ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
27 novembre 2024 ( *1 )
« Énergie – Marché intérieur du gaz naturel – Directive (UE) 2019/692 – Modification de la directive 2009/73/CE – Sécurité juridique – Égalité de traitement – Proportionnalité – Détournement de pouvoir – Irrégularités procédurales »
Dans l’affaire T‑526/19 RENV,
Nord Stream 2 AG, établie à Steinhausen (Suisse), représentée par Mes T. Winter et K. Hobér, avocats,
partie requérante,
contre
Parlement européen, représenté par MM. A. Tamás, O. Denkov et J. Etienne, en qualité d’agents,
et
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes K. Pavlaki, L. Vétillard et A. Jensen, en qualité d’agents,
parties défenderesses,
soutenus par
République d’Estonie, représentée par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,
par
République de Lettonie, représentée par Mme K. Pommere, en qualité d’agent,
par
République de Lituanie, représentée par MM. K. Dieninis, R. Dzikovič, S. Grigonis et Mme V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents,
par
République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, Mmes K. Rudzińska, S. Żyrek et M. M. Rzotkiewicz, en qualité d’agents,
et par
Commission européenne, représentée par Mme O. Beynet et M. B. De Meester, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),
composé de MM. M. van der Woude, président, J. Svenningsen (rapporteur), C. Mac Eochaidh, J. Martín y Pérez de Nanclares et Mme M. Stancu, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’arrêt de la Cour du 12 juillet 2022,
à la suite de l’audience du 11 avril 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Nord Stream 2 AG, demande l’annulation de la directive (UE) 2019/692 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2019, modifiant la directive 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel (JO 2019, L 117, p. 1, ci-après la « directive attaquée »).
I. Antécédents du litige
A. Directive 2009/73
2 La directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94), s’inscrit dans un cadre réglementaire plus large dénommé « troisième paquet “Énergie” ». La directive 2009/73 vise à instaurer des règles communes en matière de transport, de distribution, de fourniture et de stockage de gaz naturel afin de permettre un accès au marché et de favoriser
une concurrence équitable et non discriminatoire.
3 La directive 2009/73 prévoit plusieurs obligations pour atteindre cet objectif. À cet égard, notamment, ladite directive prévoit à son article 9 l’obligation de dissocier les réseaux de transport et les gestionnaires des réseaux de transport et instaure à son article 32 un système d’accès des tiers aux réseaux de transport et de distribution ainsi qu’aux installations de gaz naturel liquéfié (GNL) fondé sur des tarifs publiés, qui doit être appliqué objectivement et sans discrimination entre les
utilisateurs du réseau (ci-après, prises ensemble, les « obligations prévues par la directive 2009/73 »).
4 L’article 36 de la directive 2009/73 prévoit, en substance, que les nouvelles grandes infrastructures gazières, à savoir les interconnexions, les installations de GNL ou de stockage, peuvent, sur demande, bénéficier pendant une durée déterminée d’une exemption aux obligations prévues par ladite directive, dans les conditions énoncées au paragraphe 1 dudit article.
B. Requérante
5 La requérante est une société de droit suisse dont l’actionnaire unique est la société publique russe par actions (PJSC) Gazprom. Elle a été chargée de la planification, de la construction et de l’exploitation du gazoduc Nord Stream 2.
6 À l’instar du gazoduc Nord Stream 1, qui se compose d’un réseau de deux conduites dont la construction a été achevée en 2012 et dont la capacité est de 55 milliards de mètres cubes par an, le gazoduc Nord Stream 2, également composé de deux conduites de transport de gaz qui traversent la mer Baltique, a pour but d’assurer l’acheminement du gaz entre Oust-Louga (Russie) et Lubmin (Allemagne), portant la capacité globale de transport des deux gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 à 110 milliards
de mètres cubes par an. À partir de Lubmin, le gaz acheminé par le gazoduc Nord Stream 2 doit être transporté par des gazoducs terrestres.
C. Directive attaquée
7 Le 8 novembre 2017, la Commission européenne a présenté une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil, modifiant la directive 2009/73 concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel [COM(2017) 660 final, ci‑après la « proposition de directive »].
8 Le 17 avril 2019, le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne ont adopté la directive attaquée, laquelle est entrée en vigueur le vingtième jour suivant sa publication au Journal officiel, soit le 23 mai 2019.
9 L’article 2, point 17, de la directive 2009/73, tel que remplacé par l’article 1er, point 1, de la directive attaquée, prévoit que la notion d’« interconnexion » couvre non seulement toute conduite de transport qui traverse ou franchit la frontière entre deux États membres afin de relier le réseau de transport national de ces États membres, mais également, désormais, toute conduite de transport entre un État membre et un pays tiers jusqu’au territoire des États membres ou jusqu’à la mer
territoriale dudit État membre (ci-après le « gazoduc entre un État membre et un pays tiers »).
10 Cependant, en ce qui concerne les gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant le 23 mai 2019, l’article 49 bis, paragraphe 1, de la directive 2009/73, tel qu’inséré par l’article 1er, point 9, de la directive attaquée, prévoit que l’État membre sur le territoire duquel est situé le premier point de connexion d’un tel gazoduc au réseau de cet État membre peut décider de déroger aux obligations prévues par la directive 2009/73 pour les tronçons de ce gazoduc situés sur son
territoire et dans sa mer territoriale (ci‑après l’« article 49 bis »). Cette dérogation est accordée pour des raisons objectives, telles que le fait de permettre la récupération de l’investissement consenti ou pour des motifs de sécurité de l’approvisionnement, pour autant qu’elle ne soit pas préjudiciable à la concurrence, au fonctionnement efficace du marché intérieur du gaz naturel ou à la sécurité de l’approvisionnement dans l’Union européenne.
11 Ledit article 49 bis prévoit encore, d’une part, que les dérogations de ce type sont limitées à une durée maximale de 20 ans sur la base d’une justification objective, renouvelable si cela se justifie, et peuvent être assorties de conditions contribuant à la réalisation des conditions précitées et, d’autre part, que de telles dérogations ne s’appliquent pas aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers qui est tenu de transposer la directive 2009/73, telle que modifiée, dans son ordre
juridique en vertu d’un accord conclu avec l’Union.
12 Par ailleurs, l’article 1er, point 5, sous a), de la directive attaquée a modifié l’article 36 de la directive 2009/73 en ajoutant, au paragraphe 1, sous e), de cet article, en substance, que l’exemption accordée au titre de ce même article ne doit pas porter atteinte à la sécurité de l’approvisionnement en gaz naturel dans l’Union (ci‑après l’« article 36, tel que modifié »).
13 S’agissant de la transposition des modifications apportées par la directive attaquée à la directive 2009/73, l’article 2 de la directive attaquée prévoit que les États membres mettront en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à cette dernière directive au plus tard le 24 février 2020, sans préjudice d’une dérogation éventuelle au titre de l’article 49 bis.
II. Procédures antérieures devant le Tribunal et la Cour
14 Au point 4 du dispositif de l’ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T‑526/19, EU:T:2020:210), le Tribunal a rejeté le recours introduit par la requérante comme étant irrecevable.
15 Par arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), d’une part, la Cour a annulé ledit point 4 du dispositif de l’ordonnance du 20 mai 2020, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T‑526/19, EU:T:2020:210). D’autre part, la Cour a jugé que le recours introduit par la requérante était recevable pour autant qu’il était dirigé contre les articles 36 et 49 bis de la directive 2009/73, tels qu’ils avaient été, respectivement, modifiés et insérés par la directive
attaquée.
III. Conclusions des parties
16 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la directive attaquée dans son intégralité ;
– condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.
17 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la Commission, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
18 La République d’Estonie, la République de Lituanie et la République de Pologne concluent à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours.
IV. En droit
A. Sur les conclusions visant à l’annulation de la directive attaquée dans son intégralité
19 En réponse à une question écrite posée par le Tribunal, la requérante a expliqué que, à la suite de l’arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), elle demandait toujours l’annulation de la directive attaquée dans son intégralité au motif que cet arrêt ne s’y opposait pas. En substance, elle soutient que ledit arrêt a uniquement limité le contrôle du Tribunal à l’appréciation de la légalité de l’article 36, tel que modifié, et de l’article 49 bis. Elle
considère que, si le Tribunal concluait que ces deux dispositions ou l’une d’entre elles n’étaient pas conformes au droit de l’Union, il devrait examiner si l’illégalité de ces dispositions peut entraîner l’annulation de la directive attaquée dans son ensemble. À cet égard, la requérante souligne que, en raison de sa nature et de son objectif, la directive attaquée est spécifiquement dirigée contre elle et que, en conséquence, elle est dépourvue de fondement juridique légitime et doit être
annulée intégralement.
20 Dans cette même réponse, la requérante a ajouté que, si le Tribunal devait décider ne pas annuler la directive attaquée dans son intégralité, elle demandait, à titre subsidiaire, l’annulation de l’article 49 bis.
21 Lors de l’audience, la requérante a confirmé que, dans cette hypothèse, à savoir si le Tribunal devait décider ne pas annuler la directive attaquée dans son intégralité, elle ne demandait pas l’annulation de l’article 36, tel que modifié.
22 À cet égard, il est vrai que, comme le soutient la requérante, lorsque le juge de l’Union constate l’illégalité d’une disposition d’un acte et envisage d’annuler cette disposition, il doit examiner si cette annulation doit entraîner l’annulation de l’acte en cause dans son intégralité.
23 Il est vrai également que, selon une jurisprudence constante, l’annulation partielle d’un acte du droit de l’Union n’est possible que pour autant que les éléments dont l’annulation est demandée soient détachables du reste de cet acte (arrêts du 27 juin 2006, Parlement/Conseil, C‑540/03, EU:C:2006:429, point 27, et du 26 avril 2022, Pologne/Parlement et Conseil, C‑401/19, EU:C:2022:297, point 17).
24 Toutefois, en l’espèce, la Cour a jugé, au point 3 du dispositif de l’arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), que le recours introduit par la requérante était recevable pour autant qu’il était dirigé contre les articles 36 et 49 bis de la directive 2009/73, tels qu’ils avaient été, respectivement, modifiés et insérés par la directive attaquée.
25 Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a notamment considéré, au point 165 de l’arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), que lesdits articles 36 et 49 bis étaient détachables des autres dispositions de la directive 2009/73, telle que modifiée par la directive attaquée.
26 En d’autres termes, la Cour a considéré que l’article 1er, point 5, de la directive attaquée, qui procède à la modification de l’article 36 de la directive 2009/73, et l’article 1er, point 9, de la directive attaquée, qui procède à l’insertion d’un article 49 bis dans la directive 2009/73 (voir points 10 et 12 ci-dessus), étaient détachables des autres dispositions de la directive attaquée et, notamment, de son article 1er, point 1, qui étend le champ d’application de la directive 2009/73 aux
gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en remplaçant l’article 2, point 17, de cette dernière directive (voir point 9 ci-dessus).
27 Selon l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, en cas de renvoi, le Tribunal est lié par les points de droit tranchés par la décision de la Cour.
28 Il s’ensuit que la Cour a définitivement jugé que la requérante n’était pas recevable à demander l’annulation de la directive attaquée dans son intégralité. En outre, le Tribunal est lié par ce point de droit en application de l’article 61, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
29 Compte tenu de ce qui précède, le premier chef de conclusions du recours doit être rejeté en ce qu’il vise à l’annulation de la directive attaquée dans son intégralité.
30 En revanche, ce premier chef de conclusions du recours, tel que précisé par la requérante lors de l’audience (voir point 20 ci-dessus), est effectivement recevable en ce qu’il vise à l’annulation de l’article 1er, point 9, de la directive attaquée, qui insère un article 49 bis dans la directive 2009/73.
B. Sur les conclusions visant à l’annulation de l’article 49 bis
31 Au soutien de son recours, la requérante invoque six moyens, tirés, le premier, d’une violation du principe d’égalité de traitement, le deuxième, d’une violation du principe de proportionnalité, le troisième, d’une violation du principe de sécurité juridique, le quatrième, d’un détournement de pouvoir, le cinquième, d’une violation des formes substantielles et, le sixième, d’une violation de l’obligation de motivation.
32 Lors de l’audience, la requérante a indiqué qu’elle renonçait à son sixième moyen.
33 S’agissant des cinq autres moyens invoqués par la requérante, le Tribunal considère que, à l’issue d’observations liminaires, il convient de commencer par l’examen du troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique.
1. Observations liminaires
34 En premier lieu, le juge de l’Union a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, un large pouvoir d’appréciation lorsque son action implique des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Toutefois, même en présence d’un tel pouvoir, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et appropriés par rapport au but
poursuivi par la législation en cause, en tenant compte de tous les éléments factuels ainsi que des données techniques et scientifiques disponibles au moment de l’adoption de l’acte en question (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, points 57 et 58).
35 En l’espèce, la directive attaquée est fondée sur l’article 194, paragraphe 2, TFUE qui prévoit en substance que, sans préjudice de l’application d’autres dispositions des traités, le Parlement et le Conseil établissent les mesures nécessaires pour atteindre les objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie visés au paragraphe 1 de ce même article.
36 Ainsi, le traité FUE habilite le Parlement et le Conseil à décider du contenu de leur intervention dans le domaine de l’énergie dès lors que les mesures prises sont nécessaires pour atteindre les objectifs de la politique de l’Union.
37 Par conséquent, s’agissant du contrôle juridictionnel de l’exercice d’une telle compétence, le juge de l’Union ne saurait substituer son appréciation à celle du législateur de l’Union, mais doit se limiter à examiner si celle-ci n’est pas entachée d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir normatif (voir, par analogie, arrêts du 12 mai 2011, Luxembourg/Parlement et Conseil, C‑176/09, EU:C:2011:290,
point 35, et du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil, C‑5/16, EU:C:2018:483, point 150).
38 En second lieu, selon une jurisprudence constante, dans le cadre d’un recours en annulation, la légalité de l’acte attaqué doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date à laquelle l’acte a été adopté (voir arrêt du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 37 et jurisprudence citée ; arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 260).
39 Ainsi, le fait, allégué par la requérante, que les autres gazoducs entre un État membre et un pays tiers, situés en mer et achevés avant le 23 mai 2019, ont tous obtenus une dérogation sur le fondement de l’article 49 bis postérieurement à l’adoption de la directive attaquée ne peut être pris en considération. Il en est de même du fait, allégué notamment par le Conseil, que le gazoduc de la requérante n’est toujours pas en service.
40 C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier le bien-fondé des moyens invoqués par la requérante.
2. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
41 La requérante soutient que le fait que les gazoducs non achevés avant le 23 mai 2019 soient les seuls gazoducs entre un État membre et un pays tiers dont les opérateurs ne peuvent se prévaloir ni d’une exemption, sur le fondement de l’article 36, tel que modifié, ni d’une dérogation, sur le fondement de l’article 49 bis, est une source d’insécurité juridique. La requérante explique que, à la date d’adoption de la directive attaquée, elle avait déjà consenti des investissements substantiels et
irréversibles dans le gazoduc Nord Stream 2, contrairement aux opérateurs qui n’avaient pas encore pris de décision d’investissement définitive.
