ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
6 novembre 2024 ( *1 )
« Concurrence – Ententes – Secteur des obligations suprasouveraines, des obligations souveraines et des obligations d’agences libellées en dollars des États-Unis – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Coordination des prix et des activités de négociation d’obligations – Échanges d’informations commerciales sensibles – Infraction unique et continue – Restriction de concurrence par objet – Calcul du montant de l’amende – Montant de base – Valeur
de remplacement de la valeur des ventes – Recours en annulation – Compétence de pleine juridiction »
Dans les affaires T‑386/21 et T‑406/21,
Crédit agricole SA, établie à Montrouge (France),
Crédit agricole Corporate and Investment Bank, établie à Montrouge,
représentées par MM. D. Beard, Barrister-at-Law, C. Hutton, C. Peacock et Mme J. Parkinson, solicitors,
parties requérantes dans l’affaire T‑386/21,
UBS Group AG, venant aux droits de Credit Suisse Group AG, établie à Zurich (Suisse),
Credit Suisse Securities (Europe) Ltd, établie à Londres (Royaume‑Uni),
représentées par Mes R. Wesseling, F. ten Have et F. Brouwer, avocats,
parties requérantes dans l’affaire T‑406/21,
contre
Commission européenne, représentée, dans l’affaire T‑386/21, par MM. T. Franchoo, M. Farley et B. Cullen, en qualité d’agents, et, dans l’affaire T‑406/21, par Mme A. Boitos, MM. M. Farley, T. Franchoo et C. Vang, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie),
composé de M. J. Svenningsen (rapporteur), président, Mme V. Tomljenović, MM. C. Mac Eochaidh, J. Martín y Pérez de Nanclares et Mme M. Stancu, juges,
greffier : Mme I. Kurme, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite des audiences des 15 et 16 juin 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes dans l’affaire T-386/21, Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank (ci‑après, dénommées ensemble, « Crédit agricole »), demandent, d’une part, l’annulation de la décision C(2021) 2871 final de la Commission, du 28 avril 2021, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40346 – Obligations SSA) (ci-après la « décision attaquée »), en ce qu’elle les
concerne, et, d’autre part, la réduction du montant de l’amende qui leur a été infligée dans ladite décision.
2 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérantes dans l’affaire T-406/21, UBS Group AG, venant aux droits de Credit Suisse Group AG, et Credit Suisse Securities (Europe) Ltd (ci-après, dénommées ensemble, « Credit Suisse »), demandent, en substance, l’annulation de la décision attaquée, en ce qu’elle les concerne.
I. Antécédents du litige
A. Sur le secteur des OSSA
3 Les comportements en cause portent sur des obligations suprasouveraines (supra-sovereign bonds), des obligations souveraines (sovereign bonds) et des obligations d’agences [agency (sub-sovereign) bonds], libellées en dollars des États-Unis (ci‑après les « OSSA »). Les OSSA constituent des titres de créance permettant à leur émetteur de lever des fonds pour financer certaines dépenses ou certains investissements.
4 Leur émetteur peut ainsi émettre une obligation pour emprunter de l’argent (montant notionnel) auprès d’un investisseur (détenteur) pour une durée déterminée, laquelle peut être courte (par exemple, 2 ans) ou longue (par exemple, 10 ou 30 ans) et à un taux d’intérêt prédéfini, fixe ou variable. Le détenteur de l’obligation perçoit les intérêts (coupon) de l’émetteur à intervalle régulier ainsi que le remboursement du montant notionnel à l’échéance convenue.
5 Les OSSA sont catégorisées en fonction de l’identité de leur émetteur. Les obligations suprasouveraines sont émises par des institutions supranationales, telles que la Banque européenne d’investissement (BEI) ou la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD). Les obligations souveraines sont émises par des administrations centrales et peuvent être libellées dans leur monnaie nationale et soumises à leur droit national, ou être libellées dans une monnaie autre que leur
monnaie nationale et soumises à un droit autre que leur droit national. Enfin, les obligations d’agences sont émises par des collectivités infra-étatiques ou par des institutions soutenues implicitement ou explicitement par des autorités publiques, telles que la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES, France) ou la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW, Institut de crédit pour la reconstruction, Allemagne). Ces obligations peuvent être émises soit en monnaie nationale, soit en monnaie
étrangère.
6 Les OSSA sont proposées à la vente pour la première fois par, ou pour le compte de, leur émetteur sur le marché primaire. Elles sont ensuite échangées « de gré à gré » (over-the-counter) entre investisseurs sur le marché secondaire, sans bourse centrale.
7 Les comportements reprochés dans la décision attaquée ne concernent pas le marché primaire, mais uniquement les opérations ultérieures effectuées sur le marché secondaire.
8 Le fonctionnement de ce dernier marché, décrit aux considérants 10 à 64 de la décision attaquée, est brièvement exposé ci‑après pour les besoins du présent arrêt.
1. Prix d’une OSSA sur le marché secondaire
a) Formation du prix sur le marché secondaire
9 Après l’émission de l’obligation sur le marché primaire, celle-ci est ensuite échangée entre investisseurs sur le marché secondaire. Entre le moment de cette émission et l’échéance de cette obligation, le prix de cette dernière évolue et s’écarte potentiellement de son prix d’émission compte tenu de divers facteurs, tels que l’évolution de l’environnement économique (par exemple, l’évolution générale des taux d’intérêt sur les marchés) ou des facteurs propres à l’émetteur (par exemple, le risque
perçu, la liquidité ou la disponibilité d’émissions plus récentes).
10 Une obligation est généralement négociée par référence à son rendement à maturité (yield), fixé en pourcentage de son montant notionnel. Ce rendement est celui qu’un investisseur peut obtenir s’il achète cette obligation aujourd’hui à un prix donné et la conserve jusqu’à son échéance, et dépend donc du coupon et de tout gain réalisé lors d’un achat initial au-dessous du montant notionnel ou de toute perte réalisée lors d’un achat initial au-dessus du montant notionnel.
11 Sur le marché secondaire, le prix d’une obligation est généralement déterminé par référence au rendement et influencé par divers facteurs tels que les volumes disponibles et le prix ainsi que la disponibilité d’obligations comparables. Une modification des taux d’intérêt du marché ou une modification de la notation de l’émetteur peuvent également avoir une incidence sur le prix auquel une obligation se négocie sur le marché.
b) Prix bidirectionnels proposés par les teneurs de marché
12 Un « teneur de marché » (market maker) est une institution ou un particulier disposé à acheter ou vendre des produits financiers sur le marché de façon générale et en continu plutôt que transaction par transaction, à des prix qu’il détermine lui-même.
13 Le rôle d’un teneur de marché est de fournir une cotation continue sur des obligations, en cotant des prix bidirectionnels – à savoir, un « cours acheteur » (bid price) et un « cours vendeur » (ask price) –, quel que soit l’état du marché, afin de faciliter les échanges de ces obligations. En rendant disponibles des volumes d’obligations et en les cotant de manière continue, le teneur de marché favorise la liquidité du marché, à savoir la possibilité offerte aux investisseurs d’acheter ou de
vendre rapidement des obligations.
14 Bien qu’il n’y ait pas de teneurs de marché officiels sur le marché des OSSA, certaines institutions financières – comme les requérantes dans la présente affaire – choisissent d’assumer la fonction de teneur de marché, en ce sens qu’elles cotent des prix bidirectionnels.
15 Lorsque les banques agissent sur le marché secondaire, elles tentent de générer des revenus en captant la différence entre le cours acheteur et le cours vendeur. La différence entre ces deux cours est appelée l’« écart » (spread), lequel constitue le revenu de la banque, lorsqu’une opération d’achat et de revente est considérée dans son intégralité (ci‑après l’« opération entière d’achat-revente »). Dans le cadre d’une telle opération, le « prix médian » (mid price ou mid), qui représente le
point médian entre le cours acheteur et le cours vendeur, et qui est exprimé en cents (à deux décimales près), est un point de référence important, en ce que sa connaissance permet généralement aux traders et aux investisseurs de déduire les cours acheteur et vendeur. Les prix médians ne sont pas affichés sur les écrans des courtiers (brokers), et ne sont pas non plus communiqués aux investisseurs et autres contreparties.
16 Enfin, les traders fondent leurs décisions en matière de prix ainsi que d’autres décisions stratégiques sur différentes sources d’information. Le cours acheteur et le cours vendeur réellement pratiqués par une banque peuvent ainsi être influencés par l’identité de l’autre partie (par exemple, un investisseur important pour la banque) ou encore par le volume concerné par l’opération d’achat ou de vente.
2. Positions de négociation et risque de négociation
17 Après une opération d’achat d’une obligation, un trader se trouve dans une « position longue » (long position), en ce sens qu’il détient l’obligation dans son portefeuille, jusqu’à ce qu’il « clôture » cette position, c’est-à-dire qu’il revende l’obligation, si possible à un prix supérieur à celui auquel il l’a achetée. Le trader peut décider de conserver la position longue pendant une certaine durée, ce qui représente un risque (ou une « exposition »). En effet, si la valeur de l’obligation
baisse, le trader détiendra une obligation dans son portefeuille dont la valeur est inférieure au prix auquel il l’a acquise.
18 À l’inverse, après une opération de vente d’une obligation, un trader peut se trouver dans une « position courte » (short position) s’il a vendu une obligation qu’il ne détenait pas, typiquement lorsqu’il a vendu un volume d’obligations plus élevé que celui qu’il détenait. Il doit alors se procurer cette obligation auprès d’un autre trader pour clôturer sa position. Une telle position courte implique un gain potentiel, si le prix d’achat pour se procurer ladite obligation est inférieur au prix de
vente obtenu par le trader, mais peut conduire à une perte potentielle, si ce prix d’achat est supérieur audit prix de vente. Un trader peut décider de prendre une position courte, notamment, parce qu’il s’attend à ce que le prix de l’obligation baisse (et ainsi à dégager un bénéfice égal à l’écart entre son prix de vente et son prix d’achat) ou pour répondre à une demande provenant d’un client important.
19 Dès lors, un trader peut avoir une position longue ou une position courte relative à une obligation donnée. Un trader peut décider de garder cette position, sous réserve des « limites de risque » (risk limits) imposées par son employeur. Alternativement, le trader peut acheter ou revendre des obligations à des investisseurs finaux ou par l’intermédiaire d’un courtier afin de limiter ou de compenser son exposition. Pareille façon de réduire son risque est une forme de « couverture » (hedging) du
risque qui peut être effectuée par l’achat ou la vente soit des mêmes obligations, soit d’autres obligations très liquides, telles que des obligations du Trésor américain ayant un coupon ou une échéance similaire.
3. Échanges entre les banques par l’intermédiaire des courtiers
20 Les courtiers sont des intermédiaires financiers qui facilitent les opérations entre les banques et sont généralement rémunérés au moyen d’une commission, qui est un pourcentage de l’opération d’achat ou de vente.
21 Les courtiers gèrent des plateformes électroniques, qui affichent en temps réels les offres d’achat et de vente des banques. De telles plateformes indiquent le nom, le coupon et la date d’échéance d’une obligation, le volume (c’est-à-dire le montant notionnel, généralement exprimé en millions de devise) d’offres d’achat ou de vente, et parfois l’écart de rendement par rapport à une obligation de référence. Les cours acheteur et vendeur affichés à un instant donné sont les meilleurs cours
disponibles, à savoir les plus compétitifs à cet instant.
22 Le trader d’une banque qui voit une offre d’achat (bid) ou de vente (ask ou offer) sur une plateforme de courtier peut décider, respectivement, de « saisir » (hit) l’offre d’achat (en vendant ainsi des obligations) ou de « lever » (lift) l’offre de vente (en achetant ainsi des obligations), auquel cas il accepte l’opération aux conditions affichées sur la plateforme. Sur les principales plateformes de courtage, lorsque cela se produit, le cours acheteur ou vendeur accepté pour cette opération est
visible pour tous les traders,mais l’identité des contreparties n’est, elle, pas divulguée.
23 Un trader intéressé par une offre figurant sur une plateforme de courtier peut appeler le courtier pour obtenir des informations supplémentaires, telles que la disponibilité de volumes supplémentaires. Les traders tiennent souvent des discussions en ligne continues (chats) avec plusieurs courtiers sur Bloomberg ou sur d’autres plateformes de messagerie instantanées.
24 Si le trader est intéressé, une courte négociation aura alors lieu en dehors de la plateforme (par téléphone ou par discussion en ligne), au cours de laquelle le courtier agira en tant qu’intermédiaire entre les deux parties en vue de parvenir à un accord sur le prix et le volume finaux de l’opération.
25 Les courtiers ne révèlent pas l’identité des traders impliqués dans une opération donnée, ce qui garantit l’anonymat des traders et les empêche d’obtenir des informations relatives à la position ou aux intentions d’un trader, ainsi que d’utiliser ces informations à leur avantage. Le recours à un courtier garantit également une exécution fiable des opérations. Il est généralement admis que les avantages, pour les traders, du recours à un courtier l’emportent sur les frais de courtage.
B. Sur la procédure ayant donné lieu à la décision attaquée
26 À la suite d’une demande présentée le 4 août 2015, la Commission européenne a, le 4 décembre 2015, accordé à Deutsche Bank AG une immunité conditionnelle en application du point 8, sous a), de la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 2006, C 298, p. 17). Cette banque a continué de coopérer et, tout au long de l’enquête, a fourni à la Commission des informations et des éléments de preuve
supplémentaires concernant l’infraction litigieuse.
27 Le 4 décembre 2015, le 6 septembre 2016, le 15 mars 2017 et le 12 novembre 2019, la Commission a adressé, en application de l’article 18, paragraphe 2, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101 et 102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), des demandes de renseignements à Bank of America Corporation et à Merrill Lynch International (ci-après, dénommées ensemble, « BofA »), à Crédit agricole, à Credit Suisse et
à d’autres banques.
28 Entre le 21 et le 24 novembre 2016, la Commission a procédé à des inspections annoncées dans les locaux de BofA et de Credit Suisse à Londres (Royaume-Uni).
29 Les 20 et 21 décembre 2018, la Commission a, d’une part, ouvert la procédure en vue d’adopter une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003, conformément à l’article 2, paragraphe 1, et à l’article 10, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), et, d’autre part, adressé une communication des griefs à Deutsche Bank,
Credit Suisse, Crédit agricole et BofA (ci-après la « communication des griefs »).
30 Tous les destinataires de la communication des griefs se sont vu accorder un accès au dossier d’enquête de la Commission. Conformément à l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 773/2004, tous ont présenté des observations écrites sur cette communication. Ils ont également présenté leurs arguments lors d’une audition, qui s’est déroulée entre les 10 et 11 juillet 2019.
31 Le 6 novembre 2020, la Commission a envoyé à chacun des destinataires de la communication des griefs une lettre contenant des éclaircissements supplémentaires sur la méthode proposée par la Commission pour déterminer la valeur de remplacement de la valeur des ventes (proxy for the value of sales) aux fins du calcul du montant de leur amende (ci-après la « lettre relative aux amendes »). En réponse, Deutsche Bank a présenté ses observations le 4 décembre 2020 et Crédit agricole, Credit Suisse
ainsi que BofA, le 8 janvier 2021.
C. Sur la décision attaquée
1. Sur la constatation de l’infraction litigieuse
32 Dans la décision attaquée, la Commission a fait état de nombreuses discussions entre les traders des banques concernées via des forums de discussions permanents ou non permanents sur Internet ainsi que via des discussions bilatérales par voie électronique ou par téléphone, intervenues sur une période comprise entre le 19 janvier 2010 et le 24 mars 2015 (considérants 90 à 92 de la décision attaquée).
33 Dans ce contexte, la Commission a considéré que l’objectif général de la collaboration entre les traders concernés était d’obtenir un avantage concurrentiel à l’égard de leurs clients et de leurs concurrents, en se coordonnant sur leurs prix et leurs activités de négociation ainsi qu’en échangeant des informations de marché commerciales sensibles relatives à leurs activités de négociation, leurs prix et leurs stratégies de négociation et de tarification, dans le secteur des OSSA (considérants 102
et 638 de la décision attaquée).
34 La Commission en a déduit que les banques concernées avaient sciemment substitué une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence, au détriment des autres acteurs du marché et de leurs clients. Selon cette institution, les séries de discussions en cause peuvent être regroupées en cinq catégories d’accords ou de pratiques concertées, lesquelles catégories sont étroitement liées et se chevauchent partiellement (considérants 613, 638, 643 et 758 de la décision attaquée).
35 Ainsi que cela ressort des considérants 103 et 613 de la décision attaquée, ces cinq catégories consistent respectivement :
– premièrement, en une coordination des prix proposés à des contreparties (ci-après la « catégorie 1 ») ;
– deuxièmement, en une coordination des prix communiqués au marché en général (ci-après la « catégorie 2 ») ;
– troisièmement, en des échanges d’informations commerciales sensibles, actuelles ou prospectives, sur leurs activités de négociation et les courants d’échanges sur le marché secondaire (ci-après la « catégorie 3 ») ;
– quatrièmement, en des échanges, confirmations et alignements de leurs stratégies de négociation et de fixation des prix (ci-après la « catégorie 4 ») ;
– cinquièmement, en une coordination de leurs activités de négociation (ci-après la « catégorie 5 »).
36 S’agissant de la qualification juridique des comportements en cause, la Commission a conclu qu’ils étaient contraires à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au motif qu’ils consistaient en des accords ou des pratiques concertées ayant pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence dans le secteur des OSSA dans l’Espace économique européen (EEE), ainsi que cela ressort de l’article 1er de la décision attaquée.
37 Pour aboutir à cette conclusion, en premier lieu, la Commission a fait le choix de considérer que les comportements en cause présentaient toutes les caractéristiques d’accords ou de pratiques concertées au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir section 5.2.1 et, en particulier, considérants 620 et 621 de la décision attaquée).
38 En deuxième lieu, la Commission a estimé que, au vu de leur contenu, de leurs objectifs ainsi que du contexte économique ou juridique dans lequel ils avaient lieu, lesdits comportements avaient pour objet de restreindre ou de fausser la concurrence par une concertation sur les prix, une répartition de la clientèle, une répartition des marchés et un échange d’informations commerciales sensibles réduisant l’incertitude prévalant sur le marché. À cet égard, la Commission a également considéré que
ces mêmes comportements avaient également faussé la concurrence, en créant une asymétrie d’information entre les acteurs du marché, conférant aux banques concernées un avantage concurrentiel d’autant plus significatif qu’il portait sur un marché de gré‑à‑gré caractérisé par une incertitude significative (voir section 5.2.2 et, en particulier, considérants 739, 741 et 742 de la décision attaquée).
39 En troisième lieu, la Commission a considéré que les comportements en cause constituaient une infraction unique et continue, en ce qu’ils faisaient partie d’un plan global poursuivant un même objectif anticoncurrentiel. À cet égard, la Commission a notamment relevé que ces comportements portaient sur un produit homogène et négocié de manière similaire, que le mécanisme mis en place était le même, que les banques en cause étaient généralement restées les mêmes et ne changeaient que lorsque l’un
des traders participant aux comportements en cause passait d’une banque à l’autre (voir section 5.2.3.2 et, en particulier, considérants 757 à 763 de la décision attaquée).
40 En quatrième lieu, les comportements en cause portaient sur des OSSA émises par des autorités et des institutions établies dans l’EEE et faisaient l’objet d’un volume de transactions significatif entre États membres ainsi qu’entre l’Union européenne et les pays faisant partie de l’EEE. Partant, ces comportements étaient, selon la Commission, susceptibles d’affecter le commerce entre États membres ainsi qu’entre les parties contractantes à l’accord sur l’EEE (JO 1994, L 1, p. 3) (voir
section 5.2.4.2 de la décision attaquée).
41 En cinquième lieu, la Commission a considéré que l’article 101, paragraphe 3, TFUE et l’article 53, paragraphe 3, de l’accord EEE ne s’appliquaient pas au cas d’espèce (voir section 5.3 de la décision attaquée).
2. Sur l’imposition d’amendes
42 La Commission a indiqué avoir déterminé le montant des amendes infligées conformément aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2 ; ci-après les « lignes directrices ») (voir section 8.2 de la décision attaquée). Toutefois, compte tenu des particularités du secteur financier et, notamment, du fait que des produits financiers tels que les OSSA ne génèrent pas de ventes au sens
habituel du terme, la Commission, plutôt que d’utiliser la « valeur des ventes » liée à la négociation d’OSSA pour déterminer le point de départ du calcul de l’amende, a jugé opportun de déterminer une valeur de remplacement de la valeur des ventes (ci-après la « valeur de remplacement »), fondée, d’une part, sur le montant notionnel des OSSA échangées durant les périodes respectives de participation des banques concernées à l’infraction litigieuse et, d’autre part, sur les écarts entre les cours
acheteur et vendeur de ces OSSA (voir section 8.2.3 de la décision attaquée).
43 Pour le reste, la Commission a déterminé le montant de l’amende infligée à chaque banque concernée en établissant un montant de base, calculé en fonction de la gravité et de la durée de l’infraction, et en ajustant ce montant de base en fonction de paramètres propres à chaque banque.
3. Sur le dispositif
44 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :
« Article premier
Les entreprises suivantes ont enfreint l’article 101 [TFUE] et l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à une infraction unique et continue concernant des [OSSA] couvrant l’ensemble de l’EEE, qui consistait en des accords et/ou des pratiques concertées ayant pour objet de restreindre et/ou de fausser la concurrence dans le secteur des [OSSA] :
a) DB Group Services (UK) Ltd et Deutsche Bank AG ont participé du 19 janvier 2010 au 28 mars 2014 ; au cours de cette période, Deutsche Securities Inc. a participé du 22 mars 2010 au 25 février 2013.
b) [BofA] [a] participé pour la première fois du 19 janvier 2010 au 23 octobre 2012 ; et de nouveau du 22 juillet 2014 au 27 janvier 2015 ;
c) [Crédit agricole] [a] participé du 10 janvier 2013 au 24 mars 2015 ;
d) [Credit Suisse] [a] participé du 21 juin 2010 au 24 mars 2015 ;
Article 2
Les amendes suivantes sont infligées pour l’infraction visée à l’article 1er :
a) [Deutsche Bank] : 0 euro
b) [BofA] : 12642000 euros
c) [Crédit agricole] : 3993000 euros
d) [Credit Suisse] : 11859000 euros
[…]
Article 3
Les entreprises énumérées à l’article 1er mettent immédiatement fin aux infractions visées audit article, dans la mesure où elles ne l’ont pas déjà fait.
Elles s’abstiennent de répéter tout acte ou comportement visé à l’article 1er ainsi que tout acte ou comportement ayant un objet ou un effet similaire.
[…] »
II. Conclusions des parties
45 Dans l’affaire T‑386/21, Crédit agricole conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée, notamment l’article 1er de cette décision ou, à titre subsidiaire, annuler certaines parties de ladite décision, au titre de l’article 263 TFUE ;
– annuler l’amende ou, à titre subsidiaire, réduire le montant de l’amende, notamment réduire l’amende à zéro, au titre de l’article 261 TFUE ;
– ordonner à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt du Tribunal conformément à l’article 266 TFUE ;
– condamner la Commission aux dépens.
46 Dans l’affaire T‑406/21, Credit Suisse conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler totalement ou partiellement l’article 1er, sous d), de la décision attaquée ;
– à titre subsidiaire, annuler en partie l’article 1er, sous d), de cette décision, dans la mesure où il y est déclaré que les communications relatives à la détermination des prix restreignent la concurrence par objet ou que Credit suisse a participé à une infraction unique et continue pendant toute la durée indiquée dans cet article ;
– annuler l’article 2, sous d), de cette même décision ;
– à titre subsidiaire, annuler partiellement l’article 2, sous d), de la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens ou, à titre subsidiaire, à une partie appropriée de ceux-ci.
47 Dans l’affaire T‑386/21 et dans l’affaire T‑406/21, la Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours dans son intégralité ;
– condamner les requérantes aux dépens.
III. En droit
48 Les parties ayant été entendues, le Tribunal décide de joindre les affaires T‑386/21 et T‑406/21 aux fins du présent arrêt, conformément à l’article 68, paragraphe 1, de son règlement de procédure.
A. Sur les demandes d’omission de certaines données envers le public
49 Au cours de la procédure, Crédit agricole, Credit Suisse et la Commission ont, en substance, demandé que certaines données soient omises envers le public dans le présent arrêt en application des articles 66 et 66 bis du règlement de procédure.
50 À cet égard, il convient de rappeler que, dans la conciliation entre la publicité des décisions de justice et le droit à la protection des données à caractère personnel et du secret d’affaires, le juge doit rechercher, dans les circonstances de chaque espèce, le juste équilibre, en ayant également égard au droit du public d’avoir accès, conformément aux principes inscrits à l’article 15 TFUE, aux décisions de justice (voir arrêt du 27 avril 2022, Sieć Badawcza Łukasiewicz – Port Polski Ośrodek
Rozwoju Technologii/Commission, T‑4/20, EU:T:2022:242, point 29 et jurisprudence citée).
51 Par ailleurs, la confidentialité d’un élément n’est pas justifiée dans le cas, par exemple, d’informations qui sont déjà publiques ou auxquelles le grand public ou certains milieux spécialisés peuvent avoir accès, d’informations figurant également dans d’autres passages ou pièces du dossier pour lesquels la partie souhaitant conserver le caractère confidentiel de l’information en question a négligé de faire une demande à cet effet, d’informations qui ne sont pas suffisamment spécifiques ou
précises pour révéler des données confidentielles ou encore d’informations qui ressortent largement ou se déduisent d’autres informations licitement accessibles aux intéressés (voir ordonnance du 14 mars 2022, Bulgarian Energy Holding e.a./Commission, T‑136/19, EU:T:2022:149, point 9 et jurisprudence citée).
52 En outre, des informations qui ont été secrètes ou confidentielles, mais qui datent de cinq ans ou plus, doivent, du fait de l’écoulement du temps, être considérées, en principe, comme historiques et comme ayant perdu, de ce fait, leur caractère secret ou confidentiel, à moins que, exceptionnellement, la partie qui se prévaut de ce caractère ne démontre que, en dépit de leur ancienneté, ces informations constituent encore des éléments essentiels de sa position commerciale ou de celles de tiers
concernés (voir arrêt du 19 juin 2018, Baumeister, C‑15/16, EU:C:2018:464, point 54 et jurisprudence citée).
53 À la lumière de ce qui précède, le Tribunal décide, en l’espèce, s’agissant de la version publique du présent arrêt, de procéder à l’anonymisation des noms des personnes physiques mentionnées dans la décision attaquée. Le Tribunal décide également d’omettre certaines données portant sur le facteur d’ajustement retenu par la Commission à l’encontre de Crédit agricole et de Credit Suisse dans le cadre du calcul du montant des amendes qui leur ont été infligées et que la Commission a occulté dans la
décision attaquée tant à l’égard des banques ayant pris part à l’infraction litigieuse qu’à l’égard du public.
54 En revanche, l’intelligibilité de la motivation du présent arrêt, l’écoulement du temps, la motivation stéréotypée des demandes d’omission de certaines données, les informations déjà accessibles au public ainsi que les changements importants intervenus après le mois de mars 2015 dans l’activité de Crédit agricole et de Credit Suisse liée au secteur des OSSA justifient que le Tribunal dévoile au public certaines données relatives aux critiques de ces banques et, notamment, à la méthodologie
retenue par la Commission pour le calcul des amendes infligées à ces banques.
55 Ainsi, d’une part, le Tribunal décide notamment de ne pas occulter, dans la version publique du présent arrêt, les informations contenues dans les tableaux 2 à 4 de l’annexe de la décision attaquée communiqués à Crédit agricole ainsi que certaines informations du tableau 5 de cette annexe.
56 D’autre part, s’agissant de Credit Suisse, le Tribunal décide notamment de ne pas occulter, dans la version publique du présent arrêt, les informations contenues dans le tableau 5 de l’annexe de la décision attaquée communiqué à cette banque, le délai moyen qui sépare ses opérations quotidiennes d’achat et de vente des opérations « partiellement équilibrées », le pourcentage que représentent les opérations « partiellement équilibrées » ou les opérations « entièrement équilibrées » par rapport au
nombre total des opérations effectuées par cette banque et le pourcentage que représentent les opérations d’achat de liquidités par rapport au nombre total des opérations effectuées par cette banque.
B. Sur l’objet des recours de Crédit agricole et Credit Suisse
1. Sur le recours de Crédit agricole
57 Tout d’abord, il convient de rappeler qu’une décision adoptée sur le fondement de l’article 101 TFUE à l’égard de plusieurs entreprises, bien que rédigée et publiée sous la forme d’une seule décision, doit s’analyser comme un faisceau de décisions individuelles constatant à l’égard de chacune des entreprises destinataires la ou les infractions retenues à sa charge et lui infligeant, le cas échéant, une amende (arrêt du 16 septembre 2013, Galp Energia España e.a./Commission, T‑462/07, non publié,
EU:T:2013:459, point 90).
58 Il en découle que, par l’introduction d’un recours en annulation contre une telle décision, chaque destinataire de celle-ci ne peut saisir le juge de l’Union que des éléments de la décision le concernant, tandis que ceux concernant d’autres destinataires ne peuvent, en principe, pas entrer dans l’objet du litige que le juge de l’Union est appelé à trancher (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2015, Emesa-Trefilería et Industrias Galycas/Commission, T‑406/10, EU:T:2015:499, point 117).
59 Pour autant, cette jurisprudence ne prive pas l’ensemble des destinataires d’une telle décision de la possibilité de contester, dans le cadre de leurs recours respectifs, l’ensemble des éléments de fait sur lesquels la Commission s’est fondée notamment pour conclure que les comportements en cause devaient être qualifiés d’« infraction unique et continue » ou de « restriction par objet », nonobstant le fait que le destinataire qui les conteste n’y ait pas pris part.
60 En conséquence, Crédit agricole n’est pas recevable à demander l’annulation des articles 1er et 2 de la décision attaquée dans leur intégralité. Tout au plus peut‑elle demander l’annulation des parties de ces articles qui la concernent.
61 Il y a dès lors lieu de comprendre la demande d’annulation de l’article 1er de la décision attaquée ou la demande d’annulation de l’amende comme visant uniquement l’article 1er, sous c), et l’article 2, sous c), de ladite décision.
62 Ensuite, par ses premier et deuxième chefs de conclusions, tels qu’interprétés au point précédent, Crédit agricole demande au Tribunal, en substance, l’annulation de l’article 1er, sous c), et de l’article 2, sous c), de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, la réduction du montant de l’amende prévue par ce dernier article.
63 Il y a donc lieu pour le Tribunal, au titre de l’article 263 TFUE, d’apprécier la légalité de la décision attaquée en ce qu’elle concerne Crédit agricole – pour ce qui est, d’une part, du constat d’infraction effectué à son égard à l’article 1er, sous c), de la décision attaquée et, d’autre part, de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2, sous c), de cette décision – ainsi que d’exercer la compétence de pleine juridiction qui lui est reconnue en application de l’article 261 TFUE et de
l’article 31 du règlement no 1/2003, pour ce qui est du montant de l’amende qui a été infligée à cette banque.
64 Enfin, par son troisième chef de conclusions, Crédit agricole demande également au Tribunal d’enjoindre à la Commission de prendre les mesures nécessaires pour se conformer à l’arrêt à venir du Tribunal, conformément à l’article 266 TFUE.
65 Or, dans le cadre du contrôle de légalité fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal n’a pas compétence pour prononcer des injonctions à l’encontre des institutions, des organes et des organismes de l’Union, même lorsqu’elles ont trait aux modalités d’exécution de ses arrêts (ordonnances du 22 septembre 2016, Gaki/Commission, C‑130/16 P, non publiée, EU:C:2016:731, point 14, et du 19 juillet 2016, Trajektna luka Split/Commission, T‑169/16, non publiée, EU:T:2016:441, point 13). Il en va de même
dans le cadre de l’exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction.
66 Il s’ensuit qu’il y a lieu de rejeter, dès à présent, le troisième chef de conclusions de Crédit agricole pour cause d’incompétence.
2. Sur le recours de Credit Suisse
67 Par ses premier et deuxième, troisième et quatrième chefs de conclusions, formulés au seul visa de l’article 263 TFUE, Credit Suisse demande, en substance, l’annulation totale ou partielle de l’article 1er, sous d), de la décision attaquée ainsi que l’« annulation » totale ou, à titre subsidiaire, partielle de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2, sous d), de cette décision.
68 En réponse à une mesure d’organisation de la procédure, Credit Suisse a expressément confirmé qu’elle ne demandait pas au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003 et que, concernant l’amende qui lui avait été infligée, elle se limitait à demander au Tribunal, au titre de l’article 263 TFUE, de contrôler la légalité de certains éléments de celle-ci ainsi que la méthode de calcul qui lui était sous-jacente.
69 Dès lors, concernant Credit Suisse, il y a lieu, pour le Tribunal, d’apprécier uniquement la légalité de la décision attaquée au titre de l’article 263 TFUE, y compris en ce qui concerne l’amende infligée par celle-ci.
C. Sur l’objet de l’infraction constatée dans la décision attaquée
70 Dans le cadre de ses premier et deuxième moyens, tirés d’erreurs dans la qualification des comportements en cause, respectivement, de « restriction par objet » et d’« infraction unique et continue », Crédit agricole fait valoir, à de multiples reprises, que, par l’article 1er de la décision attaquée, la Commission a constaté une infraction unique et continue composée de cinq infractions « autonomes », correspondant aux cinq catégories de comportements visées aux considérants 103 et 613 de cette
décision (voir point 35 ci‑dessus).
71 Crédit agricole en déduit que, dans la décision attaquée, la Commission devait établir que « chacune des cinq catégories de comportements allégués constitue une infraction par objet » et que, « si l’une des cinq catégories de comportements n’est pas établie à [son égard] l’infraction unique et continue définie par la Commission doit être écartée ».
72 La Commission conteste cette lecture de la décision attaquée au motif, essentiellement, qu’elle y a constaté une seule « infraction unique et continue », sans identifier au préalable ou concomitamment des infractions distinctes correspondant aux comportements entrant dans l’une ou l’autre des cinq catégories visées aux considérants 103 et 613 de cette décision.
73 Il convient de relever que la détermination exacte de la portée et du nombre d’infractions constatées dans la décision attaquée est essentielle pour apprécier la légalité de cette décision. Elle l’est également afin de déterminer le caractère opérant de certains arguments soulevés par Crédit agricole, en particulier ceux tirés d’erreurs de classification de certains comportements dans l’une ou l’autre des catégories visées aux considérants 103 et 613 de ladite décision, ou encore, d’erreurs dans
la qualification d’infraction unique et continue et dans la participation de cette banque à l’infraction ainsi que d’erreurs de qualification de l’une ou l’autre de ces cinq catégories en tant que « restriction par objet ».
74 À cet égard, la Cour a jugé que, si un ensemble de comportements peut être qualifié d’« infraction unique et continue », il ne saurait en être déduit que chacun de ces comportements doit, en lui-même et pris isolément, nécessairement être qualifié d’infraction distincte. Tel peut être le cas uniquement si, dans la décision concernée, la Commission a fait le choix d’identifier et de qualifier comme tels chacun desdits comportements et d’apporter ensuite la preuve de l’implication de l’entreprise
concernée à laquelle ils sont imputés (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Sony Corporation et Sony Electronics/Commission, C‑697/19 P, EU:C:2022:478, point 67).
75 De plus, dans l’interprétation de la décision concernée, le Tribunal doit veiller à ne pas confondre le notion de « comportement » et celle d’« infraction », sauf à commettre une erreur de droit (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2022, Sony Corporation et Sony Electronics/Commission, C‑697/19 P, EU:C:2022:478, point 78).
76 En l’occurrence, il convient donc de déterminer si, dans la décision attaquée, la Commission a constaté l’existence d’une seule infraction unique et continue ayant un objet anticoncurrentiel ou, au contraire et comme le soutient Crédit agricole, l’existence d’une infraction unique et continue, composée de cinq infractions distinctes et autonomes ayant chacune un tel objet.
77 À cet égard, il est vrai que, dans la décision attaquée, la Commission a, dans un premier temps, apprécié l’objet anticoncurrentiel des comportements en cause ou des catégories de comportements en cause identifiées aux considérants 103 et 613 (considérants 622 à 749), pour, seulement dans un second temps, constater l’existence d’une infraction unique et continue (considérants 750 à 828).
78 Ce faisant, en appréciant d’emblée l’objet anticoncurrentiel des comportements en cause ou des catégories de comportements en cause, la Commission a défini le régime probatoire de l’infraction [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 63 et 104] avant même d’avoir défini les contours de cette infraction.
79 Une telle structuration de la décision attaquée est susceptible de laisser penser que la Commission a entendu apprécier préalablement et séparément la nocivité à l’égard de la concurrence de chacun des comportements en cause ou de chacune des catégories de comportements en cause, et, partant, de constater l’existence d’autant de restrictions par objet que de comportements ou de catégories identifiés, et cela avant même de constater l’existence d’une infraction unique et continue.
80 Toutefois, une lecture de l’ensemble de la décision attaquée ne saurait soutenir une telle conclusion.
81 En effet, d’une part, l’article 1er de la décision attaquée se limite à constater, concernant Crédit agricole, que cette banque a « enfreint l’article 101 [TFUE] et l’article 53 de l’accord EEE en participant, pendant les périodes indiquées, à une infraction unique et continue concernant des [OSSA] couvrant l’ensemble de l’EEE, qui consistait en des accords et/ou des pratiques concertées ayant pour objet de restreindre et/ou de fausser la concurrence dans le secteur des [OSSA] ».
82 Ainsi, à la différence de l’article 1er de la décision qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 16 juin 2022, Sony Corporation et Sony Electronics/Commission (C‑697/19 P, EU:C:2022:478), et qui mentionnait une infraction unique et continue composée de plusieurs infractions distinctes, l’article 1er de la décision attaquée ne fait mention d’aucune autre infraction susceptible de correspondre aux comportements identifiés dans les cinq catégories de comportements visées aux
considérants 103 et 613 de cette décision et mentionnées au point 35 ci‑dessus.
83 D’autre part, cette lecture du libellé de l’article 1er de la décision attaquée est confirmé par les motifs de cette décision, à la lumière desquels son dispositif doit être interprété, si besoin est (arrêt du 15 mai 1997, TWD/Commission, C‑355/95 P, EU:C:1997:241, point 21).
84 Ainsi, le considérant 827 de la décision attaquée énonce uniquement que « l’ensemble des comportements collusoires entre les parties constitue une infraction unique et continue à l’article 101, paragraphe 1, [TFUE], pour laquelle chaque partie est tenue responsable ».
85 Par conséquent, ce considérant n’envisage pas que les comportements entrant dans l’une ou l’autre des cinq catégories visées aux considérants 103 et 613 de la décision attaquée puissent également être qualifiés, de manière séparée et autonome, d’infractions à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ce que confirment d’ailleurs les considérants 757 à 827 de cette décision.
86 En outre, au considérant 104 de la décision attaquée, la Commission a expressément indiqué que les différentes catégories de comportements qu’elle a retenues étaient décrites à des fins analytiques et qu’elles étaient liées et se chevauchaient souvent.
87 Ainsi, l’argument de Crédit agricole, tiré du fait que la Commission aurait constaté l’existence de cinq infractions « autonomes » correspondant aux cinq catégories de comportements visées aux considérants 103 et 613 de la décision attaquée et revêtant la qualification de « restriction par objet », procède d’une lecture erronée de cette décision. Il doit donc être écarté.
88 Il en va de même de la critique de Crédit agricole tirée du fait que, dans le cadre du présent recours, la Commission aurait tenté de réinterpréter sa décision afin de faire constater par le Tribunal qu’elle n’avait pas appréhendé de manière autonome les cinq catégories de comportements visées aux considérants 103 et 613 de la décision attaquée.
89 Il découle également de cette lecture erronée de la décision attaquée que les griefs formulés par Crédit agricole et tirés d’erreurs de classification des comportements en cause dans l’une ou l’autre des cinq catégories de comportements visées aux considérants 103 et 613 de la décision attaquée, comme de leurs conséquences sur les qualifications des comportements en cause d’« infraction unique et continue », ainsi que de « restriction par objet », ou encore tirés d’erreurs de qualification de
l’une ou l’autre de ces cinq catégories de comportements en tant que « restriction par objet », sont inopérants et, partant, doivent être écartés.
90 Cependant, les arguments formulés par Crédit agricole à l’encontre de discussions spécifiques seront pris en considération ultérieurement afin de déterminer si la Commission a pu, sans commettre d’erreur, qualifier les discussions en cause, prises dans leur ensemble, d’infraction unique et continue ayant un objet anticoncurrentiel.
D. Sur la recevabilité des critiques dirigées contre l’interprétation des discussions analysées dans la décision attaquée
91 Dans la section 4.2 de la décision attaquée et, plus précisément, aux considérants 112 à 577 de celle-ci, la Commission a procédé à une présentation chronologique des événements sur la base des éléments de preuve qu’elle détenait. Cette présentation a pris la forme d’une analyse et d’une interprétation de la transcription de plus de 120 discussions qui ont eu lieu entre les traders des banques concernées entre les mois de janvier 2010 et de mars 2015, essentiellement sur des forums de discussions
de la plateforme Bloomberg. C’est sur la base de cette analyse et de cette interprétation que la Commission a, par la suite, apprécié l’existence d’accords ou de pratiques concertées, l’existence d’une restriction de concurrence et l’existence d’une infraction unique et continue ainsi que l’objet anticoncurrentiel de celle‑ci.
92 En l’espèce, la Commission soutient, en substance, que certaines critiques formulées respectivement par Crédit agricole et par Credit Suisse sont irrecevables en ce que ces critiques ne portent pas sur son interprétation du contenu de discussions précises mentionnées dans la décision attaquée, mais sur des discussions qui sont envisagées d’une manière générale et qui ne font l’objet d’aucune critique spécifique. De même, les critiques dirigées contre des discussions identifiées ou abordées dans
des annexes aux mémoires déposés par ces deux banques seraient irrecevables. Enfin, il y aurait lieu de considérer comme acquis les éléments factuels et les éléments de preuve qui ne sont pas contestés ou pas valablement contestés par ces deux banques.
93 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués.
94 Selon une jurisprudence bien établie, cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours (voir arrêt du 25 janvier 2018, BSCA/Commission, T‑818/14, EU:T:2018:33, point 95 et jurisprudence citée).
95 Ainsi, pour qu’un recours, un moyen, un grief ou un argument porté devant le Tribunal soit recevable, les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels la partie requérante se fonde doivent ressortir, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même. S’il est vrai que le corps de celle-ci peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi
global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui, en vertu des dispositions rappelées au point 93 ci-dessus, doivent figurer dans la requête (voir, en ce sens, arrêt du 13 juin 2013, Versalis/Commission, C‑511/11 P, EU:C:2013:386, point 115).
96 Les annexes ne peuvent donc être prises en considération que dans la mesure où elles étayent ou complètent des moyens, des griefs ou des arguments expressément invoqués par la partie requérante dans le corps de ses écritures et où il est possible de déterminer avec précision quels sont les éléments qu’elles contiennent qui étayent ou complètent lesdits moyens, griefs ou arguments (voir arrêt du 9 septembre 2015, Samsung SDI e.a./Commission, T‑84/13, non publié, EU:T:2015:611, point 33 et
jurisprudence citée). En outre, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens, les griefs et les arguments qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours, les annexes ayant une fonction purement probatoire et instrumentale (voir arrêt du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, EU:T:2007:289, point 94 et jurisprudence citée).
97 Les principes rappelés aux points 93 à 96 ci‑dessus excluent donc que, dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision de la Commission adoptée sur le fondement de l’article 101 TFUE et à l’occasion de laquelle cette institution reproche à des entreprises un nombre déterminé de comportements précis et identifiés, ces dernières se limitent à ne contester d’une manière spécifique et étayée que certains d’entre eux dans le corps de leurs écritures et, pour les autres, soit laissent le Tribunal
inférer de ses conclusions relatives à ces premiers comportements le sort à réserver à ces autres comportements, quand bien même ceux-ci seraient identifiés ou évoqués dans une annexe, soit renvoient le Tribunal à une annexe au sein de laquelle leurs critiques sont pour la première fois développées.
98 En effet, des critiques formulées exclusivement dans une annexe et portant sur des comportements ni visés ni a fortiori critiqués dans le corps des écritures d’une partie requérante ne peuvent être considérées comme des arguments invoqués par ladite partie dans le corps de ces mêmes écritures.
99 C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner les fins de non-recevoir soulevées par la Commission en ce qui concerne respectivement les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse.
1. Sur les fins de non-recevoir afférentes aux critiques de Crédit agricole
100 Dans le cadre de son premier moyen portant sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », Crédit agricole indique qu’elle conteste l’objet anticoncurrentiel de l’intégralité des discussions répertoriées dans les cinq catégories visées au point 35 ci‑dessus. À cet effet, Crédit agricole vise onze discussions différentes à titre d’« exemples », à savoir une discussion pour la catégorie 1 (celle du 12 mars 2015), quatre discussions pour la catégorie 2 (celles du
31 janvier, du 15 février, du 21 mars et du 10 juillet 2013), trois discussions pour la catégorie 3 (celles du 19 mars, du 24 mai et du 25 juillet 2013), trois discussions pour la catégorie 4 (celles du 19 mars et du 3 juin 2013 et celle du 6 août 2014) et trois discussions pour la catégorie 5 (celles du 18 janvier et du 10 juillet 2013 et celle du 12 mars 2015).
101 Dans le cadre de son troisième moyen, Crédit agricole fait également grief à la Commission d’avoir à tort présumé qu’elle avait connaissance des informations échangées sur les forums de discussions concernés, aux fins de la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue ». Au soutien de son argumentation, cette banque se prévaut, à titre d’« exemples », de trois discussions – à savoir celles des 10 et 31 janvier ainsi que celle du 11 octobre 2013.
102 La Commission estime que Crédit agricole n’a pas contesté la majorité des autres discussions qui lui sont reprochées, ce que réfute cette banque dans la réplique. À cet effet, ladite banque renvoie à sa réponse à la communication des griefs, annexée à la requête. La Commission objecte que ce renvoi global est irrecevable.
103 À cet égard, s’agissant des premier et troisième moyens soulevés par Crédit agricole, il découle des considérations énoncées aux points 93 à 98 ci‑dessus que, en l’absence de critiques spécifiques et étayées formulées même sommairement dans la requête, les critiques que cette banque a formulées à l’encontre des discussions autres que celles visées aux points 100 et 101 ci‑dessus et contenues dans le corps de ses écritures doivent être déclarées irrecevables. Par ailleurs, ce défaut de la requête
ne saurait être pallié par le renvoi global, effectué par Crédit agricole dans la réplique, à sa réponse à la communication des griefs annexée à la requête.
104 Contrairement à ce que soutient Crédit agricole, une telle appréciation ne viole pas le droit de cette banque à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, au motif, en substance, que celle-ci aurait été contrainte de ne contester que certaines des discussions en cause en raison des exigences de volumes applicables à ses écritures devant le Tribunal.
105 En effet, il ressort certes du point 105 des dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure que, dans les recours directs introduits sur le fondement de l’article 263 TFUE, le nombre de pages maximal des mémoires est fixé à 50 pages pour la requête et à 25 pages pour la réplique. Toutefois, force est de constater que la requête de Crédit agricole compte moins de 43 pages et que cette banque n’a aucunement demandé à dépasser ces maximums, ce que permet pourtant le point 106 des
dispositions pratiques d’exécution du règlement de procédure.
106 Il résulte de ce qui précède que les appréciations effectuées par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne les discussions contestées par Crédit agricole sur la base de considérations générales et non étayées ou de discussions contestées par cette banque sur la base d’un renvoi à sa réponse à la communication des griefs doivent être considérées comme établies et donc comme définitives (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission,
T‑240/17, non publié, EU:T:2019:778, point 105).
107 En revanche, les critiques suffisamment spécifiques et étayées formulées à l’encontre des discussions visées aux points 100 et 101 ci‑dessus sont recevables et seront analysées sur la base de l’horodatage qui figure dans les transcriptions de ces discussions produites par Crédit agricole ou par la Commission.
2. Sur les fins de non-recevoir afférentes aux critiques de Credit Suisse
108 Dans le cadre de la deuxième branche de son premier moyen, Credit Suisse estime que la Commission a violé l’article 101 TFUE en concluant que les « communications relatives à la détermination des prix » restreignaient la concurrence par objet. Dans ce cadre, elle se limite à indiquer que cette expression vise les « communications compren[a]nt des informations sur (i) la juste valeur d’une obligation, (ii) les stratégies de négociation des contreparties, (iii) les positions d’inventaire des
teneurs de marché et (iv) les flux d’ordres ».
109 En réponse à une fin de non-recevoir par laquelle la Commission faisait valoir que l’imprécision des termes « communications relatives à la détermination des prix » devait entraîner l’irrecevabilité de la deuxième branche du premier moyen de Credit Suisse, cette banque a communiqué, en annexe à la réplique, un tableau listant les 25 discussions relevant de ce qu’elle qualifie de « communications relatives à la détermination des prix ». Ce tableau précise la date de chacune de ces discussions, le
considérant de la décision attaquée s’y référant et sa référence dans le dossier de la Commission.
110 À cet égard, il découle des considérations énoncées aux points 93 à 98 ci‑dessus que, en l’absence de critiques étayées et spécifiques formulées même sommairement dans la requête voire dans la réplique et son annexe, les critiques que cette banque estime avoir formulées à l’encontre de l’interprétation effectuée par la Commission du contenu des 25 discussions visées au point 109 ci‑dessus doivent être déclarées irrecevables.
111 Il résulte de ce qui précède que les appréciations effectuées par la Commission dans la décision attaquée en ce qui concerne des discussions contestées par Credit Suisse sur la base de considérations générales et non étayées ou de discussions contestées par cette banque sur la base d’un renvoi à une annexe à la réplique doivent être considérées comme établies et donc comme définitives (voir, par analogie, arrêt du 7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission, T‑240/17, non publié,
EU:T:2019:778, point 105).
112 En revanche, les critiques suffisamment spécifiques et étayées formulées dans le cadre d’autres branches de moyens ou d’autres moyens et dirigées contre les interprétations de la Commission du contenu de discussions analysées dans la décision attaquée sont recevables et seront analysées sur la base de l’horodatage qui figure dans les transcriptions de ces discussions produites par Credit Suisse ou par la Commission.
113 Tel est le cas des critiques qui portent sur le caractère anticoncurrentiel de certaines discussions et, plus précisément, des critiques dirigées contre l’interprétation du contenu des discussions du 28 septembre 2010, du 8 février 2012 et du 10 janvier 2013, mentionnées brièvement dans le cadre de la première branche du premier moyen, et contre l’interprétation du contenu des discussions du 12 mars 2015 et du courriel du 24 mars 2015, mentionnés dans le cadre de la quatrième branche du deuxième
moyen. Tel est le cas également des critiques formulées dans le cadre de la deuxième branche du deuxième moyen, qui ne portent pas sur le caractère anticoncurrentiel de certaines discussions, mais qui sont dirigées contre les appréciations effectuées au considérant 808 de la décision attaquée au sujet de l’étendue de la connaissance des comportements anticoncurrentiels par Credit Suisse, sur la base du contenu des discussions du 25 juillet et du 22 octobre 2013 et du 9 janvier 2014.
E. Sur les conclusions en annulation de Crédit agricole et Credit Suisse
114 À l’appui de leur recours, les requérantes avancent des moyens qui se chevauchent dans une large mesure et qu’il y a lieu d’apprécier conjointement, tout en veillant à répondre aux arguments spécifiques soulevés par chacune d’elles.
115 Pour l’essentiel, leurs moyens s’articulent autour de trois catégories de critiques qu’il convient d’examiner successivement et qui sont tirées, premièrement, d’erreurs dans la qualification des comportements en cause d’« infraction unique et continue » ainsi que de l’étendue de leur participation à cette infraction (deuxièmes moyens de Crédit agricole et de Credit Suisse), deuxièmement, d’erreurs dans la qualification de ladite infraction unique et continue de « restriction par objet »
(premiers moyens de Crédit agricole et de Credit Suisse), et, troisièmement, d’erreurs dans la détermination du montant de leur amende respective (quatrième moyen de Crédit agricole et troisième moyen de Credit Suisse).
116 Cependant, au préalable, il convient d’examiner le troisième moyen de Crédit agricole, tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence, en ce que la Commission aurait à tort présumé que les traders des banques concernées avaient connaissance des informations qui étaient échangées sur les forums de discussions du simple fait qu’ils y étaient connectés.
1. Sur le troisième moyen de Crédit agricole, tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence
117 Par son troisième moyen, Crédit agricole reproche à la Commission d’avoir présumé, aux fins de la qualification des comportements en cause au titre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE que « les traders [impliqués et, en particulier, le sien] avaient connaissance de toutes les informations échangées dans un forum de discussions lorsque le trader concerné n’a pas participé au groupe de discussions ou aux échanges ».
118 Au soutien de ce moyen, Crédit agricole se prévaut de l’arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a. (C‑74/14, EU:C:2016:42, points 45 et 50), selon lequel « la présomption d’innocence s’opposerait à ce que […] le seul envoi d’un message puisse constituer une preuve suffisante afin d’établir que ses destinataires devaient nécessairement avoir connaissance de son contenu » et selon lequel, s’il ne peut pas être établi qu’une entreprise a eu connaissance d’un message, il doit exister d’« autres indices
objectifs et concordants qu’elle ait tacitement acquiescé à une action anticoncurrentielle ». De plus, cette banque fait valoir que la jurisprudence relative aux échanges d’informations dans le cadre de réunions en présentiel n’est pas transposable aux échanges d’informations dans le cadre de forums de discussions.
119 Dès lors, en l’espèce, la Commission n’aurait pas pu valablement estimer que la communication d’informations à des « participants non actifs » sur un forum de discussions suffisait pour considérer que ces derniers les avaient reçues et en avaient connaissance, notamment pour la raison, retenue au considérant 587 de la décision attaquée, qu’ils avaient la possibilité de remonter dans les discussions passées. Cela tiendrait également au fait que le trader de Crédit agricole était membre de plus de
100 forums de discussions et s’informait par le biais de très nombreuses autres sources qui apparaissaient devant lui sur six à huit écrans.
120 En particulier, la Commission ne pourrait considérer comme directement incriminantes les discussions du 10 et du 31 janvier 2013 ainsi que du 11 octobre 2013, aux motifs, pour la première, que le trader de Crédit agricole ne se serait connecté au forum de discussions en cause qu’après l’échange d’informations retenu par la Commission et, pour les dernières, que, bien que connecté au forum de discussions concerné, il n’aurait pas participé activement aux échanges incriminés.
121 En outre, la Commission n’aurait pas démontré que le trader de Crédit agricole aurait eu un intérêt à rechercher les informations concernées ou aurait agi sur la base de ces informations. De plus, l’ignorance de ces informations aurait empêché le trader de Crédit agricole de s’en distancier publiquement.
122 La Commission estime que les arguments de Crédit agricole sont dénués de fondement et que les critiques dirigées contre les discussions des 10 et 31 janvier 2013 ainsi que du 11 octobre 2013 sont inopérantes, à défaut pour cette banque d’avoir contesté les autres discussions qui lui sont reprochées.
123 D’emblée, il convient d’écarter l’allégation d’inopérance formulée par la Commission à l’égard des critiques dirigées contre les discussions des 10 et 31 janvier 2013 ainsi que du 11 octobre 2013.
124 En effet, si, comme cela a été relevé au point 103 ci‑dessus, Crédit agricole ne saurait être considérée comme ayant critiqué d’une manière recevable, dans le cadre de son troisième moyen, des discussions autres que ces trois discussions, il n’en demeure pas moins que l’absence de contestation recevable d’une majorité des comportements incriminés par la Commission ne saurait conduire à juger, automatiquement et sans analyse individuelle des discussions contestées, que les comportements constatés
par la Commission, pris dans leur ensemble, ont été qualifiés, à bon droit, d’infraction unique et continue ayant un objet anticoncurrentiel.
125 Quant au fond, il convient de relever que les critiques formulées par Crédit agricole soulèvent deux questions distinctes.
126 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la Commission peut retenir comme preuve d’un comportement anticoncurrentiel des discussions intervenues dans le cadre d’un forum de discussions auquel l’entreprise concernée était connectée, mais auxquelles elle n’a pas participé activement, il convient de rappeler que, de jurisprudence constante, les modes passifs de participation à une infraction, telle que la présence d’une entreprise à des réunions au cours desquelles des accords ayant
une nature anticoncurrentielle ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, traduisent une complicité qui est de nature à engager sa responsabilité dans le cadre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dès lors que l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et de compromettre sa découverte (voir arrêt du 22 octobre 2015,
AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 31 et jurisprudence citée).
127 Certes, cette jurisprudence a été développée au sujet de réunions tenues en présence des représentants des entreprises concernées. Toutefois, rien ne permet d’estimer qu’elle n’a pas lieu d’être appliquée, par analogie, à des discussions tenues dans le cadre de forums de discussions sur Internet auxquels une entreprise est connectée.
