ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
13 novembre 2024 ( *1 )
« Protection des consommateurs – Substances faisant l’objet d’interdictions, de restrictions ou sous contrôle de l’Union – Article 8, paragraphes 1 et 2, et annexe III du règlement (CE) no 1925/2006 – Interdiction et mise sous contrôle de certaines substances et préparations contenant des dérivés hydroxyanthracéniques – Article 1er, point 1, première et deuxième mentions, et point 2, première et deuxième mentions, du règlement (UE) 2021/468 – Notions de “substance”, d’“ingrédient” et de
“préparations” – Erreur de droit »
Dans l’affaire T‑271/21,
Ortis, établie à Bütgenbach (Belgique), représentée par Me A. de Brosses, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mmes F. Clotuche-Duvieusart, I. Galindo Martín et B. Rous Demiri, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie),
composé de Mmes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva, MM. U. Öberg (rapporteur), P. Zilgalvis et Mme E. Tichy‑Fisslberger, juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 27 juin 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Ortis, demande l’annulation du règlement (UE) 2021/468 de la Commission, du 18 mars 2021, modifiant l’annexe III du règlement (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les espèces végétales contenant des dérivés hydroxyanthracéniques (JO 2021, L 96, p. 6, ci‑après le « règlement attaqué »), en ce que, par l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, et point 2, première et deuxième mentions, dudit
règlement, la Commission européenne a inscrit certains des dérivés hydroxyanthracéniques (ci-après les « DHA ») et certaines préparations à l’annexe III, parties A et C, du règlement (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 20 décembre 2006, concernant l’adjonction de vitamines, de minéraux et de certaines autres substances aux denrées alimentaires (JO 2006, L 404, p. 26).
Antécédents du litige
2 La requérante est une société qui fabrique et commercialise des compléments alimentaires composés de séné (Cassia angustifolia Vahl) et de rhubarbe (Rheum palmatum L ou Rheum officinale Baillon), qui contiennent des DHA, dont l’émodine et l’aloe-émodine.
3 Les DHA forment une catégorie de substances chimiques à structure hétérogène et différente. Ils sont naturellement présents dans différentes espèces végétales, telles que certaines espèces d’Aloe ainsi que certains fruits et légumes. Ils sont largement utilisés dans les compléments alimentaires et les médicaments à base de plantes pour leur effet laxatif.
4 Le 29 juin 2016, la Commission a demandé à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) d’évaluer les informations disponibles sur la sécurité d’utilisation des DHA de toutes sources dans les denrées alimentaires. Elle l’a également invitée à recommander une dose journalière pour les DHA ne suscitant pas d’inquiétudes quant à d’éventuels effets nocifs sur la santé pour la population générale et, le cas échéant, pour les sous-groupes vulnérables de la population.
5 Pour ce faire, la Commission s’est notamment fondée sur l’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1925/2006 ainsi que sur son règlement d’exécution (UE) no 307/2012, du 11 avril 2012, établissant des modalités d’exécution pour la mise en œuvre de l’article 8 du règlement no 1925/2006 (JO 2012, L 102, p. 2).
6 Le 22 novembre 2017, l’EFSA a adopté un avis scientifique intitulé « Safety of hydroxyanthracene derivates for use in food » (Sécurité des dérivés hydroxyanthracéniques utilisés dans l’alimentation, ci‑après l’« avis scientifique de 2017 »), dans lequel elle a conclu ce qui suit :
« [L]es hydroxyanthracènes, l’émodine, l’aloe-émodine et la substance de structure apparentée qu’est la dantrone [se sont] révélés génotoxiques in vitro. Les extraits d’Aloe se sont également révélés génotoxiques in vitro, en raison, très probablement – au moins partiellement –, selon les conclusions du groupe d’experts, des [DHA] qu’ils contiennent. Toutefois, le groupe d’experts a également noté que les extraits d’Aloe appauvris en hydroxyanthracènes contenaient un ou plusieurs composants
génotoxiques supplémentaires.
En outre, il a été démontré que l’aloe-émodine était génotoxique chez les souris, que l’extrait de feuilles entières d’Aloe était cancérogène pour les rats et qu’il existait des preuves de cancérogénicité de la dantrone, qui est un analogue structural, chez les deux espèces de rongeurs. Étant donné que les extraits p[ouvai]ent contenir de l’aloe‑émodine et de l’émodine, le groupe d’experts a estimé que les [DHA] devraient être considérés comme génotoxiques et cancérogènes, sauf s’il exist[ait] des
données spécifiques établissant que ce n’[était] pas le cas, comme pour la rhéine, et que les extraits contenant des [DHA] pos[ai]ent un problème de sécurité [malgré] l’incertitude persist[ante]. Le groupe d’experts n’a pas été en mesure de formuler des avis sur une absorption alimentaire de [DHA] qui ne suscit[ait] pas de préoccupations quant aux effets nocifs [sur] la santé pour la population en général et, le cas échéant, pour les sous-groupes vulnérables de la population. »
7 Sur le fondement des conclusions de l’avis scientifique de 2017, la Commission a présenté une proposition initiale de règlement en vue d’une discussion avec un groupe d’experts sur les compléments alimentaires et les aliments enrichis le 22 juin 2018. Elle a proposé d’y inscrire, sur le fondement de l’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1925/2006, d’une part, « la feuille d’Aloe et ses préparations provenant d’espèces d’Aloe utilisées dans les compléments alimentaires à des fins
laxatives » dans la liste des substances dont l’adjonction ou l’utilisation dans les aliments fait l’objet d’une interdiction, figurant à l’annexe III, partie A, du règlement no 1925/2006 et, d’autre part, la « racine de rheum, le rhizome et ses préparations provenant de Rheum palmatum L, [de] Rheum officinale Baillon et de leurs hybrides utilisés dans les compléments alimentaires destinés à un usage laxatif », la « feuille de cassia, le fruit et leurs préparations provenant de Cassia senna L [et
de] Cassia angustifolia Vahl utilisés dans les compléments alimentaires destinés à un usage laxatif » et l’« écorce de rhamnus et ses préparations provenant de Rhamnus frangula L [et de] Rhamnus purshianus DC utilisées dans les compléments alimentaires destinés à un usage laxatif » dans la liste des substances dont l’utilisation dans les aliments fait l’objet d’une mise sous contrôle de l’Union européenne, figurant à l’annexe III, partie C, dudit règlement.