42 Elle précise que, lorsqu’elle a réalisé ces investissements, le gazoduc Nord Stream 2, tout comme le gazoduc Nord Stream 1, n’était pas considéré comme relevant de la directive 2009/73. C’est pourquoi elle n’aurait pas demandé d’exemption au titre de l’article 36 de la directive 2009/73. Elle ajoute qu’elle pouvait légitimement croire que ses investissements ne seraient pas privés de toute rentabilité en raison d’un changement inattendu et soudain de la législation.
43 Ainsi, le législateur de l’Union aurait dû tenir compte de sa situation particulière afin d’adapter l’application de la directive attaquée et, en particulier, le champ d’application temporel de l’article 49 bis.
44 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République d’Estonie, la République de Lituanie, la République de Pologne et la Commission, contestent les arguments de la requérante.
45 Le principe de sécurité juridique exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 148 et jurisprudence citée). Tel est le cas, en particulier, lorsque ces règles peuvent avoir sur les individus et les entreprises des
conséquences défavorables [voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2019, Italie/Conseil (Quota de pêche de l’espadon méditerranéen), C‑611/17, EU:C:2019:332, point 111].
46 Le droit de réclamer la protection de la confiance légitime s’étend, en tant que corollaire du principe de sécurité juridique, à tout particulier se trouvant dans une situation de laquelle il ressort que l’administration de l’Union a fait naître dans son chef des espérances fondées. Constituent des assurances susceptibles de faire naître de telles espérances, des renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une
violation du principe de protection de la confiance légitime en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration. De même, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 153 et
jurisprudence citée).
47 Les opérateurs économiques ne sont pas justifiés à placer leur confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée dans le cadre du pouvoir d’appréciation des institutions de l’Union (voir arrêt du 26 juin 2012, Pologne/Commission, C‑335/09 P, EU:C:2012:385, point 180 et jurisprudence citée).
48 En l’espèce, il est vrai que, au point 80 de l’arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), la Cour a jugé notamment que, au moment de l’adoption et de l’entrée en vigueur de la directive attaquée, la requérante avait déjà réalisé d’importants investissements en vue de la construction de son interconnexion au sens de l’article 2, point 17, de la directive 2009/73, telle que modifiée, et que cette interconnexion se trouvait à un stade avancé.
49 Par ailleurs, aux points 104 et 160 de l’arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), la Cour a jugé en substance que, à la date d’adoption de la directive attaquée, la requérante ne pouvait bénéficier ni d’une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, ni d’une dérogation au titre de l’article 49 bis. En effet, la Cour a souligné, d’une part, que les investissements pour le gazoduc Nord Stream 2 avaient déjà été décidés à la date d’adoption
de la directive attaquée, ce qui excluait ce gazoduc du bénéfice d’une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, et, d’autre part, que, à cette date, il était évident que ledit gazoduc ne pouvait être achevé avant le 23 mai 2019, empêchant ainsi l’octroi d’une dérogation au titre de l’article 49 bis.
50 À cet égard, il convient de relever que la circonstance selon laquelle la requérante ne pouvait bénéficier ni d’une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, ni d’une dérogation au titre de l’article 49 bis à la date d’adoption de la directive attaquée, ainsi que la Cour l’a jugé dans l’arrêt du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (C‑348/20 P, EU:C:2022:548), n’est pas susceptible de démontrer que le législateur a méconnu le principe de sécurité juridique et son
corollaire, à savoir le principe de protection de la confiance légitime.
51 En effet, le respect du principe de sécurité juridique et de son corollaire doit être examiné au regard des connaissances qu’un opérateur économique avisé et averti pouvait raisonnablement avoir quant à l’évolution du cadre juridique et des conséquences qu’il devait en tirer pour définir son comportement. Ce respect doit également être examiné au regard des circonstances qui ont entouré cette évolution et, notamment, du comportement des institutions compétentes.
a) Sur la circonstance selon laquelle la requérante ne peut pas bénéficier de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié
52 Les éléments produits devant le Tribunal ne permettent pas de vérifier l’allégation de la requérante selon laquelle elle a pris sa décision finale d’investissement dans le projet Nord Stream 2 en septembre 2015. En effet, la requérante ne s’appuie sur aucune annexe pour étayer son allégation. D’ailleurs, d’autres éléments du dossier suggèrent que cette décision aurait été prise, non pas en septembre 2015, mais en 2016, puis mise en œuvre à partir du printemps 2017.
53 Indépendamment de la date précise à laquelle la requérante a effectivement adopté une décision finale d’investissement, il convient de constater, premièrement, que la requérante a décidé d’investir dans un contexte d’application prévisible des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers et, deuxièmement, qu’elle a poursuivi ses investissements après que cette possibilité s’est concrétisée.
1) Sur le contexte dans lequel la requérante a décidé d’investir
54 La requérante a décidé d’investir dans un contexte dans lequel plusieurs institutions de l’Union avaient, clairement et de longue date, manifesté leur volonté d’appliquer les obligations prévues par la directive 2009/73, premièrement, aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers en général et, deuxièmement, au gazoduc Nord Stream 2 en particulier.
55 À cet égard, premièrement, la requérante a décidé d’investir dans un contexte marqué par de nombreuses prises de position de la Commission, du Conseil européen, du Conseil et du Parlement, visant à ce que, d’une manière générale, les importations d’énergies dans l’Union et les gazoducs entre un État membre et un pays tiers soient, sur le fondement du droit existant ou sur le fondement d’un droit qui devrait être modifié, entièrement soumis aux règles régissant le marché intérieur de l’énergie.
56 En effet, le considérant 22 de la directive 2009/73 expliquait déjà que la sécurité de l’approvisionnement énergétique était un élément essentiel de la sécurité publique et en déduisait que des personnes de pays tiers ne devraient être autorisées à exercer un contrôle sur un réseau de transport ou un gestionnaire de réseau de transport que si elles se conformaient aux exigences relatives à la séparation effective applicables dans l’Union. Dans ce même considérant, la Commission était également
encouragée, le cas échéant, à présenter des recommandations en vue de négocier des accords pertinents avec des pays tiers traitant de la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’Union.
57 Dès 2010, la Commission a, en réponse à des questions posées par le ministre russe de l’Énergie, fait savoir, en substance, que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers étaient soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73 sur le territoire de cet État membre, à moins que le cadre juridique ne soit modifié par un accord international.
58 Par la suite, le Parlement et le Conseil ont, au considérant 3 de leur décision no 994/2012/UE, du 25 octobre 2012, établissant un mécanisme d’échange d’informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l’énergie (JO 2012, L 299, p. 13), expliqué que, pour que le marché intérieur de l’énergie fonctionne correctement, il fallait que les importations d’énergie dans l’Union fussent entièrement régies par les règles
établissant le marché intérieur de l’énergie.
59 En décembre 2013, un représentant de la Commission a exprimé publiquement l’opinion de cette institution selon laquelle les accords intergouvernementaux conclus par plusieurs États membres avec la Fédération de Russie au sujet d’un projet de gazoduc dénommé « South Stream », qui devait relier la Russie à l’Italie et à l’Autriche par la mer noire et pour lequel certains travaux de construction avaient commencé, n’étaient pas conformes avec les obligations prévues par la directive 2009/73.
60 En réponse à une question parlementaire, le membre de la Commission chargé de l’énergie a, le 31 mars 2014, indiqué que la Commission examinerait les décisions des autorités de régulation nationales adoptées à la suite d’une demande d’exemption au titre de l’article 36 de la directive 2009/73 formulée par les promoteurs du projet South Stream.
61 Dans sa communication au Parlement et au Conseil du 28 mai 2014, intitulée « Stratégie européenne pour la sécurité énergétique » [COM(2014) 330 final], la Commission a souligné que, à court terme, les nouveaux investissements dans les infrastructures, encouragés par les fournisseurs dominants, devaient respecter toutes les règles relatives au marché intérieur et à la concurrence. En particulier, selon la Commission, le projet South Stream devait être suspendu jusqu’à ce que le respect total de la
législation de l’Union soit garanti, puis réévalué à la lumière des priorités de l’Union en matière de sécurité énergétique.
62 Dans sa communication au Parlement, au Conseil, au Comité économique et social européen, au Comité des régions et à la Banque européenne d’investissement du 25 février 2015, intitulée « Cadre stratégique pour une Union de l’énergie résiliente, dotée d’une politique clairvoyante en matière de changement climatique » [COM(2015) 80 final], la Commission a indiqué que la pleine conformité avec le droit de l’Union des accords relatifs à l’achat d’énergie en provenance de pays tiers constituait un
volet important de la stratégie visant à assurer la sécurité énergétique.
63 Le 15 mars 2015, la Commission a également manifesté son souhait de soumettre le gestionnaire de la section polonaise du gazoduc Yamal‑Europe, qui achemine du gaz en provenance de Russie, aux obligations prévues par la directive 2009/73.
64 Dans sa résolution 2015/2113(INI), du 15 décembre 2015, intitulée « Vers une Union européenne de l’énergie », le Parlement a, pour sa part, considéré, notamment, que l’Union était lourdement tributaire des importations d’énergie de Russie, qui s’était avérée être un partenaire peu fiable et utilisait ses fournitures d’énergie comme arme politique. Il a ajouté que les différends gaziers de 2006 et 2009 entre la Russie et l’Ukraine, pays de transit, avaient entraîné de sévères pénuries dans de
nombreux pays de l’Union. Selon le Parlement, ces perturbations montraient que les mesures prises jusqu’à présent étaient insuffisantes pour mettre un terme à la dépendance au gaz russe. Il a ainsi invité la Commission à faire respecter le droit de l’Union afin d’éviter des distorsions du marché intérieur.
65 Enfin, les éléments du dossier montrent que, dans ses conclusions du 18 décembre 2015 (EUCO 28/15), le Conseil européen a indiqué que toute nouvelle infrastructure devrait être entièrement conforme au troisième paquet « Énergie » et aux autres dispositions législatives applicables de l’Union, ainsi qu’aux objectifs de l’Union de l’énergie.
66 Ainsi, il ressort des points 56 à 65 ci-dessus que, entre 2009 et 2015, plusieurs institutions de l’Union avaient pris position en faveur d’une application des règles régissant le marché intérieur de l’énergie à l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers.
67 Deuxièmement, et dans ce contexte, plusieurs États membres, le Parlement et la Commission ont clairement exprimé leur volonté que le gazoduc Nord Stream 2 soit soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73 lorsqu’ils ont pris connaissance de l’existence de ce projet.
68 En effet, les éléments produits notamment par la requérante montrent que, en novembre 2015, puis en mars 2016, plusieurs États membres ont adressé deux lettres à la Commission dans lesquelles ils ont exprimé des préoccupations à l’égard du projet de gazoduc de la requérante et ont demandé à la Commission d’agir afin, en substance, de soumettre ce futur gazoduc aux obligations prévues par la directive 2009/73.
69 Le 15 décembre 2015, le membre de la Commission chargé de l’énergie a, en réponse à une question parlementaire, expliqué que le projet de la requérante devrait être pleinement conforme au droit de la concurrence de l’Union. Il a ajouté que l’Union soutiendrait uniquement les projets d’infrastructures qui sont conformes aux principes fondamentaux de l’Union de l’énergie. Ce même membre a fourni une réponse semblable à une autre question parlementaire le 21 janvier 2016.
70 Le 15 décembre 2015, le Parlement a adopté la résolution mentionnée au point 64 ci-dessus dont il ressort expressément que cette institution voulait que le droit de l’Union soit appliqué au gazoduc Nord Stream 2.
71 Lors d’une conférence qui a eu lieu au Parlement le 6 avril 2016 et qui avait pour thème « Nord Stream II – Energy Union at the crossroads » (Nord Stream 2 – L’Union de l’énergie à la croisée des chemins), le vice-président de la Commission a déclaré que la construction d’un projet d’infrastructure aussi important que le gazoduc Nord Stream 2 ne pouvait se faire dans un vide juridique et qu’il ne pouvait pas non plus être exploité exclusivement selon le droit russe. À cet égard, il a précisé que,
s’il était construit, le gazoduc Nord Stream 2 devrait être exploité dans un cadre juridique qui tienne dûment compte des principes clés du marché de l’énergie de l’Union.
72 D’autres éléments du dossier montrent que plusieurs députés européens ont, au début de l’année 2017, demandé à la Commission de prendre des mesures urgentes au sujet du projet de la requérante. À la même époque, deux États membres ont demandé à la Commission d’agir avant de délivrer à la requérante les autorisations qu’elle avait demandées au sujet du tracé du gazoduc Nord Stream 2 en mer Baltique, en application de l’article 79 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à
Montego Bay le 10 décembre 1982.
73 Il résulte de ce qui précède que la requérante a décidé d’investir dans un contexte caractérisé de longue date par une volonté ferme et répétée, notamment de plusieurs États membres, du Parlement et de la Commission, de soumettre les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et le gazoduc Nord Stream 2, en particulier, aux obligations prévues par la directive 2009/73.
74 Ainsi, au moment auquel la requérante soutient avoir pris sa décision d’investir, elle ne disposait d’aucune assurance que le droit de l’Union demeurerait inappliqué au gazoduc Nord Stream 2.
75 Au contraire, il était prévisible que les institutions de l’Union utiliseraient les pouvoirs dont elles disposaient afin de s’assurer que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et le gazoduc Nord Stream 2, en particulier, entrent dans le champ d’application de la directive 2009/73.
2) Sur la poursuite des investissements
76 La requérante a poursuivi ses investissements après que la possibilité que le gazoduc Nord Stream 2 soit soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73 s’est concrétisée au moyen de propositions présentées par la Commission.
77 En effet, à la fin du mois de mars 2017, la Commission a rappelé que le gazoduc Nord Stream 2 posait des difficultés et a annoncé qu’elle était en train d’élaborer un projet de mandat à l’attention du Conseil en vue d’être autorisée à négocier avec la Fédération de Russie au sujet de l’exploitation de ce gazoduc.
78 Ainsi, le 9 juin 2017, la Commission a publiquement annoncé, au moyen d’un communiqué de presse, qu’elle avait demandé un mandat de la part des États membres pour négocier un accord sur le gazoduc Nord Stream 2 avec la Fédération de Russie. Cette demande a pris la forme d’une recommandation adoptée par la Commission le même jour à l’attention du Conseil en vue de l’adoption d’une décision autorisant l’ouverture de négociations relatives à un accord international entre l’Union et la Fédération de
Russie sur l’exploitation du gazoduc Nord Stream 2 (ci‑après la « demande de mandat »).
79 Comme cela ressort de son communiqué de presse, la Commission a, dans sa demande de mandat, expliqué que le projet Nord Stream 2 ne contribuait pas aux objectifs de l’Union de l’énergie au motif, d’une part, qu’il pourrait faciliter l’expansion de la position de Gazprom sur les principaux marchés du gaz de l’Union et, d’autre part, qu’il remettrait en cause les voies d’acheminement existantes.
80 Pour cette raison, la Commission a demandé au Conseil de lui accorder un mandat afin qu’elle négocie un accord international qui prendrait en compte les principes fondamentaux découlant du droit de l’Union dans le domaine de l’énergie et, notamment, les principes de transparence dans l’exploitation, la fixation de tarifs non-discriminatoires, un niveau approprié d’accès non-discriminatoire des tiers et un niveau de séparation entre les activités de fourniture et de transport.
