ARRÊT DU TRIBUNAL (dixième chambre élargie)
11 décembre 2024 ( *1 )
« Clause compromissoire – Convention de subvention concernant le projet TTD.EU (“European Quality Wines : Taste the Difference”) – Actions d’information et de promotion de produits agricoles réalisées sur le marché intérieur et dans les pays tiers – Suspension de la convention de subvention – Soupçons de fraude dans le cadre d’une enquête pénale relative à une autre convention de subvention – Responsabilité contractuelle »
Dans l’affaire T‑440/22,
Unione Italiana Vini Servizi Soc. coop. arl (UIV Servizi), établie à Milan (Italie), représentée par Mes B. Bonafini, D. Rovetta et V. Villante, avocats,
partie requérante,
contre
Agence exécutive européenne pour la recherche (REA), représentée par Mmes S. Payan-Lagrou et V. Canetti, en qualité d’agents, assistées de Mes D. Waelbroeck et A. Duron, avocats,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie),
composé de Mme O. Porchia (rapporteure), présidente, MM. M. Jaeger, L. Madise, P. Nihoul et S. Verschuur, juges,
greffier : M. P. Cullen, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 6 mars 2024,
vu la demande de non-lieu à statuer présentée par la REA le 10 septembre 2024,
vu la décision de rouvrir la phase orale de la procédure,
vu les observations de la requérante sur la demande de non-lieu à statuer déposées au greffe du Tribunal le 14 octobre 2024,
vu les décisions du 21 octobre 2024 de joindre la demande de non-lieu à statuer au fond et de clore la phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 272 TFUE, la requérante, Unione Italiana Vini Servizi Soc. coop. arl (UIV Servizi), demande, premièrement, de constater l’invalidité de la décision de l’Agence exécutive européenne pour la recherche (REA) de suspendre la convention de subvention no 874904 concernant le projet intitulé « European Quality Wines : Taste the Difference – TTD.EU », contenue dans la lettre de la REA du 2 mai 2022 (ci-après la « lettre de confirmation de la suspension »), deuxièmement,
d’ordonner à la REA de lever la suspension de la convention de subvention TTD.EU et, troisièmement, de condamner celle-ci à lui verser une indemnisation au titre du préjudice matériel et moral qu’elle prétend avoir subi de ce fait.
Antécédents du litige
2 La requérante est une association italienne représentant des entreprises dans le secteur du vin italien au niveau européen et international depuis 1895. Elle propose un large éventail de services aux professionnels du vin, y compris des services de conseil sur les financements et les projets européens.
3 Le 6 décembre 2019, la requérante, agissant en qualité de coordinateur et de bénéficiaire, et l’association espagnole Organización Interprofesional del Vino de España (OIVE), en qualité de bénéficiaire, ont conclu avec l’Agence exécutive pour les consommateurs, la santé, l’agriculture et l’alimentation (Chafea) la convention de subvention no 874904 ayant pour objet la réalisation d’un projet intitulé « European Quality Wines : Taste the Difference – TTD.EU » visant à promouvoir les vins italiens
et espagnols sur les marchés de la Chine et des États-Unis (ci-après la « convention de subvention TTD.EU »). À compter du 1er avril 2021, la REA a été chargée de la mise en œuvre des actions assurées par la Chafea.
4 La convention de subvention TTD.EU s’inscrivait dans le cadre de l’appel à propositions du 15 janvier 2019 pour des subventions en faveur d’actions d’information et de promotion concernant les produits agricoles réalisées sur le marché intérieur et dans les pays tiers conformément au règlement (UE) no 1144/2014 du Parlement européen et du Conseil (JO 2019, C 18, p. 4).
5 Aux termes de l’article 3 de la convention de subvention TTD.EU, elle avait une durée de 36 mois à partir du 1er mars 2020.
6 Par une lettre du 16 avril 2020, l’OIVE a informé la requérante qu’elle souhaitait mettre fin à sa participation à la convention de subvention TTD.EU à compter du 1er mars 2020.
7 Par une lettre du 29 mai 2020, la requérante a demandé à la Chafea, d’une part, l’établissement d’un avenant à la convention de subvention TTD.EU afin de constater la résiliation de ladite convention par l’OIVE et, d’autre part, l’ajout de Promotora d’Exportacions Catalanes, SA (Prodeca) en tant que bénéficiaire. Ledit avenant a été conclu avec la Chafea le 6 juillet 2020.
8 Entre le 24 avril et le 1er novembre 2020 et entre le 18 janvier et le 22 mai 2021, le projet a été suspendu sur le fondement de l’article 35 de la convention de subvention TTD.EU en raison de la pandémie de COVID-19.
9 En février 2021, la sélection par la requérante de l’organe d’exécution du projet faisant l’objet de la convention de subvention TTD.EU, responsable de la mise en œuvre des actions visant à atteindre les objectifs de ce projet, a été finalisée. Ópera Business Dreams SLU s’est vu attribuer le contrat pour la mise en œuvre des actions dudit projet.
10 Le 28 juillet 2021, la requérante a informé la REA sur le portail des participants que, le 27 mai 2021, la Guardia di Finanza di Milano (Garde des finances de Milan, Italie) avait effectué un audit auprès d’elle sur la base d’un mandat de perquisition et saisie décerné par le procureur de la République italienne près le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie) le 24 mai 2021. Cet audit a été effectué dans le cadre d’une procédure pénale engagée au niveau national contre le
président-directeur général de la requérante, le directeur financier de la requérante et le consultant externe pour la requérante ainsi que pour Veronafiere SpA pour des soupçons de fraude (ci-après l’« enquête pénale »). Par ailleurs, cet audit ayant pour objet la convention de subvention no 826012, dont la requérante est coordinatrice et bénéficiaire, à savoir la convention « Native Grapes Academy – NGA » (ci-après la « convention de subvention NGA ») se serait concentré sur la relation
contractuelle entre Veronafiere et la requérante et sur la coexistence de deux contrats principaux entre ces deux sociétés.
11 Le 6 août 2021, une réunion par visioconférence (ci-après la « réunion par visioconférence du 6 août 2021 ») s’est tenue entre la requérante et la responsable chargée de la convention de subvention TTD.EU au sein de la REA, au cours de laquelle la requérante a fourni de plus amples informations concernant l’enquête pénale. À cette occasion, la responsable de la convention de subvention TTD.EU au sein de la REA aurait, selon la requérante, observé que, étant donné que l’enquête pénale concernait
une convention de subvention distincte, à savoir la convention de subvention NGA, elle n’estimait pas nécessaire de prendre une mesure concernant l’exécution de la convention de subvention TTD.EU, qui pouvait donc poursuivre son exécution normale.
12 À la suite de la réunion par visioconférence du 6 août 2021, la REA a transmis à l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) les informations fournies par la requérante. Par une note du 13 janvier 2022, la REA a été informée du fait que, le 7 décembre 2021, l’OLAF avait ouvert une enquête concernant des allégations de fraude et d’autres irrégularités dans la mise en œuvre des conventions de subvention conclues par la requérante, Veronafiere et d’autres entités avec l’Union européenne, y compris
la convention de subvention TTD.EU (ci-après l’« enquête de l’OLAF »). Par ailleurs, dans cette note, il était indiqué qu’aucune mesure administrative préventive n’avait été envisagée au stade de l’ouverture de l’enquête.
13 Le 27 janvier 2022, le Parquet européen à Milan a demandé au juge des enquêtes préliminaires près le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) une prorogation de six mois du délai de l’enquête pénale.