8 Le 4 mars 2020, un projet de règlement a été soumis à une consultation publique afin d’offrir à toutes les parties intéressées la possibilité de donner leur avis. Il prévoyait, d’une part, d’interdire notamment l’adjonction à des aliments ou l’utilisation dans la fabrication d’aliments de l’« aloe-émodine et tous les extraits dans lesquels cette substance est présente », de l’« émodine et tous les extraits dans lesquels cette substance est présente », et les « extraits de feuilles des espèces
d’Aloe contenant des [DHA] » et, d’autre part, la mise sous contrôle de l’Union des « extraits de racine, de rhizome de Rheum palmatum L, de Rheum officinale Baillon et de leurs hybrides contenant des [DHA] », des « extraits de feuille, de fruit de Cassia senna L contenant des [DHA] » et des « extraits de l’écorce de Rhamnus frangula L [et] de Rhamnus purshiana DC contenant des [DHA] ».
9 Le 10 juin 2020, la Commission a établi un rapport de synthèse de la réunion organisée avec la section intitulée « Législation alimentaire générale » du comité permanent de la chaîne alimentaire et de la santé animale (ci‑après le « comité Scopaff »).
10 Le 5 octobre 2020, la Commission a présenté un projet de règlement révisé au comité Scopaff.
11 Le 5 novembre 2020, le comité Scopaff a été consulté par la voie de la procédure écrite aux fins de l’émission d’un avis sur le projet de règlement de la Commission. À la suite de l’avis favorable rendu par ce dernier le 12 novembre 2020, ce projet de règlement a été examiné par le Parlement européen et par le Conseil de l’Union européenne.
12 Le 18 mars 2021, la Commission a adopté le règlement attaqué, par lequel elle a, par l’article 1er, point 1, première, deuxième et quatrième mentions, inscrit l’aloe-émodine, l’émodine et la dantrone ainsi que toutes les préparations dans lesquelles ces substances sont présentes, de même que, à la troisième mention, les préparations à partir de feuilles des espèces d’Aloe contenant des DHA à l’annexe III, partie A, du règlement no 1925/2006. Elle a également, par l’article 1er, point 2, première,
deuxième et troisième mentions, du règlement attaqué, inscrit les préparations à partir de racines ou de rhizomes de Rheum palmatum L, de Rheum officinale Baillon et de leurs hybrides contenant des DHA, les préparations à partir de feuilles ou de fruits de Cassia senna L contenant des DHA et les préparations à partir d’écorces de Rhamnus frangula L ou de Rhamnus purshiana DC contenant des DHA à l’annexe III, partie C, du règlement no 1925/2006.
13 À cet égard, au considérant 7 du règlement attaqué, la Commission a indiqué que « [l’EFSA] a[vait] constaté que les [DHA] [qu’étaient] l’aloe‑émodine et l’émodine ainsi que la substance de structure apparentée qu’[était] la dantrone s’étaient révélés génotoxiques in vitro », que « [l]es extraits d’[Aloe] [s’étaient] également révélés génotoxiques in vitro, en raison, très probablement, des [DHA] présents dans les extraits », que, « [e]n outre, l’aloe-émodine s’[était] révélée génotoxique in
vivo » et que « [l]’extrait de feuilles entières d’Aloe et la dantrone, qui [était] un analogue structural, [s’étaient] révélés cancérogènes ».
14 Le considérant 8 du règlement attaqué est libellé comme suit :
« Étant donné que les extraits p[ouvai]ent contenir de l’aloe-émodine et de l’émodine, l’[EFSA] a estimé que les [DHA] devraient être considérés comme génotoxiques et cancérogènes, sauf s’il exist[ait] des données spécifiques établissant que ce n’[était] pas le cas, et que les extraits contenant des [DHA] pos[ai]ent un problème de sécurité [malgré] l’incertitude persist[ante]. L’[EFSA] n’a pas été en mesure de recommander, pour les [DHA], une dose journalière ne suscitant pas d’inquiétude pour la
santé humaine. »
15 Au considérant 9 du règlement attaqué, la Commission a également précisé que, « [e]u égard aux effets nocifs graves sur la santé qui [étaie]nt associés à l’utilisation dans les denrées alimentaires d’aloe-émodine, d’émodine, de dantrone et d’extraits d’Aloe contenant des [DHA] et étant donné qu’aucune dose journalière ne suscitant pas d’inquiétude pour la santé humaine n’a[vait] pu être fixée pour les [DHA], il conv[enai]t d’interdire ces substances et que, par conséquent, il y a[vait] lieu
d’inscrire l’aloe‑émodine, l’émodine, la dantrone et les préparations d’Aloe contenant des [DHA] à l’annexe III, partie A, du règlement no 1925/2006 ».
16 Au considérant 10 du règlement attaqué, la Commission a ajouté que, « [p]endant la fabrication, les [DHA] p[ouvai]ent être éliminés des préparations végétales au moyen d’une série de procédés de filtrage qui permett[ai]ent d’obtenir des produits qui ne cont[enai]ent que des traces de ces substances sous forme d’impuretés ».
17 Enfin, au considérant 11 du règlement attaqué, la Commission a relevé que, étant donné que l’utilisation dans les denrées alimentaires de rheum, de cassia et de rhamnus et de leurs préparations pouvait avoir des effets nocifs sur la santé, mais que l’incertitude scientifique persistait quant à savoir si de telles préparations contenaient les substances énumérées à l’annexe III, partie A, du règlement no 1925/2006, il convenait de placer ces substances sous contrôle de l’Union et, par conséquent,
de les inscrire à l’annexe III, partie C, du règlement no 1925/2006.
Conclusions des parties
18 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler le règlement attaqué ;
– condamner la Commission aux dépens.
19 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la délimitation de l’objet du recours
20 Dans le cadre de la présente procédure, il est constant entre les parties que la requérante ne produit pas de produits qui contiennent de la dantrone, de « préparations à partir de feuilles des espèces d’Aloe contenant des [DHA] » ou de « préparations à partir d’écorces de Rhamnus frangula L ou de Rhamnus purshiana DC contenant des [DHA] ».