81 En août 2017, le membre de la Commission chargé de l’énergie a rappelé, en réponse à une question parlementaire, la volonté de la Commission que le gazoduc Nord Stream 2 ne soit pas uniquement soumis au droit de son pays de provenance, mais également au droit de l’Union.
82 Le 8 novembre 2017, la Commission a adopté la proposition de directive. Cette proposition prévoyait déjà l’extension du champ d’application de la directive 2009/73 à des gazoducs, tels que celui de la requérante, ainsi qu’une possibilité d’obtenir une dérogation pour les gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant la date d’entrée en vigueur de la future directive. La substance de cette proposition avait été annoncée en septembre 2017. Par ailleurs, en octobre 2017, un
représentant de la Commission avait précisé que, selon lui, cette proposition serait soumise en novembre 2017, qu’elle suivrait une procédure « fast-track » et qu’elle entrerait en vigueur au plus tard à la fin de l’année 2018 si les modifications proposées étaient acceptées.
83 Il s’ensuit que, à la date de la demande de mandat, puis à la date de la proposition de directive, la possibilité que la requérante soit soumise aux obligations prévues par la directive 2009/73 s’est concrétisée et qu’elle pouvait s’attendre à ce que lesdites obligations s’appliquent à court terme au gazoduc Nord Stream 2. Ainsi, sur la base des éléments dont elle disposait, la requérante était en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts.
84 Or, la requérante ne démontre pas qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de s’adapter afin de pouvoir bénéficier de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié, lorsque la directive attaquée entrerait en vigueur.
85 En effet, d’une part, la requérante ne soutient pas que, à la date de la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil et, au plus tard, à la date de la proposition de directive, elle a tenté d’interrompre ou de suspendre l’exécution des contrats qu’elle avait précédemment conclus ou tenté de les renégocier.
86 D’autre part, la requérante ne démontre pas que, à ces mêmes dates, elle était dans l’impossibilité d’interrompre ou de suspendre son projet et, plus généralement, que ses investissements étaient devenus irréversibles.
87 À cet égard, le Tribunal observe que la requérante n’a pas produit les contrats d’acquisition des tuyaux, le contrat afférent au revêtement en béton lourd des tuyaux et le contrat de pose des tuyaux, qu’elle explique avoir conclus respectivement le 6 avril 2016, le 6 septembre 2016 et le 6 avril 2017. Deux annexes produites par la requérante attestent uniquement que [confidentiel] ( 1 ).
88 Par ailleurs, ainsi que cela ressort d’une décision de la Bundesnetzagentur (agence fédérale des réseaux, Allemagne) du 22 février 2009 relative à une demande d’exemption au titre de la disposition de droit allemand ayant transposé l’article 36 de la directive 2009/73 (BK7-08-009), la conclusion d’un contrat d’acquisition de tuyaux pour un montant élevé ne démontre pas nécessairement l’existence d’une décision ferme d’investir et qu’un investissement irréversible a été réalisé à la date de la
conclusion d’un tel contrat, notamment au motif que ces tuyaux peuvent encore être revendus.
89 Ainsi, la requérante ne démontre pas que, à la date de la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil et, au plus tard, à la date de la proposition de directive, les investissements liés aux contrats mentionnés au point 87 ci-dessus étaient devenus irréversibles.
90 S’agissant de l’accord de transport de gaz que la requérante a conclu le 23 avril 2017, il convient de souligner que cet accord, qui porte sur l’exploitation future du gazoduc Nord Stream 2, ne fournit aucun enseignement sur la chronologie et l’ampleur des investissements consentis par la requérante. En outre, cet accord a été conclu à une date à laquelle la Commission avait déjà annoncé qu’elle préparait une demande de mandat (voir point 77 ci-dessus). De plus, la requérante ne démontre pas, au
moyen de références précises aux seuls extraits de cet accord qu’elle a produits en annexe à la requête, qu’elle était dans l’impossibilité d’interrompre ou de suspendre son exécution ou d’en renégocier les termes quelques semaines après sa signature, à savoir après que la Commission a effectivement présenté sa demande de mandat, le 9 juin 2017. D’ailleurs, étant donné que cet accord avait été signé avec Gazprom Export LLC, à savoir une société de droit russe qui était une filiale à 100 % de
l’actionnaire unique de la requérante, la possibilité de renégocier cet accord à la date de la demande de mandat et à la date de la proposition de directive ne pouvait pas être exclue.
91 En ce qui concerne les accords de financement conclus par la requérante en avril et en juin 2017, ils ne fournissent pas davantage d’enseignements sur la chronologie et l’ampleur des investissements qu’elle a consentis. En outre, les explications fournies par la requérante et les extraits de ces accords produits par cette dernière ne permettent pas d’apprécier avec la précision requise la date à laquelle ils sont effectivement entrés en vigueur. Par ailleurs, ces accords ont été signés à une date
à laquelle la Commission avait déjà annoncé, en mars 2017, qu’elle élaborait un projet de mandat de négociation pour conclure un accord avec la Fédération de Russie et quelques semaines ou, s’agissant de l’accord de juin 2017, quelques jours avant que la demande de mandat n’ait été effectivement adressée au Conseil. Enfin, et plus généralement, les explications fournies par la requérante devant le Tribunal ne démontrent pas qu’elle s’est trouvée dans l’impossibilité de renégocier ces accords à la
date de la demande de mandat et, au plus tard, à la date de la proposition de directive. D’ailleurs, il convient de relever que les financements garantis par ces accords étaient, pour moitié, fournis par son actionnaire unique, PJSC Gazprom.
92 Par conséquent, la requérante ne démontre pas que la circonstance selon laquelle elle ne pouvait pas bénéficier de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié, à la date d’adoption de la directive attaquée est la conséquence directe d’un changement imprévisible de la réglementation et qu’elle n’a pas été en mesure de s’adapter à temps à une telle situation.
93 Au contraire, les éléments à la disposition du Tribunal tendent à montrer que la requérante a effectué et poursuivi sans interruption ses investissements malgré le fait qu’elle pouvait raisonnablement prévoir une future application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, y compris le gazoduc Nord Stream 2.
94 Compte tenu du contexte qui a entouré l’adoption de la directive attaquée et, notamment, de la situation de la requérante antérieurement à l’adoption de celle-ci, la circonstance selon laquelle la requérante ne pouvait pas bénéficier de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié, à la date d’adoption de cette directive n’obligeait pas le législateur de l’Union à adapter le champ d’application de l’article 49 bis à la situation particulière de cette dernière afin de respecter le principe
de sécurité juridique.
b) Sur la circonstance selon laquelle la requérante ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis
95 En premier lieu, il convient de relever que le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, dont le respect conditionnait la possibilité de bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis, figurait déjà dans la proposition de directive et la requérante était en mesure de prévoir que le gazoduc Nord Stream 2 ne serait pas achevé à la date d’adoption et d’entrée en vigueur de ladite directive.
96 À cet égard, il ressort des éléments du dossier que, à la date de la proposition de directive, le 8 novembre 2017, la construction proprement dite du gazoduc Nord Stream 2, à savoir, notamment, la pose des tuyaux au fond de la mer Baltique, n’avait pas encore débuté.
97 En effet, la requérante a obtenu, de la part des autorités compétentes allemandes, les diverses autorisations nécessaires pour installer et exploiter son infrastructure dans la mer territoriale et la zone économique exclusive (ZEE) de la République fédérale d’Allemagne uniquement entre le 2 novembre 2017 et le 27 mars 2018.
98 Par ailleurs, les travaux de construction pour poser les tuyaux et construire le terminal d’arrivée dans la zone relevant de la responsabilité de cet État membre ont débuté uniquement en février 2018 et se sont poursuivis dans la mer territoriale et la ZEE allemande uniquement à partir de mi‑2018.
99 En outre, les autorisations nécessaires de la part des autorités russes, finlandaises et suédoises, concernées par le tracé du gazoduc Nord Stream 2, ont été émises uniquement entre le 5 avril et le 14 août 2018.
100 Dans ces conditions, à la date d’adoption de la directive attaquée, à savoir le 17 avril 2019, une grande partie de chacune des deux conduites, qui composent le gazoduc Nord Stream 2, n’avait pas encore été placée au fond de la mer, comme le démontrent les chiffres, exprimés en kilomètres, avancés par la requérante. En particulier, à la date d’adoption et à la date de l’entrée en vigueur de la directive attaquée, la requérante était toujours dans l’attente de l’autorisation afférente aux 147 km
de conduites relevant de la responsabilité des autorités danoises. Cette autorisation a finalement été donnée le 30 octobre 2019 et est devenue définitive le 28 novembre 2019. À la date d’adoption et à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, les tuyaux n’avaient donc pas été déployés dans les eaux danoises. À ces mêmes dates, les sections de tuyaux déjà déployées au fond de la mer n’avaient pas toutes été reliées entre elles au moyen du procédé dénommé « above water tie-in », au
moins dans la mer territoriale et la ZEE de l’Allemagne et dans les eaux russes.
101 Par conséquent, la requérante a été en mesure de prévoir que, si la proposition de la Commission d’insérer une dérogation pour les gazoducs achevés avant l’entrée en vigueur de la directive attaquée était suivie par le législateur de l’Union, elle ne serait pas en mesure d’en bénéficier à la date de cette entrée en vigueur.
102 En second lieu, la circonstance selon laquelle, à la date d’adoption de la directive attaquée, la requérante ne pouvait pas bénéficier d’une dérogation au titre de l’article 49 bis était non seulement prévisible par cette dernière, mais résulte également de l’application d’un critère conforme au principe de sécurité juridique et au principe de protection de la confiance légitime.
103 En effet, le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée est clair, précis et objectif.
104 À cet égard, ce critère reflète le principe selon lequel une règle de droit nouvelle s’applique à compter de l’entrée en vigueur de l’acte qui l’instaure. Si elle ne s’applique pas aux situations juridiques nées et définitivement acquises sous l’empire de la loi ancienne, elle s’applique aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne, ainsi qu’aux situations juridiques nouvelles. Il n’en va autrement, et sous réserve du principe de non-rétroactivité des actes
juridiques, que si la règle nouvelle est accompagnée de dispositions particulières qui déterminent spécialement ses conditions d’application dans le temps (voir arrêt du 22 juin 2022, Volvo et DAF Trucks, C‑267/20, EU:C:2022:494, point 32 et jurisprudence citée).
105 L’approche qui consiste à retenir la date d’entrée en vigueur d’un acte pour délimiter le champ d’application ratione temporis d’une disposition dans le domaine du gaz avait d’ailleurs déjà été suivie par la directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2003, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE (JO 2003, L 176, p. 57). En effet, l’article 2, point 33, de la directive 2003/55 définissait une « nouvelle
infrastructure » comme une infrastructure qui n’était pas achevée à la date d’entrée en vigueur de ladite directive. Une nouvelle infrastructure était susceptible de bénéficier d’une exemption au titre de l’article 22 de cette même directive, qui est devenu l’article 36 de la directive 2009/73.
106 Le critère objectif de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive démontre que le législateur a tenu compte de la situation particulière des gazoducs achevés en permettant à ces gazoducs de demander à bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis.
107 S’agissant de la situation particulière du gazoduc Nord Stream 2, il ressort du point 100 ci-dessus qu’il était encore en cours de construction à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée et donc que la situation de la requérante n’était pas définitivement acquise à cette date, au sens de la jurisprudence mentionnée au point 104 ci‑dessus.
108 Par ailleurs, la requérante a non seulement été en mesure de prévoir qu’elle ne serait pas en mesure de bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis à la date de l’entrée en vigueur de la directive attaquée, mais elle a également disposé d’un délai supplémentaire pour modifier les modalités envisagées d’exploitation du gazoduc Nord Stream 2 étant donné que le délai de transposition de cette directive avait été fixé au plus tard au 24 février 2020, soit dix mois après son adoption.
109 À cet égard, il convient d’ajouter que la circonstance selon laquelle la requérante ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis n’empêche pas celle-ci d’exploiter le gazoduc Nord Stream 2 d’une manière économiquement acceptable et d’obtenir un rendement approprié de ses investissements, ainsi que cela ressort notamment de l’article 13, paragraphe 1, sous a), de la directive 2009/73 et de l’article 13 du règlement (CE) no 715/2009 du Parlement européen et du Conseil, du
13 juillet 2009, concernant les conditions d’accès aux réseaux de transport de gaz naturel et abrogeant le règlement (CE) no 1775/2005 (JO 2009, L 211, p. 36).
110 Par conséquent, la requérante n’a pas démontré que le législateur a méconnu le principe de sécurité juridique et son corollaire, le principe de protection de la confiance légitime, lorsqu’il a retenu, à l’article 49 bis, que seuls les gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant le 23 mai 2019 pouvaient bénéficier d’une dérogation au titre de cette disposition.
111 Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, la circonstance selon laquelle la requérante ne pouvait bénéficier ni d’une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, ni d’une dérogation au titre de l’article 49 bis à la date d’adoption de la directive attaquée n’est pas susceptible de démontrer que le législateur a méconnu le principe de sécurité juridique et son corollaire, à savoir le principe de protection de la confiance légitime.
112 Le troisième moyen est donc rejeté.
3. Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement
113 Le principe général d’égalité de traitement, en tant que principe général du droit de l’Union, impose que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 23 et jurisprudence citée).
114 Il convient d’examiner successivement les arguments de la requérante tirés de l’existence d’un traitement différencié de situations comparables et ceux tirés de l’absence de justification objective.
a) Sur le prétendu traitement différencié de situations comparables
115 La requérante soutient que le gazoduc Nord Stream 2 se trouve clairement dans une situation comparable à celle des gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer et achevés avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, qui entrent dans le champ d’application de l’article 49 bis.
116 En effet, premièrement, le gazoduc Nord Stream 2 et les gazoducs achevés seraient tous des « gazoducs entre un État membre et un pays tiers » au sens de l’article 2, point 17, de la directive 2009/73, telle que modifiée, et relèveraient du champ d’application de cette directive, au motif qu’ils sont des « interconnexions ».
117 Deuxièmement, le gazoduc Nord Stream 2 et les gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer et achevés seraient tous des gazoducs auxquels l’article 36, tel que modifié, ne pourrait pas s’appliquer objectivement et à l’égard desquels cet article ne pourrait pas remplir son rôle consistant à fournir une certitude « avant » l’investissement. Pour le gazoduc Nord Stream 2 et les gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer et achevés, l’investissement consenti serait
irréversible et ne pourrait pas être abandonné de la même manière que pour les gazoducs se trouvant dans la phase de planification. À cet égard, presque tous les investissements dans le gazoduc Nord Stream 2 auraient déjà eu lieu et ce gazoduc serait quasiment achevé. Ainsi, le gazoduc Nord Stream 2 et les gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer et achevés se trouveraient dans une situation comparable au regard de l’objectif de l’article 49 bis qui est de permettre la
récupération de l’investissement consenti.