128 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par les points 45 et 50 de l’arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a. (C‑74/14, EU:C:2016:42), évoqués par Crédit agricole.
129 En effet, l’arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a. (C‑74/14, EU:C:2016:42), ne concernait pas, comme en l’espèce, un forum de discussions permanent dans lequel les messages des participants sont délivrés en temps réel à l’ensemble des personnes qui y sont connectées et qui en prennent ou, à tout le moins, peuvent en prendre connaissance instantanément. Ainsi que cela ressort expressément du point 7 dudit arrêt, ce dernier concernait un système fonctionnant de la même manière qu’une messagerie
électronique, dont les messages étaient délivrés comme des courriers électroniques et supposaient, pour être lus, d’être préalablement ouverts par leur destinataire, auquel il appartenait donc nécessairement d’effectuer une démarche active afin d’effectivement prendre connaissance du contenu du message qui lui était adressé.
130 Dès lors, le fait que la Cour ait jugé en substance, dans le contexte de l’arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a. (C‑74/14, EU:C:2016:42), que la connaissance du contenu d’un message envoyé par le biais d’un instrument comparable à une messagerie électronique ne pouvait pas être déduite du seul fait que ce message avait été envoyé, ne saurait impliquer que, dans le contexte des messages envoyés dans un forum de discussions permanent et qui sont délivrés en temps réel à l’ensemble des personnes
qui y sont connectées, la Commission doive démontrer que le message qui est opposé à une entreprise a effectivement été lu par l’employé de cette entreprise.
131 Ainsi, en l’espèce, la Commission était en droit d’estimer que Crédit agricole avait eu connaissance des discussions tenues sur les forums de discussions permanents, auxquels son trader était connecté, quand bien même celui‑ci n’aurait pas participé activement à ces discussions ou encore quand bien même il aurait eu à sa disposition de nombreuses autres sources d’informations concomitantes.
132 Il n’aurait pu en être différemment que si Crédit agricole avait démontré, au moyen d’éléments de preuve certains et précisément horodatés, que son trader n’avait effectivement pas pris connaissance du ou des messages incriminés.
133 Or, une telle preuve n’a pas été apportée par Crédit agricole, s’agissant en particulier de la discussion intervenue le 31 janvier 2013 entre 11 h 02 min 08 s et 11 h 05 min 38 s sur le forum de discussions PCHAT‑0x2000001313671, auquel le trader de cette banque était connecté depuis 7 h 16 min ce même jour. Il peut, par ailleurs, être relevé que ce même trader, s’il n’a pas pris activement part à la discussion, a réagi à la discussion concernée à 11 h 29 min 08 s dans un message apparaissant
quatre lignes après celui de 11 h 05 min 38 s.
134 Il en va de même de la discussion intervenue le 11 octobre 2013 entre 9 h 18 min 25 s et 9 h 19 min 15 s sur le forum de discussions CHAT-fs :5257AB6D 02E00121, auquel le trader de cette banque était connecté depuis 8 h 44 min 58 s ce même jour.
135 S’agissant, en second lieu, de la question distincte de savoir si la Commission pouvait retenir, comme preuve d’un comportement anticoncurrentiel de Crédit agricole marquant le début de sa participation à l’infraction litigieuse, la discussion du 10 janvier 2013, intervenue dans le cadre d’un forum de discussions permanent à un moment où le trader de cette banque ne s’y était encore jamais connecté avec les identifiants de ladite banque, la Commission a indiqué, dans le cadre d’observations
déposées à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure, qu’elle ne s’appuyait pas sur le fait que, après son entrée sur le forum, le trader de cette même banque avait eu connaissance ou avait pu prendre connaissance de la discussion anticoncurrentielle intervenue plus tôt ce même jour, en remontant l’historique de la discussion.
136 À cet égard, la Commission a précisé ce qui suit :
« Crédit agricole est tenue responsable de l’ensemble de l’infraction unique et continue pour l’ensemble de sa période d’implication puisqu’elle a participé activement à tous les comportements compris dans l’infraction unique et continue […] Même si la Commission devait démontrer la connaissance de Crédit agricole (quod non), elle n’est pas tenue de démontrer que [cette banque] a eu connaissance de chaque information échangée, ni que son trader a effectivement lu l’intégralité de l’échange dans
le forum de discussions. Il suffit que la Commission démontre que Crédit agricole avait connaissance du comportement infractionnel planifié ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite de l’objectif commun, ou qu’elle pouvait raisonnablement le prévoir et qu’elle était prête à en prendre le risque. »
137 Or, en l’absence d’échanges présentant un caractère anticoncurrentiel, intervenus le même jour et postérieurement à la première connexion du trader de Crédit agricole au forum de discussions en cause, cette première connexion n’est, à elle seule, pas suffisante pour fixer le point de départ de la participation de cette banque à l’infraction litigieuse au 10 janvier 2013, quand bien même, du fait de sa relation d’emploi antérieure avec BofA, ce trader aurait eu connaissance du fait que les
échanges intervenus sur celui-ci étaient susceptibles de présenter un caractère anticoncurrentiel.
138 En effet, d’une part, il ressort notamment des considérants 43 et 662 de la décision attaquée que la création de forums de discussions et la participation à ceux-ci n’est pas, en tant que telle, anticoncurrentielle. En ce sens, la Commission n’a pas retenu à l’encontre des participants les discussions intervenues sur de tels forums qui avaient des finalités sociales ou qui avaient pour objet d’étudier la possibilité de transactions bilatérales ou encore d’échanger sur la couleur du marché déjà
connue de tous, alors même que ces discussions ont eu lieu durant la période infractionnelle.
139 Ainsi, le caractère anticoncurrentiel des discussions reprochées par la Commission est uniquement lié à l’objet de celles‑ci et non au cadre dans lequel elles sont intervenues.
140 D’autre part, la discussion du 10 janvier 2013 constitue la première discussion anticoncurrentielle retenue à l’encontre de Crédit agricole et marque, pour la Commission, le début de la participation de cette banque à l’infraction litigieuse.
141 Or, afin de retenir le 10 janvier 2013 comme date de début de la participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse, la Commission ne pouvait pas uniquement se prévaloir du fait que cette banque – par l’entremise de son trader – s’était connectée sur le forum de discussions en cause, en pleine connaissance du fait que des discussions anticoncurrentielles étaient intervenues sur ce forum dans le passé et dans l’intention de continuer à participer à de telles discussions, ainsi qu’elle le
laisse entendre à la note en bas de page 891 de la décision attaquée.
142 Il appartenait encore à cette institution de démontrer que, le 10 janvier 2013 après la première connexion du trader de Crédit agricole au forum litigieux, cette banque avait pris part activement ou, à tout le moins, assisté passivement à une discussion anticoncurrentielle, de sorte qu’elle avait pu transmettre ou obtenir des informations commerciales sensibles, de nature soit à influer sur le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le
comportement que Crédit agricole était décidé à tenir sur le marché ou que Crédit agricole envisageait d’adopter sur celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission, C‑609/13 P, EU:C:2017:46, point 72).
143 Or, en l’espèce, il ne ressort ni de la décision attaquée ni du dossier à la disposition du Tribunal que des messages de nature anticoncurrentielle ont été échangés sur le forum de discussions en cause le 10 janvier 2013 après la première connexion du trader de Crédit agricole à ce forum.
144 Dès lors, la Commission ne pouvait, sans commettre d’erreur et, en particulier, sans violer le principe de la présomption d’innocence applicable aux procédures de mise en œuvre de l’article 101 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C‑74/14, EU:C:2016:42, point 38 et jurisprudence citée), estimer que, le 10 janvier 2013, Crédit agricole avait pris part à un comportement anticoncurrentiel par sa simple connexion au forum de discussions en cause et considérer que le point
de départ de la participation de cette banque à l’infraction devait être fixé à cette date.
145 Eu égard à ce qui précède, il convient d’accueillir le troisième moyen de Crédit agricole en ce qu’il concerne la discussion du 10 janvier 2013, et, pour le surplus, de le rejeter comme étant non fondé.
146 Toutefois, les implications sur la légalité de la décision attaquée de l’erreur de la Commission relative à cette discussion du 10 janvier 2013 seront examinées aux points 550 et 551 ainsi que 981 à 986 ci‑après, dans le cadre de la durée de l’infraction reprochée à Crédit agricole et dans le cadre du calcul de l’amende infligée à cette banque.
2. Sur le deuxième moyen de Crédit agricole et le deuxième moyen de Credit Suisse, tirés d’erreurs dans la qualification des comportements en cause d’infraction unique et continue
a) Observations liminaires
147 En cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il incombe à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et de démontrer à suffisance de droit, par un faisceau d’indices sérieux, précis et concordants, l’existence des faits constitutifs d’une infraction (voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120, points 126 et 127 ; du
17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission, C‑185/95 P, EU:C:1998:608, point 58, et du 6 janvier 2004, BAI et Commission/Bayer, C‑2/01 P et C‑3/01 P, EU:C:2004:2, point 62).
148 Selon une jurisprudence constante, une violation de l’article 101, paragraphe 1, TFUE peut résulter non seulement d’un acte isolé, mais également d’une série d’actes ou bien encore d’un comportement continu, quand bien même un ou plusieurs éléments de cette série d’actes ou de ce comportement continu pourraient également constituer, en eux‑mêmes et pris isolément, une violation de ladite disposition. Ainsi, lorsque les différentes actions s’inscrivent dans un « plan d’ensemble », en raison de
leur objet identique faussant le jeu de la concurrence dans le marché intérieur, la Commission est en droit d’imputer la responsabilité de ces actions en fonction de la participation à l’infraction considérée dans son ensemble (voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 41 et jurisprudence citée).
149 Une entreprise ayant participé à une telle infraction unique et continue par des comportements qui lui étaient propres, qui relevaient des notions d’accord ou de pratique concertée au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE et qui visaient à contribuer à la réalisation de l’infraction dans son ensemble, peut ainsi être également responsable des comportements mis en œuvre par d’autres entreprises dans le cadre de la même infraction pour toute la période de sa participation à ladite infraction.
Tel est le cas lorsqu’il est établi que ladite entreprise entendait contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants et qu’elle avait connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et qu’elle était prête à en accepter le risque (voir arrêt du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P,
EU:C:2012:778, point 42 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Team Relocations e.a./Commission, T‑204/08 et T‑212/08, EU:T:2011:286, points 36 et 37).
150 Ainsi, une entreprise peut avoir directement participé à l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, auquel cas la Commission est en droit de lui imputer la responsabilité de l’ensemble de ces comportements et, partant, de ladite infraction dans son ensemble. Une entreprise peut également n’avoir directement participé qu’à une partie des comportements anticoncurrentiels composant l’infraction unique et continue, mais avoir eu connaissance de
l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par les autres participants à l’entente dans la poursuite des mêmes objectifs, ou avoir pu raisonnablement les prévoir et avoir été prête à en accepter le risque. Dans un tel cas, la Commission est également en droit d’imputer à cette entreprise la responsabilité de l’ensemble des comportements anticoncurrentiels composant une telle infraction et, par suite, de celle-ci dans son ensemble (arrêts du 6 décembre 2012,
Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 43, et du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 158).
151 En revanche, si une entreprise a directement pris part à un ou plusieurs des comportements anticoncurrentiels composant une infraction unique et continue, mais qu’il n’est pas établi que, par son propre comportement, elle entendait contribuer à l’ensemble des objectifs communs poursuivis par les autres participants à l’entente et qu’elle avait connaissance de l’ensemble des autres comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par lesdits participants dans la poursuite des mêmes
objectifs ou qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque, la Commission n’est en droit de lui imputer la responsabilité que des seuls comportements auxquels elle a directement participé et des comportements envisagés ou mis en œuvre par les autres participants dans la poursuite des mêmes objectifs que ceux qu’elle poursuivait et dont il est prouvé qu’elle avait connaissance ou pouvait raisonnablement les prévoir et était prête à en accepter le risque
(arrêts du 6 décembre 2012, Commission/Verhuizingen Coppens, C‑441/11 P, EU:C:2012:778, point 44, et du 24 juin 2015, Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce, C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2015:416, point 159).
152 Il s’ensuit que le constat de l’existence d’une infraction unique et continue est distinct de la question de savoir si la responsabilité pour cette infraction dans sa globalité est imputable à une entreprise (voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2018, Infineon Technologies/Commission, C‑99/17 P, EU:C:2018:773, point 174).
153 Plus précisément, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée aux points 148 à 151 ci‑dessus, trois éléments sont déterminants afin de conclure à la participation d’une entreprise à une infraction unique et continue. Le premier concerne l’existence même de l’infraction unique et continue, à savoir que les différents comportements en cause doivent relever d’un « plan d’ensemble » poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique. Les deuxième et troisième éléments concernent l’imputabilité de
l’infraction unique et continue à une entreprise. À cet égard, d’une part, cette entreprise doit avoir eu l’intention de contribuer par son propre comportement aux objectifs communs poursuivis par l’ensemble des participants. D’autre part, elle doit avoir eu connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs, ou doit avoir pu raisonnablement les prévoir et été prête à en accepter le risque.
154 En l’espèce, par son deuxième moyen, Crédit agricole soutient que la Commission « n’a pas fourni de preuve ou de motivation adéquate démontrant qu’elle a participé à une infraction unique et continue ». Par la première branche de son deuxième moyen, elle fait valoir qu’elle « n’a pas contribué à un plan d’ensemble ». Par la seconde branche de ce moyen, Crédit agricole se prévaut de l’absence de caractère continu de l’infraction constatée.
155 À cet égard, d’une part, pour autant que Crédit agricole, dans le seul intitulé de son deuxième moyen, reproche à la Commission de ne pas avoir fourni une motivation « adéquate », il convient de souligner que l’analyse des considérants 750 à 828 de la décision attaquée, qui sont consacrés à la démonstration de l’existence d’une infraction unique et continue à laquelle cette banque aurait participé et qui comportent notamment des renvois à d’autres considérants de ladite décision ainsi que des
réponses aux arguments des banques impliquées, ont permis à ladite banque de connaître les justifications de la mesure prise afin de défendre ses droits et ont mis le Tribunal en mesure d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée. Par ailleurs, l’exactitude de la motivation figurant dans la décision attaquée sera examinée dans le cadre de la réponse aux différents arguments invoqués par cette banque et visant à remettre en cause le bien-fondé des appréciations de la
Commission.
156 D’autre part, il découle du libellé de la première branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole que, dans le cadre de cette branche et comme la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, Crédit agricole ne conteste pas l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, mais seulement sa participation à ce plan d’ensemble et donc sa participation à l’infraction unique et continue constatée.
157 S’agissant de Credit Suisse, cette banque conteste, par les première et troisième branches de son deuxième moyen, l’existence d’une infraction unique et continue. En outre, par les deuxième et quatrième branches de ce même moyen, cette banque conteste sa responsabilité dans cette infraction pendant la durée retenue dans la décision attaquée.
158 À la lumière des considérations qui figurent aux points 148 à 153 ci‑dessus, il convient d’examiner les arguments de Crédit agricole et de Credit Suisse en distinguant, d’une part, ceux dirigés contre le constat de l’existence d’une infraction unique et continue et, d’autre part, ceux dirigés contre le constat selon lequel la responsabilité pour cette infraction leur est imputable pour une certaine durée.
159 Cependant, il importe de relever que, dans le cadre de leurs recours respectifs, Crédit agricole et Credit Suisse établissent des liens entre les questions soulevées par leurs deuxièmes moyens et les arguments qu’ils avancent dans le cadre de leurs premiers moyens, tirés en substance, d’une violation de l’article 101 TFUE commise par la Commission lorsqu’elle a conclu à l’existence d’une restriction « par objet ».
160 Par conséquent, préalablement à l’examen des arguments mentionnés au point 158 ci‑dessus, il est nécessaire d’analyser certaines constatations de fait et certaines appréciations effectuées par la Commission et liées à l’existence d’accords et/ou de pratiques concertées présentant un caractère anticoncurrentiel qui figurent aux considérants 593 à 621 de la décision attaquée. En effet, ces constatations et ces appréciations sont susceptibles d’avoir une incidence sur le bien-fondé des conclusions
de la Commission relatives, d’une part, à l’existence d’une infraction unique et continue et, d’autre part, à l’imputabilité de la responsabilité de ladite infraction à Crédit agricole et à Credit Suisse.
b) Sur l’existence d’accords et/ou de pratiques concertées présentant un caractère anticoncurrentiel
161 Dans le cadre de son appréciation du caractère anticoncurrentiel des comportements qu’elle a constatés, la Commission a présenté et interprété le contenu de plus de cent discussions. Cependant, Credit Suisse et Crédit agricole n’ont valablement contesté que certaines discussions les concernant ce qui implique que les discussions non valablement contestées doivent être considérées comme établies et donc comme définitives, tout comme l’interprétation qui en a été faite par la Commission (voir
points 91 à 113 ci-dessus).
162 Ainsi, s’agissant de Crédit agricole, il convient de constater, à la lumière des critiques spécifiques, précises et étayées contenues dans son premier moyen, que cette banque est recevable à contester le caractère anticoncurrentiel uniquement des discussions des 18 et 31 janvier 2013, du 15 février 2013, des 19 et 21 mars 2013, du 24 mai 2013, du 3 juin 2013, des 10 et 25 juillet 2013, du 6 août 2014 et du 12 mars 2015 (voir point 103 ci‑dessus).
163 S’agissant de Credit Suisse, il convient de constater, à la lumière des critiques spécifiques, précises et étayées contenues dans la première branche de son premier moyen et dans la quatrième branche de son deuxième moyen, que cette banque est recevable à contester le caractère anticoncurrentiel uniquement des discussions du 28 septembre 2010, du 8 février 2012, du 10 janvier 2013 et du 12 mars 2015 ainsi que du courriel envoyé par son trader au trader de Crédit agricole le 24 mars 2015 (voir
points 112 et 113 ci‑dessus).
164 Étant donné qu’il convient de tenir compte du caractère anticoncurrentiel des comportements constatés par la Commission et, plus précisément, de l’interprétation du contenu des discussions analysées dans la décision attaquée afin d’examiner l’existence d’une infraction unique et continue ainsi que l’existence d’une restriction par objet, il importe, dans un premier temps, de rappeler le contenu des discussions dont le caractère anticoncurrentiel est définitivement établi et, dans un second
temps, d’apprécier le caractère anticoncurrentiel des discussions que Crédit agricole et Credit Suisse sont recevables à contester, sachant que ces deux banques ne contestent ni l’existence des discussions analysées dans la décision attaquée ni le contenu de ces discussions et, notamment, le langage utilisé par les traders.
1) Sur les discussions dont le caractère anticoncurrentiel est établi
165 Au considérant 613 de la décision attaquée, la Commission a identifié, à des fins analytiques, les cinq catégories de comportements rappelés au point 35 ci‑dessus, et a illustré les comportements concernés notamment aux considérants 614 à 616 de cette décision.
166 Au considérant 614 de la décision attaquée, la Commission a mentionné de nombreuses discussions dans lesquelles les participants se sont exprimés de la manière suivante au sujet de leurs prix : « gonna show the same..fck him » (discussion du 1er février 2010 mentionnée au considérant 127) ; « ok i will [s]how [him] the same » (discussions du 8 février 2010 et 23 février 2012 mentionnées respectivement aux considérants 129 et 377) ; « yeah cool…I am going 28/25 in libl » (discussion du 24 février
2010 mentionnée au considérant 131) ; « lets both bid same level » (discussion du 10 mars 2010 mentionnée au considérant 143) ; « where shall we show[ ?] » (discussion du 11 mars 2010 mentionnée au considérant 148) ; « I will bid the same » (discussions du 25 mars 2010, du 1er et du 14 juin 2011 mentionnées respectivement aux considérants 157, 298 et 301) ; « where you want to bid/show ? » (discussions du 6 avril 2010 et du 25 avril 2012 mentionnées respectivement aux considérants 169 et 403) ;
« lets both bid 41 ?... and split the trade ? » (discussion du 6 avril 2010 mentionnée au considérant 173) ; « being asked to offer 20mm… you might see it in a sec so lets sh[]ow at the same level… 50 ? » (discussion du 19 avril 2010 mentionnée au considérant 174) ; « ok cool will show same level… and wont improve » (discussion du 2 juin 2010 mentionnée au considérant 190) ; « just seen the same effing enquiry… I’ll bid 44 tooo » (discussion du 12 août 2010 mentionnée au considérant 215) ;
« Let’s just keep that price up because I am not going to improve from there. Because they are just going to try and play one place against another » (discussion du 13 octobre 2010, mentionnée au considérant 236) ; « 140 is fine man… will show that » (discussion du 25 janvier 2011 mentionnée au considérant 271) ; « will offer to miss » (discussion du 11 février 2011 mentionnée au considérant 277) ; « shall we switch prices etc at the same level ? » (discussion du 9 mars 2011 mentionnée au
considérant 283) ; « in case he comes to [you].. maybe worth showing same level.. so we can max the dough » (discussion du 19 mai 2011 mentionnée au considérant 294) ; « tell him you see them like 20/17 or something » (discussion du 15 juillet 2011 mentionnée au considérant 309) ; « perfect… I’ll show the same » (discussion du 6 octobre 2011 mentionnée au considérant 337) ; « will show a worse price » (discussion du 25 avril 2012 mentionnée au considérant 403) ; « lets leave it up there for
100mm ? », « then move it back a bps after that » (discussion du 31 mai 2012 mentionnée au considérant 418).
167 D’autres considérants de la décision attaquée mettent également en évidence le fait que les participants se sont exprimés dans les termes suivants au sujet de leurs prix : « show them cheaper or whatever » (discussion téléphonique du 25 septembre 2013 mentionnée au considérant 528) ; « hey mate… I’m showing some 7-10yr ideas out to someone so was just that up. Where u wanna show out ? 39 your level ? » (discussion du 5 février 2014 mentionnée au considérant 539).
168 Au considérant 615 de la décision attaquée, la Commission a mentionné de nombreuses discussions dans lesquelles les participants se sont échangés des informations dans les termes suivants : « just got an order from custy to sell 100mm germs… where do you see correct bidside », « what the right bidside », « where [you] got them marked ? » (discussions du 19 janvier 2010 mentionnées aux considérants 116, 121 et 124) ; « where u buy cades 10/14... i was aske those » (discussion du 24 février 2010
mentionnée au considérant 131) ; « being asked to offer 20mm eib 2.75 15… where are these things at ? » (discussion du 6 avril 2010 mentionnée au considérant 165) ; « where you show ? i have those as well » (discussion du 19 mai 2010 mentionnée au considérant 185) ; « that’s what client is telling me they’ve seen away » (discussion du 27 août 2010 mentionnée au considérant 222) ; « where u gonna be bidding kfw 20’s if asked ? » (discussion du 31 août 2010 mentionnée au considérant 228) ; « where
you bidding the spain ? seeing ti now as well » (discussion du 7 juillet 2011 mentionnée au considérant 304) ; « i think they must be sellers » (discussion du 18 janvier 2012 mentionnée au considérant 351) ; « is he the one that hit you[ ?] » (discussion du 7 mars 2012 mentionnée au considérant 388) ; « where [you] guys marking these now ? » (discussion du 25 avril 2012 mentionnée au considérant 400) ; « oh yeah…that scumbag. Cool, thks for headsup » (discussion du 28 août 2012 mentionnée au
considérant 434) ; « where would u bid that just out of interest » (discussion du 12 juillet 2013 mentionnée au considérant 507) ; « i showed 70, but he’s looking for 71 » (discussion du 14 mars 2014 mentionnée au considérant 547).
169 D’autres considérants de la décision attaquée mettent également en évidence le fait que les participants se sont échangés des informations dans les termes suivants : « what level these pups trading at [?] » (discussion du 11 janvier 2013 mentionnée au considérant 452 de la decision attaquée) ; « where you marking cades 04/17 ? », « i am close to buying 200mm eib 06/18…got a buyer already in the wings… and they were trading at lib+5 a short while back… still only at lib+18… can easily come in
another 5-7 bps… guy wants 33.5… for 275mm…hes also thinking about selling me 250mm eib 03/18… but wants 23.5 for them », « that my bid in the cades 01/18… in icap… and cantors… so going cheaper offer aint gonna help ! », « i just sold 73mm eib 03/20 in cantors… on a no post at 44.5 », « i just traded eib 03/20 at 44.5… now they going up at 44… and guy might even pay 43.5… must have been a retail bu[y]er i guess » (discussion du 2 juillet 2013 mentionnée au considérant 495 de la decision
attaquée) ; « we showed that switch out to them earlier...can’t believe they’re comping us..lol », « i bid +12 and getting chiselled…showd nibs out at -1 » (discussion du 9 août 2013 mentionnée au considérant 515 de la decision attaquée).
170 Enfin, au considérant 616 de la decision attaquée, la Commission a mentionné de nombreuses discussions dans lesquelles les participants se sont exprimés de la manière suivante au sujet de leurs activités de négociation : « I’ll remove my offer » (discussion du 24 février 2010 mentionnée au considérant 131) ; « i’m gonna show this 215 bid a 200 offer if that doesn’t get in the way of what you’re doing » (discussion du 12 août 2010 mentionnée au considérant 211) ; « you want me to kill the bid ? »
(discussion du 26 août 2010 mentionnée au considérant 216) ; « ok I will show the same » (discussion du 8 février 2010 mentionnée au considérant 129) ; « where you want me to show » (discussion du 8 mars 2010 mentionnée au considérant 139) ; « shall i kill me 144 offer » (discussion du 24 septembre 2010 mentionnée au considérant 230) ; « take it out for now man…don’t want [to] have to pay 15 ! » (discussion du 20 octobre 2010 mentionnée au considérant 243) ; « can i lift them first and cover my
short ? », « no worries…let me know when you’re done » (discussion du 9 novembre 2010 mentionnée au considérant 248) ; « i’ll stay out of it for a while until u’re done » (discussion du 30 novembre 2010 mentionnée au considérant 260) ; « don’t worry man i#ll look after your posis while away » (discussion du 13 décembre 2010 mentionnée au considérant 262) ; « can show them tighter if it helps » (discussion du 21 septembre 2011 mentionnée au considérant 322) ; « i can kill it if u want »
(discussion du 2 novembre 2011 mentionnée au considérant 341) ; « want me to show cheaper ? » (discussion du 19 janvier 2012 mentionnée au considérant 356) ; « can u do me a favour and kill the bid if possible » (discussion du 12 mars 2012 mentionnée au considérant 392) ; « i told him I’d sell once you’re out the way » (discussion du 17 juillet 2012 mentionnée au considérant 430) ; « can [you] kill that bid in the 08/15 pls » (discussion du 28 août 2012 mentionnée au considérant 434) ; « kill it
for now if you can… just while i get the bid in » (discussion du 15 octobre 2012 mentionnée au considérant 440) ; « can you just stay out of it for the moment…as in don’t bid them up…and i will add your 5mm wherever i get mine back ?...cool ? » (discussion du 23 janvier 2013 mentionnée au considérant 461) ; « get yours down to a managable position and then i’ll worry about mine » (discussion du 13 mars 2013 mentionnée au considérant 475) ; « I can kill the offer if u like » (discussion du
14 août 2013 mentionnée au considérant 519) ; « let me kill offer » (discussion du 4 mars 2014 mentionnée au considérant 541).
171 D’autres considérants de la décision attaquée mettent également en évidence le fait que les participants se sont exprimés dans les termes suivants au sujet de leurs activités de négociation : « [yo]u short kfw 10/22 ? i am short aswell. but told icap to give you all of them as i am not that keen to [co]ver them » (discussion du 11 janvier 2013 mentionnée au considérant 452) ; « sorry I didnt realised kbn 19 in tullets was you… i went better bid… can kill it if you wanty… we are short 10mm »
(discussion du 22 juillet 2014 mentionnée au considérant 558).
172 En l’espèce, premièrement, Crédit agricole et Credit Suisse ne contestent pas la conclusion de la Commission selon laquelle ces discussions établissaient l’existence de pratiques qui présentaient toutes les caractéristiques d’un accord et/ou d’une pratique concertée au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
173 Deuxièmement, selon une jurisprudence constante, il est inhérent aux dispositions du traité relatives à la concurrence que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur (voir arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 52 et jurisprudence citée).
174 Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou attendu de leurs concurrents, elle s’oppose cependant rigoureusement à toute prise de contact direct ou indirect entre de tels opérateurs de nature soit à influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel, soit à dévoiler à un tel concurrent le comportement qu’il a décidé de tenir sur ce marché ou qu’il a envisagé d’adopter sur
celui-ci, lorsque ces contacts ont pour objet ou pour effet d’aboutir à des conditions de concurrence qui ne correspondraient pas aux conditions normales du marché en cause, compte tenu de la nature des produits ou des prestations fournies, de l’importance et du nombre des entreprises et du volume dudit marché (voir arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 120 et jurisprudence citée).
175 Or, d’une part, le contenu des discussions qui ont eu lieu entre les traders des banques concernées montre que ces derniers ont coordonné leurs prix (voir points 166 et 167 ci‑dessus). En effet, ainsi que cela ressort des citations telles que « gonna show the same » ; « ok I will [s]how the same » ou « lets both bid same level », les participants se sont mis d’accord sur les prix de leurs offres à des clients spécifiques ainsi que sur les prix communiqués au marché pour une OSSA spécifique.
176 Le contenu des discussions qui ont eu lieu entre les traders des banques concernées montre également que ces derniers ont coordonné leurs activités de négociation (voir points 170 et 171 ci‑dessus). En particulier, ainsi que cela ressort des citations telles que « I’ll remove my offer » ; « I’ll stay out for a while » ou « i can kill it if u want » les traders se sont accordés pour s’abstenir d’enchérir, de faire une offre, ou encore, pour retirer une offre du marché et, en particulier, d’une
plateforme d’un courtier, lorsqu’une telle offre aurait nui à l’un ou l’autre desdits participants. Ce comportement pouvait ensuite déboucher sur une répartition (split) des obligations concernées entre les traders.
177 La coordination sur les prix pratiqués à l’égard de clients spécifiques ou à l’égard du marché ainsi que la coordination sur les activités de négociation ont donc fait obstacle à ce que les traders des banques concernées déterminent de manière autonome la politique qu’ils entendaient suivre sur le marché. C’est notamment à la lumière de ces considérations que la Commission a considéré, à juste titre, que la coopération entre les traders concernés et le respect qu’ils accordaient aux intérêts des
autres étaient, par moments, si étroits qu’ils agissaient comme s’ils négociaient le même portefeuille d’obligations pour le compte d’une seule et même entreprise.
178 D’autre part, il ressort des extraits reproduits aux points 168 et 169 ci‑dessus ainsi que d’autres discussions examinées chronologiquement dans la section 4 de la décision attaquée que, lors de leurs discussions, les traders ont divulgué, spontanément ou sur demande, des informations commerciales sensibles qui pouvaient être utilisées par les autres traders pour mener leurs activités de négociation ou définir leur stratégie de négociation ou de tarification.
179 Plus précisément, les participants ont échangé des informations sur leurs activités de négociation ou sur leur stratégie futures, telles que, premièrement, les opérations qu’ils venaient juste de réaliser, qu’ils étaient en train de réaliser ou qu’ils envisageaient de réaliser, deuxièmement, leur cotation personnelle du prix d’une obligation (« where do you see correct bidside », « where [you] got them marked ? », « where you show ? »), troisièmement, leur position de négociation, quatrièmement,
l’état de leur inventaire ainsi que, cinquièmement, le nom des clients qui les approchaient, les demandes formulées par ces derniers et les prix offerts à ces derniers. Les informations échangées étaient donc propres aux banques impliquées, inaccessibles au public et clairement identifiantes ce qui les rendaient sensibles. Le caractère sensible desdites informations est notamment corroboré par une discussion du 15 novembre 2011, mentionnée au considérant 343 de la décision attaquée, entre les
trois principaux traders impliqués, à savoir, à l’époque, le trader de Deutsche Bank, le trader de BofA et le trader de Credit Suisse. En effet, au cours de cette discussion, l’un d’entre eux a expliqué : « this has to stay between us ».
180 Par ailleurs, ces échanges d’informations avaient lieu uniquement au sein d’un cercle restreint de traders qui se connaissaient. Ces échanges permettaient aux traders en question de coordonner, d’une manière opportuniste, leurs comportements en termes de prix et de conditions de négociation et d’éviter de vendre moins cher ou de formuler une meilleure offre que les autres traders impliqués. Ces échanges engendraient ainsi une asymétrie d’information favorable, en accroissant la transparence
entre les traders concernés et en réduisant sensiblement, à leur bénéfice, les incertitudes normales inhérentes au marché, avec pour conséquence de tirer un avantage à l’égard de leurs clients et des traders concurrents. Ces échanges présentaient donc une dimension discriminatoire.
181 En outre, compte tenu de leur objet, les informations échangées entre les participants permettaient à chacun d’entre eux d’avoir une connaissance précise des activités de négociation et des stratégies tarifaires ou de négociation de leurs concurrents en ce qui concernait un client en particulier ou une obligation spécifique.
182 Enfin, les échanges constatés par la Commission portaient sur des informations récentes, actuelles ou futures, telles que des transactions qui venaient juste d’avoir lieu, qui étaient en cours ou qui étaient envisagées à court terme.
183 Les échanges d’informations constatés par la Commission en l’espèce n’étaient donc pas comparables à ceux qui étaient en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734), qui a conduit la Cour à considérer qu’un système d’échange d’informations entre établissements financiers, tel qu’un fichier d’informations sur la solvabilité des clients contenant des informations anonymisées et accessibles de manière non
discriminatoire à l’ensemble des opérateurs actifs sur le marché, n’avait pas, en principe, pour effet de restreindre la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
184 En effet, les échanges d’informations en cause en l’espèce ont accru la transparence entre les seuls participants à l’infraction litigieuse. Par voie de conséquence, ces échanges ont réduit l’incertitude qui existait sur le marché, ce que Credit Suisse a reconnu lors de l’audience tout en soutenant que, dans le contexte atypique du marché des OSSA, de tels échanges n’avaient pas les effets typiques d’échanges d’informations commerciales sensibles actuelles. La réduction de l’incertitude
provoquée par les échanges d’informations constatés par la Commission a bénéficié aux banques en cause, notamment, en ce qu’elles pouvaient prévoir le comportement des autres participants et cela au détriment notamment de leurs clients et des autres traders concurrents.
185 Par conséquent, le caractère anticoncurrentiel des discussions dont l’interprétation est définitive et établie doit être pris en considération aux fins de l’examen des deuxièmes moyens invoqués par Crédit agricole et par Credit Suisse, liés à l’existence d’une infraction unique et continue, ainsi qu’aux fins de l’examen des premiers moyens invoqués par ces banques, liés à l’existence d’une restriction par objet.
2) Sur le caractère anticoncurrentiel des discussions que Crédit agricole et Credit Suisse sont recevables à contester
186 Il ressort de la jurisprudence que, lorsque la Commission se fonde, dans le cadre de l’établissement d’une infraction à l’article 101 TFUE, sur des éléments de preuve documentaires, il incombe aux entreprises concernées non simplement de présenter une alternative plausible à la thèse de la Commission, mais bien de soulever l’insuffisance des preuves retenues dans la décision attaquée pour établir l’existence de l’infraction. De même, lorsque la Commission se fonde sur des éléments de preuve
directs, il appartient aux entreprises concernées de démontrer que ces éléments de preuve sont insuffisants (voir, en ce sens, arrêt du 8 septembre 2016, Goldfish e.a./Commission, T‑54/14, EU:T:2016:455, point 91 et jurisprudence citée).
187 C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’examiner successivement les discussions que Crédit agricole et Credit Suisse sont recevables à contester.
i) Sur les discussions que Crédit agricole est recevable à contester
– Sur la discussion du 18 janvier 2013
188 S’agissant de la discussion du 18 janvier 2013, classée dans les catégories 3, 4 et 5 et visée aux considérants 456 à 460, puis 674, 678, 686 et 746 de la décision attaquée, Crédit agricole n’avance aucun argument concret et précis lié à la teneur ainsi qu’au caractère anticoncurrentiel de cette discussion. En revanche, Crédit agricole fait valoir qu’elle n’aurait apporté qu’une contribution sans rapport avec les échanges incriminés.
189 À cet égard, il ressort de la transcription de la discussion concernée, à laquelle ont participé les traders de Deutsche Bank, Crédit agricole et Credit Suisse, que, entre 8 h 10 min 06 s et 8 h 11 min 01 s, le trader de Credit Suisse a révélé certaines opérations qu’il avait réalisées ou manquées la nuit précédente et, plus précisément, les obligations et les volumes qu’il avait négociés (« saw some biz last night….seller of 50mm bng 17s, 25mm bng 23s and bought 50mm kfw 19s and sold
25mm…missed the bng 17s »). Par ailleurs, en réponse à une question du trader de Crédit agricole (« nice what kind of a/c..all US ? »), le trader de Credit Suisse a dévoilé l’origine des clients (« US seller of bng, Asian buyer of kfw »). Le trader de Crédit agricole a alors transmis ses remerciements.
190 Ainsi, le trader de Crédit agricole, qui est entré sur le forum de discussions à 7 h 12 min 8 s, a reçu, entre 8 h 10 min 06 s et 8 h 11 min 01 s, des informations de la part du trader de Credit Suisse relatives à des opérations récentes afférentes à des OSSA déterminées, leur volume et l’origine géographique de ses clients.
191 Crédit agricole n’a donc pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 456 à 460 et 746 de la décision attaquée, que la discussion du 18 janvier 2013 avait permis aux traders de Deutsche Bank, de Crédit agricole et de Credit Suisse d’échanger des informations sur des opérations et des clients et, partant, était anticoncurrentielle.
192 Quelques minutes plus tard, entre 8 h 18 min 16 s et 8 h 46 min 58 s, le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank ont échangé des informations notamment sur les offres qu’ils avaient formulées pour une obligation particulière (BNG 17s). Credit Suisse a ensuite laissé le trader de Deutsche Bank vendre des obligations (« you wanna hit the bid ? », « nah, crack on man »).
193 À cet égard, le fait que le trader de Crédit agricole n’ait pas participé activement à cet échange n’est pas de nature à ôter à celui-ci son caractère anticoncurrentiel, qui n’est d’ailleurs pas contesté par cette banque.
194 Par ailleurs, Crédit agricole ne soutient pas et il ne ressort d’aucun élément du dossier que son trader aurait quitté le forum de discussions lors de l’échange entre le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank, qu’il n’aurait pas été présent lors des discussions intervenues entre ces deux autres traders ou qu’il aurait indiqué aux autres traders qu’il participait à la discussion dans une optique différente de la leur. À la lumière de la jurisprudence rappelée au point 126
ci‑dessus, la présence du trader de Crédit agricole lors de la seconde partie de la discussion du 18 janvier 2013 traduit donc une complicité qui est de nature à engager sa responsabilité dans le cadre de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.
195 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 456 à 460, puis 674, 678, 686 et 746 de la décision attaquée, que la discussion du 18 janvier 2013 avait donné lieu à des comportements anticoncurrentiels de la part des banques ayant participé à celle-ci.
– Sur la discussion du 31 janvier 2013
196 S’agissant de la discussion du 31 janvier 2013, classée dans les catégories 2, 3 et 4 et visée aux considérants 464 à 467, puis 655, 674 et 678 de la décision attaquée, Crédit agricole n’avance aucun argument concret et précis lié à la teneur des échanges intervenus entre le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank ainsi qu’au caractère anticoncurrentiel de ces échanges. En revanche, Crédit agricole fait valoir qu’elle n’y a pas participé.
197 À cet égard, il ressort de la transcription de la discussion concernée que, entre 11 h 02 min 08 s et 11 h 05 min 38 s, les traders de Deutsche Bank et de Credit Suisse se sont échangés des informations sur les prix et ont coordonné leur prix au sujet d’une obligation spécifique (eib 09/20) affichée sur l’écran d’un courtier (« i just went 41 offered eib 09/20…i am still short…but these look too tight i think…icap told me you were about to stick up a 41 offer aswell », « i just pt it up at the
same time…i’m flat, but same thing...i think they look wrong », « they gone 47 bid…will go 42 offered…I am still short…but just see whats out there », « cool...would offer there too...lets see what they say »).
198 En outre, il ressort de la transcription de la discussion concernée que le trader de Crédit agricole, entré sur le forum de discussions à 7 h 16 min, était présent sur celui-ci au moment des échanges incriminés et a pu prendre connaissance des informations échangées. D’ailleurs, le trader de Crédit agricole a réagi à cet échange d’informations à 11 h 29 min 08 s, à savoir, comme l’a relevé la Commission au considérant 467 de la décision attaquée, moins de deux minutes après les derniers propos
tenus par le trader de Deutsche Bank au sujet des obligations qui avaient donné lieu aux comportements incriminés.
199 De plus, l’argument de Crédit agricole selon lequel la Commission aurait présumé que cette banque avait eu connaissance des informations échangées lors de la discussion du 31 janvier 2013 doit être rejeté pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 133 ci-dessus.
200 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 464 à 467, puis 655, 674 et 678 de la décision attaquée, que la discussion du 31 janvier 2013 avait permis aux traders de Deutsche Bank et de Credit Suisse d’échanger des informations commerciales sensibles et de coordonner leurs prix sur des obligations EIB 09/20, en présence du trader de Crédit agricole et, partant, que cette discussion présentait un caractère
anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 15 février 2013
201 S’agissant de la discussion du 15 février 2013, classée dans les catégories 2, 3 et 4 et visée aux considérants 468 à 472, puis 655, 674, 678 et 746 de la décision attaquée, Crédit agricole fait valoir qu’elle n’a pas donné lieu à une coordination, dans la mesure où elle a concerné un achat d’obligations CADES 01/18 par Deutsche Bank qui lui en a ensuite revendu la moitié.
202 À cet égard, il ressort de la transcription de la discussion concernée que, dans un premier temps, le trader de Deutsche Bank a demandé au trader de Crédit agricole si ce dernier voulait lui vendre des obligations CADES 01/18 (« you wann sell any cades 01/18 ? »). Le trader de Crédit agricole s’est montré ouvert à la vente, mais a proposé alternativement de coordonner un achat commun (« u want me to sell mine ?... or go with you on the buyside ? »), qui consistait en ce que le trader de Deutche
Bank effectue une première transaction, puis revende, consécutivement, une partie du volume acheté au trader de Crédit agricole (« i’ll take whatever u don’t want »). Étant d’accord sur le principe, les deux traders se sont ensuite entendus, par écrit et lors d’une conversation téléphonique, sur le prix (« ok do it » ; « ok lifted 65 »), le volume (« 50mm each… yeah ? ») et le meilleur moment (« lets wit a bit » ; « [o]k » ; « like 10 mins or so ») pour acheter les obligations en question.
203 Premièrement, comme le soutient Crédit agricole, une opération est certes intervenue entre les traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole à la suite de la discussion du 15 février 2013. Toutefois, cette opération fait suite, comme l’a constaté la Commission au considérant 471 de la décision attaquée et comme l’a confirmé en substance Crédit agricole, à une coordination d’achat entre les deux banques, conduisant à ce que les deux traders s’assistent l’un l’autre dans leurs activités et
partagent le résultat entre eux. En raison de la discussion en cause, le trader de Crédit agricole n’a pas soumis d’offre concurrente et les deux traders ont ainsi agi comme un trader unique afin d’acheter des obligations à un prix convenu entre eux.
204 Or, si une telle opération peut s’avérer être dans l’intérêt des deux banques concernées, il n’en demeure pas moins qu’elle ne saurait être conforme à l’exigence selon laquelle tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 78 et jurisprudence citée], comme l’a relevé en substance la Commission au considérant 472 de la décision attaquée.
205 Deuxièmement, en ce que Crédit agricole se prévaut d’une discussion similaire du 23 mai 2013 qui n’aurait pas été retenue à l’encontre d’une banque tierce, cet argument ne saurait prospérer.
206 En effet, d’une part, lorsqu’une entreprise a, par son comportement, violé l’article 101 TFUE, elle ne peut pas remettre en cause le constat d’une telle violation en invoquant la circonstance qu’un autre opérateur économique n’a pas été destinataire d’une décision constatant la même violation (voir, en ce sens, arrêt du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C‑611/16 P, EU:C:2021:245, point 166 et jurisprudence citée).
207 D’autre part, à l’exception d’une discussion du 23 mai 2013 et d’une discussion du 30 mai 2013 (voir point 242 ci‑après), Crédit agricole n’invoque aucun autre élément de preuve susceptible de démontrer que sa situation était comparable à celle de la banque tierce visée au point 205 ci-dessus, au regard de l’infraction unique et continue litigieuse.
208 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 468 à 472, puis 655, 674, 678 et 746 de la décision attaquée, que la discussion du 15 février 2013 avait permis aux traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole de coordonner leur stratégie de négociation, en ce compris leur niveau de prix et le moment de leurs offres, et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 19 mars 2013
209 S’agissant de la discussion du 19 mars 2013, classée dans les catégories 3 et 4 et visée aux considérants 477 à 479, puis 674 et 678 de la décision attaquée, il ressort de la transcription de celle-ci que, en l’espace de quelques heures, le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse ont discuté de plusieurs obligations.
210 Cet échange a porté, premièrement, sur l’obligation kbn/03/18s (« just bid on kbn 03/18… 25-50mm… bid +38 and missed » ; « I just got hit in 10mm at 38 on the system… and then got hit at 38.5 in gfi »), deuxièmement, sur l’obligation EIB 04/16s (« I covered up some shorts today… was short 100mm of these eib 04/16… bought most back… got some at 19 just now ») et, troisièmement, sur l’obligation KFW 16s (« decent purchase. I covered some kfw 16s… smallish at 17 »).
211 Au cours de ce même échange, les traders ont également divulgué le prix auquel ils évaluaient l’obligation Netherlands 09/15 (« getting checked nther 09/15… seller » ; « where u marking 8/4 ? » ; « i had them marked at 6 » ; « ok i showed 8/4 2 way indiction to the guy… not come back [yet] ») et l’obligation COE 04/17 (« got hit in a few COE bits btw… coe 04/17 and coe 02/15… in case u short » ; « small long 4/17s… where u got them marked ?... i like that bond… have them +53 bid here » ; « got
them 51 middle.. so yeah same area »).
212 Les échanges intervenus le 19 mars 2013 montrent ainsi que les traders ont échangé des informations sur les prix de leurs offres d’achat pour certaines obligations, sur les volumes concernés, sur leur position d’inventaire et sur les prix auxquels ils évaluaient une obligation.
213 Les informations échangées portaient sur des opérations récemment réalisées et sur des prix récents ou sur une comparaison des évaluations personnelles et actuelles du prix d’une obligation, qui n’étaient pas accessibles au public.
214 Rien n’indique que les traders exploraient la possibilité de conclure ensemble une transaction. D’ailleurs, s’agissant d’un type d’obligations en particulier (COE 04/17), les traders ont échangé des informations sur les prix de ces obligations (« have them +53 bid here » ; « got them 51 middle ») malgré le fait qu’ils savaient qu’une transaction entre eux n’était pas envisageable au motif que chacun se trouvait en position longue et donc détenait déjà de telles obligations (« got hit in a few
COE bits btw..coe 04/17 and coe 02/15… in case u short » ; « small long 4/17s »).
215 Il s’ensuit que ces échanges ont porté sur des informations commerciales sensibles et ont contribué à un accroissement de la transparence entre les traders et à une réduction de l’incertitude prévalant sur le marché. Ces échanges ont donc permis aux participants d’ajuster leurs stratégies respectives.
216 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 477 à 479, puis 674 et 678 de la décision attaquée, que la discussion du 19 mars 2013 était anticoncurrentielle au motif qu’elle avait permis aux traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole d’échanger des informations commerciales sensibles, actuelles ou prospectives, sur leurs activités de négociation et d’échanger sur leurs stratégies de négociation et de fixation
des prix.
– Sur la discussion du 21 mars 2013
217 S’agissant de la discussion du 21 mars 2013, classée dans les catégories 2, 3 et 4 et visée aux considérants 480 à 487, puis 674 et 678 de la décision attaquée, la Commission a identifié quatre échanges intervenus à des moments différents de la journée (entre 8 h 08 min 22 s et 8 h 18 min 40 s, entre 11 h 29 min 22 s et 12 h 26 min 04 s, entre 14 h 43 min 55 s et 14 h 51 min 28 s et entre 15 h 25 min 38 s et 15 h 34 min 26 s).
218 Crédit agricole soutient que les informations échangées au cours de cette discussion étaient légitimes. Par ailleurs, elle conteste le fait que la Commission ait classé la discussion du 21 mars 2013 dans la catégorie 2. Sur ce point, elle vise plus précisément, à titre d’exemple, les premier et quatrième échanges.
219 À cet égard, premièrement, il importe de souligner que, contrairement à ce que suggère l’argumentation de Crédit agricole, il ne ressort pas de la décision attaquée que la Commission a considéré que les premier, troisième et quatrième échanges, mentionnés aux considérants 480, 484 et 485 de la décision attaquée, constituaient la preuve d’une coordination. En effet, il ressort des considérants 674 et 678 de la décision attaquée que la Commission a estimé que ces trois échanges constituaient des
échanges d’informations présentant un caractère anticoncurrentiel.
220 Deuxièmement, s’agissant du deuxième échange, intervenu le 21 mars 2013 et présenté au considérant 482 de la décision attaquée, il ressort du considérant 655 de cette même décision que la Commission a classé cet échange parmi les cas de coordination des prix sur le marché en général.
221 Lors de cet échange, le trader de Crédit agricole a demandé au trader de Deutsche Bank si un document qu’il avait reçu par un autre biais constituait bien la liste d’intérêts (« axe sheet ») dudit trader de Deutsche Bank (« is that [your] axe sheet ? »), à savoir la liste par laquelle ce trader fournissait des informations sur les prix et les quantités d’obligations qu’il était disposé à négocier. Le trader de Deutsche Bank a répondu que cette liste d’intérêts était bien la sienne. Par la suite,
les deux traders ont discuté de la manière dont Crédit agricole avait obtenu ce document. Le trader de Crédit agricole a évoqué un envoi par erreur et mentionné l’inquiétude de son superviseur et la « pagaille » que cela avait provoquée (« he sent the sheet by mistake […] what a mess »). Le trader de Deutsche Bank a répondu qu’il en parlerait à son bureau des ventes (« will speak to my sales »). Par la suite, les traders ont évoqué la personne qui aurait commis l’erreur en question et le trader
de Crédit agricole a expliqué, en riant, qu’« il » n’aurait pas dû se donner de la peine dans la mesure où, de toute façon, il connaissait les intérêts du trader de Deutsche Bank (« he shouldnt have bothered as i know your axes any[way] lol »), ce à quoi ce dernier a répondu en riant que c’était exact (« lol… yeah exactly »).
222 À cet égard, il est vrai que cet échange ne reflète pas une coordination sur les prix communiqués sur le marché en général entrant dans la catégorie 2, contrairement à ce qui est indiqué au considérant 655 de la décision attaquée. En effet, il ressort de cet échange que l’envoi de la liste d’intérêts du trader de Deutsche Bank à Crédit agricole résulte d’une erreur commise par un employé de Deutsche Bank.
223 Il n’en demeure pas moins que le deuxième échange intervenu au cours de la discussion du 21 mars 2013 démontre qu’un employé de Deutsche Bank a envoyé la liste d’intérêts de l’un des traders de cette banque à une autre banque, à savoir Crédit agricole. Par ailleurs, ce deuxième échange montre que les traders en cause procédaient à des échanges d’informations sensibles avec pour conséquence que le trader de Crédit agricole connaissait, « de toute façon », les intérêts du trader de Deutsche Bank.
Il s’ensuit que ce deuxième échange soutient l’appréciation de la Commission selon laquelle la discussion du 21 mars 2013 présentait un caractère anticoncurrentiel.
224 Troisièmement, l’erreur d’appréciation commise par la Commission en ce qui concerne le classement de la discussion du 21 mars 2013 dans la catégorie 2 ne saurait remettre en cause le constat selon lequel cette discussion, prise dans son ensemble, avait un caractère anticoncurrentiel et que le trader de Crédit agricole y avait participé.
225 En effet, lors du premier échange intervenu le 21 mars 2013, les deux traders ont échangé des informations sur les prix d’opérations qu’ils venaient juste de réaliser en ce qui concernait une obligation KFW (« just bought 35mm kfw 04/16 and sold 100 mm kfw 01/14 », « i am showing them at +2 », « sold them… 100.89 », « i sold at 100.9125 ») et sur l’identité d’un client (« this is a [central bank] u delaing with right »). Lors du troisième échange intervenu ce même jour, les traders en question
ont également échangé, en ce qui concernait une obligation EIB 03/20, sur leur position (« long 75mm »), les prix (« where u marking », « 38/35 », « i bid 41 ») et sur le client du trader de Crédit agricole (« [Central bank] seller ? », « no [Asset Manager] »). Le quatrième échange portait, quant à lui, sur une obligation CDC 09/13 et les traders ont échangé des informations sur leur position de négociation (« you need any cdc 09/13 ?... got 3mm », « nah scrappy long myself ») et sur les prix
(« where you marking these cdc ? », « 100.40/50 », « perfect… sold my cdc… at 100.40…in canotrs… made a 100.40 »).
226 Ainsi, à la lumière du contenu des premiers, troisième et quatrième échanges intervenus le 21 mars 2013, la Commission était fondée à conclure, au considérant 487 de la décision attaquée, que, lors de cette discussion, le trader de Crédit agricole et le trader de Deutsche Bank avaient échangé des informations sur des transactions récentes, l’identité de certains clients, leurs positions actuelles et le prix actuel des obligations, informations pouvant aider les traders à réduire l’incertitude
sur le marché et à évaluer leurs intentions en matière de fixation des prix pour les différentes obligations.
227 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 480 à 487, puis 674 et 678 de la décision attaquée, que la discussion du 21 mars 2013 était anticoncurrentielle au motif qu’elle avait permis aux traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole d’échanger des informations commerciales sensibles, actuelles ou prospectives, sur leurs activités de négociation et d’échanger sur leurs stratégies de négociation et de fixation
des prix.
– Sur la discussion du 24 mai 2013
228 S’agissant de la discussion du 24 mai 2013, classée dans la catégorie 3 et visée aux considérants 488 à 491, puis 674 de la décision attaquée, Crédit agricole soutient, en substance, qu’elle n’est pas anticoncurrentielle compte tenu de la rapidité du marché.
229 Cependant, la transcription de cette discussion montre que le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse ont échangé des informations commerciales sensibles sur les offres qu’ils avaient formulées quelques minutes auparavant à l’égard d’un client dénommé « the sprayer » pour l’obligation EIB 08/16 (« just bid eib 08/16…50mm… sprayer » ; « ditto… i bid 99.80 » ; « s[a]me… he got .82 away »).
230 C’est donc à juste titre que la Commission a considéré que les traders n’avaient pas coordonné leurs offres initiales, mais qu’ils avaient échangé des informations récentes ou en cours sur leurs prix dans le contexte de leurs interactions respectives avec le même client pour la même obligation. Cet échange a contribué à accroître la transparence et donc à réduire l’incertitude entre les traders avec pour conséquence que ces derniers pourraient prendre en compte les informations échangées si le
client en question devait revenir vers eux à court terme.
231 D’ailleurs, aux considérants 659 et 716 de la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles des informations sur des transactions récentes pouvaient être pertinentes pour les traders et cette appréciation est confirmée par les explications fournies par Crédit agricole au point 2.15 de sa requête selon lesquelles, « pour être compétitif, le trader doit [...] comprendre comment les prix ont évolué dans le passé, afin de savoir ce qu’il doit faire pour remporter des
marchés ».
232 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 488 à 491, puis 674 de la décision attaquée, que la discussion du 24 mai 2013 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 3 juin 2013
233 S’agissant de la discussion du 3 juin 2013, classée dans la catégorie 4 et visée aux considérants 492 à 494, puis 678 de la décision attaquée, Crédit agricole soutient, en substance, que la Commission a erronément écarté son interprétation selon laquelle le trader de Deutsche Bank a demandé à son trader quelle était son évaluation d’une obligation possiblement dans la perspective de mettre en place un « back-to-back negociation », à savoir une négociation visant à ce que l’un des deux traders
accepte d’acquérir des obligations auprès d’un tiers avant de revendre une partie desdites obligations à l’autre trader. Ainsi, la Commission aurait écarté à tort la possibilité que Deutsche Bank ait cherché à se procurer des liquidités.