21 Par conséquent, conformément à ses écritures, la requérante doit être considérée comme demandant l’annulation de l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, et point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué.
Sur la recevabilité d’un argument nouveau en cours d’instance
22 Dans la duplique, la Commission a exprimé des doutes quant à la recevabilité, au sens de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, d’un « nouveau moyen » de la requérante présenté dans la réplique.
23 Ainsi, selon la Commission, la requérante aurait, dans la réplique, invoqué pour la première fois l’argument selon lequel la connaissance de l’exposition serait une exigence de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1925/2006, dès lors que le dépassement considérable des quantités d’une substance pouvant être ingérée dans des conditions normales de consommation devrait être caractérisé. Or, elle l’aurait fait dans le cadre de la première branche du premier moyen. En revanche, selon la
Commission, si, dans la requête, la requérante a mentionné le fait que le calcul de l’exposition aux DHA ne comportait aucune évaluation quantitative ou qualitative de la probabilité d’exposition aux DHA, il s’agirait d’un argument différent relevant de la deuxième branche du premier moyen.
24 Dans le cadre d’une procédure contradictoire, un argument qui constitue l’ampliation d’un moyen énoncé antérieurement, directement ou implicitement, dans la requête et qui présente un lien étroit avec celui-ci ne saurait être déclaré irrecevable. De plus, les arguments dont la substance présente un lien étroit avec un moyen énoncé dans la requête ne peuvent être considérés comme des moyens nouveaux au titre de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure et leur présentation est admise
au stade de la réplique ou de l’audience (arrêt du 8 novembre 2018, Pro NGO!/Commission, T‑454/17, EU:T:2018:755, point 70).
25 En l’espèce, l’ensemble des arguments avancés par la requérante dans le cadre du premier moyen de la requête repose, entre autres, sur la violation de l’article 8 du règlement no 1925/2006. L’argument invoqué par la requérante dans la réplique doit se comprendre comme visant à étayer la mise en cause de la légalité du règlement attaqué, en ce que la Commission n’aurait pas respecté l’obligation qui serait la sienne de procéder à une analyse des risques et d’évaluer la probabilité d’exposition à
certains DHA et à certaines préparations, sur le fondement tant de l’article 6 du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’EFSA et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO 2002, L 31, p. 1), que de l’article 8, paragraphes 1 et 2, du règlement no 1925/2006, et aurait inversé la charge de la preuve.
26 Le Tribunal constate par ailleurs que la question de l’évaluation du risque et de l’absence de considération de seuil fait également l’objet d’arguments de la requérante présentés dans la requête dans le cadre du deuxième moyen, tiré d’un détournement de pouvoir, du troisième moyen, tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, et du cinquième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité.
27 Le seul fait que la requérante n’a pas toujours présenté cette argumentation dans le cadre de la même branche du premier moyen n’est pas déterminant. En effet, selon la jurisprudence, la requête doit être interprétée dans le souci de lui donner un effet utile, en procédant à une appréciation d’ensemble de celle-ci (voir, en ce sens, ordonnance du 28 juin 2011, Verein Deutsche Sprache/Conseil, C‑93/11 P, non publiée, EU:C:2011:429, points 20 et 21).
28 L’argumentation de la requérante présentée dans la réplique n’est donc pas nouvelle par rapport aux moyens présentés dans la requête.
29 Partant, les doutes exprimés par la Commission quant à la recevabilité de cet argument doivent être rejetés comme étant non fondés.
Sur le fond
30 À l’appui de son recours, la requérante invoque cinq moyens.
31 Le premier moyen est divisé en trois branches. La première branche est tirée d’une violation de l’article 8, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006 et d’une erreur manifeste d’appréciation, en ce que, d’une part, il n’existerait aucune certitude scientifique quant à l’existence d’un effet nocif permettant l’inscription de certaines substances et préparations à l’annexe III, partie A, dudit règlement et, d’autre part, un seuil de risque à cet égard n’aurait pas été
établi. La deuxième branche est tirée d’une violation de la même disposition, en ce que celle-ci ne permettrait pas l’inscription de « préparations » à l’annexe III, partie C, dudit règlement. La troisième branche est également tirée d’une violation de la même disposition ainsi que de l’article 6 du règlement no 178/2002, en ce que les règles relatives à l’évaluation des risques incombant à l’EFSA et à la gestion du risque incombant à la Commission n’auraient pas été respectées.
32 Le deuxième moyen est tiré d’un détournement de pouvoir, en ce que le motif de santé publique évoqué pour justifier l’adoption du règlement attaqué ne correspondrait pas à la réalité et en ce que ledit règlement aurait dû s’appliquer uniquement aux compléments alimentaires avec des doses supérieures à celles présentes dans les aliments courants.
33 Le troisième moyen est tiré d’erreurs manifestes d’appréciation, en ce que l’avis scientifique de 2017 et le règlement attaqué auraient été adoptés au mépris des méthodologies d’évaluation des risques qu’il convenait de suivre et sans considération de seuil aux fins de l’interdiction des substances et préparations en cause.
34 Le quatrième moyen est tiré du fait que le règlement attaqué violerait le principe général de sécurité juridique, en ce que le terme de « préparations » serait non défini et imprécis et en ce que l’articulation entre le point 1 et le point 2 de l’article 1er dudit règlement serait entachée d’une incertitude juridique.
35 Le cinquième moyen est tiré d’une violation du principe de proportionnalité, en ce que l’inscription des substances en cause à l’annexe III, partie A, du règlement no 1925/2006, sans qu’un seuil ait été fixé, ne serait pas nécessaire pour atteindre l’objectif de protection de la santé publique.
36 En premier lieu, le Tribunal estime opportun d’examiner l’argumentation de la requérante avancée dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen et tirée de ce que l’article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1925/2006 ne permettrait pas d’inscrire des « préparations » sur la liste figurant à l’annexe III, partie C, dudit règlement. En second lieu, le Tribunal procédera à l’examen des arguments de la requérante invoqués dans le cadre de la première branche du premier moyen, des
deuxième, troisième et cinquième moyens et tirés de ce qu’un seuil de risque n’aurait pas été établi pour interdire l’adjonction à des aliments ou l’utilisation dans la fabrication d’aliments de certaines des substances et préparations en cause, conformément à l’article 8, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), i), dudit règlement.