118 Troisièmement, les investissements dans le gazoduc Nord Stream 2 seraient sous‑tendus par le même type d’accords de transport de gaz à long terme que ceux qui sous‑tendent les gazoducs situés en mer et achevés et qui ont été conclus plusieurs années avant l’adoption de la directive attaquée.
119 Quatrièmement, le fait que, pour les gazoducs achevés et déjà exploités, il soit plus facile d’apprécier leur incidence sur le fonctionnement du marché intérieur, sur la concurrence et sur la sécurité de l’approvisionnement ne permettrait pas de considérer que le gazoduc Nord Stream 2 n’est pas comparable à ces gazoducs achevés. En effet, une évaluation similaire serait requise par l’article 36, tel que modifié, pour les gazoducs planifiés et cette disposition aurait donné lieu à une pratique
décisionnelle.
120 Cinquièmement, et pour la même raison, il ne serait pas possible de soutenir que le critère de la « décision finale d’investissement » serait imprécis, à la différence du critère de l’« achèvement » qui figure à l’article 49 bis. En effet, l’article 36, tel que modifié, présupposerait qu’aucune décision finale d’investissement n’a été prise.
121 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République d’Estonie, la République de Lituanie, la République de Pologne et la Commission, contestent les arguments de la requérante.
122 La violation du principe d’égalité de traitement du fait d’un traitement différencié présuppose que les situations visées sont comparables eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Les éléments qui caractérisent différentes situations et ainsi leur caractère comparable doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction en cause. Doivent en outre être pris en considération les principes et les
objectifs du domaine dont relève l’acte en cause (voir arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, points 25 et 26 et jurisprudence citée).
123 En l’espèce, s’agissant des principes et des objectifs du domaine dont relève la directive attaquée, l’article 194, paragraphe 1, TFUE prévoit que, dans le cadre de l’établissement ou du fonctionnement du marché intérieur et en tenant compte de l’exigence de préserver et d’améliorer l’environnement, la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie vise à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie, à assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique dans l’Union, à promouvoir
l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables, et à promouvoir l’interconnexion des réseaux énergétiques (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2016, Commission/Autriche, C‑346/14, EU:C:2016:322, point 72 et jurisprudence citée).
124 La directive attaquée a, dans son ensemble, pour objet d’étendre le champ d’application de la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers.
125 Ainsi que cela ressort de son considérant 3, le but général poursuivi par la directive attaquée est de traiter les obstacles à l’achèvement du marché intérieur qui découlent de la non-application des règles du marché de l’Union aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers. Ce considérant précise que les modifications apportées visent, premièrement, à garantir que les règles applicables aux gazoducs de transport reliant deux États membres ou plus sont également applicables aux gazoducs
entre un État membre et un pays tiers, deuxièmement, à instaurer une cohérence du cadre juridique tout en évitant les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement et, troisièmement, à augmenter la transparence et à offrir une sécurité juridique aux acteurs du marché, en particulier les investisseurs dans les infrastructures et les utilisateurs du réseau en ce qui concerne le régime juridique applicable.
126 S’agissant de l’article 49 bis, il a pour objet de permettre à l’État membre sur le territoire duquel est situé le premier point de connexion d’un gazoduc entre cet État membre et un pays tiers, achevé avant le 23 mai 2019, de décider de déroger aux obligations prévues par la directive 2009/73. Cette dérogation doit être fondée sur des raisons objectives, telles que le fait de permettre la récupération de l’investissement consenti ou pour des motifs de sécurité de l’approvisionnement, pour
autant que cette dérogation ne soit pas préjudiciable à la concurrence, au fonctionnement efficace du marché intérieur du gaz naturel ou à la sécurité de l’approvisionnement dans l’Union.
127 Ainsi que cela ressort du considérant 4 de la directive attaquée, l’article 49 bis a pour but de tenir compte de l’absence de règles spécifiques de l’Union applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de cette directive.
128 À cet égard, il importe de relever, à titre liminaire, qu’il est constant que l’article 49 bis conduit à traiter de manière différente, d’une part, les gazoducs achevés avant le 23 mai 2019, qui peuvent demander à bénéficier d’une dérogation sur le fondement de cette disposition, et, d’autre part, les gazoducs qui n’étaient pas achevés à cette date et qui ne peuvent pas demander à bénéficier d’une telle dérogation.
129 En premier lieu, il y a lieu de souligner qu’un gazoduc achevé est un gazoduc qui possède tous les attributs nécessaires pour transporter du gaz au motif que sa construction a été menée à son terme. Un gazoduc achevé peut donc être mis en service et exploité. D’ailleurs, dans l’exposé des motifs de sa proposition de directive, la Commission a décrit les gazoducs achevés, visés par la dérogation désormais prévue à l’article 49 bis, comme des infrastructures existantes déjà en service.
130 Par comparaison, un gazoduc qui n’est pas achevé ne possède pas tous les attributs d’un gazoduc et n’est donc pas apte à transporter du gaz et à être exploité.
131 En deuxième lieu, au regard du but de l’article 49 bis, qui est de tenir compte de l’absence de règles spécifiques de l’Union applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, un gazoduc qui n’est pas encore achevé au 23 mai 2019 ne se trouve pas dans une situation comparable à celle d’un gazoduc achevé à cette date.
132 En effet, un gazoduc qui est achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée et qui est en service a nécessairement donné lieu à un investissement préalable auquel il n’est plus possible de renoncer. Par ailleurs, un gazoduc achevé à cette date aura commencé à être exploité dans le cadre d’un régime juridique qui ne prévoyait pas l’application, à sa situation, des obligations prévues par la directive 2009/73 ni la possibilité de bénéficier d’une exemption au titre de l’article 36,
tel que modifié, applicable aux nouvelles infrastructures gazières.
133 En revanche, d’abord, un investisseur dans un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée peut avoir engagé des dépenses de plus faible importance ou bien disposer de possibilités accrues d’adapter son investissement, de mettre fin à des obligations contractuelles déjà souscrites, d’amender lesdites obligations ou de revendre des biens déjà acquis pour la construction de son gazoduc.
134 Ensuite, même si un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée a donné lieu à des investissements importants et à des travaux de construction, ces investissements et ces travaux peuvent avoir été décidés en connaissance de cause, dans un contexte prévisible de modification de la réglementation applicable à la date d’entrée en vigueur d’une telle modification.
135 En l’espèce, il ressort notamment des points 75, 83, 93 et 101 ci-dessus que la requérante a effectivement décidé d’investir en connaissance de cause, dans un contexte qui lui permettait de comprendre, même avant la présentation de la proposition de directive par la Commission et, au plus tard, à ce moment-là, que le gazoduc Nord Stream 2 serait soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73.
136 Enfin, et plus généralement, un investisseur dans un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, tel que le gazoduc Nord Stream 2, a le temps de s’adapter aux changements législatifs prévus par cette dernière. Les possibilités et le temps dont dispose un investisseur dans un gazoduc qui n’est pas achevé pour s’adapter aux conséquences d’un changement législatif opéré au moyen d’une directive sont d’autant plus grands que, d’une part, cet investisseur est
informé, de nombreux mois avant l’adoption de l’acte législatif en cause, de l’objet et du but des changements législatifs envisagés et, d’autre part, les États membres disposent d’un délai pour transposer de tels changements en droit interne.
137 En troisième lieu, à la lumière de l’objet de l’article 49 bis, mais aussi de l’objet et des objectifs de la directive attaquée ainsi que des principes et des objectifs de la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie, la situation d’un gazoduc achevé à la date d’entrée en vigueur de cette directive se distingue de la situation d’un gazoduc dont la construction n’est pas achevée à cette date.
138 En effet, l’incidence d’un gazoduc déjà achevé sur le fonctionnement du marché intérieur, notamment en termes d’effets sur la concurrence et sur la sécurité de l’approvisionnement, peut être évaluée ex post. Cette évaluation ex post est effectuée sur la base de l’expérience acquise lors de l’exploitation du gazoduc en cause et sur la base de données empiriques obtenues dans le cadre de cette exploitation. Ainsi, l’évaluation de l’incidence d’un gazoduc achevé sur le marché intérieur est plus
facile et peut donc être effectuée rapidement selon une procédure simple, sous la responsabilité des seuls États membres compétents.
139 Par ailleurs, l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs achevés et déjà exploités à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée présente un risque de perturber les capacités et les flux de l’approvisionnement et donc de nuire à la concurrence et à la sécurité de l’approvisionnement. Ce risque justifie également un examen rapide de leur situation au regard des conditions prévues à l’article 49 bis.
140 En revanche, en présence d’un gazoduc qui n’est pas achevé à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, tel que le gazoduc Nord Stream 2, l’évaluation de son incidence sur le marché intérieur et la sécurité de l’approvisionnement peut uniquement être prospective et reposer sur des hypothèses. Ainsi, même si une telle évaluation est effectivement possible, elle exige des appréciations plus approfondies et plus complexes de l’incidence de l’exploitation du futur gazoduc sur la
réalisation des objectifs poursuivis par la directive attaquée dans son ensemble et par la politique de l’Union dans le domaine de l’énergie.
141 En outre, dans la mesure où un gazoduc non achevé, tel que le gazoduc de la requérante, n’est pas capable de transporter du gaz et d’être exploité, l’application de la directive attaquée à une telle catégorie de gazoducs ne présente pas de risque de perturbation des flux de l’approvisionnement, voire de rupture de l’approvisionnement.
142 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de constater que les gazoducs achevés au 23 mai 2019, d’une part, et les gazoducs non achevés à cette date, et notamment ceux en cours de construction comme le gazoduc Nord Stream 2, d’autre part, ne se trouvent pas dans une situation comparable eu égard à l’ensemble des éléments qui les caractérisent.
143 Ainsi, l’article 49 bis conduit à traiter de manière différente des situations différentes et, notamment, à traiter le gazoduc Nord Stream 2 d’une manière différente des gazoducs achevés, ledit gazoduc se trouvant, à la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée, dans une situation différente.
144 À supposer même que l’article 49 bis conduise à traiter de manière différente des situations comparables, au motif que la requérante avait déjà réalisé d’importants investissements en vue de la construction du gazoduc Nord Stream 2, cette différence de traitement et le désavantage qui en résulterait seraient, en tout état de cause, justifiés (voir points 145 et suivants ci‑après).
b) Sur la justification d’un éventuel traitement différencié de situations comparables
145 La requérante fait valoir que le traitement différencié du gazoduc Nord Stream 2 n’est pas justifié objectivement.
146 Le fait que le gazoduc Nord Stream 2 n’était pas achevé avant le 23 mai 2019 ne pourrait pas constituer une justification objective du traitement différent de ce gazoduc. En effet, une telle justification serait incompatible avec la finalité spécifique de l’article 49 bis. Cette finalité concernerait les risques d’investissement qui ont déjà été pris et consisterait à compléter l’article 36, tel que modifié, applicable aux risques d’investissement qui n’ont pas encore été pris. La limitation du
champ d’application temporel de l’article 49 bis aux infrastructures « achevées avant le 23 mai 2019 » créerait un vide temporel par rapport au champ d’application de l’article 36, tel que modifié.
147 La requérante soutient qu’elle avait les mêmes attentes légitimes que les exploitants de gazoducs déjà en service au motif qu’elle avait déjà effectué des investissements significatifs avant l’entrée en vigueur de la directive attaquée, à savoir le 23 mai 2019. Comme lesdits exploitants, elle aurait pris une décision de mettre en œuvre son projet, aurait procédé à des investissements irréversibles et aurait conclu la plupart des arrangements contractuels contraignants sur la base de la situation
juridique qui existait avant l’entrée en vigueur de la directive.
148 Par ailleurs, le critère de l’« achèvement » ne serait pas un critère objectif. La raison pour laquelle la fixation d’une date butoir aussi précoce était nécessaire afin que les infrastructures achevées n’aient pas à faire face à une situation d’insécurité juridique ne serait pas claire. Le législateur aurait pu fixer une date limite plus lointaine sans que la situation des infrastructures achevées soit affectée. La requérante souligne que, au cours de la procédure législative, une application
de l’article 49 bis aux gazoducs pour lesquels les travaux avaient commencé avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée avait été proposée comme une alternative à l’option qui a finalement été retenue.
149 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République de Pologne et la Commission, contestent les arguments de la requérante.
150 Il convient de rappeler qu’une différence de traitement est justifiée dès lors qu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 47).
151 À titre liminaire, il importe de souligner que, contrairement à ce que soutient la requérante, le but spécifique de l’article 49 bis ne concerne pas uniquement les risques d’investissement. En effet, l’article 49 bis a un but plus large, qui est de tenir compte de l’absence de règles applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée. C’est pourquoi, selon cette disposition, la dérogation qu’elle prévoit doit être fondée sur
des raisons objectives, telles que le fait de permettre la récupération de l’investissement consenti ou des motifs de sécurité de l’approvisionnement.
152 En l’espèce, en premier lieu, il convient de constater que le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée constitue un critère objectif qui reflète les principes qui gouvernent l’application dans le temps d’un acte de l’Union (voir point 104 ci‑dessus). Par ailleurs, ce critère présente un lien étroit avec l’objectif poursuivi par l’article 49 bis, à savoir tenir compte de l’absence de règles spécifiques de l’Union applicables aux gazoducs entre un État
membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée. Ce critère avait d’ailleurs déjà été appliqué à l’article 2, point 33, de la directive 2003/55 pour définir une « nouvelle infrastructure » (voir point 105 ci-dessus).
153 Le critère de l’achèvement avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée constitue donc un critère objectif et raisonnable.
154 En deuxième lieu, l’éventuelle différence de traitement, qui résulte de l’application du critère de l’achèvement avant le 23 mai 2019, est apte à réaliser l’objectif de tenir compte de l’absence de règles applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée.
155 D’une part, il permet aisément aux propriétaires de gazoducs d’apprécier si leur gazoduc entre dans le champ d’application de la dérogation prévue à l’article 49 bis.
156 D’autre part, ce critère peut facilement être mis en œuvre par les États membres afin d’apprécier rapidement si une demande de dérogation est effectivement présentée au sujet d’un gazoduc qui entre ou non dans le champ d’application de l’article 49 bis. En d’autres termes, ce critère permet d’identifier aisément les gazoducs pour lesquels une flexibilité pourrait être nécessaire au regard, d’une part, du principe de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime de leur
propriétaire et, d’autre part, des risques de perturbation de l’approvisionnement que pourrait provoquer l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à ces gazoducs, qui sont déjà en service.
157 En troisième lieu, l’éventuelle différence de traitement qui résulte de l’application du critère de l’achèvement avant le 23 mai 2019 ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de l’objectif poursuivi par l’article 49 bis.
158 En effet, il convient de rejeter l’argument de la requérante selon lequel l’objectif poursuivi par l’article 49 bis pouvait être réalisé en ouvrant la dérogation prévue par cette disposition aux gazoducs pour lesquels les travaux avaient commencé avant le 23 mai 2019 ou qui avaient déjà donné lieu à une décision finale d’investissement avant cette date.
159 À cet égard, il est vrai que les critères mentionnés par la requérante auraient également permis aux gazoducs achevés avant le 23 mai 2019 de demander à obtenir une dérogation sur le fondement de l’article 49 bis.