14 Par une lettre du 23 février 2022 [réf. Ares (2022)1381304] (ci-après la « lettre de préinformation »), la REA a indiqué à la requérante son intention de suspendre la convention de subvention TTD.EU sur le fondement de l’article 33.2 de ladite convention. Dans cette lettre, la REA a indiqué ce qui suit :
« [S]ur la base des informations reçues selon lesquelles votre organisation fait l’objet d’une enquête pénale en Italie en raison d’une suspicion de fraude, nous considérons que l’exécution [de la convention de subvention TTD.EU] ne peut pas se poursuivre et doit être suspendue jusqu’à ce que la situation soit clarifiée. »
15 Le 22 mars 2022, la requérante a présenté ses observations en réponse à la lettre de préinformation. Elle a notamment fait valoir que, en tant que personne morale, elle n’était impliquée dans aucune procédure pénale et que l’enquête pénale mentionnée par la REA concernait deux de ses employés.
16 Par la lettre de confirmation de la suspension, la REA a confirmé vouloir suspendre la convention de subvention TTD.EU à compter du 8 mai 2022 et a rejeté les observations présentées par la requérante en indiquant, notamment, que la suspension de la convention de subvention TTD.EU était fondée sur l’article 33.2.1, sous a), de cette convention de subvention. En effet, selon la REA, les personnes physiques faisant l’objet de l’enquête pénale étaient habilitées à représenter la requérante ou à
prendre des décisions en son nom, ce qui, en application de l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU, justifiait la suspension de cette convention. Par ailleurs, à cet égard, la REA a précisé que, même si l’enquête pénale était toujours en cours et que, à l’époque, il n’y avait aucune preuve d’irrégularités ou de fraude, elle pouvait, afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, suspendre la convention de subvention TTD.EU en cas de soupçons de fraude comme cela
était indiqué dans ladite stipulation.
17 Par un courrier électronique daté du 6 mai 2022, la requérante a demandé la tenue d’une réunion à Bruxelles (Belgique) avec la REA afin de discuter de la lettre de confirmation de la suspension et de tenter de trouver un règlement amiable.
18 Le 24 mai 2022, dans le cadre de l’enquête de l’OLAF (voir point 12 ci-dessus), un contrôle sur place dans les locaux de la requérante, en Italie, a été effectué afin de vérifier si elle avait commis des irrégularités dans le cadre de projets financés par l’Union, parmi lesquels le projet faisant l’objet de la convention de subvention TTD.EU.
19 Le 25 mai 2022, la REA a suspendu l’échéance de paiement sur le fondement de l’article 31.1, sous c), de la convention de subvention TTD.EU, en raison d’un doute concernant l’éligibilité des coûts déclarés dans les comptes annuels, nécessitant des contrôles, revues, audits ou investigations supplémentaires.
20 Par un courrier électronique du 30 mai 2022, la REA a décliné la demande de réunion formulée par la requérante (voir point 17 ci-dessus), en raison du fait que, l’enquête de l’OLAF étant en cours, elle n’était pas en mesure de discuter de questions concrètes concernant la suspension de la convention de subvention TTD.EU ou l’enquête même de l’OLAF.
21 Le 12 juillet 2022, la requérante a introduit le présent recours.
Éléments factuels et procéduraux postérieurs à l’introduction du recours
22 Le 12 juillet 2022, le Parquet européen à Milan a demandé au juge des enquêtes préliminaires près le Tribunale di Verona (tribunal de Vérone, Italie) la saisie préventive de la somme de 2085810,96 euros à l’encontre de la requérante. Le 13 septembre 2022, le juge des enquêtes préliminaires près le Tribunale di Verona (tribunal de Vérone) a fait droit à cette demande et ordonné la saisie préventive de la somme de 2085810,96 euros à l’encontre de la requérante et, dans l’hypothèse où la saisie de
cette somme se révélerait impossible, la saisie de biens appartenant à la requérante, à concurrence de cette somme.
23 Par un courrier du 23 septembre 2022, la requérante a formulé auprès du Tribunale di Verona (tribunal de Vérone) une demande de réexamen de la saisie préventive ordonnée par ce même tribunal.
24 Le 2 février 2023, le procureur de la Corte dei conti (Cour des comptes, Italie) de la région de Lombardie (Italie) a demandé une saisie conservatoire des biens et des comptes bancaires de la requérante afin de protéger les fonds de l’Union dans le cadre de la convention de subvention NGA. Par l’ordonnance no 2/2023 du 13 février 2023, le juge de la Corte dei conti (Cour des comptes) de la région de Lombardie a autorisé la saisie pour un montant de 2,085 millions d’euros dans l’attente de la
confirmation ou de la modification de l’ordonnance, au terme d’une audience prévue le 16 mars 2023. La requérante ayant payé ledit montant, le 23 février 2023, l’ordonnance de saisie de la Corte dei conti (Cour des comptes) de la région de Lombardie a été levée et la procédure a été close.
25 Par une réponse à une mesure d’organisation de la procédure proposée par le Tribunal, les parties ont confirmé, lors de l’audience, que l’enquête de l’OLAF avait été close le 12 décembre 2022. À cet égard, les parties ont également précisé que, sur la base des conclusions de cette enquête, l’OLAF avait adressé à la REA des recommandations financières, dont la mise en œuvre, en ce qui concerne la convention de subvention TTD.EU, n’avait pas donné lieu, à la date de l’audience, à des mesures
d’exécution.
26 Le 10 septembre 2024, la REA a présenté une demande de non-lieu à statuer dans laquelle elle a informé le Tribunal du fait que la suspension de la convention de subvention TTD.EU avait été levée. Dans ce cadre, la REA a produit une lettre du 13 mai 2024, par laquelle elle avait informé la requérante du fait que, à la suite de l’analyse des conclusions de l’enquête de l’OLAF et du résultat récent de l’enquête pénale, la suspension de ladite convention de subvention pouvait être levée.
27 À la suite de la réouverture de la phase orale de la procédure, le 14 octobre 2024, la requérante a déposé ses observations sur la demande de non-lieu à statuer de la REA. Dans ces observations, tout en confirmant que la suspension de la convention de subvention TTD.EU avait été levée et que l’exécution de cette dernière avait repris, elle s’est opposée à ladite demande de non-lieu à statuer pour diverses raisons.
28 Premièrement, la requérante avance que la demande de non-lieu à statuer a été présentée par la REA très tardivement de sorte qu’elle doit être rejetée comme étant irrecevable.
29 Deuxièmement, la requérante fait valoir que, si la REA a « formellement » levé la suspension de la convention de subvention TTD.EU, elle fait désormais part d’« obstacles techniques » à sa mise en œuvre concrète. Par ailleurs, à cet égard, la requérante souligne que la « réactivation » formelle de la convention de subvention TTD.EU par la REA constitue une admission du caractère erroné de sa suspension initiale, et ce d’autant plus que toutes les circonstances de la présente affaire sont restées
inchangées depuis le début.
30 Troisièmement, la requérante avance que, au lieu de présenter une demande de non-lieu à statuer au Tribunal, la REA aurait pu la contacter pour discuter de la reprise de la convention de subvention TTD.EU et de ses implications pour la présente affaire. En agissant sans l’informer au préalable, la REA aurait fait preuve de mauvaise foi.
31 Quatrièmement, la requérante estime avoir un intérêt à ce que le Tribunal se prononce sur la demande indemnitaire et, partant, sur la question de savoir si la suspension initiale de la convention de subvention TTD.EU était ou non légitime. La reconnaissance par le Tribunal de l’illégalité de la suspension constituerait en soi un intérêt à agir et une forme essentielle de réparation sous la forme du rétablissement de la réputation de la requérante sur le marché du vin.
Conclusions des parties
32 La requérante conclut, en substance, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– constater l’invalidité de la décision de suspension de la convention de subvention TTD.EU, contenue dans la lettre de confirmation de la suspension ;
– ordonner à la REA de lever la suspension de la convention de subvention TTD.EU ;
– condamner la REA à lui verser la somme de 500000 euros au titre des dommages-intérêts ;
– constater que le recours conserve un objet ;
– condamner la REA aux dépens.