234 À cet égard, il y a lieu de souligner que l’interprétation envisagée par Crédit agricole est présentée par cette banque elle-même comme une simple « possibilité ». Par ailleurs, il ressort de la transcription de la discussion en cause que, à l’initiative du trader de Deutsche Bank (« where you marking kfw 08/21 ? »), ce dernier et le trader de Crédit agricole ont échangé leur évaluation personnelle du prix d’une obligation et ont constaté avec satisfaction la similitude de celle-ci
(« sec...ct10-1/-5 », « yeah per[f]ect…i quoted +1/-4 »). Enfin, il ressort de cette discussion que le trader de Deutsche Bank était en train de négocier avec un tiers lorsqu’il a demandé l’évaluation du trader de Crédit agricole (« not a regular guy »). Aucune transaction ultérieure avec le trader de Crédit agricole n’est prévue dans cette discussion. En revanche, le trader de Crédit agricole a reçu une information sur l’évaluation du trader de Deutsche Bank dont il pouvait se servir si le
tiers en question décidait de s’adresser à lui.
235 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 492 à 494, puis 678 de la décision attaquée, que la discussion du 3 juin 2013 a donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles relatives à la tarification des traders dans le cadre d’une négociation en cours, ce qui aboutissait à accroître la transparence et à réduire l’incertitude sur le marché et, partant, que cette discussion présentait un caractère
anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 10 juillet 2013
236 S’agissant de la discussion du 10 juillet 2013, classée dans les catégories 2, 3, 4 et 5 et visée aux considérants 501 à 506, puis 655, 674, 678, 686 et 715 de la décision attaquée, Crédit agricole fait valoir que cette discussion a certes conduit son trader à indiquer au trader de Deutsche Bank qu’il allait faire une offre au même prix que celui qu’il lui avait communiqué préalablement concernant une obligation ASIA 10/18. Toutefois, le trader de Deutsche Bank n’aurait pas maintenu cette offre
et aurait baissé la sienne, ce qui exclurait toute coordination. De plus, cette discussion démontrerait que Crédit agricole est un petit acteur du marché dont les comportements ne sont pas susceptibles d’avoir un impact sur le marché.
237 Ce faisant, Crédit agricole critique uniquement la première partie de la discussion visée aux considérants 501 à 503 de la décision attaquée (entre 10 h 30 min 22 et 10 h 36 min 35 s), et non la seconde visée à ses considérants 504 à 506 (entre 10 h 52 min 39 s et 10 h 58 min 13 s).
238 Concernant la partie de la discussion critiquée, il y a lieu de relever que, avant d’apprendre que le trader de Deutsche Bank avait baissé le prix de son offre, le trader de Crédit agricole a demandé au trader de Deutsche Bank si le prix de l’offre qu’il envisageait de formuler sur la base des informations qu’il venait de recevoir de la part du même trader le dérangeait (« gonna go 23 offered ? do u mind..dont want to do in your face »). Le trader de Deutsche Bank a répondu par la négative
(« nah its cool… i am 24 offered in cantors »).
239 Cette discussion montre que le trader de Crédit agricole a demandé et obtenu l’autorisation du trader de Deutsche Bank de formuler une offre à un prix spécifique pour une obligation donnée. Ainsi, le trader de Crédit agricole n’a pas pris sa décision de proposer un prix à la suite d’une appréciation individuelle et autonome. Les deux traders ont déterminé en commun le prix de l’offre formulée par l’un d’entre eux. Cette discussion révèle par conséquent une coordination des comportements des
traders sur un sujet qui aurait dû donner lieu à une appréciation individuelle.
240 Par ailleurs, et en tout état de cause, s’agissant de l’argument de Crédit agricole tiré du fait que le trader de Deutsche Bank a finalement baissé le prix de son offre, le Tribunal a déjà eu l’occasion de juger que les cas sporadiques et isolés de tricherie ou de non-application de l’entente par un participant particulier, surtout lorsqu’ils concernent une entente de longue durée, ne sauraient en soi démontrer l’absence de mise en œuvre de l’entente par ce participant ou l’adoption, par
celui-ci, d’un comportement concurrentiel (arrêt du 13 septembre 2013, Total Raffinage Marketing/Commission, T‑566/08, EU:T:2013:423, point 254).
241 En outre, le fait que Crédit agricole ne serait qu’un petit acteur sur le marché des OSSA ne saurait remettre en cause la nature anticoncurrentielle de la discussion en cause.
242 Enfin, s’agissant de l’argument tiré de ce que la Commission n’aurait pas traité d’une manière similaire une banque tierce à la lumière d’une discussion du 30 mai 2013 à laquelle cette dernière a participé, il y a lieu de le rejeter pour les motifs adoptés aux points 206 et 207 ci‑dessus.
243 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 501 à 506, puis 655, 674, 678, 686 et 715 de la décision attaquée, que la discussion du 10 juillet 2013 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles et à une coordination des prix et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel malgré le fait que le trader de Deutsche Bank avait finalement baissé son offre.
– Sur la discussion du 25 juillet 2013
244 S’agissant de la discussion du 25 juillet 2013, classée dans les catégories 3 et 4 et visée aux considérants 510 à 514, puis 674 et 678 de la décision attaquée, Crédit agricole soutient qu’elle ne porte pas sur des informations prospectives.
245 À cet égard, il ressort de la transcription de cette discussion que, lors de celle-ci, les traders de Crédit agricole et de Deutsche Bank ont divulgué le volume des opérations qu’ils avaient réalisées au sujet d’une nouvelle émission d’une obligation KFW ce matin-là. En effet, le trader de Crédit agricole a indiqué que son offre de vente de ces obligations avait été levée pour un volume de 50 millions (« got lifted in the new one this morn… 50 mm »). Le trader de Deutsche Bank a répondu qu’il
avait vendu les mêmes obligations pour un volume de 500 millions (« i sold 500 mm of them this morning »). Par ailleurs, le trader de Deutsche Bank a révélé le type d’acheteur (« asia ») auquel il avait vendu lesdites obligations pour un montant de 500 millions et le prix de vente audit acheteur (« +10 »). Les traders de Crédit agricole et de Deutsche Bank ont également échangé sur leur position actuelle. À cet égard, le trader de Crédit agricole a indiqué : « had 100 on the book », « still got
50 ». Pour sa part, le trader de Deutsche Bank a expliqué que, depuis la vente à laquelle il avait procédé ce matin-là, il avait réussi à recouvrer sa position courte après avoir racheté des obligations auprès de différentes sources à un prix unique (« i had zero… on the book » ; « i lifted 14.5 everywhere… i got 150mm in creditex… on a no post… 100mm in icao… about 50mm in cantors… and rest in house »).
246 Quelques minutes plus tard, le même jour, le trader de Deutsche Bank a demandé au trader de Crédit agricole à quel niveau il évaluerait le prix d’obligations CADES 18 (« where are those cades 18 ? ... seen anything in them ? »). Ensuite, les deux traders ont révélé leur position actuelle respective, à savoir qu’ils étaient « flat », à savoir en position neutre ou zéro. Enfin, en réponse à une nouvelle demande du trader de Deutsche Bank (« but i am mean where are they now »), le trader de Crédit
agricole a donné son évaluation actuelle du prix de cette obligation (« 50/48 probs »).
247 Ainsi, lors de la discussion du 25 juillet 2013, le trader de Crédit agricole et le trader de Deutsche Bank ont procédé à un échange d’informations relatives au volume, au prix et à l’origine d’un client en ce qui concernait une transaction récente. Par ailleurs, lesdits traders ont, à deux occasions, échangé des informations sur leur position d’inventaire au sujet d’obligations spécifiques. Enfin, lesdits traders ont communiqué sur l’évaluation actuelle, par l’un d’entre eux, du prix d’une
obligation, à savoir l’obligation CADES 18.
248 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 510 à 514, puis 674 et 678 de la décision attaquée, que la discussion du 25 juillet 2013 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles relatives à des activités de négociation récentes ainsi qu’aux prix et aux positions actuels des participants et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 6 août 2014
249 S’agissant de la discussion du 6 août 2014, classée dans la catégorie 4 et visée aux considérants 563 et 564, puis 678 de la décision attaquée, Crédit agricole soutient, en substance, que la Commission a erronément rejeté l’idée qu’il puisse s’agir d’une demande de prix légitime dans le cadre d’une recherche de liquidités.
250 À cet égard, il ressort de la transcription de cette conversation que, lors de celle-ci, le trader de BofA a demandé au trader de Crédit agricole à combien il évaluait l’obligation KBN 03/18 (« where [you] marking kbn 03.18 ? »). Ce dernier a indiqué « 48-45 », ce à quoi le trader de BofA a répondu : « sounds about right ».
251 Ainsi, les traders ont, lors de la discussion du 6 août 2014, échangé des informations précises sur leur propre évaluation actuelle du prix d’une obligation, ce qui était de nature à réduire leur incertitude.
252 L’interprétation de Crédit agricole, selon laquelle, en substance, il s’agit d’une demande de prix légitime dans le cadre d’une recherche de liquidités, n’est pas plausible et cette banque ne démontre pas que les éléments de preuve directs dont disposait la Commission au sujet de la discussion du 6 août 2014 étaient insuffisants.
253 En effet, tout d’abord, rien dans la discussion ayant eu lieu tout au long de la journée du 6 août 2014, entre 6 h 53 min 53 s et 16 h 30 min 05 s, n’indique que la demande du trader de BofA aurait été motivée par une volonté de conclure une transaction avec le trader de Crédit agricole.
254 Ensuite, si le trader de BofA avait envisagé une transaction avec le trader de Crédit agricole, il n’aurait pas demandé une cotation indifférenciée (« where [you] marking kbn 03.18 ? »), mais aurait précisé que sa demande portait sur un prix d’enchère ou un prix d’offre de vente.
255 Enfin, ainsi que cela ressort de discussions mentionnées au considérant 723 de la décision attaquée, la discussion du 6 août 2014 a été précédée d’autres discussions du même type, non valablement contestées par Crédit agricole, qui montrent que ce type de discussions intervenait dans le cadre d’une négociation entre l’un des traders et un tiers et visait à vérifier que l’évaluation envisagée dans le cadre de cette négociation était correcte.
256 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 563 et 564, puis 678 de la décision attaquée, que la discussion du 6 août 2014 avait donné lieu à un échange d’informations sur la stratégie en matière de prix et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 12 mars 2015
257 S’agissant de la discussion du 12 mars 2015, classée dans les catégories 1, 3, 4 et 5 et visée aux considérants 573 à 575, puis 674, 678, 686, 715, 746 et 848 de la décision attaquée, Crédit agricole admet un échange d’informations, mais exclut que cette discussion ait pu relever des catégories 1 et 5, cette discussion ayant été « vraisemblablement » destinée à vérifier si le trader de Crédit agricole pouvait acquérir des obligations BNG 23 auprès du trader de Credit Suisse. Une telle
interprétation étant plausible, la Commission n’aurait donc pas pu qualifier la discussion du 12 mars 2015 de collusive et, partant, de « restriction par objet ».
258 Selon la transcription de cette discussion, le trader de Crédit agricole a demandé au trader de Credit Suisse s’il avait toujours des obligations BNG 23 (« u still got bng 23 »). Le trader de Credit Suisse a répondu positivement, mais a souligné qu’il lui avait également été demandé de formuler une offre (« yeah…but being asked to price up too »). Le trader de Credit Suisse a précisé qu’il pensait qu’il s’agissait du même client (« same guy i think »). Dans le même temps, il a envoyé au trader
de Crédit agricole un extrait de l’échange qu’il venait d’avoir avec ce client et qui contenait le volume et le prix proposés à ce dernier (« 14 :14 :36 50mm BNG 2.5 JAN23 @ ct7 +34.5 »). Le trader de Crédit agricole a réagi en indiquant que le client faisait le tour (« man this dude gets arou[nd] lol »). Il a ajouté qu’il n’y avait pas de problème et qu’il laissait le client au trader de Credit Suisse (« [no problem] man u crack on »). Quarante minutes plus tard, le trader de Crédit agricole a
demandé au trader de Credit Suisse s’il avait réalisé l’opération (« u get lifted ? »).
259 Ainsi, premièrement, cette discussion révèle clairement un échange d’informations très précises et actuelles sur le prix et le volume d’une offre proposée à un client identifié dans le cadre d’une négociation en cours avec ce client. Cette discussion a donc donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles et à un échange sur une stratégie de négociation et de fixation des prix. Ces échanges ont accru la transparence entre les traders et réduit leur incertitude.
260 Deuxièmement, cette discussion révèle également que, à la suite de cet échange d’informations, le trader de Crédit agricole s’est abstenu de soumettre une offre au client qui l’avait contacté et qui avait également contacté le trader de Credit Suisse (« [no problem] man u crack on »).
261 Le volume et le prix finalement proposés par le trader de Credit Suisse au client en question, ainsi que le fait que seul ce trader a formulé une proposition au client en question, ne résultent donc pas d’un choix autonome des deux traders, mais d’une coordination qui a été rendue possible par la discussion en cause. En effet, cette discussion a abouti à la détermination en commun du trader qui allait faire l’offre en question à un prix connu par les participants. C’est ainsi que le trader de
Crédit agricole a renoncé à adresser une offre à un client spécifique et laissé le client au trader de Credit Suisse. Cette interprétation est confirmée par le fait que le trader de Crédit agricole a, plusieurs dizaines de minutes plus tard, demandé à son interlocuteur s’il avait réalisé l’opération.
262 Cette interprétation retenue par la Commission n’est pas infirmée par celle proposée par Crédit agricole, selon laquelle cette discussion constituerait en réalité une tentative d’échange légitime qui a échoué.
263 Selon la lettre même de l’argumentation de Crédit agricole, la discussion du 12 mars 2015 ne serait que « vraisemblablement » destinée à vérifier si le trader de Crédit agricole pouvait acquérir les OSSA concernées afin de disposer d’un stock suffisant pour ensuite revendre ces OSSA à un tiers, ce qu’il pouvait faire uniquement s’il était en mesure d’acheter lesdites OSSA. Ainsi, l’argumentation de Crédit agricole démontre que même cette banque n’est pas en mesure de déterminer avec certitude la
véracité de l’interprétation alternative qu’elle propose.
264 De plus, l’échange entre les traders est allé bien au-delà de ce qui était nécessaire pour apprécier si le trader de Credit Suisse disposait de liquidités et si une prétendue transaction entre les deux traders pouvait avoir lieu. En effet, le trader de Credit Suisse a précisé qu’il s’agissait du même client et a fourni le volume et le prix de l’offre qu’il avait adressée à ce client dans le cadre d’une négociation en cours.
265 Enfin, compte tenu de la teneur des échanges qui le précèdent, le message « [no problem] man u crack on » ne peut raisonnablement pas être compris comme étant l’expression d’une impossibilité pour le trader de Crédit agricole de soumettre une offre ou de proposer un meilleur prix que le trader de Credit Suisse, prix dont il n’était d’ailleurs pas censé avoir connaissance. La renonciation du trader de Crédit agricole à formuler une offre est intervenue quelques secondes seulement après que le
trader de Credit Suisse lui a divulgué son offre au client en cause. Le trader de Crédit agricole n’a donc pas cherché, comme cela aurait été le cas dans des conditions normales de concurrence, à trouver une solution alternative afin d’être en mesure d’adresser une offre au client concerné. En revanche, quarante minutes plus tard, il a demandé au trader de Credit Suisse s’il avait réalisé l’opération.
266 Ainsi, l’interprétation proposée par Crédit agricole ne s’avère pas plausible et, en tout état de cause, ne satisfait pas le niveau de preuve requis pour remettre en cause l’interprétation de la Commission, ainsi que l’exige la jurisprudence rappelée au point 186 ci‑dessus.
267 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 573 à 575, puis 674, 678, 686, 715, 746 et 848 de la décision attaquée, que la discussion du 12 mars 2015 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles ainsi qu’à une coordination des prix et des activités de négociation et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
268 Il s’ensuit que les arguments avancés par Crédit agricole afin de démontrer l’absence de caractère anticoncurrentiel des discussions des 18 et 31 janvier 2013, du 15 février 2013, des 19 et 21 mars 2013, du 24 mai 2013, du 3 juin 2013, des 10 et 25 juillet 2013, du 6 août 2014 et du 12 mars 2015 sont rejetés.
ii) Sur les discussions que Credit Suisse est recevable à contester
– Sur la discussion du 28 septembre 2010
269 S’agissant de la discussion du 28 septembre 2010, classée dans les catégories 3, 4 et 5 et visée aux considérants 232 à 235, puis 674, 678, 686 et 746 de la décision attaquée, Credit Suisse soutient que, lors de cette discussion, son trader a proposé de retirer un prix affiché sur l’écran d’un courtier pour effectuer, à la place, une transaction avec le trader de Deutsche Bank au même prix que celui affiché sur l’écran du courtier.
270 À cet égard, il importe de relever que Credit Suisse conteste uniquement la première partie de la discussion du 28 septembre 2010, à savoir les échanges intervenus entre 5 h 46 min 31 s et 5 h 48 min 17 s. En effet, elle ne conteste pas la seconde partie de cette discussion, qui a eu lieu entre 11 h 23 min 57 s et 11 h 29 min 54 s, et qui, selon la Commission, consistait en une mise en commun (pooling) de renseignements sur le marché (market intelligence) au sujet des préférences de négociations
et de l’activité future d’un client spécifique connu des participants.
271 Au cours de la première partie de cette discussion, le trader de Deutsche Bank a, comme l’a indiqué la Commission au considérant 233 de la décision attaquée, « vraisemblablement » demandé au trader de Credit Suisse s’il était acheteur ou vendeur d’obligations italiennes 09/13 (« wahts you better way ITALY 09/13 »). Dans ce cadre, le trader de Deutsche Bank a précisé qu’il essayait de négocier avec un tiers (« trying to get a block out »). En réponse, le trader de Credit Suisse a expliqué qu’il
venait d’afficher un prix bidirectionnel sur l’écran du courtier BGC et a demandé au trader de Deutsche Bank s’il devait retirer ce prix (« cool…I’ve just gone 146/143 in bgc… shall i kill it ? »). Le trader de Credit Suisse a précisé qu’il était en train de travailler sur un « switch trade » avec « qui il savait » (« i’m working [on] an order to sell Italy 13s to buy Spain 12s with u know who »). N’ayant pas obtenu de réponse de la part du trader de Deutsche Bank, le trader de Credit Suisse a
demandé à nouveau à son interlocuteur s’il devait retirer son prix (« so will need to buy at 146ish to print it… shall i kill price ? »). Le trader de Deutsche Bank a alors répondu, en substance, que cela n’était pas nécessaire, qu’il n’était pas sûr du fait que son client potentiel vienne ou non et qu’il tentait sa chance (« nah its cool…not sure if this guy will sell or not... but trying him now »).
272 Ainsi, d’une part, il ressort de la transcription de la discussion en cause que, lors de cette discussion, le trader de Credit Suisse a proposé de retirer son prix du marché après avoir appris que le trader de Deutsche Bank négociait avec un tiers. Cette proposition aurait abouti à ne pas faire concurrence au trader de Deutsche Bank et aurait augmenté ainsi les chances que le tiers négocie avec le trader de Deutsche Bank.
273 D’autre part, rien dans les propos échangés ne permet de soutenir, comme le fait Credit Suisse, que son trader a proposé de retirer un prix affiché sur l’écran d’un courtier pour effectuer, à la place, une transaction avec le trader de Deutsche Bank au même prix que celui affiché sur l’écran du courtier.
274 À cet égard, l’interprétation de Credit Suisse selon laquelle le trader de Deutsche Bank cherchait à obtenir des liquidités auprès du trader de Credit Suisse afin d’exécuter ensuite un ordre plus important d’un client portant sur cette obligation n’est pas plausible. Par ailleurs, cette banque ne démontre pas que les éléments de preuve directs dont disposait la Commission au sujet de la discussion du 28 septembre 2010 étaient insuffisants.
275 En effet, le trader de Credit Suisse a communiqué au trader de Deutsche Bank le prix bidirectionnel qu’il venait d’afficher sur l’écran du courtier BGC et lui a également annoncé qu’il était en train de négocier une vente, à un tiers identifié, des obligations italiennes en cause (« i’m working [on] an order to sell Italy 13s to buy Spain 12s with u know who »).
276 Étant donné que le trader de Credit Suisse était déjà en train de négocier une vente d’obligations italiennes à un tiers, il est peu plausible que la proposition du trader de Credit Suisse de retirer son prix de l’écran du courtier ait été motivée par l’intention de conclure une transaction avec le trader de Deutsche Bank.
277 L’interprétation la plus plausible est que le trader de Credit Suisse a proposé de retirer son prix de l’écran du courtier BGC afin de limiter l’ampleur de la concurrence possible et d’éviter tout risque que ce prix interfère avec la volonté du trader de Deutsche Bank de procéder à une vente en bloc à un tiers. Cette interprétation est d’ailleurs corroborée par une discussion non contestée spécifiquement par Credit Suisse ayant eu lieu quelques jours plus tôt, à savoir le 24 septembre 2010, lors
de laquelle le trader de Deutsche Bank a proposé de retirer son offre de l’écran du courtier Tullets afin de ne pas s’immiscer dans la stratégie de négociation du trader de Credit Suisse (voir considérant 230 de la décision attaquée).
278 Par conséquent, Credit Suisse n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 232 à 235, puis 674, 678, 686 et 746 de la décision attaquée, que la discussion du 28 septembre 2010 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles, à des échanges relatifs à des stratégies de négociation et de fixation des prix ainsi qu’à une coordination des activités de négociation et, partant, que cette discussion présentait un caractère
anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 8 février 2012
279 Credit Suisse fait valoir que l’échange d’informations sur les positions d’inventaire des teneurs de marché permet de trouver plus facilement des possibilités de transaction entre traders. À titre d’exemple, elle mentionne la discussion du 8 février 2012, classée dans les catégories 3 et 4 et visée aux considérants 367 à 376, puis 674 et 678 de la décision attaquée.
280 À cet égard, il convient de souligner que Credit Suisse se réfère uniquement à la première partie de la discussion intervenue entre les traders de Deutsche Bank et de BofA le 8 février 2012 entre 2 h 58 min 5 s et 3 h 10 min 51 s. En effet, Credit Suisse ne dirige aucun argument spécifique contre les autres parties de cette discussion, intervenues plus tard dans la journée et qui, selon la Commission, ont donné lieu à des échanges sur des demandes de clients et des opérations en cours.
281 S’agissant de la première partie de la discussion intervenue le 8 février 2012, la transcription de cette discussion montre que le trader de Deustche Bank et le trader de BofA ont discuté successivement de transactions qu’ils étaient en train d’effectuer ou qu’ils envisageaient d’effectuer avec le même client au sujet de plusieurs obligations.
282 À l’occasion de ces échanges, les traders ont discuté de négociations en cours en ce qui concernait des obligations BNG 10/16 (« just about to lose 50mm bng 10/16 » ; « getting [check]ed on that too » ; « just sold them… 50mm »). Le trader de BofA a ensuite révélé le prix qu’il avait montré au client pour les obligations BNG 10/16 (« i showed +127 fyi ») et le trader de Deutsche Bank lui a répondu que c’était le prix auquel il venait de conclure une transaction avec ce client (« same… thats
where i have been lifted »).
283 Par ailleurs, les traders ont échangé des informations sur le comportement du client en ce qui concernait d’autres obligations (« same guy checking me on 100mm new neds » ; « anyone got any ned 06/16 » ; « flat » ; « i have some but about to get lifted » ; « same guy ? » ; « y[ea]h » ; « hes lifting all the cheap names… think he [might] lift me in 100mm coe17 »).
284 Ainsi, la première partie de la discussion du 8 février 2012 ne consiste pas seulement en un échange d’informations sur les positions d’inventaire des traders. Les traders ont échangé des informations qui n’étaient pas publiques et qui portaient sur les volumes d’obligations spécifiques qu’ils avaient vendus ou qu’ils envisageaient de vendre à un seul et même client identifié. Par ailleurs, en ce qui concerne un type d’obligations en particulier, les traders ont échangé des informations sur le
prix auquel ils avaient vendu ou envisageaient de vendre ladite obligation. La discussion en cause reflète donc des commentaires en temps réel des activités des traders qui ont donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles.
285 Credit Suisse n’a donc pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré que la première partie de la discussion du 8 février 2012 constituait une mise en commun d’informations qui permettait aux traders de juger des intentions d’un client identifié et des négociations actuelles et, par voie de conséquence, d’agir sur le marché avec une incertitude moindre.
286 Par conséquent, Credit Suisse n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 367 à 376, puis 674 et 678 de la décision attaquée, que la discussion du 28 septembre 2010 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles et à des échanges relatifs à des stratégies de négociation et de fixation des prix et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 10 janvier 2013
287 Lors de la discussion du 10 janvier 2013, classée dans les catégories 3, 4 et 5 et mentionnée aux considérants 446 à 450, puis 674, 678 et 686 de la décision attaquée, le trader de Credit Suisse a demandé si l’offre d’achat qu’il voyait (probablement sur l’écran d’un ou plusieurs courtiers) au sujet d’obligations KFW était celle du trader de Deutsche Bank (« is that your bid in KFW 4.375 18 ? »), ce à quoi ce dernier a répondu par l’affirmative. Le trader de Credit Suisse a ensuite expliqué
qu’il négociait avec un tiers pour un « switch trade » par lequel il achèterait ces KFW et, dans le même temps, vendrait un autre type d’obligations (« I’m being checked on these vs the kommun »). Le trader de Deutsche Bank a ensuite répliqué qu’il était dans une position courte, qu’il avait besoin de ces obligations et qu’il était prêt à payer n’importe quel prix (« i am short 50mm… badly need them… will pay whatever »). Il a ensuite demandé au trader de Credit Suisse, premièrement, si ce
dernier voulait qu’il retire son offre visible sur l’écran du courtier (« you want me to kill the bid ? ») et, deuxièmement, si ce dernier pouvait obtenir les obligations pour lui (« if you can get these for me will pay whatever man »). Le trader de Credit Suisse a répondu par la négative, en précisant qu’il ferait de son mieux, mais que cela pourrait être une perte de temps (« nah, thats cool... i’ll do my best, but could just be time wasting »). Le même trader a également souligné qu’il ne
faisait pas beaucoup d’affaires avec ce client et qu’il n’était pas vraiment sûr de conclure (« guy who we dont do anything with, so not really sure »). Le trader de Deutsche Bank a alors une nouvelle fois proposé de retirer son offre de l’écran du courtier (« you want me to kill the bid ? »), ce à quoi le trader de Credit Suisse a répondu que le client ne cherchait pas la meilleure offre (« not shopping it around »).
288 Credit Suisse fait valoir que, lors de cette discussion, le trader de Deutsche Bank a proposé de « tuer » son offre, car il espérait que le trader de Credit Suisse négocierait pour lui et qu’il n’avait donc pas besoin de couvrir sa position courte sur l’écran du courtier. La réponse du trader de Credit Suisse, à savoir « non, c’est cool… je ferai de mon mieux, mais ça pourrait être une perte de temps », signifierait que le trader de Deutsche Bank ne devait pas annuler son offre, car la
négociation de la transaction avec le tiers n’était pas suffisamment avancée pour lui permettre de s’appuyer sur cette dernière et d’abandonner la recherche des obligations sur l’écran du courtier.
289 Cependant, l’interprétation de Credit Suisse n’est pas plausible au regard des propos échangés lors de la discussion du 10 janvier 2013 et cette banque ne démontre pas que les éléments de preuve directs dont disposait la Commission au sujet de cette discussion étaient insuffisants.
290 En effet, le fait que le trader de Credit Suisse n’a pas demandé le retrait de l’offre du trader de Deutsche Bank, au motif qu’il ne pensait pas que le client « cherchait la meilleure offre », montre que la proposition de retrait de l’offre a été interprétée par le trader de Credit Suisse comme une volonté du trader de Deutsche Bank de ne pas afficher une offre d’achat concurrente et ainsi de ne pas interférer avec les négociations en cours du trader de Credit Suisse. Par ailleurs, un concurrent
autonome qui, comme le trader de Deutsche Bank, avait besoin des obligations au point qu’il était prêt à payer n’importe quel prix, aurait cherché à maximiser ses chances de trouver un vendeur par de multiples canaux différents et n’aurait donc pas proposé de retirer son offre d’achat sur l’écran du courtier.
291 La seule explication plausible de la proposition formulée par le trader de Deutsche Bank de retirer son offre d’achat est donc la volonté d’aider le trader de Credit Suisse dans ses négociations avec le tiers.
292 En tout état de cause, il y a lieu de souligner que, même si le trader de Deutsche Bank n’a finalement pas retiré son offre, les deux traders ont manifesté une volonté commune de coordonner leur comportement puis décidé en commun que l’offre de Deutsche Bank pouvait être maintenue sur l’écran du courtier.
293 Or, comme le fait valoir la Commission, le fait que le trader de Deutsche Bank soit potentiellement intéressé par une transaction ultérieure avec le trader de Credit Suisse s’il conclut la transaction avec le tiers ne justifie pas une telle concertation entre concurrents, chacun d’entre eux devant proposer une offre concurrente indépendante pour conclure avec un tiers.
294 Par ailleurs, la discussion du 10 janvier 2013 a donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles au sujet d’une transaction potentielle qui pouvait intéresser les deux traders et, en particulier, au sujet du comportement d’un client. Le trader de Deutsche Bank a également communiqué des informations sur sa situation. Cette information a conforté le trader de Credit Suisse dans le fait qu’il aurait un acheteur qui serait prêt à payer n’importe quel montant pour les obligations qu’il
achèterait auprès de son client, élément que le trader de Credit Suisse pouvait prendre en compte pour formuler son prix à l’égard du client.
295 Par conséquent, Credit Suisse n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a estimé, aux considérants 446 à 450, puis 674, 678 et 686 de la décision attaquée, que la discussion du 10 janvier 2013 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles, à des échanges relatifs à des stratégies de négociation et de fixation des prix ainsi qu’à une coordination des activités de négociation et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur la discussion du 12 mars 2015
296 S’agissant de la discussion bilatérale intervenue entre le trader de Credit Suisse et le trader de Crédit agricole le 12 mars 2015, également contestée sans succès par Crédit agricole et mentionnée aux points 257 à 267 ci‑dessus, les arguments avancés par Credit Suisse ne sont pas susceptibles de remettre en cause l’appréciation selon laquelle ladite discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
297 En effet, d’une part, la discussion intervenue le 12 mars 2015 ne révèle pas seulement un échange d’informations très précises et actuelles sur une offre proposée à un client dans le cadre d’une négociation en cours. Cette discussion révèle également une coordination de comportement ayant conduit le trader de Crédit agricole à ne pas soumettre une offre à un client potentiel qui l’avait contacté, après s’être concerté avec le trader de Credit Suisse (voir points 259 à 261 ci‑dessus).
298 D’autre part, l’alternative présentée par Credit Suisse selon laquelle le trader de Crédit agricole tentait de se procurer des liquidités auprès du trader de Credit Suisse n’est pas plausible et cette banque ne démontre pas que les éléments de preuve directs dont disposait la Commission étaient insuffisants au sens de la jurisprudence citée au point 186 ci‑dessus.
299 En effet, si, comme le soutient Credit Suisse, le trader de Crédit agricole tentait de se procurer des liquidités, il n’aurait pas été utile que les deux traders échangent des informations commerciales sensibles sur la stratégie du client, sur l’identité dudit client et sur l’offre de prix proposée par Credit Suisse audit client. En effet, il aurait suffi que le trader de Credit Suisse explique d’emblée au trader de Crédit agricole qu’il ne pouvait pas négocier l’obligation avec lui ou bien
qu’il lui fournisse une cotation.
300 Par conséquent, Credit Suisse n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 573 à 575, puis 674, 678, 686, 715, 746 et 848 de la décision attaquée, que la discussion du 12 mars 2015 avait donné lieu à un échange d’informations commerciales sensibles ainsi qu’à une coordination des prix et des activités de négociation et, partant, que cette discussion présentait un caractère anticoncurrentiel.
– Sur le courriel du 24 mars 2015
301 S’agissant du courriel du trader de Credit Suisse du 24 mars 2015 dont a été destinataire le trader de Crédit agricole, classé dans la catégorie 4 et visé aux considérants 576 et 577, puis 678 de la décision attaquée, Credit Suisse soutient qu’il facilite l’identification des possibilités de négociation entre traders, ce qui est particulièrement important à la fin du mois et du trimestre lorsque les teneurs de marché sont supposés aplanir leur portefeuille.
302 À cet égard, il convient de souligner que le courriel en question a été envoyé par le trader de Credit Suisse au trader de Crédit agricole, en copie cachée, et était intitulé « CS US$ SSA BID AXES – month end: offer side bids ». Ce courriel contenait une liste d’intérêts, à savoir une liste par laquelle ce trader fournissait des informations sur les prix et les quantités d’obligations qu’il était disposé à négocier.
303 Il ressort du considérant 53 de la décision attaquée qu’une liste d’intérêts montre l’intérêt d’un trader d’une banque à acheter ou à vendre sur le marché certaines obligations et est destinée au bureau de vente de ladite banque ou à un courtier.
304 Ainsi, en envoyant une telle liste directement à un trader concurrent, le trader de Credit Suisse a informé un trader concurrent, à savoir le trader de Crédit agricole, des prix qu’il proposait à ses clients pour une série d’obligations.
305 Or, une telle information constitue une information commerciale sensible. Ce caractère commercialement sensible n’est pas remis en cause par le fait que la liste n’aurait concerné qu’un nombre limité d’obligations ou que les prix n’auraient été qu’indicatifs.
306 Par ailleurs, Credit Suisse n’apporte aucun élément de preuve susceptible de démontrer que son trader aurait cherché à utiliser la liste d’intérêts ainsi communiquée pour conclure une transaction avec le trader de Crédit agricole et ainsi pour « aplanir son portefeuille ». Credit Suisse n’apporte pas davantage d’éléments susceptibles de démontrer que le trader de Crédit agricole a cherché à s’approvisionner en liquidités auprès de Credit Suisse pour l’une des 21 obligations mentionnées dans la
liste en question.
307 Le fait qu’une telle liste ne soit pas destinée à être adressée à un trader concurrent est confirmé par la discussion du 21 mars 2013 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Deutsche Bank examinée aux points 220 à 223 ci‑dessus. En effet, il ressort de cette discussion, d’une part, que l’envoi d’une liste d’intérêts par un membre de Deutsche Bank au trader de Crédit agricole est qualifié d’erreur et, d’autre part, qu’un tel envoi a provoqué la « pagaille » au sein de Crédit agricole.
308 Par conséquent, Credit Suisse n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, aux considérants 576 et 577, puis 678 de la décision attaquée, que le courriel du 24 mars 2015 présentait un caractère anticoncurrentiel.
309 Il s’ensuit que les arguments avancés par Credit Suisse afin de démontrer l’absence de caractère anticoncurrentiel des discussions du 28 septembre 2010, du 8 février 2012, du 10 janvier 2013 et du 12 mars 2015 ainsi que du courriel du 24 mars 2015 sont rejetés.
3) Conclusion sur les discussions analysées dans la décision attaquée
310 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que Crédit agricole et Credit Suisse n’ont pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré que les discussions qu’elle avait analysées démontraient l’existence d’accords et/ou de pratiques concertées au sens de l’article 101 TFUE présentant un caractère anticoncurrentiel et, plus précisément, l’existence, d’une part, d’une coordination anticoncurrentielle des prix et des activités de négociation et, d’autre part, d’échanges
d’informations commerciales sensibles.
311 La conclusion qui figure au point 310 ci‑dessus ne préjuge toutefois pas de la réponse qu’il convient d’apporter aux premiers moyens respectifs invoqués par Crédit agricole et par Credit Suisse et tirés, en substance, de ce que la Commission a violé l’article 101 TFUE en considérant que les accords ou pratiques concertées constatés restreignaient la concurrence « par objet ». En effet, le caractère anticoncurrentiel de ces comportements n’a pas nécessairement pour conséquence que ces
comportements constitueraient automatiquement une restriction « par objet ».
312 Pour relever d’une restriction de concurrence « par objet », la restriction ne doit pas uniquement présenter une nature anticoncurrentielle, mais doit révéler un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 67 et jurisprudence citée].
313 Les arguments de Crédit agricole et de Credit Suisse visant à contester l’existence d’une restriction « par objet » seront donc examinés ultérieurement dans le cadre de la réponse à leurs premiers moyens respectifs.
c) Sur l’existence d’une infraction unique et continue
314 Par la seconde branche de son deuxième moyen, Crédit agricole conteste le caractère continu de l’infraction constatée par la Commission.
315 Pour sa part, dans le cadre de son deuxième moyen, Credit Suisse invoque, en substance, l’absence de preuve et la motivation insuffisante, d’une part, du caractère unique de l’infraction constatée par la Commission (première branche) et, d’autre part, du caractère continu de cette même infraction (troisième branche). Ainsi que cela a été constaté dans le procès-verbal de l’audience de plaidoiries, Credit Suisse a renoncé à son allégation tirée d’une insuffisance de motivation du caractère unique
et continu de l’infraction litigieuse, initialement soulevée dans le cadre de son deuxième moyen.
316 Il convient d’examiner les arguments de Crédit agricole et de Credit Suisse en distinguant, d’une part, ceux qui mettent en cause le caractère unique de l’infraction constatée par la Commission (première branche du deuxième moyen de Credit Suisse) et, d’autre part, ceux qui mettent en cause le caractère continu de celle-ci (seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole et troisième branche du deuxième moyen de Credit Suisse).
1) Sur le caractère unique de l’infraction constatée
317 Aux considérants 757 et 758 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les séries d’accords et/ou de pratiques concertées qu’elle avait préalablement identifiées faisaient partie d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel commun. Cet objectif aurait été, pour les banques concernées, de maximiser leurs recettes, tout en limitant les pertes qui pouvaient résulter de l’incertitude liée aux comportements des autres traders, et cela par une coordination des prix et des
activités de négociation et par l’échange d’informations commerciales sensibles en relation avec les OSSA négociées sur le marché secondaire. Les banques concernées auraient ainsi cherché à restreindre ou à fausser le jeu de la concurrence, en substituant à la concurrence entre elles une assistance mutuelle dans le but d’améliorer leurs recettes tirées de négociations d’OSSA sur ce marché, de sorte que, par moments, la situation aurait été telle que les traders des banques concernées auraient pu
paraître négocier pour le compte d’une seule entreprise, plutôt qu’en tant que concurrents.
318 En outre, aux considérants 759 à 764 de la décision attaquée, la Commission a exposé, en substance, quatre « éléments objectifs » qui, selon elle, confirmaient que « les contacts collusoires étaient de nature liée et complémentaire ».
319 Premièrement, les produits en cause, à savoir les OSSA, auraient été homogènes et négociés de la même manière (considérant 760). Deuxièmement, le mécanisme utilisé par les traders aurait été le même, à savoir l’utilisation de communications constantes dans des forums de discussions qui leur étaient réservés (considérant 761). Troisièmement, les entreprises concernées auraient été les mêmes, à savoir Deutsche Bank, BofA, Credit Suisse et Crédit agricole, et un changement aurait été constaté
uniquement lorsque l’un des traders impliqués (qui formaient un groupe soudé composé des mêmes personnes au fil du temps) changeait d’employeur (considérant 762). Quatrièmement, les comportements en cause auraient suivi le même « schéma ». En particulier, les traders des banques concernées auraient été, durant certaines périodes, en contact quotidiennement et auraient maintenu des canaux de communication ouverts durant toute une journée. Ils se seraient échangés des informations sur leurs
activités de négociation en cours de manière libre sous la forme d’un commentaire en temps réel d’événements en train de se produire, ce qui leur aurait permis d’identifier et d’exploiter des opportunités pour coordonner leurs comportements (considérants 763 et 764).
320 Par la première branche de son deuxième moyen, Credit Suisse soutient que la Commission n’a pas établi l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique reliant les comportements antérieurs et postérieurs au mois de février 2013.
321 Sans qu’il y ait lieu de s’interroger sur la portée exacte de la contestation de Credit Suisse et, plus précisément, sur la question de savoir si cette banque a contesté l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique durant toute la période couverte par l’infraction constatée par la Commission et, plus précisément, avant et durant le mois de février 2013, ce qui ne ressort pas clairement de la requête, il y a lieu d’apprécier si la Commission a démontré,
premièrement, l’existence d’un tel plan d’ensemble avant et durant le mois de février 2013 et, deuxièmement, la continuation de ce plan d’ensemble après le mois de février 2013.
i) Sur l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique avant et durant le mois de février 2013
322 Comme cela ressort des discussions intervenues avant et durant le mois de février 2013 et mentionnées aux points 166, 168 à 171, 188 à 208 et 269 à 295 ci‑dessus, les constatations effectuées par la Commission en l’espèce ont permis de démontrer que, au cours de cette période, l’objectif poursuivi par les comportements adoptés par les participants, à savoir un échange d’informations commerciales sensibles ainsi qu’une coordination de leurs prix et de leurs activités de négociation, était
anticoncurrentiel.
323 Plus précisément, il ressort des constatations effectuées par la Commission que les pratiques mises en œuvre par les traders des banques concernées visaient à s’échanger des informations commerciales sensibles et à tirer profit d’opportunités de coordination des comportements lorsque l’occasion se présentait et, notamment, lorsque les participants manifestaient un intérêt commun pour une ou plusieurs OSSA spécifiques ou lorsqu’ils étaient approchés par un même client concernant une même OSSA.
Ces comportements, qui consistaient à substituer une assistance mutuelle à des conditions normales de concurrence, aboutissaient à un accroissement de la transparence et donc à une réduction de l’incertitude et du risque et, parfois, à la gestion des portefeuilles respectifs des participants comme s’il s’était agi d’un portefeuille unique. Les participants ont ainsi pu tirer avantage de leurs comportements anticoncurrentiels à l’égard des clients et des concurrents.
324 C’est ainsi que la Commission a considéré, à bon droit, que l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par les comportements adoptés par les banques concernées était de maximiser leurs revenus tout en limitant leurs pertes.
325 Cet objectif est d’ailleurs notamment reflété par certains propos explicites tenus lors des discussions mentionnées aux points 166, 168 et 170 ci‑dessus tels que « ok cool will show same level… and wont improve » (discussion du 2 juin 2010 mentionnée au considérant 190) ; « where u gonna be bidding kfw 20’s if asked ? » (discussion du 31 août 2010 mentionnée au considérant 228) ; « Let’s just keep that price up because I am not going to improve from there. Because they are just going to try and
play one place against another » (discussion du 13 octobre 2010, mentionnée au considérant 236) ; « take it out for now man… don’t want [to] have to pay 15 ! » (discussion du 20 octobre 2010 mentionnée au considérant 243) ; « in case he comes to [you]... maybe worth showing same level… so we can max the dough » (discussion du 19 mai 2011 mentionnée au considérant 294).
326 Par ailleurs, les discussions intervenues avant et durant le mois de février 2013 et mentionnées aux points 166, 168 à 170, 188 à 208 et 269 à 295 ci‑dessus soutiennent les appréciations effectuées dans la décision attaquée selon lesquelles, avant et durant le mois de février 2013, d’autres éléments objectifs confirmaient que les comportements anticoncurrentiels adoptés par les participants étaient liés et complémentaires par leur nature et que, en interagissant, ces comportements contribuaient
au plan d’ensemble poursuivant l’objectif anticoncurrentiel décrit par la Commission.
327 En effet, premièrement, les comportements anticoncurrentiels identifiés par la Commission portaient tous sur des OSSA qui, malgré leur variété, étaient négociées de la même manière et par les mêmes traders au sein des mêmes bureaux de négociation des banques concernées. Cette appréciation est illustrée par plusieurs discussions analysées par la Commission dans la décision attaquée dont il ressort que, au cours de la même journée, les mêmes traders ont procédé à des échanges d’informations ou
coordonné leurs comportements au sujet d’OSSA différentes (voir, par exemple, discussion du 8 février 2012 mentionnée aux points 279 à 286 ci‑dessus ainsi que discussion du 18 janvier 2013 mentionnée aux points 188 à 195 ci‑dessus).
328 Deuxièmement, les comportements en cause suivaient le même mécanisme, à savoir, à partir du début de l’année 2010, des discussions régulières au sein de forums de discussions multilatéraux permanents complétées par des discussions bilatérales. Ces discussions avaient lieu au sein d’un petit groupe soudé de traders qui échangeaient tout au long de la journée sur diverses OSSA (voir, par exemple, discussion du 28 septembre 2010 mentionnée aux points 269 à 278 ci‑dessus ainsi que du 31 janvier 2013
mentionnée aux points 196 à 200 ci‑dessus).
329 Troisièmement, ces comportements impliquaient un groupe d’entreprises stable, à savoir Deutsche Bank, BofA et Credit Suisse. Ce groupe d’entreprises a changé uniquement lorsque, au mois de janvier 2013, le trader de BofA a changé d’employeur et a pris ses fonctions au sein de Crédit agricole, conduisant à l’implication de cette dernière banque.
330 Quatrièmement, les comportements en cause suivaient le même schéma qui prenait la forme d’une mise en commun d’informations ou de discussions franches sur les comportements récents, actuels ou futurs qui permettaient aux traders des banques concernées de saisir des opportunités de coordination ou d’échanges d’informations et, ainsi, de poursuivre l’objectif anticoncurrentiel unique mentionné au point 317 ci‑dessus.
331 L’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique avant et durant le mois de février 2013 est d’ailleurs confirmé par d’autres éléments du dossier recueillis par la Commission.
332 En effet, lors d’une discussion du 2 juin 2010, mentionnée au considérant 190 de la décision attaquée, le trader de BofA a informé le trader de Deutsche Bank du prix auquel il avait vendu des obligations à un client spécifique. Le trader de Deutsche Bank a, par la suite, proposé le même prix à ce même client et a indiqué au trader de BofA qu’il avait vendu les mêmes obligations et que cela avait fonctionné comme dans un rêve (« worked out a dream »).
333 De même, au considérant 810 de la décision attaquée, la Commission a mentionné des discussions dont il ressort que chacun des trois traders principalement impliqués reconnaissaient eux-mêmes faire partie d’un « club » discret (« telling you man… just like you, me and [Credit Suisse’s trader] have a chatroom… all these accounts mst be in one chatroom as well » ; « we should defo include him in the club…. »).
334 Enfin, après la cessation de ses fonctions au sein de BofA et sa prise de fonction au sein de Crédit agricole, l’un des traders impliqués dans les comportements en cause examinés par la Commission a demandé, le 10 janvier 2013, à être réintégré dans la maison (« to be added back in the house ! »), à savoir le forum permanent dont étaient membres le trader de Deutsche Bank et le trader de Credit Suisse.
335 Ainsi, dans la mesure où elle disposait de suffisamment d’éléments pour conclure à l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique avant et durant le mois de février 2013, il n’était pas requis, contrairement à ce que soutient Credit Suisse, que la Commission établisse que les participants avaient explicitement et préalablement souscrit à un accord global qui définissait leur action sur le marché ou, plus généralement, qu’ils avaient préalablement formalisé leur
intention d’adopter des comportements anticoncurrentiels.
336 Compte tenu de ce qui précède et à supposer qu’elle ait entendu contester l’existence d’un plan d’ensemble entre le mois de janvier 2010 et le mois de février 2013, Credit Suisse n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré que les comportements adoptés par les traders des banques concernées au cours de cette période s’inscrivaient dans le plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, tel qu’il a été défini dans les termes rappelés, en
substance, au point 317 ci-dessus.
ii) Sur la continuation du plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique après le mois de février 2013
337 Comme cela ressort des considérants 94, 766, 767, 822, 823 et 847 de la décision attaquée, Deutsche Bank a, à la fin du mois de février 2013, interdit à ses traders d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents (« persistent multilateral chatrooms »).
338 Credit Suisse soutient que cette interdiction constitue un « fait fondamental » qui a rendu impossible les discussions sur de tels forums de discussions avec pour conséquence que les discussions entre les traders des banques concernées seraient devenues moins fréquentes, voire sporadiques. En raison de ce changement de circonstances, les comportements mis en œuvre par les traders après le mois de février 2013 n’auraient plus reposé sur le même « mécanisme » et n’auraient plus suivi le même
« schéma ». Dans ces conditions, il n’aurait plus été possible, après le mois de février 2013, de réaliser l’objectif anticoncurrentiel unique défini par la Commission.
339 La Commission admet une relative baisse dans la fréquence des discussions anticoncurrentielles liée à l’interdiction mentionnée au point 337 ci‑dessus, tout en rejetant l’allégation de Credit Suisse selon laquelle cette baisse aurait été significative et soudaine.
340 En l’espèce, il y a lieu de souligner que l’interdiction adressée par Deutsche Bank à ses traders d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents n’est pas susceptible de remettre en cause les constatations de la Commission relatives à l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique.
341 En effet, premièrement, il importe de relever que Credit Suisse ne conteste pas les éléments objectifs qui sont rappelés au point 319 ci‑dessus et qui sont liés, d’une part, au caractère homogène des produits en cause, à savoir les OSSA, et, d’autre part, au fait que les mêmes banques concernées étaient impliquées, sauf lorsque l’un des traders participants changeait de banque.
342 Deuxièmement, l’interdiction mentionnée au point 337 ci‑dessus a provoqué une réaction des traders de Deutsche Bank, qui est illustrée par une discussion intervenue entre deux traders de cette banque le 25 février 2013 et mentionnée aux considérants 473 et 761 de la décision attaquée.
343 Lors de cette discussion, un trader de Deutsche Bank, impliqué dans l’infraction litigieuse, a affirmé à l’un de ses collègues de la même banque que ladite interdiction allait vraiment les gêner (« that’s gonna really hinder us »), dans la mesure où ils ne seraient plus au courant des échanges d’informations entre les traders de Crédit agricole et de Credit Suisse (« we not gonna know what flows are going on with [Crédit agricole’s trader] and [Credit Suisse’s trader] »).
344 L’autre trader de Deutsche Bank a alors expliqué : « what i do with [another trader] is we open a new room every day.. as long as its not permanent chat, its ok », ce à quoi son interlocuteur, impliqué dans l’infraction litigieuse, a répondu : « ah ok.. gonna have to do that then ».
345 C’est ainsi que, à la suite de l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents, les traders des banques concernées dans l’infraction litigieuse ont remplacé leurs discussions au sein de forums de discussions multilatéraux permanents par des discussions au sein de forums de discussions bilatéraux non permanents.
346 À cet égard, d’une part, il n’est pas contesté que, jusqu’au mois d’août 2013, les traders de Credit Suisse et de Crédit agricole ont continué à discuter d’une manière bilatérale sur le même forum multilatéral permanent que celui qui avait été utilisé avec le trader de Deutsche Bank avant et durant le mois de février 2013, à savoir le forum PCHAT‑0x2000001313671 dénommé « DB/CA/CS $ CHAT ». D’autre part, ainsi qu’il ressort expressément de la discussion du25 février 2013, citée au point 344
ci‑dessus, l’interdiction des forums de discussions multilatéraux permanents n’empêchait pas les traders de Deutsche Bank d’utiliser des forums de discussions bilatéraux non permanents.
347 D’ailleurs, les traders des banques concernées étaient accoutumés à avoir des discussions également bilatérales, puisqu’ils avaient eu de telles discussions avant et durant le mois de février 2013, en complément de l’utilisation desdits forums de discussions multilatéraux, ce qui n’est pas contesté.
348 Les traders des banques concernées ont donc cherché à remédier à l’interdiction de l’utilisation des forums de discussions multilatéraux imposée aux traders de Deutsche Bank au moyen d’un réseau de discussions bilatérales. Cette circonstance tend à démontrer une intention de continuer, après le mois de février 2013, l’objectif anticoncurrentiel qui était poursuivi depuis le mois de janvier 2010.
349 Troisièmement, les discussions entre les traders des banques concernées ont effectivement continué après le mois de février 2013. Un examen des discussions postérieures au mois de février 2013 montre que lesdites discussions avaient une teneur anticoncurrentielle semblable aux discussions antérieures à celles du mois de février 2013.
350 En effet, tout d’abord, les traders ont continué à coordonner leurs prix comme l’illustrent, par exemple, les extraits de discussions bilatérales postérieures au mois de février 2013 mentionnés au point 167 ci‑dessus, les discussions bilatérales du 10 juillet 2013 (voir points 236 à 243 ci‑dessus) et du 12 mars 2015 (voir points 257 à 267, puis 296 à 300 ci‑dessus) ainsi que le courriel du 24 mars 2015 (voir points 301 à 308 ci‑dessus).
351 Ensuite, les traders ont continué à divulguer, spontanément ou sur demande, des informations qui pouvaient être utilisées par les autres traders pour mener leurs activités de négociation ou définir leur stratégie de négociation ou de tarification, comme l’illustrent, par exemple, les extraits de discussions bilatérales postérieures au mois de février 2013 mentionnées au point 168 ci‑dessus ainsi que les discussions bilatérales des 19 et 21 mars 2013 (voir points 209 à 216 et 217 à 227
ci‑dessus), du 24 mai 2013 (voir points 228 à 232 ci‑dessus), du 25 juillet 2013 (voir points 244 à 248 ci‑dessus) et du 12 mars 2015 (voir points 257 à 267 et 296 à 300 ci‑dessus).
352 Enfin, les traders ont continué à coordonner leurs activités de négociation comme l’illustrent, par exemple, les extraits de discussions bilatérales postérieures au mois de février 2013, mentionnées aux points 170 et 171 ci‑dessus, ainsi que la discussion bilatérale du 10 juillet 2013 (voir points 236 à 243 ci‑dessus) et celle du 12 mars 2015 (voir points 257 à 268, puis 296 à 300 ci-dessus).
353 Dès lors, après le mois de février 2013, les traders des banques concernées ont été engagés dans les mêmes types de coordination, se sont échangés le même type d’informations commerciales sensibles et ont poursuivi un objectif anticoncurrentiel identique à celui qui était poursuivi avant cette date.
354 Quatrièmement, l’argumentation de Credit Suisse, tirée de ce que l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents a entrainé un changement drastique dans le « mécanisme » et le « schéma » de l’infraction unique alléguée, ne permet pas de remettre en cause le constat selon lequel l’objectif anticoncurrentiel poursuivi par le plan d’ensemble a été maintenu après le mois de février 2013.
355 En effet, le caractère unique d’une infraction résulte de l’unicité de l’objectif poursuivi par les participants à l’entente et non des modalités d’application de cette entente (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 4127, et du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non
publié, EU:T:2008:255, point 482).
356 Il a également été jugé que, dès lors que l’objectif des pratiques anticoncurrentielles restait le même, le fait que certaines caractéristiques ou que l’intensité de ces pratiques aient changé n’était pas concluant (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2011, Aalberts Industries e.a./Commission, T‑385/06, EU:T:2011:114, point 105).
357 En outre, l’objectif anticoncurrentiel unique constaté dans la décision attaquée ne dépendait pas, contrairement à ce que laisse entendre Credit Suisse, de l’organisation de discussions quotidiennes. En effet, comme cela ressort des considérants 607 à 611 et 763 de la décision attaquée, les traders des banques concernées poursuivaient cet objectif en échangeant librement des informations sur leurs activités de négociation en cours. Ces échanges prenaient la forme d’un commentaire en temps réel
des événements pendant qu’ils se produisaient, ce qui leur permettait d’identifier et d’exploiter des opportunités de se coordonner. C’est ainsi que ces traders cherchaient à atteindre cet objectif dans le cadre de discussions anticoncurrentielles relatives à des négociations données ou, tout au plus, relatives à des informations pertinentes pour des périodes données. Il n’était donc pas nécessaire d’avoir des discussions permanentes ou quotidiennes pour poursuivre l’objectif anticoncurrentiel
en cause.
358 D’ailleurs, même sur la période antérieure au mois de février 2013, les discussions anticoncurrentielles n’étaient pas nécessairement quotidiennes, ainsi que cela ressort de la chronologie des événements exposée à la section 4.2 de la décision attaquée.
359 Enfin, il est vrai que l’interdiction des forums de discussions multilatéraux permanents a pu rendre plus difficile l’identification d’opportunités pour les traders des banques concernées de se coordonner ou d’échanger des informations commerciales sensibles, notamment en ce qu’il a été plus difficile pour eux de maintenir un « commentaire en temps réel ».
360 Toutefois, Credit Suisse ne conteste pas que les forums de discussions bilatéraux non permanents fonctionnaient de la même manière que les forums de discussions multilatéraux permanents. Comme les forums de discussions multilatéraux permanents, les forums de discussions bilatéraux non permanents permettaient aux traders connectés d’échanger au moyen de l’envoi de messages instantanés. Par ailleurs, comme les forums de discussions multilatéraux permanents, les forums non permanents permettaient
aux traders connectés de commenter, tout au long d’une journée et en temps réel, les événements qui se produisaient. En réalité, la différence entre ces deux types de forums résidait essentiellement dans le nombre de participants et dans la nécessité ou non d’ouvrir un nouveau forum chaque jour.
361 Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’apprécier les autres justifications avancées par la Commission dans la décision attaquée en réponse à des arguments des banques impliquées pour expliquer une relative baisse dans la fréquence des discussions anticoncurrentielles, l’argumentation de Credit Suisse, tirée de ce que, après le mois de février 2013, il n’a plus été possible de réaliser l’objectif anticoncurrentiel unique défini dans la décision attaquée, ne peut être accueillie.