160 Toutefois, tout d’abord, ces critères ne présentaient pas le même niveau de précision, étant donné que les notions de « commencement des travaux » et de « décision finale d’investissement » étaient susceptibles de donner lieu à un travail complexe d’interprétation afin d’apprécier si un gazoduc entrait ou non dans le champ d’application de la dérogation prévue à l’article 49 bis.
161 Ensuite, ces critères conduisaient à faire entrer dans le champ d’application de la dérogation prévue à l’article 49 bis des gazoducs qui n’étaient pas encore exploités. L’appréciation du respect des conditions prévues à l’article 49 bis n’aurait donc pas pu être facilement effectuée par les États membres malgré le fait que la procédure instaurée par cette disposition avait précisément été conçue comme une procédure simple qui devait être mise en œuvre rapidement par les États membres et qui ne
devait pas donner lieu à des analyses prospectives et complexes.
162 Enfin, à la différence du critère de l’achèvement avant le 23 mai 2019, les critères mentionnés par la requérante avaient pour effet d’étendre le champ d’application de l’article 49 bis à des gazoducs, tels que le gazoduc Nord Stream 2, qui avaient donné lieu à des investissements et à un commencement des travaux de construction à un moment auquel l’extension du champ d’application de la directive 2009/73 à des gazoducs entre un État membre et un pays tiers était prévisible.
163 S’agissant des contraintes supportées par les investisseurs dans des gazoducs non achevés, en général, et par la requérante, en particulier, il importe de souligner que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 n’empêche pas les investisseurs dans les gazoducs entre un État membre et un pays tiers d’exploiter leur gazoduc d’une manière économiquement acceptable et d’obtenir un rendement approprié de leurs investissements (voir point 109 ci-dessus).
164 Cette appréciation est d’ailleurs confirmée par les nombreux exemples, mentionnés par la Commission, de gazoducs entre un État membre et un pays tiers qui étaient déjà soumis, parfois depuis de nombreuses années, aux obligations prévues par la directive 2009/73 avant l’entrée en vigueur de la directive attaquée.
165 Dès lors, l’importance de l’objectif consistant à tenir compte de l’absence prévisible de règles applicables aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers achevés avant le 23 mai 2019 justifiait les contraintes supportées par les investisseurs dans des gazoducs non achevés à cette date, tels que la requérante.
166 Au demeurant, ainsi qu’il ressort, en substance, des points 261 à 263 ci-après, la requérante ne démontre pas que les contraintes qu’elle supporte en raison de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 au gazoduc Nord Stream 2 sont manifestement inappropriées au regard des objectifs poursuivis par la directive attaquée.
167 Compte tenu de ce qui précède, la requérante ne démontre pas que le choix effectué par le législateur à l’article 49 bis, qui consiste à définir le champ d’application de la dérogation prévue par cette disposition au moyen du critère de l’achèvement avant le 23 mai 2019, serait manifestement inapproprié et qu’une éventuelle différence de traitement serait injustifiée.
168 Le premier moyen est donc rejeté.
4. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité
169 En premier lieu, dans la requête, la requérante soutient que l’extension du champ d’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer n’est pas proportionnée aux objectifs poursuivis par la directive attaquée ou par la directive 2009/73.
170 La requérante souligne également que, si l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers constituait une solution à un véritable problème, ces obligations devraient s’appliquer de la même façon à tous les gazoducs entre un État membre et un pays tiers. Or, la requérante soutient que les obligations prévues par la directive 2009/73 s’appliquent uniquement à une fraction de la capacité d’importation des pays tiers, à savoir la
capacité du gazoduc Nord Stream 2, et non à la capacité de l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers.
171 En deuxième lieu, dans la réplique, la requérante fait valoir, premièrement, qu’il n’est pas démontré que le fait de soumettre un petit tronçon d’un unique gazoduc en provenance d’un pays tiers, à savoir le gazoduc Nord Stream 2, aux obligations prévues par la directive 2009/73 serait nécessaire pour réaliser les objectifs poursuivis par la directive attaquée.
172 Deuxièmement, la requérante souligne que les obligations prévues par la directive 2009/73 s’appliquent uniquement à une fraction de la capacité d’importation des pays tiers, à savoir la capacité du gazoduc Nord Stream 2, et non à la capacité de l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers. Or, il serait difficile de voir comment l’application de ces obligations à une partie aussi faible de la capacité totale des gazoducs d’importation pourrait réaliser les objectifs de la
directive attaquée.
173 Troisièmement, la requérante soutient que les volets quantitatifs et qualitatifs de l’objectif consistant à assurer la sécurité de l’approvisionnement pouvaient être garantis même en faisant entrer le gazoduc Nord Stream 2 dans le champ d’application de l’article 49 bis. En effet, l’exemption et la dérogation prévues respectivement à l’article 36, tel que modifié, et à l’article 49 bis, qui sont accordées notamment au regard d’une condition liée à la sécurité de l’approvisionnement, montreraient
que cette sécurité n’est pas seulement assurée par l’application des obligations prévues par la directive 2009/73.
174 En troisième lieu, la requérante fait valoir que, à supposer qu’il puisse être considéré que la directive attaquée présente un avantage marginal pour le marché intérieur, ce qui n’est pas le cas, cet avantage serait inférieur aux inconvénients très importants que cette directive impose à l’Union, aux États membres et aux propriétaires, comme elle, de gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer.
175 La requérante précise que les effets économiques de la directive sur sa situation sont importants et déraisonnables au motif que cette directive ne lui permet pas de récupérer les investissements consentis avant l’adoption de celle-ci. Elle serait incapable d’exécuter légalement des aspects fondamentaux de l’accord de transport de gaz qu’elle a conclu avec Gazprom, et sa position financière serait affectée de manière très négative.
176 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République d’Estonie, la République de Lituanie, la République de Pologne et la Commission, contestent les arguments de la requérante.
177 Le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2012, Association Kokopelli, C‑59/11, EU:C:2012:447, point 38 et jurisprudence citée).
178 À titre liminaire, il importe de souligner que, comme le relève la requérante, l’objectif général prévu par la directive attaquée est effectivement d’assurer le fonctionnement du marché intérieur.
179 Cependant, le considérant 3 de la directive attaquée mentionne des objectifs plus précis, lesquels ne se limitent pas à prévenir les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement, mais visent également, premièrement, à garantir que les règles applicables aux gazoducs reliant deux États membres ou plus sont également applicables aux gazoduc entre un État membre et un pays tiers et, plus généralement, à instaurer une cohérence du cadre juridique et,
deuxièmement, à offrir une sécurité juridique aux acteurs du marché.
180 L’objectif général et les objectifs plus précis poursuivis par la directive attaquée constituent, à l’évidence, des objectifs légitimes. D’ailleurs, il est fait référence à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur à l’article 194 TFUE et les objectifs consistant à assurer le fonctionnement du marché de l’énergie et la sécurité de l’approvisionnement de l’Union sont mentionnés dans cette disposition.
181 C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’apprécier si la directive attaquée est apte à réaliser les objectifs qu’elle poursuit et ne dépasse pas les limites de ce qui est nécessaire à leur réalisation en ce que le gazoduc Nord Stream 2 serait le seul gazoduc entre un État membre et un pays tiers qui ne peut bénéficier ni de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié, ni de la dérogation prévue à l’article 49 bis.
a) Sur l’aptitude de la directive attaquée à réaliser les objectifs poursuivis en ce que la requérante ne peut bénéficier ni d’une exemption ni d’une dérogation
182 Il convient d’examiner, dans un premier temps, l’aptitude de la directive attaquée à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique et, dans un second temps, l’aptitude de cette même directive à prévenir les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement.
1) Sur l’aptitude de la directive attaquée à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique
183 En premier lieu, il convient de relever que la directive attaquée est apte à réaliser l’objectif de sécurité juridique qu’elle poursuit.
184 En effet, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive, la Commission a expliqué que le droit de l’Union ne définissait pas explicitement un cadre juridique pour les gazoducs entre un État membre et un pays tiers.
185 À cet égard, l’extension de la notion d’« interconnexion » aux gazoducs à destination et en provenance de pays tiers, opérée par la directive attaquée au moyen de la modification de la notion d’« interconnexion » qui figure à l’article 2, point 17, de la directive 2009/73, assure une délimitation claire du champ d’application matériel de cette dernière directive et fournit des précisions au sujet de son champ d’application territorial.
186 D’une part, la directive attaquée étend le champ d’application de la directive 2009/73 à l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers, y compris le gazoduc Nord Stream 2, à savoir les gazoducs terrestres et les gazoducs en mer qui sont existants ou à venir.
187 D’autre part, le considérant 9 de la directive attaquée précise que, en ce qui concerne les gazoducs situés en mer, la directive 2009/73 devrait être applicable dans la mer territoriale de l’État membre sur le territoire duquel est situé le premier point d’interconnexion avec le réseau des États membres.
188 Ainsi, la directive attaquée a notamment pour effet de prévoir que les obligations prévues par la directive 2009/73 s’appliquent au tronçon des gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer et traversant les eaux territoriales d’un État membre, tel que le tronçon du gazoduc Nord Stream 2 traversant les eaux territoriales allemandes. La directive attaquée évite donc, à cet égard, un vide juridique.
189 En second lieu, l’extension du champ d’application de la directive 2009/73 à l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers, tels que le gazoduc Nord Stream 2, assure également la cohérence du cadre juridique au sein de l’Union.
190 Premièrement, comme l’avait déjà expliqué, en substance, la Commission dans l’exposé des motifs de la proposition de directive, l’extension du champ d’application de la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers garantit que les exploitants de ces gazoducs sont soumis au même régime juridique que d’autres acteurs du marché auxquels la directive 2009/73 s’applique déjà pleinement, à savoir les exploitants des gazoducs reliant les différents États membres ou les
gestionnaires de réseau de transport dans les États membres.
191 Deuxièmement, d’une part, comme l’a également expliqué la Commission dans l’exposé des motifs de la proposition de directive, les principes fondamentaux du cadre réglementaire établi dans la directive 2009/73 se reflètent dans plusieurs accords internationaux conclus entre des États membres et des pays tiers ou entre l’Union et des pays tiers, et sont systématiquement appliqués aux gazoducs terrestres entre un État membre et un pays tiers.
192 L’application des obligations prévues par la directive 2009/73 à l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers contribue ainsi à la cohérence du droit applicable entre, d’un côté, les gazoducs entre un État membre et un pays tiers qui étaient déjà soumis auxdites obligations en application d’autres instruments juridiques, tels que des accords internationaux, et, d’un autre côté, les gazoducs entre un État membre et un pays tiers qui n’y étaient pas soumis, tels que le gazoduc
Nord Stream 2.
193 D’autre part, comme l’a expliqué, en substance, la Commission dans l’exposé des motifs de la proposition de directive au sujet du respect du principe de subsidiarité, l’extension du champ d’application de la directive 2009/73 à l’ensemble des gazoducs entre un État membre et un pays tiers garantit une application uniforme des obligations prévues par la directive 2009/73 et évite une approche fragmentée fondée sur des mesures nationales. En particulier, cette extension évite une situation dans
laquelle une interconnexion traversant plusieurs États membres serait régie par des régimes nationaux différents et permet également à la Commission d’exercer un certain contrôle du respect des règles pertinentes.
194 Dès lors, la directive attaquée est apte à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique qu’elle poursuit essentiellement, en ce qu’elle étend le champ d’application de la directive 2009/73 et donc des obligations que cette dernière directive prévoit.
195 À cet égard, la circonstance selon laquelle la requérante serait la seule à ne pouvoir bénéficier ni d’une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, ni d’une dérogation au titre de l’article 49 bis est sans incidence sur l’aptitude de la directive attaquée à réaliser les objectifs qu’elle poursuit au moyen d’une extension du champ d’application de la directive 2009/73.
2) Sur l’aptitude de la directive attaquée à prévenir les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement
196 À titre liminaire, en ce qui concerne les problèmes en termes de concurrence et de sécurité de l’approvisionnement qui ont motivé la proposition de directive, la Commission a notamment expliqué, dans l’exposé des motifs de cette proposition, que l’Union est largement dépendante des importations de gaz provenant de pays tiers et qu’il est dans l’intérêt de l’Union et des consommateurs de gaz que la transparence et la compétitivité soient également la règle pour les gazoducs en provenance de ces
pays.
197 La Commission a également justifié ladite proposition de directive au regard du principe de subsidiarité par le fait que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers ont, dans la plupart des cas, une capacité susceptible d’avoir une incidence sur le marché intérieur du gaz et la sécurité de l’approvisionnement dans plusieurs États membres.
198 Dans le document de travail accompagnant sa proposition de directive, la Commission a précisé que, en 2016, 70,4 % de la demande en gaz de l’Union avait été couverte par des importations et que 87 % de ces importations étaient effectuées au moyen de gazoducs.
199 Dans ce contexte, il convient de souligner, en premier lieu, que, quelle que soit la longueur du tronçon du ou des gazoducs entre un État membre et un pays tiers couverts par les obligations prévues par la directive 2009/73, l’application de ces obligations aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, pris dans leur ensemble, et au gazoduc Nord Stream 2, en particulier, est apte à réaliser l’objectif d’achèvement du marché intérieur du gaz naturel en évitant les distorsions de concurrence
et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement.
200 En effet, la directive 2009/73 prévoit notamment, premièrement, une obligation de dissociation (unbundling) du réseau de transport et du gestionnaire de réseau de transport, deuxièmement, une obligation d’accès des tiers au réseau et, troisièmement, d’autres obligations portant notamment sur la transparence tarifaire et non tarifaire.
201 Premièrement, s’agissant de l’obligation de dissociation prévue à l’article 9 de la directive 2009/73, la Cour a déjà jugé en substance que, dans une situation où le gaz naturel produit en dehors de l’Union par une entreprise est transporté au sein de l’Union au moyen d’un réseau de transport appartenant à la même entreprise, le risque de comportements discriminatoires dans l’exploitation de ce réseau apparaît clairement [voir, en ce sens, arrêt du 2 septembre 2021, Commission/Allemagne
(Transposition des directives 2009/72 et 2009/73), C‑718/18, EU:C:2021:662, point 37].
202 À cet égard, il ressort en substance des considérants 6, 8 et 22 de la directive 2009/73 que l’obligation de dissociation évite que les fournisseurs dominants de gaz contrôlent l’infrastructure de transport et favorisent ainsi leur propre activité de fourniture, d’une part, et que cette obligation constitue un moyen efficace et stable de résoudre le conflit d’intérêts intrinsèque et d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, d’autre part.
203 L’aptitude de l’obligation de dissociation à réaliser les objectifs poursuivis par la directive attaquée est renforcée par le fait que le respect de l’obligation de dissociation doit être vérifié dans le cadre d’une procédure de certification du gestionnaire de réseau de transport prévue à l’article 10 de la directive 2009/73. L’obtention d’une certification conditionne la possibilité, pour le propriétaire d’un gazoduc entre un État membre et un pays tiers, d’effectuer des transactions portant
sur le transport de gaz à destination de l’Union.