33 La REA conclut, en substance, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– constater qu’il n’y a plus lieu de statuer sur le recours ;
– à titre subsidiaire, rejeter le recours comme étant pour partie irrecevable et intégralement non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la clause compromissoire
34 L’article 41.2, premier alinéa, de la convention de subvention TTD.EU contient une clause compromissoire au sens de l’article 272 TFUE, attribuant au Tribunal et, sur pourvoi, à la Cour, une compétence exclusive pour connaître de tout litige concernant l’interprétation, l’application ou la validité de ladite convention qui ne peut être réglée à l’amiable.
Sur le droit applicable
35 Lorsqu’il est saisi dans le cadre d’une clause compromissoire en vertu de l’article 272 TFUE, le Tribunal doit trancher le litige sur la base du droit matériel applicable au contrat (voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 1986, Commission/Zoubek, 426/85, EU:C:1986:501, point 4).
36 En l’espèce, en vertu de la clause de droit applicable insérée à l’article 41.1 de la convention de subvention TTD.EU, le contrat est régi par le droit de l’Union applicable, complété si nécessaire par le droit belge.
37 Il s’ensuit que, ainsi que cela a été confirmé par les parties lors de l’audience, la convention de subvention TTD.EU est régie par les dispositions pertinentes du droit de l’Union, à savoir, notamment, le traité FUE et le règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE)
no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier »).
38 En outre, il convient de préciser que, lorsque les institutions, les organes ou les organismes de l’Union exécutent un contrat, ils restent soumis aux obligations qui leur incombent en vertu de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et des principes généraux du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 86). Ainsi, si les parties décident, dans leur contrat, au moyen d’une clause
compromissoire, d’attribuer au juge de l’Union la compétence pour connaître des litiges afférents à ce contrat, ce juge sera compétent, indépendamment du droit applicable stipulé dans ledit contrat, pour examiner d’éventuelles violations de la Charte et des principes généraux du droit de l’Union (arrêt du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 81).
39 De plus, afin de combler une lacune dans les stipulations contractuelles ou dans les dispositions pertinentes du droit de l’Union, la convention de subvention TTD.EU est régie par le droit national désigné dans la convention, à savoir, en l’espèce, le droit belge.
40 Ainsi, il importe de préciser les règles régissant l’exécution et l’interprétation des contrats en droit belge tel qu’il était en vigueur lors de la conclusion et de l’exécution de la convention de subvention TTD.EU.
41 L’article 1134 du code civil belge prévoit, en son premier alinéa, que les « conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites » et, en son deuxième alinéa, qu’elles ne « peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise ».
42 L’article 1134, troisième alinéa, du code civil belge prévoit en outre que les conventions doivent être exécutées de bonne foi. L’article 1135 du même code prévoit que « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ».
43 S’agissant de l’interprétation des contrats, l’article 1156 du code civil belge dispose qu’il y a lieu de « rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».
44 En outre, selon l’article 1157 du code civil belge, « lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet ».
45 Enfin, aux termes de l’article 1161 du code civil belge, « [t]outes les clauses des conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier » et, selon l’article 1162 du même code, qui consacre le principe de l’interprétation contra proferentem, « [d]ans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé, et en faveur de celui qui a contracté l’obligation ».
Sur le premier chef de conclusions, visant à ce que le Tribunal constate l’invalidité de la lettre de confirmation de la suspension de la convention de subvention TTD.EU
46 Au soutien de ce premier chef de conclusions, la requérante invoque quatre moyens, tirés respectivement :
– le premier, du caractère illégal de la lettre de confirmation de la suspension et de l’application erronée de l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU ;
– le deuxième, de la violation du principe de proportionnalité ;
– le troisième, du caractère illégal de la lettre de confirmation de la suspension et du défaut d’application de l’article 33.2.1, sous b), de la convention de subvention TTD.EU ;
– le quatrième, de la méconnaissance du principe de bonne administration visé à l’article 41 de la Charte et des principes généraux du droit de l’Union de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité, ainsi que de l’obligation de motivation visée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE.
47 Avant d’examiner lesdits moyens, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’intérêt à agir d’une partie requérante doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci sous peine d’irrecevabilité. Cet objet du litige doit perdurer, tout comme l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie
qui l’a intenté (voir arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42 et jurisprudence citée).
48 En l’espèce, la levée de la suspension de la convention de subvention TTD.EU (voir point 26 ci-dessus), qui, par ailleurs, n’équivaut pas à un retrait de la décision de suspendre cette convention, n’est pas de nature à donner satisfaction à la requérante, dans la mesure où, cette dernière, par son recours, vise à obtenir que le Tribunal tranche le litige qui l’oppose à la REA en ce qui concerne l’application de la convention de subvention TTD.EU et constate l’invalidité de la décision de
suspendre ladite convention. Plus précisément, étant donné que l’exécution de la convention de subvention TTD.EU a désormais vocation à se poursuivre, le recours est susceptible de procurer un bénéfice à la requérante en ce qu’il permet de clarifier l’interprétation de l’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU et d’éviter que la violation alléguée ne se reproduise à l’avenir.
49 Dès lors, il convient de rejeter la demande de non-lieu à statuer présentée par la REA en ce qui concerne le premier chef de conclusions.
50 Ainsi, il convient d’examiner d’abord, et de manière conjointe, les premier et troisième moyens, tirés du caractère illégal de la lettre de confirmation de la suspension, de l’application erronée de l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU et du défaut d’application de l’article 33.2.1, sous b), de la même convention de subvention.
51 Par les premier et troisième moyens, la requérante reproche, en substance, à la REA d’avoir violé l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU en ce que, premièrement, en tant que personne morale, elle n’était pas impliquée dans l’enquête pénale, laquelle concernait deux de ses employés, à savoir des personnes physiques, qui seraient, selon elle, dépourvus de pouvoir décisionnel. Deuxièmement, compte tenu du fait que, au moment de la suspension de la convention de
subvention TTD.EU, l’enquête pénale se trouvait encore au stade préliminaire, les deux personnes physiques concernées par l’enquête pénale ne pouvaient pas être qualifiées de « personnes soupçonnées d’avoir commis une fraude » au sens de l’article 33.2.1, sous a), i), de ladite convention de subvention. Troisièmement, les soupçons de fraude ne concernaient pas la convention de subvention TTD.EU, mais la convention de subvention NGA, de sorte que la REA aurait dû fonder la suspension de la
convention de subvention TTD.EU sur l’article 33.2.1, sous b), de celle-ci, qui correspondrait à l’article 202, paragraphe 2, du règlement financier, pour lequel, cependant, les conditions d’application ne seraient pas remplies en l’espèce.
52 Ce faisant, la REA aurait violé le principe de présomption d’innocence figurant à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte et commis une erreur manifeste d’appréciation des faits pertinents. Elle aurait également violé le principe de bonne foi dans l’exécution de la convention de subvention TTD.EU et les obligations d’information préalable et d’« alerte résultats » du droit belge, ce qui, par ailleurs, dans la perspective du droit de l’Union, constituerait une violation des principes de
protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. En effet, selon la requérante, lors de la réunion par visioconférence du 6 août 2021, la REA lui aurait indiqué que l’enquête pénale n’avait aucune incidence sur la convention de subvention TTD.EU qui, selon la REA, pouvait donc se poursuivre sans difficulté. Ensuite, la REA aurait décidé de modifier sa position de manière soudaine et inexpliquée, sans en avertir préalablement la requérante, et aurait directement transmis à cette
dernière la lettre de préinformation.