362 La première branche du deuxième moyen invoqué par Credit Suisse est donc rejetée.
363 En ce que, pour sa part, Crédit agricole remet en cause, d’une manière incidente et éparse, le caractère unique de l’infraction litigieuse, les allégations de cette banque doivent également être rejetées.
364 D’une part, Crédit agricole n’est pas fondée à soutenir, à la fin de son premier moyen et dans la partie introductive de son deuxième moyen, que la qualification d’« infraction unique et continue » serait incorrecte dans l’hypothèse où le Tribunal constaterait que la Commission a qualifié à tort l’un des cinq accords ou pratiques concertées distincts d’infraction « par objet ». En effet, cette argumentation repose sur la prémisse erronée selon laquelle la Commission aurait identifié cinq
infractions distinctes dans la décision attaquée (voir points 70 à 89 ci‑dessus).
365 D’autre part, Crédit agricole n’est pas davantage fondée à suggérer, dans le cadre de la première branche de son deuxième moyen, tirée d’une absence de contribution à un plan d’ensemble, que l’objectif anticoncurrentiel unique identifié par la Commission pour l’infraction unique et continue en cause aurait été défini de manière trop générale, puisque toute banque chercherait à réduire ses pertes. En effet, s’il est vrai que l’objectif anticoncurrentiel unique exposé par la Commission inclut
l’objectif de maximiser les recettes et de réduire les pertes en participant à l’infraction litigieuse, il ressort du point 317 ci‑dessus que cette dernière a également précisé que les banques concernées avaient cherché à réaliser cet objectif en coordonnant leurs conduites quant aux prix et quant à leurs activités de négociation ainsi qu’en échangeant des informations commerciales sensibles relatives aux OSSA négociées sur le marché secondaire. Ainsi, les banques impliquées ont cherché, par une
assistance mutuelle et donc au moyen de pratiques qui ne relevaient pas des conditions de concurrence normales, à maximiser davantage leurs recettes et à atténuer davantage leurs pertes que les banques qui n’étaient pas impliquées dans les comportements en cause.
2) Sur le caractère continu de l’infraction constatée
366 Au considérant 789 de la décision attaquée, sous l’intitulé « Nature continue de l’infraction », la Commission a considéré que les comportements qu’elle avait décrits dans la section 4 de sa décision faisaient partie d’un processus continu suivant un plan commun et que ces comportements ne constituaient pas des événements isolés ou sporadiques. Selon la Commission, les différents éléments de l’infraction, qui poursuivaient le même objectif anticoncurrentiel, avaient été élaborés dans le contexte
de discussions multiples et fréquentes entre les traders des banques concernées.
367 Par la seconde branche de son deuxième moyen, Crédit agricole invoque l’« absence d’infraction continue ». En réponse à une question du Tribunal lors de l’audience, Crédit agricole a indiqué que, dans le cadre des points 3.16 à 3.31 de cette branche, elle contestait le caractère continu de sa participation à l’infraction, mais que les interruptions de sa participation et de celle des autres banques devraient également avoir des conséquences sur le caractère continu de l’infraction litigieuse
dans son ensemble.
368 Par la troisième branche de son deuxième moyen, Credit Suisse soutient que la Commission n’a pas prouvé le caractère continu de l’infraction litigieuse après le mois de février 2013.
369 Il convient d’examiner successivement la troisième branche du deuxième moyen invoqué par Credit Suisse et la seconde branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole en ce que cette seconde branche vise à démontrer l’absence de caractère continu de l’infraction litigieuse.
i) Sur la troisième branche du deuxième moyen de Credit Suisse, tirée d’une absence de preuve du caractère continu de l’infraction litigieuse après le mois de février 2013
370 Par la troisième branche de son deuxième moyen, Credit Suisse soutient que la Commission n’a pas démontré que l’infraction litigieuse était continue après le mois de février 2013, moment à partir duquel cette infraction aurait connu une modification significative.
371 À titre liminaire, Credit Suisse soutient que, en l’espèce, le canal de communication existant entre les traders en cause n’était pas clandestin et que les échanges étaient parfaitement répertoriés, de sorte que l’absence de preuves de communication pour une période donnée constitue une preuve effective de l’interruption du comportement pendant cette période. Ainsi, la Commission tenterait, à tort, de soutenir que la faiblesse de sa démonstration serait due à des éléments de preuve fragmentaires
et incomplets.
372 Selon Credit Suisse, compte tenu de la dynamique du marché en cause et de la chronologie des faits postérieurs au mois de février 2013, la Commission aurait dû apporter des éléments de preuve se rapportant à des faits suffisamment rapprochés dans le temps. Or, après le mois de février 2013, il y aurait eu de nombreux écarts de longue durée, en ce compris des écarts variant entre 49 et 82 jours. En tenant compte des discussions bilatérales entre traders autres que celui de Credit Suisse, il y
aurait eu dix périodes d’inactivité de 28 jours ou plus.
373 Dans ce contexte, tout d’abord, Credit Suisse soutient que le fait que les comportements adoptés par les banques en cause poursuivaient un objectif commun ne suffit pas à démontrer une infraction continue en présence de preuves ou d’indices révélant une interruption de cette infraction. Ces arguments permettraient tout au plus de soutenir l’existence d’une infraction unique et « répétée ». De même, la Commission aurait simplement procédé à des déductions fondées sur un faisceau de preuves pris
dans son ensemble, ce qui ne démontrerait pas, à suffisance de droit, une infraction continue.
374 Ensuite, Credit Suisse souligne que la Commission n’a pas expliqué comment les écarts mentionnés au point 372 ci-dessus pourraient être reliés alors que les informations échangées devenaient rapidement obsolètes et que cette institution a tenté de prolonger les effets de quelques discussions sporadiques, identifiés après le mois de février 2013.
375 Enfin, selon Credit Suisse, les circonstances de l’affaire et le fonctionnement du marché auraient, en réalité, nécessité des « mesures positives » et des discussions se produisant avec une certaine régularité et dans des intervalles de temps relativement rapprochés. La Commission ne serait pas parvenue à réfuter cet argument.
376 À cet égard, à titre liminaire, il convient de rejeter l’argument de Credit Suisse selon lequel le canal de communication existant entre les traders des banques concernées n’était pas clandestin et que les échanges sont parfaitement répertoriés de sorte que l’absence de preuve de communication pour une période donnée constitue une preuve effective de l’interruption du comportement pendant cette période.
377 D’une part, cet argument est contredit par certaines explications qui figurent dans la décision attaquée. En effet, au considérant 777 de cette décision, la Commission a indiqué que, à la suite de l’interdiction de l’utilisation des forums de discussions multilatéraux permanents par Deutsche Bank, il était normal que les éléments de preuve des discussions bilatérales aient été plus épars une fois que les traders ont su qu’ils devaient cesser d’utiliser les forums de discussions multilatéraux et
donc qu’ils avaient besoin de « dissimuler leurs discussions vis-à-vis du contrôle interne de conformité ». Par ailleurs, aux considérants 82 et 778 de cette même décision, la Commission a expliqué que, durant l’enquête, elle avait été informée du fait que les enregistrements audio des conversations téléphoniques du trader de BofA pour la période comprise entre le 29 novembre 2014 et le 3 septembre 2015 avaient été supprimés et que la seule information dont elle disposait, à savoir un répertoire
des appels sortants, démontrait que, entre les mois de novembre 2014 et de mars 2015, quatorze appels avaient eu lieu entre le trader de BofA et le trader de Crédit agricole. La Commission a ajouté qu’un seul de ces appels était répertorié dans le système de Crédit agricole, à savoir un appel du 10 décembre 2014.
378 D’autre part, l’absence de manifestation de l’infraction litigieuse pendant une période donnée ne peut pas être interprétée automatiquement comme une interruption de cette infraction au cours de cette même période.
379 En effet, même si les manifestations de l’entente sont séparées par des laps de temps plus ou moins longs, la Commission peut, dans le cadre de l’appréciation du caractère continu d’une infraction s’étendant sur plusieurs années, considérer que cette infraction ne s’est pas interrompue, d’une part, lorsque les différentes actions qui font partie de ladite infraction poursuivent une seule finalité et sont susceptibles de s’inscrire dans le cadre d’une infraction à caractère unique et, d’autre
part, lorsqu’aucun indice ou élément de preuve ne démontre que l’infraction ne s’est pas poursuivie pendant ces périodes (voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 2021, Pometon/Commission, C‑440/19 P, EU:C:2021:214, points 112 et 114, et du 17 mai 2013, Trelleborg Industrie et Trelleborg/Commission, T‑147/09 et T‑148/09, EU:T:2013:259, points 61 et 63).
380 Le principe de sécurité juridique impose toutefois que la Commission invoque, au moins, des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps, de façon qu’il puisse être raisonnablement admis que cette infraction s’est poursuivie de façon ininterrompue entre deux dates précises [voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2021, Nichicon Corporation/Commission, T‑342/18, EU:T:2021:635, point 365 (non publié) et jurisprudence citée].
381 Si la période séparant deux manifestations d’un comportement infractionnel est un critère pertinent afin d’établir le caractère continu d’une infraction, il n’en demeure pas moins que la question de savoir si ladite période est ou non suffisamment longue pour constituer une interruption de l’infraction ne saurait être examinée dans l’abstrait. Au contraire, il convient de l’apprécier dans le contexte du fonctionnement de l’entente en question [voir arrêt du 29 septembre 2021, Nichicon
Corporation/Commission, T‑342/18, EU:T:2021:635, point 366 (non publié) et jurisprudence citée].
382 En l’espèce, en premier lieu, il ressort des points 317 à 362 ci-dessus que, au cours de l’ensemble de la période infractionnelle, les comportements des participants s’inscrivaient dans le cadre d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique.
383 Il en découle que la Commission pouvait considérer que l’infraction litigieuse avait été continue sur l’entièreté de la période infractionnelle retenue dans la décision attaquée, sauf s’il devait être constaté une interruption de ladite infraction (voir points 379 à 381 ci‑dessus).
384 En deuxième lieu, l’objectif anticoncurrentiel poursuivi visait à maximiser les revenus des banques concernées tout en limitant leurs pertes qui pouvaient survenir en raison de l’incertitude afférente à la manière dont les autres traders se comporteraient. Les comportements mis en œuvre portaient sur diverses OSSA et ne consistaient pas uniquement en une coordination sur les prix ou en des échanges d’informations sur les prix. En effet, ces comportements concernaient, plus largement, les
activités de négociation des banques concernées.
385 Ainsi que cela ressort des points 323 et 357 ci‑dessus, la poursuite de l’objectif anticoncurrentiel unique constaté dans la décision attaquée ne dépendait pas, contrairement à ce que suggère Credit Suisse, de l’organisation de discussions quotidiennes. En effet, les discussions entre les traders concernés visaient à identifier et à exploiter des opportunités de se coordonner ou à s’échanger des informations commerciales sensibles.
386 Par ailleurs, et compte tenu de ce qui précède, une participation très fréquente à des contacts collusoires n’était pas nécessaire au fonctionnement de l’infraction litigieuse, étant donné que les négociations d’OSSA étaient indépendantes. En effet, le succès éventuel d’un contact collusoire donné ne dépendait pas d’une participation à une série de contacts relatifs à d’autres négociations.
387 Enfin, les discussions intervenues après le mois de février 2013 ont impliqué les mêmes traders que ceux qui étaient à l’origine de la mise en place de forums de discussions multilatéraux permanents en 2010. Ces traders se rencontraient fréquemment lors d’événements sociaux et formaient un groupe très soudé bien connu parmi les traders de la place financière (City) à Londres.
388 En troisième lieu, la Commission s’est fondée sur des éléments de preuve qui se rapportent à des faits suffisamment rapprochés dans le temps et les écarts invoqués par Credit Suisse entre deux manifestations de l’infraction ou entre deux discussions, dont la Commission est en mesure de rapporter la preuve, ne permettent pas de considérer que ladite infraction aurait été interrompue au cours de la période postérieure au mois de février 2013.
389 À cet égard, premièrement, il y a lieu de souligner que Credit Suisse n’invoque pas une interruption de l’infraction avant le mois de février 2013 bien que plusieurs écarts de plus d’un mois entre certaines discussions puissent être constatés avant cette date et, plus précisément, en 2012.
390 Deuxièmement, au considérant 534 de la décision attaquée, la Commission a mentionné plusieurs documents dont il ressort que, au cours des années 2014 et 2015, les traders ont perçu le marché des OSSA comme devenant de plus en plus difficile et moins lucratif (« no money in SSA anymore », « no flows in SSA », « no money in SSA », « SSA is dead »). Ce phénomène expliquait que les traders en question négociaient de plus en plus d’autres instruments financiers pour compenser la réduction de
l’activité sur ce marché. Cette réduction de l’activité, indépendante de la volonté des participants à l’infraction unique, a contribué à la diminution des opportunités de se coordonner ou de s’échanger des informations commerciales sensibles.
391 Troisièmement, il ressort d’un examen, d’une part, des discussions qui ont précédé les écarts invoqués par Credit Suisse et, d’autre part, des discussions qui ont suivi lesdits écarts, que ces discussions ne contiennent aucun élément de nature à démontrer que les traders des banques concernées auraient, dans un premier temps, manifesté une volonté de mettre fin à l’infraction unique et, dans un second temps, une volonté de la mettre en œuvre à nouveau. Au contraire, le ton employé par les
traders est particulièrement libre et les discussions sont spontanées. En particulier, les discussions anticoncurrentielles qui succèdent aux écarts invoqués par Credit Suisse ne comportent aucun propos introductif qui témoignerait de la nécessité de rétablir un contact, voire une confiance, qui aurait été préalablement rompu entre les participants. Ces discussions établissent ainsi une volonté persistante et constante, de la part des traders participants, d’adopter des comportements qui
contribuaient au plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, tel qu’il a été défini par la Commission dans la décision attaquée.
392 Plus précisément, s’agissant de l’écart de 64 jours qui sépare, d’une part, la discussion du 21 mars 2013 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Deutsche Bank et, d’autre part, la discussion du 24 mai 2013 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse, il convient de relever que, si les obligations concernées par ces discussions étaient différentes, la teneur des discussions était la même. En effet, les traders en cause ont échangé des informations commerciales
sensibles sur des activités de négociation en cours ou qui venaient d’avoir lieu et notamment sur leurs prix et leurs clients (voir points 217 à 227 et 228 à 232 ci‑dessus). Par ailleurs, les propos tenus lors de ces discussions sont particulièrement libres et le comportement des traders est naturel. Ces discussions ne mentionnent aucun élément qui suggérerait que la volonté des traders de mettre en œuvre l’infraction aurait cessé entre ces deux manifestations de celle-ci.
393 S’agissant de l’écart de 60 jours qui sépare les deux discussions du 11 octobre 2013 et du 10 décembre 2013 entre le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank, il y a lieu de relever que ces deux discussions portaient sur des obligations différentes, mais que la teneur desdites discussions était semblable. Lors de la première de ces discussions, le trader de Credit Suisse a retiré un ordre de vente de la plateforme d’un courtier (« killed it ») après que le trader de Deutsche Bank a
suggéré ce retrait en raison de sa position longue (« i am long bro…if ok to scarp it that would be better »). Lors de la seconde de ces discussions, c’est le trader de Deutsche Bank qui a suggéré de retirer son offre d’achat (« ah sorry bro…will kill it ») après avoir appris la position courte du trader de Credit Suisse (« i’m small short »). Le fait que le trader de Deutsche Bank a finalement renoncé à retirer son offre après avoir recueilli l’opinion du trader de Credit Suisse ne remet pas en
cause l’appréciation selon laquelle lesdites discussions témoignent d’une continuité dans leur teneur et d’une forme de réciprocité s’inscrivant dans la durée s’agissant du retrait et d’une proposition de retrait d’une offre qui pourrait nuire à un autre participant à l’entente. Par ailleurs, ces discussions ne mentionnent aucun élément suggérant que la volonté des traders de mettre en œuvre l’infraction aurait cessé entre ces deux manifestations de l’infraction. La première de ces discussions,
à savoir celle du 11 octobre 2013, lors de laquelle les traders des trois banques impliquées étaient présents, montre d’ailleurs une volonté de programmer une rencontre à caractère social au cours d’un voyage d’affaires à New York (États-Unis d’Amérique) la semaine suivante.
394 S’agissant de l’écart de 55 jours qui sépare les deux discussions du 10 décembre 2013 et du 3 février 2014 entre le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank, il y a lieu de relever que ces deux discussions portaient sur des obligations différentes, mais que la teneur desdites discussions était semblable. Lors de la première de ces discussions, le trader de Deutsche Bank a suggéré de retirer son offre après avoir appris la position courte du trader de Credit Suisse (voir point 393
ci‑dessus). Lors de la seconde de ces discussions, le trader de Deutsche Bank s’est abstenu de saisir une offre soumise par Credit Suisse sur la plateforme d’un courtier et donc de lui vendre une obligation après un échange entre les deux traders. Les deux discussions sont directes et spontanées et ne mentionnent aucun élément suggérant que la volonté des deux traders de contribuer à l’infraction litigieuse aurait cessé entre ces deux manifestations de l’infraction.
395 S’agissant de l’écart de 82 jours qui sépare, d’une part, une discussion du 1er mai 2014 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse et, d’autre part, une discussion du 22 juillet 2014 entre le trader de Credit Suisse et le trader de BofA, il y a lieu de souligner que, lors de la première de ces discussions, le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse ont discuté du prix d’une obligation particulière (KFW 5 1/8 03/16). En effet, le trader de Crédit agricole a
demandé « where u ma[rk]ing that sh1t [?] ». Le trader de Credit Suisse a expliqué « got them marked +2 on the bid (2/-2) », ce à quoi le trader de Crédit agricole a répondu « perfect ». Cet échange a ainsi permis au trader de Crédit agricole de vérifier ses prix auprès du trader de Credit Suisse. Lors de la seconde de ces discussions, le trader de BofA, qui avait participé précédemment aux discussions avec les autres traders lorsqu’il travaillait pour Deutsche Bank, a proposé au trader de
Credit Suisse de retirer son offre pour une autre obligation. Le trader de BofA a également mentionné sa position de négociation (« sorry I didn’t realised kbn 19 in tullets was you… i went better bid… can kill it if you wanty… we are short 10mm… »).
396 Durant cet écart de 82 jours, cet ancien trader de Deutsche Bank, était en congé depuis le 1er avril, dans l’attente de quitter cette banque au mois de juin 2014 et de rejoindre BofA. Cet événement n’a pas eu pour conséquence d’interrompre l’infraction, puisque, le 1er mai 2014, le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse ont discuté du prix d’une obligation (voir point 395 ci‑dessus). En revanche, le congé du trader de Deutsche Bank, préalable à son changement d’employeur, a
contribué à une réduction temporaire des opportunités de coordination ou d’échanges d’informations commerciales sensibles entre les trois traders principalement impliqués.
397 L’ancien trader de Deutsche Bank a ensuite pris ses fonctions chez BofA le 16 juillet 2014. Le fait que ledit trader a, six jours plus tard, à savoir le 22 juillet 2014, tenu une discussion bilatérale avec le trader de Credit Suisse afin de proposer de retirer une offre (« can kill it if you wanty ») et d’exposer sa position de négociation (« we are short 10 mm ») démontre une volonté ininterrompue d’adopter des comportements relevant du plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel
unique défini par la Commission. Cette volonté continue est également illustrée par le ton direct employé par les deux participants et par la spontanéité de l’échange.
398 S’agissant de l’écart de 67 jours invoqué par Credit Suisse entre une prétendue discussion du 24 août 2014 et une discussion du 29 octobre 2014, il convient de souligner que l’argument qu’essaie d’en tirer Credit Suisse n’est pas fondé dans la mesure où aucune discussion bilatérale n’a été identifiée le 24 août 2014. La discussion visée par Credit Suisse date en réalité du 24 septembre 2014 et l’écart invoqué est donc de 37 jours. En tout état de cause, ces discussions ne témoignent d’aucune
interruption de l’infraction et, au contraire, montrent que, à ces deux occasions, le trader de Crédit agricole et le trader de BofA ont continué à échanger des informations sur leur stratégie tarifaire et ont ainsi manifesté leur volonté persistante et constante de s’inscrire dans le cadre de l’infraction unique retenue par la Commission dans la décision attaquée.
399 S’agissant de l’écart de 70 jours qui sépare, d’une part, une discussion du 29 octobre 2014 entre le trader de Crédit agricole et le trader de BofA et, d’autre part, une discussion du 7 janvier 2015 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse, rien dans le contenu de la première de ces discussions ne suggère une volonté des participants d’interrompre l’infraction litigieuse tandis que rien dans le contenu de la seconde de ces discussions ne témoigne d’une volonté de mettre
en œuvre à nouveau une infraction qui aurait été interrompue. Ces deux discussions montrent un échange d’informations sur les prix. Ces discussions illustrent donc une volonté commune et persistante de continuer à mettre en œuvre le plan d’ensemble défini par la Commission dans la décision attaquée.
400 Enfin, s’agissant de l’écart de 45 jours qui sépare, d’une part, une discussion du 27 janvier 2015 entre le trader de BofA et le trader de Crédit agricole et, d’autre part, une discussion du 12 mars 2015 entre le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse, il importe de relever que le contenu de la discussion du 27 janvier 2015 témoigne d’un échange sur les prix d’une obligation spécifique. Lors de cette discusion, le trader de BofA a demandé à son interlocuteur comment il évaluait
ladite obligation et le trader de Crédit agricole y a répondu. Cette discussion ne contient aucune indication tendant à montrer que les traders de BofA et de Crédit agricole ont envisagé de mettre fin à leur comportement respectif à l’avenir.
401 À cet égard, le fait que la discussion du 27 janvier 2015 soit la dernière discussion anticoncurrentielle retenue à l’encontre de BofA et qu’elle marque la fin de la participation de cette banque à l’infraction litigieuse ne peut pas être interprétée comme une interruption de l’infraction unique mise en œuvre par les deux autres traders participants, à savoir le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse. C’est ainsi que le contenu de la discussion du 12 mars 2015 entre le trader de
Crédit agricole et le trader de Credit Suisse témoigne d’un échange d’informations très précises et actuelles sur une offre proposée à un client, mais également une coordination des prix et des activités de négociation des traders (voir points 257 à 267, puis 296 à 300 ci‑dessus). Cet échange d’informations et cette coordination ne sont précédés d’aucun propos introductif qui suggérerait que l’infraction unique aurait auparavant été interrompue. Au contraire, l’échange d’informations et la
coordination sont intervenus quelques secondes après l’entrée des participants dans le forum de discussions non permanent.
402 Les appréciations qui figurent au point 391 ci-dessus s’appliquent également aux autres écarts qui ont été identifiés par Credit Suisse et qui séparent les autres discussions intervenues postérieurement au mois de février 2013.
403 Il ressort de ce qui précède que le contexte du fonctionnement de l’entente constatée, qui a duré environ cinq ans et deux mois, entre le 19 janvier 2010 et le 24 mars 2015, permet de soutenir la conclusion selon laquelle l’infraction unique était continue malgré les écarts invoqués par Credit Suisse.
404 En effet, d’une part, les traders des banques concernées poursuivaient l’objectif anticoncurrentiel constaté par la Commission dans la décision attaquée en échangeant librement des informations sur leurs activités de négociation en cours. Ces échanges prenaient la forme d’une description continue et en temps réel des événements pendant qu’ils se produisaient, ce qui leur permettait d’identifier et d’exploiter des opportunités de se coordonner et d’échanger des informations commerciales sensibles
lorsque l’occasion se présentait et, notamment, lorsque ces traders participants manifestaient un intérêt commun pour une ou plusieurs OSSA spécifiques. C’est ainsi que lesdits traders cherchaient à atteindre ledit objectif anticoncurrentiel dans le cadre d’échanges anticoncurrentiels relatifs à des négociations données et indépendantes l’une de l’autre, voire dans le cadre d’échanges anticoncurrentiels relatifs à des informations pertinentes pour des périodes données. Il n’était donc pas
nécessaire d’avoir des discussions permanentes ou quotidiennes pour poursuivre l’objectif anticoncurrentiel en cause.
405 D’autre part, plusieurs événements intervenus à partir du mois de février 2013 auraient pu affecter la volonté de l’ensemble des traders participants d’adhérer au plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, à savoir, premièrement, l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents dans un contexte de supervision accrue dans le secteur des banques d’investissement, deuxièmement, le congé de plusieurs mois du
trader de Deutsche Bank préalable à son entrée en fonction au sein de BofA, ou encore, troisièmement, la baisse d’activité sur le marché des OSSA.
406 Cependant, malgré ces événements, les discussions identifiées par la Commission ne font apparaître aucune remise en cause de l’entente et, notamment, aucune interrogation de la part des traders participants en ce qui concerne leur volonté de continuer à adopter leurs comportements anticoncurrentiels. En effet, les traders des banques concernées ont poursuivi, certes d’une manière moins fréquente, mais récurrente, leurs discussions à caractère anticoncurrentiel relatives à des négociations
données et indépendantes les unes des autres.
407 La réaction de ces traders s’explique par le fait que l’objectif anticoncurrentiel qu’ils poursuivaient était fondé sur leur compréhension commune qu’ils s’apportaient une aide réciproque afin d’en tirer un bénéfice mutuel dans la durée. Ainsi, sur cette base, un trader pouvait s’abstenir d’agir dans le cadre d’une transaction spécifique ou partager une transaction avec un autre trader et donc renoncer à un bénéfice immédiat. Un trader pouvait également échanger des informations avec les autres
traders, à savoir ses concurrents, et ainsi renoncer à tirer seul et immédiatement profit desdites informations. En effet, un trader renonçait à agir, partageait une transaction ou échangeait des informations commerciales sensibles au motif qu’il s’attendait à ce que les autres traders se comportent de la même manière à l’avenir. Dans le contexte du fonctionnement de l’entente en cause, les comportements constatés par la Commission et, plus généralement, le plan d’ensemble dans le cadre duquel
s’inscrivaient ces comportements, étaient donc fondés sur des attentes réciproques qui étaient alimentées par chaque discussion anticoncurrentielle et dont le but était d’en tirer un avantage durable à l’égard des clients et des traders concurrents et, finalement, de maximiser les revenus des traders participants tout en limitant leurs pertes (voir, en ce sens, considérants 643, 744, 746, 781 et 810 de la décision attaquée).
408 Dans ces conditions, la brièveté des délais dans lesquels les informations échangées devenaient obsolètes, invoquée par Credit Suisse, n’imposait pas à la Commission d’expliquer comment les écarts constatés entre deux manifestations de l’infraction avaient été comblés. Par ailleurs, cette brièveté n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction unique en cause présentait un caractère continu.
409 Compte tenu de ce qui précède, les arguments de Credit Suisse tirés, en substance, de ce que la Commission n’a pas rapporté la preuve de faits suffisamment rapprochés dans le temps pour conclure à l’existence d’une infraction continue ne peuvent prospérer.
410 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795), invoqué par Credit Suisse.
411 En effet, tout d’abord, il convient de souligner que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795), le Tribunal a apprécié le caractère continu de la participation d’une entreprise en particulier et non le caractère continu de l’infraction dans son ensemble.
412 Ensuite, l’objet de l’entente et son fonctionnement étaient différents de ceux de l’infraction litigieuse. En effet, dans l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795), le Tribunal a pris en compte, au titre du contexte du fonctionnement des infractions en cause, le caractère quotidien de la fixation des taux du JPY LIBOR, à savoir un ensemble de taux d’intérêt de référence qui était utilisé pour de nombreux produits financiers libellés en yens japonais. C’est dans
ce contexte qu’il a considéré que la Commission devait mettre en exergue des mesures positives adoptées sur une base, sinon quotidienne, du moins suffisamment limitée dans le temps.
413 Par comparaison, en l’espèce, compte tenu du contexte du fonctionnement de l’entente et, plus précisément, compte tenu du fait que cette entente reposait sur une collaboration récurrente au sujet d’OSSA spécifiques, il n’était pas nécessaire que la Commission mette en exergue des « mesures positives » adoptées par les participants à l’entente d’une manière aussi fréquente que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795).
414 En tout état de cause, il convient de noter que la situation des participants à l’infraction litigieuse ne saurait être comparée à celle d’Icap dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, EU:T:2017:795). En effet, Icap avait joué un rôle de « facilitateur » d’une entente entre des banques et son activité économique n’était pas la même que celle desdites banques. En particulier, le Tribunal a relevé que la Commission s’était fondée sur la mise en
œuvre, par Icap, d’infractions décidées à chaque fois entre deux banques et que le fonctionnement de l’entente rendait plus difficile la démonstration, par la Commission, de ce qu’Icap aurait raisonnablement dû déduire que les demandes qu’une banque lui adressait s’inscrivaient dans le cadre d’une collusion avec une autre banque. En l’espèce, la Commission a constaté que les banques impliquées avaient directement participé, à tout le moins, à certains aspects de l’infraction unique constatée.
415 De la même manière, compte tenu des différences qui caractérisent le contexte du fonctionnement de l’infraction litigieuse et le contexte du fonctionnement de l’entente qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 novembre 2019, Campine et Campine Recycling/Commission (T‑240/17, non publié, EU:T:2019:778), notamment en ce qui concerne le produit concerné et l’importance du facteur prix, les appréciations portées par le Tribunal dans ce dernier arrêt ne peuvent pas être
transposées en l’espèce.
416 Enfin, en ce que Credit Suisse invoque l’arrêt du 14 janvier 2021, Kilpailu- ja kuluttajavirasto (C‑450/19, EU:C:2021:10), ainsi que les conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Kilpailu- ja kuluttajavirasto (C‑450/19, EU:C:2020:698), il y a lieu de souligner que ledit arrêt visait à déterminer la date de fin d’une infraction unique et continue afin de permettre à la juridiction nationale saisie au principal de fixer le point de départ du délai de prescription. L’affaire ayant
donné lieu à ce même arrêt ne concernait donc pas l’identification d’une éventuelle interruption provisoire d’une infraction unique et l’appréciation du caractère continu de ladite infraction. Par ailleurs, il ne ressort pas de la jurisprudence mentionnée aux points 379 à 381 ci‑dessus, qui fait notamment référence au contexte du fonctionnement de l’entente, que l’intérêt juridique protégé devrait, comme le soutient Credit Suisse sur la base de l’arrêt du 14 janvier 2021, Kilpailu- ja
kuluttajavirasto (C‑450/19, EU:C:2021:10), être pris en considération pour apprécier l’existence d’une interruption provisoire d’une infraction unique.
417 La troisième branche du deuxième moyen invoqué par Credit Suisse est donc rejetée.
ii) Sur la seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole, en ce qu’elle vise à démontrer l’absence de caractère continu de l’infraction constatée
418 Crédit agricole soutient que la Commission n’a pas adéquatement tenu compte de l’évolution dans la nature et la fréquence des discussions vers la fin de l’année 2013 et le début de l’année 2014. La Commission aurait tenté de l’expliquer en évoquant la diminution de rentabilité du marché des OSSA et le remplacement des forums de discussions multilatéraux permanents par des discussions bilatérales, ce qui expliquerait pourquoi il y avait moins d’éléments de preuve disponibles. Pourtant, selon
Crédit agricole, ce remplacement aurait vraisemblablement dû donner lieu à davantage d’éléments de preuve, étant donné qu’un seul forum de discussions multilatéral aurait été remplacé par plusieurs forums de discussions bilatéraux. De plus, les banques concernées, autres que le demandeur d’immunité en l’espèce, auraient également fourni des preuves documentaires contemporaines, de sorte que la baisse du volume de preuves refléterait simplement une réduction nette du nombre de discussions à
partir du mois d’octobre 2013. Cette réduction résulterait notamment d’une longue période d’absence du trader de Deutsche Bank, après laquelle il y aurait eu un unique cas de « coordination », le 12 mars 2015, lequel cas constituerait par ailleurs une mauvaise interprétation par la Commission d’un échange impliquant Credit Suisse.
419 À titre liminaire, il convient, pour les motifs exposés aux points 376 à 381 ci‑dessus, de rejeter l’argument de Crédit agricole tiré de ce que les écarts entre les discussions anticoncurrentielles constituent des périodes au cours desquelles le comportement en cause n’a pas eu lieu.
420 Premièrement, s’agissant du caractère continu de l’infraction, il y a lieu de relever que, à l’exception éventuelle des arguments rejetés aux points 363 et 364 ci‑dessus, Crédit agricole n’a pas contesté les constatations de la Commission relatives à l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique.
421 De plus, Crédit agricole a certes relevé que les discussions anticoncurrentielles auraient été encore moins fréquentes après le mois d’octobre 2013 notamment au motif que l’utilisation des forums de discussions multilatéraux permanents avait été interdite par Deutsche Bank. Toutefois, Crédit agricole ne fait pas valoir que cette circonstance aurait justifié de remettre en cause le plan d’ensemble en cause ou les éléments objectifs étayant l’existence de ce plan.
422 En tout état de cause, le mécanisme et le schéma communs aux discussions anticoncurrentielles relevant de l’infraction litigieuse n’ont pas été remis en cause par cette interdiction et par le passage à un réseau de discussions bilatérales (voir points 357 à 360 ci‑dessus).
423 Plus généralement, la Commission n’a pas commis d’erreurs relatives à l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique jusqu’en mars 2015 et l’identification de cinq catégories de comportements n’est pas susceptible de remettre en cause l’existence de ce plan d’ensemble (voir points 70 à 89 et 364 ci‑dessus).
424 Il en découle que la Commission pouvait considérer que l’infraction litigieuse avait été continue sur l’entièreté de la période infractionnelle retenue dans la décision attaquée, sauf s’il devait être constaté une interruption de ladite infraction (voir points 379 à 381 ci‑dessus).
425 Deuxièmement, s’agissant des autres éléments débattus entre les parties, il y a lieu de relever que, si Crédit agricole a évoqué le motif de la Commission tiré de la baisse de la rentabilité du marché des OSSA, exposé en particulier au considérant 534 de la décision attaquée, pour en contester la pertinence, cette banque n’a pas contesté la réalité de cette circonstance. De plus, si Crédit agricole évoque la participation réduite du trader de Deutsche Bank pendant une certaine période, elle ne
conteste pas que cela ait résulté de son « garden leave », à savoir de la période pendant laquelle, avant de rejoindre BofA, ce trader était encore employé par Deutsche Bank, mais ne travaillait pas. Crédit agricole n’a pas non plus contesté que ledit trader a recommencé à participer à des discussions anticoncurrentielles peu après avoir rejoint BofA (voir points 396 et 397 ci‑dessus ainsi que considérants 534, 557 et 558 de la décision attaquée).
426 Eu égard à ce qui précède et en l’absence d’éléments de preuve ou d’indices allant en sens contraire, s’il est possible que l’infraction litigieuse ait eu une intensité moindre, les éléments avancés par Crédit agricole ne sont pas de nature à affecter le caractère continu de cette infraction, et donc ne permettent pas de conclure à l’existence d’une interruption dans la réalisation de l’infraction litigieuse.
427 Cela n’est pas remis en cause par les considérations figurant dans la décision attaquée et relatives à des « communications constantes » (considérants 95, 96 et 761). En effet, d’une part, il n’est pas contesté que les traders des banques concernées étaient relativement proches, sur un plan personnel, et qu’ils conversaient fréquemment, indépendamment de la nature anticoncurrentielle ou non de ces discussions. D’autre part, Crédit agricole ne conteste pas que, à tout le moins durant certaines
périodes antérieures au mois d’octobre 2013, les discussions anticoncurrentielles avaient été fréquentes.
428 Troisièmement, les autres arguments avancés par Crédit agricole ne sont pas susceptibles de remettre en cause le caractère continu de l’infraction unique constatée par la Commission.
429 En effet, d’une part, le reste de l’argumentation développée par Crédit agricole est fondé sur sa situation personnelle. Plus précisément, le reste de l’argumentation de cette banque est fondé sur la longueur des périodes qui séparent les discussions auxquelles elle a participé et que la Commission a considéré comme anticoncurrentielles ou que Crédit agricole reconnaît, pour les besoins propres à cette branche de son argumentation, être anticoncurrentielles.
430 Ainsi, l’argumentation développée par Crédit agricole fait abstraction, dans une très large mesure, des discussions qui, selon la Commission, relèvent de l’infraction unique et qui impliquaient les traders des deux autres banques concernées. En particulier, les écarts invoqués par Crédit agricole entre deux manifestations de l’infraction ne tiennent pas compte du comportement des autres participants.
431 D’autre part, Crédit agricole n’a pas démontré que l’absence de sa participation à l’infraction unique au cours de certaines périodes est susceptible de remettre en cause le caractère continu de ladite infraction dans son ensemble.
432 Dès lors, l’argumentation de Crédit agricole, en ce qu’elle est fondée sur la longueur des périodes qui séparent les seules discussions auxquelles elle a participé, n’est pas susceptible de remettre en cause la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction unique identifiée dans la décision attaquée présentait un caractère continu. En revanche, cette même argumentation est susceptible de démontrer une interruption de la « participation » de Crédit agricole à cette infraction unique et
c’est donc dans ce cadre que ladite argumentation sera ultérieurement examinée.
433 La seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole est donc rejetée en ce qu’elle vise à démontrer l’absence de caractère continu de l’infraction unique constatée par la Commission.
d) Sur la participation de Crédit agricole et de Credit Suisse à l’infraction unique et continue constatée
434 Il convient de rappeler que le constat de l’existence d’une infraction unique et continue est distinct de la question de savoir si la responsabilité pour cette infraction dans sa globalité est imputable à une entreprise. Par ailleurs, l’imputabilité à une entreprise de la responsabilité pour l’infraction unique et continue dans sa globalité doit être appréciée au regard de deux éléments, à savoir, premièrement, la contribution intentionnelle de ladite entreprise aux objectifs communs poursuivis
par l’ensemble des participants et, deuxièmement, sa connaissance des comportements infractionnels envisagés ou mis en œuvre par d’autres entreprises dans la poursuite des mêmes objectifs ou le fait qu’elle avait pu raisonnablement les prévoir et avait été prête à en accepter le risque (voir points 148 à 153 ci‑dessus).
435 Aux considérants 780 à 787 de la décision attaquée, la Commission a exposé les raisons pour lesquelles elle considérait que les banques concernées avaient contribué intentionnellement au plan d’ensemble. En particulier, elle a expliqué qu’il ressortait clairement des éléments de preuve présentés dans la section 4.2 de la décision attaquée, consacrée à la présentation chronologique d’une sélection de plus de 200 discussions intervenues entre le 19 janvier 2010 et le 12 mars 2015, que chacune des
banques concernées avait contribué intentionnellement à la réalisation du plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique au moyen des agissements de leurs employés pendant une ou plusieurs périodes données.
436 Aux considérants 807 à 826 de la décision attaquée, la Commission a exposé les motifs pour lesquels elle considérait que chacune des banques concernées avait connaissance des comportements anticoncurrentiels des autres. S’agissant, en particulier, de la période postérieure au mois de février 2013, à savoir après que Deutsche Bank a interdit à ses traders d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents, la Commission a noté, en substance, que les traders des banques concernées
avaient continué à se tenir au courant en recourant à un réseau de forums bilatéraux, par lesquels, dans le cadre de discussions bilatérales données, deux traders des banques concernées présents communiquaient les informations obtenues du troisième trader qui était absent. Elle a ajouté que lesdites informations avaient concerné les mêmes types d’éléments que ceux échangés au cours des discussions dans les forums de discussions multilatéraux.
437 La première branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole est tirée, formellement, d’une absence de contribution de sa part à un plan d’ensemble.
438 Pour sa part, Credit Suisse soutient, dans le cadre de la deuxième branche de son deuxième moyen, que la Commission n’établit pas sa participation directe aux discussions bilatérales entre les autres banques après le mois de février 2013, ni qu’elle en avait connaissance ou aurait pu raisonnablement les prévoir.
1) Sur la première branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole, tirée formellement d’une absence de contribution de sa part à un plan d’ensemble
439 La première branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole est tirée, formellement, d’une absence de contribution de sa part à un plan d’ensemble. Cependant, dans le cadre de cette branche, elle invoque également son ignorance de certains comportements mis en œuvre par les autres banques concernées.
440 Il convient d’examiner les arguments de Crédit agricole en distinguant, d’une part, sa contribution intentionnelle à un plan d’ensemble et, d’autre part, sa connaissance de l’ensemble des comportements mis en œuvre ou envisagés par les autres banques concernées.
i) Sur la contribution intentionnelle de Crédit agricole à un plan d’ensemble
441 Premièrement, Crédit agricole conteste avoir eu l’intention de contribuer à un plan d’ensemble poursuivant un objectif commun, en ce qu’elle n’aurait pas cherché à maximiser ses recettes, mais plutôt à établir une réputation sur le marché secondaire des OSSA.
442 Deuxièmement, Crédit agricole soutient que, dans la mesure où elle n’a pas participé à certaines catégories de comportements, constitutives de l’infraction unique et continue en cause, la Commission aurait été tenue de démontrer qu’elle avait eu connaissance ou devait avoir eu connaissance que sa participation aux autres catégories s’inscrivait dans un plan plus vaste. Selon Crédit agricole, les discussions retenues à son égard par la Commission démontrent, en réalité, des tentatives légitimes
visant à trouver des liquidités, à rechercher des prix et à effectuer des transactions. Sur ce point, Crédit agricole renvoie aux arguments qu’elle a invoqués dans son premier moyen. Crédit agricole ajoute que, même en acceptant la qualification de « discussion de coordination », la Commission n’a pas démontré qu’elle a participé à la première catégorie de coordination, à savoir la coordination des prix proposés à des clients spécifiques.
443 À cet égard, en premier lieu, il convient de noter que Crédit agricole n’a pas expliqué en quoi consistait son objectif visant à établir sa « réputation » sur le marché secondaire des OSSA, ni en quoi cet objectif aurait été incompatible avec l’objectif des autres traders des banques concernées de réduire les incertitudes quant aux comportements qu’ils allaient respectivement adopter dans des négociations données, au moyen de coordinations et d’échanges d’informations (considérant 757 de la
décision attaquée).
444 De plus, force est de constater que Crédit agricole n’a pas contesté les constatations effectuées aux considérants 780 et 781 de la décision attaquée et relatives à l’intention des banques concernées de contribuer au plan d’ensemble, en particulier les constatations relatives à la participation active des traders de ces banques aux forums de discussions multilatéraux et bilatéraux. Crédit agricole n’a pas davantage contesté le fait que son trader a rejoint le forum de discussions multilatéral
peu de temps après son arrivée au sein de cette banque, à la suite de la cessation de ses fonctions au sein de BofA (considérant 784 et note en bas de page 891 de la décision attaquée).
445 En deuxième lieu, l’argumentation de Crédit agricole est tout d’abord inopérante en ce qu’elle viserait à contester sa contribution intentionnelle sur la base de la prémisse erronée selon laquelle la Commission aurait constaté cinq infractions distinctes correspondant aux cinq catégories de comportements identifiées par la Commission dans la décision attaquée (voir points 87 et 89 ci‑dessus).
446 Ensuite, la Commission était en droit d’estimer que Crédit agricole avait eu connaissance des discussions du 31 janvier et du 11 octobre 2013 qui se sont déroulées en sa présence et auxquelles elle a donc participé (voir points 133 et 134 ainsi que 196 à 200 ci‑dessus). En revanche, la Commission ne pouvait valablement retenir la discussion du 10 janvier 2013 à l’encontre de cette banque (voir point 145 ci‑dessus).
447 Enfin, il ressort, d’une part, des discussions que Crédit agricole n’est pas recevable à contester et, d’autre part, des discussions que cette banque est recevable à contester et qui sont examinées aux points 188 à 268 ci‑dessus que son trader a contribué à une trentaine de discussions anticoncurrentielles entre le 11 janvier 2013 et le 24 mars 2015 et, notamment, à la discussion du 12 mars 2015 qui établit l’existence d’un comportement relevant de la catégorie 1, à savoir une coordination
relative à des prix communiqués à des contreparties spécifiques.
448 En troisième lieu, la contribution du trader de Crédit agricole à l’objectif anticoncurrentiel poursuivi par l’ensemble des participants présentait un caractère intentionnel. En effet, les comportements anticoncurrentiels auxquels le trader de Crédit agricole a participé ont pris la forme d’une coordination des prix et des activités de négociation. Dans ce cadre, il a apporté une assistance à des traders concurrents ou bénéficié d’une assistance de la part des traders concernés dans l’intérêt
commun de l’ensemble des participants.
449 Par ailleurs, le trader de Crédit agricole a participé à des échanges d’informations anticoncurrentiels. À cet égard, le trader de Crédit agricole était nécessairement conscient du fait que, dans le cadre de transactions commerciales normales, la divulgation, à des traders concurrents, d’informations sur ses prix, sur ses clients ou sur des négociations en cours auraient pu affaiblir sa position. Cependant, en l’espèce, ledit trader avait l’assurance que les informations qu’il communiquait aux
autres traders ne seraient pas utilisées à son détriment et que les échanges d’informations auxquels il participait lui procurerait un avantage et lui permettrait de coordonner ses activités avec les autres traders.
450 Par conséquent, Crédit agricole n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré que le trader de cette banque avait contribué intentionnellement à la réalisation de l’objectif anticoncurrentiel unique poursuivi par l’ensemble des participants et que lesdites discussions couvraient l’ensemble des catégories de comportements identifiées par la Commission.
ii) Sur la connaissance, par Crédit agricole, de l’ensemble des autres comportements mis en œuvre ou envisagés par les autres banques concernées
451 Crédit agricole soutient qu’elle n’a pas pu avoir connaissance des comportements relevant de la catégorie 1. En effet, pour démontrer une connaissance des comportements afférents à cette catégorie, la Commission se serait contentée de présenter des affirmations vagues selon lesquelles les traders des banques concernées se connaissaient et devaient donc avoir connaissance de ces comportements.
452 Par ailleurs, certains passages épars des écritures de Crédit agricole suggèrent qu’elle conteste, plus généralement, sa connaissance des comportements adoptés par les autres banques concernées et le fait qu’elle ait pu raisonnablement les prévoir, notamment après l’abandon de l’utilisation des forums de discussions multilatéraux permanents par les traders de Deutsche Bank au mois de février 2013.
453 À cet égard, en premier lieu, en ce que Crédit agricole fait valoir qu’elle n’aurait pas eu connaissance de l’existence des comportements relevant de la catégorie 1 au motif que ces comportements se distingueraient des autres comportements en cause, il suffit de rappeler que la Commission n’a pas constaté cinq infractions distinctes correspondant à chacune des cinq catégories de comportements identifiées dans la décision attaquée (voir points 70 à 89 ci‑dessus).
454 La Commission n’avait donc pas à établir la connaissance précise, par Crédit agricole, de chacune des cinq catégories de comportements, prises séparément.
455 En tout état de cause, il ressort des points 257 à 268 ci‑dessus que le trader de Crédit agricole a directement participé à la discussion du 12 mars 2015 qui établit l’existence d’un comportement relevant de la catégorie 1, à savoir une coordination relative à des prix communiqués à des contreparties spécifiques.
456 En second lieu, à supposer que, par ses arguments, Crédit agricole ait contesté avoir eu connaissance ou avoir raisonnablement pu prévoir l’ensemble des comportements des autres banques concernées, relevant en particulier de la catégorie 1, il y a lieu de procéder aux constatations qui suivent.
457 Premièrement, dans le cadre de ses fonctions au sein de Crédit agricole, le trader de cette banque a participé directement à des discussions anticoncurrentielles qui ont eu lieu entre deux ou trois traders au sein de forums de discussions multilatéraux permanents les 11, 18, 23 et 31 janvier 2013 ainsi que le 15 février 2013. Ces discussions ont donné lieu à des comportements qui, selon la Commission, entraient dans les catégories 2, 3, 4 et 5. Or, les critiques dirigées par Crédit agricole
contre les appréciations effectuées par la Commission au sujet des discussions des 18 et 31 janvier 2013 ainsi que de la discussion du 15 février 2013 ont été rejetées aux points 188 à 208 ci‑dessus. Par ailleurs, les appréciations de la Commission selon lesquelles Crédit agricole a participé à plusieurs autres discussions anticoncurrentielles doivent être considérées comme définitives dans la mesure où ces discussions n’ont pas été régulièrement contestées par cette banque.
458 Deuxièmement, Crédit agricole ne conteste pas qu’elle avait connaissance du fait que l’abandon de l’utilisation des forums de discussions multilatéraux permanents par les traders de Deutsche Bank résultait d’une interdiction qui leur avait été faite par leur employeur au mois de février 2013.
459 Troisièmement, Crédit agricole a directement participé à des échanges bilatéraux anticoncurrentiels après le mois de février 2013 avec les autres banques concernées. Ces échanges couvraient l’ensemble des comportements identifiés par la Commission et, notamment, des comportements de catégorie 1.
460 En effet, d’une part, le trader de Crédit agricole a participé à des discussions bilatérales anticoncurrentielles avec le trader de Deutsche Bank, puis de BofA le 21 mars, le 3 juin, les 2, 10, 12 et 25 juillet et le 4 septembre 2013, le 6 août, le 24 septembre et le 29 octobre 2014 ainsi que les 7 et 27 janvier 2015.
461 D’autre part, le trader de Crédit agricole a participé à des discussions bilatérales anticoncurrentielles avec le trader de Credit Suisse le 19 mars, le 24 mai, les 9 et 14 août 2013, les 4, 7 et 14 mars, le 1er mai et le 4 août 2014 ainsi que les 12 et 24 mars 2015. Jusqu’au mois d’août 2013, les traders de Crédit agricole et de Credit Suisse ont continué à utiliser le forum multilatéral permanent qui avait été utilisé avant et durant le mois de février 2013 par l’ensemble des banques
concernées. Enfin, le 24 mars 2015, le trader de Crédit agricole a été destinataire d’une liste d’intérêts du trader de Credit Suisse.
462 Quatrièmement, le 11 octobre 2013, le trader de Deutsche Bank a invité le trader de Crédit agricole dans un forum de discussions auquel participaient ce trader de Deutsche Bank et le trader de Credit Suisse. Lors d’un échange au cours duquel le trader de Crédit agricole était présent, le trader de Credit Suisse a retiré une offre de vente (sale order) déposée auprès d’un courtier (broker), après que le trader de Deutsche Bank le lui a suggéré (« i am long bro…if ok to scarp it that would be
better »).
463 Or, ainsi que cela ressort du point 134 ci-dessus, Crédit agricole n’a pas démontré que son trader n’a pas pris connaissance des discussions anticoncurrentielles en cause intervenues le 11 octobre 2013 entre 9 h 18 min 25 s et 9 h 19 min 15 s sur le forum de discussions CHAT-fs :5257AB6D 02E00121, auquel le trader de cette banque était connecté depuis 8 h 44 min 58 s ce même jour.
464 Cinquièmement, d’autres discussions mentionnées par la Commission dans la décision attaquée démontrent que le trader de Crédit agricole avait connaissance de l’existence de discussions entre le trader de Deutsche Bank et le trader de Credit Suisse et du fait que ces discussions portaient notamment sur leurs activités de négociation respectives.
465 En effet, lors d’une discussion du 10 juillet 2013, le trader de Deutsche Bank a informé le trader de Crédit agricole de la situation du trader de Credit Suisse (« [Credit Suisse’s trader] also been hit ») (considérant 501 de la décision attaquée).
466 De même, lors d’une discussion du 22 octobre 2013, mentionnée au considérant 823 de la décision attaquée, le trader de Crédit agricole a demandé au trader de Deutsche Bank s’il avait encore des obligations « ifc 18 » (« u got any ifc 18 left »). Le trader de Deutsche Bank a répondu par la négative et précisé qu’il avait vendu la dernière part au trader de Credit Suisse qui devait encore les avoir (« nope… all sold…sold last piece to [Credit Suisse’s trader]… he might still have them »). Le
trader de Crédit agricole a alors répondu qu’il lui demanderait (« ok will ask him »).
467 Ainsi, en raison de sa participation aux forums de discussions multilatéraux permanents avant le 25 février 2013, Crédit agricole savait que, avant cette date, les traders de Deutsche Bank et de Credit Suisse se concertaient. Par ailleurs, étant donné que, après cette date, le trader de Crédit agricole a participé à des discussions bilatérales anticoncurrentielles avec chacun de ces deux traders et que la Commission disposait d’éléments de nature à montrer l’existence, après le 25 février 2013,
d’un réseau de discussions bilatérales dans le cadre duquel les trois traders ont continué à discuter de leurs activités de négociation, il y a lieu de considérer que ledit trader de Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir que les deux autres traders menaient des discussions bilatérales qui présentaient un caractère anticoncurrentiel.
468 Le constat selon lequel Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements des autres banques et, notamment, des coordinations sur les prix communiqués à certaines contreparties est également corroboré par d’autres éléments.
469 Premièrement, d’une part, il convient de rappeler qu’un employé accomplit ses fonctions en faveur et sous la direction de l’entreprise pour laquelle il travaille et, ainsi, est considéré comme s’intégrant dans l’unité économique que constitue cette entreprise (voir arrêt du 21 juillet 2016, VM Remonts e.a., C‑542/14, EU:C:2016:578, point 23 et jurisprudence citée).
470 Les connaissances acquises par un employé antérieurement à son arrivée au service d’une nouvelle entreprise et que celui-ci met de fait à la disposition de ce nouvel employeur peuvent donc être considérées comme des connaissances partagées par son nouvel employeur.
471 D’autre part, selon une jurisprudence constante, la Commission peut s’appuyer sur des contacts antérieurs ou postérieurs à la période de l’infraction afin de construire une image globale et de montrer les étapes préparatoires de l’entente ainsi que pour corroborer l’interprétation de certains éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêts du 8 juillet 2008, Lafarge/Commission, T‑54/03, non publié, EU:T:2008:255, point 428 ; du 2 février 2012, Denki Kagaku Kogyo et Denka Chemicals/Commission,
T‑83/08, non publié, EU:T:2012:48, point 188, et du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 60).
472 La Commission est donc en droit d’utiliser les connaissances acquises par un employé antérieurement à son arrivée au service d’une nouvelle entreprise et que celui-ci met de fait à la disposition de ce nouvel employeur lorsque ces connaissances corroborent d’autres éléments dont elle dispose.
473 En l’espèce, avant de prendre ses fonctions chez Crédit agricole, le trader de cette banque avait, en qualité de trader de BofA, participé directement aux comportements qui se sont déroulés au sein de forums de discussions multilatéraux permanents et au cours de discussions bilatérales. Par ailleurs, les comportements adoptés par le trader de Crédit agricole dans le cadre de ses précédentes fonctions relevaient de l’ensemble des catégories identifiées par la Commission et notamment de la
catégorie 1 relative à la coordination des prix communiqués à certaines contreparties.
474 Les connaissances acquises par le trader de Crédit agricole dans le cadre de ses précédentes fonctions sont donc susceptibles de corroborer les autres éléments retenus par la Commission afin de conclure que Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements des autres banques.
475 Deuxièmement, la Commission a constaté que le trader de Crédit agricole faisait partie du cercle restreint de traders particulièrement impliqués dans l’infraction litigieuse. Ces traders se fréquentaient professionnellement et personnellement, et avaient été visés en tant que groupe (voir considérants 425, 807, 809 et 810 de la décision attaquée).
476 Troisièmement, comme la Commission l’a indiqué au considérant 809 et à la note en bas de page 931 de la décision attaquée, il ressort de deux discussions parallèles du 23 mai 2013, produites par la Commission en exécution d’une mesure d’instruction et intervenues entre, d’un côté, le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse et, de l’autre, le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank, que les traders des banques concernées étaient perçus comme un « gang », y compris
après le mois de février 2013.
477 En effet, lors de sa discussion avec le trader de Crédit agricole, le trader de Credit Suisse a raconté avoir rencontré une personne qui lui a demandé s’il faisait partie du « gang », ce à quoi il lui a ironiquement répondu qu’il ne disait rien aux traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole (« met that […] girl last night… told her we should chat/help each other out etc. She turned around and said “but your part of the ‘gang’, can I trust you ?” she says, everyone talks about [our tight-knit
group]… lol… I told her, I don’t tell [Deutsche Bank’s trader] or [Crédit agricole’s trader] anything…trust me !! »). Le trader de Crédit agricole a répondu par un rire.
478 Quelques minutes plus tard, dans le cadre de sa discussion parallèle avec le trader de Deutsche Bank, le trader de Credit Suisse a expliqué qu’il venait de parler avec le trader de Crédit agricole et a reproduit le contenu du message qu’il avait envoyé à ce dernier au sujet de sa rencontre de la veille. Le trader de Deutsche Bank a répondu par un rire.
479 Ainsi, la Commission a, à bon droit, considéré que Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements mis en œuvre ou envisagés par les autres banques concernées et, notamment, le fait que ces comportements concernaient l’ensemble des catégories de comportements décrits par la Commission dans la décision attaquée. En particulier, la Commission a, à bon droit, considéré que Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir les
discussions bilatérales du 25 septembre 2013 et du 5 février 2014 impliquant d’autres banques que Crédit agricole, à savoir Credit Suisse et Deutsche Bank, lesquelles relèvent de la catégorie 1 (voir considérants 528 et 529, ainsi que 539 et 540 de la décision attaquée).