204 En application de l’article 11 de la directive 2009/73, l’examen mené par l’autorité de régulation nationale compétente dans le cadre de la procédure de certification tient également compte des risques que pourrait présenter le gazoduc concerné pour la sécurité de l’approvisionnement de l’Union.
205 En vertu d’une application combinée des articles 10 et 11 de la directive 2009/73, la procédure de certification pourrait éventuellement être rouverte en cas de manquement aux obligations de dissociation ou de risque pour la sécurité de l’approvisionnement.
206 Deuxièmement, s’agissant de l’obligation d’accès des tiers prévue à l’article 32, il est vrai que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers et, notamment, le gazoduc Nord Stream 2 ne disposent pas nécessairement d’un point d’interconnexion et que l’existence d’une demande d’accès d’un tiers peut être uniquement éventuelle.
207 Toutefois, l’obligation d’accès des tiers prévue à l’article 32 de la directive 2009/73 couvre les demandes d’accès existantes et futures et comporte deux aspects : l’obligation de permettre le raccordement physique au gazoduc et l’obligation de permettre l’accès à des capacités de transport dans des conditions équitables.
208 Il s’ensuit que les tiers sont en droit de demander à se raccorder ou d’accéder aux capacités de transport des gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en ce qui concerne le tronçon de ces gazoducs qui relève du champ d’application territorial du droit de l’Union. Il ressort de l’article 41, paragraphes 6, 8 et 10, de la directive 2009/73 que les conditions de raccordement ou d’accès des tiers sont objectives, non‑discriminatoires et fondées sur des tarifs proportionnés et approuvés par
l’autorité de régulation compétente.
209 Troisièmement, comme l’a relevé la Commission dans le document de travail accompagnant sa proposition de directive, l’extension des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers a pour effet de rendre applicables, à ces gazoducs, les exigences de transparence tarifaire et non tarifaire qu’elle prévoit. Ces exigences de transparence ressortent notamment de l’article 41, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 7, de ladite directive ou des
dispositions plus générales de l’article 16, paragraphe 3, de cette même directive.
210 À cet égard, dans le document de travail accompagnant sa proposition de directive, la Commission a notamment expliqué qu’un manque de transparence dans l’exploitation des gazoducs entre un État membre et un pays tiers pouvait constituer un facteur de risque du point de vue de la sécurité de l’approvisionnement. Elle en a déduit qu’il importait de veiller à ce que les informations relatives à l’exploitation et à la maintenance d’infrastructures importantes soient mises à la disposition du marché
et puissent être utilisées par les autorités nationales et de l’Union concernées.
211 Il ressort de ce qui précède que les obligations prévues par la directive 2009/73 portent sur le mode d’exploitation des gazoducs, leur capacité de transport ou la transparence tarifaire ou non tarifaire dans le cadre de leur exploitation. Compte tenu de l’objet de ces obligations, le fait qu’elles s’appliquent uniquement à un tronçon des gazoducs entre un État membre et un pays tiers n’affecte aucunement l’aptitude desdites obligations à prévenir les distorsions de concurrence et les effets
négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement et donc à réaliser les objectifs poursuivis par la directive attaquée, ainsi que le Parlement, le Conseil et la Commission l’ont expliqué en réponse à des mesures d’organisation de la procédure.
212 En second lieu, la circonstance, alléguée par la requérante, selon laquelle la directive attaquée s’applique uniquement à une fraction de la capacité d’importation des pays tiers, à savoir la capacité du gazoduc Nord Stream 2, n’est pas susceptible de remettre en cause l’aptitude de la directive attaquée à prévenir les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement.
213 À cet égard, premièrement, il importe de souligner que le projet de gazoduc Nord Stream 2 a été lancé dans un contexte particulier. En effet, à plusieurs reprises avant le lancement de ce projet, de nombreux États membres avaient été confrontés à des pénuries de gaz en raison de différends impliquant la Fédération de Russie. Les trois principales routes empruntées par le gaz en provenance de ce pays tiers étaient à l’époque le système de transit ukrainien, le gazoduc Nord Stream 1 et le gazoduc
Yamal-Europe qui transite par la Biélorussie.
214 Par ailleurs, le gazoduc Nord Stream 2 est chronologiquement le second gazoduc en mer qui, après le gazoduc Nord Stream 1, relie directement la Russie à l’Allemagne. Le gazoduc Nord Stream 2 conduit ainsi à doubler la capacité de gaz pouvant être transporté au moyen d’une route située uniquement en mer (voir point 6 ci-dessus). Les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2 ont donc la capacité de transporter plus de 80 % du gaz importé de Russie, sachant que les importations de gaz en provenance
de Russie représentaient 42 % des importations au sein de l’Union en 2016.
215 Il s’ensuit, tout d’abord, que le projet de la requérante est susceptible d’aboutir à une concentration des sources en gaz. En effet, il a le potentiel de renforcer la place des importations en provenance de Russie dans la mesure où il contribue à accroître les capacités d’importation de gaz en provenance de ce pays tiers. Par voie de conséquence, il est susceptible de dissuader la construction ou le développement d’infrastructures reliant l’Union à d’autres pays tiers.
216 Ensuite, le projet de la requérante présente le risque de conduire à une plus grande concentration des fournisseurs de gaz dans l’Union. En effet, ce projet est susceptible de renforcer la position de Gazprom sur les marchés de gros et de détail de l’Union, en qualité d’opérateur verticalement intégré.
217 À cet égard, il est vrai que la requérante n’est ni l’expéditeur du gaz, ni partie aux contrats de fourniture de gaz, qui se rapportent au gaz acheminé par le gazoduc Nord Stream 2. Cependant, l’expéditeur du gaz et le signataire des contrats de fourniture de gaz sont soit son actionnaire unique, soit une filiale de celui‑ci.
218 Enfin, le projet de la requérante mène à une concentration des points d’entrée du gaz importé dans l’Union et des routes d’acheminement. En effet, ce projet est susceptible d’aboutir à une concentration, dans un seul État membre, de l’entrée du gaz en provenance de Russie et de modifier le sens de circulation des flux de gaz au sein de l’Union. Ce projet peut donc conduire à délaisser les gazoducs terrestres et les routes existantes, qui sont soumis aux obligations prévues par la directive
2009/73, au profit d’un corridor représenté par les gazoducs Nord Stream 1 et Nord Stream 2. Ce risque est d’autant plus grand que, comme cela ressort des pièces du dossier soumises au Tribunal, la capacité des gazoducs en service, qui acheminaient déjà du gaz en provenance de Russie, n’était pas pleinement exploitée.
219 Deuxièmement, la directive attaquée s’applique à l’ensemble des gazoducs existants et futurs, terrestres ou en mer.
220 À cet égard, la circonstance selon laquelle les gazoducs achevés avant le 23 mai 2019 peuvent demander une dérogation au titre de l’article 49 bis et selon laquelle les nouvelles infrastructures gazières peuvent demander une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, ne signifie pas que lesdits gazoducs obtiennent automatiquement une dérogation ou une exemption. L’exemption et la dérogation prévues respectivement à l’article 36, tel que modifié, et à l’article 49 bis sont en effet
accordées uniquement à l’issue d’un examen au cas par cas par les autorités compétentes. Par ailleurs, elles sont limitées dans le temps et peuvent être subordonnées au respect de certaines conditions.
221 Troisièmement, il importe de souligner que la directive attaquée a été adoptée dans un contexte dans lequel de nombreux gazoducs achevés entre un État membre et un pays tiers, en particulier terrestres, étaient déjà soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73 par l’effet d’autres instruments juridiques, tels que des accords internationaux.
222 Dès lors, même si, à la date d’adoption et d’entrée en vigueur de la directive attaquée, le gazoduc Nord Stream 2 était le seul à ne pas pouvoir bénéficier d’une exemption ou d’une dérogation, cette directive accroît la capacité d’importation en provenance des pays tiers couverte par les obligations prévues par la directive 2009/73.
223 Dans le même temps, la directive attaquée assure des conditions de concurrence équitables entre, d’une part, les gazoducs entre un État membre et un pays tiers qui étaient déjà soumis aux obligations prévues par la directive 2009/73 et, d’autre part, les gazoducs entre un État membre et un pays tiers qui, comme le gazoduc Nord Stream 2, seront soumis auxdites obligations par l’effet de la directive attaquée.
224 Il résulte de ce qui précède que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et au gazoduc Nord Stream 2, en particulier, est apte à prévenir les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement.
225 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments avancés par la requérante.
226 La requérante soutient que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer, et notamment au gazoduc Nord Stream 2, n’aide pas à réaliser un marché intégré de la vente en gros de gaz au sein de l’Union.
227 À cet égard, il y a lieu de souligner que, certes, les pays tiers concernés ne cherchent pas à intégrer leurs marchés de la vente en gros les uns avec les autres.
228 Toutefois, les opérateurs de ces pays tiers cherchent à vendre leur gaz en gros à l’intérieur de l’Union et à transporter ce gaz au moyen de gazoducs entre un État membre et un pays tiers dont au moins un tronçon est situé sur le territoire de l’Union.
229 La requérante fait également valoir que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers situés en mer et, en particulier, le gazoduc Nord Stream 2 sont intrinsèquement différents des réseaux de transport de gaz au sens de la directive 2009/73 et présentent davantage de similitude avec des gazoducs en amont.
230 À cet égard, il y a lieu de souligner que l’article 2, point 2, de la directive 2009/73 définit un « réseau de gazoducs en amont » comme un gazoduc ou réseau de gazoducs exploité et/ou construit dans le cadre d’un projet de production de pétrole ou de gaz, ou utilisé pour transporter du gaz naturel d’un ou plusieurs sites de production de ce type vers une usine ou un terminal de traitement ou un terminal d’atterrage final.
231 Or, d’une part, la requérante ne démontre pas que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, tels que le gazoduc Nord Stream 2, sont conçus dans le cadre d’un projet de production de gaz en particulier ou sont conçus pour transporter du gaz naturel depuis des sites de production vers une usine ou un terminal de traitement ou un terminal d’atterrage final.
232 S’agissant en particulier du gazoduc Nord Stream 2, les champs de production situés en Russie sont connectés audit gazoduc non pas directement, mais uniquement par l’intermédiaire du réseau de transport de gaz de la Fédération de Russie. Ainsi, le gazoduc Nord Stream 2 relie le réseau de transport russe et le réseau de transport d’un État membre et est potentiellement en mesure de transporter, depuis son point de départ, du gaz qui a été collecté par différents moyens auprès de différentes
sources.
233 D’autre part, la directive attaquée vise précisément à remédier aux problèmes en termes de concurrence et de sécurité de l’approvisionnement posés par le fait que des gazoducs entre un État membre et un pays tiers, tels que le gazoduc Nord Stream 2, sont détenus, directement ou indirectement, par des fournisseurs de gaz dominants et utilisés uniquement par lesdits fournisseurs.
234 D’ailleurs, la directive 2009/73 s’applique aux gazoducs en amont situés sur le territoire de l’Union et son article 34 garantit l’accès des tiers à ces gazoducs.
235 Par conséquent, la requérante n’a pas démontré que la directive attaquée et, plus précisément, l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers est inapte à réaliser l’ensemble des objectifs qu’elle poursuit (voir points 179 et 180 ci-dessus), en ce que le gazoduc Nord Stream 2 serait le seul gazoduc entre un État membre et un pays tiers qui ne peut bénéficier ni de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié, ni de la
dérogation prévue à l’article 49 bis.
b) Sur l’absence de dépassement des limites de ce qui est nécessaire en ce que la requérante ne peut bénéficier ni d’une exemption ni d’une dérogation
236 Il y a lieu d’examiner, premièrement, l’argumentation de la requérante tirée du caractère suffisant de la réglementation du premier point d’entrée dans l’Union et, deuxièmement, l’argumentation de la requérante tirée des contraintes qu’elle doit supporter au motif qu’elle ne peut bénéficier ni d’une exemption au titre de l’article 36, tel que modifié, ni d’une dérogation au titre de l’article 49 bis.
1) Sur le prétendu caractère suffisant de la réglementation du premier point d’entrée dans l’Union
237 La requérante soutient que la réglementation du point d’entrée sur le réseau de transport de gaz de l’Union était suffisante pour atteindre les objectifs poursuivis par la directive attaquée.
238 À cet égard, il convient de relever que cet argument est fondé sur la prémisse, rejetée aux points 229 à 234 ci-dessus, que les gazoducs entre un État membre et un pays tiers, tels que le gazoduc Nord Stream 2, sont assimilables à des gazoducs en amont.
239 La requérante ne démontre donc pas que la réglementation au premier point d’entrée dans l’Union permettrait d’atteindre les objectifs poursuivis par la directive attaquée.
240 En tout état de cause, il ressort, au contraire, de la directive 2009/73 que les obligations qu’elle prévoit ne s’appliquent pas uniquement au point d’entrée précis sur un réseau de transport, mais, plus généralement, aux réseaux de transport, aux gestionnaires de réseau de transport ou aux conduites de transport. En outre, ces obligations, applicables au transport du gaz, apportent une contribution supplémentaire par rapport à une réglementation de la seule fourniture de gaz, qui serait limitée
au premier point d’entrée dans l’Union.
241 Ainsi, les éléments à la disposition du Tribunal démontrent que la réglementation au seul premier point d’entrée dans l’Union n’aurait rien changé à la situation qui prévalait avant l’adoption de la directive attaquée et que la requérante aurait donc été en mesure d’exploiter le gazoduc Nord Stream 2 et de transporter le gaz fournit par son actionnaire unique sans être soumise au droit de l’Union, ce qui n’est pas l’objectif poursuivi par cette directive.
2) Sur les contraintes supportées par la requérante
242 En premier lieu, il est vrai que, comme cela ressort de l’exposé des motifs de la proposition de directive et du document de travail accompagnant cette proposition, la dérogation prévue à l’article 49 bis contribue à la proportionnalité de la directive attaquée au motif qu’elle garantit une flexibilité suffisante pour éviter tout effet négatif de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73.
243 Toutefois, la circonstance selon laquelle la requérante ne peut bénéficier ni de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié, ni de la dérogation prévue à l’article 49 bis ne permet pas de conclure que la directive attaquée dépasse les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs qu’elle poursuit.
244 En effet, premièrement, la situation de la requérante s’explique par le fait qu’elle a décidé d’investir et poursuivi ses investissements dans le gazoduc Nord Stream 2 dans un contexte d’application prévisible des obligations prévues par la directive 2009/73 à l’ensemble des gazoduc entre un État membre et un pays tiers, dont le gazoduc Nord Stream 2 (voir points 54 à 94 ci‑dessus).
245 Deuxièmement, la circonstance selon laquelle la requérante ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis n’entraîne pas une différence de traitement injustifiée à son détriment. En effet, dans la mesure où le gazoduc Nord Stream 2 n’était pas achevé avant le 23 mai 2019, la requérante ne se trouvait pas dans une situation comparable aux gazoducs achevés avant cette date (voir points 122 à 143 ci‑dessus). En tout état de cause, une éventuelle différence de traitement était
objectivement justifiée au regard de l’objectif de l’article 49 bis visant à tenir compte de l’absence de règles spécifiques de l’Union avant la date d’entrée en vigueur de la directive attaquée (voir points 150 à 168 ci-dessus).