Sur le moyen et les arguments tirés de ce que l’article 8 du règlement no 1925/2006 ne permettrait pas d’inscrire des « préparations » sur la liste figurant à l’annexe III, partie C, dudit règlement
37 Dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen, la requérante soutient que, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1925/2006, seules des « substances » autres que des vitamines ou des minéraux sont susceptibles de faire l’objet d’une mise sous contrôle de l’Union sur le fondement de cette disposition. Or, l’article 1er, point 2, du règlement attaqué ne viserait pas des « substances », mais des « préparations », qui différeraient les unes des autres d’un point de
vue sémantique.
38 Dès lors, la Commission n’aurait pu se fonder sur l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1925/2006 pour adopter l’article 1er, point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué.
39 La Commission fait valoir que la notion de « préparations » a été définie dans les orientations de l’EFSA du 10 septembre 2009 intitulées « Guidance on Safety assessment of botanicals and botanical preparations intended for use as ingredients in food supplements » (Orientations sur l’évaluation de la sécurité des plantes et des préparations végétales destinées à être utilisées comme ingrédients dans les compléments alimentaires) (ci‑après les « orientations de l’EFSA de 2009 »), selon lesquelles
« cette terminologie comprend toutes les préparations obtenues à partir d’éléments botaniques par divers procédés (par exemple, pressage, extraction, fractionnement, distillation, concentration, dessiccation et fermentation) ». Elle ajoute que le terme « substance » vient du latin « substantia » qui signifie « aliments » ou « nourriture » et que ce sens courant est conforme au contexte et aux objectifs de l’article 8 du règlement no 1925/2006, visant la protection de la santé des consommateurs.
40 La Commission précise en outre que, si le mot « ingrédient » figurant à l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006 n’est pas repris à l’article 8, paragraphe 2, sous b), de ce règlement, cela ne provient pas d’un choix conscient du législateur, qui n’aurait pu vouloir lui interdire d’inscrire des ingrédients, ou des préparations, à l’annexe III, partie C, dudit règlement.
41 Le Tribunal rappelle que l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1925/2006 dispose que la procédure d’interdiction, de restriction ou de mise sous contrôle de l’Union est appliquée si une substance autre que des vitamines ou des minéraux, ou un ingrédient contenant une substance autre que des vitamines ou des minéraux, vient s’ajouter à des aliments ou entre dans la fabrication d’aliments, de sorte qu’il en résulterait une ingestion de quantités de cette substance dépassant considérablement
celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées à un régime alimentaire équilibré et varié ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur.
42 En outre, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1925/2006, la Commission peut, de sa propre initiative ou sur la base des informations communiquées par les États membres, prendre la décision, après une évaluation dans chaque cas par l’EFSA des informations disponibles, d’inscrire, si nécessaire, la substance ou l’ingrédient en cause à l’annexe III dudit règlement. À ce titre, l’article 8, paragraphe 2, sous a) et b), du règlement no 1925/2006 indique ce qui suit :
« […]
a) si un effet nocif pour la santé a été identifié, la substance et/ou l’ingrédient la contenant est inscrit :
i) soit à l’annexe III, partie A, et son adjonction à des aliments ou son utilisation dans la fabrication d’aliments est interdite ;
ii) soit à l’annexe III, partie B, et son adjonction à des aliments ou son utilisation dans la fabrication d’aliments n’est autorisée que dans les conditions qui y sont spécifiées ;
b) si la possibilité d’effets nocifs pour la santé est identifiée, mais qu’il subsiste une incertitude scientifique, la substance est inscrite à l’annexe III, partie C. »
43 Ainsi, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006, l’inscription à l’annexe III, partie A, dudit règlement vise à interdire l’adjonction d’une « substance » ou d’un « ingrédient la contenant » à des aliments, ou son utilisation dans la fabrication d’aliments, lorsqu’un effet nocif pour la santé a été identifié.
44 L’inscription à l’annexe III, partie C, du règlement no 1925/2006, visant à mettre une substance sous contrôle de l’Union, est, quant à elle, réservée aux « substances » lorsque la possibilité d’effets nocifs pour la santé a été identifiée, mais qu’il subsiste une incertitude scientifique, conformément à l’article 8, paragraphe 2, sous b), dudit règlement.
45 La procédure visée par l’article 8 du règlement no 1925/2006 est ainsi appliquée si une « substance » autre que des vitamines ou des minéraux, ou un « ingrédient contenant une substance » autre que des vitamines ou des minéraux, vient s’ajouter à des aliments ou entre dans la fabrication d’aliments.
46 Au vu des arguments des parties, le Tribunal examinera si la notion de « préparations » figurant à l’article 1er, point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué peut correspondre à la notion de « substance » autre que des vitamines ou des minéraux, ou à celle d’« ingrédient contenant une substance » autre que des vitamines ou des minéraux, au sens de l’article 8, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), i), et sous b), du règlement no 1925/2006.
47 Le Tribunal constate que les notions de « substance » ou d’« ingrédient contenant une substance » figurant à l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1925/2006, les notions de « substance et/ou [d’]ingrédient la contenant » figurant à l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), dudit règlement, la notion de « substance » figurant à l’article 8, paragraphe 2, sous b), dudit règlement ainsi que la notion de « préparations » figurant dans le règlement attaqué ne sont pas expressément définies dans ces
règlements.
48 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêts du 9 novembre 2016, Davitas, C‑448/14, EU:C:2016:839, point 26, et du 26 octobre 2017, The English
Bridge Union, C‑90/16, EU:C:2017:814, point 18).
49 À cet égard, le Tribunal relève que la notion de « substance autre que des vitamines ou minéraux » retenue à l’article 8 du règlement no 1925/2006 constitue la traduction concrète de la notion d’« autre substance » définie à l’article 2, point 2, dudit règlement comme étant « toute substance, autre qu’une vitamine ou un minéral, qui possède un effet nutritionnel ou physiologique ». La notion d’« autre substance » est donc définie de manière résiduelle, par l’exclusion des vitamines ou des
minéraux, qui font l’objet de dispositions particulières du même règlement, et par la seule indication qu’elles possèdent un effet nutritionnel ou physiologique.
50 La notion d’« ingrédient » figurant dans le règlement no 1925/2006 est quant à elle immédiatement présentée par référence à la « substance » qu’il contient. Ainsi, seuls les ingrédients qui contiennent la substance en cause sont visés à l’article 8, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), i), dudit règlement. Autrement dit, c’est l’effet nocif de la substance en tant que telle qui entraîne l’absence de sécurité de l’ingrédient qui la contient et, partant, l’interdiction éventuelle de son
adjonction à des aliments ou de son utilisation dans la fabrication d’aliments, conformément à l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), dudit règlement.
51 Le considérant 1 du règlement no 1925/2006 indique en outre qu’« [u]ne vaste gamme de substances nutritives et d’autres ingrédients peut être utilisée dans la fabrication des denrées alimentaires, y compris – mais pas seulement – des vitamines, des minéraux dont les oligo‑éléments, des acides aminés, des acides gras essentiels, des fibres, diverses plantes et des extraits végétaux ». Il en ressort ainsi que les vitamines, les minéraux dont les oligo‑éléments, les acides aminés, les acides gras
essentiels, les fibres, diverses plantes et les extraits végétaux sont des exemples de ce qui est susceptible de constituer une substance nutritive ou un ingrédient, au sens dudit règlement.
52 Quant à la notion de « préparations », comme l’a indiqué à juste titre la Commission, elle a été définie dans une note en bas de page des orientations de l’EFSA de 2009 comme comprenant « toutes les préparations obtenues à partir d’éléments botaniques par divers procédés (par exemple, pressage, extraction, fractionnement, distillation, concentration, dessiccation et fermentation) ».
53 Toutefois, selon l’indication expresse contenue dans les orientations de l’EFSA de 2009, celles-ci ne visent qu’à définir un cadre général pour l’évaluation scientifique de la sécurité des plantes et des préparations botaniques destinées à l’usage dans les compléments alimentaires. Or, si des documents d’orientations d’autorités de l’Union peuvent certes servir d’élément d’interprétation d’un acte de droit de l’Union, de tels documents ne sont pas juridiquement contraignants à cette fin [voir, en
ce sens, arrêt du 5 mai 2022, Association France Nature Environnement (Impacts temporaires sur les eaux de surface), C‑525/20, EU:C:2022:350, point 31]. Partant, une définition de la notion de « préparations » qui serait tirée des orientations de l’EFSA de 2009 ne lie pas le juge de l’Union, lui seul étant compétent pour fournir une interprétation contraignante du droit de l’Union.
54 Le Tribunal constate également que la définition de « préparations » contenue dans les orientations de l’EFSA de 2009 est circulaire et se contente d’énumérer une liste de divers procédés permettant d’obtenir une préparation d’une plante donnée, en citant de façon non exhaustive des exemples de ces procédés, tels que le pressage, l’extraction, le fractionnement, la distillation, la concentration, la dessiccation et la fermentation. Elle ne permet en revanche pas une interprétation exacte de ce
qu’il convient d’entendre par « préparations ».
55 En tout état de cause, d’une part, au vu du libellé des dispositions du règlement attaqué et, en particulier, de l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, dudit règlement, qui vise certains DHA en tant que substances ainsi que les préparations dans lesquelles ces substances sont présentes, force est de considérer que le sens qu’il convient de donner à la notion de « préparation » est plus large que celui de « substance ». Lors de l’audience, la Commission a elle-même reconnu que la
notion de « préparations » visait « toutes les transformations que l’on appliqu[ait] sur une plante » ou encore « l’ensemble des transformations qui p[ouvai]ent s’appliquer sur [d]es plantes ».
56 Il en résulte qu’une préparation qui contient une substance est une notion plus large que celle de « substance », au sens du règlement no 1925/2006, et ne peut donc lui être substituée.
57 D’autre part, bien que la Commission soutienne pouvoir décider de placer sous le contrôle de l’Union des « ingrédients », au sens de l’article 8 du règlement no 1925/2006, et que ceux-ci se confondent avec la notion de « préparations », le Tribunal relève que, lors de l’audience, la Commission a indiqué que la définition d’« ingrédient » figurant dans le règlement (UE) no 1169/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’information des consommateurs sur les denrées
alimentaires, modifiant les règlements (CE) no 1924/2006 et no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 87/250/CEE de la Commission, la directive 90/496/CEE du Conseil, la directive 1999/10/CE de la Commission, la directive 2000/13/CE du Parlement européen et du Conseil, les directives 2002/67/CE et 2008/5/CE de la Commission et le règlement (CE) no 608/2004 de la Commission (JO 2011, L 304, p. 18), pouvait s’appliquer au règlement no 1925/2006.
58 Or, aux termes de l’article 2, paragraphe 2, sous f), du règlement no 1169/2011, un ingrédient est défini comme étant « toute substance ou tout produit, y compris les arômes, les additifs alimentaires et les enzymes alimentaires, ou tout constituant d’un ingrédient composé, utilisé dans la fabrication ou la préparation d’une denrée alimentaire et encore présent dans le produit fini, éventuellement sous une forme modifiée », alors que « les résidus ne sont pas considérés comme des ingrédients ».
59 Force est donc de considérer qu’une préparation, qui peut contenir un ingrédient, est une notion plus large que celle d’« ingrédient », au sens du règlement no 1925/2006, et ne peut donc lui être substituée.
60 Dès lors, indépendamment de la question de savoir si le législateur a consciemment voulu faire une distinction entre la mise sous contrôle de l’Union des « substances » et l’interdiction de l’adjonction à des aliments ou de l’utilisation dans la fabrication d’aliments de « substances et/ou [d]’ingrédients la contenant », et sans qu’il soit besoin d’établir une définition exacte de ces notions figurant à l’article 8, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), i), et sous b), du règlement
no 1925/2006, il résulte de ce qui précède que, en l’espèce, la notion de « préparations » figurant à l’article 1er, point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué a une portée et un sens plus larges que celle de « substances » et, le cas échéant, que celle d’« ingrédients » et ne saurait leur être substituée, puisqu’elle est susceptible d’englober tous types de produits alimentaires transformés.