480 Par conséquent, Crédit agricole n’est pas fondée à soutenir qu’elle ne pouvait pas raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements des autres traders.
481 La première branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole est donc rejetée.
2) Sur la deuxième branche du deuxième moyen de Credit Suisse, tirée d’erreurs quant à sa connaissance des discussions bilatérales entre les traders d’autres banques ou quant au fait qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir
482 Credit Suisse conteste la constatation de sa responsabilité faite par la Commission, en ce que cette responsabilité serait fondée, d’une part, sur la participation directe de cette banque à l’ensemble des comportements composant l’infraction litigieuse et, d’autre part, sur le fait que ladite banque avait eu connaissance des discussions bilatérales impliquant les traders d’autres banques ou qu’elle avait pu raisonnablement les prévoir et avait été prête à en accepter le risque. En effet, ces
deux prémisses seraient erronées.
483 En premier lieu, Credit Suisse fait valoir que, même à supposer qu’il soit démontré qu’elle avait participé à chaque « type » de comportements, cela ne saurait suffire pour établir sa participation dans chaque discussion anticoncurrentielle, ni pour retenir sa responsabilité pour les discussions dans lesquelles elle n’aurait pas été directement impliquée.
484 En second lieu, compte tenu du fait que les discussions bilatérales postérieures au mois de février 2013 n’auraient pas, selon Credit Suisse, pu poursuivre le même objectif commun que les discussions antérieures à cette date, il serait erroné de considérer que cette banque avait pu être consciente ou avait pu raisonnablement prévoir la continuation de la « même » infraction par les autres banques concernées. Cela serait d’ailleurs également le cas s’il devait être considéré que ces discussions
postérieures relevaient du même plan d’ensemble et du même objectif commun que lesdites discussions antérieures.
485 Selon Credit Suisse, les motifs avancés par la Commission dans la décision attaquée permettraient certes d’établir que son trader avait connaissance du fait que les autres traders impliqués, dont la proximité personnelle était notoire, avaient poursuivis leurs discussions. En revanche, lesdits motifs ne démontreraient aucunement que Credit Suisse pouvait avoir eu connaissance de la nature ou de l’objet anticoncurrentiels des discussions bilatérales entre les autres traders des banques
concernées.
486 À titre liminaire, il convient de rappeler que les arguments de Credit Suisse, tirés de l’absence de plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique, ont été rejetés aux points 322 à 362 ci‑dessus. L’argumentation de Credit Suisse ne peut donc prospérer en ce qu’elle est fondée sur une absence de plan d’ensemble, notamment après le mois de février 2013.
487 En ce qui concerne le reste de l’argumentation de Credit Suisse, premièrement, il y a lieu de relever que cette banque ne conteste pas avoir participé directement à de nombreuses discussions examinées par la Commission dans la décision attaquée et ayant eu lieu dans les forums de discussions multilatéraux permanents entre le mois de juin 2010 et le mois de février 2013.
488 Deuxièmement, d’une part, il ressort du point 110 ci-dessus que les critiques que Credit Suisse estime avoir formulées à l’encontre des 25 discussions mentionnées dans le tableau produit en annexe à la réplique sont irrecevables en ce qui concerne la deuxième branche du premier moyen tiré d’une violation de l’article 101 TFUE commise par la Commission lorsqu’elle a considéré que les « communications relatives à la détermination des prix » constituaient une « restriction par objet ».
489 D’autre part, les arguments de Credit Suisse visant à démontrer l’absence de caractère anticoncurrentiel des discussions du 28 septembre 2010, du 8 février 2012 et du 10 janvier 2013 ont été rejetés aux points 269 à 295 ci‑dessus.
490 Troisièmement, il est établi que Credit Suisse a participé directement ou, à tout le moins, avait connaissance de l’existence, avant le mois de février 2013, d’échanges bilatéraux anticoncurrentiels. En effet, la Commission a mentionné des discussions bilatérales anticoncurrentielles au sein de forums non permanents entre le trader de Credit Suisse et un trader de Deutsche Bank les 19 et 20 mai 2011 (considérants 294 et 297) ainsi que le 17 décembre 2012 (considérant 444), dont le contenu n’est
pas contesté par Credit Suisse.
491 Quatrièmement, Credit Suisse ne conteste pas qu’elle avait connaissance du fait que l’abandon de l’utilisation des forums de discussions multilatéraux permanents par les traders de Deutsche Bank résultait de l’interdiction faite par leur employeur, au mois de février 2013, d’utiliser de tels forums, et non d’une quelconque intention des traders de Deutsche Bank de cesser de participer à l’infraction (voir en particulier considérants 94, 766, 767, 822, 823 et 847).
492 Cinquièmement, Credit Suisse a directement participé à des échanges bilatéraux anticoncurrentiels après le mois de février 2013 avec les autres banques concernées.
493 En effet, tout d’abord, le trader de Credit Suisse a participé à des discussions bilatérales anticoncurrentielles avec le trader de Deutsche Bank puis de BofA le 13 mars, le 27 août, le 25 septembre et le 10 décembre 2013, ainsi que les 3 et 5 février, le 28 mars et le 22 juillet 2014.
494 Ensuite, le trader de Credit Suisse a participé à des discussions bilatérales anticoncurrentielles avec le trader de Crédit agricole le 19 mars, le 24 mai, les 9 et 14 août 2013, ainsi que les 4, 7 et 14 mars, le 1er mai et le 4 août 2014. Comme cela ressort des points 296 à 308 ci‑dessus, le trader de Credit Suisse a également participé à des échanges anticoncurrentiels avec le trader de Crédit agricole les 12 et 24 mars 2015. Jusqu’au mois d’août 2013, les traders de Credit Suisse et de Crédit
agricole ont continué à utiliser, pour leurs discussions, le forum de discussions multilatéral permanent qui avait été utilisé avant le mois de février 2013 par l’ensemble des participants.
495 Enfin, l’examen des discussions bilatérales intervenues après le mois de février 2013 entre le trader de Credit Suisse et les traders des autres banques concernées montre que cette banque a participé aux différents types de comportements qui composent l’infraction unique et continue.
496 Sixièmement, ainsi que Credit Suisse l’a confirmé lors de l’audience, cette banque ne conteste pas que son trader avait connaissance et était conscient de l’existence de discussions parallèles entre les traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole. En revanche, Credit Suisse conteste la connaissance, par son trader, du caractère anticoncurrentiel des discussions entre les deux autres traders.
497 À cet égard, s’agissant des discussions du 25 juillet et du 22 octobre 2013 ainsi que du 9 janvier 2014, mentionnées aux considérants 808 et 823 de la décision attaquée, il est vrai que, comme le fait valoir Credit Suisse, ces discussions ne permettent pas à elles seules de démontrer qu’elle avait connaissance, à travers son trader, du caractère anticoncurrentiel des échanges bilatéraux entre le trader de Crédit agricole et le trader de Deutsche Bank, puis de BofA.
498 Toutefois, ces discussions viennent au soutien de l’appréciation qui figure au considérant 808 de la décision attaquée selon laquelle, dans le contexte de l’interdiction adressée aux traders de Deutsche Bank d’utiliser des forums de discussions multilatéraux permanents, les traders ont continué à se tenir mutuellement informés au moyen d’un réseau de forums de discussions bilatéraux et ont continué à divulguer, d’une manière bilatérale, les informations obtenues du troisième trader en ce qui
concernait certains aspects qui étaient habituellement couverts dans les forums de discussions multilatéraux.
499 En effet, lors de la discussion bilatérale du 25 juillet 2013, le trader de Credit Suisse a informé le trader de Deutsche Bank que le trader de Crédit agricole « got lifted this am too ». Ainsi, le trader de Credit Suisse a révélé, dans le cadre de sa discussion bilatérale avec le trader de Deutsche Bank, des informations qu’il avait obtenues dans le cadre d’une discussion bilatérale distincte avec le trader de Crédit agricole au sujet de l’activité de négociation de ce dernier. Cette révélation
a eu lieu dans le cadre d’une discussion lors de laquelle le trader de Deutsche Bank a indiqué : « i sold some kfw 09/15 aswell » puis « thats me lifting 14.5 and 15 this morning » et « still looking for those if you see any ». Pour sa part, le trader de Credit Suisse a expliqué au trader de Deutsche Bank : « i shorted those kfw 15s this am to my syndicate actually. probably a bit stupid for a short date, but should be ok » puis a révélé l’opération réalisée par le trader de Crédit agricole. Le
caractère spontané, naturel et franc de cette conversation montre qu’il était normal, tant pour le trader de Credit Suisse que pour le trader de Deutsche Bank de s’échanger des informations précises et récentes non seulement les concernant, mais concernant également le trader de Crédit agricole. Le comportement du trader de Credit Suisse lors de la discussion du 25 juillet 2013 atteste du climat de confiance mutuelle entre les traders de Deutsche Bank, de Crédit agricole et de Credit Suisse. Ce
comportement constitue donc un élément qui vient au soutien de l’appréciation qui figure au considérant 808 de la décision attaquée au sujet de l’existence d’un réseau de discussions bilatérales dans le cadre duquel les trois traders discutaient de leurs activités de négociation et donc au soutien du fait que le trader de Credit Suisse pouvait raisonnablement envisager que les deux autres traders échangeaient des informations sensibles, notamment sur leurs activités de négociation respectives.
500 Par ailleurs, le fait que le trader de Deutsche Bank ait reçu une information identique de la part du trader de Crédit agricole lui-même lors d’une discussion bilatérale postérieure du même jour, à savoir le 25 juillet 2013, ne remet pas en cause cette appréciation et corrobore le constat selon lequel les traders des banques concernées échangeaient sur les mêmes obligations et sur les mêmes sujets dans le cadre de discussions bilatérales parallèles.
501 Quant à la discussion du 9 janvier 2014, lors de laquelle le trader de Credit Suisse a informé le trader de Crédit agricole qu’il venait de discuter avec le trader de Deutsche Bank (« [was] just chatting to [Deutsche Bank’s trader] »), elle n’évoque effectivement pas des discussions bilatérales relatives à des activités de négociation, ni a fortiori des discussions relatives à des informations commerciales sensibles ou, plus généralement, à la nature anticoncurrentielle de telles discussions.
Cependant, elle confirme que le trader de Credit Suisse n’éprouvait aucune hésitation à divulguer à l’un des traders l’existence des contacts qu’il avait avec le troisième d’entre eux.
502 S’agissant de la discussion bilatérale entre le trader de Crédit agricole et le trader de Deutsche Bank du 22 octobre 2013 mentionnée au point 466 ci-dessus, il est vrai qu’aucune preuve ne démontre que le trader de Crédit agricole s’est adressé au trader de Credit Suisse à la suite de cette discussion. Toutefois, à la suite de sa discussion avec le trader de Deutsche Bank, le trader de Crédit agricole a écrit : « ok will ask him ». La discussion du 22 octobre 2013 montre donc que la divulgation
d’informations relatives à un troisième trader, en l’occurrence le trader de Credit Suisse, était aussi naturelle entre ces deux autres traders qu’elle l’était entre le trader de Credit Suisse et celui de Deutsche Bank, ainsi que cela a été relevé au point 499 ci‑dessus. Cette discussion vient donc au soutien de l’appréciation qui figure au considérant 808 de la décision attaquée au sujet de l’existence d’un réseau de discussions bilatérales.
503 Septièmement, il convient de relever que, le 11 octobre 2013, Credit Suisse a eu une discussion anticoncurrentielle avec le trader de Deutsche Bank lors de laquelle le trader de Crédit agricole était « présent » (voir points 462 et 463 ci-dessus). Cette discussion, qualifiée de « multilatérale » par Credit Suisse et au cours de laquelle les deux autres traders étaient présents, constitue un indice supplémentaire de nature à démontrer que le trader de Credit Suisse pouvait concevoir l’existence
de discussions bilatérales anticoncurrentielles entre les deux autres traders.
504 Ainsi, en raison de sa participation aux forums de discussions multilatéraux permanents avant le 25 février 2013, Credit Suisse savait que, avant cette date, les traders de Deutsche Bank et de Crédit agricole se concertaient. Par ailleurs, étant donné que, avant et après cette date, le trader de Credit Suisse a participé à des discussions bilatérales anticoncurrentielles avec chacun de ces deux traders et que la Commission disposait d’éléments de nature à montrer l’existence, après le 25 février
2013, d’un réseau de discussions bilatérales dans le cadre duquel les trois traders ont continué à discuter de leurs activités de négociation, il y a lieu de considérer que le trader de Credit Suisse pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir que les deux autres traders menaient des discussions bilatérales qui présentaient un caractère anticoncurrentiel.
505 À cet égard, ni le fait que Credit Suisse ne connaissait pas, dans le détail, les discussions auxquelles son trader n’avait pas participé, ni le fait qu’elle ignorait l’existence de certaines de ces discussions, ne sont de nature à infirmer la constatation de la Commission selon laquelle elle a participé à l’infraction unique et peut être tenue responsable de l’ensemble de celle-ci (voir, par analogie, arrêt du 14 décembre 2006, Raiffeisen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T‑259/02 à
T‑264/02 et T‑271/02, EU:T:2006:396, point 193).
506 Le constat selon lequel Credit Suisse pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’ensemble des comportements des autres banques est également corroboré par d’autres éléments.
507 En effet, tout d’abord, la Commission a constaté que le trader de Credit Suisse faisait partie du cercle restreint de traders particulièrement impliqués dans l’infraction litigieuse. Ces traders se fréquentaient professionnellement et personnellement, y compris après le mois de février 2013, et avaient été visés en tant que groupe (voir considérants 425, 807, 809 et 810 de la décision attaquée).
508 À cet égard, une discussion bilatérale entre le trader de Crédit agricole et le trader de Credit Suisse du 8 mars 2013, dont l’existence et le contenu ne sont pas contestés par Credit Suisse, démontre que lesdits traders et le trader de Deutsche Bank continuaient d’entretenir des contacts réguliers et organisaient des rencontres de nature sociale.
509 De même, une discussion du 23 mai 2013, entre le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank, montre que les traders des banques concernées dans l’infraction étaient perçus comme un « gang » par d’autres traders (voir point 478 ci‑dessus).
510 Enfin, une discussion entre le trader de Credit Suisse et le trader de Deutsche Bank du 11 octobre 2013 (considérant 530), lors de laquelle le trader de Crédit agricole était présent, établit que les trois traders avaient prévus de se rencontrer durant des voyages d’affaires à New York la semaine suivante (voir point 393 ci-dessus).
511 Dans le cadre d’une analyse de l’ensemble des éléments de preuve, cette circonstance est pertinente pour établir si Credit Suisse savait ou pouvait raisonnablement prévoir la teneur anticoncurrentielle des discussions bilatérales qui ont eu lieu après le mois de février 2013 et jusqu’à la date de la fin de sa participation à l’infraction litigieuse, à savoir le 24 mars 2015.
512 Compte tenu de l’ensemble des éléments qui précèdent, Credit Suisse n’est pas fondée à soutenir que « les preuves rassemblées par la Commission sont insuffisantes pour en déduire que l’un quelconque des traders [aurait eu] une connaissance suffisante de la teneur des communications auxquelles il n’a pas participé [et,] à titre subsidiaire, qu’elle ne peut être tenue responsable des discussions bilatérales entre les deux autres traders après le mois de février 2013 ».
513 La deuxième branche du deuxième moyen de Credit Suisse est donc rejetée.
e) Sur la durée de la participation de Crédit agricole et de Credit Suisse à l’infraction unique et continue litigieuse
514 Dans le cadre de la seconde branche de son deuxième moyen, Crédit agricole conteste le caractère continu de sa participation à l’infraction unique litigieuse (voir points 428 à 432 ci‑dessus).
515 Par la quatrième branche de son deuxième moyen, Credit Suisse invoque des erreurs relatives à sa participation à l’infraction au-delà du mois d’août 2014.
1) Sur la seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole, en ce qu’elle vise à démontrer l’absence de caractère continu de sa participation à l’infraction constatée
516 Au considérant 790 de la décision attaquée, la Commission a considéré que les banques concernées devaient être tenues responsables de l’intégralité de l’infraction unique et continue pour leurs périodes respectives d’implication dans celle-ci. Au considérant 842 de cette décision, la Commission a estimé que Crédit agricole avait participé à l’infraction du 10 janvier 2013 au 24 mars 2015, à savoir une période de 804 jours ou de 2,20 ans.
517 Crédit agricole soutient que la Commission se fonde uniquement sur 31 discussions l’impliquant pour établir une infraction continue sur une période de 26 mois, à savoir entre les mois de janvier 2013 et de mars 2015, étant entendu que deux tiers de ces discussions auraient eu lieu sur les dix premiers mois de cette période, à savoir entre les mois de janvier et d’octobre 2013. Ces circonstances remettraient en cause les constatations selon lesquelles, d’une part, les discussions entre le trader
de Crédit agricole et les traders des autres banques concernées avaient été « constantes » et, d’autre part, cette banque avait participé à une infraction continue, à tout le moins concernant la période postérieure au mois d’octobre 2013.
518 Plus précisément, en premier lieu, Crédit agricole souligne qu’une seule discussion étaye l’allégation selon laquelle elle a participé à des comportements appartenant à la catégorie 1. Selon cette banque, cette unique discussion ne saurait suffire pour établir une coordination relative aux prix proposés à des contreparties spécifiques sur une période de plus de deux ans. De manière similaire, s’agissant des comportements relevant de la catégorie 2, la Commission se fonderait uniquement sur
quatre discussions pour démontrer l’existence d’une infraction ayant duré plus de deux ans.
519 En second lieu, la participation alléguée de Crédit agricole présenterait des écarts importants dans le temps, même s’il était tenu compte de l’ensemble des 31 discussions identifiées par la Commission.
520 Compte tenu de l’utilisation de forums de discussions sur la plateforme Bloomberg et donc de la disponibilité d’éléments de preuve, ces écarts représenteraient nécessairement des écarts sans comportements infractionnels, plutôt que des périodes pour lesquelles la Commission ne disposerait pas d’éléments de preuve.
521 De même, d’une part, la Commission aurait cherché à renverser la charge de la preuve, en s’appuyant sur le fait que Crédit agricole ne s’était pas publiquement distancée des comportements en cause. D’autre part, la Commission se serait prévalue à tort de la connaissance, par cette banque, des comportements des autres banques concernées, ce que ladite banque conteste par un autre moyen.
522 À cet égard, il ressort de l’argumentation de Crédit agricole que le principal élément qu’elle avance pour soutenir son allégation consiste en la durée des écarts entre les discussions auxquelles son trader a participé, en particulier s’il ne devait pas être tenu compte de certaines de ces discussions.
523 En premier lieu, tout d’abord, il importe de relever que la Commission n’a pas commis d’erreur relative à l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique. Par ailleurs, l’identification de cinq catégories de comportements dans la décision attaquée n’est pas susceptible de remettre en cause l’existence de ce plan d’ensemble (voir point 364 ci‑dessus).
524 Partant, Crédit agricole ne saurait être suivie lorsque, aux fins de constater une prétendue interruption de sa participation à l’infraction litigieuse, elle distingue les catégories de comportements identifiées par la Commission dans la décision attaquée et choisit de ne pas tenir compte de certaines discussions.
525 En d’autre termes, le caractère continu de la participation de Crédit agricole à l’infraction unique litigieuse ne peut pas être apprécié en examinant, catégorie par catégorie, les comportements retenus à son égard par la Commission. Ce caractère continu doit être apprécié au regard de l’ensemble des comportements en cause auxquels le trader de cette banque a participé, dont il avait connaissance ou qu’il pouvait raisonnablement prévoir, quelle que soit la catégorie dont relèvent ces
comportements. Ainsi, à les supposer établies, ce qui n’est pas le cas, l’absence de participation continue de Crédit agricole à des comportements relevant des seules catégories 1 ou 2 ou l’absence de connaissance de comportements d’autres participants relevant de ces catégories ne sont pas susceptibles, à elles seules, de remettre en cause les constatations de la Commission quant à sa participation continue à l’infraction.
526 Ensuite, Crédit agricole n’est pas fondée à invoquer des écarts au motif que son troisième moyen devrait être accueilli. En effet, le troisième moyen invoqué par Crédit agricole a été accueilli uniquement en ce qui concerne la discussion du 10 janvier 2013, à savoir, chronologiquement, la première discussion retenue à son égard par la Commission.
527 Enfin, en ce que Crédit agricole fait valoir qu’il conviendrait, pour calculer les écarts qui séparent deux manifestations de l’infraction litigieuse, de ne pas tenir compte des discussions relevant de certaines des cinq catégories de comportements au motif que ces catégories ne relèveraient pas d’une « restriction par objet », ou parce que certaines discussions auraient constitué des activités « légitimes », il ressort des points 165 à 268 ci‑dessus que, sans préjudice de la question de savoir
s’ils constituent des restrictions par objet, l’ensemble des comportements classés en cinq catégories par la Commission auxquels Crédit agricole a participé, y compris les échanges d’informations, présentaient une nature anticoncurrentielle. En particulier, les critiques valablement dirigées par Crédit agricole contre certaines discussions auxquelles elle a participé et qui relevaient des cinq catégories identifiées par la Commission ont été rejetées aux points 188 à 268 ci‑dessus.
528 Il s’ensuit que, pour apprécier si les écarts qui séparent deux manifestations du comportement infractionnel de Crédit agricole sont susceptibles de démontrer une interruption de la participation de cette banque à l’infraction, aucune des discussions retenues à son encontre et auxquelles elle a directement participé, ne peut être exclue, à l’exception de la discussion du 10 janvier 2013.
529 En second lieu, en ce que Crédit agricole invoque un écart de cinq mois dans les preuves entre les mois de septembre 2013 et de mars 2014, il importe de souligner que cet écart ne tient pas compte de la présence de son trader lors d’une discussion du 11 octobre 2013 et donc de sa participation à celle-ci (voir point 134 ci-dessus).
530 Ainsi, et comme le reconnaît la Commission, l’écart maximal qui sépare deux participations directes du trader de Crédit agricole à l’infraction litigieuse est d’environ quatre mois et demi et est intervenu entre le 11 octobre 2013 et le 4 mars 2014.
531 À cet égard, premièrement, il importe de rappeler que la question de savoir si la durée de ces écarts est ou non suffisamment longue pour constituer une interruption doit être appréciée dans le contexte du fonctionnement de l’infraction litigieuse (voir point 381 ci‑dessus).
532 Or, en l’espèce, une participation très fréquente à des contacts collusoires n’était pas nécessaire au fonctionnement de l’infraction litigieuse, étant donné que les négociations d’OSSA étaient indépendantes. Le succès éventuel d’un contact collusoire donné ne dépendait pas d’une participation à une série de contacts relatifs à d’autres négociations (voir points 384 à 386 ci‑dessus).
533 Deuxièmement, les années 2014 et 2015 ont été caractérisées par une réduction de l’activité sur le marché des OSSA, indépendante de la volonté des participants à l’infraction unique litigieuse, qui a contribué à la diminution des opportunités de se coordonner ou de s’échanger des informations commerciales sensibles (voir point 390 ci‑dessus).
534 Troisièmement, il ressort d’un examen de la discussion du 11 octobre 2013 et de la discussion du 4 mars 2014 que celles-ci ne contiennent aucun élément de nature à démontrer que le trader de Crédit agricole aurait, dans un premier temps, manifesté une volonté de mettre fin à sa participation à l’infraction unique et continue et, dans un second temps, une volonté de participer à nouveau à cette infraction. En particulier, le ton et la spontanéité de la discussion du 4 mars 2014 montrent une
volonté persistante de la part du trader de Crédit agricole de continuer à adopter des comportements qui contribuent au plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique tel qu’il a été défini par la Commission dans la décision attaquée.
535 Une appréciation semblable peut être portée au sujet des discussions qui précèdent chacun des écarts dans la participation du trader de Crédit agricole et au sujet des discussions qui succèdent à ces écarts.
536 Quatrièmement, le changement d’employeur de l’un des trois principaux traders impliqués dans l’infraction a également pu contribuer à certains écarts entre deux manifestations à la participation du trader de Crédit agricole à l’infraction litigieuse (voir point 396 ci‑dessus).
537 Cinquièmement, ainsi que cela ressort des points 451 à 481 ci‑dessus, le trader de Crédit agricole pouvait, à tout le moins, raisonnablement prévoir l’existence de discussions anticoncurrentielles entre les deux autres traders même en l’absence de participation directe de sa part à ces discussions.
538 Ainsi, tout d’abord, les écarts entre deux manifestations de la participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse ne permettent pas de conclure à une interruption de ladite participation.
539 Ensuite, Crédit agricole ne conteste pas qu’elle ne s’est pas distanciée publiquement de l’entente.
540 Enfin, Crédit agricole n’invoque pas d’autres circonstances qui seraient susceptibles de démontrer une interruption de sa participation à l’infraction litigieuse, telles que, par exemple, la cessation des fonctions du trader qui a participé au comportement anticoncurrentiel précédant un écart entre deux manifestations de la participation de cette banque à cette infraction et la prise de fonction d’un nouveau trader qui aurait contribué à nouveau à l’infraction au cours d’une période succédant à
cet écart.
541 Par conséquent, compte tenu, premièrement, de la durée totale de la participation de Crédit agricole, supérieure à deux années, deuxièmement, des éléments dont cette banque disposait au sujet du contexte du fonctionnement de l’entente et des écarts qui séparaient deux manifestations de la participation du trader de Crédit agricole à l’infraction constatée, troisièmement, de l’absence de distanciation publique de la part de Crédit agricole et, quatrièmement, de l’absence d’autres circonstances
invoquées par cette banque pour démontrer une interruption de sa participation à l’infraction litigieuse, c’est sans renverser la charge de la preuve que la Commission a constaté, à bon droit, que la participation de Crédit agricole n’avait pas été interrompue entre le 11 janvier 2013 – jour dont la discussion n’est pas régulièrement contestée par cette banque – et le 24 mars 2015 (points 144 et 447 ci‑dessus).
542 La seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole est donc rejetée en ce qu’elle vise à démontrer l’absence de caractère continu de sa participation à l’infraction unique constatée.
2) Sur la quatrième branche du deuxième moyen de Credit Suisse, tirée de ce que la Commission n’a pas prouvé sa participation à un comportement illégal quelconque après le mois d’août 2014
543 Au considérant 842 de la décision attaquée, la Commission a considéré que Credit Suisse avait participé à l’infraction unique et continue litigieuse au cours de la période allant du 21 juin 2010 au 24 mars 2015, à savoir une période de 1738 jours ou 4,75 années. Par ailleurs, aux considérants 846 à 849 de la décision attaquée, la Commission a rejeté l’argument avancé par Credit Suisse et tiré de ce qu’elle n’avait pas prouvé la participation de cette banque à l’infraction entre le mois d’août
2014 et le mois de mars 2015.
544 Par la quatrième branche de son deuxième moyen, Credit Suisse soutient que la Commission n’a pas démontré sa participation à l’infraction litigieuse au-delà du mois d’août 2014. À cet égard, la décision attaquée ne ferait état que de six discussions après cette date, et utiliserait celles-ci pour prolonger cette participation jusqu’au 24 mars 2015. Or, Credit Suisse n’aurait pas participé aux quatre premières discussions et cette banque conteste la nature anticoncurrentielle des deux dernières,
à savoir la discussion du 12 mars 2015 entre son trader et le trader de Crédit agricole et le courriel adressé par son trader au trader de Crédit agricole le 24 mars 2015.
545 À cet égard, d’une part, l’argumentation de Credit Suisse par laquelle cette banque a contesté sa connaissance ou le fait qu’elle avait raisonnablement pu prévoir les discussions bilatérales anticoncurrentielles impliquant d’autres banques après le mois de février 2013 et jusqu’à la fin de la période de sa participation à l’infraction retenue dans la décision attaquée a été rejetée aux points 482 à 513 ci-dessus.
546 D’autre part, et surtout, il ressort des points 296 à 308 ci-dessus que Credit Suisse n’a pas démontré l’existence d’une erreur commise par la Commission lorsque cette dernière a considéré que la discussion du 12 mars 2015 et le courriel du 24 mars 2015 avaient un caractère anticoncurrentiel.
547 Credit Suisse n’est donc pas fondée à faire valoir que la Commission n’a pas démontré sa participation à l’infraction litigieuse au-delà du mois d’août 2014.
548 La quatrième branche du deuxième moyen invoqué par Credit Suisse est donc rejetée.
f) Conclusion sur le deuxième moyen de Crédit agricole et le deuxième moyen de Credit Suisse
549 Compte tenu de ce qui précède, le deuxième moyen invoqué par Credit Suisse est rejeté.
550 S’agissant de Crédit agricole, il ressort de l’examen du deuxième moyen invoqué par cette banque que cette dernière n’a pas démontré que la Commission a commis une erreur d’appréciation lorsqu’elle a considéré qu’elle avait participé à une infraction unique et continue jusqu’au 24 mars 2015. En revanche, il importe de rappeler que la Commission ne pouvait valablement retenir à l’encontre de Crédit agricole la discussion du 10 janvier 2013, intervenue avant la première connexion de son trader au
forum de discussions concerné.
551 Il s’ensuit que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a considéré, à l’article 1er, sous c), de la décision attaquée que Crédit agricole avait participé à une infraction unique et continue à compter du 10 janvier 2013 et non à compter 11 janvier 2013. Le deuxième moyen invoqué par cette banque doit donc être accueilli dans cette seule mesure.
3. Sur le premier moyen de Crédit agricole et le premier moyen de Credit Suisse, tirés d’erreurs dans la qualification des comportements en cause de restriction par objet
552 Aux considérants 739 à 749 de la décision attaquée, la Commission a conclu à l’objet anticoncurrentiel des comportements en cause en soulignant notamment ce qui suit :
« (747) Par l’ensemble des pratiques susmentionnées, les traders participants ont sciemment substitué une collusion au jeu normal de la concurrence, dans la mesure où ils ont parfois agi comme s’ils négociaient les mêmes positions ou le même “portefeuille”. Toutefois, quelle que soit la forme que la collusion ait pu prendre dans un cas particulier, leur objectif primordial était d’accroître leurs propres revenus. Les traders ont cherché à atteindre cet objectif en se coordonnant sur les prix, en
échangeant des informations sensibles sur les activités de négociation, en alignant leurs stratégies de négociation et de fixation des prix ainsi qu’en coordonnant leurs activités de négociation. Ce faisant, ils ont réduit l’incertitude et le risque, ont effectué des transactions à des conditions qui leur étaient avantageuses, ont partagé des marchés et des clients ainsi qu’ont maintenu un avantage concurrentiel vis-à-vis des clients et des autres acteurs du marché.
(748) Les traders participants ont agi sur un marché (le marché des [OSSA]) qui devait, comme d’autres marchés sophistiqués de la dette, être normalement caractérisé par des prix compétitifs et d’autres conditions de négociation. Les banques participantes étaient des acteurs établis du marché dans un secteur conçu pour faciliter l’émission et la négociation efficaces et concurrentielles de capitaux d’emprunt.
(749) En conséquence, il est conclu que les accords et/ou pratiques concertées décrits à la section 4.2 ont pour objet de restreindre et/ou de fausser le jeu de la concurrence au sens de l’article 101, paragraphe 1, [TFUE] et de l’article 53, paragraphe 1, de l’accord EEE. »
553 Dans le cadre de leurs premiers moyens respectifs, Crédit agricole et Credit Suisse reprochent à la Commission d’avoir qualifié à tort les comportements en cause de « restriction par objet ».
a) Observations liminaires relatives à l’objet et au fondement des critiques formulées par les requérantes
1) Sur les critiques de Crédit agricole
554 Dans le cadre de son premier moyen, divisé en deux branches, Crédit agricole fait valoir que la Commission n’a pas fourni de preuves et de motivation suffisante de sa participation à une restriction par objet.
555 Dans sa première branche, Crédit agricole se prévaut d’« erreurs de droit et de fait dans la constatation que les catégories relatives à des échanges d’informations constituent des restrictions par objet susceptibles de faire partie de l’infraction unique et continue [constatée] ».
556 À cet effet, elle fait valoir, premièrement, que les échanges d’informations visés par la catégorie 3 (« Échanges d’informations commerciales sensibles, actuelles ou prospectives, sur leurs activités de négociation et les courants d’échanges sur le marché secondaire ») ne présentaient pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiés de « restriction par objet » et, deuxièmement, que les comportements visés par la catégorie 4 (« Échanges, confirmations et
harmonisations des stratégies de négociation et de fixation des prix ») constituaient non pas des échanges, des confirmations et des alignements de stratégies de négociation et de prix, mais, en réalité, des échanges d’informations qui ne présentaient pas non plus un tel degré suffisant de nocivité.
557 Dans la seconde branche de son premier moyen, Crédit agricole reproche à la Commission l’« absence de réalisation de l’analyse requise pour étayer la constatation d’une restriction par objet à propos de n’importe laquelle des catégories de comportements de coordination [constatées] », à savoir les catégories 1 (« Coordination des prix communiqués à certaines contreparties »), 2 (« Coordination des prix communiqués sur le marché en général ») et 5 (« Coordination des activités de négociation »).
558 D’emblée, il convient de relever que l’argumentation de Crédit agricole relative à l’absence d’infraction unique et continue ainsi qu’à son absence de participation à celle-ci a été écartée au point 550 ci‑dessus, sous réserve de la date de début de celle-ci, et n’a donc pas lieu d’être examinée dans le cadre du présent moyen.
559 Il doit également être relevé que, par l’argumentation résumée aux points 555 et 557 ci‑dessus, Crédit agricole critique la Commission pour avoir constaté que chacune des cinq catégories visées au considérant 613 de la décision attaquée devait être qualifiée de « restriction par objet », alors même que les comportements des catégories 3 et 4 ne seraient pas suffisamment nocifs à l’égard de la concurrence et que, s’agissant des comportements des catégories 1, 2 et 5, elle n’aurait pas effectué
l’analyse requise.
560 Or, il a déjà été constaté au point 87 ci‑dessus que cette argumentation procède d’une lecture erronée de la décision attaquée et, de ce fait, doit être écartée comme étant non fondée.
561 De surcroît, il a été constaté aux points 106 et 107 ci‑dessus que, dans le cadre de son premier moyen, Crédit agricole a contesté de manière spécifique, précise et étayée seulement les discussions des 18 et 31 janvier, du 15 février, des 19 et 21 mars, du 24 mai, du 3 juin et des 10 et 25 juillet 2013, ainsi que du 6 août 2014 et du 12 mars 2015, et que, de ce fait, les appréciations effectuées par la Commission concernant les discussions autres que celles‑ci sont désormais définitivement
établies.
562 Pour autant, compte tenu du fait que le Tribunal ne saurait se limiter à examiner les arguments soulevés par les parties dans le seul cadre du moyen, de la branche ou du grief au soutien duquel ils ont formellement été soulevés, mais doit également les apprécier au soutien d’un autre moyen, d’une autre branche ou d’un autre grief lorsque ces arguments sont également pertinents au soutien de ceux-ci (voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2023, Fachverband Spielhallen et LM/Commission,
C‑831/21 P, EU:C:2023:686, points 46 à 49), il y a lieu d’interpréter le premier moyen de Crédit agricole en ce que, d’une part, la Commission n’aurait pas procédé à une appréciation du contexte économique de l’infraction litigieuse dans son ensemble ou aurait procédé à une appréciation erronée de celui‑ci et, d’autre part, la Commission aurait conclu à tort que les onze discussions visées au point 561 ci‑dessus étaient à même de soutenir la conclusion selon laquelle l’infraction unique et
continue constatée par cette institution présentait un objet anticoncurrentiel.
2) Sur les critiques de Credit Suisse
563 Dans le cadre de son premier moyen, divisé en trois branches, Credit Suisse fait valoir que « la Commission a violé l’article 101 TFUE et a insuffisamment motivé sa conclusion selon laquelle cette banque avait adopté un comportement ayant pour objet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence ».
564 Dans la première branche de son premier moyen, présentée à titre principal et composée de quatre points, Credit Suisse critique la Commission au motif que, aux fins de l’appréciation de l’ensemble des discussions, cette institution n’a « pas suffisamment [tenu] compte du contexte factuel et juridique du marché des OSSA et [ne s’est pas acquittée] de la charge qui lui incombait de prouver que les comportements en cause restreignaient la concurrence par objet ».
565 Dans la deuxième branche de son premier moyen, présentée à titre subsidiaire et composée de 24 points, Credit Suisse critique la Commission pour avoir « conclu […] que les communications relatives à la détermination des prix restreignaient la concurrence par objet », au motif essentiellement que de telles communications « [pouvaient] être favorables à la concurrence ».
566 Dans la troisième branche de son premier moyen, Credit Suisse soutient que, lors de l’examen des effets proconcurrentiels de ces communications relatives à la détermination des prix, la Commission a violé les règles de preuve et ses droits de la défense en appliquant aux comportements en cause non les règles applicables à la preuve de l’objet anticoncurrentiel d’un comportement, mais celles applicables à la preuve du caractère accessoire d’une restriction, au sens du point 89 de l’arrêt du
11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C‑382/12 P, EU:C:2014:2201).
567 Eu égard à cette argumentation, il convient de rappeler, premièrement, que, au considérant 749 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les comportements en cause décrits à la section 4.2 de cette décision devaient être qualifiés de « restriction par objet », après avoir constaté, à son considérant 104, que les différentes catégories de comportement qu’elle a retenues étaient seulement décrites à des fins analytiques et qu’elles étaient liées et se chevauchaient souvent.
568 Ainsi, cette qualification n’a été retenue ni à l’égard de chacune des catégories visées, ni à l’égard de chacun des comportements en cause. Elle n’a donc pas lieu de l’être à l’égard des 25 discussions regroupées au sein de la catégorie identifiée par Credit Suisse sous l’intitulé « communications relatives à la détermination des prix » et dont les dates ont été visées dans l’annexe C.1 de la réplique de cette banque.
569 Deuxièmement, ainsi que cela ressort du point 110 ci‑dessus, à défaut d’avoir été formulées même sommairement dans la requête ou la réplique, les critiques visant spécifiquement les 25 discussions regroupées par Credit Suisse dans cette catégorie intitulée « communications relatives à la détermination des prix » sont irrecevables.
570 Il en découle que la deuxième branche du premier moyen de Credit Suisse, tirée de la qualification erronée des communications relatives à la détermination des prix de « restriction par objet », doit être rejetée.
571 Pour autant, il y a lieu d’examiner les arguments soulevés par Credit Suisse au soutien de la deuxième branche de son premier moyen et portant sur l’effet proconcurrentiel allégué des discussions relatives à la détermination des prix dans le cadre de la première branche du premier moyen, en ce qu’ils viennent au soutien de ses critiques tirées d’erreurs commises par la Commission dans la qualification des comportements en cause, pris dans leur ensemble, de « restriction par objet », en raison
notamment de l’insuffisante prise en considération du contexte juridique et économique de l’infraction litigieuse.
572 Ce faisant, il y a lieu de tenir compte d’arguments susceptibles de remettre en cause la qualification de « restriction par objet » des comportements en cause, alors même qu’ils ont certes été formellement présentés au soutien de la deuxième branche du premier moyen qui a été rejetée, mais s’avèrent tout autant pertinents pour l’appréciation de la première branche de ce moyen (voir, par analogie, arrêt du 21 septembre 2023, Fachverband Spielhallen et LM/Commission, C‑831/21 P, EU:C:2023:686,
point 48).
b) Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
1) Observations liminaires
573 Il convient de rappeler que, pour relever de l’interdiction de principe énoncée à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, une pratique collusoire doit avoir « pour objet ou pour effet » d’empêcher, de restreindre ou de fausser sensiblement le jeu de la concurrence au sein du marché intérieur [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 62].
574 Il en découle que cette disposition, telle qu’elle est interprétée par la Cour, procède à une distinction nette entre la notion de « restriction par objet » et celle de « restriction par effet », chacune étant soumise à un régime probatoire différent [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63].
575 Ainsi, s’agissant des pratiques qualifiées de « restriction par objet », il n’y a pas lieu d’en rechercher ni a fortiori d’en démontrer les effets sur la concurrence en vue de les qualifier de « restriction de concurrence », au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans la mesure où l’expérience montre que de tels comportements entraînent des réductions de la production et des hausses de prix aboutissant à une mauvaise répartition des ressources au détriment, en particulier, des
consommateurs. Les concernant, seule est requise la démonstration qu’elles relèvent effectivement de la qualification de « restriction par objet », de simples allégations non étayées n’étant toutefois pas suffisantes à cet effet [arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 64 et 65].
576 En revanche, lorsque l’objet anticoncurrentiel d’un accord, d’une décision d’association d’entreprises ou d’une pratique concertée n’est pas établi, il convient d’en examiner les effets afin de rapporter la preuve que le jeu de la concurrence a été, en fait, soit empêché, soit restreint, soit faussé de façon sensible [voir arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 66 et jurisprudence citée].
577 Il ressort également de la jurisprudence de la Cour, rappelée en substance aux considérants 623 à 626 de la décision attaquée, que la notion de « restriction par objet » doit être interprétée de manière stricte et ne peut être appliquée qu’à certaines pratiques collusoires entre entreprises révélant, en elles-mêmes et compte tenu de leur teneur, des objectifs qu’elles visent ainsi que du contexte économique et juridique dans lequel elles s’insèrent, un degré suffisant de nocivité à l’égard de la
concurrence pour qu’il puisse être considéré que l’examen de leurs effets n’est pas nécessaire, dès lors que certaines formes de coordination entre entreprises peuvent être considérées, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence. Dans le cadre de l’appréciation dudit contexte, il y a lieu de prendre en considération la nature des biens ou des services affectés ainsi que les conditions réelles du fonctionnement et de la structure du ou des marchés
en question [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, points 67 et 68 et jurisprudence citée].
2) Sur le degré de nocivité à l’égard de la concurrence requis pour qualifier un comportement de « restriction par objet »
578 Crédit agricole estime que la jurisprudence fixe un « seuil extrêmement élevé » pour conclure qu’un échange d’informations peut être qualifié de « restriction par objet », ce qui serait confirmé par les points 72 à 74 des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1) ainsi que par l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675, point 184).
579 Credit Suisse laisse également entendre que la qualification de « restriction par objet » d’un comportement ne peut être retenue que lorsque l’expérience acquise et la théorie économique montrent « clairement » que ce comportement est nuisible à la concurrence.
580 À cet égard, il découle des points 573 à 577 ci‑dessus que, aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », il appartenait à la Commission de démontrer que ces comportements – qu’il s’agisse d’échanges d’informations ou d’autres types de comportements anticoncurrentiels – présentaient non un « seuil extrêmement élevé » de nocivité à l’égard de la concurrence, comme le fait valoir Crédit agricole, mais seulement un degré suffisant de nocivité à l’égard de
celle‑ci, comme l’a rappelé la Cour dans l’arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission (C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 106).
581 Cette conclusion quant au fait que la Commission n’a pas à établir un « seuil extrêmement élevé » de nocivité à l’égard de la concurrence afin de qualifier des comportements de « restriction par objet » ne peut être infirmée par les points 72 à 74 des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale.
582 Le fait que ces lignes directrices énoncent qu’« il est moins probable que les échanges d’informations concernant des actions envisagées aient une finalité favorable à la concurrence, que les échanges de données actuelles » pourrait certes faire apparaître que les échanges d’informations relatives à des comportements futurs sont a priori plus problématiques que les échanges d’informations relatives à des données actuelles. Toutefois, lesdites lignes directrices ne peuvent en aucun cas permettre
de conclure que les échanges d’informations actuelles ne peuvent pas être qualifiés de « restriction par objet » ou qu’une telle qualification nécessite un niveau de preuve de leur nocivité à l’égard de la concurrence supérieur à celui retenu par la jurisprudence rappelée au point 580 ci‑dessus.
583 De même, c’est à tort que Credit Suisse fait valoir que l’expérience acquise et la théorie économique devraient « clairement » établir la nocivité à l’égard de la concurrence et, partant, le caractère intrinsèquement anticoncurrentiel des comportements que la Commission qualifie de « restriction par objet ».
584 D’une part, nonobstant le point 76 de l’arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank e.a. (C‑228/18, EU:C:2020:265), évoqué par cette banque, la Cour a expressément jugé, postérieurement à cet arrêt, qu’il n’était nullement requis que le même type de comportement que celui qui devait être qualifié par la Commission dans une affaire donnée ait préalablement déjà été condamné par celle‑ci, pour que celui-ci puisse être considéré comme restrictif de la concurrence par objet (voir, en ce sens, arrêt du
25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission, C‑611/16 P, EU:C:2021:245, point 119).
585 D’autre part, concernant l’argument tiré de la théorie économique, force est de constater que Credit Suisse n’apporte aucun élément au soutien de celui‑ci, pas plus qu’elle ne définit sa portée précise. En outre, dans sa réplique, elle a indiqué ne pas soutenir que les assertions de la littérature économique étaient déterminantes au moment d’établir si un comportement avait un objet anticoncurrentiel, ni chercher à imposer à la Commission la charge d’obtenir la littérature économique permettant
de conclure qu’un comportement restreignait la concurrence par objet.
586 Par ailleurs, il ne ressort nullement de la jurisprudence que, comme le fait valoir Crédit agricole, le degré suffisant de nocivité d’un comportement à l’égard de la concurrence permettant de le qualifier de « restriction par objet » devrait être apprécié individuellement et séparément pour chaque entreprise prenant part à ce comportement.
587 Au contraire, cette appréciation, qui conditionne le régime probatoire applicable au comportement en cause dans son ensemble [voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a., C‑307/18, EU:C:2020:52, point 63], doit être effectuée au regard des caractéristiques objectives de ce comportement et sans considération de la situation particulière de chaque entreprise y ayant participé.
588 Ainsi, comme Crédit agricole l’a admis lors de l’audience, le rôle mineur d’une entreprise dans une entente n’est pas de nature à influencer la qualification de « restriction par objet » de cette entente à l’égard de l’ensemble des entreprises y ayant participé.
589 Pour les mêmes raisons, Crédit agricole ne saurait utilement se prévaloir, pour contester la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », du fait qu’elle n’a pas participé à certaines discussions, comme celles du 18 ou du 31 janvier 2013, ou encore du fait que la Commission n’aurait invoqué à son égard qu’un seul exemple de discussions relevant de la catégorie 1.
3) Sur l’appréciation des comportements en cause par la Commission
590 Ainsi que cela ressort des points 554 à 557 et 563 à 566 ci‑dessus, Crédit agricole et Credit Suisse reprochent, en substance, à la Commission des erreurs dans l’appréciation du contexte économique des comportements en cause, dans l’appréciation de leur nocivité à l’égard de la concurrence ainsi que dans l’appréciation de leur caractère, en substance, « justifié ».
i) Sur les critiques relatives à l’appréciation du contexte économique des comportements en cause par la Commission
591 Dans le cadre de leurs critiques tirées de la qualification erronée des comportements en cause de « restriction par objet », Crédit agricole et Credit Suisse reprochent à la Commission, ensemble ou séparément, tout à la fois, un défaut de motivation et une motivation erronée de la décision attaquée s’agissant de la prise en considération du contexte économique de l’infraction litigieuse.
– Sur la critique de Crédit agricole, tirée de l’absence d’appréciation du contexte économique de l’infraction litigieuse
592 Par la seconde branche de son premier moyen, Crédit agricole reproche à la Commission, notamment, une « absence de réalisation de l’analyse requise pour étayer la constatation d’une infraction par objet ».
593 Cette argumentation, qui doit être comprise comme reprochant à la Commission une violation de son obligation de motivation en ce qui concerne le contexte économique de l’infraction litigieuse, est dépourvue de fondement.
594 Il ressort en effet des considérants 3 à 65 de la décision attaquée que la Commission a pris soin de présenter, de manière détaillée, les produits en cause, les acteurs et le fonctionnement du marché secondaire des OSSA ainsi que les pratiques de négociation sur ce marché. En particulier, elle a exposé le rôle spécifique des teneurs de marché, dont elle a rappelé les fonctions, au considérant 19 de cette décision.
595 De plus, en réponse aux arguments présentés par les banques concernées au cours de la procédure administrative, la Commission a fourni, aux considérants 690 à 734 de la décision attaquée, les raisons pour lesquelles ni la fonction de teneur de marché exercée sur une base volontaire par ces banques ni l’utilité d’une découverte des prix (price discovery) ne remettaient en cause son appréciation de l’objet anticoncurrentiel des comportements en cause.
596 Dans ce cadre, la Commission a relevé, aux considérants 690 à 703 de la décision attaquée, que les banques concernées avaient une importante fonction de tenue de marché, ce qui avait justifié qu’elle ne leur reproche les discussions exclusivement destinées à la négociation et à l’exécution de transactions bilatérales et à la compensation des risques sur le marché inter-négociants, comme elle l’avait indiqué au considérant 662 de cette décision (voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2019,
HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 152).
597 La Commission a néanmoins écarté, de manière motivée, les arguments tirés de l’exercice de cette fonction de teneur de marché, en relevant, au considérant 695 de la décision attaquée, qu’il était manifeste que le rôle de négociateur des banques concernées ne consistait pas simplement à « promouvoir la liquidité en vue de soutenir leurs clients souhaitant négocier des OSSA », comme l’avaient fait valoir les requérantes au cours de la procédure administrative. De manière tout aussi motivée, elle a
indiqué que les discussions en cause allaient au-delà de la recherche légitime de liquidités à des fins d’atténuation des risques, notamment en ce qu’elles conduisaient à ce que les traders se concertent à l’insu de leurs clients, ce qui réduisait les possibilités de ces derniers de bénéficier de prix définis de manière autonome et concurrentielle. De même, les traders collaboraient, en partageant entre eux la connaissance de l’approche de leurs clients, afin de réaliser avec ces derniers des
opérations qui correspondaient à leurs intérêts mutuels (considérant 703 de la décision attaquée).
598 Aux considérants 704 à 713 de la décision attaquée, la Commission a également expliqué les raisons pour lesquelles les arguments tirés de la nécessité d’une découverte des prix, découlant d’une asymétrie d’information en faveur de certains investisseurs et en défaveur des banques concernées, devaient être écartés. Elle a ainsi relevé, au considérant 709 de la décision attaquée, que les traders d’OSSA étaient spécialisés dans une catégorie de titres et qu’il était possible de s’attendre à ce
qu’ils soient bien informés des événements externes pertinents. Elle a également relevé, au considérant 710 de cette décision, que les traders concernés ne se sont pas contentés d’échanger des informations pour décourager les clients « avertis » (smart-money clients), mais qu’ils ont échangé des informations commerciales sensibles sur tous les types de clients. Par ailleurs, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles elle avait refusé de faire droit à l’allégation tirée des effets
proconcurrentiels des échanges d’informations en cause (considérant 713 de la décision attaquée).
599 Aux considérants 714 à 719 de la décision attaquée, la Commission a enfin rejeté l’argument de Crédit agricole tiré du caractère public ou rapidement obsolète des données échangées, en relevant notamment l’utilité des informations relatives à des opérations récentes pour l’évaluation des tendances de marché et les opportunités de négociation futures.
600 Eu égard à ce qui précède, Crédit agricole ne saurait valablement soutenir que la Commission a manqué à son obligation de motivation en ce qui concerne la description du contexte économique de l’infraction litigieuse.
601 Dès lors, la seconde branche de son premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées de l’appréciation erronée du contexte économique de l’infraction litigieuse
602 Dans le cadre de la première branche de leur premier moyen respectif, premièrement, Crédit agricole et Credit Suisse font grief à la Commission d’avoir insuffisamment pris en considération les caractéristiques du marché des OSSA. En particulier, la Commission n’aurait pas examiné le caractère oligopolistique ou, au contraire, atomistique de ce marché alors même que la concentration du marché concerné constitue un élément pertinent pour apprécier la nocivité à l’égard de la concurrence d’échanges
d’informations.
603 Deuxièmement, la Commission aurait apprécié de manière erronée le fonctionnement du marché secondaire des OSSA, essentiellement en ce qu’elle n’aurait pas dûment tenu compte de la fonction de teneur de marché exercée par les banques concernées, ce qui l’aurait conduite, à tort, à considérer que certains des comportements en cause pouvaient être considérés comme corroborant l’objet anticoncurrentiel de l’infraction unique et continue litigieuse.
604 Ainsi, la Commission n’aurait pas correctement tenu compte du fait que la fourniture de services d’immédiateté par les teneurs de marché impliquait qu’ils négocient entre eux et qu’ils recherchent en permanence et de manière approfondie les prix (la « couleur du marché ») et les sources de liquidités, mais également du fait qu’il existait, entre eux, un certain degré de coopération ainsi que des flux réguliers d’informations commerciales sensibles. À cet égard, Crédit agricole fait valoir que
« le[s] trader[s] doi[ven]t comprendre comment les prix ont évolué dans le passé afin de savoir ce qu’ils[s] doi[ven]t faire pour remporter des marchés ».
605 Troisièmement, selon Credit Suisse, la Commission a manqué à son obligation de démontrer que des circonstances particulières n’étaient pas susceptibles de faire naître un doute sur la nocivité présumée de l’accord concerné, ainsi que l’exigerait le point 48 des conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C‑228/18, EU:C:2019:678).
606 S’agissant, premièrement, de la critique tirée de l’insuffisante prise en considération des caractéristiques du marché des OSSA, la Commission fait valoir que la Cour a déjà eu l’occasion de juger que, pour les accords qui constituent des violations particulièrement graves de la concurrence, l’analyse du contexte économique et juridique dans lequel la pratique s’insère peut se limiter à ce qui s’avère strictement nécessaire en vue de conclure à l’existence d’une restriction de la concurrence par
objet (voir arrêt du 27 avril 2017, FSL e.a./Commission, C‑469/15 P, EU:C:2017:308, point 107 et jurisprudence citée).
607 Néanmoins, la prise en considération de l’ensemble des éléments visés au point 577 ci‑dessus doit, en tout état de cause, faire apparaître les raisons précises pour lesquelles le comportement en cause présente un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, justifiant de considérer qu’il a pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser celle-ci (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2014, CB/Commission, C‑67/13 P, EU:C:2014:2204, point 69, et du 21 décembre 2023, European
Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 168).
608 De plus, dans un contexte tel que celui du marché des OSSA, la Commission ne peut se prévaloir de la jurisprudence rappelée au point 606 ci‑dessus.
609 Cela tient en particulier au fait que, dans un marché complexe comme en l’espèce, caractérisé par un flux constant et important d’informations entre les différents acteurs en jeu, la détermination du degré suffisant de nocivité des comportements en cause suppose une analyse détaillée des discussions intervenues entre les traders des banques concernées. À cet égard, la Commission a elle-même reconnu, aux considérants 46 et 662 de la décision attaquée, que certaines discussions – à finalités
sociales ou ayant pour objet d’étudier la possibilité de transactions bilatérales ou encore d’échanger sur la couleur du marché déjà connue de tous – n’étaient pas visées par cette décision.
610 Pour autant, force est de constater, comme cela a été relevé aux points 594 à 599 ci‑dessus, que la Commission a pris en considération, notamment, la nature des produits en cause ainsi que les fonctions exercées par les banques concernées.
611 De ce fait, contrairement à ce que soutient Credit Suisse, cette institution ne s’est pas limitée à supposer, en faisant référence à l’échange d’informations sur d’autres marchés ou des marchés financiers autres que celui des OSSA, que les comportements en cause réduisaient considérablement les incertitudes normales du marché des OSSA au profit des banques concernées et au détriment des autres opérateurs du marché.
612 S’il est vrai que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas expressément tenu compte de la concentration du marché des OSSA, une telle omission ne saurait lui être valablement reprochée.
613 En effet, outre le fait que les requérantes n’indiquent pas avoir soulevé, dans le cadre de la procédure administrative, la nécessité de tenir compte de cet élément aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », les critiques tirées de ce défaut d’analyse de la concentration du marché des OSSA reposent essentiellement sur des renvois généraux à des jurisprudences antérieures et, ainsi, ne mettent pas en évidence l’importance qu’aurait revêtu une telle
analyse au cas d’espèce.
614 Ainsi, les requérantes n’ont pas démontré dans quelle mesure cette analyse aurait été pertinente concernant les comportements qui leur ont été reprochés, à savoir des coordinations des prix, des répartitions de marché ou de clientèle ou encore des échanges d’informations commerciales sensibles.
615 Concernant ces derniers comportements, il doit, par ailleurs, être relevé que, même si la Cour a initialement pu prendre en considération le caractère oligopolistique du marché sur lequel les échanges d’informations commerciales sensibles étaient intervenues (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, EU:C:1998:256, points 75 et 88 à 90), il ressort, en particulier, de l’arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission (C‑286/13 P, EU:C:2015:184),
que le juge de l’Union a pu reconnaître l’objet anticoncurrentiel de tels échanges, sans prise en compte du caractère oligopolistique du marché de produits sur lequel ils étaient intervenus [voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2021, Nichicon Corporation/Commission, T‑342/18, EU:T:2021:635, points 105 à 112 (non publiés)], voire en l’absence d’une telle concentration du marché (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Dole Food et Dole Germany/Commission, T‑588/08, EU:T:2013:130, point 334).