246 En deuxième lieu, le fait que la requérante ne puisse pas exploiter le gazoduc Nord Stream 2 comme elle l’avait initialement envisagé ne démontre pas que la directive attaquée lui impose des contraintes démesurées.
247 En effet, premièrement, la directive 2009/73 prévoit le choix entre trois modèles de dissociation qui ont tous été transposés en droit allemand, à savoir le modèle de dissociation intégrale des structures de propriété, le modèle du gestionnaire de réseau indépendant et le modèle du gestionnaire de réseau de transport indépendant.
248 Il convient d’ajouter que l’adoption de la directive attaquée était prévisible par la requérante et que les États membres avaient l’obligation de transposer cette directive au plus tard le 24 février 2020. La requérante a donc disposé d’un délai assez long pour prévoir et anticiper l’obligation de certification et la procédure qui y est associée.
249 Deuxièmement, l’obligation de fournir un accès au gazoduc Nord Stream 2 aux tiers empêche, certes, la requérante de réserver 100 % de la capacité de transport de ce gazoduc à long terme au profit d’une filiale de son actionnaire unique.
250 Toutefois, il ne ressort pas des extraits de l’accord de transport de gaz produits par la requérante que cet accord prévoyait une réservation de capacité de 100 %. En tout état de cause, la requérante reconnaît que, même si les obligations prévues par la directive 2009/73 lui sont applicables, elle demeure en droit de réserver 80 % de la capacité du gazoduc Nord Stream 2 pour une durée maximale de quinze ans.
251 Troisièmement, s’agissant de l’incidence de la réglementation tarifaire sur sa situation, l’argumentation de la requérante est fondée sur l’hypothèse, non démontrée, mais bénéfique aux tiers, que l’agence fédérale des réseaux (Bundesnetzagentur) approuvera des tarifs considérablement inférieurs au tarif convenu dans l’accord de transport de gaz.
252 Par ailleurs, la réglementation tarifaire prévue par la directive 2009/73 n’empêche pas la requérante d’exploiter le gazoduc Nord Stream 2 d’une manière économiquement acceptable et d’obtenir un rendement approprié de ses investissements (voir point 109 ci‑dessus).
253 Quatrièmement, la requérante soutient que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aura des conséquences considérables sur sa situation en raison des stipulations de l’accord de transport de gaz et des accords de financement qu’elle a conclus avant l’adoption de la directive attaquée.
254 Cependant, la requérante a conclu l’accord de transport de gaz avec une filiale de son actionnaire unique et elle ne démontre pas qu’elle est dans l’impossibilité de renégocier cet accord.
255 S’agissant des accords de financement, ils sont, certes, étroitement liés à l’accord de transport de gaz. Toutefois, les financements garantis par ces accords de financement étaient, pour moitié, fournis par l’actionnaire unique de la requérante.
256 Cinquièmement, la requérante n’a pas démontré les conséquences financières liées à l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 au gazoduc Nord Stream 2.
257 À cet égard, étant donné que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 au gazoduc Nord Stream 2 n’empêche pas la requérante d’exploiter ce gazoduc d’une manière économiquement acceptable et d’obtenir un rendement approprié de ses investissements, les chiffres avancés par cette dernière quant à l’ampleur de ses investissements à la date d’adoption de la directive attaquée ou le chiffre de 8 milliards d’euros avancé lors de l’audience ne permettent pas au Tribunal d’apprécier
lesdites conséquences financières.
258 En effet, ces conséquences financières ne peuvent à l’évidence pas être appréciées au regard du niveau des investissements consentis. Ces conséquences correspondent uniquement aux coûts que la requérante devra supporter pour se conformer à la directive attaquée et, notamment, à la perte éventuelle de rentabilité résultant de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 au gazoduc Nord Stream 2.
259 Or, la requérante n’a pas fourni ces chiffres.
260 En troisième lieu, la directive attaquée ne fait pas obstacle à la possibilité, pour la Commission, de négocier un accord international avec la Fédération de Russie afin de traiter la situation spécifique du gazoduc Nord Stream 2.
261 Par conséquent, d’une part, la requérante ne démontre pas que la directive attaquée lui impose des obligations qui ne sont pas nécessaires au regard de l’objectif d’achèvement du marché intérieur.
262 D’autre part, la requérante ne démontre pas que les inconvénients, pour elle ou pour l’Union et ses États membres, résultant de l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 sont manifestement démesurés par rapport à l’importance des objectifs poursuivis et des avantages tirés par l’Union de ces obligations.
263 Compte tenu de ce qui précède et eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le législateur (voir points 34 à 37 ci-dessus), la requérante ne démontre pas que l’application des obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers, en général, et au gazoduc Nord Stream 2, en particulier, est manifestement inappropriée pour atteindre les objectifs poursuivis par la directive attaquée.
264 Le deuxième moyen est donc rejeté.
5. Sur le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir
265 Selon la requérante, il ressort de son deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité, que la directive attaquée est incapable de contribuer d’une manière utile à la réalisation de ses objectifs déclarés et, en tout état de cause, ne contribue pas à la réalisation desdits objectifs.
266 Au contraire, l’objectif réel de la directive attaquée consisterait simplement à désavantager et à décourager le projet Nord Stream 2 afin, apparemment, de protéger le transit de gaz par l’Ukraine et les États membres de transit d’Europe de l’Est, tels que la Pologne, la Slovaquie, la Tchéquie, la Hongrie et la Roumanie, et afin de poursuivre certains objectifs liés à la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. À cet égard, la requérante invoque des déclarations de la Commission,
du Conseil et du Parlement, des lettres d’un groupe d’États membres s’opposant au projet, une fiche d’information de la Commission accompagnant la proposition de directive et, enfin, le fait que la directive attaquée a été proposée uniquement afin de contourner les difficultés juridiques soulevées par la demande de mandat mentionnée au point 78 ci‑dessus.
267 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République d’Estonie, la République de Lituanie et la Commission, contestent les allégations de la requérante.
268 À cet égard, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur la base d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce (voir arrêt du 16 avril 2013, Espagne et Italie/Conseil, C‑274/11 et C‑295/11,
EU:C:2013:240, point 33 et jurisprudence citée).
269 En l’espèce, il convient de rappeler que la directive attaquée est fondée sur l’article 194 TFUE et que la requérante ne soutient pas que la base juridique de cette directive est erronée.
270 Le simple fait que la directive attaquée affecte négativement le gazoduc Nord Stream 2 ne peut pas, à lui seul, être interprété en ce sens que l’intention du législateur aurait été de poursuivre un objectif différent de ceux visés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE.
271 Ainsi que cela ressort de l’examen du deuxième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, la requérante ne démontre pas que la directive attaquée a été adoptée afin de poursuivre des objectifs autres que ceux mentionnés dans ladite directive et que la volonté de désavantager le gazoduc Nord Stream 2 a constitué un objectif poursuivi par la directive attaquée.
272 En revanche, la directive attaquée a bien pour objectif de remédier à des problèmes plus larges que le projet de la requérante avait contribué à mettre en lumière.
273 En effet, la directive attaquée traite des obstacles à l’achèvement du marché intérieur du gaz naturel, à savoir, en substance, l’un des objectifs mentionnés à l’article 194, paragraphe 1, TFUE. À cette fin, cette directive réalise les objectifs plus spécifiques de sécurité juridique, de cohérence du cadre juridique et de prévention des distorsions de concurrence et des effets néfastes sur la sécurité de l’approvisionnement au moyen d’une extension des obligations prévues par la directive
2009/73 à l’ensemble des gazoducs à destination et en provenance des pays tiers, que ces gazoducs soient terrestres ou en mer, futurs ou existants.
274 Par ailleurs, la requérante ne démontre pas que la directive attaquée, qui ne l’empêche pas d’exploiter son gazoduc d’une manière économiquement acceptable et d’obtenir un rendement approprié de ses investissements, dépasse les limites de ce qui est nécessaire pour réaliser les objectifs poursuivis en ce qu’elle ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis.
275 Enfin, sans préjudice de la répartition des compétences entre l’Union et les États membres, la directive attaquée vise à tirer les conséquences de l’applicabilité des principes de la directive 2009/73 aux gazoducs existants et futurs sur les accords internationaux existants ou futurs, conclus ou à conclure, entre l’Union ou un État membre, d’une part, et un pays tiers, d’autre part.
276 La requérante n’est pas davantage fondée à faire valoir que la directive attaquée a pour objet de contourner les difficultés juridiques qui étaient posées par la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil afin d’être autorisée à négocier un accord international avec la Fédération de Russie au sujet du gazoduc Nord Stream 2.
277 En effet, ainsi que cela ressort de l’exposé des motifs de la proposition de directive, la directive attaquée ne se substitue pas à une décision du Conseil autorisant la Commission à négocier un tel accord. La directive attaquée et la négociation d’un accord international par la Commission sont, en revanche, des instruments complémentaires.
278 Par ailleurs, les déclarations et les prises de position invoquées par la requérante étaient précisément motivées par un ou plusieurs des objectifs mentionnés à l’article 194 TFUE et poursuivis par la directive attaquée.
279 Le quatrième moyen est donc rejeté.
6. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des formes substantielles
280 Le cinquième moyen invoqué par la requérante comporte trois branches.
281 Par la première branche, la requérante invoque l’absence de larges consultations, conformément à l’article 2 du protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE. La Commission n’aurait pas davantage procédé à un bilan de la qualité de la législation existante. Selon la requérante, la proposition de directive ne repose pas sur une pratique établie et constante consistant à appliquer les obligations prévues par la directive
2009/73 à l’égard des pays tiers.
282 Par la deuxième branche, la requérante invoque l’absence d’analyse d’impact. Une telle analyse aurait été manifestement nécessaire et aurait constitué une condition préalable et essentielle à la validité de la proposition de directive en raison, en substance, de ses effets considérables, notamment sur la requérante.
283 L’omission de procéder à de larges consultations et à une analyse d’impact constituerait une violation de formalités substantielles.
284 Par la troisième branche, la requérante fait valoir que les véritables objectifs de la proposition de directive et ses implications n’ont pas été clarifiés, notamment au moyen d’une analyse d’impact. Ainsi, une consultation utile en droit n’aurait pas pu avoir lieu en violation du protocole no 1 sur le rôle des parlements nationaux dans l’Union européenne, annexé au traité UE et au traité FUE.
285 Par ailleurs, la proposition de directive n’aurait pas comporté de justifications de fond conformes à l’article 5 du protocole no 2 au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
286 Le Parlement et le Conseil, soutenus par la République d’Estonie, la République de Lituanie, la République de Pologne et la Commission, contestent les allégations de la requérante.
287 À titre liminaire, il importe de souligner que, même lorsque le juge de l’Union procède à un contrôle juridictionnel d’une portée limitée en raison du large pouvoir d’appréciation dont dispose le législateur de l’Union, un tel contrôle requiert que les institutions de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les
éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que ces institutions doivent, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 81).
288 Par ailleurs, il ressort, d’une part, du protocole no 2 et, en particulier, de son article 2 et, d’autre part, de l’accord interinstitutionnel du 13 avril 2016 entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer » (JO 2016, L 123, p. 1), que les larges consultations, les évaluations ex post de la législation existante et les analyses d’impact visent à garantir la qualité de la législation et à permettre aux différents acteurs qui
interviennent au cours de la procédure législative de porter une appréciation en connaissance de cause au regard, selon leurs compétences respectives, des principes de subsidiarité et/ou de proportionnalité.
289 En l’espèce, tout d’abord, il est constant que la Commission n’a pas, d’une part, procédé à de larges consultations afférentes à l’objet spécifique de la proposition de directive avant de présenter cette proposition et, d’autre part, justifié sa démarche par un cas d’urgence exceptionnelle.
290 Ensuite, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive, la Commission a considéré qu’un processus d’évaluation distinct et ex post de la législation existante n’était pas nécessaire.
291 Enfin, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive et dans le document de travail accompagnant cette proposition, la Commission a expliqué que sa proposition ne requérait pas une analyse d’impact détaillée.
292 Afin d’apprécier si la procédure suivie en l’espèce est régulière, il convient de traiter ensemble les trois branches du cinquième moyen et d’examiner, premièrement, les éléments pris en compte par la Commission pour l’élaboration de la proposition de directive puis fournis aux autres acteurs du processus législatif et, deuxièmement, les éléments supplémentaires dont disposaient le Parlement et le Conseil au moment où ils ont examiné cette proposition de directive puis adopté la directive
attaquée.
a) Sur les éléments pris en compte par la Commission pour l’élaboration de la proposition de directive
293 En premier lieu, il importe de rappeler que la proposition de directive faisait suite à des orientations politiques clairement exprimées, parfois à plusieurs reprises, par les institutions de l’Union et le Conseil européen, ainsi que cela ressort des points 56 à 72 ci-dessus. Par ailleurs, ces orientations se sont concrétisées dans la demande de mandat adressée par la Commission au Conseil, puis dans la proposition de directive (voir points 78 à 82 ci-dessus).
294 En deuxième lieu, d’abord, la directive attaquée aboutissait à l’extension des principes et des mécanismes qui, conformément à la directive 2009/73, étaient déjà applicables aux gazoducs qui traversaient ou franchissaient la frontière entre deux États membres, à la seule fin de relier les réseaux de transport de ces États membres.
295 Ensuite, s’agissant des gazoducs entre un État membre et un pays tiers, il y a lieu de relever que la proposition de directive de la Commission avait été précédée de l’adoption de la décision (UE) 2017/684 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2017, établissant un mécanisme d’échange d’informations en ce qui concerne les accords intergouvernementaux et les instruments non contraignants conclus entre des États membres et des pays tiers dans le domaine de l’énergie, et abrogeant la
décision no 994/2012 (JO 2017, L 99, p. 1).
296 Dans le cadre de la procédure ayant précédé l’adoption de la décision 2017/684, la Commission avait procédé à de nombreuses démarches, organisé de nombreuses réunions et mené une consultation publique entre juillet et octobre 2015. Par ailleurs, elle avait procédé à une analyse d’impact dont il ressort qu’elle disposait d’une connaissance approfondie des questions abordées dans la proposition de directive. En effet, la Commission connaissait d’une manière détaillée les caractéristiques des
gazoducs existants auxquels la directive proposée était susceptible de s’appliquer. Dans le cadre de son examen des accords intergouvernementaux, qui lui avaient été notifiés par les États membres sous l’empire de la décision no 994/2012, la Commission avait été en mesure d’analyser l’effet de la soumission des gazoducs entre un État membre et un pays tiers aux obligations prévues par la directive 2009/73.
297 À cet égard, il est vrai que, parmi les 50 accords intergouvernementaux environ portant sur la fourniture, l’importation ou le transit de produits énergétiques, qui lui avaient été notifiés en application de la décision no 994/2012, la Commission avait exprimé des doutes sur la compatibilité de 17 accords avec le troisième paquet « Énergie » ou le droit de la concurrence.
298 Toutefois, six de ces accords concernaient le projet South Stream, qui a été abandonné.
299 Par ailleurs, les exigences posées par la directive 2009/73 figuraient dans de nombreux autres accords intergouvernementaux. En effet, ces exigences étaient systématiquement appliquées aux gazoducs terrestres entre un État membre et un pays tiers.