61 Les notions de « substance », d’« ingrédient » et d’« ingrédient contenant une substance », figurant à l’article 8 du règlement no 1925/2006, évoquant ainsi des concepts différents de celui véhiculé par la notion de « préparations » visée par l’article 1er, point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué, la portée d’une mise sous contrôle de l’Union des « préparations » en cause ne saurait être la même que celle de substances ou, le cas échéant, d’ingrédients.
62 Or, ainsi que cela est rappelé au point 42 ci-dessus, l’article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1925/2006 ne permet l’inscription à l’annexe III, partie C, dudit règlement que d’une « substance ».
63 Partant, la Commission ne pouvait se fonder sur l’article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1925/2006 pour adopter l’article 1er, point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué, visant à mettre sous contrôle de l’Union les « préparations à partir de racines ou de rhizomes de Rheum palmatum L, de Rheum officinale Baillon et de leurs hybrides contenant des [DHA] » et les « préparations à partir de feuilles ou de fruits de Cassia senna L contenant des [DHA] ».
64 Il en irait également de la sorte, même à considérer que le législateur de l’Union ait permis la mise sous contrôle de l’Union d’« ingrédients ».
65 Il y a donc lieu d’accueillir les arguments de la requérante tirés d’une violation de l’article 8, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1925/2006 et d’annuler l’article 1er, point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué.
Sur le moyen et les arguments tirés de ce qu’un seuil de risque n’aurait pas été établi pour interdire l’adjonction à des aliments ou l’utilisation dans la fabrication d’aliments de certaines des substances et préparations en cause, conformément à l’article 8, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006
66 Dans le cadre de la première branche du premier moyen, des deuxième, troisième et cinquième moyens, la requérante fait notamment valoir que, aux termes de l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1925/2006, le classement d’une substance à l’annexe III dudit règlement n’est autorisé que s’il résulte de l’ajout de cette substance une ingestion de quantités qui dépassent considérablement celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées
à un régime alimentaire équilibré et varié. Ce dépassement devrait être caractérisé et la Commission devrait, à cet effet, se fonder sur une évaluation complète de l’exposition, ou de la possibilité d’une exposition, aux substances concernées ainsi qu’une caractérisation de leurs risques. Or, en l’espèce, l’EFSA n’aurait pas évalué quantitativement ou qualitativement la probabilité d’exposition aux substances et préparations en cause.
67 La requérante ajoute que le règlement attaqué n’aurait dû s’appliquer qu’aux seuls compléments alimentaires comportant des DHA en doses supérieures à celles des aliments courants et que, si les DHA présentaient un risque si élevé qu’aucune fixation de seuil n’était envisageable, l’Agence européenne des médicaments (EMA) n’aurait pas autorisé leur présence dans des médicaments à base de plantes à des doses considérablement supérieures au seuil de détection fixé par le comité Scopaff lors de sa
réunion du 5 octobre 2020 sur le projet de règlement ayant abouti au règlement attaqué.
68 Dès lors, en considérant que l’ajout ou l’utilisation de DHA ou des préparations en cause était susceptible d’entraîner un dépassement considérable des quantités consommées dans des conditions normales, sans pour autant fixer de seuil de risque à cet égard, la Commission aurait violé l’article 8 du règlement no 1925/2006 et commis des erreurs manifestes d’appréciation.
69 La Commission soutient que le standard atteint par les preuves scientifiques correspond aux exigences de l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006 et que l’EFSA n’aurait pu fixer une dose journalière de DHA ne suscitant pas d’inquiétude pour la santé humaine. Quant au fait qu’il pût arriver qu’une substance présentant des risques fût interdite dans l’alimentation mais utilisée dans des médicaments, cela découlerait du cadre juridique différent des législations qui s’y
rapportent.
70 La Commission ajoute que la requérante n’explique pas en quoi l’absence d’évaluation de l’exposition aux substances concernées caractériserait l’incertitude scientifique autour des DHA et aurait faussé la conclusion de l’EFSA selon laquelle des effets nocifs graves sur la santé seraient associés à l’utilisation dans les denrées alimentaires de ces DHA et aucune dose journalière ne suscitant pas d’inquiétude pour la santé humaine ne pourrait être fixée.
71 Le Tribunal rappelle que, selon la jurisprudence, lorsque la Commission est appelée à effectuer des évaluations techniques ou scientifiques complexes, elle dispose d’un large pouvoir d’appréciation. Dans une telle hypothèse, le contrôle juridictionnel est limité à la vérification du respect des règles de procédure, de l’exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation de ces faits ou de l’absence de détournement de pouvoir. Toutefois,
concernant les conclusions de la Commission qui ne procèdent pas à des évaluations techniques ou scientifiques complexes, le contrôle juridictionnel du Tribunal est entier. De même, en ce qui concerne les questions de droit, le contrôle juridictionnel exercé par le Tribunal ne peut être qu’entier [voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Medac Gesellschaft für klinische Spezialpräparate/Commission, T‑549/19, EU:T:2020:444, point 47 (non publié) et jurisprudence citée].
72 Afin d’établir qu’une institution a commis une erreur manifeste dans l’appréciation de faits complexes de nature à justifier l’annulation d’un acte, les éléments de preuve apportés par la partie requérante doivent être suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans cet acte. Sous réserve de cet examen de plausibilité, il n’appartient pas au Tribunal de substituer son appréciation de faits complexes à celle de l’auteur de cette décision. Toutefois, la limitation du
contrôle du juge de l’Union n’affecte pas le devoir de celui-ci de vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence ainsi que de contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêt du 11 février 2015, Espagne/Commission, T‑204/11, EU:T:2015:91, points 32 et 33 et
jurisprudence citée).
73 En outre, la marge d’appréciation des autorités de l’Union, impliquant un contrôle juridictionnel limité de son exercice, ne concerne pas exclusivement la nature et la portée des dispositions à prendre, mais s’applique aussi, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Toutefois, un tel contrôle juridictionnel, même s’il a une portée limitée, requiert que les autorités de l’Union, auteurs de l’acte en cause, soient en mesure d’établir devant le juge de l’Union que l’acte a
été adopté moyennant un exercice effectif de leur pouvoir d’appréciation, lequel suppose la prise en considération de tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir (voir arrêt du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C‑343/09, EU:C:2010:419, points 33 et 34 et jurisprudence citée ; arrêts du 30 avril 2015, Polynt et Sitre/ECHA, T‑134/13, non publié, EU:T:2015:254, point 53, et du 11 mai 2017, Deza/ECHA, T‑115/15, EU:T:2017:329, point 164).
