de la Commission.
En droit
18 En vertu de l’article 130, paragraphes 1 et 7, du règlement de procédure, si la partie défenderesse le demande, le Tribunal peut statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence sans engager le débat au fond. En l’espèce, la Commission ayant demandé qu’il soit statué sur l’irrecevabilité, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sur cette demande sans poursuivre la procédure.
19 La Commission excipe de l’irrecevabilité du présent recours, en soulevant, à titre principal, l’absence d’affectation directe de la requérante ou de l’un de ses membres. À titre subsidiaire, elle considère que la décision attaquée ne constitue pas un acte réglementaire, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, troisième membre de phrase, TFUE, et que ni la requérante ni l’un de ses membres ne sont individuellement concernés par cette décision.
20 La requérante conteste ces affirmations. En outre, elle soutient, pour ce qui concerne la recevabilité de son recours tant en son nom propre qu’au nom des procureurs dont elle défend les intérêts, qu’il conviendrait d’assouplir, eu égard aux particularités du cas d’espèce, les conditions de recevabilité, telles qu’elles ressortent de la jurisprudence actuelle.
21 Il convient de rappeler d’emblée que, en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, toute personne physique ou morale peut former un recours contre les actes dont elle est la destinataire ou qui la concernent directement et individuellement ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.
22 En l’espèce, il y a lieu de constater que la requérante n’est pas la destinataire de la décision attaquée au sens du premier cas de figure visé à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
23 Il convient, dès lors, de déterminer si la requérante ou l’un de ses membres sont directement concernés par cette décision.
24 Conformément à une jurisprudence constante, les recours en annulation formés par des associations sont jugés recevables dans trois types de situations : premièrement, lorsqu’une disposition légale reconnaît expressément aux associations professionnelles une série de facultés à caractère procédural, deuxièmement, lorsque l’association représente les intérêts de ses membres qui seraient eux-mêmes recevables à agir et, troisièmement, lorsque l’association est individualisée en raison de
l’affectation de ses intérêts propres en tant qu’association, notamment parce que sa position de négociatrice a été affectée par l’acte dont l’annulation est demandée (voir ordonnance du 8 mai 2019, Carvalho e.a./Parlement et Conseil, T‑330/18, non publiée, EU:T:2019:324, point 51 et jurisprudence citée).
Sur la recevabilité du recours de la requérante agissant en son nom propre
25 Tout d’abord, la requérante fait valoir qu’elle est une organisation représentative des procureurs, formellement reconnue, dont la mission est de défendre l’indépendance du pouvoir judiciaire et, de manière plus générale, la valeur de l’État de droit. Par son rôle dans le respect des articles 2 et 19 TUE, elle aurait un intérêt institutionnel à défendre cette valeur, ainsi qu’un intérêt procédural dans les procédures judiciaires relatives au respect et au renforcement de celle-ci. Ensuite, la
requérante aurait été une interlocutrice privilégiée de la Commission dans le cadre du suivi et de l’établissement de rapports liés au MCV, de sorte que l’abrogation de la décision 2006/928, sans l’avoir consultée au préalable, aurait porté atteinte à sa confiance légitime. Enfin, la requérante soutient qu’elle est directement concernée par la décision attaquée, en ce que l’abrogation de la décision 2006/928 compromettrait son travail en matière de protection de l’État de droit.
26 La Commission conteste les arguments de la requérante.
27 S’agissant du premier type de situation mentionné par la jurisprudence rappelée au point 24 ci-dessus, la requérante n’invoque pas l’existence de dispositions légales qui lui reconnaîtraient expressément des facultés à caractère procédural et aucun élément du dossier ne permet de conclure à l’existence de telles dispositions.
28 En outre, pour autant que l’argumentation de la requérante relevée au point 25 ci-dessus doit être interprétée en ce sens que, afin d’assurer une protection juridictionnelle effective des procureurs, notamment au regard de la valeur de l’État de droit consacrée à l’article 2 TUE, il conviendrait de lui accorder certaines prérogatives procédurales, il y a lieu de constater qu’aucune disposition légale n’a attribué à la requérante de prérogatives afin d’assurer une telle protection dans le contexte
du MCV. Partant, la recevabilité de son recours ne saurait être établie au regard du premier type de situation mentionné au point 24 ci-dessus.
29 S’agissant du troisième type de situation mentionné par la jurisprudence rappelée au point 24 ci-dessus, relatif à l’affectation des associations dans leurs intérêts propres, notamment en tant que négociatrices, il convient de constater que la requérante n’a pas invoqué une telle affectation dans son cas, en mettant en avant uniquement son rôle d’interlocutrice de la Commission dans le cadre du MCV.
30 Or, la circonstance selon laquelle elle a été une « interlocutrice » de la Commission dans ce cadre ne suffit pas pour lui reconnaître la qualité de négociatrice, au sens de la jurisprudence rappelée au point 24 ci-dessus, dans le contexte spécifique de l’adoption de la décision attaquée. Partant, la recevabilité de son recours ne saurait non plus être établie par rapport au troisième type de situation mentionné à ce point.
31 Eu égard à ce qui précède, il convient de conclure que la requérante ne remplit pas les conditions relatives aux premier et troisième types de situation rappelées au point 24 ci-dessus et n’est donc pas recevable à agir en son nom propre.
32 Cette conclusion ne saurait, par ailleurs, être remise en cause par l’argumentation de la requérante relative au fait que l’abrogation de la décision 2006/928 par la décision attaquée aurait porté atteinte à sa confiance légitime.
33 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants et émanant de sources
autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises qui lui auraient été fournies par l’administration (voir arrêt du 8 mai 2024, VB/BCE, T‑124/23, non publié, EU:T:2024:294, point 60 et jurisprudence citée).
34 Or, en l’espèce, la requérante n’a pas indiqué en quoi la Commission lui avait communiqué des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, au sens de la jurisprudence citée au point 33 ci-dessus, quant à l’absence d’abrogation de la décision 2006/928. Par ailleurs, il y a lieu de considérer que l’abrogation de cette décision était à prévoir étant donné que, conformément à l’article 37, second alinéa, et à l’article 38, second alinéa, de l’acte d’adhésion, le MCV n’avait été institué
qu’en tant que mesure provisoire.
Sur la recevabilité du recours de la requérante agissant au nom de ses membres dont elle défend les intérêts
35 Conformément au deuxième type de situation mentionné par la jurisprudence rappelée au point 24 ci-dessus, des associations ont qualité pour agir lorsqu’elles représentent les intérêts de leurs membres qui sont eux-mêmes recevables à agir.
36 En l’espèce, la requérante soutient, en substance, que ses membres, en leur qualité de procureurs, sont directement affectés par la décision attaquée, dès lors que la levée du MCV par cette décision pourrait les exposer davantage à des procédures disciplinaires.
37 En outre, en prenant appui sur le fait que la Cour a considéré, dans l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 249), que les objectifs de référence visés à l’annexe de la décision 2006/928 étaient revêtus d’effet direct, la requérante considère que ces objectifs de référence conféraient aux procureurs des droits d’effet direct, dont ceux-ci pourraient se prévaloir, notamment, pour
contester les actions disciplinaires illégitimes.
38 Ainsi, l’abrogation de la décision 2006/928 aurait pour effet de restreindre les droits que les procureurs faisant l’objet de telles actions disciplinaires pourraient invoquer pour leur défense. La requérante ajoute par ailleurs que, si ses membres peuvent toujours se prévaloir de l’article 19, paragraphe 1, TUE et de l’article 325, paragraphe 1, TFUE pour se défendre contre les actions disciplinaires illégitimes, il n’en reste pas moins que les droits conférés par ces dispositions seraient moins
efficaces et moins étendus que ceux dont ils disposaient en vertu du MCV.
39 À cet égard, la requérante soutient, en substance, que le champ d’application matériel de la décision 2006/928 était plus large que celui de l’article 325, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où l’obligation pour la Roumanie, découlant des trois derniers objectifs de référence, de lutter efficacement contre la corruption, en particulier la corruption de haut niveau, ne se limitait pas aux cas de corruption portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. Partant, la décision 2006/928 se
prêtait mieux au déclenchement de l’applicabilité de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), en assurant que la condition relative à la mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, était remplie.