300 En outre, certains pays tiers étaient déjà tenus de se conformer au droit de l’Union en raison de leur appartenance à l’Espace économique européen ou à la Communauté de l’énergie.
301 C’est dans ce contexte que, dans l’exposé des motifs de la proposition de directive, la Commission a souligné, en substance, qu’il existait une pratique consistant à appliquer les obligations prévues par la directive 2009/73 en ce qui concernait les pays tiers, notamment au moyen d’accords intergouvernementaux.
302 Ainsi, d’une part, préalablement à l’adoption de la proposition de directive, la Commission avait déjà mené des consultations et réalisé une analyse d’impact sur des questions étroitement liées à celles abordées dans ladite proposition. D’autre part, la Commission était fondée à invoquer l’existence d’une pratique existante, qui consistait à appliquer les obligations prévues par la directive 2009/73 aux gazoducs entre un État membre et un pays tiers.
303 En troisième lieu, comme cela ressort de l’examen du deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité (voir points 181 à 263 ci-dessus), le document de travail accompagnant la proposition de directive contenait une présentation des problèmes posés par la situation qui préexistait et une appréciation de l’impact juridique et économique de cette proposition.
304 Ainsi, il est vrai que la proposition de directive n’a pas été accompagnée d’une évaluation distincte de la qualité de la législation existante et d’une analyse d’impact détaillée des modifications proposées.
305 Toutefois, la Commission était fondée à considérer qu’elle était suffisamment informée, compte tenu du contexte de la proposition de directive, de l’objet des modifications proposées de la législation existante, des consultations et des études d’impact qu’elle avait préalablement effectuées et, enfin, de l’appréciation de l’impact de sa proposition, figurant dans le document de travail qui accompagnait cette proposition.
306 Pour les mêmes motifs, le Comité des régions, le Comité économique et social européen (CESE), les parlements nationaux ainsi que le Parlement et le Conseil disposaient d’éléments suffisants pour porter une appréciation sur la proposition de directive dans le cadre de leurs compétences respectives.
307 L’appréciation qui figure au point précédent n’est pas remise en cause par les arguments de la requérante tirés, premièrement, des avis émis par le Comité des régions et par le CESE et, deuxièmement, du fait que les éléments d’information communiqués aux parlements nationaux ne leur auraient pas permis de rendre un avis en pleine connaissance de cause et donc d’exercer leur contrôle.
308 Premièrement, il y a lieu de relever que, certes, dans son avis sur la proposition de directive, le Comité des régions a mentionné l’importance d’une analyse d’impact, compte tenu de l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer ». Pour sa part, le CESE a souligné que l’absence d’analyse d’impact était regrettable.
309 Toutefois, ces deux organes consultatifs n’ont pas indiqué qu’ils étaient dans l’impossibilité de fournir un avis sur la proposition de directive. Ces organes ont soutenu la proposition de directive tout en recommandant des modifications qu’ils jugeaient nécessaires. La lecture des avis adoptés par ces deux organes montre que ces derniers étaient suffisamment informés des problèmes que la proposition de directive visait à résoudre et de l’impact de cette dernière, notamment sur les
investissements dans les infrastructures existantes ou futures. Le CESE a d’ailleurs souligné que certains des éléments factuels, qui étayaient les arguments formulés en faveur des modifications proposées, figuraient dans le document de travail accompagnant la proposition de directive ou dans les analyses approfondies effectuées par la Commission, telles que l’analyse d’impact de la directive 2009/73. Le CESE a également souligné qu’il était clair que la proposition visait à instaurer une
possibilité d’intervention majeure qui pourrait limiter le renforcement de la dépendance au gaz russe, et ainsi stimuler la diversité de l’approvisionnement.
310 Deuxièmement, s’agissant des parlements nationaux, il importe d’abord de relever que, comme le fait valoir le Conseil, les protocoles invoqués par la requérante accordent un rôle aux parlements nationaux uniquement en ce qui concerne le respect du principe de subsidiarité.
311 Dès lors, pour autant que la requérante soutient que les parlements nationaux n’ont pas été « suffisamment » consultés en ce qui concerne le respect du principe de proportionnalité, cette argumentation doit être rejetée.
312 Ensuite, s’agissant des arguments de la requérante dirigés contre la motivation de la proposition de directive au regard du principe de subsidiarité, il convient de relever que l’exposé des motifs de cette proposition présente clairement les raisons pour lesquelles une action au niveau de l’Union était nécessaire (voir points 193 et 197 ci-dessus).
313 Le document de travail accompagnant la proposition de directive contient des explications supplémentaires relatives à la nécessité d’une d’action législative au niveau de l’Union.
314 Ainsi, la proposition de directive était suffisamment motivée au regard du principe de subsidiarité.
315 Le contenu de l’avis motivé émis par le Sénat français confirme que, sur la base des éléments d’information dont ils disposaient, les parlements nationaux ont été mis en mesure de prendre position sur le respect du principe de subsidiarité. Au cours de la procédure devant le Tribunal, le Conseil a d’ailleurs produit les avis de trois autres parlements nationaux dans lesquels ces derniers n’ont pas soulevé d’objections au regard dudit principe.
316 Par conséquent, l’absence de consultations sur l’objet spécifique de la proposition de directive et l’absence d’évaluation distincte et détaillée de la qualité de la législation existante et de l’impact de la proposition de directive avant sa présentation ne sont pas susceptibles d’affecter la légalité de la directive attaquée.
317 Il en va d’autant plus ainsi que le Parlement et le Conseil ont recueilli des éléments d’information supplémentaires postérieurement à la présentation de la proposition de directive (voir points 318 et suivants ci-après).
b) Sur les éléments supplémentaires recueillis postérieurement à la présentation de la proposition de directive
318 Lors de l’adoption de la directive attaquée, le Parlement et le Conseil disposaient non seulement des éléments mentionnés aux points 293 à 303 ci-dessus, mais également d’éléments recueillis postérieurement à la présentation de la proposition de directive.
319 En effet, la Commission a mené une consultation publique sur la proposition de directive entre le 6 décembre 2017 et le 31 janvier 2018. En réponse à cette consultation, cette institution a reçu 37 contributions qui émanaient notamment des pouvoirs publics, d’organisations non gouvernementales, d’associations professionnelles et d’entreprises privées telles que la requérante. À cet égard, le Conseil affirme, sans être contredit par la requérante, que ce retour d’information a été pris en compte
lors de l’examen du dossier législatif par celui-ci.
320 Par ailleurs, une audition publique sur la « révision de la directive sur le gaz » a été organisée par le Parlement le 21 février 2018.
321 Enfin, il ressort des pièces produites par la requérante que plusieurs études et publications afférentes à la proposition de directive étaient à la disposition du législateur.
322 Compte tenu de ce qui précède, la requérante n’a pas démontré que l’absence de larges consultations sur l’objet spécifique de la proposition de directive avant l’adoption de celle-ci ainsi que l’absence d’évaluation distincte de la législation existante et d’analyse d’impact détaillée sont susceptibles d’affecter la légalité de la directive attaquée.
323 Dans la mesure où la requérante ferait valoir que les irrégularités qu’elle dénonce ont conduit le législateur à commettre un détournement de pouvoir ou à méconnaître les principes d’égalité de traitement et de proportionnalité, cette argumentation a déjà été rejetée aux points 113 à 279 ci‑dessus.
324 S’agissant de la prétendue violation du principe de subsidiarité, la requérante n’avance aucun élément de nature à démontrer une telle violation. En outre, au regard de l’article 7 du protocole no 2, l’avis motivé émis par le Sénat français, qui présentait un caractère isolé, n’appelait pas une réponse spécifique du législateur.
325 Le cinquième moyen est donc rejeté ainsi que, partant, les conclusions visant à l’annulation de l’article 49 bis dans leur ensemble.
C. Sur la demande de mesures d’organisation de la procédure
326 Par acte séparé déposé le 29 novembre 2019, la requérante a demandé au Tribunal d’adopter des mesures d’organisation de la procédure afin que le Conseil produise les versions non expurgées de 25 documents, qui contenaient notamment les observations présentées par les États membres sur la proposition de directive et auxquels l’un de ses employés avait obtenu un accès uniquement partiel sur le fondement du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à
l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43). Cette demande visait également deux autres documents auxquels l’accès avait été refusé à cet employé.
327 À cet égard, à la suite de l’ordonnance du 17 février 2023, Nord Stream 2/Parlement et Conseil (T‑526/19 RENV, non publiée, EU:T:2023:85), il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de mesures d’organisation de la procédure en ce qu’elle vise à la production de versions non expurgées des observations de la République fédérale d’Allemagne du 11 décembre 2017 et du 21 janvier 2019.
328 S’agissant des autres documents concernés par la demande de la requérante, il convient de souligner, premièrement, que cette demande vise à démontrer que le statut spécifique de la requérante était au cœur des motifs de la directive attaquée et que cette directive ciblait la requérante.
329 À cet égard, compte tenu des motifs pour lesquels le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir, a été rejeté (voir points 269 à 278 ci‑dessus), le fait que les États membres aient pris en compte la situation de la requérante et que ce fait puisse être étayé par un nombre plus élevé de documents que ceux dont cette dernière dispose déjà ne serait pas de nature à démontrer un détournement de pouvoir.
330 Deuxièmement, pour autant que la demande de mesures d’organisation de la procédure vise également à démontrer le bien-fondé des autres moyens invoqués par la requérante et, en particulier, la violation du principe d’égalité de traitement, il y a lieu de constater que la requérante détient et a produit devant le Tribunal un nombre non négligeable de documents relatifs aux débats qui ont eu lieu au sein du Conseil au cours de la procédure d’adoption de la directive attaquée et que, sur la base de
ces documents, la requérante a été en mesure de faire valoir ses arguments.
331 Par ailleurs, malgré le fait que, postérieurement au dépôt de la requête, la requérante a, par l’entremise de son employé, obtenu du Conseil un accès complet à 23 documents qu’elle avait demandés et un accès partiel à 25 autres documents, la requérante n’a pas, dans la réplique, exploité lesdits documents au soutien de ses différents moyens. En effet, la requérante a uniquement exploité trois de ces documents, afin de faire valoir que l’article 36, tel que modifié, et l’article 49 bis n’étaient
pas détachables du reste de la directive attaquée (voir point 19 ci-dessus).
332 Troisièmement, il ressort de l’examen des premier, deuxième et troisième moyens invoqués par la requérante que le législateur n’a pas méconnu les principes d’égalité de traitement, de proportionnalité et de sécurité juridique lorsqu’il a décidé que la dérogation prévue à l’article 49 bis était applicable aux gazoducs achevés avant le 23 mai 2019.
333 À cet égard, le fait que, dans le cadre de discussions ouvertes et évolutives qui se sont tenues lors de la procédure législative, certains États membres, dont la République fédérale d’Allemagne, aient émis des doutes sur la légalité de différentes versions de la proposition de directive au regard des principes généraux du droit, invoqués par la requérante, ne signifie pas que cette directive serait nécessairement illégale. D’ailleurs, il ressort d’un document produit par le Conseil que 27 États
membres ont voté en faveur de la directive et qu’un État membre, qui n’est pas la République fédérale d’Allemagne, s’est abstenu.
334 À la lumière, premièrement, de la motivation de la demande de mesures d’organisation de la procédure, deuxièmement, des documents auxquels la requérante a eu accès et de l’usage qu’elle en a fait et, troisièmement, des motifs pour lesquels les différents moyens invoqués par cette dernière ont été rejetés, il convient de rejeter la demande de mesures d’organisation de la procédure afférente aux documents pour lesquels ladite demande n’a pas perdu son objet.
335 Compte tenu de l’ensemble de ce qui précède, le recours est rejeté dans son intégralité.
V. Sur les dépens
336 Conformément à l’article 195 du règlement de procédure du Tribunal, il appartient au Tribunal de statuer dans le présent arrêt, d’une part, sur l’ensemble des dépens afférents aux procédures engagées devant lui, à savoir les procédures dans les affaires T‑526/19 et T‑526/19 RENV, et, d’autre part, sur les dépens afférents à la procédure de pourvoi, à savoir la procédure dans l’affaire C‑348/20 P.
337 À cet égard, le Parlement et le Conseil ayant, pour l’essentiel, succombé dans le cadre de la procédure de pourvoi, il y a lieu de les condamner à supporter les dépens afférents aux affaires T‑526/19 et C‑348/20 P, conformément aux conclusions de la requérante.
338 La requérante ayant succombé dans le cadre de la présente affaire, sauf en ce qui concerne la demande incidente du Conseil de retrait de certains documents du dossier (voir point 327 ci-dessus), il y a lieu de la condamner à supporter les dépens afférents à cette affaire, conformément aux conclusions du Parlement et du Conseil.
339 Par ailleurs, en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Pologne et la Commission supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par Nord Stream 2 AG dans le cadre des affaires T‑526/19 et C‑348/20 P.
3) Nord Stream 2 supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Parlement et par le Conseil dans le cadre l’affaire T‑526/19 RENV.
4) La République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Pologne et la Commission européenne supporteront leurs propres dépens.
van der Woude
Svenningsen
Mac Eochaidh
Martín y Pérez de Nanclares
Stancu
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 27 novembre 2024.
Signatures
Table des matières
I. Antécédents du litige
A. Directive 2009/73
B. Requérante
C. Directive attaquée
II. Procédures antérieures devant le Tribunal et la Cour
III. Conclusions des parties
IV. En droit
A. Sur les conclusions visant à l’annulation de la directive attaquée dans son intégralité
B. Sur les conclusions visant à l’annulation de l’article 49 bis
1. Observations liminaires
2. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
a) Sur la circonstance selon laquelle la requérante ne peut pas bénéficier de l’exemption prévue à l’article 36, tel que modifié
1) Sur le contexte dans lequel la requérante a décidé d’investir
2) Sur la poursuite des investissements
b) Sur la circonstance selon laquelle la requérante ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 49 bis
3. Sur le premier moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement
a) Sur le prétendu traitement différencié de situations comparables
b) Sur la justification d’un éventuel traitement différencié de situations comparables
4. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité
a) Sur l’aptitude de la directive attaquée à réaliser les objectifs poursuivis en ce que la requérante ne peut bénéficier ni d’une exemption ni d’une dérogation
1) Sur l’aptitude de la directive attaquée à réaliser les objectifs de sécurité juridique et de cohérence du cadre juridique
2) Sur l’aptitude de la directive attaquée à prévenir les distorsions de concurrence et les effets négatifs sur la sécurité de l’approvisionnement
b) Sur l’absence de dépassement des limites de ce qui est nécessaire en ce que la requérante ne peut bénéficier ni d’une exemption ni d’une dérogation
1) Sur le prétendu caractère suffisant de la réglementation du premier point d’entrée dans l’Union
2) Sur les contraintes supportées par la requérante
5. Sur le quatrième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir
6. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation des formes substantielles
a) Sur les éléments pris en compte par la Commission pour l’élaboration de la proposition de directive
b) Sur les éléments supplémentaires recueillis postérieurement à la présentation de la proposition de directive
C. Sur la demande de mesures d’organisation de la procédure
V. Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Données confidentielles occultées.