616 S’agissant, deuxièmement, de la critique tirée de l’appréciation erronée du fonctionnement du marché des OSSA, d’une part, il importe de relever que les arguments avancés par Crédit agricole et Credit Suisse ne permettent pas de remettre en cause les constats effectués par la Commission aux considérants 19 ainsi que 690 à 697 de la décision attaquée, selon lesquels les banques concernées exerçaient la fonction de teneur de marché sur une base volontaire, sans être tenues par les obligations
propres aux teneurs de marché désignés, et leur rôle ne consistait pas seulement à promouvoir la liquidité pour soutenir leurs clients souhaitant négocier des OSSA.
617 Il ressort en effet des six discussions visées par la Commission au soutien de ces constats (considérants 693 et 696 de la décision attaquée) et non contestées par les requérantes que, si ces banques exerçaient certes une fonction de teneur de marché, leur activité de négociation ne se limitait pas à cette seule fonction et visait également à maximiser leurs profits.
618 D’autre part, en dépit de l’absence de fonction de teneur de marché dévolue officiellement aux banques concernées, la Commission a néanmoins pris le soin de tenir compte, dans la décision attaquée, de l’exercice de cette fonction.
619 La Commission a ainsi distingué les activités de négociation intervenant entre teneurs de marché et investisseurs finaux (end-investors) et celles intervenant entre teneurs de marché, notamment à des fins de recherche de liquidités (liquidity sourcing).
620 En ce sens, elle a indiqué, aux considérants 42 et 43 de la décision attaquée, que la présente affaire ne concernait pas les discussions entre les opérateurs concernés dans le cours normal de leurs activités, portant sur des questions telles que la fourniture d’informations nécessaires et destinées à explorer les possibilités de transaction entre eux en tant que contreparties potentielles ou en tant que clients potentiels, ou des commentaires sur la couleur du marché, ce qu’elle a confirmé aux
considérants 661 à 663 et 699 de la décision attaquée, en relevant qu’elle n’a pas mis en cause les informations échangées dans le cadre des négociations contractuelles entre les traders des banques concernés.
621 Dès lors, c’est à bon droit que, notamment aux considérants 649 et 650 de la décision attaquée, la Commission a pu considérer que Crédit agricole et Credit Suisse ne pouvaient utilement se prévaloir de leur fonction de teneur de marché, dès lors que leurs comportements excédaient ce qu’il était normalement attendu de tels teneurs de marché.
622 S’agissant, troisièmement, de la critique tirée du point 48 des conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire Budapest Bank e.a. (C‑228/18, EU:C:2019:678), force est de constater que, ainsi qu’il découle notamment des points 616 à 621 ci‑dessus, la Commission a, à bon droit et en tout état de cause, écarté les arguments des requérantes, tirés des circonstances particulières propres au marché des OSSA et, en particulier, aux fonctions de teneurs de marché des banques concernées.
623 En conséquence, les arguments de Crédit agricole et de Credit Suisse tirés de l’appréciation erronée du marché des OSSA – et en particulier de leur fonction de teneurs de marché – doivent être rejetés comme étant non fondés.
624 Toutefois, nonobstant le fait que, dans la décision attaquée, la Commission n’ait pas constaté autant d’infractions qu’il y a de catégories visées aux considérants 103 et 613 de la décision attaquée (points 87, 364 et 445 ci‑dessus), cette conclusion ne préjuge pas du fait que, pour chaque type de comportement en cause voire pour chaque discussion critiquée, la Commission ait pu procéder à une appréciation erronée de leur caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence pour contribuer à
la qualification de « restriction par objet » des comportements en cause, dans leur ensemble, ce qu’il y a lieu d’examiner ci‑après.
ii) Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du caractère insuffisamment nocif à l’égard de la concurrence des comportements en cause
625 Dans le cadre de leurs critiques tirées de la qualification erronée des comportements en cause de « restriction par objet », Crédit agricole et Credit Suisse reprochent à la Commission d’avoir erronément considéré que ceux‑ci présentaient une nocivité suffisante à l’égard de la concurrence pour être qualifiés de « restriction par objet ».
626 Selon Crédit agricole, les échanges d’informations classés dans les catégories 3 et 4 ne porteraient pas sur des prix futurs ou des informations prospectives, mais sur des prix antérieurs, des transactions potentielles ou des préoccupations non liées aux prix concernant des clients spécifiques. De plus, ils ne s’inscriraient pas dans le cadre d’échanges systématiques. De tels échanges d’informations – comme ceux du 19 mars, du 24 mai et du 25 juillet 2013, classés dans la catégorie 3, et ceux du
19 mars et du 3 juin 2013 ainsi que du 6 août 2014, classés dans la catégorie 4 – ne pourraient donc être pris en considération aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », dans la mesure où « il existe une autre interprétation de ceux-ci, de toute évidence plausible, que celle de la Commission ». De plus, le fait retenu par la Commission que les échanges d’informations en cause généreraient une asymétrie d’information au bénéfice des banques concernées
ne serait pas pertinent, car le marché des OSSA souffrirait par nature d’une asymétrie d’information. Enfin, la Commission n’aurait pas examiné si les échanges d’informations avaient permis d’atténuer ou de supprimer le degré d’incertitude sur le fonctionnement du marché des OSSA.
627 Les comportements classés dans les catégories 1, 2 et 5 ne pourraient pas non plus être considérés comme présentant une nocivité suffisante à l’égard de la concurrence pour être pris en considération aux fins de la qualification des comportements en cause de « restriction par objet », dans la mesure où les discussions des 18 et 31 janvier, du 15 février, du 21 mars et du 10 juillet 2013 ainsi que du 12 mars 2015 ne révéleraient pas une coordination entre les banques concernées.
628 Selon Credit Suisse, il ne serait pas critiquable pour les teneurs de marché de « tuer un prix » affiché sur l’écran d’un courtier afin de réaliser des opérations directement entre eux, comme lors des discussions du 28 septembre 2010 et du 10 janvier 2013. Comme cela ressortirait du point 178 de l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), il ne serait pas non plus critiquable d’échanger entre teneurs de marché des informations sur leurs positions
d’inventaire (longues ou courtes), dans la mesure où cela permettrait de trouver plus facilement des possibilités de transactions entre traders.
629 À titre liminaire, il convient de relever que le Tribunal a déjà constaté, aux points 185 à 310 ci‑dessus, que la Commission avait à bon droit constaté que ces comportements présentaient un caractère anticoncurrentiel.
630 En conséquence, dans le cadre de l’examen des critiques des requérantes visées aux points 626 à 628 ci‑dessus, il y a uniquement lieu d’apprécier si ces comportements présentent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour que, dans leur ensemble, ils puissent être qualifiés de « restriction par objet ».
631 À cet effet, il convient de rappeler, premièrement, que la Commission a reproché aux banques concernées une infraction unique et continue composée de plus de 200 discussions, visées dans l’annexe 1 de la communication des griefs à laquelle renvoie la note en bas de page 118 de la décision attaquée, dont plus de 120 sont analysées dans le corps de cette décision et dont, dans le cadre de leur premier moyen respectif, seulement onze ont été régulièrement contestées par Crédit agricole (voir
points 100 à 107 et 625 et 627 ci-dessus) et trois par Credit Suisse (voir points 108 à 113 et 628 ci‑dessus).
632 Deuxièmement, la Commission a qualifié de « restriction par objet » ces discussions, prises dans leur ensemble, sans retenir cette qualification ni pour chacune de ces discussions ni pour chacune des cinq catégories dans lesquelles elles ont été classées.
633 Aux considérants 614 à 616 de la décision attaquée, la Commission a néanmoins estimé, à des fins d’illustration, que les discussions classées dans les catégories 1 et 2 révélaient des « coordination[s] de prix » entre les banques concernées, que celles classées dans les catégories 3 et 4 révélaient des « divulgation[s] d’informations sensibles, de la propre initiative des traders ou sur demande, afin que d’autres traders puissent les utiliser comme renseignements sur les activités de négociation
ainsi que sur les stratégies de négociation et de fixation des prix », et que les discussions classées dans la catégorie 5 révélaient des « coordination[s] d’activités de négociation ».
634 Il en découle qu’il convient de déterminer si les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, examinées conjointement avec les quatorze discussions valablement critiquées par celles‑ci, sont de nature à remettre en cause la qualification de « restriction par objet » retenue par la Commission, laquelle est d’ores et déjà soutenue par les appréciations relatives aux plus de 120 discussions n’ayant pas été contestées ou n’ayant pas été régulièrement contestées par ces banques et qui, de ce
fait, doivent être considérées comme définitivement établies, tout comme les conclusions que la Commission en a tiré.
635 D’emblée, il convient de souligner, comme cela a déjà été relevé au point 186 ci‑dessus, que, lorsque la Commission se fonde, dans le cadre de l’établissement d’une infraction à l’article 101 TFUE, sur des éléments de preuve documentaires, il incombe aux entreprises concernées non simplement de présenter une alternative plausible à la thèse de la Commission, mais bien de soulever l’insuffisance des preuves retenues dans la décision attaquée pour établir l’existence de l’infraction.
636 S’agissant, dans un premier temps, des comportements de coordination des prix – qu’ils aient été exécutés à l’égard de contreparties spécifiques ou du marché en général – ainsi que des comportements de coordination des activités de négociation, il est de jurisprudence constante qu’ils présentent un degré de nocivité suffisant à l’égard de la concurrence pour être considérés, par leur nature même, comme nuisibles au bon fonctionnement du jeu normal de la concurrence.
637 Les premiers comportements visés au point précédent s’analysent comme des fixations horizontales des prix entre concurrents qui peuvent être considérées comme étant tellement susceptibles d’avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu’il peut être considéré inutile, aux fins de l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, de démontrer qu’ils ont des effets concrets sur le marché (voir arrêt du 2 avril 2020, Budapest Bank
e.a., C‑228/18, EU:C:2020:265, point 36 et jurisprudence citée).
638 Ainsi que cela a été relevé à juste titre par la Commission aux considérants 645, 648 et 653 de la décision attaquée, les banques concernées se sont ainsi mises d’accord sur les prix que chacune d’elles proposerait à un client, soit en fixant des prix identiques pour ce client, soit en convenant que l’une d’entre elles proposerait un prix plus compétitif que l’autre. Elles ont également discuté et formulé conjointement leurs prix pour les obligations qu’elles présenteraient au marché par
l’intermédiaire de leurs bureaux de vente ou des courtiers, ce qui a pris la forme de soumissions d’offres d’achat ou de vente aux courtiers à des prix coordonnés, ou d’envoi de listes d’intérêts ou de listes de comparaison (« comps lists »), à savoir des listes produites par un trader dans le cadre d’une nouvelle émission d’obligations, montrant les prix d’obligations similaires ayant des caractéristiques comparables (maturité, rendement) à celles de la nouvelle émission (considérant 54 de la
décision attaquée), à leurs bureaux de vente respectifs avec des prix coordonnés.
639 Les seconds comportements visés au point 636 ci‑dessus s’analysent comme des comportements de répartition de marché ou de clientèle qui ont un objet restrictif de la concurrence en eux-mêmes (arrêt du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 218), ainsi que la Commission l’a relevé en substance aux considérants 646 et 681 de la décision attaquée.
640 De tels comportements ont conduit les banques concernées à s’abstenir de faire des offres d’achat ou de vente, à retirer (kill) des offres d’achat ou de vente du marché lorsqu’elles risquaient d’entrer en concurrence ou d’interférer les unes avec les autres ou encore à se répartir les transactions et à fusionner ou à réduire leurs positions respectives pour répondre à la demande d’un client spécifique (tel que divulgué entre eux), ce qui, notamment, a limité le pouvoir de négociation des clients
de ces banques, comme cela a été relevé en substance par la Commission au considérant 703 de la décision attaquée.
641 De surcroît, Crédit agricole et Credit Suisse ne peuvent valablement soutenir que les discussions du 28 septembre 2010, des 10, 18 et 31 janvier, du 15 février, du 21 mars et du 10 juillet 2013 ainsi que du 12 mars 2015 ont, à tort, été prises en considération aux fins de la qualification des comportements en cause, dans leur ensemble, de « restriction par objet ».
642 Pour ce qui est des discussions des 18 et 31 janvier 2013, il a déjà été relevé, aux points 188 à 200, qu’aucune erreur quant au caractère anticoncurrentiel de ces échanges n’a été commise par la Commission. De plus, les arguments soulevés par Crédit agricole ne concernent, en substance, pas l’appréciation de la nocivité particulière des comportements en cause à l’égard de la concurrence.
643 Pour ce qui est des discussions du 28 septembre 2010 ainsi que du 10 janvier 2013, et comme cela ressort des points 269 à 278 et 287 à 295 ci‑dessus, elles révèlent à tout le moins une coordination des activités de négociation des traders de Credit Suisse et de Deutsche Bank – en ce que l’un a proposé à l’autre de retirer son prix affiché sur l’écran d’un courtier alors que ce dernier était en négociation avec un tiers – et sans que ces banques soient en mesure de démontrer que les éléments de
preuve apportés par la Commission quant à la nature anticoncurrentielle de ces discussions étaient insuffisants.
644 En ce qui concerne la discussion du 15 février 2013 et comme cela ressort des points 201 à 208 ci‑dessus, elle révèle à tout le moins une coordination sur les prix, par laquelle Crédit agricole et Deutsche Bank ont discuté et formulé conjointement leurs prix pour des obligations qu’elles présenteraient à un client, et cela nonobstant le fait qu’une discussion, que Crédit agricole estime similaire, n’aurait pas été reprochée à une banque tierce.
645 En ce qui concerne la discussion du 21 mars 2013 et comme cela ressort des points 217 à 227 ci‑dessus, elle ne saurait certes être considérée comme reflétant une coordination sur les prix. Toutefois, force est de constater que Crédit agricole ne se prévaut pas ni, a fortiori, ne démontre que les échanges intervenus au cours de cette discussion auraient été considérés, à tort, comme constituant des échanges d’informations commerciales sensibles présentant un degré de nocivité suffisant à l’égard
de la concurrence pour contribuer à la qualification de « restriction par objet » des comportements en cause (voir, par analogie, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, point 151).
646 En ce qui concerne la discussion du 10 juillet 2013 et comme cela ressort des points 236 à 243 ci‑dessus, elle révèle à tout le moins une coordination sur les prix ainsi qu’une coordination des activités de négociation de Crédit agricole et de Deutsche Bank, ayant conduit le trader de cette première banque à indiquer au trader de cette seconde banque qu’il allait faire une offre au même prix que celui que ce dernier lui avait communiqué préalablement.
647 Enfin, en ce qui concerne la discussion du 12 mars 2015 et comme cela ressort des points 257 à 267 ci‑dessus, celle-ci révèle à tout le moins un comportement de répartition de marché, en ce que le trader de Crédit agricole s’est abstenu de soumettre une offre à un client qui l’avait contacté et qui avait également contacté le trader de Credit Suisse. De plus, cette constatation ne peut être remise en cause par l’argument de Crédit agricole, tiré du fait que cette discussion engagée par le trader
de Credit Suisse était « vraisemblablement motivée par le fait que le même client avait déjà demandé auparavant au trader de [Crédit agricole] le prix des obligations », ainsi que cela ressort de la jurisprudence rappelée au point 186 ci‑dessus.
648 S’agissant, dans un second temps, des échanges d’informations en cause, premièrement, il importe de constater qu’ils concernent des informations qui, d’une part, ne sont pas accessibles au public et, d’autre part, sont commercialement sensibles, contrairement à ce que Crédit agricole soutient de manière ponctuelle et non étayée.
649 Le caractère non accessible au public de ces informations a été établi à suffisance de droit par la Commission aux considérants 714 à 719 de la décision attaquée, selon lesquels seulement certaines desdites informations pouvaient être partiellement déterminables (discernible) via les écrans des traders ou les plateformes de courtiers, mais, en tout état de cause, l’étaient sans permettre de déterminer l’identité des contreparties ultimes.
650 Selon Crédit agricole, les traders « recherche[nt] en permanence et de manière approfondie les prix et les sources de liquidité [afin de] savoir où ils peuvent acheter et vendre des obligations et à quel prix », ce qui justifie les échanges en cause. Or, d’une part, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre aux considérants 43 et 663 de la décision attaquée, les informations échangées entre parties relatives à des prix actuellement offerts ou envisagés vont bien au-delà de ce qui était
nécessaire aux fins de la découverte de prix en vue de la négociation de transactions bilatérales et, d’autre part, si les informations échangées étaient effectivement accessibles au public, leur échange serait inutile.
651 À cet égard, concernant la discussion du 10 juillet 2013 évoquée par Crédit agricole, il doit être relevé que cette banque ne fournit aucun élément – autre qu’une simple affirmation – de nature à infirmer le constat que les informations échangées lors de cette discussion – à l’occasion de laquelle le trader de Crédit agricole a indiqué au trader de Deutsche Bank qu’il allait faire une offre sur une obligation au même prix que celui que ce dernier trader lui avait préalablement communiqué –
n’étaient pas publiques.
652 Le caractère commercialement sensible des informations échangées a également été établi à suffisance de droit par la Commission s’agissant des informations tant relatives aux négociations actuelles et futures que relatives aux négociations récentes. À cet égard, la Commission a notamment relevé, aux considérants 658 et 663 de la décision attaquée, que les informations échangées concernaient les activités des clients actifs sur le marché un jour donné, leurs intérêts et leurs préférences en
matière de négociation tels qu’ils étaient exprimés à chacune des banques concernées, y compris les obligations que le client pouvait détenir ou rechercher et leur taille (volume), la question de savoir si le client était susceptible de continuer à acheter ou à vendre, et les niveaux de prix auxquels il souhaitait exécuter ou avait conclu des transactions récentes.
653 Concernant les informations relatives aux négociations récentes, la Commission a également relevé, au considérant 716 de la décision attaquée, qu’elles pouvaient être utiles pour évaluer les tendances du marché et les opportunités commerciales futures, car la connaissance des résultats passés constituait une information très pertinente pour les traders, à la fois à des fins de surveillance et dans la perspective de contrats futurs, en visant le point 127 (non publié) de l’arrêt du 12 juillet
2019, Sony et Sony Electronics/Commission (T‑762/15, EU:T:2019:515).
654 Si, compte tenu de la spécificité du secteur des OSSA, le renvoi à une affaire intervenue dans un secteur qui lui est totalement étranger s’avère peu pertinent, il n’en demeure pas moins que la Commission a pleinement mis en évidence dans la décision attaquée, notamment à son considérant 659, que les informations relatives aux négociations récentes présentaient un caractère commercialement sensible, contrairement à ce que soutient Crédit agricole.
655 De plus, ce caractère commercialement sensible est confirmé tant par le rapport Compass Lexecon du 29 mars 2019, intitulé « The Economic Context of Price Discussions and the Exchange of “Sensitive Commercial Information” between Market Makers in SSA Bonds » (Le contexte économique des discussions sur les prix et l’échange d’« informations commerciales sensibles » entre les teneurs de marché dans les obligations SSA, ci-après le « premier rapport Compass Lexecon »), produit par Credit Suisse et
visé au considérant 705 de la décision attaquée que par Crédit agricole dans ses écritures. À cet égard, cette dernière banque indique expressément que, « pour être compétitif, le trader doit [...] comprendre comment les prix ont évolué dans le passé, afin de savoir ce qu’il doit faire pour remporter des marchés ».
656 À cet égard, Credit Suisse ne peut utilement se prévaloir des points 185 à 191 de l’arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission (T‑105/17, EU:T:2019:675), par lesquels le Tribunal a dénié la qualification de « restriction par objet » à une discussion intervenue entre deux traders actifs sur le marché des produits dérivés de taux d’intérêt en euro et portant sur les positions de négociation.
657 En effet, il ressort clairement de ces points que la raison pour laquelle le Tribunal a refusé de reconnaître un objet anticoncurrentiel à une discussion relative aux positions de négociation est non qu’une telle discussion n’a, par principe, pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiée de « restriction par objet », mais que, dans cette affaire, la Commission n’avait pas démontré à suffisance de droit que ladite discussion avait procuré aux traders un
avantage en matière d’information qui pouvait leur permettre d’ajuster en conséquence leurs stratégies de négociation.
658 Or, en l’espèce, il ressort des points 653 à 655 ci‑dessus que, dans la décision attaquée, la Commission a apporté une telle preuve.
659 Par ailleurs, il doit être relevé que, au considérant 665 de la décision attaquée, la Commission a veillé à distinguer les échanges portant sur des informations relatives aux négociations récentes de ceux, « de moins grande valeur », portant sur des informations plus historiques.
660 Deuxièmement, il n’est contesté ni par Crédit agricole ni par Credit Suisse que les échanges d’informations en cause sont intervenus entre un nombre réduit d’opérateurs du marché des OSSA.
661 À cet égard, Credit Suisse a d’ailleurs indiqué dans ses écritures que tout l’avantage des comportements en cause pour les banques concernées était qu’ils intervenaient au sein d’un « groupe fermé », permettant à ces banques « de se proposer des écarts inférieurs à ceux qu’ils proposeraient à d’autres teneurs de marché, en anticipant la réciprocité de la contrepartie de confiance ».
662 Dès lors, comme l’a relevé à juste titre la Commission, notamment aux considérants 658, 659, 668 à 670, 672, 680 et 740 à 742 de la décision attaquée, les échanges d’informations en cause ont conduit à une réduction de l’incertitude du marché au profit des banques concernées et, de ce fait, à une asymétrie d’information, permettant à celles‑ci de bénéficier de « beaucoup plus d’informations [que celles] qu’elles auraient pu normalement se procurer ».
663 Or, il est de jurisprudence constante que présentent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour considérer qu’il n’y a pas lieu d’en rechercher les effets, les échanges d’informations susceptibles d’atténuer ou d’éliminer des incertitudes dans l’esprit des intéressés quant à la date, à l’ampleur et aux modalités de l’adaptation du comportement sur le marché que les entreprises concernées vont mettre en œuvre (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC Holdings
e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 115 et 116 et jurisprudence citée).
664 À cet égard, il ressort des points 279 à 286, 209 à 216, 228 à 232, 233 à 235, 244 à 248 et 249 à 256 ci‑dessus que des discussions telles que celles du 8 février 2012, du 19 mars, du 24 mai, du 3 juin et du 25 juillet 2013 ainsi que du 6 août 2014 présentent de telles caractéristiques.
665 De plus, la Cour a jugé qu’un échange d’informations susceptible d’éliminer des incertitudes dans l’esprit des intéressés quant à la date, à l’ampleur et aux modalités de l’adaptation du comportement sur le marché que les entreprises concernées vont mettre en œuvre doit être considéré comme présentant un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, indépendamment des effets directs sur les prix acquittés par les consommateurs finaux (voir, en ce sens, arrêt du 12 janvier 2023, HSBC
Holdings e.a./Commission, C‑883/19 P, EU:C:2023:11, points 203 et 204).
666 Dès lors, c’est à bon droit que la Commission a estimé que, sur le marché des OSSA, les échanges d’informations commerciales sensibles intervenus entre les banques concernées présentaient un caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence pour contribuer à la qualification des comportements en cause, dans leur ensemble, de « restriction par objet ».
667 Une telle conclusion vaut tout particulièrement dans la mesure où, au considérant 661 et à la note en bas de page 740 de la décision attaquée, la Commission a mis en évidence que le marché des OSSA était un marché où la gestion du risque et de l’incertitude était l’un des paramètres clés de la concurrence, ce qui n’est pas contesté par les requérantes, et s’est prévalue à juste titre du fait que les échanges entre concurrents, sur une donnée pertinente pour la détermination des prix et ne
disposant pas d’un caractère public, revêtaient un caractère d’autant plus sensible sous l’angle de la concurrence lorsqu’ils se déroulaient entre des traders agissant en tant que « teneurs de marché » (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 145).
668 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient Crédit agricole, le constat du caractère suffisamment nocif à l’égard de la concurrence d’échanges d’informations commerciales sensibles n’est pas conditionné à son caractère « systématique », ainsi que cela ressort de la jurisprudence rappelée au point 663 ci‑dessus.
669 De même, l’allégation de Crédit agricole tirée, en substance, du fait que le marché des OSSA serait un marché connaissant une importante asymétrie d’information entre les teneurs de marché, impliquant que l’accroissement de cette asymétrie préexistante du fait des échanges d’informations en cause ne présenterait pas une nocivité suffisante à l’égard de la concurrence, ne saurait prospérer.
670 En effet, l’opacité relative du marché des OSSA, conduisant à ce que les teneurs de marché puissent éprouver des difficultés à déterminer le juste prix d’une obligation, ne signifie pas qu’il existe entre ces teneurs de marché une asymétrie d’information, dès lors qu’ils sont tous confrontés à cette opacité. En tout état de cause, à supposer que cette asymétrie d’information existe, l’argumentation de Crédit agricole se heurte à l’effet utile qu’il convient de garantir à la notion de
« restriction par objet » et plus largement de l’article 101 TFUE, dans la mesure où elle conduit à relativiser la gravité objective d’un comportement alors même que celui-ci intervient sur un marché qui s’avère particulièrement sensible aux comportements d’entreprises qui ne détermineraient pas de manière autonome la politique qu’elles entendent suivre sur le marché.
671 Enfin, Credit Suisse ne peut utilement se prévaloir de l’arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734), pour priver la Commission de la possibilité de tenir compte des échanges d’informations commerciales sensibles en cause pour contribuer à la qualification des comportements en cause, dans leur ensemble, de « restriction par objet ».
672 En effet, comme cela a déjà été relevé au point 183 ci‑dessus, les échanges d’informations ayant donné lieu à l’arrêt du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado (C‑238/05, EU:C:2006:734), étaient très nettement différents de ceux ayant été constatés et sanctionnés dans la décision attaquée, notamment en ce qu’ils portaient sur des informations anonymisées et accessibles de manière non discriminatoire à l’ensemble des opérateurs actifs sur le marché.
673 Eu égard à ce qui précède, c’est à tort que Crédit agricole et Credit Suisse reprochent à la Commission d’avoir incorrectement apprécié la nocivité des comportements en cause afin de conclure que ceux‑ci étaient susceptibles de contribuer à la qualification de « restriction par objet » des comportements en cause, dans leur ensemble.
iii) Sur les critiques tirées du caractère, en substance, « justifié » des comportements en cause
674 Il découle de ce qui précède que les comportements en cause, pris dans leur ensemble, présentent un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence, permettant à la Commission de les qualifier de « restriction par objet ».
675 Toutefois, il convient d’examiner si ce constat est susceptible d’être remis en cause par les arguments de Crédit agricole et Credit Suisse tirés du caractère « justifié » des comportements en cause.
676 À cet égard, il convient de relever que Crédit agricole a soutenu, de manière indifférenciée, que les discussions qui lui étaient reprochées étaient « nécessaires », « légitimes », « proconcurrentielles » ou encore « inhérentes et essentielles au bon fonctionnement du marché et au service plus large des clients ».
677 Pour sa part, au soutien de son allégation de l’appréciation erronée du contexte économique de l’infraction litigieuse, Credit Suisse a soutenu, de manière indifférenciée, que les discussions en cause étaient « légitimes » ou « proconcurrentielles ».
678 Compte tenu des formulations ambiguës retenues par ces deux banques, le Tribunal les a invitées, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, à préciser si leur argumentation prenait appui sur le point 103 de l’arrêt du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52), et, dans le cas contraire, à préciser le fondement conceptuel ou jurisprudentiel de leur argumentation.
679 Dans sa réponse, Crédit agricole a indiqué que son « argumentation principale ne prend pas appui sur [ce] point [103] », en ce que « le manquement de la Commission va au-delà de l’absence de prise en compte d’effets proconcurrentiels ». Pour autant, « les comportements de son trader [...] présent[erai]ent des effets positifs y compris proconcurrentiels, ce que la Commission aurait dû prendre en compte ».
680 Dans sa réponse, Credit Suisse a indiqué que son argument, tiré du fait que les discussions en cause ne présentaient pas un degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifiées de « restriction par objet », était « corroboré par les considérations de la Cour effectuées [à ce] point 103 [...], sans toutefois être fondé sur celui-ci ». Néanmoins, lors de l’audience, en réponse à une question du Tribunal, Credit Suisse a indiqué qu’elle se fondait effectivement sur ledit
point 103.
681 Dans ce contexte, il convient de comprendre l’argumentation de Crédit agricole et de Credit Suisse comme tirée essentiellement du caractère proconcurrentiel des comportements en cause et, accessoirement, du caractère « nécessaire », « légitime », « positif » ou « inhérent et essentiel » de ceux‑ci.
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées des effets proconcurrentiels des comportements en cause
682 Dans le cadre de sa critique tirée des effets proconcurrentiels des comportements en cause, Credit Suisse fait valoir que les relations privilégiées entre les traders des banques ayant pris part à l’infraction litigieuse leur permettaient non seulement d’améliorer la qualité des informations échangées entre eux, mais également, à eux ainsi qu’à leurs clients, de se procurer des liquidités à de meilleurs prix.
683 Au soutien de son argumentation, Credit Suisse se prévaut du premier rapport Compass Lexecon, selon lequel les communications relatives à la détermination des prix renforcent la concurrence entre les teneurs de marché et les traders en les encourageant à afficher de meilleurs prix afin d’attirer les flux d’ordres et, par la suite, de réduire les coûts de transaction et les écarts de cotation.
684 Il en découlerait que la Commission n’aurait pas pu valablement estimer, aux considérants 155, 376, 381, 603, 619, 658, 659 et 660 de la décision attaquée, que les communications relatives à la détermination des prix ont permis aux banques concernées de juger de la compétitivité de leurs propres prix ou encore de juger de leur correcte lecture du marché du fait de l’accroissement de la transparence du marché et de la réduction de l’incertitude sur celui-ci. Elle n’aurait pas non plus valablement
pu estimer que ces communications leur avaient permis, à leur avantage, d’ajuster et de déterminer leur stratégie à l’égard du marché et des autres traders tout comme de créer une asymétrie du marché.
685 En conséquence, selon Credit Suisse, la Commission ne pouvait pas conclure que les communications relatives à la détermination des prix étaient intrinsèquement et fortement anticoncurrentielles, ni, in fine, que les comportements en cause relevaient de la qualification de « restriction par objet », tout particulièrement dans la mesure où les banques concernées détenaient de faibles parts de marché cumulées et que le marché des OSSA était très concurrentiel.
686 Crédit agricole s’est également prévalue de l’effet proconcurrentiel des comportements en cause. À cet égard, elle s’est limitée à indiquer, au point 2.16 de sa requête, que « la Commission n’a [...] pas reconnu que le type d’informations transmises entre les traders présentait une série d’avantages en facilitant les opérations avec les partenaires, la fourniture de liquidités, et en permettant de fixer de meilleurs prix (plus concurrentiels), notamment au profit des clients ».
687 S’agissant de la prise en considération des effets proconcurrentiels allégués d’un comportement, il ressort des arrêts du 30 juin 1966, LTM (56/65, EU:C:1966:38, page 359), et du 26 novembre 2015, Maxima Latvija (C‑345/14, EU:C:2015:784, points 16 et 17), que, dans l’appréciation du contexte économique et juridique dans lequel s’inscrit le comportement en cause, il n’est en aucune manière nécessaire d’examiner et à plus forte raison de démontrer les effets de ce comportement sur la concurrence,
qu’ils soient réels ou potentiels et négatifs ou positifs (arrêt du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 166).
688 Il en découle que les effets proconcurrentiels allégués par les requérantes n’ont pas lieu, en tant que tels, d’être pris en considération au stade de la qualification des comportements en cause en tant que « restriction par objet ».
689 En tout état de cause, à supposer que les implications « favorables » alléguées de ces comportements puissent ou doivent être prises en considération, à un titre ou à un autre, aux fins de leur qualification de « restriction par objet », il importe de relever ce qui suit.
690 En se limitant à faire valoir l’argument énoncé au point 686 ci‑dessus sans autre précisions, Crédit agricole ne saurait faire obstacle à la qualification de « restriction par objet » des comportements en cause.
691 De même, Credit Suisse ne peut valablement faire valoir, d’une part, qu’elle pouvait se limiter à établir la « plausibilité à première vue » des implications « favorables » de ses comportements, et d’autre part, que la Commission aurait violé ses droits de la défense en lui appliquant des règles de preuve inappropriées.
692 Quant à l’importance des implications « favorables » alléguées par Credit Suisse, il y a lieu de constater que cette banque se prévaut des implications « favorables » attachées, uniquement ou essentiellement, aux 25 discussions relatives à la détermination des prix, dont il a déjà été rappelé, aux points 110 et 569 ci‑dessus, que la contestation n’était pas étayée et donc pas recevable.
693 Il convient dès lors d’examiner si, à les supposer établies, les implications « favorables » de telles discussions sont de nature à faire obstacle à la qualification de « restriction par objet » de l’ensemble des comportements en cause, dont il ressort de la décision attaquée qu’ils ont la forme d’échanges d’informations commerciales sensibles mais également de coordination de prix ainsi que de coordination des activités de négociation (considérants 614 et 616 de la décision attaquée).
694 À cet égard, l’argumentation de Credit Suisse qui repose, pour l’essentiel, sur le premier rapport Compass Lexecon, présenté par cette banque au cours de la procédure administrative, ne saurait être accueillie.
695 Premièrement, il importe de relever que, selon le point 96 de l’arrêt du 14 septembre 2022, Google et Alphabet/Commission (Google Android) (T‑604/18, sous pourvoi, EU:T:2022:541), la valeur probante de déclarations ou de rapports présentés à la demande d’une partie pour soutenir ses allégations par un tiers se prévalant de la qualité d’expert s’apprécie à plusieurs égards. D’une part, leur auteur doit veiller à exposer ses qualifications et expériences et à expliquer à quel titre celles-ci sont
pertinentes pour émettre un avis sur la question examinée. D’autre part, le contenu de cet avis doit exposer les raisons pour lesquelles il mérite d’être pris en considération, qu’il s’agisse de la fiabilité de la méthodologie utilisée ou de la pertinence de la réponse donnée à cette question pour les besoins de la présente affaire. C’est en considération de ces principes et des observations présentées par les parties à cet égard que le Tribunal a examiné ces documents dans la présente affaire.
696 Or, concernant la seconde de ces conditions, force est de constater que, en dépit d’une invitation faite par le Tribunal à Credit Suisse d’indiquer les raisons pour lesquelles le premier rapport Compass Lexecon méritait d’être pris en considération, cette banque n’a pas apporté de précisions.
697 En outre, il peut être relevé que la description du secteur des OSSA effectuée aux points 3.4 à 3.24 de ce rapport n’est assortie de presque aucune référence à des documents à même d’étayer le bien-fondé de cette description. De même, s’agissant de la description du rôle de teneur de marché, les points 3.32 et 3.33 de ce rapport font état du rôle central de ceux-ci en prenant pour exemple le marché des obligations d’entreprise (corporate bonds) et en visant un texte de la Commission qui insiste
expressément sur la différence existant entre le marché des obligations d’entreprise et celui des OSSA.
698 Deuxièmement, les conclusions auxquelles parvient le premier rapport Compass Lexecon ne sont pas à même de démontrer les implications « favorables » avérées des communications relatives à la détermination des prix ni, a fortiori, les implications « favorables » avérées de l’ensemble des comportements en cause, qui ne se réduisent pas à de telles communications.
699 En effet, ce rapport ne conclut aucunement que les communications relatives à la détermination des prix présenteraient des implications « favorables » avérées.
700 Au contraire, il ressort des points 4.1 et 4.4 dudit rapport que, tout en constatant que ces communications sont en mesure de conduire à une coordination des prix, celui-ci se limite à indiquer que, « en permettant aux teneurs de marché de fixer le prix de l’obligation plus efficacement, les discussions sur les prix et l’échange d’“informations commerciales sensibles” entre les teneurs de marché peuvent être neutres du point de vue de la concurrence ou même favorables à la concurrence ».
701 De plus, les points 4.27 et 4.47 du premier rapport Compass Lexecon ainsi que le point A.39 de ce rapport conditionnent les possibles implications neutres ou « favorables » des communications relatives à la détermination des prix, au fait que « les acteurs du marché aient un accès comparable aux informations sur les conditions réelles du marché » ou qu’« il y ait une proportion suffisante d’opérateurs informés sur le marché ».
702 En substance, le premier rapport Compass Lexecon fait état de possibles implications neutres ou « favorables » des communications relatives à la détermination des prix (distincts de ceux visant à coordonner des comportements), uniquement lorsque ces communications rendent le marché transparent ou plus transparent pour, à tout le moins, un nombre suffisant d’opérateurs du marché des OSSA.
703 Or, en l’occurrence, comme la Commission l’a relevé à juste titre au considérant 742 de la décision attaquée, les comportements en cause ont généré une asymétrie d’information importante entre, d’une part, les quatre banques impliquées dans l’infraction litigieuse et, d’autre part, les autres banques exerçant sur le marché des OSSA. Elle a ainsi constaté une asymétrie créée par le fait que chacune des banques concernées par l’infraction litigieuse avait connaissance des prix que les autres
banques concernées afficheraient, ainsi que des flux commerciaux et des préférences spécifiques de clients, dont leurs banques concurrentes, non concernées par l’infraction litigieuse, n’avaient absolument pas connaissance.
704 Ce constat impliquant l’absence d’implications « favorables » avérées des communications relatives à la détermination des prix est, en définitive, également confirmé par Crédit agricole et Credit Suisse elles‑mêmes.
705 En effet, en se prévalant du fait que les banques impliquées dans l’infraction litigieuse ne représentaient qu’une faible proportion des teneurs de marché actifs sur le marché des OSSA, elles admettent implicitement que les conditions requises par le premier rapport Compass Lexecon pour que les communications relatives à la détermination des prix puissent éventuellement générer des implications neutres ou « favorables » ne sont pas satisfaites en l’espèce.
706 Les implications « favorables » de ces communications n’étant pas avérées, il en est de même des implications « favorables » des autres comportements en cause dont Crédit agricole et Credit Suisse n’ont pas fait valoir de manière étayée et, partant, pas démontré qu’ils avaient de telles implications.
707 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que Credit Suisse et a fortiori Crédit agricole n’ont pas démontré que les comportements en cause pris dans leur ensemble – pas plus que ceux en relation uniquement avec des « communications relatives à la détermination des prix » – avaient des implications « favorables » telles qu’elles remettraient en cause la qualification de « restriction par objet ».
708 C’est donc à juste titre que, au considérant 713 de la décision attaquée, la Commission a écarté l’argumentation tirée des effets proconcurrentiels ou bénéfiques des comportements en cause.
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du caractère « nécessaire », « légitime », « positif » ou « inhérent et essentiel » des comportements en cause
709 Comme il a été indiqué au point 678 ci‑dessus, Crédit agricole et Credit Suisse ont été invitées, par des mesures d’organisation de la procédure, à préciser le fondement conceptuel ou jurisprudentiel de leurs allégations tirées notamment du caractère « nécessaire », « légitime », « positif » ou « inhérent et essentiel » des comportements en cause.
710 Les réponses à ces mesures d’organisation de la procédure, pas plus que les audiences, n’ont permis au Tribunal de déterminer avec précision les fondements exacts de ces critiques.
711 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’examiner les arguments de Crédit agricole et de Credit Suisse, dans l’hypothèse où ils permettraient de remettre en cause la qualification des comportements en cause de « restriction par objet ».
712 En ce que Crédit agricole et Credit Suisse se prévalent du caractère « nécessaire » des comportements en cause et, donc, vraisemblablement, de l’exception des restrictions accessoires (ancillary restraints) à une opération principale, il doit être rappelé que, si une opération ou une activité déterminée ne relève pas du principe d’interdiction prévu à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, en raison de sa neutralité ou de son effet positif sur le plan de la concurrence, une restriction de
l’autonomie commerciale d’un ou de plusieurs des participants à cette opération ou à cette activité ne relève pas non plus dudit principe d’interdiction, si cette restriction est objectivement nécessaire à la mise en œuvre de ladite opération ou de ladite activité et proportionnée aux objectifs de l’une ou de l’autre (voir arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 89 et jurisprudence citée).
713 Ainsi, il convient de rechercher avant tout si la réalisation de l’activité en cause serait impossible en l’absence de la restriction en question (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 91).
714 Or, en l’occurrence, Crédit agricole et Credit Suisse n’ont aucunement démontré que l’activité de négociation d’OSSA, voire celle de teneur de marché d’OSSA, aurait été impossible en l’absence des comportements en cause (voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 155).
715 Le simple fait allégué par Credit Suisse que, en raison du caractère non liquide et opaque du marché des OSSA, la fourniture de services d’immédiateté implique un certain degré de coopération ainsi que des flux réguliers d’informations commerciales sensibles entre teneurs de marché ne saurait remettre en cause cette constatation.
716 Au contraire, d’une part, Credit Suisse admet elle-même que, notamment, l’échange d’informations sur les positions d’inventaire des teneurs de marché permet de trouver « plus facilement » des possibilités de transactions entre traders, ce qui tend à démontrer que, à tout le moins pour ce type de comportements, les échanges d’informations n’étaient pas objectivement nécessaires à l’exercice de l’activité des banques dans le secteur des OSSA.
717 À cet égard, il importe également de rappeler que le fait qu’une activité soit simplement rendue plus difficilement réalisable, voire moins profitable en l’absence de la restriction en cause, ne saurait être considéré comme conférant à cette restriction le caractère « objectivement nécessaire » requis afin de pouvoir être qualifiée d’accessoire (arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission, C‑382/12 P, EU:C:2014:2201, point 91).
718 D’autre part, ainsi que cela a déjà été relevé aux points 703 à 705 ci‑dessus, les comportements en cause étaient le fait d’un nombre limité de banques actives dans le secteur des OSSA, ce qui permet d’inférer avec suffisamment de certitude que l’ensemble des banques actives dans ce secteur étaient en mesure d’exercer leur activité sans recourir à de tels comportements.
719 En ce que Crédit agricole et Credit Suisse se prévalent du caractère « légitime », « positif » ou « inhérent et essentiel au bon fonctionnement du marché et au service plus large des clients », il y a lieu de relever que, à supposer que cette argumentation se distingue de celle tirée des implications « favorables » ou nécessaires de tout ou partie des comportements en cause, elle paraît pouvoir être comprise comme se référant à la solution dégagée par la Cour dans l’arrêt du 19 février 2002,
Wouters e.a. (C‑309/99, EU:C:2002:98, point 97).
720 Or, Crédit agricole ne fournit pas d’éléments à même d’établir que le raisonnement développé dans ledit arrêt devrait être transposé à la présente affaire [voir, par analogie, arrêt du 27 février 2020, Commission/Belgique (Comptables), C‑384/18, EU:C:2020:124, point 49].
721 À cet égard, le fait évoqué par Credit Suisse et rejeté par la Commission aux considérants 707 à 713 de la décision attaquée que, sur le marché non liquide et opaque des OSSA, les banques concernées étaient systématiquement désavantagées sur le plan informationnel par rapport aux contreparties qui n’assuraient pas une présence permanente sur le marché (smart money clients) et que, de ce fait, elles devaient compenser ce déficit d’informations en recherchant des informations auprès d’un certain
nombre de sources, notamment auprès de traders d’autres banques, est insusceptible de faire obstacle à la qualification de « restriction par objet » à supposer même qu’il soit avéré.
722 En effet, ainsi que cela ressort des points 124, 127 et 128 de l’arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243), et a été relevé en substance au considérant 737 de la décision attaquée, il ne saurait être accepté que des entreprises essaient de pallier les effets de situations factuelles qu’elles considèrent comme excessivement défavorables, telles que d’éventuelles asymétries de risques existants entre les opérateurs d’un marché, par des pratiques collusoires ayant pour
objet de corriger ces désavantages. En effet, de telles situations factuelles ne sauraient légitimer une violation de l’article 101 TFUE et encore moins un comportement dont il a été constaté qu’il présentait le degré suffisant de nocivité à l’égard de la concurrence pour être qualifié de « restriction par objet ».
723 Il doit en être d’autant plus ainsi en l’espèce que, premièrement, les comportements en cause sont intervenus au détriment de tous les types de clients des banques concernées et non au seul détriment des clients « avertis » (smart money clients), comme cela ressort du considérant 710 de la décision attaquée, et n’est pas contesté par Credit Suisse.
724 Deuxièmement, comme le relève la Commission au considérant 709 de la décision attaquée, sans que Credit Suisse le conteste, les facteurs externes influençant le prix des OSSA sont des événements politiques et économiques affectant les risques de crédit relatifs à un pays, à une région ou à un secteur, ainsi que la probabilité d’une nouvelle émission d’obligations par un même émetteur. De plus, il n’y a aucune raison pour que, à l’époque actuelle de l’information instantanée et des communications
électroniques, un groupe spécifique d’investisseurs ait un meilleur accès à ces informations. Enfin, la grande majorité des investisseurs gèrent un éventail d’actifs comprenant des actions, des obligations et des devises, tandis que les traders d’OSSA se spécialisent dans une catégorie de titres et sont censés être bien informés des événements externes pertinents.
725 Troisièmement, les banques concernées n’agissaient pas sur le marché des OSSA uniquement en tant que teneurs de marché et il était clair que leur rôle de négociateur ne consistait pas seulement à « promouvoir la liquidité pour soutenir leurs clients souhaitant négocier des OSSA », comme cela a été retenu à bon droit par la Commission aux considérants 690 à 697 de la décision attaquée.
726 Ce dernier motif, pris ensemble avec le fait, constaté au considérant 19 de la décision attaquée, que le marché des OSSA ne connaissait pas de teneurs de marchés officiellement désignés et donc que les banques concernées exerçaient cette activité de manière volontaire sans être soumises aux obligations de coter des prix bidirectionnels et de négocier avec des contreparties, justifie également que les banques concernées ne puissent se prévaloir de leur rôle de teneur de marché et du risque qui
lui serait associé, pour faire obstacle à la qualification de « restriction par objet », comme l’a retenu à bon droit la Commission aux considérants 712 et 713 de la décision attaquée.
727 Par ailleurs, la jurisprudence mentionnée au point 719 ci‑dessus ne trouve pas à s’appliquer en présence de comportements qui, loin de se borner à avoir pour « effet » inhérent de restreindre, à tout le moins potentiellement, la concurrence en limitant la liberté d’action de certaines entreprises, présentent, à l’égard de cette concurrence, un degré de nocivité justifiant de considérer qu’ils ont pour « objet » même de l’empêcher, de la restreindre ou de la fausser. Ainsi, c’est uniquement s’il
s’avère, au terme de l’examen du comportement qui est en cause dans un cas d’espèce donné, que ce comportement n’a pas pour objet d’empêcher, de restreindre ou de fausser la concurrence, qu’il y a lieu de déterminer, ensuite, si celui-ci peut relever de cette jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2013, Ordem dos Técnicos Oficiais de Contas, C‑1/12, EU:C:2013:127, point 69 ; du 4 septembre 2014, API e.a., C‑184/13 à C‑187/13, C‑194/13, C‑195/13 et C‑208/13, EU:C:2014:2147,
point 49 ; du 23 novembre 2017, CHEZ Elektro Bulgaria et FrontEx International, C‑427/16 et C‑428/16, EU:C:2017:890, points 51, 53, 56 et 57, et du 21 décembre 2023, European Superleague Company, C‑333/21, EU:C:2023:1011, point 186).
728 Ce constat ne saurait être remis en cause par le renvoi effectué par Credit Suisse, sans plus d’explications, à l’ensemble de l’arrêt du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission (C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120), ou encore au point 137 de l’arrêt du 12 décembre 2014, Eni/Commission (T‑558/08, EU:T:2014:1080).
729 Dès lors, Credit Suisse ne peut utilement se prévaloir du fait que les comportements en cause auraient eu pour objectif de permettre aux quatre banques destinataires de la décision attaquée ainsi qu’à leurs clients de se procurer des liquidités à meilleur prix.
730 À cet égard, il convient également de rappeler que l’article 101 TFUE vise, à l’instar des autres règles de concurrence énoncées dans le traité, à protéger non uniquement les intérêts directs des consommateurs, mais aussi ceux des concurrents ainsi que la structure du marché et, ce faisant, la concurrence en tant que telle (voir, par analogie, arrêt du 19 mars 2015, Dole Food et Dole Fresh Fruit Europe/Commission, C‑286/13 P, EU:C:2015:184, point 125 et jurisprudence citée).
731 Or, en l’occurrence et comme la Commission l’a relevé en substance au considérant 742 de la décision attaquée, il ne fait aucun doute que, si les quatre banques destinataires de la décision attaquée et, par leur entremise, leurs clients avaient un intérêt bien compris aux comportements en cause, ceux‑ci portaient préjudice non seulement aux concurrents des banques concernées sur le marché des OSSA et à leurs clients, mais également à la concurrence en tant que telle.
732 C’est donc à juste titre que, aux considérants 704 à 713 ainsi que 735 à 737 de la décision attaquée, la Commission a écarté les arguments de Crédit agricole et de Credit Suisse tirés du caractère « nécessaire », « légitime », « positif » ou « inhérent et essentiel » des comportements en cause afin de faire obstacle à leur qualification de « restriction par objet ».
4) Conclusion sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
733 Ayant apprécié les comportements en cause en tenant dûment compte de leur teneur, des objectifs qu’ils visaient et du contexte économique dans lequel ils se sont insérés, c’est à bon droit que, au considérant 749 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les accords et/ou les pratiques concertées décrites à la section 4.2 de la décision attaquée devaient être qualifiés de « restriction par objet » et qu’il ne lui appartenait donc pas d’en démontrer les effets anticoncurrentiels, en
particulier ceux portant sur le degré d’incertitude existant sur le marché des OSSA et découlant des échanges d’informations commerciales sensibles en cause.
734 Dès lors, il convient de rejeter le premier moyen de Crédit agricole et le premier moyen de Credit Suisse comme étant, pour partie, irrecevables et, pour partie, non fondés.
4. Sur le quatrième moyen de Crédit agricole et le troisième moyen de Credit Suisse, tirés d’une insuffisance de motivation et d’erreurs dans la détermination du montant de leur amende respective
735 Dans le cadre de la détermination du montant des amendes imposées à chacune des banques concernées, la Commission a relevé, dans un premier temps, que ces banques avaient enfreint l’article 101 TFUE intentionnellement ou à tout le moins par négligence, ce qui autorisait cette institution à leur infliger une amende en application de l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 (considérants 874 à 886 de la décision attaquée).
736 Dans un deuxième temps, dans le cadre de la mise en œuvre des lignes directrices et plus spécifiquement de la détermination de la valeur des ventes qui sert de point de départ au calcul du montant de base des amendes (points 13 à 18 des lignes directrices), la Commission a constaté, sans être contredite sur ce point par les requérantes, que les produits financiers tels que les OSSA ne généraient pas de ventes au sens habituel du terme et que, en conséquence, il était approprié en l’espèce de
calculer une valeur de remplacement de la valeur des ventes (considérants 889 et 890 de la décision attaquée).
737 Dans un troisième temps, la Commission a calculé, pour chacune des banques concernées, le montant de base de leur amende, tout d’abord, en retenant une proportion de 16 % de leur valeur de remplacement respective au titre de la gravité de l’infraction litigieuse (ci‑après le « coefficient multiplicateur de gravité ») (points 1 à 23 des lignes directrices) (section 8.2.4.1 ; considérants 939 à 949 de la décision attaquée), ensuite en la multipliant par un coefficient de durée propre à chacune
d’elles (ci-après le « coefficient multiplicateur de durée ») (point 24 des lignes directrices) (section 8.2.4.2 ; considérants 950 et 951), et, enfin, en y ajoutant un montant additionnel de 16 % au titre de la dissuasion (point 24 des lignes directrices) (section 8.2.4.3 ; considérants 952 à 954).
738 Dans un quatrième temps, la Commission a procédé à l’ajustement du montant de base calculé pour chacune des banques concernées (points 27 à 35 des lignes directrices). À ce titre, elle n’a retenu des circonstances aggravantes ou des circonstances atténuantes à l’égard d’aucune de ces banques. En revanche, elle a multiplié le montant de base de BofA et de Crédit agricole par un coefficient spécifique de dissuasion, respectivement, de 1,3 et de 1,2 (ci-après le « coefficient de dissuasion
spécifique ») (points 30 et 31 des lignes directrices) (considérants 955 à 966 de la décision attaquée).
739 Dans le cadre des première, troisième, quatrième et cinquième branches du quatrième moyen de Crédit agricole ainsi que dans le cadre du troisième moyen, composé de quatre branches, de Credit Suisse, les requérantes contestent le montant de base des amendes qui leur ont été infligées, et ce essentiellement à cinq titres.
740 Premièrement, dans le cadre de la première branche de son troisième moyen, Credit Suisse reproche à la Commission d’avoir violé son obligation de motivation, en ce qui concerne les données utilisées pour le calcul de la valeur de remplacement.
741 Deuxièmement, dans le cadre de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et dans le cadre de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse, les requérantes reprochent à la Commission une violation des lignes directrices, en ce qui concerne les modalités de détermination de la valeur de remplacement.
742 Troisièmement, dans le cadre de la première branche de son quatrième moyen, Crédit agricole reproche à la Commission une violation du point 13 des lignes directrices, du principe de bonne administration ainsi que de son obligation de motivation, en raison du choix de ne pas retenir l’année 2014 – dernière année complète de participation de cette banque à l’infraction litigieuse – comme période de référence pour le calcul de la valeur de remplacement.
743 Quatrièmement, dans le cadre de la quatrième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen de Credit Suisse, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis des erreurs d’appréciation dans la détermination du coefficient multiplicateur de gravité.
744 Cinquièmement, dans le cadre de la cinquième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et dans le cadre de la quatrième branche du troisième moyen de Credit Suisse, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir commis des erreurs d’appréciation dans la détermination du coefficient multiplicateur de durée.
745 Par ailleurs, dans le cadre des deuxième et quatrième branches de son quatrième moyen, Crédit agricole conteste les ajustements effectués par la Commission sur le montant de base de l’amende qui lui a été infligée.
746 Plus précisément, elle reproche à la Commission d’avoir commis, d’une part, une violation du principe d’égalité de traitement dans la détermination du coefficient de dissuasion spécifique et, d’autre part, des erreurs d’appréciation dans l’examen des circonstances atténuantes dont elle aurait dû bénéficier.
747 Ces critiques seront examinées successivement et dans l’ordre, énoncé aux points 739 à 746 ci‑dessus, qui suit la méthodologie définie dans les lignes directrices. Seront ainsi examinés, dans un premier temps, la détermination du montant de base de l’amende et, dans un second temps, les ajustements de celui-ci.
a) Sur les critiques relatives au montant de base des amendes infligées à Crédit agricole et Credit Suisse
1) Sur les critiques relatives au montant de la valeur de remplacement
748 Ainsi qu’il a été rappelé au point 736 ci‑dessus, la Commission a estimé que, aux fins de la détermination du montant de l’amende de chacune des banques concernées, il était approprié de calculer une valeur de remplacement.
749 Compte tenu de la nature spécifique des OSSA, la Commission a indiqué, au considérant 892 de la décision attaquée, qu’il convenait de retenir comme point de départ du calcul de la valeur de remplacement le volume et la valeur notionnels (ci‑après les « montants notionnels ») des OSSA que les banques concernées ont échangées au cours de leur période individuelle de participation à l’infraction litigieuse.
750 À cet effet, la Commission a retenu les montants notionnels annualisés des OSSA négociées, par chaque banque concernée, avec des contreparties situées dans l’EEE au cours de sa période de participation à l’infraction litigieuse, selon la méthode suivante : « [l]es montants notionnels négociés pendant la période de participation individuelle à l’entente sont annualisés par un facteur calculé en fonction de la durée de la participation individuelle, en divisant leur montant total par le nombre de
mois entiers de participation et en multipliant ensuite cette moyenne mensuelle par 12 ». Elle a ainsi décidé de ne pas retenir les montants notionnels de la dernière année complète de participation de chaque banque concernée à l’infraction litigieuse et s’est écartée du point 13 des lignes directrices (considérants 893 et 894 de la décision attaquée).
751 Au considérant 896 de la décision attaquée, la Commission a ensuite relevé que les OSSA étaient échangées sur le marché secondaire à un prix qui était exprimé en pourcentage de leur montant notionnel. Elle en a déduit que le revenu de ces transactions était reflété dans l’écart entre le prix d’achat et le prix de vente de chaque OSSA acquise puis revendue par les traders (bid‑ask spread) et qu’il y avait lieu de prendre cet écart en considération aux fins du calcul de la valeur de remplacement.