40 La Commission conteste les arguments de la requérante.
41 Selon une jurisprudence constante, pour qu’une personne physique ou morale soit directement concernée par la mesure faisant l’objet de son recours, deux conditions cumulatives doivent être satisfaites, à savoir que cette mesure, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule
réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 43 et jurisprudence citée).
42 Afin de déterminer si un acte produit des effets sur la situation juridique d’une personne et est, partant, susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE, il y a lieu de s’attacher à la substance de cet acte et d’apprécier ces effets au regard de critères objectifs, tels que le contenu dudit acte, en tenant compte, le cas échéant, du contexte de l’adoption de ce dernier ainsi que des pouvoirs de l’institution qui en est l’auteur (voir, en ce sens, arrêt du
12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 63 et jurisprudence citée).
43 En l’espèce, il convient de relever, à titre liminaire, que, dès lors que la décision attaquée a abrogé la décision 2006/928, elle doit être examinée à la lumière de l’objet, du contenu ainsi que du contexte juridique et factuel dans lequel la décision 2006/928 est intervenue (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 24 octobre 2019, EPSU et Goudriaan/Commission, T‑310/18, EU:T:2019:757, point 25 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que la décision attaquée n’est susceptible de produire
directement des effets juridiques sur la situation des procureurs roumains membres de la requérante que pour autant que la décision 2006/928 était elle-même susceptible de produire de tels effets.
44 En premier lieu, s’agissant de l’objet de la décision 2006/928 et du contexte dans lequel elle a été adoptée, ainsi qu’il ressort des considérants 4 et 6 de cette décision, la mise en place du MCV et la fixation des objectifs de référence ont eu pour but de parachever l’adhésion de la Roumanie à l’Union, afin de remédier aux défaillances constatées par la Commission avant cette adhésion, notamment dans les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption.
45 Au demeurant, comme la Cour l’a précisé, notamment, dans l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393, point 170), ces objectifs de référence concrétisent les engagements spécifiques contractés par la Roumanie et les exigences acceptées par celle‐ci lors de la clôture des négociations d’adhésion le 14 décembre 2004, lesquels figurent à l’annexe IX de l’acte d’adhésion et concernent notamment
ces domaines.
46 Quant à l’objet et au contexte de la décision attaquée, il ressort de l’article 1er de cette décision, tel que lu à la lumière de ses considérants 7 à 9, qu’elle vise à abroger la décision 2006/928, dans la mesure où la Commission a considéré que la Roumanie avait honoré les engagements pris au moment de son adhésion à l’Union et que les quatre objectifs de référence définis à l’annexe de cette dernière décision avaient été atteints de manière satisfaisante.
47 En second lieu, s’agissant du contenu de la décision 2006/928, comme cela est souligné aux points 6 et 7 ci-dessus, cette décision imposait, en substance, à la Roumanie l’obligation d’atteindre les objectifs de référence figurant à son annexe et de faire chaque année, en vertu de son article 1er, premier alinéa, rapport à la Commission sur les progrès réalisés à cet égard. Elle imposait également à la Commission, en vertu de son article 2, l’obligation d’établir des rapports destinés à analyser
et à évaluer les progrès réalisés par la Roumanie au regard des objectifs de référence.
48 Quant au contenu de la décision attaquée, ses considérants 4 à 8 mettent en exergue les étapes relatives aux progrès réalisés par la Roumanie au titre du MCV, sous-tendant la conclusion arrêtée au considérant 9, selon laquelle les objectifs de référence définis dans la décision 2006/928 ont été atteints de manière satisfaisante. En outre, comme cela est souligné au point 12 ci-dessus, le considérant 10 de la décision attaquée dispose, en substance, que la Commission poursuivra le suivi des
réformes requises dans les différents États membres, y compris en Roumanie, par le biais du cycle annuel de l’État de droit.
49 Il convient d’ajouter que, dans l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393), après avoir relevé aux points 166 et 167 de cet arrêt que la décision 2006/928, en tant que décision adoptée au titre de l’article 288, quatrième alinéa, TFUE, « [était] obligatoire dans tous ses éléments » pour la Roumanie, la Cour a précisé les effets juridiques tant des objectifs de référence que des rapports
établis par la Commission sur le fondement de l’article 2 de cette décision.
50 En ce qui concerne les effets juridiques des objectifs de référence, la Cour a dit pour droit, au point 172 de l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393), que ces objectifs revêtaient un caractère contraignant pour la Roumanie, de sorte que cet État membre était soumis à l’obligation spécifique de les atteindre et de prendre les mesures appropriées aux fins de leur réalisation dans les
meilleurs délais. De même, la Cour a jugé que la Roumanie était tenue de s’abstenir de mettre en œuvre toute mesure qui risquait de compromettre la réalisation desdits objectifs. La Cour a précisé, en outre, au point 249 de cet arrêt, que ces objectifs étaient formulés en des termes clairs et précis et n’étaient assortis d’aucune condition, de sorte qu’ils étaient d’effet direct.
51 Quant aux effets juridiques des rapports établis par la Commission sur le fondement de l’article 2 de la décision 2006/928, la Cour a constaté que ces rapports formulaient des exigences à l’égard de la Roumanie et lui adressaient des recommandations en vue de la réalisation des objectifs de référence. Conformément au principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, la Roumanie devait tenir dûment compte desdites exigences et recommandations et devait s’abstenir d’adopter ou
de maintenir des mesures dans les domaines couverts par les objectifs de référence qui auraient risqué de compromettre le résultat que ces mêmes exigences et recommandations prescrivaient.
52 Il ressort sans équivoque des éléments relevés aux points 44, 47 et 49 à 51 ci-dessus que la décision 2006/928 se limitait à imposer à la Roumanie des obligations consistant, premièrement, à prendre les mesures nécessaires aux fins d’atteindre les objectifs de référence définis à l’annexe de cette décision, deuxièmement, à présenter à la Commission, sur une base annuelle, des rapports sur les progrès réalisés à cet égard et, troisièmement, à tenir dûment compte des exigences et recommandations
formulées par la Commission dans ses propres rapports.
53 Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la décision 2006/928 n’a conféré aucun droit à ses membres, de sorte qu’elle ne saurait être considérée comme produisant directement des effets sur leur situation juridique. La circonstance que la Cour ait considéré que les objectifs de référence visés à l’annexe de cette décision étaient d’effet direct ne saurait avoir d’incidence à cet égard.
54 À l’appui de cette conclusion, en premier lieu, il convient de relever que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la circonstance que la Cour ait reconnu l’effet direct des objectifs de référence ne saurait impliquer, per se, que ces objectifs comportent nécessairement des droits correspondants pour les procureurs, dont ceux-ci pourraient se prévaloir directement devant le juge national.
55 À cet égard, il y a lieu de rappeler que la Cour a relevé de manière constante que, « dans tous les cas où des dispositions [d’un acte de l’Union] apparaissent comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ces dispositions peuvent être invoquées […] à l’encontre de toute disposition nationale non conforme à [cet acte de l’Union], ou encore en tant qu’elles sont de nature à définir des droits que les particuliers sont en mesure de faire valoir à l’égard
de l’État » (voir, en ce sens, arrêts du 19 janvier 1982, Becker, 8/81, EU:C:1982:7, point 25, et du 28 novembre 2013, MDDP, C‑319/12, EU:C:2013:778, point 47 et jurisprudence citée).
56 L’emploi de la conjonction « ou » implique que le principe de l’effet direct n’est pas exclusivement interprété dans le sens ressortant de la jurisprudence issue de l’arrêt du 5 février 1963, van Gend & Loos (26/62, EU:C:1963:1), mais également comme conditionnant le pouvoir des juridictions nationales de laisser inappliquée toute réglementation ou jurisprudence nationale contraire au droit de l’Union. Or, il ressort d’une lecture du point 249 de l’arrêt du 18 mai 2021, Asociaţia Forumul
Judecătorilor din România e.a. (C‑83/19, C‑127/19, C‑195/19, C‑291/19, C‑355/19 et C‑397/19, EU:C:2021:393), à la lumière du libellé de la troisième question préjudicielle posée dans l’affaire C‑195/19 et de l’analyse effectuée par la Cour au regard de ladite question, que c’est dans cette seconde perspective que la Cour a entendu reconnaître l’effet direct des objectifs de référence.
57 Il s’ensuit que ne saurait être accueillie l’argumentation de la requérante selon laquelle les objectifs de référence, en raison de leur effet direct, conféreraient des droits aux procureurs, dont ceux-ci pourraient se prévaloir devant les juridictions nationales aux fins de contester, notamment, les actions disciplinaires illégitimes. Au demeurant, force est de constater que la requérante n’a identifié aucun droit spécifique qui aurait prétendument été accordé aux procureurs ou, de manière plus
spécifique, à ses membres.
58 En second lieu, la circonstance que les objectifs de référence aient été considérés par la Cour comme étant revêtus d’effet direct ne saurait impliquer, comme le fait valoir la requérante, qu’ils produisaient directement des effets sur la situation juridique de ses membres et, par voie de conséquence, qu’il en irait de même de leur abrogation.
59 À cet égard, tout d’abord, il convient de relever que l’effet direct des objectifs de référence ne saurait impliquer que des particuliers puissent contester la suppression de ces objectifs, sans démontrer que cette suppression emporte par elle-même une atteinte directe et individuelle à leur position juridique, démonstration qui fait défaut en l’espèce.
60 Ensuite, il y a lieu de rappeler que le juge de l’Union a déjà dit pour droit que la question de savoir si un particulier était directement concerné par un acte de l’Union dont il n’était pas destinataire devait s’apprécier au regard tant de l’objet de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du 3 avril 2003, Royal Philips Electronics/Commission, T‑119/02, EU:T:2003:101, point 276) que du cadre juridique ressortant de celui-ci. S’il résulte des dispositions contenues dans ledit acte que ses effets sont
circonscrits aux relations entre l’Union et l’État membre destinataire, le même acte ne saurait être considéré comme produisant des effets juridiques sur les particuliers (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2017, Green Source Poland/Commission, T‑512/14, EU:T:2017:299, points 35, 37 et 45 à 64).
61 Or, en l’espèce, il ressort sans équivoque des éléments relevés aux points 44, 45 et 47 ci-dessus que l’objectif de la décision 2006/928 était de faire en sorte que la Roumanie remédie aux défaillances constatées avant l’adhésion, notamment dans les domaines de la justice et de la lutte contre la corruption, dans l’optique du parachèvement du processus d’adhésion. Il ressort tout aussi clairement des dispositions contenues dans cette décision que ses effets étaient circonscrits aux relations
entre l’Union et la Roumanie, sans que les particuliers, y compris les procureurs, soient visés directement ou indirectement par ladite décision.
62 En outre, le libellé même des objectifs de référence laisse entendre que, si ces objectifs régissent, notamment, l’organisation de la justice en Roumanie, ils n’ont pas pour autant vocation à produire directement des effets sur la situation juridique des procureurs roumains, alors même que, compte tenu de l’effet direct de ces objectifs, le juge national, d’office ou à la demande de justiciables, y compris des procureurs, pouvait, préalablement à l’abrogation de la décision 2006/928, soulever la
contrariété d’une réglementation nationale à leur égard. Par ailleurs, une solution contraire conduirait à ce que l’abrogation de toute règle de l’Union, reconnue comme étant revêtue d’effet direct, affecte directement la situation juridique de tous les particuliers qui étaient en mesure, préalablement à cette abrogation, d’invoquer ladite règle à l’encontre d’une norme nationale. Or, une telle extension de la première condition de l’affectation directe ne saurait être retenue.
63 Enfin, il convient de relever que, si la Cour a déjà considéré que, dans certaines situations, la marge d’appréciation dont disposaient les États membres dans le cadre de la mise en œuvre d’une disposition d’un acte de l’Union ne pouvait, en tant que telle, suffire pour considérer que cette disposition était dépourvue d’effet direct [voir, en ce sens, arrêts du 21 mars 2013, Salzburger Flughafen, C‑244/12, EU:C:2013:203, point 29 et jurisprudence citée ; du 14 janvier 2021, RTS infra et
Aannemingsbedrijf Norré-Behaegel, C‑387/19, EU:C:2021:13, point 47 et jurisprudence citée, et du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld (Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, points 16 à 25 et jurisprudence citée], il découle, en revanche, de sa jurisprudence que l’existence d’une marge d’appréciation empêche que la première condition de l’affectation directe soit remplie (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P,
EU:C:2022:548, points 74 et 76).
64 Or, en l’espèce, il ressort de la nature même des mesures que la Roumanie était appelée à adopter aux fins de la mise en œuvre de la décision 2006/928, en ce qu’elles portaient, notamment, sur des aspects relatifs à l’organisation de son système judiciaire, que cet État membre disposait d’une marge d’appréciation dans l’adoption de ces mesures. À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a relevé de manière constante que l’organisation de la justice dans les États membres relevait de la
compétence de ces derniers, tout en précisant que, dans l’exercice de cette compétence, les États membres étaient tenus de respecter les obligations qui découlaient, pour eux, du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 52 et jurisprudence citée].
65 Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que la décision 2006/928 ne produisait pas directement des effets sur la situation juridique des membres de la requérante.
66 Or, étant donné que, comme cela est relevé au point 43 ci-dessus, la portée de la décision attaquée doit être interprétée à la lumière de celle de la décision 2006/928 qu’elle abroge, il y a lieu de considérer que la décision attaquée ne saurait non plus être considérée comme produisant directement des effets sur la situation juridique des membres de la requérante.
67 Cela étant, il convient de rappeler que, nonobstant l’abrogation de la décision 2006/928, les procureurs faisant l’objet des procédures disciplinaires peuvent toujours se prévaloir de la protection juridictionnelle qu’ils tirent du droit de l’Union, au titre de l’article 19 TUE [voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2024, Asociaţia Forumul Judecătorilor din România (Associations de magistrats), C‑53/23, EU:C:2024:388, points 34 et 39 et jurisprudence citée].
68 Par ailleurs, s’agissant de l’argumentation de la requérante tirée, en substance, de ce que l’abrogation, par la décision attaquée, de la décision 2006/928 aurait directement des effets sur la situation juridique de ses membres pour autant que cette dernière décision aurait eu une portée plus large que l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de ce que, dès lors, elle aurait été davantage susceptible de déclencher l’applicabilité de la Charte dans les affaires ayant trait à la lutte contre la
corruption, elle doit être écartée.
69 En effet, il convient de relever que, comme le fait valoir, en substance, la Commission, au-delà de la réglementation portant sur la protection des intérêts financiers de l’Union, le législateur de l’Union a adopté toute une série d’actes de droit dérivé régissant les différents aspects de la lutte contre la corruption en général, tels que, notamment, la convention établie sur la base de l’article K.3, paragraphe 2, sous c), du traité sur l’Union européenne, relative à la lutte contre la
corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l’Union européenne (JO 1997, C 195, p. 2) et la décision-cadre 2003/568/JAI du Conseil, du 22 juillet 2003, relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé (JO 2003, L 192, p. 54). Par ailleurs, il importe de rappeler que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 25 janvier 2024, Parchetul de pe lângă Curtea de Apel Craiova (C‑58/22, EU:C:2024:70, point 42), qui
concernait une affaire de corruption où la juridiction de renvoi avait interrogé la Cour au regard, notamment, des objectifs de référence visés à l’annexe de la décision 2006/928, la Cour a considéré que la condition de mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, était satisfaite par le biais de la décision-cadre susvisée, sans même qu’il y ait lieu de se prononcer sur l’éventuelle pertinence des objectifs de référence visés à l’annexe de cette
décision. Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir la requérante, la Charte a vocation à s’appliquer aux affaires relatives à la lutte contre la corruption, indépendamment de l’abrogation de la décision 2006/928.
70 Il ressort de tous les éléments qui précèdent que la décision attaquée ne produit pas directement des effets sur la situation juridique des membres de la requérante. Partant, celle-ci ne saurait être considérée comme étant directement affectée par cette décision.
71 Or, étant donné que les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, deuxième membre de phrase, TFUE, telles que rappelées au point 41 ci-dessus, sont cumulatives, il y a lieu de considérer que la requérante ne saurait avoir qualité pour agir en annulation de la décision attaquée, sans même qu’il soit nécessaire de prendre position sur la seconde condition visée dans cette disposition.
72 Par ailleurs, la requérante ne peut pas non plus se fonder sur le troisième membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, relatif aux actes réglementaires, au motif que les procureurs dont elle défend les intérêts auraient qualité pour agir sur le fondement de ce troisième membre de phrase. En effet, la condition selon laquelle la partie requérante doit être concernée directement par l’acte attaqué revêt la même signification tant au deuxième membre de phrase de l’article 263,
quatrième alinéa, TFUE qu’au troisième membre de phrase de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P, EU:C:2022:548, point 73). Dans ces conditions, en l’absence d’affectation directe par la décision attaquée, il n’y a pas lieu d’examiner si celle-ci constitue un acte réglementaire au sens du troisième membre de phrase de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
73 Eu égard à ce qui précède, et étant donné que les procureurs dont la requérante défend les intérêts ne sont pas eux-mêmes recevables à agir, la requérante ne remplit pas non plus les conditions pour que son recours soit recevable au titre du deuxième type de situation, visé par la jurisprudence rappelée au point 24 ci-dessus.
Sur l’assouplissement des conditions de recevabilité
74 Selon la requérante, il conviendrait, dans des circonstances telles que celles de l’espèce, d’assouplir les conditions de recevabilité du recours. En effet, elle estime que les conditions de recevabilité doivent être appliquées avec une certaine souplesse, notamment en raison des impératifs tenant à la protection juridictionnelle effective et à l’État de droit, valeur fondatrice de l’Union faisant partie de son identité même. En outre, en prenant appui sur l’arrêt de la Cour européenne des droits
de l’homme du 9 avril 2024, Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres c. Suisse (CE:ECHR:2024:0409JUD005360020), dans lequel elle a admis, sur le fondement de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), la qualité pour agir d’une association créée dans le but de promouvoir et de mettre en œuvre des mesures effectives de protection du climat, la requérante considère, en
substance, que, pour autant que les considérations liées à la protection de la valeur de l’État de droit sont d’une importance équivalente à celles liées à la protection du climat, l’approche ressortant de cet arrêt devrait s’appliquer mutatis mutandis en l’espèce. Par ailleurs, un alignement des exigences requises en termes de qualité pour agir des associations serait préférable dans la perspective de l’adhésion de l’Union à la CEDH.
75 Il importe de relever que si, certes, les conditions de recevabilité prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE doivent être interprétées à la lumière du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective, une telle interprétation ne doit pas aboutir à écarter les conditions expressément prévues par ledit traité (voir arrêts du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 98 et jurisprudence citée, et du 28 avril 2015, T & L
Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 44 et jurisprudence citée).
76 En particulier, la protection conférée par l’article 47 de la Charte n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, et notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant les juridictions de l’Union (voir arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 97 et jurisprudence citée).
77 En outre, la protection conférée par l’article 47 de la Charte n’exige pas qu’un justiciable puisse, de manière inconditionnelle, intenter un recours en annulation directement devant la juridiction de l’Union contre des actes de l’Union (arrêt du 28 octobre 2020, Associazione GranoSalus/Commission, C‑313/19 P, non publié, EU:C:2020:869, point 62).
78 En l’espèce, comme il ressort des points 31 et 73 ci-dessus, la requérante ne saurait faire valoir qu’elle est directement concernée par la décision attaquée ni en son nom propre ni au nom de ses membres dont elle défend les intérêts.
79 Par ailleurs, s’agissant de la référence faite par la requérante à l’approche suivie par la Cour européenne des droits de l’homme, au regard de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, dans l’arrêt mentionné au point 74 ci-dessus, il suffit de rappeler que si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus dans la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits figurant dans
celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite convention, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union. Selon les explications afférentes à l’article 52 de la Charte, le paragraphe 3 de cet article vise à assurer la cohérence nécessaire entre la Charte et la CEDH « sans que cela porte atteinte à l’autonomie du droit de
l’Union et de la Cour de justice de l’Union européenne » [voir arrêt du 2 septembre 2021, LG et MH (Autoblanchiment), C‑790/19, EU:C:2021:661, point 75 et jurisprudence citée].
80 Dans ces conditions, un assouplissement des conditions de recevabilité, comme cela est sollicité par la requérante, impliquerait, de fait, d’écarter la condition de l’affectation directe qui est expressément énoncée à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ce qui serait contraire à la jurisprudence rappelée au point 75 ci-dessus.
81 Il y a lieu d’ajouter que le contrôle juridictionnel du respect de l’ordre juridique de l’Union est, en tout état de cause, assuré, ainsi qu’il ressort de l’article 19, paragraphe 1, TUE, non seulement par la Cour, mais également par les juridictions des États membres. En effet, le traité FUE a, par ses articles 263 et 277, d’une part, et par son article 267, d’autre part, établi un système complet de voies de recours et de procédures destiné à assurer le contrôle de la légalité des actes de
l’Union en le confiant au juge de l’Union (voir arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 45 et jurisprudence citée).
82 À ce titre, il convient de préciser que les justiciables ont, dans le cadre d’une procédure nationale, le droit de contester en justice la légalité de toute décision ou de tout autre acte national relatif à l’application à leur égard d’un acte de l’Union de portée générale en excipant de l’invalidité de ce dernier (voir arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 46 et jurisprudence citée).
83 Il s’ensuit que le renvoi en appréciation de validité constitue, au même titre que le recours en annulation, une modalité du contrôle de la légalité des actes de l’Union (voir arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 47 et jurisprudence citée).
84 À cet égard, il importe de rappeler que, lorsqu’une juridiction nationale estime qu’un ou plusieurs moyens d’invalidité d’un acte de l’Union avancés par les parties ou, le cas échéant, soulevés d’office sont fondés, elle doit surseoir à statuer et saisir la Cour d’une procédure de renvoi préjudiciel en appréciation de validité, cette dernière étant seule compétente pour constater l’invalidité d’un acte de l’Union (voir arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P,
EU:C:2015:284, point 48 et jurisprudence citée).
85 À l’égard des personnes qui ne satisfont pas aux conditions de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE pour porter un recours devant la juridiction de l’Union, il incombe donc aux États membres de prévoir un système de voies de recours et de procédures permettant d’assurer le respect du droit fondamental à une protection juridictionnelle effective (voir arrêt du 28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 49 et jurisprudence citée).
86 Cette obligation des États membres a été réaffirmée à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE selon lequel ceux-ci « établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ». Une telle obligation résulte également de l’article 47 de la Charte s’agissant des mesures prises par les États membres mettant en œuvre le droit de l’Union au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte (voir arrêt du
28 avril 2015, T & L Sugars et Sidul Açúcares/Commission, C‑456/13 P, EU:C:2015:284, point 50 et jurisprudence citée).
87 Au vu de ce qui précède, il y a lieu d’accueillir l’exception d’irrecevabilité soulevée par la Commission et de rejeter le recours comme irrecevable.
Sur la demande d’intervention présentée par la Roumanie
88 Conformément à l’article 144, paragraphe 3, du règlement de procédure, lorsque la partie défenderesse dépose une exception d’irrecevabilité ou d’incompétence, visée à l’article 130, paragraphe 1, dudit règlement, il n’est statué sur la demande d’intervention qu’après le rejet ou la jonction de l’exception au fond. En outre, conformément à l’article 142, paragraphe 2, du même règlement, l’intervention perd son objet notamment lorsque la requête est déclarée irrecevable.
89 Or, étant donné que l’exception d’irrecevabilité a été accueillie en l’espèce et que la présente ordonnance met, par conséquent, fin à l’instance, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention présentée par la Roumanie.
Sur les dépens
90 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.
91 Par ailleurs, en application de l’article 144, paragraphe 10, du règlement de procédure, la Roumanie supportera ses propres dépens afférents à sa demande d’intervention.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (troisième chambre)
ordonne :
1) Le recours est rejeté comme étant irrecevable.
2) Il n’y a plus lieu de statuer sur la demande d’intervention présentée par la Roumanie.
3) Asociația Inițiativa pentru Justiție est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.
4) La Roumanie supportera ses propres dépens afférents à la demande d’intervention.
Fait à Luxembourg, le 3 février 2025
Le greffier
V. Di Bucci
La présidente faisant fonction
P. Škvařilová‑Pelzl
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.