74 Quant aux questions de droit pour lesquelles le Tribunal exerce un contrôle entier, elles incluent l’interprétation qu’il convient de faire de dispositions juridiques sur la base d’éléments objectifs ainsi que la vérification que les conditions d’application d’une telle disposition se trouvent ou non réunies (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 11 juillet 1985, Remia e.a./Commission, 42/84, EU:C:1985:327, point 34, et du 9 novembre 2022, Cambodge et CRF/Commission, T‑246/19,
EU:T:2022:694, point 45).
75 Ainsi que cela est rappelé aux points 41 et 42 ci-dessus, l’article 8 du règlement no 1925/2006 définit la procédure à appliquer pour inscrire une substance autre que des vitamines ou des minéraux, ou un ingrédient contenant une substance autre que des vitamines ou des minéraux, à l’annexe III dudit règlement, qui contient des listes de ces substances, dont l’adjonction à des aliments ou l’utilisation dans la fabrication d’aliments font l’objet d’une interdiction ou sont soumises à des conditions
ou à l’égard desquelles il existe une incertitude scientifique.
76 Il résulte en outre du considérant 2 du règlement no 1925/2006 que ce règlement a pour objet de « réglementer l’adjonction de vitamines et de minéraux aux denrées alimentaires ainsi que l’utilisation d’un certain nombre d’autres substances ou ingrédients contenant des substances autres que les vitamines ou les minéraux qui sont ajoutés à des denrées alimentaires ou utilisés dans la fabrication de denrées alimentaires de sorte qu’il en résulte une ingestion de quantités dépassant considérablement
celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation dans le cadre d’un régime alimentaire équilibré et varié ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur ».
77 Le Tribunal relève que la procédure instituée par l’article 8 du règlement no 1925/2006 se caractérise par le rôle essentiel attribué à une évaluation scientifique par l’EFSA de l’effet de l’adjonction d’une substance ou d’un ingrédient la contenant à des aliments ou de son utilisation dans la fabrication d’aliments. En effet, la Commission n’étant pas en mesure de porter des appréciations scientifiques concernant l’identification de leurs éventuels effets nocifs pour la santé, la consultation
obligatoire de l’EFSA est destinée à lui fournir les éléments d’appréciation scientifique indispensables afin de lui permettre de déterminer, en pleine connaissance de cause, les mesures propres à assurer un niveau élevé de protection de la santé publique.
78 L’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1925/2006 doit être lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, de sorte que la Commission puisse prendre la décision d’interdire ou d’autoriser dans des conditions spécifiées l’adjonction à des aliments ou l’utilisation dans la fabrication d’aliments d’une substance, autre que des vitamines ou des minéraux, ou d’un ingrédient la contenant, voire de placer une substance sous contrôle de l’Union, sous réserve de certaines conditions,
essentiellement lorsqu’un risque est créé, le cas échéant potentiel, en particulier en cas d’ingestion de quantités de la substance en cause dépassant considérablement celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées à un régime alimentaire équilibré ou varié ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur.
79 Ainsi, plus spécifiquement, aux termes de l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006, lu à la lumière de l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, il existe deux conditions pour que l’adjonction à des aliments ou l’utilisation dans la fabrication d’aliments d’une substance ou d’un ingrédient la contenant puisse être interdite, à savoir, d’une part, le fait qu’il en résulte « une ingestion de quantités de la substance en cause dépassant considérablement celles qui sont
raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées à un régime alimentaire équilibré et varié et/ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur » et, d’autre part, le fait qu’un « effet nocif pour la santé a[it] été identifié ».
80 Une telle interprétation est confirmée par la lecture du considérant 20 du règlement no 1925/2006, dans lequel une distinction est faite entre l’ingestion de substances, autres que des vitamines ou des minéraux, ou d’ingrédients dans des conditions normales, qui ne doit pas être réglementée, et l’ingestion de telles substances ou des ingrédients qui en contiennent qui sont ajoutés aux denrées alimentaires sous forme d’extraits ou de concentrés, et qui peuvent entraîner « des apports nettement
supérieurs à ceux qui pourraient être ingérés dans le cadre d’un régime adéquat et varié ».
81 En l’espèce, la Commission s’est fondée sur l’avis scientifique de 2017, dont les conclusions reproduites au point 6 ci-dessus sont reprises aux considérants 7 et 8 du règlement attaqué, pour inscrire entre autres à l’annexe III, partie A, du règlement no 1925/2006 l’« aloe-émodine » et l’« émodine » ainsi que « toutes les préparations dans lesquelles ce[s] substance[s] [sont] présente[s] », sur le fondement de l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006, de sorte que leur
adjonction à des aliments ou leur utilisation dans la fabrication d’aliments est interdite.
82 S’agissant de la première condition requise pour interdire l’adjonction d’une substance ou d’un ingrédient la contenant à des aliments ou son utilisation dans la fabrication d’aliments, à savoir l’ingestion de quantités dépassant considérablement celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation ou pouvant représenter pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur, le Tribunal constate que, par les dispositions du règlement
attaqué, toutes les substances et préparations en cause sont interdites, indépendamment de la quantité de DHA qu’elles contiennent.
83 À cet égard, la Commission a indiqué, aux considérants 8 et 9 du règlement attaqué, que l’EFSA n’avait pas été en mesure de recommander, pour les DHA, une dose journalière ne suscitant pas d’inquiétude pour la santé humaine, ce qui ressort par ailleurs de la conclusion de l’avis scientifique de 2017, telle que reproduite au point 6 ci-dessus. À la section 2.7.2 de l’avis scientifique de 2017, intitulée « Exposure via normal diet » (Exposition par le biais d’un régime alimentaire normal), l’EFSA a
également indiqué que les parties de plantes contenant des DHA pouvaient faire partie d’un régime normal, mais qu’aucune donnée sur les concentrations de DHA présentes dans ces parties de plantes consommées n’avait été rendue disponible par les parties intéressées à la suite de l’appel à données.
84 De plus, il ressort du considérant 10 du règlement attaqué que, pendant la fabrication, les DHA peuvent être éliminés des préparations végétales au moyen d’une série de procédés de filtrage qui permettent d’obtenir des produits qui ne contiennent que des traces de ces substances sous forme d’impuretés.
85 Malgré ces considérations, l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, du règlement attaqué vise l’« aloe-émodine » et l’« émodine » ainsi que « toutes les préparations dans lesquelles ce[s] substance[s] [sont] présente[s] », indépendamment de la quantité de DHA qui y est présente.
86 La Commission semble donc avoir considéré que l’insuffisance de données portant sur une dose journalière ne suscitant pas d’inquiétude pour la santé l’autorisait à supposer qu’il n’existait aucun niveau d’utilisation inoffensive des DHA, de sorte qu’elle pouvait les interdire dans leur totalité.
87 Or, cette absence de seuil est contraire à l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, de ce règlement, dont il ressort, ainsi que cela est mentionné au point 78 ci-dessus, que la procédure d’interdiction qui y est prévue suppose qu’un effet nocif pour la santé ait été identifié dans le cas où des substances autres que les vitamines ou les minéraux, ou les ingrédients les contenant, sont ajoutées à des aliments ou utilisées
dans leur fabrication, de sorte qu’il en résulte une « ingestion de quantités de cette substance dépassant considérablement celles qui sont raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées à un régime alimentaire équilibré et varié ».
88 Il ne ressort par ailleurs pas de l’avis scientifique de 2017, ni d’aucun élément du dossier que les dispositions du règlement attaqué auraient été adoptées du fait que les substances et les préparations en cause auraient représenté pour d’autres raisons un risque potentiel pour le consommateur.
89 Si l’article 8, paragraphe 1, du règlement no 1925/2006 investit la Commission du pouvoir d’inscrire des substances, autres que des vitamines ou des minéraux, ou des ingrédients contenant ces substances, à l’annexe III de ce règlement, elle doit satisfaire aux conditions prévues par cette disposition.
90 Or, l’interdiction générale de l’adjonction à des aliments ou de l’utilisation dans la fabrication des aliments de substances et de préparations contenant certaines substances, telles que celles visées par l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, du règlement attaqué, indépendamment de la quantité de ces substances présente, n’est pas conforme aux conditions exigées par l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006, lu conjointement avec l’article 8,
paragraphe 1, de ce règlement.
91 Certes, il résulte du considérant 20 du règlement no 1925/2006 que les exploitants du secteur alimentaire, responsables de la sécurité des produits alimentaires qu’ils mettent sur le marché, assument la charge de la preuve quant à la sécurité de leurs produits. Toutefois, en vertu de ce même considérant, ce n’est que dans les cas où l’adjonction de cette substance sous forme d’extraits ou de concentrés peut entraîner des apports nettement supérieurs à ceux qui pourraient être ingérés dans le
cadre d’un régime adéquat et varié que cette charge de la preuve incombe aux exploitants du secteur alimentaire, ce que la Commission reconnaît par ailleurs au point 83 du mémoire en défense et au point 41 de la duplique.
92 La Commission a également reconnu, au point 33 du mémoire en défense, que la sécurité des denrées alimentaires était examinée de manière à garantir qu’elles soient sûres lorsqu’elles étaient consommées régulièrement et par l’ensemble de la population, et que « l’EFSA calcul[ait] pour les différentes substances une “dose journalière admissible”, définie comme la “quantité estimée d’une substance présente dans les aliments […] qui p[ouvai]t être consommée quotidiennement durant toute la durée d’une
vie sans présenter de risque appréciable pour la santé” ».
93 Cette conclusion est confirmée par l’article 3, paragraphe 3, du règlement d’exécution no 307/2012, selon lequel, aux fins de ce règlement, les conditions entraînant l’ingestion de la substance concernée dans des quantités dépassant considérablement celles auxquelles on peut raisonnablement s’attendre dans des conditions normales de consommation dans le cadre d’une alimentation équilibrée et variée surviennent dans des circonstances réelles et sont évaluées au cas par cas, par comparaison à la
quantité moyenne de cette substance ingérée par la population adulte générale ou d’autres groupes de population particuliers chez lesquels des problèmes de santé ont été soulevés.
94 Or, en l’absence de données sur les quantités de substance qui peuvent « être ingérées dans le cadre d’un régime adéquat et varié », au sens du considérant 20 du règlement no 1925/2006, ou sur celles qui sont « raisonnablement susceptibles d’être ingérées dans des conditions normales de consommation liées à un régime alimentaire équilibré et varié », au sens de l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement, un exploitant du secteur alimentaire n’est pas en mesure d’effectuer une comparaison adéquate
entre, d’une part, les quantités d’une substance dans des conditions normales de consommation et, d’autre part, les quantités de cette même substance dans les conditions d’utilisation et d’adjonction sous forme de concentrés.
95 Partant, l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, du règlement attaqué viole l’article 8, paragraphe 2, sous a), i), du règlement no 1925/2006, lu conjointement avec l’article 8, paragraphe 1, dudit règlement, en ce qu’il interdit que les DHA que sont l’« aloe-émodine » et l’« émodine » ainsi que les préparations dans lesquelles ces substances sont présentes soient ajoutés à des aliments ou utilisés dans la fabrication d’aliments, indépendamment de la quantité de DHA concernée. Il y
a donc lieu d’accueillir les arguments de la requérante à cet égard.
96 Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu d’annuler l’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, et point 2, première et deuxième mentions, du règlement attaqué, sans qu’il soit nécessaire pour le Tribunal de se prononcer sur les autres moyens et arguments de la requérante.
Sur les dépens
97 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
98 La Commission ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (sixième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) L’article 1er, point 1, première et deuxième mentions, et point 2, première et deuxième mentions, du règlement (UE) 2021/468 de la Commission, du 18 mars 2021, modifiant l’annexe III du règlement (CE) no 1925/2006 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les espèces végétales contenant des dérivés hydroxyanthracéniques, est annulé.
2) La Commission européenne est condamnée aux dépens.
Costeira
Kancheva
Öberg
Zilgalvis
Tichy-Fisslberger
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 novembre 2024.
Le greffier
V. Di Bucci
Le président
M. van der Woude
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( *1 ) Langue de procédure : le français.