53 La REA conteste les arguments de la requérante.
54 En premier lieu, la REA avance que les deux employés de la requérante faisant l’objet de l’enquête pénale sont, en tant que président-directeur général et directeur financier de la requérante, habilités à représenter ou à prendre des décisions en son nom et que l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU prévoit la possibilité de suspendre ladite convention du fait de soupçons d’erreurs substantielles, irrégularités ou fraude à l’encontre de personnes physiques habilitées à
représenter ou à prendre des décisions au nom du bénéficiaire. Il en résulterait que les soupçons de fraude concernant les deux employés de la requérante justifiaient la suspension de ladite convention de subvention. Par ailleurs, à cet égard, la REA précise qu’il ressort des informations relatives à l’avis de clôture de la phase préliminaire de l’enquête pénale du 12 décembre 2022 que la requérante, en tant que personne morale, était également impliquée dans l’enquête pénale.
55 En deuxième lieu, la REA fait valoir que, contrairement à ce que soutient la requérante, elle a respecté la présomption d’innocence des employés faisant l’objet de l’enquête pénale, dans la mesure où elle les a considérés comme « suspects » et non comme « accusés » dans le cadre de cette enquête.
56 En effet, selon la REA, au regard du droit procédural pénal italien, il convient de faire une distinction entre la situation de « suspect » et celle d’« accusé ». En vertu de l’article 60 du code de procédure pénale italien, un suspect acquerrait le statut d’accusé lorsqu’une infraction lui est attribuée dans une demande de renvoi en jugement, après que le parquet a clos la phase d’enquête. Or, en l’espèce, les employés de la requérante visés par l’enquête pénale n’auraient pas été inculpés au
moment de l’introduction de la procédure de suspension et ils n’auraient pas été considérés comme des « accusés » au sens de l’article 60 du code de procédure pénale italien. La REA souligne qu’elle s’est en substance fondée sur le fait que les employés de la requérante en cause, en leur qualité de personnes physiques habilitées à représenter ou à prendre des décisions au nom de cette dernière, faisaient l’objet de l’enquête pénale en Italie et étaient formellement inscrites au registre des
infractions pénales le 7 juillet 2021, pour considérer que ces employés étaient soupçonnés de fraude au sens de l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU et, de ce fait, suspendre ladite convention de subvention.
57 En outre, la REA soutient que l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU vise à protéger les intérêts financiers de l’Union en permettant la suspension d’une convention octroyant des subventions à un bénéficiaire lorsque ce dernier a commis, ou est soupçonné d’avoir commis, une fraude. Cette disposition, qui se retrouverait dans l’ensemble des conventions de subvention types, mettrait en œuvre l’article 131, paragraphe 3, du règlement financier. La finalité de la mesure de
suspension prévue à l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU serait mise à mal si le principe de présomption d’innocence exigeait, comme le soutient la requérante, que la suspension ne puisse être mise en œuvre qu’une fois le prévenu déclaré coupable par une juridiction pénale.
58 Par ailleurs, dans la duplique, la REA souligne que l’interprétation défendue par la requérante, selon laquelle le projet faisant l’objet d’une suspension ne pourrait être que celui au sujet duquel des allégations d’irrégularité ou de fraude ont été formulées, n’est étayée ni par les règles applicables ni par la jurisprudence. Si l’enquête pénale fondée sur des soupçons de fraude concernait la convention de subvention NGA, la REA aurait considéré que les soupçons pouvaient également porter sur la
convention de subvention TTD.EU.
59 En troisième lieu, la REA réitère l’argument selon lequel, en suspendant la convention de subvention TTD.EU, elle n’a pas agi en fonction d’un postulat erroné en ce qu’il est établi que les deux employés de la requérante concernés par l’enquête pénale étaient soupçonnés de fraude au regard du droit pénal italien, tant au moment où elle a envoyé la lettre de préinformation qu’au moment où elle a envoyé la lettre de confirmation de la suspension.
60 En quatrième lieu, tout d’abord, la REA soutient avoir appliqué la convention de subvention TTD.EU dans le respect du principe de bonne foi garanti par les articles 1134 et 1156 du code civil belge. À cet égard, la REA souligne qu’elle a respecté l’article 33.2.2 de la convention de subvention TTD.EU, qui stipule que, lorsqu’elle a l’intention de suspendre la mise en œuvre de la convention, elle doit avertir formellement le bénéficiaire de son intention et de ses motivations et l’inviter à
formuler ses observations dans un délai de 30 jours à compter de la notification. La REA souligne qu’elle a rempli ses obligations contractuelles par l’envoi, le 23 février 2022, de la lettre de préinformation à la requérante, lui indiquant, de façon motivée, son intention de suspendre ladite convention et l’invitant à présenter ses observations dans le délai imparti.
61 Ensuite, la REA ajoute que s’il est effectivement exact que, en juillet 2021, la requérante l’avait informée de l’enquête pénale en cours en Italie conformément à son obligation de notification prévue à l’article 12 de la convention de subvention TTD.EU et que la responsable chargée de la convention de subvention TTD.EU au sein de la REA et la requérante avaient participé à une réunion par visioconférence, lors de cette réunion, la REA n’avait pas pris de position formelle sur les conséquences de
l’enquête pénale.
62 À cet égard, d’une part, dans la duplique, la REA souligne avoir envisagé de suspendre la convention de subvention TTD.EU à la lumière des éléments soulevés pendant l’enquête pénale. La REA précise que le fait qu’elle ait eu connaissance de l’enquête de l’OLAF au moment de la lettre de préinformation est sans importance, dans la mesure où elle est tenue au secret de ces enquêtes et dans la mesure où la lettre de préinformation ne fait pas référence à ladite enquête et ne s’y rapporte pas.
63 D’autre part, lors de l’audience et dans la lignée de ce qu’elle avait soutenu dans le mémoire en défense, la REA a soutenu que c’était après avoir été informée de l’ouverture de l’enquête de l’OLAF en janvier 2022, enquête qui aurait accru les soupçons de fraudes commises par la requérante, qu’elle avait envisagé de suspendre la convention de subvention TTD.EU.
64 En outre, la REA soutient que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, celle-ci n’a pas subi un préjudice grave du fait de l’envoi de la lettre de préinformation plusieurs mois après la réunion par visioconférence du 6 août 2021, dans la mesure où la requérante a eu le temps, entre l’envoi de la lettre de préinformation le 23 février 2022 et la prise d’effet de la suspension le 7 mai 2022, de préparer la suspension et d’élaborer un plan pour en atténuer les conséquences.
65 De plus, s’agissant de l’argument selon lequel la REA aurait refusé de rencontrer la requérante et d’examiner la question pendant la procédure de suspension et après l’adoption de la suspension, la REA rappelle également qu’elle n’était pas tenue, contrairement à ce qu’avance la requérante, de la rencontrer après le début de la procédure de suspension. De surcroît, la REA n’aurait pas le droit de s’entretenir avec le bénéficiaire d’une convention de subvention lorsqu’une enquête de l’OLAF
concernant ce bénéficiaire est en cours.
66 S’agissant de l’argument tiré de la prétendue violation du principe de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, la REA soulève l’irrecevabilité de cet argument et, à titre subsidiaire, considère que, contrairement à ce qu’allègue la requérante, elle a respecté lesdits principes.
67 Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel la suspension de la convention de subvention TTD.EU aurait dû être fondée sur l’article 33.2.1, sous b), de ladite convention, qui refléterait l’article 202, paragraphe 2, du règlement financier et pour lequel, cependant, les conditions d’application ne seraient pas remplies, la REA fait valoir que cet argument est sans objet dans la mesure où, en l’espèce, la convention de subvention TTD.EU a été suspendue en vertu de son article 33.2.1, sous a), qui
refléterait l’article 131 du règlement financier.
68 Les premier et troisième moyens posent, en substance, la question liminaire de savoir si, comme le soutient la requérante, en adoptant la décision de suspendre la convention de subvention TTD.EU, la REA a violé l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU.
69 Dès lors, il convient d’interpréter l’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU permettant à la REA de suspendre celle-ci.
70 L’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU dispose ce qui suit :
« L’agence peut suspendre la mise en œuvre de l’action ou d’une partie de celle-ci, si :
a) un bénéficiaire (ou toute personne physique habilitée à le représenter ou à prendre des décisions en son nom) a commis ou est soupçonné d’avoir commis :
i) des erreurs substantielles, des irrégularités ou une fraude, ou
ii) une violation grave des obligations découlant de la présente convention ou lors de la procédure d’attribution (y compris la mise en œuvre incorrecte de l’action, la présentation d’une fausse déclaration, la non-communication des informations requises, la violation des principes d’éthique) ou
b) un bénéficiaire (ou toute personne physique habilitée à le représenter ou à prendre des décisions en son nom) a commis – dans le cadre d’autres subventions de l’[Union] ou d’Euratom qui lui ont été attribuées dans des conditions similaires – des erreurs, des irrégularités, une fraude ou une violation grave des obligations, systémiques ou récurrentes, ayant une incidence significative sur la présente subvention (extension à la présente subvention des constatations faites dans le cadre d’autres
subventions – voir article 17.5.2). »
71 En l’espèce, il convient de constater que la suspension de la convention de subvention TTD.EU a été décidée par la REA en application de l’article 33.2.1, sous a), i), de cette dernière, en raison du fait que le président-directeur général et le directeur financier de la requérante faisaient l’objet de l’enquête pénale pour des soupçons de fraude liés à l’exécution d’une convention de subvention autre que la convention de subvention TTD.EU, à savoir la convention de subvention NGA.
72 En premier lieu, il ressort du libellé de l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU que la REA peut suspendre la mise en œuvre de cette convention, inter alia, pour cause de soupçons de fraude concernant tant la société bénéficiaire de ladite convention que « toute personne physique habilitée à [la] représenter ou à prendre des décisions en son nom ». Il en découle que, ainsi que le fait valoir à juste titre la REA, des soupçons de fraude concernant le président-directeur
général et le directeur financier de la requérante pourraient, en principe, justifier la suspension de la convention de subvention TTD.EU, dans la mesure où le président-directeur général et le directeur financier sont, comme dans le cas d’espèce, habilités à représenter ou à prendre des décisions au nom de la requérante.
73 En effet, en dépit des tentatives de la requérante de faire apparaître son président-directeur général et son directeur financier comme de simples employés dépourvus de pouvoir décisionnel, il ressort du dossier que c’est le directeur financier de la requérante qui a signé tant la convention de subvention TTD.EU que la convention de subvention NGA au nom de celle-ci et c’est le président-directeur général de la requérante qui a signé, au nom de cette dernière, la lettre d’attribution préalable du
19 mars 2021, par laquelle Ópera Business Dreams s’est vu attribuer le contrat pour la mise en œuvre des actions liées à la convention de subvention TTD.EU.
74 En second lieu, il découle du libellé de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU qu’il suffit que le bénéficiaire (ou toute personne physique habilitée à le représenter ou à prendre des décisions en son nom) ait commis ou soit « soupçonné d’avoir commis » une erreur substantielle, une irrégularité ou une fraude pour que la convention de subvention puisse être suspendue. Il s’ensuit que l’existence même de la fraude ou la preuve de cette dernière n’est pas exigée pour
que la REA puisse procéder à la suspension de la convention de subvention TTD.EU (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2013, ANKO/Commission, T‑118/12, non publié, EU:T:2013:641, point 46).
75 Or, en l’espèce, il convient de déterminer si la REA pouvait qualifier le président-directeur général et le directeur financier de la requérante de « personnes soupçonnées d’avoir commis une fraude » au sens de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU au motif qu’ils faisaient l’objet de l’enquête pénale, compte tenu notamment du fait que, en l’espèce, au moment de l’envoi de la lettre de confirmation de la suspension, l’enquête pénale se trouvait encore à un stade
préliminaire.
76 À ce sujet, la requérante avance que, afin d’interpréter la notion de « personne soupçonnée d’avoir commis une fraude » au sens de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU, la REA aurait dû tenir compte de la manière dont cette notion était appliquée en droit pénal italien et, ainsi, conclure que les personnes en cause ne pouvaient pas être considérées, du fait de l’enquête pénale, comme des « suspects » selon le droit italien. En effet, d’après la requérante,
l’enquête pénale étant une enquête préliminaire toujours pendante et n’ayant pas encore été close par une décision de renvoi de l’affaire devant le juge compétent en vue d’une mise en examen, la REA ne pouvait pas qualifier les personnes en cause de personnes soupçonnées d’avoir commis une fraude. À ce titre, la requérante souligne que, selon l’article 60 du code de procédure pénale italien, ce n’est que lorsque le bureau du procureur a clos l’enquête préliminaire et a décidé de demander une mise
en examen que l’intéressé peut être formellement considéré comme « mis en examen » et, partant, « soupçonné d’avoir commis une fraude ».
77 À cet égard, il convient de relever que l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU se réfère de manière générale aux soupçons d’avoir commis des « erreurs substantielles, des irrégularités ou une fraude », sans préciser l’origine ou la source de tels soupçons. Ainsi, l’existence d’une enquête pénale fondée sur des soupçons de fraude menée à l’égard des deux personnes physiques habilitées à représenter la requérante ou à prendre des décisions en son nom peut constituer
une source de « soupçons de fraude » au sens de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU.
78 Par ailleurs, sans se prononcer sur la pertinence et sur la portée de l’article 60 du code de procédure pénale italien afin d’interpréter les stipulations de la convention de subvention TTD.EU, cette constatation ne saurait être remise en cause par le fait que, au moment de la suspension de la convention de subvention TTD.EU, ladite enquête pénale se trouvait, selon l’interprétation du droit pénal italien invoquée par la requérante, à un stade préliminaire.
79 Cela ayant été précisé, il convient de déterminer si, en l’espèce, la REA pouvait suspendre la convention de subvention TTD.EU en vertu de son article 33.2.1, sous a), i), malgré le fait que les soupçons de fraude à la charge du président-directeur général et du directeur financier de la requérante découlaient de l’enquête pénale qui concernait une convention de subvention autre que la convention de subvention TTD.EU, à savoir la convention de subvention NGA.
80 Sur ce point, les parties s’opposent quant à l’interprétation de l’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU et, notamment, quant à la différence entre le point a) et le point b) de cet article.
81 En effet, interrogée à ce sujet lors de l’audience, la REA a fait valoir, en substance, que si l’article 33.2.1, sous b), de la convention de subvention TTD.EU justifiait la suspension de la convention TTD.EU lorsqu’il était constaté qu’une fraude avait été « commise » dans le cadre d’autres conventions, l’article 33.2.1, sous a), i), admettait la possibilité de suspendre la convention de subvention TTD.EU en présence de simples « soupçons de fraude ». En outre, selon la REA, étant donné que le
libellé de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU ne comporte aucune référence à cette convention, des soupçons de fraude relatifs à l’exécution d’autres conventions de subvention pourraient être qualifiés de soupçons de fraude pouvant valablement justifier la suspension de la convention de subvention TTD.EU au sens de cette disposition. En effet, si le rédacteur de cette convention avait voulu limiter la possibilité de suspendre celle-ci aux seules hypothèses de
soupçons de fraude liés à la convention de subvention TTD.EU, il l’aurait précisé, comme il l’a fait à l’article 33.2.1, sous a), ii), de cette dernière.
82 En revanche, selon la requérante, l’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU doit être interprété dans le sens que le point a) justifie la suspension de la convention de subvention TTD.EU uniquement en présence de soupçons de fraude liés à l’exécution de cette même convention, tandis que le point b) admet que la convention de subvention TTD.EU puisse être suspendue dans l’hypothèse où une fraude a été commise dans le cadre d’autres conventions. Par ailleurs, à cet égard, elle souligne
que, si l’interprétation préconisée par la REA était valable, il n’y aurait pas de différence entre le point a) et le point b) de l’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU.
83 À cet égard, s’agissant de l’interprétation de l’article 33.2.1 de la convention de subvention TTD.EU, il convient de rappeler que, conformément à l’article 1156 du code civil belge, dans l’interprétation d’une convention, il convient de « rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».
84 En outre, il convient de souligner que, selon l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU, la REA peut suspendre cette convention de subvention tant si le bénéficiaire « a commis » une fraude que si le bénéficiaire est « soupçonné d’avoir commis » une fraude.
85 Certes, ainsi que la REA l’observe, le libellé de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU ne comporte aucune référence à cette convention, de sorte que des soupçons de fraude relatifs à l’exécution d’une autre convention pourraient justifier la suspension de la convention TTD.EU.
86 Cependant, il convient de souligner, d’une part, que l’article 33.2.1, sous a), ii), de la convention de subvention TTD.EU comporte une référence à cette convention et, d’autre part, que, selon l’article 33.2.1, sous b), la REA peut suspendre la convention de subvention TTD.EU si le bénéficiaire de celle-ci a « commis – dans le cadre d’autres subventions de l’[Union] ou d’Euratom qui lui ont été attribuées dans des conditions similaires – […] une fraude ».
87 Ainsi, conformément à l’article 1161 du code civil belge, selon lequel « toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier », une lecture d’ensemble de l’article 33.2.1, sous a), i) et ii), de la convention de subvention TTD.EU et de l’article 33.2.1, sous b), de cette même convention permet de tirer la conclusion selon laquelle l’article 33.2.1, sous a), i), justifie la suspension de la convention de subvention
TTD.EU quand le bénéficiaire (ou toute personne physique habilitée à le représenter ou à prendre des décisions en son nom) a commis ou est soupçonné d’avoir commis une fraude dans le cadre de l’exécution de cette convention. En revanche, l’article 33.2.1, sous b), permet de suspendre la convention de subvention TTD.EU lorsque le bénéficiaire (ou toute personne physique habilitée à le représenter ou à prendre des décisions en son nom) a commis une fraude dans l’exécution d’une autre convention, à
condition de prouver que ladite fraude a une incidence significative sur la convention de subvention TTD.EU.
88 À cet égard, d’une part, il convient de souligner que, conformément à l’article 1157 du code civil belge (voir point 44 ci-dessus), cette interprétation permet de reconnaître à l’article 33.2.1, sous b), de la convention de subvention TTD.EU un effet utile.
89 En effet, ainsi que la requérante le fait valoir à juste titre, l’interprétation de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU, telle que proposée par la REA (voir point 81 ci-dessus), finit par priver de sens la stipulation prévue à l’article 33.2.1, sous b), de la même convention, étant donné que l’hypothèse de la suspension de la convention TTD.EU au motif d’une fraude commise dans une autre convention de subvention pourrait – selon l’interprétation de la REA – être
déjà prévue en vertu de l’article 33.2.1, sous a), de sorte qu’il n’aurait pas été nécessaire de prévoir le point b) de cette disposition.
90 D’autre part, cette interprétation est conforme au principe de l’interprétation contra proferentem consacré à l’article 1162 du code civil belge, selon lequel, « dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation ». Par conséquent, l’article 33.2.1, sous a), de la convention de subvention TTD.EU doit être interprété contre la REA, qui l’a stipulé, et en faveur de la requérante, qui l’a contracté.
91 Partant, il y a lieu de constater que de simples soupçons de fraude concernant l’exécution d’une convention de subvention autre que la convention de subvention TTD.EU à laquelle la requérante a participé ne peuvent pas être qualifiés de soupçons de fraude au sens de l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de subvention TTD.EU pouvant justifier la suspension de cette convention.
92 Par ailleurs, ainsi que cela a été souligné au point 87 ci-dessus, une fraude concernant l’exécution d’une convention de subvention autre que la convention de subvention TTD.EU aurait pu justifier la suspension de cette dernière, si les conditions envisagées à l’article 33.2.1, sous b), de celle-ci, à savoir la commission d’une fraude ayant une incidence significative sur la convention de subvention TTD.EU, étaient remplies, ce qui n’a pas été le cas en l’espèce. En effet, la REA n’ayant pas
fondé la décision de suspendre la convention de subvention TTD.EU sur l’article 33.2.1, sous b), de celle-ci au motif que la commission d’une fraude n’était pas établie, elle n’a pas examiné si la seconde condition était remplie en l’espèce, à savoir si cette fraude avait une incidence significative sur la convention de subvention TTD.EU.
93 Cette conclusion ne saurait être remise en cause par les autres arguments avancés par la REA.
94 Premièrement, s’agissant de l’argument selon lequel, en substance, la REA aurait décidé de suspendre la convention de subvention TTD.EU après avoir été informée de l’ouverture de l’enquête de l’OLAF, laquelle portait sur un certain nombre de conventions de subvention signées par la requérante, y compris la convention de subvention TTD.EU, il convient de relever, d’emblée, que cet argument est contredit par le fait, reconnu par la REA elle-même dans la duplique (voir point 62 ci-dessus), que tant
la lettre de préinformation que la lettre de confirmation de la suspension motivent la suspension de la convention de subvention TTD.EU uniquement en raison de l’enquête pénale engagée à l’égard du président-directeur général et du directeur financier de la requérante. Aucune référence n’est faite, dans les deux documents, à l’enquête de l’OLAF.
95 Par ailleurs, à cet égard, il convient de souligner que la note du 13 janvier 2022, par laquelle l’OLAF a informé la REA de l’ouverture de son enquête, n’envisageait pas la suspension de la convention de subvention TTD.EU en tant que mesure administrative préventive (voir point 12 ci-dessus).
96 Ainsi, les éléments du dossier (voir point 94 ci-dessus) permettent de considérer que la suspension de la convention de subvention TTD.EU était uniquement motivée par l’enquête pénale relative aux soupçons de fraude dans l’exécution de la convention de subvention NGA.
97 Certes, la REA, à l’instar de toute institution, tout organe et tout organisme de l’Union, est tenue, conformément à l’article 10, paragraphe 3, du règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’OLAF et abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), d’assurer le respect de la confidentialité des enquêtes
effectuées par l’OLAF.
98 Cependant, il ressort de la jurisprudence que la règle de confidentialité des enquêtes de l’OLAF posée à l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 883/2013 est à interpréter dans son contexte et, notamment, à la lumière du considérant 12 de ce règlement, qui dispose que les enquêtes de l’OLAF doivent être conduites dans le plein respect des libertés fondamentales (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2019, Dalli/Commission, T‑399/17, non publié, EU:T:2019:384, point 169).
99 Or, à cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 33.2.2 de la convention de subvention TTD.EU, « [a]vant de suspendre la mise en œuvre de [la convention de subvention TTD.EU], l’agence avise formellement le coordinateur ou le bénéficiaire concerné [,] l’informant de son intention de suspendre la mise en œuvre et de ses motivations et l’invitant à présenter ses observations dans un délai de 30 jours à compter de la réception de la notification ».
100 Partant, si, en vertu de l’article 10, paragraphe 3, du règlement no 883/2013, la REA avait l’obligation d’assurer le respect de la confidentialité de l’enquête de l’OLAF, elle était également tenue, conformément à l’article 33.2.2 de la convention de subvention TTD.EU de respecter l’obligation de motivation de la décision de suspension de ladite convention, afin de permettre à la requérante de se défendre.
101 Dès lors, dans ce contexte et compte tenu des éléments du dossier (voir point 94 ci-dessus), l’obligation de confidentialité au regard de l’enquête de l’OLAF, qui par ailleurs a été évoquée par la REA de manière générique après le dépôt de la requête ne saurait convaincre du fait que la suspension de la convention de subvention TTD.EU a été motivée par des soupçons de fraude concernant l’exécution de cette même convention et non de la convention de subvention NGA.
102 Deuxièmement, s’agissant de l’argument selon lequel, en suspendant la convention de subvention TTD.EU, la REA aurait agi dans un souci de prudence, afin de protéger les intérêts financiers de l’Union, il convient de relever que l’obligation de bonne gestion financière des ressources de l’Union qui pèse sur la REA en tant qu’agence en vertu de l’article 317 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 février 2024, Greenspider/Eismea, T‑733/21, non publié, EU:T:2024:104, point 39), ne saurait l’autoriser
à suspendre la convention de subvention TTD.EU en violation de son article 33.2.1, sous a), i).
103 Ainsi, il y a lieu de considérer que, en décidant de suspendre la convention de subvention TTD.EU en raison du fait que le président-directeur général et le directeur financier de la requérante, à savoir deux personnes physiques habilitées à représenter ou à prendre des décisions au nom de la requérante, étaient soupçonnés de fraude dans le cadre d’une convention de subvention autre que la convention de subvention TTD.EU, la REA a violé l’article 33.2.1, sous a), i), de la convention de
subvention TTD.EU.
104 Dès lors, au regard de tout ce qui précède, il convient d’accueillir les premier et troisième moyens avancés à l’appui du premier chef de conclusions, sans qu’il soit nécessaire de se prononcer sur les autres arguments avancés par la requérante au soutien de ces moyens, ni sur les autres moyens avancés au soutien de ce chef de conclusions.
Sur le deuxième chef de conclusions, visant à ce que le Tribunal ordonne à la REA de lever la suspension de la convention de subvention TTD.EU
105 S’agissant du deuxième chef de conclusions, il convient de rappeler que, par une lettre du 10 septembre 2024, la REA a informé le Tribunal du fait que la suspension de la convention de subvention TTD.EU avait été levée et qu’elle avait convenu avec la requérante de reprendre l’exécution de celle-ci, ce que la requérante a confirmé (voir points 26 et 27 ci-dessus). Partant, il n’y a plus lieu de statuer sur le deuxième chef de conclusions.
Sur le troisième chef de conclusions, tendant à ce que la REA soit condamnée à verser à la requérante la somme de 500000 euros au titre des dommages-intérêts
106 La requérante estime avoir subi un préjudice économique grave en raison de la suspension de la convention de subvention TTD.EU et réclame des dommages-intérêts à la REA, à hauteur de 500000 euros, montant qui, selon elle, pourrait être précisé davantage au cours de la procédure.
107 La requérante souligne, sur la base du rapport d’un expert qu’elle a mandaté (ci-après le « rapport de l’expert mandaté »), que la suspension de la convention de subvention TTD.EU pourrait avoir un impact économique négatif sur son exécution, dans l’hypothèse où celle-ci reprendrait. En effet, selon la requérante, bien que les objectifs et le budget de la convention de subvention TTD.EU restent inchangés, le contexte économique et géopolitique international, caractérisé notamment par
l’augmentation des prix des matières premières et de l’énergie et par des difficultés pour le transport et la logistique, entraînera probablement une révision des devis qu’elle a obtenus en janvier 2022 pour les foires, les ateliers, les conférences et les autres manifestations, ce qui l’obligerait à exécuter les activités de manière nettement réduite par rapport à ce qui était initialement envisagé, à renoncer à l’exécution de certaines activités et, en dernier ressort, à renoncer à l’exécution
de l’ensemble de la convention de subvention TTD.EU.
108 En outre, après avoir souligné être un acteur professionnel reconnu dans le domaine du vin, au niveau tant national que mondial et de l’Union, la requérante fait valoir que la suspension hâtive de la convention de subvention TTD.EU porte atteinte à sa réputation et à son image en termes de fiabilité commerciale, de crédibilité, d’équité et de bonne foi dans ses relations avec les partenaires.
109 Par ailleurs, selon la requérante, le préjudice subi est certain étant donné que l’évaluation des conséquences négatives susceptibles de découler de la suspension de la convention de subvention TTD.EU a été détaillée dans la requête.
110 En outre, contrairement à ce qu’affirme la REA, la requérante considère qu’il existe un lien de causalité entre les préjudices subis et le comportement de la REA dans la mesure où, sans la suspension de la convention de subvention TTD.EU, elle n’aurait subi aucun dommage.
111 La REA conteste ces arguments et considère que la demande indemnitaire au titre du préjudice matériel et moral est manifestement dénuée de fondement.
112 D’emblée, il convient de souligner que, si, certes, la suspension de la convention de subvention TTD.EU a été levée (voir point 26 ci-dessus), la reprise de son exécution ne permet pas à la requérante d’obtenir un résultat équivalant à celui qu’elle recherche par la présentation de la demande indemnitaire tendant à la réparation du préjudice qu’elle estime avoir subi du fait de la suspension de ladite convention de subvention.
113 Ainsi, il y a encore lieu de statuer sur la demande indemnitaire de la requérante.
114 À titre liminaire, il convient de relever que la demande indemnitaire de la requérante est de nature exclusivement contractuelle.
115 Ainsi, il convient de rappeler que, conformément à l’article 340, premier alinéa, TFUE, la responsabilité contractuelle de l’Union est régie par la loi applicable au contrat en cause, qui, en l’espèce, ainsi qu’il a été déjà constaté au point 36 ci-dessus, est le droit de l’Union applicable complété, si nécessaire, par le droit belge.
116 Il s’ensuit que, ainsi que cela a été relevé aux points 37 et 38 ci-dessus, la convention de subvention TTD.EU est régie par les dispositions pertinentes du droit de l’Union, à savoir en l’espèce le traité FUE, la Charte et le règlement financier et, pour combler une lacune dans les stipulations contractuelles ou dans les dispositions pertinentes du droit de l’Union, par le droit national désigné dans la convention, à savoir en l’espèce le droit belge.
117 Ainsi, dans ce contexte, en l’absence de dispositions pertinentes du droit de l’Union, il convient de rappeler les conditions d’engagement de la responsabilité contractuelle en droit belge en vigueur lors de la conclusion et de l’exécution de la convention de subvention TTD.EU.
118 En premier lieu, l’article 1142 du code civil belge, qui s’insère dans le titre III du livre III, intitulé « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général », dispose que « [t]oute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ».
119 En second lieu, selon l’article 1147 du code civil belge, « [l]e débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
120 Il résulte de ces dispositions que le fait qui fonde la responsabilité contractuelle, selon le code civil belge, est l’inexécution, totale ou partielle, du contrat, imputable à l’un des cocontractants. Pour obtenir réparation des dommages subis du fait de l’inexécution d’un contrat, que ceux-ci aient un caractère patrimonial ou non, il incombe au demandeur en réparation d’établir l’existence d’un lien de causalité entre l’inexécution des obligations contractuelles et le dommage tel qu’il s’est
réalisé (voir arrêt du 4 mai 2017, Meta Group/Commission, T‑744/14, non publié, EU:T:2017:304, point 270 et jurisprudence citée).
121 Ainsi que le souligne la REA, sans par ailleurs être contredite par la requérante, trois conditions doivent être réunies dans ce cadre pour qu’un dommage d’origine contractuelle soit indemnisé, à savoir l’inexécution du contrat, un préjudice et un lien de causalité entre l’inexécution et le préjudice (voir arrêt du 4 mai 2017, Meta Group/Commission, T‑744/14, non publié, EU:T:2017:304, point 271 et jurisprudence citée).
122 S’agissant de la première condition, il convient de constater que, ainsi que cela ressort de l’examen du premier chef de conclusions, la REA a décidé de suspendre la convention de subvention TTD.EU en violation de l’article 33.2.1, sous a), i), de celle-ci.
123 Dès lors, les trois conditions mentionnées au point 121 ci-dessus étant cumulatives (arrêt du 11 juin 2015, EMA/Commission, C‑100/14 P, non publié, EU:C:2015:382, point 100), il convient d’examiner si les autres conditions mentionnées au point 121 ci-dessus sont remplies.
124 S’agissant de la deuxième condition, la requérante demande à être indemnisée tant d’un préjudice matériel que d’un préjudice moral.
125 En particulier, en ce qui concerne le préjudice matériel, la requérante demande à être indemnisée des conséquences économiques négatives qui, selon elle, découlent de la suspension de la convention de subvention TTD.EU (voir point 107 ci-dessus).
126 Or, si, certes, il est vraisemblable que, à la suite de la suspension de la convention de subvention TTD.EU, la requérante ait probablement dû suspendre ou annuler certaines foires, ateliers, conférences et autres manifestations, programmés en vue de l’exécution de la convention de subvention TTD.EU, elle ne prouve pas que les préjudices matériels qu’elle allègue se sont réellement concrétisés en l’espèce.
127 À cet égard, il convient de souligner que la requérante produit le rapport de l’expert mandaté rédigé le 7 juillet 2022.
128 Cependant, le rapport de l’expert mandaté précise que, à la date de sa rédaction, « aucune réelle perte financière ou avance ne s’[était] concrétisée : à titre d’exemple, aucune avance n’a[vait] été versée [...], aucune pénalité n’a[vait] été payée et aucun acompte n’a[vait] été liquidé ». Pour cette raison, le rapport de l’expert mandaté se borne à illustrer les « risques économiques, financiers, patrimoniaux et non patrimoniaux potentiels auxquels la requérante pourrait faire face à la suite
de la suspension ».
129 Ainsi, le rapport de l’expert mandaté souligne à titre d’exemple que Prodeca, bénéficiaire espagnol, « s’est retrouvé dans la situation de devoir renoncer à participer au salon de l’alimentation et des boissons (China Food & Drinks Fair) de Chengdu, en Chine, initialement prévu en mars, puis reporté à avril, puis ultérieurement reporté à juillet-août 2022 », alors qu’il avait « déjà confirmé l’événement début février 2022 et qu’il avait versé à l’organisme organisateur de l’événement une avance
de 33500 euros pour réserver la zone où serait installé le stand de 85 mètres carrés ». Cependant, si la requérante produit certes un projet de devis pour prouver que l’avance de 33500 euros devait être payée pour réserver la zone où serait installé le stand de 85 mètres carrés, elle n’apporte aucun élément de preuve visant à démontrer que ce montant a été effectivement payé.
130 En outre, le rapport de l’expert mandaté énumère toute une série de salons professionnels prévus, qui auraient été annulés ou suspendus par la suite. Cependant, s’agissant notamment de la manifestation intitulée « ProWine Shangai », le rapport de l’expert mandaté se borne à fournir une estimation des coûts potentiels sans produire de document prouvant que lesdits coûts ont été réellement engagés. De même, la preuve des coûts purement indicatifs estimés pour la participation de la requérante aux
autres événements annulés mentionnés dans le rapport de l’expert mandaté tels que « WineTo Asia Shenzhen », « Bellavita Chicago Expo », « Summer Fancy Food edition » et « Texom in Dallas » est apportée par des brochures ou des plannings des activités qui ne comportent pas de factures prouvant que lesdits coûts ont été effectivement supportés.
131 Enfin, s’agissant de la liste des ateliers, des événements de commerce électronique interentreprises, des séminaires, des formations et des salons professionnels à venir figurant dans le rapport de l’expert mandaté, il convient d’observer qu’il s’agit d’une simple liste d’événements, parmi lesquels, par ailleurs, un certain nombre s’est déroulé avant la date de prise d’effet de la suspension, qui n’est pas accompagnée d’une estimation, même indicative, des coûts.
132 Par ailleurs, interrogée à cet égard lors de l’audience, après avoir précisé que le préjudice matériel qu’elle invoquait devait être regardé comme un préjudice actuel et déjà produit, la requérante n’a pas été en mesure d’indiquer quels documents du dossier permettaient de prouver le préjudice matériel allégué et, notamment, les coûts qu’elle avait prétendument dû supporter à cause de la suspension de la convention de subvention TTD.EU.
133 Partant, il convient de constater que la requérante ne prouve pas que le préjudice matériel qu’elle prétend avoir subi du fait de la suspension de la convention de subvention TTD.EU s’était réellement concrétisé au moment du dépôt de la requête. Ainsi que la REA le fait valoir, elle fonde ses prétentions sur de simples projections, ce qui par ailleurs est confirmé par le fait que la requérante ne précise pas exactement le montant du préjudice matériel pour lequel elle demande à être indemnisée.
134 En ce qui concerne le préjudice moral, la requérante demande à être indemnisée d’une prétendue atteinte à la réputation et à l’image qui, selon elle, découlerait de la suspension de la convention de subvention TTD.EU. Cependant, elle n’apporte aucune preuve visant à étayer un tel préjudice.
135 Enfin et à titre subsidiaire, s’agissant de la troisième condition, tenant à l’existence d’une responsabilité contractuelle, il convient de constater que la requérante ne prouve pas de manière certaine un lien de causalité entre le comportement reproché à la REA et les préjudices prétendument subis.
136 En effet, s’agissant du préjudice matériel invoqué, même à supposer qu’un tel préjudice soit établi (voir point 133 ci-dessus), il ressort du rapport de l’expert mandaté que, « en raison de la pandémie de COVID-19 et de la suspension des activités qui en a résulté, […] le programme a dû, depuis sa création, faire continuellement face aux nouveaux besoins du marché et aux difficultés objectives de mise en œuvre des activités, en raison de la nécessité continue d’annulations et de reports
d’événements ». Dès lors, il ne saurait être exclu qu’au moins une partie des coûts supplémentaires que la requérante affirme devoir supporter en raison de la suspension de la convention de subvention TTD.EU soient en réalité liés à la pandémie de COVID-19.
137 S’agissant du préjudice moral, à supposer qu’un tel dommage soit établi (voir point 134 ci-dessus), il ne saurait être exclu qu’il puisse être lié à l’enquête pénale et non à la suspension de la convention de subvention TTD.EU.
138 Partant, eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le troisième chef de conclusions.
Sur les dépens
139 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La REA ayant succombé pour l’essentiel de ses conclusions, il convient de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (dixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) La décision de l’Agence exécutive européenne pour la recherche (REA) de suspendre la convention de subvention no 874904 concernant le projet intitulé « European Quality Wines : Taste the Difference – TTD.EU » contenue dans la lettre de la REA du 2 mai 2022 est invalide.
2) Il n’y a plus lieu de statuer sur le deuxième chef de conclusions tendant à ce que soit enjoint à la REA de lever la suspension de la convention de subvention no 874904 concernant le projet intitulé « European Quality Wines : Taste the Difference – TTD.EU ».
3) Le recours est rejeté pour le surplus.
4) La REA est condamnée aux dépens.
Porchia
Jaeger
Madise
Nihoul
Verschuur
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 décembre 2024.
Signatures
Table des matières
Antécédents du litige
Éléments factuels et procéduraux postérieurs à l’introduction du recours
Conclusions des parties
En droit
Sur la clause compromissoire
Sur le droit applicable
Sur le premier chef de conclusions, visant à ce que le Tribunal constate l’invalidité de la lettre de confirmation de la suspension de la convention de subvention TTD.EU
Sur le deuxième chef de conclusions, visant à ce que le Tribunal ordonne à la REA de lever la suspension de la convention de subvention TTD.EU
Sur le troisième chef de conclusions, tendant à ce que la REA soit condamnée à verser à la requérante la somme de 500000 euros au titre des dommages-intérêts
Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.