752 À cette fin, la Commission a estimé qu’il convenait de multiplier les montants notionnels annualisés retenus pour chaque banque concernée par un facteur basé sur cet écart de cotation (ci‑après le « facteur d’ajustement »), à savoir un écart de cotation moyen propre à chaque banque et réduit de moitié, pour tenir compte du fait que chaque opération d’achat ou de vente effectuée par une banque ne représentait que la moitié d’une opération entière d’achat‑revente d’une OSSA (considérants 897 à 899
de la décision attaquée).
753 Pour construire le facteur d’ajustement propre à chaque banque, premièrement, la Commission a choisi d’utiliser 33 catégories d’OSSA représentatives, émises par huit émetteurs et réparties en cinq tranches d’échéance (de 0 à 3 ans, de 3 à 5 ans, de 5 à 7 ans, de 7 à10 ans et plus de 10 ans), en tenant compte des observations effectuées par les banques concernées à la suite de la lettre relative aux amendes (considérants 902 et 931 de la décision attaquée).
754 Deuxièmement, pour chaque banque et pour chaque jour de sa participation à l’infraction, la Commission a reconstitué un écart de cotation quotidien, selon la méthode indiquée au considérant 901 de la décision attaquée, comme suit :
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755 Cet écart de cotation quotidien consistait donc, pour chaque banque concernée, en une moyenne de l’écart de cotation quotidien de chacune des 33 catégories d’OSSA retenues, pondérée en fonction des montants notionnels négociés par cette banque par émetteur et par maturité.
756 Aux fins de la détermination de l’écart de cotation de chaque catégorie d’OSSA représentative, la Commission a utilisé des données publiques issues de la plateforme Bloomberg qu’elle a estimé appropriées et vérifiables (considérants 903, 926 et 927 de la décision attaquée).
757 Cette plateforme permet de connaître, pour chacune des catégories d’OSSA représentatives, l’écart de cotation moyen du marché à la fin de chaque journée (end-of-day spread), calculé à partir de la « Bloomberg BGN composite price source » (ci‑après les « données BGN »), basé sur les cotations exécutables et indicatives de plusieurs courtiers (considérant 903 et note en bas de page 1060 de la décision attaquée).
758 Troisièmement, la Commission a calculé, pour chaque banque concernée, l’écart de cotation final en effectuant la moyenne simple des écarts de cotation quotidiens, correspondant aux jours de sa participation à l’infraction litigieuse (804 jours soit 574 jours ouvrés pour Crédit agricole et 1738 jours soit 1242 jours ouvrés pour Credit Suisse), selon la méthode indiquée au considérant 900 de la décision attaquée, comme suit :
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759 Aux considérants 904 et 905 de la décision attaquée, la Commission a ainsi retenu, pour Crédit agricole, un écart de cotation final de [0,120 % - 0.140 %] et donc un facteur d’ajustement de [0,060 % - 0,070 %] (montant réduit de moitié), arrondi à la troisième décimale inférieure, correspondant à une valeur de remplacement de 6501321 euros. Pour Credit Suisse, elle a retenu un écart de cotation final de [0,190 % - 0,210 %] et donc un facteur d’ajustement de [0,095 % - 0,105 %] (montant réduit de
moitié), arrondi à la troisième décimale inférieure, correspondant à une valeur de remplacement de 12890852 euros.
760 Le détail de ces calculs est exposé dans une annexe confidentielle de la décision attaquée, propre à chaque banque concernée et notifiée uniquement à celle‑ci.
761 C’est dans ce contexte que, d’une part, Credit Suisse reproche à la Commission d’avoir violé son obligation de motivation, en ne lui fournissant pas les éléments lui permettant d’évaluer si la méthode de calcul de l’amende était entachée d’erreur et, d’autre part, Crédit agricole et Credit Suisse reprochent, en substance, à la Commission d’avoir violé les lignes directrices, au motif que les données retenues par cette institution ne constituaient pas les « meilleures données disponibles » au
sens du point 15 des lignes directrices et ne reflétaient donc pas l’importance économique de l’infraction litigieuse.
i) Sur la critique de Credit Suisse, tirée du défaut de motivation du calcul de l’amende
762 Dans le cadre de la première branche de son troisième moyen, Credit Suisse reproche à la Commission d’avoir violé son obligation de motivation, en ce que « la décision attaquée ne [lui] fournit pas suffisamment d’informations pour reproduire le calcul du facteur d’ajustement ».
763 La Commission aurait omis, d’une part, de lui transmettre les données BGN relatives aux OSSA représentatives retenues et, d’autre part, d’actualiser les références International Securities Identification Number (ISIN) de ces OSSA, qui ont été modifiées postérieurement à l’envoi de la lettre relative aux amendes.
764 Par ailleurs, Credit Suisse fait valoir qu’elle a tenté de reproduire les calculs de la Commission et a déterminé un facteur d’ajustement non de [0,095 % - 0,105 %], comme retenu par la Commission, mais de [0,095 % - 0,105 %] (écart d’un millième de point de pourcentage en moins).
765 En substance, par la présente première branche, Credit Suisse reproche à la Commission de ne pas avoir fourni les données nécessaires afin de lui permettre de vérifier si la décision attaquée – et plus particulièrement la partie de celle-ci relative au calcul du facteur d’ajustement – était entachée d’un vice de nature à compromettre la validité du calcul de l’amende qui lui a été infligée.
766 S’agissant, en premier lieu, de l’allégation de Credit Suisse, tirée de l’absence de mention des références ISIN actualisées dans la décision attaquée, il convient d’emblée de relever que la Commission ne saurait valablement soutenir que « la jurisprudence – [à savoir l’]arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 105) – n’exige pas que la décision attaquée contienne des informations permettant à Credit Suisse de
reproduire [s]es calculs ».
767 En effet, outre le fait que le point 105 de l’arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU (C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601), est plus nuancé que ce que tend à suggérer la Commission, la Cour a itérativement jugé que, bien que cette institution ne soit pas tenue d’indiquer tous les éléments chiffrés relatifs à chacune des étapes intermédiaires du mode de calcul de l’amende infligée sur le fondement de l’article 101 TFUE, il lui incombe cependant d’expliquer la
pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération (voir arrêt du 10 juillet 2019, Commission/Icap e.a., C‑39/18 P, EU:C:2019:584, point 31 et jurisprudence citée).
768 En ce sens, dans un contexte analogue à celui de la présente espèce, le Tribunal a jugé qu’il était essentiel que la motivation de la décision attaquée permette à la partie requérante de vérifier si la valeur de remplacement choisie par la Commission était éventuellement entachée d’un vice permettant d’en contester la validité (arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 346).
769 Pour autant, force est de constater que, dans la décision attaquée et plus particulièrement dans l’annexe de celle-ci, la Commission a permis à Credit Suisse d’identifier avec précision les OSSA représentatives prises en considération pour le calcul du facteur d’ajustement, quand bien même elle n’aurait pas visé les références ISIN actualisées de ces OSSA.
770 En effet, il ressort clairement de l’annexe de la décision attaquée, intitulée « Annex to Decision AT.40346 SSA bonds (Credit Suisse) (confidential data) », que la Commission a mis Credit Suisse en mesure de vérifier le bien-fondé de ses calculs, en indiquant, outre le montant notionnel annualisé des transactions de cette banque (tableau 1), les éléments constitutifs du facteur d’ajustement, à savoir la pondération par émetteur (tableau 2), la pondération par échéance (tableau 3) ainsi que la
matrice de pondération (tableau 4).
771 De plus, s’agissant de l’identification des obligations représentatives retenues pour le calcul du facteur d’ajustement de Credit Suisse, la Commission a fourni un tableau pour chacune des 33 catégories d’OSSA concernées (tableaux 5 à 12), présenté sous la forme suivante :
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772 Pour chacune de ces 33 catégories d’OSSA, la Commission y a identifié plusieurs OSSA spécifiques couvrant les différentes périodes de l’infraction litigieuse, ce qui l’a conduite à identifier 88 OSSA spécifiques, ainsi que l’a relevé Credit Suisse.
773 Comme l’a fait valoir, à juste titre, la Commission, une telle présentation permet d’identifier, avec suffisamment de précision, l’émetteur de l’OSSA concernée, le taux du coupon et la date d’échéance, pour chaque période de l’infraction litigieuse identifiée avec sa date de début et sa date de fin, ce qu’a d’ailleurs expressément admis Credit Suisse au point 82 de sa réplique.
774 Dès lors, il ne saurait être valablement reproché à la Commission d’avoir manqué à son obligation de motivation en ne mentionnant pas ou en n’actualisant pas, dans la décision attaquée, les références ISIN des OSSA représentatives retenues pour le calcul du facteur d’ajustement.
775 Par ailleurs, il peut être relevé que le rapport de Compass Lexecon du 7 juillet 2021, annexé à la requête de Credit Suisse et intitulé « Economic report on the calculation of Credit Suisse’s bid‑ask spread adjustement factor » (Rapport économique sur le calcul du facteur d’ajustement de l’écart de cotation de Credit Suisse), fait apparaître que, au moyen de la décision attaquée et de son annexe ou de la lettre relative aux amendes, cette banque a été en mesure d’identifier avec certitude la
référence ISIN de 85 des 88 OSSA représentatives retenues pour le calcul du facteur d’ajustement.
776 Concernant les trois OSSA représentatives restantes, Credit Suisse indique, dans le même rapport, que chacune d’elles était susceptible de recevoir deux identifiants ISIN. Elle relève toutefois que, « pour chacune d’elles, il y avait seulement une référence ISIN qui correspondait à une obligation pour laquelle les données relatives aux prix d’achat et de vente étaient disponibles sur BGN ».
777 Il en découle que Credit Suisse pouvait, sans difficultés, comprendre que la Commission, qui avait indiqué avoir extrait les données retenues pour les calculs du facteur d’ajustement des données BGN, avait utilisé les OSSA pour lesquelles les données étaient disponibles.
778 En outre, il ressort du rapport de Compass Lexecon du 11 février 2022, intitulé « The inability to replicate the calculation of Credit Suisse’s bid‑ask spread adjustement factor » (L’impossibilité de reproduire le calcul du facteur d’ajustement de l’écart de cotation de Credit Suisse), que, « quelle que soit la combinaison des ISIN ci-dessous utilisés pour ces obligations représentatives, l’écart de cotation moyen global que nous calculons est toujours [le même] ».
779 En conséquence, en dépit d’éventuelles imprécisions de la décision attaquée et de son annexe ou de la lettre relative aux amendes dont Credit Suisse admet elle-même qu’elles n’altèrent pas le résultat de son calcul, cette banque a été mise en mesure d’identifier la totalité des OSSA représentatives retenues par la Commission pour le calcul du facteur d’ajustement et d’en vérifier l’exactitude ainsi que le bien-fondé.
780 S’agissant, en second lieu, de l’allégation de Credit Suisse, tirée de l’absence dans la décision attaquée des données prises en compte dans le calcul du facteur d’ajustement – à savoir les données BGN des OSSA représentatives retenues pour le calcul de ce facteur –, ce fait ne permet pas non plus de caractériser un manquement de la Commission à son obligation de motivation de la décision attaquée.
781 À cet égard, il convient de rappeler qu’il n’est pas exigé que la motivation d’un acte de l’Union spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où, d’une part, le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée et, d’autre part, le fait que l’acte faisant grief soit intervenu dans un contexte connu de son destinataire
doit être dûment pris en considération (voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU, C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 104 et jurisprudence citée).
782 Or, en l’occurrence, il a déjà été constaté au point 774 ci‑dessus que la décision attaquée a identifié avec suffisamment de précision les OSSA représentatives prises en compte pour le calcul du facteur d’ajustement.
783 De plus, ainsi que cela ressort du considérant 927 de la décision attaquée et n’a pas été contesté par Credit Suisse, les données BGN constituent des données publiques et, partant, accessibles pour Credit Suisse.
784 Dès lors, il n’y avait pas lieu pour la Commission de mentionner, dans la décision attaquée, l’ensemble des données BGN quotidiennes de l’ensemble des OSSA représentatives retenues pour le calcul du facteur d’ajustement.
785 Par ailleurs, le fait que Credit Suisse n’ait pas été en mesure de reproduire le calcul de la Commission relatif au facteur d’ajustement ne saurait, en l’espèce, établir que la décision attaquée est insuffisamment motivée sur ce point.
786 En effet, dans sa duplique et sans être contredite par Credit Suisse lors de l’audience, la Commission a indiqué, de manière très détaillée, que le résultat différent obtenu par cette banque trouvait son origine dans deux erreurs de calcul de cette dernière, tenant à l’application erronée des tableaux 5 et 8 de l’annexe de la décision attaquée, relatifs aux catégories OSSA émises, respectivement, par la BEI et BNG.
787 Enfin, à supposer que, à rebours du titre comme de la lettre de la première branche de son troisième moyen, Credit Suisse se prévale du fait pour la Commission de ne pas lui avoir transmis au cours de la procédure administrative les données BGN des OSSA représentatives retenues pour le calcul du facteur d’ajustement ainsi que les références ISIN actualisées de celles-ci, une telle critique est sans rapport avec le défaut de motivation de la décision attaquée, allégué dans le cadre de la présente
branche.
788 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter comme étant non fondée la première branche du troisième moyen de Credit Suisse.
ii) Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées de violations des lignes directrices
789 Dans le cadre des critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées de violations des lignes directrices dans la détermination de la valeur de remplacement, ces deux banques, prises ensemble ou isolément, reprochent à la Commission, tout d’abord, de s’être appuyée sur un jeu d’OSSA représentatives et ainsi de ne pas avoir recouru à une méthodologie de calcul de l’écart de cotation fondée sur les données de leurs propres transactions (deuxième argument de la troisième branche du quatrième
moyen de Crédit agricole et deuxième argument de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse) ; ensuite, d’avoir procédé à une pondération fixe des OSSA retenues pour l’ensemble de la période infractionnelle et pour l’ensemble des banques concernées aux fins du calcul de l’écart de cotation final de chacune de ces banques (premier argument de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole), et, enfin, d’avoir retenu les données BGN, qui surestimeraient les écarts de
cotation des OSSA (troisième argument de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et premier argument de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse). À titre subsidiaire, Credit Suisse reproche à la Commission de lui avoir attribué des montants notionnels d’autres banques (troisième argument de la deuxième branche de son troisième moyen).
790 Ces quatre critiques seront examinées successivement.
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du refus de la Commission de recourir à une méthodologie de calcul de l’écart de cotation fondée sur les données de leurs propres transactions
791 À titre liminaire, il convient de rappeler, ainsi que cela a déjà été relevé aux points 748 à 760 ci‑dessus, que, dans la décision attaquée, la Commission a estimé opportun, aux fins de la détermination du montant de base de l’amende, d’avoir recours à une valeur de remplacement, déterminée en multipliant les montants notionnels annualisés des OSSA échangées par chaque banque concernée au cours de sa période de participation à l’infraction litigieuse, par un facteur d’ajustement, calculé en
retenant 50 % d’un écart de cotation final propre à chacune de ces banques, calculé en effectuant la moyenne simple de l’écart de cotation quotidien pondéré de 33 catégories d’OSSA représentatives échangées au cours de la période de participation de celle-ci à cette infraction.
792 Il ressort du considérant 902 de la décision attaquée, lu conjointement avec les points 18 à 22 des lettres relatives aux amendes, adressées à Crédit agricole ainsi qu’à Credit Suisse, et auxquelles ce considérant renvoie, que la Commission a retenu un échantillon de 33 catégories d’OSSA émises par huit émetteurs figurant parmi les dix premiers émetteurs par montants notionnels négociés pour au moins trois banques et réparties en cinq tranches d’échéances. Elle explique ce choix pour des motifs
tirés du nombre important d’émetteurs d’OSSA sur le marché, dont l’importance de certains est très limitée, et tirés de raisons pratiques tout en relevant que, pour chaque jour de la période d’infraction, les OSSA représentatives sélectionnées sont les mêmes pour toutes les banques et proviennent de la ventilation des montants notionnels négociés par échéance et par émetteur fournie par les banques.
793 Aux considérants 930 et 931 de la décision attaquée, la Commission a également indiqué avoir adapté la pondération des émetteurs et des échéances retenues dans son échantillon par rapport à celle initialement retenue dans chaque lettre relative aux amendes, pour tenir compte des observations formulées par BofA, Crédit agricole et Credit Suisse sur ces lettres.
794 À cet égard, concernant Crédit agricole, la Commission a indiqué avoir tenu compte de la ventilation par émetteurs et par échéances des OSSA détenues par cette banque, telle que communiquée par celle‑ci. Cette ventilation est présentée dans les tableaux 2 et 3 de l’annexe de la décision attaquée communiqués non par cette banque en annexe de la requête, mais par la Commission en annexe de son mémoire en défense. Ces deux tableaux, intitulés « Weight per issuer (Crédit agricole) » et « Weight per
maturity (Crédit agricole) » se présentent comme suit :
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795 Les données contenues dans ces tableaux 2 et 3 ont été croisées par la Commission pour établir sa matrice de calcul du facteur d’ajustement, présentée au tableau 4 de l’annexe de la décision attaquée et à laquelle ont été appliquées les données BGN pour chaque jour de participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse.
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796 Par ailleurs, la Commission a indiqué, dans l’annexe de la décision attaquée, ne pas avoir retenu dans l’échantillon les OSSA émises par l’Agence française de développement (AFD) qui est présente uniquement dans le top 10 des émetteurs de Crédit agricole et pas dans celui des autres parties.
797 Concernant Credit Suisse, la Commission a apporté des précisions analogues à celles visés aux points 794 et 795 ci‑dessus, sans toutefois que cette banque les conteste dans le cadre de son recours.
798 Dans le cadre du deuxième argument de la troisième branche de son quatrième moyen, Crédit agricole soutient que la Commission s’est écartée du point 15 des lignes directrices, en ce qu’elle n’a pas utilisé les « meilleures données disponibles » en ayant eu recours à un échantillon de 33 catégories d’OSSA, qu’elle juge représentatives, mais dont elle n’explique pas le caractère effectivement représentatif des OSSA négociées par cette banque.
799 Ainsi, selon Crédit agricole, près de 99 % des OSSA retenues par la Commission « n’ont été négociées par [cette banque] à aucun moment au cours de sa période de participation à l’infraction alléguée ou n’ont pas été négociées le jour où elles sont supposées être représentatives », de sorte que les OSSA prises en considération à son égard ne refléteraient pas son activité de négociation réelle.
800 En conséquence, la Commission aurait dû utiliser les OSSA effectivement négociées par Crédit agricole au cours de sa période de participation à l’infraction litigieuse, d’autant plus qu’elle aurait disposé du détail de celles-ci et qu’une telle démarche n’aurait pas nécessité beaucoup plus de calculs. Alternativement, la Commission aurait pu simplement sélectionner les obligations les plus fréquemment négociées par Crédit agricole au cours de sa période de participation à l’infraction
litigieuse, ce qui aurait également représenté relativement peu de travail supplémentaire et aurait abouti à un résultat nettement plus représentatif.
801 Dans le même sens, dans le cadre du deuxième argument de la deuxième branche de son troisième moyen, Credit Suisse soutient que la Commission aurait dû fonder le calcul de son écart de cotation final sur les données de ses propres transactions, selon la méthodologie alternative contenue dans le rapport Compass Lexecon du 8 janvier 2021, intitulé « Economic response to the EC’s Letter » (Réponse économique à la lettre de la Commission, ci-après le « deuxième rapport Compass Lexecon »), produit
par cette banque au cours de la procédure administrative et en annexe à sa requête.
802 Cette méthodologie, que la Commission a rejetée aux considérants 923 et 924 de la décision attaquée, refléterait la nature de gré à gré du marché des OSSA ainsi que le fait que les écarts de cotation de Credit Suisse seraient plus étroits que ceux issus des données BGN.
803 En effet, la méthodologie alternative proposée par Credit Suisse serait basée sur les données des opérations de cette banque qui, au cours d’une période donnée, ont fait l’objet d’au moins un achat et une vente, à savoir soit des opérations « parfaitement équilibrées » lorsque les montants théoriques des opérations d’achat et de vente étaient les mêmes, soit des opérations « partiellement équilibrées » lorsque ces montants étaient différents. Au moyen de ces données, Credit Suisse a calculé,
pour chaque OSSA et chaque horizon temporel, un prix moyen d’achat et un prix moyen de vente basés sur la moyenne pondérée des prix de toutes les transactions entièrement ou partiellement équilibrées. De plus, elle a pris en compte la différence entre les prix moyens d’achat et de vente pour estimer l’écart de cotation qu’elle aurait pu effectivement obtenir.
804 Par ailleurs, selon Credit Suisse, sa méthodologie alternative ne présentait pas les faiblesses évoquées par la Commission aux considérants 923 et 924 de la décision attaquée. Premièrement, le délai moyen de 107 minutes entre les opérations quotidiennes d’achat et de vente des opérations « partiellement équilibrées » ne serait pas suffisant pour rendre sa méthodologie de calcul moins appropriée que celle de la Commission. Deuxièmement, le fait que les opérations « partiellement équilibrées » ne
portent pas sur les mêmes montants ne conduirait pas à une mesure faussée. En effet, les écarts entre les opérations « équilibrées » et « partiellement équilibrées » seraient très similaires, ce qui entraînerait une faible distorsion. Troisièmement, l’affirmation de la Commission selon laquelle les « transactions équilibrées » ne constituent pas un échantillon représentatif serait inexacte, compte tenu de la similitude des écarts de cotation évoqués dans la phrase précédente et ne serait pas
pertinente du fait que « les prix-médians issus des données BGN sont très proches des prix médians des données des transactions réelles de Credit Suisse ». Quatrièmement, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la Commission aurait déjà eu recours aux données relatives aux ventes réelles, en les préférant à des données disponibles publiquement.
805 Par l’ensemble des arguments présentés aux points 798 à 804 ci‑dessus, Crédit agricole et Credit Suisse reprochent, en substance, à la Commission le principe du recours à un échantillon d’OSSA comme référence aux fins du calcul du facteur d’ajustement des amendes infligées dans la décision attaquée, ainsi que, s’agissant de Crédit agricole, le caractère non motivé et inapproprié de l’échantillon de 33 catégories d’OSSA retenues par cette institution.
806 À cet égard, il convient d’emblée de relever que le point 15 des lignes directrices impose à la Commission l’emploi des « meilleures données disponibles » en vue de déterminer la valeur des ventes d’une entreprise, telle que définie au point 13 de ces lignes directrices, et sous réserve du point 16 desdites lignes directrices.
807 Partant, dans le contexte de l’espèce où la Commission a fait le choix de s’écarter du point 13 des lignes directrices et, de ce fait, a renoncé à déterminer le montant de base de l’amende en utilisant la valeur des ventes des biens ou des services, réalisées par l’entreprise, en relation directe ou indirecte avec l’infraction, le point 15 de ces lignes directrices ne saurait être directement applicable.
808 De plus, il est de jurisprudence constante que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes en cas de violation des règles de l’Union en matière de concurrence (arrêt du 10 juillet 2019, Commission/Icap e.a., C‑39/18 P, EU:C:2019:584, point 25).
809 Si, certes, la Commission s’est autolimitée dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation en adoptant les lignes directrices, elle dispose de la faculté de s’en écarter, à condition d’en donner les raisons (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 2019, Commission/Icap e.a., C‑39/18 P, EU:C:2019:584, point 29 et jurisprudence citée).
810 À cet égard, la Cour a jugé que la méthode décrite par les lignes directrices et qui repose sur la prise en considération de la valeur des ventes des produits concernés en relation avec l’infraction pour la fixation du montant de base des amendes à infliger peut parfois se révéler inadaptée aux circonstances particulières d’une affaire et que, dans une situation de ce type, la Commission est fondée à recourir à une méthode de calcul autre que celle décrite dans les lignes directrices (voir, en
ce sens, arrêt du 10 juillet 2019, Commission/Icap e.a., C‑39/18 P, EU:C:2019:584, point 27).
811 Il en découle que, à condition de motiver, mais également de justifier à suffisance de droit son choix, la Commission ne saurait être privée de la possibilité, aux fins de la détermination du montant de base d’une amende, de recourir à une méthode prenant en considération des échantillons représentatifs de l’activité des entreprises concernées.
812 Le fait que les données issues de ces échantillons représentatifs ne soient pas identiques aux données issues de l’analyse de leurs propres transactions est inhérent à la méthode retenue et ne saurait faire obstacle au recours par la Commission à une telle méthode de calcul, dès lors que les échantillons pris en considération s’avèrent effectivement représentatifs.
813 À cet égard, il doit être relevé que la jurisprudence admet que la valeur des ventes visées au point 13 des lignes directrices ni ne soit ni ne doive constituer une image parfaitement exacte de l’importance de l’infraction concernée, ce qui vaut de la même manière pour une valeur de remplacement de la valeur des ventes.
814 En effet, tout en validant la méthodologie fixée par la Commission au point 13 des lignes directrices, la Cour reconnaît, d’une part, que la part du chiffre d’affaires qui provient des marchandises ou des services faisant l’objet de l’infraction est seulement de nature à fournir une indication de l’ampleur de cette infraction et à en refléter l’importance économique et, d’autre part, qu’il convient de ne pas lui donner une importance disproportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2009,
Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, EU:C:2009:166, points 74 et 76 et jurisprudence citée).
815 Dans le même sens, le Tribunal a jugé que la fixation d’une amende en application de l’article 101 TFUE n’est pas un exercice arithmétique précis (arrêts du 5 octobre 2011, Romana Tabacchi/Commission, T‑11/06, EU:T:2011:560, point 266, et du 15 juillet 2015, SLM et Ori Martin/Commission, T‑389/10 et T‑419/10, EU:T:2015:513, point 436).
816 Pour autant, lorsque, dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation de la méthodologie de calcul d’une amende, la Commission a fait le choix de s’écarter des lignes directrices non dans leur ensemble – comme le point 37 l’y autorise – mais uniquement, comme en l’espèce, du point 13, elle ne saurait s’affranchir des principes directeurs ainsi que de la logique sous-jacente desdites lignes directrices (voir, en ce sens, arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17,
EU:T:2019:675, points 324 et 345) et, en particulier, du principe exprimé au point 15 de celles‑ci.
817 Ainsi, dans la mise en œuvre de la méthodologie qu’elle définit, il lui appartient, notamment, de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles, sous le contrôle approfondi, en droit comme en fait, du juge de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 62, et du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 348).
818 C’est dans ce contexte qu’il y a lieu d’apprécier si la Commission a motivé et justifié à suffisance de droit le fait d’avoir écarté la méthodologie prévue au point 13 des lignes directrices, pour lui substituer une méthodologie la conduisant à calculer une valeur de remplacement en multipliant les montants notionnels annualisés de chacune des banques concernées par un facteur d’ajustement, calculé sur la base de l’échantillon de 33 catégories d’OSSA décrit au considérant 902 de la décision
attaquée.
819 À cet égard, en premier lieu, il convient de constater que, aux considérants 887 à 890 de la décision attaquée, la Commission a expliqué, sans que cela soit contesté par les requérantes, les raisons pour lesquelles elle a recouru à une valeur de remplacement comme point de départ de la détermination du montant de base de l’amende.
820 S’agissant du recours à un échantillon de 33 catégories d’OSSA émises par les huit émetteurs visés au considérant 902 de la décision attaquée, il ressort des points 792 à 796 ci‑dessus que la Commission a satisfait à son obligation de motivation, s’agissant des raisons pour lesquelles elle a retenu ces huit émetteurs d’OSSA et a écarté certains autres émetteurs, notamment figurant dans le top 10 de Crédit agricole, mais aussi des raisons pour lesquelles elle a retenu les échéances de maturité
des OSSA émises par ces huit émetteurs.
821 Concernant, en deuxième lieu, le bien‑fondé du choix des 33 catégories d’OSSA retenues par la Commission et partant de la représentativité de celles-ci, il convient de relever que Credit Suisse ne les conteste pas. Pour sa part, Crédit agricole ne remet pas en cause la représentativité de cet échantillon à l’égard de l’ensemble des banques impliquées dans l’infraction litigieuse, mais soutient que cet échantillon n’est pas représentatif de sa propre activité.
822 Or, premièrement, il ressort de la colonne « Selected issuers » du tableau 2 de l’annexe de la décision attaquée, reproduit au point 794 ci‑dessus et non contesté par Crédit agricole, que les émetteurs retenus par la Commission correspondent à 78,8 % des émetteurs d’OSSA présents dans le portefeuille de cette banque.
823 Deuxièmement, il importe de relever que les tableaux 3 et 4 de l’annexe de la décision attaquée, reproduits aux points 794 et 795 ci‑dessus et que Crédit agricole ne conteste pas non plus, font apparaître que la matrice de calcul retenue par la Commission l’a conduite à appliquer, aux huit émetteurs d’OSSA retenues à l’égard de toutes les banques concernées, une pondération des échéances propre à chacune de ces banques et définie en fonction des données transmises par lesdites banques au cours
de la procédure administrative.
824 Dès lors, l’échantillon de 33 catégories d’OSSA, retenu par la Commission, présente un caractère suffisamment représentatif, notamment, de l’activité de Crédit agricole, d’autant plus que, à d’autres stades du calcul de l’amende, la Commission a encore individualisé la valeur de remplacement retenue pour chaque banque.
825 En effet, le facteur d’ajustement retenu pour chaque banque est multiplié par les montants notionnels annualisés propres à chaque banque, lesquels comprennent la totalité des OSSA qu’elles ont échangées et non seulement les montants notionnels des 33 catégories d’OSSA représentatives retenues par la Commission pour le calcul du facteur d’ajustement.
826 De plus, le constat du caractère suffisamment représentatif des 33 catégories d’OSSA retenues par la Commission n’est pas remis en cause par l’affirmation de Crédit agricole selon laquelle près de 99 % de ces OSSA « n’ont été négociées par [cette banque] à aucun moment au cours de sa période de participation à l’infraction alléguée ou n’ont pas été négociées le jour où elles sont supposées être représentatives ».
827 En effet, force est de constater que cette affirmation n’est étayée par aucun élément de preuve, notamment chiffré, permettant au Tribunal d’en apprécier le bien‑fondé.
828 Si, par cet argument, Crédit agricole se prévaut du fait, non démontré, qu’elle n’a pas négocié ou peu négocié chacune des 86 – et non, la concernant, 88 – OSSA spécifiques prises en compte au sein de chacune des 33 catégories d’OSSA représentatives, telles que présentées aux points 771 et 0 ci‑dessus, il convient de relever que cette banque ne démontre pas en quoi les prix d’achat ou de vente des différentes OSSA spécifiques retenues pour chacune de ces 33 catégories d’OSSA représentatives
différeraient du prix d’achat ou de vente d’autres OSSA émises par le même émetteur et ayant la même échéance ainsi que la même maturité que celles retenues par chacune de ces 33 catégories.
829 En outre, compte tenu des éléments à la disposition du Tribunal et, en particulier, des tableaux 2 à 4 de l’annexe de la décision attaquée, qui ont été établis sur la base des éléments chiffrés communiqués par Crédit agricole elle‑même au cours de la procédure administrative et que cette banque ne conteste pas, le bien-fondé de la critique de Crédit agricole est d’autant moins avéré que le caractère représentatif d’une OSSA implique qu’une banque a pu négocier d’autres OSSA sans que la
méthodologie suivie par la Commission puisse être critiquée.
830 Concernant, en troisième lieu, les méthodologies de calcul alternatives proposées par Crédit agricole et Credit Suisse, il y a lieu de constater que ces deux banques critiquent la Commission pour ne pas avoir retenu une méthodologie de calcul du facteur d’ajustement fondée sur leurs propres transactions et que, à titre subsidiaire, Crédit agricole reproche à cette institution de ne pas avoir retenu une méthodologie fondée sur les OSSA les plus fréquemment négociées par cette banque au cours de
sa période de participation à l’infraction litigieuse.
831 Premièrement, une méthodologie fondée sur les transactions de Crédit agricole et de Credit Suisse conduirait la Commission, comme elle l’a relevé à juste titre au considérant 923 de la décision attaquée, à calculer un écart de cotation moyen en recourant à des opérations d’achat-vente ou vente-achat qui ne sont pas comparables, à tout le moins à deux titres.
832 Il ressort en effet des points 2.10 et 2.12 du deuxième rapport Compass Lexecon que la méthodologie alternative proposée par Credit Suisse prend appui essentiellement sur des opérations partiellement équilibrées (partially balanced trades) qui sont définies comme des opérations portant sur des obligations qui, au cours d’une certaine période (un jour, une semaine ou un mois), ont été à la fois achetées et vendues par les traders de Credit Suisse.
833 Or, d’une part, de l’aveu même de Credit Suisse dans le cadre de son argumentation relative à l’usage par la Commission des données BGN, il serait important de tenir compte des volumes négociés, qui sont susceptibles d’avoir une influence sur l’écart de cotation des OSSA négociées.
834 Dès lors, la comparaison d’opérations d’achat-vente de montants différents est de nature à fausser le calcul de l’écart de cotation, défaut dont ne souffre pas la méthodologie de la Commission en application de laquelle elle compare des montants agrégés par la plateforme Bloomberg, comme cela ressort de la note en bas de page 1084 de la décision attaquée.
835 D’autre part, comme le relève en substance la Commission au considérant 923 de la décision attaquée, compte tenu de la volatilité des cours des OSSA, admise par Credit Suisse, la comparaison de cours d’OSSA pouvant être séparés « d’un jour, d’une semaine ou d’un mois » (selon la définition donnée des opérations partiellement équilibrées par le deuxième rapport Compass Lexecon) est de nature à fausser le calcul de l’écart de cotation.
836 À cet égard, le fait souligné par Credit Suisse que le délai moyen entre les transactions d’achat et de vente des transactions quotidiennes partiellement équilibrées serait de 107 minutes n’est pas suffisant pour compenser cette faiblesse.
837 En effet, il ne permet pas de déterminer quel est le délai moyen pour les transactions hebdomadaires ou mensuelles également prises en compte dans les transactions partiellement équilibrées, ni quelle est la proportion des transactions quotidiennes partiellement équilibrées par rapport aux transactions hebdomadaires et mensuelles partiellement équilibrées.
838 Or, la méthodologie de la Commission ne souffre pas non plus de ce défaut. En effet, elle conduit à comparer des montants relatifs aux prix d’achat et de vente des OSSA agrégés par la plateforme Bloomberg et calculés au même instant, à savoir en fin de journée, comme cela ressort du considérant 921 de la décision attaquée, et cela n’est pas contesté par Credit Suisse.
839 Deuxièmement, la méthodologie fondée sur leurs propres transactions, proposée par Crédit agricole et Credit Suisse, conduirait la Commission à s’appuyer sur un échantillon d’opérations dont la représentativité n’est pas démontrée.
840 En effet, il ressort des propos de Crédit agricole, rapportés au considérant 926 de la décision attaquée, que cette banque ne serait pas en mesure de disposer de l’ensemble des prix de ses transactions. Au cours de la procédure administrative, elle s’est ainsi prévalue du fait que, « en l’absence de prix de transaction réels permettant de calculer l’écart de cotation, il convient d’utiliser les écarts de prix indices (tels que BGN) qui sont à la fois spécifiques à l’obligation et spécifiques à
une période donnée ».
841 De même, il ressort du point 2.12 du deuxième rapport Compass Lexecon que, suivant les périodes, les opérations partiellement équilibrées de Credit Suisse, prises comme référence pour l’élaboration de ce rapport, ne représenteraient que 14,2 à 59,2 % des opérations de cette banque, étant entendu que les opérations entièrement équilibrées n’en représenteraient qu’entre 1 et 2 %.
842 Or, Credit Suisse ne saurait valablement se prévaloir d’une méthodologie de calcul alternative qui s’appuie sur des données qui, à certains moments de sa participation à l’infraction litigieuse, portent sur des opérations qui ne sont représentatives que d’environ 15 % de l’ensemble des opérations de cette banque.
843 Credit Suisse n’est pas non plus fondée à conclure que, lorsque les transactions partiellement équilibrées couvrent une part importante de l’ensemble des opérations (« entre 14.2 % et 59.2 % » selon le point 2.27 du deuxième rapport Compass Lexecon), elle peut présumer que l’ensemble des transactions pour lesquelles les écarts ont été calculés est représentatif de toutes les transactions concernées.
844 Sur ce point, à l’inverse, la méthodologie de la Commission ne souffre pas de ce défaut, dans la mesure où, comme cela ressort du considérant 903 de la décision attaquée, elle a retenu un échantillon d’OSSA représentatives du portefeuille de chaque banque, tant en ce qui concerne leurs émetteurs que leurs échéances. Ainsi, cette méthodologie tend à représenter l’ensemble de l’activité des banques sanctionnées et non simplement leurs opérations partiellement équilibrées.
845 Troisièmement, une méthodologie fondée sur les données de transactions de Crédit agricole et de Credit Suisse priverait la Commission de la possibilité de maintenir un facteur d’unité de sa méthode de calcul de la valeur de remplacement entre toutes les banques concernées – à savoir l’échantillon de 33 catégories d’OSSA représentatives applicable indistinctement à toutes ces banques –, alors même que le montant de base d’une amende vise non seulement à mettre en évidence l’importance économique
de l’infraction litigieuse, mais également le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction litigieuse, ainsi que cela ressort du point 6 des lignes directrices.
846 Quatrièmement, une méthodologie fondée sur les données de transactions des banques concernées supposerait également d’effectuer des calculs d’une complexité bien supérieure à ceux déjà complexes effectués en l’espèce, alors même que le caractère représentatif des OSSA retenues, constaté au point 824 ci‑dessus, garantit justement que les données prises en considération conservent un caractère pertinent pour le calcul de l’amende et permettent de refléter l’importance économique de l’infraction
litigieuse avec le degré de précision requis par la jurisprudence rappelée au point 813 ci‑dessus.
847 En effet, la méthodologie fondée sur les données de transactions des banques concernées reviendrait à imposer à la Commission d’identifier et d’appliquer individuellement, pour chaque banque concernée, un écart de rendement propre à chaque opération identifiée pour chaque jour de participation de cette banque à l’infraction litigieuse, comme l’atteste la proposition de Crédit agricole de retenir une « méthodologie […] basée sur les données des transactions de [cette banque] concernant des
obligations qui, au cours d’une période donnée, ont fait l’objet d’au moins un achat et une vente ».
848 De plus, elle imposerait à la Commission d’identifier, pour chacune des banques concernées et chaque opération, des transactions correspondantes d’achat et de vente à même de lui permettre de calculer un écart de cotation représentatif, dans un contexte où, ainsi que cela a été relevé aux points 833 et 835 ci‑dessus, le montant des opérations a un impact sur le prix de celles-ci et où la volatilité intrajournalière du prix des OSSA rend difficile, voire impossible, toute correspondance entre des
opérations intervenant à des moments différents.
849 Or, une telle méthodologie – si elle ne rendait pas excessivement difficile, si ce n’est impossible, le calcul du facteur d’ajustement – ferait peser sur la Commission une charge administrative disproportionnée (voir, par analogie, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Pilkington Group e.a./Commission, C‑101/15 P, EU:C:2016:258, point 37).
850 Cinquièmement, le fait que, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision C (2016) 8530 final, du 7 décembre 2016, relative à une procédure d’application de l’article 101 [TFUE] et de l’article 53 de l’accord EEE [affaire AT.39914 – Produits dérivés de taux d’intérêt en euro (EIRD)], la Commission ait pu utiliser les données des banques concernées ne pouvait lui imposer d’y recourir dans la décision attaquée. Outre les différences existant entre les deux affaires, relevées par la Commission au
considérant 924 de la décision attaquée, il est de jurisprudence constante que cette institution n’est pas liée par sa pratique administrative antérieure (voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2009, Archer Daniels Midland/Commission, C‑510/06 P, EU:C:2009:166, point 82 et jurisprudence citée).
851 S’agissant de la méthode subsidiaire proposée par Crédit agricole, il convient de relever qu’elle prend appui sur une sélection d’OSSA, ce qui, de l’avis même de Crédit agricole, violerait le point 15 des lignes directrices. De plus, outre le fait que Crédit agricole n’identifie pas les OSSA qu’elle estimerait représentatives, cette méthode souffrirait des mêmes défauts que ceux évoqués aux points 831 à 850 ci‑dessus.
852 Dès lors, en retenant l’échantillon de 33 catégories d’OSSA représentatives, visé au considérant 902 de la décision attaquée, afin de déterminer la valeur de remplacement servant de base au calcul des amendes infligées aux banques concernées, la Commission n’a pas dépassé la marge d’appréciation qui lui était reconnue pour la définition de la méthode de calcul des amendes, dans un contexte où, ce qui n’est pas contesté par les requérantes, la valeur des ventes ne constituait pas un indicateur
adéquat aux fins du calcul dudit montant de base.
853 Ainsi que la Commission l’a relevé à bon droit au considérant 933 de la décision attaquée, la méthodologie décrite aux considérants 889 à 905 de la décision attaquée est claire et cohérente et permet une détermination transparente et réalisable de la valeur de remplacement. Elle peut être appliquée de manière cohérente à toutes les parties et le niveau de détail inhérent à chaque élément est approprié pour un calcul efficace, crédible et compréhensible de la valeur de remplacement.
854 De plus, comme elle l’a également valablement retenu au considérant 936 de la décision attaquée, les méthodologies alternatives proposées par Crédit agricole et Credit Suisse ne sauraient être plus appropriées que celle retenue par la Commission dans la décision attaquée.
855 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter le deuxième argument de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et le deuxième argument de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse comme étant non fondés.
– Sur la critique de Crédit agricole, tirée de l’utilisation de pondérations fixes des OSSA retenues pour l’ensemble de la période infractionnelle et pour l’ensemble des banques concernées aux fins du calcul de l’écart de cotation final de chacune de ces banques
856 Dans le cadre du premier argument de la troisième branche de son quatrième moyen, tel qu’il ressort de sa requête, Crédit agricole reproche à la Commission d’« [avoir] calculé [l’]écart de cotation [final] en utilisant des pondérations fixes sur l’ensemble des périodes pertinentes pour toutes les banques, et pas seulement sur la période pertinente s’appliquant à [Crédit agricole] », et, « [d]e ce fait, [de ne] pas [avoir] tenu compte des variations de modèle de transaction, tant en général qu’en
ce qui concerne les transactions de [Crédit agricole] elle-même ».
857 Cette critique de Crédit agricole, dirigée en substance contre le considérant 933 de la décision attaquée, procède d’une mauvaise compréhension de la méthodologie retenue et appliquée par la Commission, telle qu’elle ressort notamment des considérants 902 et 903 de la décision attaquée.
858 Ainsi que cela ressort du considérant 903 de la décision attaquée, il est certes vrai que la Commission a retenu le même échantillon composé de 33 catégories d’OSSA représentatives aux fins du calcul de la valeur de remplacement pour l’ensemble des banques concernées et que la ventilation des OSSA par émetteur et par échéance pour une même banque demeurait la même pour l’ensemble de sa période de participation à l’infraction litigieuse. Toutefois, il ressort du même considérant 903 que, pour
chaque partie et pour chaque jour ouvrable de leur période d’infraction respective, la Commission a calculé un écart de cotation quotidien à partir d’une moyenne pondérée de ces 33 catégories d’OSSA représentatives.
859 S’agissant en particulier de Crédit agricole, ce constat ressort également clairement de la colonne « Rescaled weights » du tableau 2 de l’annexe de la décision attaquée, lue conjointement avec les tableaux 3 et 4 de cette même annexe, reproduits aux points 794 et 795 ci‑dessus.
860 Ces tableaux mettent en évidence le fait que, si les OSSA de référence étaient les mêmes pour toutes les banques concernées durant l’ensemble de la période infractionnelle et si la ventilation des OSSA par émetteur et par échéance pour une même banque demeurait la même pour l’ensemble de sa période de participation à l’infraction litigieuse, cette ventilation était propre à chaque banque et a donné lieu à la détermination d’un écart de cotation quotidien qui lui était donc également propre et
qui, de ce fait, tenait compte des spécificités de son activité de négociation.
861 Par ailleurs, en ce que, dans sa réplique, Crédit agricole indique que son argumentation visait à critiquer l’absence de prise en considération par la Commission de la « pondération interjournalière », force est de constater que cet argument – à supposer qu’il puisse être considéré comme recevable en dépit de sa présentation tardive – ne saurait prospérer.
862 En effet, dans le cadre de cette argumentation, Crédit agricole se limite, sur la base d’un exemple – selon les propres termes de cette banque – « hypothétique », à indiquer que, en cas de variation importante de l’intensité de négociation d’une banque d’un jour à l’autre, la méthode retenue par la Commission aurait tendance à surévaluer l’activité des banques. Or, ladite banque ne fournit aucun élément de nature à établir que son activité avait présenté de telles caractéristiques au cours de sa
période de participation à l’infraction litigieuse.
863 Eu égard à ce qui précède, le premier argument de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole doit être rejeté comme étant non fondé.
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du recours aux données BGN
864 Au considérant 903 de la décision attaquée et à la note en bas de page 1060 à laquelle celui-ci renvoie, la Commission a indiqué que « les données sur les écarts de cotation [...] pour [les] 33 [catégories d’]obligations représentatives ont été collectées à partir de la source de prix composite Bloomberg BGN [, décrite comme] un prix composite en temps réel pour les obligations d’entreprise et d’État ».
865 Au considérant 918 de la décision attaquée, la Commission a justifié le recours aux données BGN comme suit :
« En ce qui concerne la source d’information sur les écarts [de cotation], la lettre [sur les amendes] explique qu’après analyse[…] “[l]es données contenues dans le dossier ne constituent pas un échantillon qui serait suffisant en soi pour garantir que toutes les échéances et tous les émetteurs pertinents déclarés par les parties dans leurs réponses aux demandes de renseignements de la Commission sont proportionnellement représentés” et que la Commission a donc recueilli des données sur les
écarts entre les cours acheteur et vendeur auprès de la source de prix composite Bloomberg BGN, sur une base quotidienne, pour les obligations représentatives. En d’autres termes, ayant provisoirement prévu d’utiliser à la fois les données de son dossier et les données publiques et ayant déterminé que les données du dossier n’étaient pas suffisamment représentatives, la Commission a choisi la source de données la plus appropriée pour calculer les écarts de cotation applicables. »
866 Dans la note en bas de page 1084 sous le considérant 921 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que, « bien que, pour les prix actuels, les prix Bloomberg BGN soient des prix en temps réel et soient calculés intrajournalièrement au fur et à mesure que de nouvelles cotations arrivent [...], pour les prix historiques, seuls le prix d’achat et le prix de vente de fin de journée sont disponibles ».
867 Dans la note en bas de page 1085 sous le même considérant de la décision attaquée, la Commission a ajouté ce qui suit :
« [L]a Commission a utilisé uniquement les cours acheteur et vendeur de Bloomberg BGN pour calculer les écarts de cotation quotidiens. Les cours acheteur et vendeur de Bloomberg BGN sont estimés au même moment (fin de journée). Par conséquent, le calcul d’un écart de cotation réalisé en soustrayant le cours acheteur de Bloomberg BGN du cours vendeur de Bloomberg BGN ne souffre pas d’un décalage temporel qui pourrait fausser le résultat. Toutefois, cet écart de cotation de fin de journée ne peut
pas être appliqué aux prix intrajournaliers [...]. En revanche, l’approche de la Commission consiste à utiliser l’écart de cotation de fin de journée moyen d’une obligation représentative particulière tout au long de la période de participation à l’infraction et à l’appliquer aux montants notionnels négociés. »
868 Dans le cadre du troisième argument de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et dans le cadre du premier argument de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir retenu les données BGN, qui seraient inadéquates aux fins du calcul de la valeur de remplacement. Ces données gonfleraient le prix auquel les transactions ont été réellement exécutées par les banques concernées et, partant, le facteur d’ajustement
calculé sur la base de ceux‑ci.
869 À cet égard, Crédit agricole indique, en particulier, que, sur un « échantillon limité » d’opérations, les écarts de cotation réellement obtenus sont environ quatre fois inférieurs aux écarts de cotation de fin de journée issus des données BGN. Cela constituerait la preuve que ces écarts de cotation seraient artificiellement plus élevés que les écarts de cotation effectifs. Dans ces conditions, la Commission aurait dû tenir compte de ces « meilleures données disponibles », même si elles ne
pouvaient être utilisées qu’à titre indicatif, notamment « en réduisant l’écart de cotation final selon un facteur approprié ».
870 Pour sa part, Credit Suisse critique la Commission pour avoir utilisé les données BGN, qui se fonderaient sur une « méthodologie exclusive » non précisée et opaque. De plus, ces données sembleraient refléter les cotations initiales et les estimations de prix plutôt que les écarts des opérations effectuées, ce qui permettrait uniquement de fournir des écarts maximaux que cette banque peut espérer obtenir lorsqu’elle négocie avec des clients, comme cela ressortirait du deuxième rapport Compass
Lexecon. Les données BGN seraient également incomplètes en ce qu’elles ne prendraient pas en considération les volumes de transactions potentielles qui peuvent avoir un impact sur les écarts de cotation. En outre, elles surestimeraient les écarts obtenus lorsque Credit Suisse effectue des transactions avec d’autres teneurs de marché, comme cela ressortirait encore du deuxième rapport Compass Lexecon. Par ailleurs, Credit Suisse estime que la Commission ne saurait écarter la source de données la
plus appropriée au motif qu’une autre partie à l’entente ne peut produire les mêmes données.
871 Ainsi qu’il a été relevé au point 807 ci‑dessus, le point 15 des lignes directrices n’est pas directement applicable en l’espèce, dans la mesure où la Commission s’est écartée de la méthode de calcul des amendes prévue au point 13 de ces lignes directrices.
872 Pour autant, lorsque la Commission dans l’exercice de son large pouvoir d’appréciation de la méthode de calcul d’une amende a, en l’occurrence à bon droit, défini une méthode de calcul des amendes alternative à celle prévue au point 13 de ces lignes directrices, il lui appartient néanmoins, dans la mise en œuvre de cette méthodologie, de veiller à prendre en considération les meilleures données disponibles.
873 Il convient donc de déterminer si les données BGN employées par la Commission pour déterminer l’écart de cotation final constituaient les meilleures données disponibles dans la mise en œuvre de la méthodologie définie par celle‑ci.
874 Dans ce contexte et compte tenu de la motivation développée par la Commission dans la décision attaquée (considérants 903 et 918) et, notamment, celle par laquelle elle a écarté les arguments dont se sont prévalues les banques concernées au cours de la procédure administrative (considérants 919 à 929), ces dernières ne sauraient se limiter à faire valoir que les données utilisées par la Commission souffrent d’une ou plusieurs insuffisances, mais, au contraire, doivent démontrer que, dans le
cadre de la méthodologie que cette institution a légalement déterminée, il existe effectivement des données meilleures que celles retenues par cette institution et que celles‑ci sont effectivement disponibles (voir, par analogie, arrêt du 24 septembre 2019, HSBC Holdings e.a./Commission, T‑105/17, EU:T:2019:675, point 324).
875 À cet égard, il convient de relever que Crédit agricole fait essentiellement valoir que, à la lumière d’une étude qu’elle ne produit pas devant le Tribunal et dont elle admet elle-même qu’elle porte sur un « échantillon limité » d’opérations, la Commission aurait dû privilégier non les données BGN, mais les écarts réels auxquels les transactions ont été exécutées par cette banque et qui auraient dû être calculés en s’appuyant « à titre indicatif » sur l’« échantillon limité » susvisé, afin de
déterminer un facteur de réduction de l’écart de cotation « approprié ».
876 Or, de tels éléments imprécis et insuffisamment étayés ne sont pas à même de démontrer qu’un jeu de données complètes et cohérentes autre que celui composé des données BGN utilisées par la Commission était disponible, ni a fortiori qu’il était meilleur que celui‑ci.
877 Bien au contraire, le fait que Crédit agricole ait fondé sa critique uniquement sur un « échantillon limité » de données tend à démontrer qu’elle – et a fortiori la Commission – n’était pas en mesure d’identifier et de documenter avec précision les opérations qu’elle a elle‑même réalisées.
878 À cet égard, le Tribunal ne peut manquer de relever, ainsi que cela ressort du considérant 926 de la décision attaquée, que, au cours de la procédure administrative, Crédit agricole a d’ailleurs indiqué que, « en l’absence de prix de transaction réels permettant de calculer l’écart de cotation, il convient d’utiliser les écarts de prix indices (tels que BGN) qui sont à la fois spécifiques à l’obligation et spécifiques à une période donnée », qu’« [u]ne source appropriée pour ces données est le
fournisseur de données Bloomberg, qui procure, pour chaque obligation et pour chaque journée, le cours acheteur et le cours vendeur de fin de journée » et que « [l]a différence entre ces cours vendeurs et acheteurs fournit, pour chaque obligation et pour chaque journée, un écart de cotation de fin de journée qui est propre à chaque obligation », ce que cette banque ne conteste pas.
879 De plus, si l’étude à laquelle se réfère Crédit agricole coïncide avec les arguments soulevés par cette banque au cours de la procédure administrative, il ressort du considérant 925 de la décision attaquée que la Commission les a écartés à bon droit, au motif essentiellement que, dans le cadre de la méthodologie proposée par cette banque, en raison de la volatilité des prix intrajournaliers, le prix d’achat d’une obligation ne peut être comparé au prix d’achat d’une opération inverse exécutée le
même jour.
880 Enfin, si Crédit agricole a entendu fonder son argumentation sur l’étude économique produite en annexe A.10 à sa requête, il lui appartenait de viser les points précis de celle-ci qui venaient au soutien de la présente argumentation et non de se limiter à en signaler l’existence en introduction à sa requête sous le titre « Contexte de la requête » et à la viser dans sa réplique dans le cadre de sa critique tirée d’une erreur de la Commission quant à la période de référence prise en considération
pour le calcul de l’amende qui lui a été infligée (première branche de son quatrième moyen).
881 À l’instar de Crédit agricole, Credit Suisse fait valoir que, aux fins de la détermination de son facteur d’ajustement, la Commission aurait dû utiliser non pas les données BGN, mais les écarts réels auxquels les transactions ont été exécutées par cette banque.
882 Au soutien de son affirmation, Credit Suisse soulève diverses critiques à l’égard des données BGN, qu’il convient d’examiner successivement.
883 D’emblée, il convient de rejeter la critique tirée du fait que la Commission aurait écarté les écarts réels auxquels les transactions ont été exécutées par cette banque au profit des données BGN, au motif qu’une autre partie à l’entente ne pouvait produire les mêmes données.
884 Cette critique procède d’une lecture erronée du considérant 918 de la décision attaquée. Ce considérant énonce que le recours aux données BGN est justifié par le fait que les données contenues dans le dossier de la Commission ne fournissent pas un échantillon qui aurait été suffisant en soi pour garantir que toutes les échéances et tous les émetteurs pertinents déclarés par les parties dans leurs réponses aux demandes de renseignements de la Commission étaient proportionnellement représentés.
885 Doit également être rejetée la critique de Credit Suisse tirée du caractère inconnu du mode d’élaboration des données BGN, rendant incertaine la portée à leur conférer.
886 Il est certes vrai, comme le relève Credit Suisse et comme cela ressort des documents élaborés par la plateforme Bloomberg, que le mode d’élaboration des données BGN est partiellement inconnu. Toutefois, un tel élément ne saurait priver la Commission de la possibilité de recourir à ces données en l’espèce.
887 En effet, d’une part, ainsi que cela ressort des considérants 33, 220 ou 725 de la décision attaquée, les données fournies par cette plateforme constituent des données auxquelles les traders accordent un crédit important, en ce que, comme le relève Credit Suisse, les plateformes telles que Bloomberg collectent des informations de marché pour les relayer ensuite à tous les acteurs du marché.
888 D’autre part, comme cela ressort de la note en bas de page 1060 de la décision attaquée, qui vise un document élaboré par la plateforme Bloomberg, les données BGN constituent une source qui est fondée sur des prix exécutables et indicatifs de plusieurs opérateurs et qui indique les prix disponibles pour en dégager un consensus et qui, comme le relève la Commission, est élaboré par un tiers à la procédure.
889 Dès lors, il ne saurait être valablement soutenu que, au motif du caractère partiellement inconnu de leur mode d’élaboration, les données de référence que sont les données BGN ne sauraient être employées par la Commission, tout particulièrement lorsque Credit Suisse n’a nullement fait état de plateformes de marché fournissant des informations plus exactes ou plus pertinentes que la plateforme Bloomberg.
890 Doit également être rejetée la critique de Credit Suisse, qui prend appui sur les termes du point 1.8 du deuxième rapport Compass Lexecon et selon laquelle les données BGN « sembleraient refléter les cotations initiales et des estimations de prix plus que les écarts de cotation des transactions ».
891 En effet, il ne ressort pas de ce rapport avec une certitude suffisante que l’objet réel des données BGN serait celui évoqué par les auteurs de ce rapport, tout particulièrement sans référence bibliographique et contre la définition retenue par la Commission au visa d’un document élaboré par la plateforme Bloomberg.
892 En outre, il doit être relevé que l’affirmation reprise par Credit Suisse dudit rapport est assortie de la précaution rédactionnelle suivante : « as such, we understand that », limitant considérablement la valeur probante de cette affirmation, qui n’est pas autrement étayée.
893 S’agissant, enfin, des critiques tirées du fait que les données BGN ne prendraient pas en considération l’impact des volumes échangés sur les prix des OSSA ou encore surestimeraient les écarts obtenus par Credit Suisse lorsqu’elle effectue des transactions avec d’autres teneurs de marché, force est de constater qu’elles n’apparaissent pas dépourvues de fondement.
894 Toutefois, ce constat ne saurait en l’espèce priver la Commission de la possibilité de recourir aux données BGN et, de ce fait, invalider le montant du facteur d’ajustement calculé en les employant.
895 En effet, d’une part, la Commission ne peut pas se voir opposer le fait d’avoir utilisé des données ne reflétant pas exactement les écarts réels auxquels les transactions ont été exécutées par Credit Suisse, lorsque justement cette institution ne disposait pas de données exactes suffisamment représentatives, ainsi que cela ressort du considérant 918 de la décision attaquée, non contesté par Credit Suisse, et que, en conséquence, elle a été dans l’obligation de recourir à une méthodologie
s’appuyant sur des données alternatives nécessairement moins précises, afin de reconstituer une valeur de remplacement.
896 C’est d’ailleurs en ce sens que le point 16 des lignes directrices prévoit que, « [l]orsque les données rendues disponibles par une entreprise sont incomplètes ou non fiables, la Commission peut déterminer la valeur des ventes de cette entreprise sur la base des données partielles qu’elle a obtenues et/ou de toute autre information qu’elle considère pertinente ou appropriée ».
897 D’autre part, il ressort des points 831 à 850 ainsi que 854 ci‑dessus qu’une méthodologie fondée sur les données de transactions des banques concernées ne saurait s’avérer plus appropriée que celle retenue par la Commission dans la décision attaquée.
898 Dès lors, dans le cadre de la méthodologie établie par la Commission et dont la légalité a été confirmée au point 852 ci‑dessus, les données BGN doivent être considérées comme les meilleures données disponibles, tout particulièrement à la lumière des déclarations de Crédit agricole sur la fiabilité de ces données aux fins du calcul du facteur d’ajustement, visées au considérant 926 de la décision attaquée et rappelées au point 878 ci‑dessus.
899 En conséquence, il convient de rejeter le troisième argument de la troisième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et le premier argument de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse.
– Sur la critique de Credit Suisse, tirée de la surestimation de sa valeur de remplacement en raison de la prise en compte à son égard de montants notionnels d’autres banques
900 Dans le cadre du troisième argument de la deuxième branche de son troisième moyen, développé à titre subsidiaire dans l’hypothèse où le Tribunal devrait considérer que la Commission était en droit d’utiliser les données BGN, Credit Suisse reproche à la Commission d’avoir surestimé les montants notionnels qui ont été retenus à son égard, en lui attribuant à tort des montants négociés par d’autres banques, et rejeté ses arguments sur ce point aux considérants 928 et 929 de la décision attaquée.
901 Inclure, dans les montants notionnels de Credit Suisse, les opérations par lesquelles cette banque achète des liquidités (liquidity sourcing) (en payant le prix à un autre teneur de marché) conduirait à lui attribuer des transactions pour lesquelles elle ne pouvait pas percevoir de revenus. En effet, un teneur de marché ne percevrait une marge que sur la transaction avec un client. À cet égard, Credit Suisse indique que le prix payé par un revendeur à son fournisseur n’est pas ajouté au calcul
de la valeur des ventes.
902 De plus, cette prise en compte dans les montants notionnels des opérations d’achat de liquidités, qui représenteraient 37,8 à 41 % du total des opérations de Credit Suisse, conduirait à comptabiliser deux fois la même transaction lorsque les opérations sont effectuées entre deux banques ayant pris part à l’infraction litigieuse.
903 Par le présent argument, Credit Suisse reproche, en substance, à la Commission d’avoir inclus dans les montants notionnels (et non dans le calcul du facteur d’ajustement), qui ont été retenus à son égard, les opérations relatives à l’achat de liquidités qui constitueraient, à ses yeux, des opérations d’approvisionnement ne devant pas être prises en considération dans le calcul de la valeur des ventes.
904 S’il est vrai que, dans le cadre de la détermination d’une « valeur des ventes » au sens du point 13 des lignes directrices, seul le montant des ventes de l’entreprise concernée, et donc le prix total que cette entreprise a facturé à ses clients sur le marché de biens ou de services concerné, doit être pris en considération aux fins de la détermination du montant de base de l’amende (voir, en ce sens, arrêt du 1er février 2018, Kühne + Nagel International e.a./Commission, C‑261/16 P, non publié,
EU:C:2018:56, points 66 et 67), tel ne saurait toutefois être le cas en l’espèce, compte tenu de la méthodologie retenue par la Commission aux fins de la détermination du facteur d’ajustement.
905 En effet, dans le cadre de la méthodologie retenue par la Commission, rappelée aux points 748 à 759 ci‑dessus, cette institution a déterminé un facteur d’ajustement correspondant à la moitié de l’écart de cotation moyen propre à chaque banque, pour tenir compte du fait que chaque opération d’achat ou de vente effectuée par une banque ne représentait que la moitié d’une opération entière d’achat‑revente d’une OSSA (considérants 897 à 899 de la décision attaquée).
906 Il en découle, comme cela ressort notamment du point 11 de la lettre relative aux amendes et de la note en bas de page 1054 de la décision attaquée, que, en raison des spécificités de la négociation des OSSA, la Commission a entendu déterminer la valeur de remplacement non en retenant à l’encontre du vendeur la totalité de l’écart de cotation de chaque opération de vente d’OSSA – ce qui lui aurait interdit d’inclure dans les montants notionnels des banques concernées les opérations relatives aux
achats d’OSSA – mais en retenant la moitié de l’écart de cotation de l’opération à l’égard du vendeur et la moitié de l’écart de cotation de l’opération à l’égard de l’acheteur.
907 Dès lors, en application d’une telle méthodologie dont la validité a été constatée au point 852 ci‑dessus, la Commission n’avait pas d’autre choix que d’inclure dans les montants notionnels de chaque banque concernée non seulement ses opérations de vente, mais également ses opérations d’achat, y compris celles visant à des achats de liquidités qui d’ailleurs, pour l’essentiel si ce n’est la totalité, déboucheront sur une opération de vente ultérieure.
908 De plus, sur le plan comptable, le fait pour la Commission d’avoir retenu la moitié de l’écart de cotation moyen appliqué au montant total de l’opération équivaut à retenir un écart de cotation moyen total appliqué à la moitié du montant de l’opération, ce qui exclut toute double comptabilisation du montant notionnel de cette opération, d’une part, chez l’acheteur et, d’autre part, chez le vendeur.
909 Enfin, en ce que Credit Suisse fait valoir que les opérations d’achat de liquidités effectuées avec les banques ayant pris part à l’infraction litigieuse n’auraient pas dû être prises en considération dans ses montants notionnels, il importe de rappeler que, dans le cadre des lignes directrices, la notion de « valeur de remplacement », à l’instar de celle de « valeur des ventes », vise à retenir comme point de départ pour le calcul de l’amende infligée à une entreprise un montant qui reflète
l’importance économique de l’infraction litigieuse et le poids de cette entreprise dans celle‑ci (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2015, InnoLux/Commission, C‑231/14 P, EU:C:2015:451, point 50 et jurisprudence citée).
910 Il en découle que la détermination de la valeur de remplacement implique la prise en considération de toutes les opérations réalisées sur le marché concerné par l’infraction, à l’instar de ce qui prévaut pour la détermination de la valeur des ventes [voir, en ce sens, arrêt du1er février 2018, Panalpina World Transport (Holding) e.a./Commission, C‑271/16 P, non publié, EU:C:2018:59, point 30 et jurisprudence citée], et cela pour chacune des entreprises ayant pris part à l’infraction litigieuse,
comme cela découle du point 10 des lignes directrices.
911 Or, compte tenu de la méthodologie retenue par la Commission, rappelée aux points 748 à 759 ci‑dessus et en application de laquelle elle a déterminé pour chaque banque concernée la valeur de remplacement en multipliant ses montants notionnels par son facteur d’ajustement déterminé sur la base de la moitié de son écart de cotation moyen propre, il est logique que, pour une opération d’achat de liquidités effectuée par une banque ayant pris part à l’infraction litigieuse auprès d’une autre banque
ayant également pris part à cette infraction, la Commission ait pris en compte les montants notionnels correspondant à cette opération pour chacune de ces banques, à l’instar de ce qu’elle a fait pour toute opération d’achat de liquidités effectuée par une banque ayant pris part à l’infraction litigieuse auprès d’une autre banque n’y ayant pas pris part.
912 Cette méthodologie conduit certes à une prise en compte du montant notionnel échangé sur une opération d’achat de liquidités donnée tant pour le vendeur de l’OSSA concerné que pour son acheteur.
913 Toutefois, cette double prise en compte découle des principes mêmes gouvernant la détermination des amendes en application des lignes directrices et en particulier de leur point 10, appliqué au contexte spécifique de l’espèce où la Commission a déterminé la valeur de remplacement au regard non des seules opérations de vente, mais également des opérations d’achat.
914 De plus, écarter du calcul de la valeur de remplacement une partie des opérations qui relèvent indiscutablement du champ d’application de l’entente reprochée aurait pour conséquence de minimiser artificiellement l’importance économique de l’infraction litigieuse, portant ainsi atteinte à l’objectif de poursuite et de sanction efficace des infractions à l’article 101 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464,
point 77).
915 C’est donc à bon droit que, au considérant 929 de la décision attaquée, la Commission a estimé que, dans le cadre de la méthodologie qu’elle avait légalement définie et qui visait à déterminer une valeur de remplacement représentative de l’ensemble de l’activité des banques concernées et en particulier de celle de Credit Suisse, elle devait intégrer dans les montants notionnels retenus à l’égard de cette banque les opérations relatives à des achats de liquidité, y compris celles effectuées entre
les banques ayant pris part à l’infraction litigieuse.
916 Dès lors, le troisième argument de la deuxième branche du troisième moyen de Credit Suisse doit être rejeté comme étant non fondé.
2) Sur la critique de Crédit agricole relative au choix de la Commission de ne pas retenir l’année 2014 comme période de référence pour le calcul de la valeur de remplacement
917 En application du point 13 des lignes directrices, « [e]n vue de déterminer le montant de base de l’amende à infliger, la Commission [...] utilisera normalement les ventes de l’entreprise durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction ».
918 Aux considérants 894 et 935 de la décision attaquée, la Commission a toutefois décidé, aux fins du calcul de la valeur de remplacement, de s’écarter du point 13 des lignes directrices.
919 En ce sens, la Commission a indiqué « qu’il [était] plus approprié de fonder la valeur de remplacement annualisée sur la valeur des ventes effectivement réalisées par les [banques concernées] au cours des mois correspondant à leur participation respective à l’infraction » et que, « [a]insi, les montants notionnels échangés pendant leur période de participation individuelle à l’entente [ont été] annualisés en fonction de leur durée de participation respective, en divisant la totalité [des
montants notionnels échangés par une banque au cours de sa période de participation à l’infraction litigieuse] par le nombre de mois complets de participation à celle-ci et en multipliant ensuite cette moyenne mensuelle par 12 ».
920 La Commission a justifié ce choix par trois motifs, à savoir la taille variable du marché des OSSA, la forte volatilité des écarts de cotation au cours de la période d’infraction et les périodes différentes au cours desquelles les banques concernées ont été impliquées dans l’infraction litigieuse.
921 En outre, au considérant 895 de la décision attaquée, la Commission a indiqué que les montants notionnels annualisés échangés reflétaient l’importance économique de l’infraction litigieuse et le poids relatif de chaque entreprise dans cette infraction, indépendamment de leur période de participation individuelle.
922 Dans le cadre de la première branche de son quatrième moyen, Crédit agricole soutient que, en retenant une moyenne annualisée des montants notionnels des OSSA échangées par cette banque au cours de sa période de participation à l’infraction litigieuse et non les seuls montants notionnels échangés par ladite banque au cours de l’année 2014 – dernière année complète de participation de cette même banque à l’infraction litigieuse –, la Commission a violé le point 13 des lignes directrices, le
principe de bonne administration ainsi que son obligation de motivation.
923 Au soutien de cette branche, Crédit agricole fait valoir dans sa requête que, dans la décision attaquée, la Commission n’a précisé ni la nature ni l’ampleur de la volatilité élevée des écarts de cotation. Elle n’aurait pas non plus expliqué en quoi le recours à une moyenne annualisée des montants notionnels d’OSSA échangées était nécessaire en l’espèce, tout particulièrement s’agissant de sa participation qui a débuté après la période de forte volatilité de l’année 2011. En outre, Crédit
agricole estime que la volatilité élevée des écarts de cotation, évoquée par la Commission, ne justifiait pas de s’écarter du point 13 des lignes directrices. Il aurait dû en être d’autant moins ainsi que, s’agissant de Crédit agricole, l’écart entre les montants notionnels annualisés, d’une part, et les montants notionnels échangés au cours de l’année 2014, d’autre part, n’aurait été que de 10 %.
924 Dans sa réplique, Crédit agricole ajoute que la justification de la Commission tirée des différentes périodes de participation à l’infraction litigieuse des différentes banques concernées est absurde et contraire à la pratique décisionnelle de cette institution.
925 S’agissant, tout d’abord, de l’argument tiré du défaut de motivation de la décision attaquée en ce qui concerne le choix de la Commission de s’écarter du point 13 des lignes directrices, force est de constater que les considérants 894 et 935 de la décision attaquée, dont la substance est rappelée aux points 918 à 921 ci‑dessus, font apparaître de façon claire et non équivoque les raisons de ce choix, permettant ainsi aux banques concernées de connaître les justifications de ce choix et au
Tribunal d’exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2021, Conseil/Hamas, C‑833/19 P, EU:C:2021:950, point 74 et jurisprudence citée).
926 Il est certes vrai, comme le fait valoir Crédit agricole, que, dans la décision attaquée, la Commission n’a pas étayé la nature ni l’ampleur de la volatilité élevée des écarts de cotation dont elle se prévaut.
927 Toutefois, il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour chaque élément quantitatif sur lequel s’appuie le raisonnement de la Commission, dès lors que ce dernier apparaît, comme il a été constaté aux points 765 à 788 ci‑dessus, clair et non équivoque (voir, par analogie, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, points 108 et 111 et jurisprudence citée).
928 Cela est d’autant plus vrai en l’espèce que, d’une part, Crédit agricole a soulevé devant le Tribunal divers arguments mettant en cause la volatilité élevée des écarts de cotation sur lesquels la Commission s’était appuyée et que cette dernière a été mise en mesure de se justifier dans le cadre de l’instruction de la présente affaire (voir, par analogie, arrêt du 1er juillet 2008, Chronopost et La Poste/UFEX e.a., C‑341/06 P et C‑342/06 P, EU:C:2008:375, point 110).
929 D’autre part, il ne saurait être raisonnablement considéré que l’absence de précisions relatives à la nature et à l’ampleur de la variabilité des écarts de cotation des OSSA a privé Crédit agricole, acteur du marché des OSSA, de la faculté d’apprécier par elle-même si le constat objectif, effectué aux considérants 894, 899 et 935 de la décision attaquée et relatif à la volatilité élevée du marché des OSSA sur la période d’infraction, était avéré ou, au contraire, erroné.
930 Partant, Crédit agricole ne saurait valablement se prévaloir d’un défaut de motivation de la décision attaquée s’agissant des raisons qui ont justifié le choix de la Commission de s’écarter du point 13 des lignes directrices et de retenir, non les montants notionnels échangés par cette banque au cours de l’année 2014, mais une moyenne annualisée des montants notionnels échangés par ladite banque au cours de l’ensemble de sa période de participation à l’infraction litigieuse.
931 S’agissant, ensuite, du bien-fondé du choix effectué par la Commission, il convient de rappeler que le point 13 des lignes directrices autorise la Commission à déroger à la règle visant à la prise en considération, aux fins du calcul du montant de l’amende, des ventes réalisées par l’entreprise concernée durant la dernière année complète de sa participation à l’infraction litigieuse, à condition que cette institution justifie à suffisance de droit cette dérogation (voir, en ce sens, arrêt du
17 décembre 2014, Pilkington Group e.a./Commission, T‑72/09, non publié, EU:T:2014:1094, points 212 et 213 et jurisprudence citée).
932 En l’occurrence, aux considérants 894 et 935 de la décision attaquée, la Commission a justifié son choix de déroger à la règle fixée au point 13 des lignes directrices par trois motifs, rappelés au point 920 ci‑dessus.
933 Or, ainsi que cela ressort du point 923 ci‑dessus, pour contester le caractère justifié de la dérogation au point 13 des lignes directrices de la Commission, Crédit agricole s’est limitée, dans sa requête, à contester le deuxième motif retenu par la Commission, à savoir celui tiré de la volatilité élevée des écarts de cotation des OSSA au cours de la période d’infraction.
934 Il en découle que les premier et troisième motifs, tirés de la variation de la taille du marché des OSSA au cours de la période d’infraction et des différentes périodes de participation à l’infraction des banques concernées, doivent être considérés comme définitivement établis et pertinents afin de justifier, en l’espèce, la dérogation au point 13 des lignes directrices.
935 À cet égard, il y a lieu de relever que Crédit agricole dans sa réplique a, certes, contesté le troisième motif avancé par la Commission.
936 Toutefois, à défaut d’avoir été présentée dans le cadre de la requête, une telle argumentation, qui présente un caractère nouveau, qui ne se fonde pas sur des éléments de fait ou de droit qui se sont révélés pendant la procédure et qui ne peut être comprise comme constituant l’ampliation de son argumentation relative à la volatilité élevée des écarts de cotation des OSSA, est tardive et, partant irrecevable, en application de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce
sens, arrêt du 14 mai 2019, Commune de Fessenheim e.a./Commission, T‑751/17, EU:T:2019:330, point 60).
937 Ces éléments précisés, il y a lieu de constater qu’il ressort des éléments de preuve transmis par la Commission à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure et qui portent sur un échantillon d’OSSA (BEI et CADES) à échéance de 0 à 3 ans et à échéance de 7 à 10 ans que, durant la période d’infraction, ces OSSA ont effectivement connu de forts écarts de cotation, tout particulièrement entre la fin de l’année 2011 et la fin de l’année 2013.
938 Cette circonstance prise ensemble avec le fait, non contesté, que la taille du marché des OSSA avait varié au cours de la période d’infraction met en évidence le fait que l’annualisation des montants notionnels – conduisant à tenir compte, aux fins du calcul du montant de base de l’amende, de l’ensemble de la période infractionnelle de chaque banque concernée – était nécessaire pour refléter l’importance économique de cette infraction, comme le relève la Commission au considérant 895 de la
décision attaquée.
939 En effet, retenir uniquement la dernière année de participation de chaque banque à l’infraction litigieuse aurait conduit la Commission à sous‑évaluer l’importance économique de cette infraction, en ne tenant aucun compte des années 2012 et 2013 durant lesquelles l’impact de cette infraction a été le plus important en raison, notamment, de la volatilité élevée des écarts de cotation.
940 Une telle conclusion ne saurait être remise en cause par l’argument de Crédit agricole tiré, en substance, du fait que sa participation à l’infraction – qui a débuté le 11 janvier 2013 et s’est terminée le 24 mars 2015 – est intervenue au cours d’une période soumise à une plus faible volatilité des écarts de cotation, ce qui aurait dû conduire la Commission à ne pas déroger au point 13 des lignes directrices la concernant.
941 En effet, ne pas soumettre Crédit agricole à l’annualisation de ses montants notionnels aurait conduit la Commission à ne pas retenir la même période de référence pour le calcul du montant de base de son amende que celle retenue pour les autres banques concernées, ce qui l’aurait empêchée d’imposer des amendes reflétant le poids relatif de chacune des banques concernées dans l’infraction litigieuse, ainsi que cela ressort en substance du considérant 895 de la décision attaquée.
942 De plus, compte tenu du fait que l’année 2013, voire le début de l’année 2014 ont été marqués par une volatilité des écarts de cotation certes nettement moins forte que celle des années 2012 et 2013, mais plus forte que celle de la période courant à compter du début de l’année 2014, calculer le montant de base de l’amende de Crédit agricole sur la base des montants notionnels échangés par celle‑ci au cours de la seule année 2014 aurait entraîné, au détriment des autres banques ayant pris part à
l’infraction litigieuse, une violation du principe d’égalité de traitement.
943 Dans une telle hypothèse, Crédit agricole aurait été la seule banque dont le montant de base de son amende aurait été calculé sur la base d’une année soumise à une faible volatilité des écarts de cotation, et cela alors même qu’elle a participé à l’infraction litigieuse également au cours de l’année 2013 qui a été marquée par une volatilité non négligeable des écarts de cotation des OSSA.
944 Enfin, Crédit agricole ne fournit aucun élément de nature à établir que les montants notionnels annualisés ne constituent pas, pour des raisons qui lui sont propres, une indication de sa véritable taille et de sa puissance économique, ni de l’ampleur de l’infraction qu’elle a commise (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2014, Esso e.a./Commission, T‑540/08, EU:T:2014:630, point 96 et jurisprudence citée).
945 À cet égard, le fait souligné par Crédit agricole que la valeur de remplacement annualisée retenue à son égard ne diffère que de 10 % par rapport aux montant notionnels échangés par cette banque au cours de l’année 2014 ne saurait suffire.
946 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a pu, en l’espèce, déroger au point 13 des lignes directrices pour le calcul du montant de base des amendes infligées aux banques concernées et, en particulier, à Crédit agricole.
947 S’agissant enfin de la violation du principe de bonne administration alléguée par Crédit agricole, force est de constater qu’elle n’est pas étayée par des arguments autonomes à ceux avancés pour critiquer le choix de la Commission de ne pas retenir l’année 2014 comme période de référence pour le calcul de la valeur de remplacement, de sorte qu’elle doit être écartée, pour les mêmes motifs que ceux retenus aux points 931 à 946 ci-dessus.
948 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter la première branche du quatrième moyen de Crédit agricole.
3) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de gravité (points 20 à 23 des lignes directrices)
949 Aux considérants 940 et 941 de la décision attaquée, la Commission a retenu un coefficient multiplicateur de gravité de l’infraction s’élevant à 16 %.
950 Elle a justifié ce coefficient multiplicateur de gravité essentiellement par le fait que l’infraction litigieuse a couvert l’ensemble de l’EEE et a pris la forme d’accords de fixation de prix, d’échanges collusoires d’informations, de partages du marché et de répartitions de la clientèle, comportements qui comptent parmi les restrictions de concurrence les plus graves.
951 Dans le cadre de la quatrième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et dans le cadre de la troisième branche du troisième moyen de Credit Suisse, les requérantes contestent le coefficient multiplicateur de gravité de 16 % retenu par la Commission.
952 Premièrement, en ce qui concerne Crédit agricole, cette banque fait valoir que la Commission n’était pas en droit de retenir un coefficient de gravité commun à l’ensemble des banques ayant pris part à l’infraction litigieuse et aurait dû, à son égard, retenir un coefficient multiplicateur de gravité « plus approprié ».
953 Selon Crédit agricole, un coefficient multiplicateur de gravité individualisé et inférieur s’imposait afin de respecter le principe d’égalité de traitement ainsi que pour se conformer aux arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 129), et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 90). Selon ces arrêts, la Commission serait obligée, lors de la détermination du coefficient multiplicateur de
gravité, de tenir compte de la durée de l’infraction litigieuse, du comportement – éventuellement mineur – des entreprises concernées, de leur rôle dans l’établissement de cette infraction, du profit réalisé par celles‑ci et de leur taille respective.
954 Or, Crédit agricole aurait participé à l’infraction moins longtemps que les autres banques et n’aurait pas contribué à son établissement. De plus, son trader aurait été moins actif que ceux des autres banques. Enfin, Crédit agricole ne serait qu’un « très petit acteur » du marché des OSSA sur lequel cette banque ne serait entrée qu’au cours de l’année 2012/2013.
955 À cet égard, il convient d’emblée d’indiquer que Crédit agricole ne peut utilement se prévaloir des arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158, point 129), et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 90), à défaut pour ceux-ci d’avoir été rendus dans le cadre de recours dirigés contre des décisions adoptées à une époque où le calcul des amendes infligées sur le fondement de l’article 101 TFUE était
gouverné par des lignes directrices, par lesquelles la Commission s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation.
956 En effet, ainsi que cela ressort expressément des arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158), et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356), le calcul des amendes est réalisé sur le fondement de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 : Premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204) – repris en substance à l’article 23 du règlement no 1/2003 –, et non sur le
fondement des lignes directrices, en particulier leurs points 20 à 23 (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Team Relocations e.a./Commission, T‑204/08 et T‑212/08, EU:T:2011:286, point 87).
957 Il en découle que les arrêts du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission (100/80 à 103/80, EU:C:1983:158), et du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni (C‑49/92 P, EU:C:1999:356), ne peuvent imposer à la Commission, au stade de la détermination du coefficient multiplicateur de gravité (points 20 à 23 des lignes directrices), de prendre en considération des éléments autres que la gravité intrinsèque de l’infraction litigieuse, qui, en tout état de cause et comme le prévoit
la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2011, Team Relocations e.a./Commission, T‑204/08 et T‑212/08, EU:T:2011:286, point 87), ont été dûment pris en considération par la Commission à d’autres stades du calcul de l’amende imposée à cette banque.
958 De surcroît, il y a lieu de rappeler que, si, dans le cadre du calcul des amendes imposées sur le fondement de l’article 101 TFUE, la Commission ne saurait s’affranchir du respect du principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 1998, BPB de Eendracht/Commission, T‑311/94, EU:T:1998:93, point 309), il ressort tant du point 22 des lignes directrices que de la jurisprudence le concernant que le coefficient multiplicateur de gravité reflète, en principe, la gravité de
l’infraction litigieuse et non la gravité relative de la participation à cette infraction de chacune des entreprises concernées [voir, en ce sens, sous l’empire des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 et de l’article 65, paragraphe 5, [CA] (JO 1998, C 9, p. 3), arrêt du 12 novembre 2009,Carbone-Lorraine/Commission, C‑554/08 P, non publié, EU:C:2009:702, points 27 et 29 ; sous l’empire des lignes directrices,
arrêts du 12 décembre 2012, Novácke chemické závody/Commission, T‑352/09, EU:T:2012:673, point 58, et du 14 mai 2014, Reagens/Commission, T‑30/10, non publié, EU:T:2014:253, point 240].
959 Ainsi, l’appréciation de circonstances individuelles est, en principe, effectuée non dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’infraction, c’est‑à‑dire lors de la fixation du montant de base de l’amende, mais dans le cadre de l’ajustement du montant de base en fonction de circonstances atténuantes et aggravantes (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, point 103).
960 C’est d’ailleurs en ce sens que les points 19 à 22 des lignes directrices envisagent la détermination du coefficient multiplicateur de gravité pour l’infraction concernée et non pour chaque entreprise ayant pris part à celle‑ci.
961 En l’occurrence, un coefficient multiplicateur de gravité de 16 % pour une infraction telle que celle constatée dans la décision attaquée ne saurait être considéré comme inapproprié ou disproportionné.
962 En effet, ainsi que la Commission l’a relevé à bon droit aux considérants 939 à 941 de la décision attaquée, l’infraction litigieuse a couvert l’ensemble de l’EEE et a pris la forme d’accords de fixation de prix, d’échanges collusoires d’informations, de partages du marché et de répartitions de la clientèle, comportements qui comptent parmi les restrictions de concurrence les plus graves.
963 De plus, un coefficient multiplicateur de gravité de 16 % est très sensiblement plus faible que la limite supérieure de la fourchette visée aux points 21 et 23 des lignes directrices pour les restrictions de concurrence prenant une telle forme.
964 En effet, la Commission a indiqué aux points 21 et 23 des lignes directrices qu’elle retiendrait en général une proportion pouvant aller jusqu’à 30 % de la valeur des ventes, mais que, pour les infractions telles que les accords horizontaux de fixation de prix et de répartition de marché – qualification retenue dans la décision attaquée –, la proportion retenue serait généralement « en haut de l’échelle ».
965 De plus et contrairement à ce que soutient Crédit agricole, le coefficient multiplicateur de gravité retenu à son égard ne révèle aucune violation du principe d’égalité de traitement.
966 En effet, les caractéristiques spécifiques de cette banque ainsi que les caractéristiques pertinentes de sa participation à l’infraction litigieuse ont été dûment prises en considération à d’autres stades du calcul de l’amende, conformément à l’obligation pour la Commission de tenir compte du comportement individuel adopté par l’entreprise en cause (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2013, Team Relocations e.a./Commission, C‑444/11 P, non publié, EU:C:2013:464, points 99, 100, 105 et 106).
967 Ainsi, la durée plus courte de participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse tout comme le fait que celle‑ci n’a pas pris part à son établissement – élément qui est intimement lié à la durée de sa participation à cette infraction – ont conduit la Commission à retenir à son égard un coefficient de durée de 2,20 années alors que celui-ci a été de 3,28 années pour BofA, 4,75 années pour Credit Suisse et 4,18 années pour Deutsche Bank, comme cela ressort du considérant 951 de la
décision attaquée.
968 De même, la plus petite taille de cette banque a été prise en considération au titre de la valeur de remplacement, qui, du fait du volume plus faible des montants notionnels échangés par ladite banque, s’est avérée très inférieure à celle des autres banques, ainsi que cela ressort du considérant 905 de la décision attaquée.
969 Enfin, le fait que, au cours de l’infraction litigieuse, le trader de Crédit agricole aurait été moins actif que les traders des autres banques n’avait, en l’espèce, pas lieu d’être pris en considération par la Commission.
970 En effet, outre le fait que Crédit agricole n’allègue pas, ni a fortiori ne démontre, avoir rempli les conditions fixées au point 29, troisième tiret, des lignes directrices, il est de jurisprudence constante que les modes passifs de participation à une infraction, telle que la présence d’une entreprise à des réunions au cours desquelles des accords ayant un objet anticoncurrentiel ont été conclus, sans s’y être manifestement opposée, traduisent une complicité qui est de nature à engager sa
responsabilité dans le cadre de l’article 101 TFUE, dès lors que l’approbation tacite d’une initiative illicite, sans se distancier publiquement de son contenu ou la dénoncer aux entités administratives, a pour effet d’encourager la continuation de l’infraction et de compromettre sa découverte (voir arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C‑74/14, EU:C:2016:42, point 28 et jurisprudence citée).
971 Dès lors, c’est sans commettre d’erreur que la Commission a pu retenir à l’encontre notamment de Crédit agricole un coefficient multiplicateur de gravité s’élevant à 16 %.
972 Cette conclusion vaut tout autant pour Credit Suisse et n’est pas remise en cause par l’argument de cette banque par lequel elle se limite à faire valoir, dans un seul point de sa requête, que « l’amende [qui lui a été] infligée […] surestime considérablement la gravité de l’infraction [aux motifs que] la Commission n’a pas démontré que les communications relatives à la détermination des prix sont anticoncurrentielles par objet (deuxième branche du premier moyen) », qu’« il n’existait pas de
plan d’ensemble poursuivant le même objectif commun avant et après le mois de février 2013 (première branche du deuxième moyen) », qu’« [elle] n’avait pas connaissance – et n’aurait pas pu raisonnablement prévoir – les communications bilatérales prétendument anticoncurrentielles auxquelles se sont livrées d’autres banques après ce mois de février 2013 (deuxième branche du deuxième moyen) » et que « la Commission n’a pas prouvé à suffisance de droit que le comportement postérieur au mois de
février 2013 était continu (troisième branche du deuxième moyen) ».
973 En effet, ces quatre critiques correspondent exactement à celles formulées par Credit Suisse et rejetées par le Tribunal dans le cadre de la deuxième branche du premier moyen ainsi que des première, deuxième et troisième branches de son deuxième moyen, auxquelles cette banque renvoie d’ailleurs expressément.
974 Il en découle que la quatrième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et la troisième branche du troisième moyen de Credit Suisse doivent être rejetées comme étant non fondées.
4) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de durée (point 24 des lignes directrices)
975 Aux considérants 950 et 951 de la décision attaquée, la Commission a indiqué avoir calculé le coefficient multiplicateur de durée, prévu au point 24 des lignes directrices, sur la base du nombre de jours de participation de chaque banque concernée à l’infraction litigieuse, tel que déterminé au considérant 842 de cette décision.
976 La Commission a ainsi retenu un coefficient multiplicateur de durée de 2,20 années, à l’égard de Crédit agricole en raison d’une durée de participation de celle-ci à l’infraction litigieuse de 804 jours, et un coefficient multiplicateur de durée de 4,75 années, à l’égard de Credit Suisse en raison d’une durée de participation de celle-ci à l’infraction litigieuse de 1738 jours.
977 Dans le cadre de la cinquième branche du quatrième moyen de Crédit agricole et dans le cadre de la quatrième branche du troisième moyen de Credit Suisse, les requérantes contestent le coefficient multiplicateur de durée retenu à leur égard.
i) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de durée de 2,20 années retenu à l’égard de Crédit agricole
978 Par la cinquième branche de son quatrième moyen, Crédit agricole reproche à la Commission d’avoir retenu un coefficient multiplicateur de durée de 2,20 années au motif que cette banque aurait participé à l’infraction litigieuse du 10 janvier 2013 au 24 mars 2015.
979 Or, ainsi qu’elle l’aurait démontré dans le cadre de ses premier et deuxième moyens, sa participation à l’infraction litigieuse après la fin de l’année 2013 ou, au plus tard, après le début de l’année 2014 ne serait pas établie.
980 En effet, la Commission aurait ignoré ou négligé plusieurs éléments déterminants relatifs à la durée de l’infraction. Premièrement, la diminution du nombre de preuves disponibles à partir de la fin du mois d’octobre 2013 démontrerait la cessation de l’infraction litigieuse bien avant la date retenue par la Commission, ce qui serait confirmé par l’absence de discussions entre le trader de Crédit agricole et le trader de BofA, après le passage de celui-ci de Deutsche Bank à BofA au cours du
premier semestre de l’année 2014. Deuxièmement, les comportements reprochés – ou, à tout le moins, les échanges d’informations – n’auraient pas eu d’objet anticoncurrentiel et auraient été trop espacés au cours de l’année 2013 et au début de l’année 2014.
981 À cet égard, il convient d’emblée de relever que le coefficient multiplicateur de durée utilisé pour déterminer le montant d’une amende infligée au titre de l’article 101 TFUE est sans rapport avec la gravité et, donc, le caractère anticoncurrentiel par objet ou par effet de l’infraction qui justifie l’infliction de cette amende.
982 Dès lors, l’argument de Crédit agricole tiré de l’absence d’objet anticoncurrentiel des comportements en cause – d’ailleurs rejeté ci‑dessus – doit être écarté.
983 Pour le surplus, force est de constater que les arguments de Crédit agricole, tirés de l’absence de caractère continu de l’infraction litigieuse ainsi que d’une erreur de la Commission quant à la date de fin de la participation de cette banque à ladite infraction, ont déjà été rejetés dans le cadre de la réponse à son deuxième moyen.
984 Pour autant, il a été constaté au point 145 ci‑dessus que la Commission ne pouvait pas valablement s’appuyer sur la discussion du 10 janvier 2013 et que, de ce fait, le début de la participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse devait être reporté au 11 janvier 2013.
985 Or, compte tenu du fait que le calcul du coefficient multiplicateur de durée par la Commission a donné lieu à un arrondi à la deuxième décimale inférieure (notamment pour Credit Suisse et Deutsche Bank) et que la réduction d’une journée de la durée de la participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse – de 804 à 803 jours – implique une réduction de celui‑ci de 2,20 à 2,19, il convient de constater une erreur dans le calcul du coefficient multiplicateur de durée appliqué à cette
banque.
986 Dès lors, il y a lieu d’accueillir la cinquième branche du quatrième moyen de Crédit agricole.
ii) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de durée de 4,75 années retenu à l’égard de Credit Suisse
987 Par la quatrième branche de son troisième moyen, Credit Suisse reproche à la Commission d’avoir retenu un coefficient multiplicateur de durée de 4,75 années, au motif que cette banque aurait participé à l’infraction litigieuse du 21 juin 2010 au 24 mars 2015. Or, ainsi qu’elle l’aurait démontré dans le cadre de la quatrième branche de son deuxième moyen, sa participation à l’infraction après le mois d’août 2014 ne serait pas établie.
988 La quatrième branche du deuxième moyen de Credit Suisse ayant été rejetée, il doit en être de même de la quatrième branche de son troisième moyen.
b) Sur les critiques relatives à l’ajustement du montant de base de l’amende infligée à Crédit agricole
989 S’agissant de l’ajustement du montant de base de l’amende de Crédit agricole, effectué par la Commission au titre de la section 2 des lignes directrices, cette banque reproche à la Commission, dans le cadre, respectivement, d’une partie de la quatrième branche de son quatrième moyen et de la deuxième branche de son quatrième moyen, d’avoir, d’une part, commis des erreurs d’appréciation dans l’examen des circonstances atténuantes et, d’autre part, violé le principe d’égalité de traitement en
déterminant le coefficient de dissuasion spécifique qui lui a été appliqué (point 30 des lignes directrices).
990 Force est toutefois de constater que, dans la quatrième branche de son quatrième moyen, Crédit agricole ne développe aucun argument au soutien de l’allégation d’erreurs d’appréciation dans l’examen des circonstances atténuantes et se limite à critiquer l’appréciation faite par la Commission du coefficient multiplicateur de gravité de l’infraction litigieuse retenu au considérant 941 de cette décision.
991 Dès lors, conformément à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, cet argument tiré d’erreurs d’appréciation dans l’examen des circonstances atténuantes, développé dans la quatrième branche de son quatrième moyen, doit être rejeté comme étant irrecevable.
992 En conséquence, dans le cadre de la contestation des ajustements du montant de base de l’amende, seules seront examinées les critiques de Crédit agricole relatives à l’ajustement effectué au titre du coefficient de dissuasion spécifique (point 30 des lignes directrices) et tirées de la violation du principe d’égalité de traitement.
993 Au soutien de son allégation, Crédit agricole fait valoir que, au considérant 964 de la décision attaquée, la Commission ne pouvait, sans violer le principe d’égalité de traitement, lui appliquer ainsi qu’à BofA un coefficient de dissuasion spécifique – respectivement de 1,2 et 1,3 – au titre du point 30 des lignes directrices en raison de l’importance de leur chiffre d’affaires respectivement de 55 et 73 milliards d’euros environ en 2020, tout en y renonçant concernant Credit Suisse qui, pour
cette même année, réalisait pourtant un chiffre d’affaires important d’environ 21 milliards d’euros.
994 À cet égard, la Cour a déjà jugé que, comme il résulte du point 30 des lignes directrices dont l’illégalité n’est d’ailleurs pas alléguée par Crédit agricole, le fait que le chiffre d’affaires d’une entreprise est particulièrement élevé par rapport à celui d’autres entreprises ayant participé à l’entente justifie, pour assurer l’effet dissuasif de l’amende, une majoration de celle-ci en fonction de la puissance économique de l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêt du 17 juin 2010,
Lafarge/Commission, C‑413/08 P, EU:C:2010:346, point 102, et ordonnance du 2 février 2012, Elf Aquitaine/Commission, C‑404/11 P, non publiée, EU:C:2012:56, point 86 et jurisprudence citée).
995 De plus, si, dans une décision donnée, la Commission ne peut s’affranchir du respect du principe d’égalité de traitement dans la détermination des coefficients multiplicateurs de dissuasion spécifiques (voir, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2012, Versalis et Eni/Commission, T‑103/08, non publié, EU:T:2012:686, point 324), les entreprises concernées ne peuvent néanmoins critiquer la détermination de ces coefficients en raison de l’absence d’une proportionnalité exacte entre ceux-ci et le chiffre
d’affaires des différentes entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Dow Chemical e.a./Commission, C‑499/11 P, EU:C:2013:482, points 88 et 91, et du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission, C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, points 302 et 303).
996 En l’occurrence, il ressort expressément du considérant 964 de la décision attaquée que les coefficients multiplicateurs de dissuasion spécifiques retenus par la Commission à l’égard de BofA et de Crédit agricole ont été déterminés en fonction de l’importance relative des chiffres d’affaires de ces entreprises.
997 De plus, Crédit agricole ne conteste pas que, en 2020, le chiffre d’affaires de Credit Suisse, certes non évoqué audit considérant 964, mais que Crédit agricole a communiqué dans sa requête, était très nettement inférieur au sien comme à celui de BofA.
998 En effet, le chiffre d’affaires de Credit Suisse était 3,38 fois inférieur à celui de BofA et 2,62 fois inférieur à celui de Crédit agricole, ce qui implique que, parmi les banques ayant pris part à l’infraction litigieuse, Credit Suisse disposait d’une puissance économique nettement moindre.
999 Il en découle que, afin d’assurer l’effet dissuasif de l’amende à l’égard de BofA et de Crédit agricole, la Commission pouvait à bon droit leur appliquer un coefficient de dissuasion spécifique et, sans violer le principe d’égalité de traitement, ne pas appliquer un tel coefficient à Credit Suisse.
1000 Dès lors, il convient de rejeter la deuxième branche du quatrième moyen de Crédit agricole comme étant non fondée.
1001 Eu égard à ce qui précède, le quatrième moyen de Crédit agricole et le troisième moyen de Credit Suisse sont rejetés comme étant, pour partie, irrecevables et, pour partie, non fondés.
5. Conclusion sur les moyens visant l’annulation de la décision attaquée
1002 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le premier moyen d’annulation invoqué par Crédit agricole dans l’affaire T‑386/21 ainsi que l’ensemble des moyens d’annulation invoqués par Credit Suisse dans l’affaire T‑406/21 sont rejetés.
1003 Dès lors, dans l’affaire T‑406/21, les premier et second chefs de conclusions formulés par Credit Suisse et visant, en substance, l’annulation totale ou partielle de l’article 1er, sous d), de la décision attaquée, ainsi que l’annulation totale ou, à titre subsidiaire, partielle de l’amende qui lui a été infligée à l’article 2, sous d), de cette décision doivent être rejetés.
1004 Dans la mesure où Credit Suisse ne demande pas au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003 (voir points 46 et 67 à 69 ci‑dessus), le recours introduit par cette banque dans l’affaire T‑406/21 doit être rejeté dans son intégralité.
1005 En revanche, il résulte de l’examen des deuxième et troisième moyens invoqués par Crédit agricole que sa participation à l’infraction unique et continue constatée dans la décision attaquée est établie uniquement à partir du 11 janvier 2013 et que la Commission a donc commis une erreur lorsqu’elle a considéré, à l’article 1er, sous c), de ladite décision, que cette entreprise a participé à une infraction unique et continue à compter du 10 janvier 2013.
1006 Par voie de conséquence et ainsi que cela ressort de l’examen du quatrième moyen, la Commission a méconnu l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003 lorsqu’elle a considéré, aux fins du calcul du montant de l’amende infligée à l’article 2, sous c), de la décision attaquée, que l’infraction commise par Crédit agricole avait duré 2,20 années.
1007 Il s’ensuit que les premier et deuxième chefs de conclusions formulés par Crédit agricole doivent être accueillis partiellement et que, d’une part, l’article 1er, sous c), de la décision attaquée doit être annulé en tant que, dans cette disposition, la Commission constate que Crédit agricole a participé à une infraction unique et continue à compter du 10 janvier 2013 et, d’autre part, l’article 2, sous c), de cette même décision doit être annulé en tant qu’il fixe le montant de l’amende auquel
est tenue Crédit agricole à 3993000 euros.
1008 Dans la mesure où les illégalités constatées dans l’affaire T‑386/21 ont une incidence sur la détermination du montant de l’amende et dans la mesure où Crédit agricole demande, dans le cadre de son deuxième chef de conclusions, la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée, les conséquences qu’il convient de tirer desdites illégalités doivent être examinées par le Tribunal au titre de sa compétence de pleine juridiction.
F. Sur les conclusions de Crédit agricole en pleine juridiction
1009 Dans le cadre de son deuxième chef de conclusions présenté à titre subsidiaire, Crédit agricole demande au Tribunal d’exercer sa compétence de pleine juridiction pour réduire le montant de l’amende qui lui a été infligée.
1010 Lorsqu’il exerce sa compétence de pleine juridiction prévue à l’article 261 TFUE et à l’article 31 du règlement no 1/2003, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer sa propre appréciation pour la détermination du montant de cette sanction à celle de la Commission, auteure de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé (voir arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 75 et
jurisprudence citée) et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer le montant de l’amende infligée.
1011 Afin de déterminer le montant de l’amende infligée à une entreprise au titre de sa compétence de pleine juridiction, il appartient au juge de l’Union d’apprécier lui-même les circonstances de l’espèce et le type d’infraction en cause. Cet exercice suppose, en application de l’article 23, paragraphe 3, du règlement no 1/2003, de prendre en considération, pour chaque entreprise sanctionnée, la gravité de l’infraction concernée ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect des principes,
notamment, de motivation, de proportionnalité, d’individualisation des sanctions et d’égalité de traitement, sans que le juge de l’Union soit lié par les règles indicatives définies par la Commission dans ses lignes directrices même si celles-ci peuvent le guider (voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission, C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 89 et 90).
1012 À cet effet, il convient de relever que le Tribunal a constaté, aux points 145, 551, 984 et 1005 ci‑dessus, que la Commission avait erronément retenu le 10 janvier 2013 comme date de début de participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse, ce qui impliquait que cette date devait être reportée au 11 janvier 2013. Néanmoins, sous réserve des implications de ce constat sur la durée de la participation de cette banque à l’infraction litigieuse ainsi que sur le coefficient multiplicateur
de durée appliqué à celle-ci, il a rejeté comme étant non fondées les critiques soulevées par ladite banque et dirigées contre les autres éléments relatifs à la détermination du montant de l’amende qui lui a été infligée, notamment celles relatives à la gravité de l’infraction litigieuse.
1013 Dans ce contexte, le Tribunal estime que, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, il peut faire siennes les appréciations légalement fondées effectuées par la Commission aux considérants 868 à 949 et 952 à 971 de la décision attaquée.
1014 Il lui appartient toutefois de déterminer si, compte tenu de la méthodologie de calcul de la valeur de remplacement, la réduction de la durée de participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse de 574 jours ouvrés à 573 jours ouvrés nécessite de modifier le montant de l’amende infligée à cette banque.
1015 En effet, cette réduction implique non seulement une réduction des montants notionnels annualisés retenus par la Commission, mais également d’apprécier les conséquences de la suppression des données relatives au 10 janvier 2013 sur le calcul de l’écart de cotation final de cette banque, dont dépend directement le facteur d’ajustement retenu à son égard.
1016 Il appartient également au Tribunal d’examiner si le coefficient multiplicateur de durée appliqué à Crédit agricole, tel qu’envisagé au point 985 ci‑dessus, nécessite de modifier le montant de l’amende infligée à cette banque.
1017 Toutefois, compte tenu notamment de la règle d’arrondi à la troisième décimale inférieure retenue par la Commission pour le calcul du facteur d’ajustement (voir point 759 ci‑dessus), mais également de la durée – même légèrement réduite – de la participation de Crédit agricole à l’infraction litigieuse et de la gravité de cette dernière, le Tribunal estime qu’il n’y a pas lieu de réformer le montant de l’amende imposée à cette banque pour l’infraction unique et continue visée à l’article 1er de
cette décision pour la période du 11 janvier 2013 au 24 mars 2015.
1018 Dès lors, le montant de l’amende infligée à Crédit agricole doit être fixé à 3993000 euros.
IV. Sur les dépens
1019 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
1020 Crédit agricole ayant succombé en ses conclusions dans leur quasi-totalité, il y a lieu de la condamner aux dépens dans l’affaire T‑386/21, conformément aux conclusions de la Commission.
1021 Credit Suisse ayant succombé en ses conclusions dans leur totalité, il y a lieu de la condamner aux dépens dans l’affaire T‑406/21, conformément aux conclusions de la Commission.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (cinquième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Les affaires T‑386/21 et T‑406/21 sont jointes aux fins de l’arrêt.
2) Dans l’affaire T‑386/21 :
– l’article 1er, sous c), de la décision C(2021) 2871 final de la Commission, du 28 avril 2021, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.40346 – Obligations SSA), est annulé en ce qu’il constate que Crédit agricole SA et Crédit agricole Corporate and Investment Bank ont participé à l’infraction du 10 janvier 2013 au 24 mars 2015, et non du 11 janvier 2013 au 24 mars 2015 ;
– l’article 2, sous c), de la décision C(2021) 2871 final est annulé en tant qu’il fixe le montant de l’amende auquel sont tenues solidairement Crédit agricole Corporate and Investment Bank et Crédit agricole à 3993000 euros ;
– le montant de l’amende imposée à Crédit agricole Corporate and Investment Bank et à Crédit agricole à l’article 2, sous c), de la décision C(2021) 2871 final est fixé à 3993000 euros ;
– le recours est rejeté pour le surplus.
– Crédit agricole et Crédit agricole Corporate and Investment Bank sont condamnées aux dépens.
3) Dans l’affaire T‑406/21:
– le recours est rejeté ;
– UBS Group AG et Credit Suisse Securities (Europe) Ltd sont condamnées aux dépens.
Svenningsen
Tomljenović
Mac Eochaidh
Martín y Pérez de Nanclares
Stancu
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 novembre 2024.
Signatures
Table des matières
I. Antécédents du litige
A. Sur le secteur des OSSA
1. Prix d’une OSSA sur le marché secondaire
a) Formation du prix sur le marché secondaire
b) Prix bidirectionnels proposés par les teneurs de marché
2. Positions de négociation et risque de négociation
3. Échanges entre les banques par l’intermédiaire des courtiers
B. Sur la procédure ayant donné lieu à la décision attaquée
C. Sur la décision attaquée
1. Sur la constatation de l’infraction litigieuse
2. Sur l’imposition d’amendes
3. Sur le dispositif
II. Conclusions des parties
III. En droit
A. Sur les demandes d’omission de certaines données envers le public
B. Sur l’objet des recours de Crédit agricole et Credit Suisse
1. Sur le recours de Crédit agricole
2. Sur le recours de Credit Suisse
C. Sur l’objet de l’infraction constatée dans la décision attaquée
D. Sur la recevabilité des critiques dirigées contre l’interprétation des discussions analysées dans la décision attaquée
1. Sur les fins de non-recevoir afférentes aux critiques de Crédit agricole
2. Sur les fins de non-recevoir afférentes aux critiques de Credit Suisse
E. Sur les conclusions en annulation de Crédit agricole et Credit Suisse
1. Sur le troisième moyen de Crédit agricole, tiré de la violation du principe de la présomption d’innocence
2. Sur le deuxième moyen de Crédit agricole et le deuxième moyen de Credit Suisse, tirés d’erreurs dans la qualification des comportements en cause d’infraction unique et continue
a) Observations liminaires
b) Sur l’existence d’accords et/ou de pratiques concertées présentant un caractère anticoncurrentiel
1) Sur les discussions dont le caractère anticoncurrentiel est établi
2) Sur le caractère anticoncurrentiel des discussions que Crédit agricole et Credit Suisse sont recevables à contester
i) Sur les discussions que Crédit agricole est recevable à contester
– Sur la discussion du 18 janvier 2013
– Sur la discussion du 31 janvier 2013
– Sur la discussion du 15 février 2013
– Sur la discussion du 19 mars 2013
– Sur la discussion du 21 mars 2013
– Sur la discussion du 24 mai 2013
– Sur la discussion du 3 juin 2013
– Sur la discussion du 10 juillet 2013
– Sur la discussion du 25 juillet 2013
– Sur la discussion du 6 août 2014
– Sur la discussion du 12 mars 2015
ii) Sur les discussions que Credit Suisse est recevable à contester
– Sur la discussion du 28 septembre 2010
– Sur la discussion du 8 février 2012
– Sur la discussion du 10 janvier 2013
– Sur la discussion du 12 mars 2015
– Sur le courriel du 24 mars 2015
3) Conclusion sur les discussions analysées dans la décision attaquée
c) Sur l’existence d’une infraction unique et continue
1) Sur le caractère unique de l’infraction constatée
i) Sur l’existence d’un plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique avant et durant le mois de février 2013
ii) Sur la continuation du plan d’ensemble poursuivant un objectif anticoncurrentiel unique après le mois de février 2013
2) Sur le caractère continu de l’infraction constatée
i) Sur la troisième branche du deuxième moyen de Credit Suisse, tirée d’une absence de preuve du caractère continu de l’infraction litigieuse après le mois de février 2013
ii) Sur la seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole, en ce qu’elle vise à démontrer l’absence de caractère continu de l’infraction constatée
d) Sur la participation de Crédit agricole et de Credit Suisse à l’infraction unique et continue constatée
1) Sur la première branche du deuxième moyen invoqué par Crédit agricole, tirée formellement d’une absence de contribution de sa part à un plan d’ensemble
i) Sur la contribution intentionnelle de Crédit agricole à un plan d’ensemble
ii) Sur la connaissance, par Crédit agricole, de l’ensemble des autres comportements mis en œuvre ou envisagés par les autres banques concernées
2) Sur la deuxième branche du deuxième moyen de Credit Suisse, tirée d’erreurs quant à sa connaissance des discussions bilatérales entre les traders d’autres banques ou quant au fait qu’elle pouvait raisonnablement les prévoir
e) Sur la durée de la participation de Crédit agricole et de Credit Suisse à l’infraction unique et continue litigieuse
1) Sur la seconde branche du deuxième moyen de Crédit agricole, en ce qu’elle vise à démontrer l’absence de caractère continu de sa participation à l’infraction constatée
2) Sur la quatrième branche du deuxième moyen de Credit Suisse, tirée de ce que la Commission n’a pas prouvé sa participation à un comportement illégal quelconque après le mois d’août 2014
f) Conclusion sur le deuxième moyen de Crédit agricole et le deuxième moyen de Credit Suisse
3. Sur le premier moyen de Crédit agricole et le premier moyen de Credit Suisse, tirés d’erreurs dans la qualification des comportements en cause de restriction par objet
a) Observations liminaires relatives à l’objet et au fondement des critiques formulées par les requérantes
1) Sur les critiques de Crédit agricole
2) Sur les critiques de Credit Suisse
b) Sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
1) Observations liminaires
2) Sur le degré de nocivité à l’égard de la concurrence requis pour qualifier un comportement de « restriction par objet »
3) Sur l’appréciation des comportements en cause par la Commission
i) Sur les critiques relatives à l’appréciation du contexte économique des comportements en cause par la Commission
– Sur la critique de Crédit agricole, tirée de l’absence d’appréciation du contexte économique de l’infraction litigieuse
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées de l’appréciation erronée du contexte économique de l’infraction litigieuse
ii) Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du caractère insuffisamment nocif à l’égard de la concurrence des comportements en cause
iii) Sur les critiques tirées du caractère, en substance, « justifié » des comportements en cause
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées des effets proconcurrentiels des comportements en cause
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du caractère « nécessaire », « légitime », « positif » ou « inhérent et essentiel » des comportements en cause
4) Conclusion sur la qualification des comportements en cause de « restriction par objet »
4. Sur le quatrième moyen de Crédit agricole et le troisième moyen de Credit Suisse, tirés d’une insuffisance de motivation et d’erreurs dans la détermination du montant de leur amende respective
a) Sur les critiques relatives au montant de base des amendes infligées à Crédit agricole et Credit Suisse
1) Sur les critiques relatives au montant de la valeur de remplacement
i) Sur la critique de Credit Suisse, tirée du défaut de motivation du calcul de l’amende
ii) Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées de violations des lignes directrices
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du refus de la Commission de recourir à une méthodologie de calcul de l’écart de cotation fondée sur les données de leurs propres transactions
– Sur la critique de Crédit agricole, tirée de l’utilisation de pondérations fixes des OSSA retenues pour l’ensemble de la période infractionnelle et pour l’ensemble des banques concernées aux fins du calcul de l’écart de cotation final de chacune de ces banques
– Sur les critiques de Crédit agricole et de Credit Suisse, tirées du recours aux données BGN
– Sur la critique de Credit Suisse, tirée de la surestimation de sa valeur de remplacement en raison de la prise en compte à son égard de montants notionnels d’autres banques
2) Sur la critique de Crédit agricole relative au choix de la Commission de ne pas retenir l’année 2014 comme période de référence pour le calcul de la valeur de remplacement
3) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de gravité (points 20 à 23 des lignes directrices)
4) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de durée (point 24 des lignes directrices)
i) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de durée de 2,20 années retenu à l’égard de Crédit agricole
ii) Sur les critiques relatives au coefficient multiplicateur de durée de 4,75 années retenu à l’égard de Credit Suisse
b) Sur les critiques relatives à l’ajustement du montant de base de l’amende infligée à Crédit agricole
5. Conclusion sur les moyens visant l’annulation de la décision attaquée
F. Sur les conclusions de Crédit agricole en pleine juridiction
IV. Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais