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23/10/2024 | CJUE | N°T-519/23

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, Keserű Művek Fegyvergyár Kft. contre Commission européenne., 23/10/2024, T-519/23


 ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

23 octobre 2024 ( *1 )

« Responsabilité non contractuelle – Contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes – Directive d’exécution (UE) 2019/69 – Lien de causalité – Notion d’“arme à feu” – Notion d’“armes d’alarme et de signalisation”»

Dans l’affaire T‑519/23,

Keserű Művek Fegyvergyár Kft., établie à Budapest (Hongrie), représentée par Me A. Grád, avocat,

partie requérante,

contre

Union européenne, représentée par

la Commission européenne, représentée par Mme K. Talabér-Ritz et M. R. Tricot, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre)

23 octobre 2024 ( *1 )

« Responsabilité non contractuelle – Contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes – Directive d’exécution (UE) 2019/69 – Lien de causalité – Notion d’“arme à feu” – Notion d’“armes d’alarme et de signalisation”»

Dans l’affaire T‑519/23,

Keserű Művek Fegyvergyár Kft., établie à Budapest (Hongrie), représentée par Me A. Grád, avocat,

partie requérante,

contre

Union européenne, représentée par la Commission européenne, représentée par Mme K. Talabér-Ritz et M. R. Tricot, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par

République française, représentée par MM. B. Fodda, R. Bénard et Mme O. Duprat-Mazaré, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (huitième chambre),

composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, G. De Baere et D. Petrlík, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 268 TFUE et l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, la requérante, Keserű Művek Fegyvergyár Kft., demande réparation du préjudice qu’elle aurait subi en conséquence de l’adoption de la directive d’exécution (UE) 2019/69 de la Commission, du 16 janvier 2019, établissant des spécifications techniques relatives au marquage des armes d’alarme et de signalisation au titre de la directive 91/477/CEE du Conseil relative au contrôle de l’acquisition et de la détention
d’armes (JO 2019, L 15, p. 22).

Antécédents du litige

2 La requérante est une société établie en Hongrie qui a pour activité la fabrication et le commerce d’armes. Elle déclare disposer, pour la période allant du 7 août 2009 au 4 avril 2029, des droits exclusifs de fabrication et de commercialisation d’un modèle d’arme permettant de tirer des balles en caoutchouc (ci-après l’« arme Keserű »).

3 Le 16 janvier 2019, la Commission européenne a adopté la directive d’exécution 2019/69, dont le délai de transposition par les États membres expirait, conformément à son article 4, paragraphe 1, le 17 janvier 2020.

4 La Hongrie a transposé la directive d’exécution 2019/69 par, notamment, la loi 2020. évi XLIX. törvény egyes törvényeknek a fegyverek megszerzésének és tartásának ellenőrzésére vonatkozó európai uniós jogi szabályozás módosításával összefüggő jogharmonizációs célú módosításáról, Magyar Közlöny 2020. évi 137. száma (loi no XLIX de 2020 modifiant certains actes aux fins de l’harmonisation juridique dans le cadre de la modification de la législation de l’Union européenne relative au contrôle de
l’acquisition et de la détention d’armes), modifiant la loi 2004. évi XXIV. törvény a lőfegyverekről és lőszerekről, Magyar Közlöny 2004. évi 56. száma (loi no XXIV de 2004 sur les armes à feu et les munitions), avec effet au 1er janvier 2021, et par le 326/2020. (VII. 1.) Korm. Rendelet a fegyverekről és lőszerekről szóló 253/2004. (VIII. 31.) Korm. rendelet jogharmonizációs célú módosításáról, Magyar Közlöny 2020. évi 158. száma [décret gouvernemental 326/2020 (VII. 1.) aux fins de la
modification, pour des raisons d’harmonisation du droit, du décret gouvernemental 253/2004. (VIII. 31.), relatif aux armes et munitions], entré en vigueur le 1er janvier 2023.

5 Par lettre du 25 octobre 2022, l’Országos Rendőr-főkapitányság (état-major de la police nationale, Hongrie) a informé la requérante de la nouvelle réglementation applicable aux « armes à gaz et d’alarme ». La requérante en a déduit qu’elle ne pourrait plus, à partir du 1er janvier 2023, vendre l’arme Keserű à des personnes qui ne disposaient pas d’un permis de détention d’armes.

6 Considérant que la directive d’exécution 2019/69 lui a causé un préjudice, en ce qu’elle a eu pour conséquence de restreindre la vente de l’arme Keserű aux seules personnes disposant d’un permis de détention d’armes, la requérante a introduit le présent recours.

Conclusion des parties

7 La requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

– condamner l’Union européenne à l’indemniser pour le préjudice causé par l’adoption de la directive d’exécution 2019/69, estimé à 1590088 euros pour la période comprise entre le 1er janvier 2023 et le 4 avril 2029 ;

– condamner la Commission aux dépens.

8 La Commission, soutenue par la République française, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

9 À l’appui de son recours, la requérante demande, à titre principal, à être indemnisée pour le préjudice causé par l’adoption d’un acte illégal, à savoir la directive d’exécution 2019/69, et, à titre subsidiaire, à être indemnisée pour le préjudice causé par l’adoption de ladite directive, quand bien même cette dernière serait légale.

Sur la responsabilité de l’Union du fait de l’adoption d’un acte illégal

10 Pour engager la responsabilité de l’Union, la requérante invoque une faute tirée de l’illégalité de la directive d’exécution 2019/69 en ce qu’elle méconnaît les articles 340 et 10 TFUE ainsi que l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

11 La requérante fait valoir, en substance, que l’arme Keserű ne pourrait tirer, en raison de ses caractéristiques techniques, que des balles en caoutchouc, et non des « munitions réelles », et qu’elle ne pourrait être transformée, en raison de son moulage, en arme à feu. Ainsi, cette arme répondrait pleinement, du fait de son mode de fabrication, à la finalité de la directive d’exécution 2019/69, laquelle vise à protéger la vie des personnes et à prévenir le risque d’homicide. Or, en ignorant cette
spécificité de l’arme Keserű, la directive d’exécution 2019/69 l’aurait soumise au même régime juridique que les armes d’alarme et de signalisation permettant de tirer des projectiles solides et appartenant, de ce fait, à une catégorie d’armes différente, violant ainsi l’interdiction de discrimination. Selon la requérante, ladite directive aurait dû prévoir une exception pour le type d’armes présentant des caractéristiques semblables à celles de l’arme Keserű. Ainsi, en traitant des situations
différentes de manière identique, la Commission aurait enfreint l’article 10 TFUE et l’article 21 de la Charte ainsi que l’interdiction de discrimination fondée, notamment, sur une « caractéristique spécifique ».

12 La requérante fait valoir, en outre, que l’arme Keserű ne saurait être considérée comme une « arme à feu » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la directive (UE) 2021/555 du Parlement européen et du Conseil, du 24 mars 2021, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes (JO 2021, L 115, p. 1), puisque cette disposition prévoit que ne relèvent pas de la notion d’« arme à feu » les armes exclues de cette définition pour l’une des raisons énumérées au point III de
l’annexe I de ladite directive. Or, selon la requérante, l’arme Keserű remplit les conditions prévues au point III, sous a), de l’annexe I de la directive 2021/555 et ne saurait, dès lors, être qualifiée d’« arme à feu ».

13 La Commission et la République française contestent cette argumentation.

14 En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.

15 Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées (voir arrêt du 10 septembre
2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 32 et jurisprudence citée).

16 Dès lors que l’une des conditions mentionnées au point 15 ci-dessus n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de la responsabilité non contractuelle de l’Union. En outre, le juge de l’Union n’est pas tenu d’examiner ces conditions dans un ordre déterminé (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 1999, Lucaccioni/Commission, C‑257/98 P, EU:C:1999:402, points 13 et 63, et du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian
Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 148).

17 En l’espèce, il convient d’examiner d’abord la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre l’acte prétendument illégal et le préjudice subi.

18 À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que cette condition porte sur l’existence d’un lien suffisamment direct de cause à effet entre le comportement des institutions de l’Union et le dommage, lien dont il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve, de telle sorte que le comportement reproché doit être la cause déterminante du préjudice (voir arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P,
EU:C:2019:672, point 32 et jurisprudence citée).

19 Plus précisément, le préjudice doit découler de manière suffisamment directe du comportement illégal, ce qui exclut, en particulier, les dommages qui ne seraient qu’une conséquence éloignée de ce comportement (arrêt du 5 septembre 2019, Union européenne/Guardian Europe et Guardian Europe/Union européenne, C‑447/17 P et C‑479/17 P, EU:C:2019:672, point 135, et ordonnance du 12 décembre 2007, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑113/04, non publiée, EU:T:2007:377, point 40).

20 En l’espèce, la requérante fait valoir que la directive d’exécution 2019/69 est illégale, en ce qu’elle méconnaît l’interdiction de discrimination consacrée à l’article 10 TFUE et à l’article 21 de la Charte, et qu’elle lui a causé un préjudice en ce qu’elle a eu pour conséquence que, depuis le 1er janvier 2023, la vente de l’arme Keserű n’est autorisée qu’à des personnes disposant d’un permis de détention d’armes.

21 À cet égard, il convient de relever que la directive d’exécution 2019/69 a pour objet d’établir des spécifications techniques relatives au marquage des armes d’alarme et de signalisation au titre de la directive 91/477/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes (JO 1991, L 256, p. 51), celle-ci ayant été abrogée par la directive 2021/555. Aux termes de l’article 26 de la directive 2021/555, les références faites à la directive 91/477
s’entendent comme faites à la directive 2021/555. Ainsi, étant donné que le préjudice prétendument subi par la requérante concerne la période comprise entre le 1er janvier 2023 et le 4 avril 2029, la directive 2021/555 est applicable rationae temporis à l’espèce.

22 Il y a donc lieu de vérifier si une arme dotée des caractéristiques de l’arme Keserű peut être qualifiée d’« arme d’alarme et de signalisation » au sens de la directive 2021/555 et si, dès lors, la directive d’exécution 2019/69, laquelle est, selon la requérante, à l’origine de son préjudice, aurait dû prévoir une exception pour le type d’armes présentant des caractéristiques semblables à celles de l’arme Keserű.

23 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la directive 2021/555, la notion d’« arme à feu » désigne « toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive, ou qui est conçue pour ce faire ou peut être transformée à cette fin, excepté les armes exclues de la présente définition pour l’une des raisons énumérées [au point III de] l’annexe I ». Selon cette disposition, les armes à feu sont classées au
point II de l’annexe I. Par ailleurs, « [u]n objet est considéré comme pouvant être transformé pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive si : a) il revêt l’aspect d’une arme à feu ; et b) du fait de ses caractéristiques de construction ou du matériau dans lequel il est fabriqué, il peut être ainsi transformé[.] »

24 Selon le point III, sous a), de l’annexe I de la directive 2021/555, ne sont pas inclus dans la définition d’une « arme à feu » les objets qui correspondent à cette définition, mais qui sont conçus aux fins d’alarme, de signalisation, de sauvetage, d’abattage, de pêche au harpon ou destinés à des fins industrielles ou techniques, à condition qu’ils ne puissent être utilisés que pour cet usage précis.

25 La notion d’« armes d’alarme et de signalisation » est définie, quant à elle, à l’article 1er, paragraphe 1, point 4, de la directive 2021/555, comme renvoyant aux « dispositifs équipés d’un système d’alimentation qui sont conçus uniquement pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou de cartouches de signalisation pyrotechnique et qui ne peuvent pas être transformés pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion
d’une charge propulsive ».

26 En l’espèce, il ressort du dossier, ainsi que des écritures de la requérante, que l’arme Keserű est une arme permettant de tirer des balles en caoutchouc à partir d’un barillet, pourvue d’une carcasse, d’un canon intégré à la carcasse, d’un barillet doté de chambres fixé à la carcasse, d’une détente fixée sur la carcasse et d’un chien actionné par la détente, dont le barillet est conçu pour être chargé de balles en caoutchouc par l’avant et de cartouches d’alarme ou à gaz par l’arrière et dont
l’une des chambres du barillet se trouve dans l’axe du canon de l’arme au moment de la mise à feu. Comme le fait valoir la Commission, sans être contredite par la requérante, cette arme utilise une charge propulsive combustible pour propulser des balles en caoutchouc.

27 Il s’ensuit que l’arme Keserű est une arme à canon portative qui propulse des « balles », en l’occurrence en caoutchouc, par l’action de la combustion d’une charge propulsive et que, dès lors, elle doit être qualifiée d’« arme à feu » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la directive 2021/555.

28 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments de la requérante.

29 Premièrement, l’argument de la requérante selon lequel l’arme Keserű ne peut propulser que des balles en caoutchouc, et non des balles « réelles », ne peut qu’être rejeté. En effet, la notion d’« arme à feu » comprend toute arme qui propulse « des plombs, une balle ou un projectile » par l’action de la combustion d’une charge propulsive. En l’espèce, il ne saurait être soutenu que la notion de « balle » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la directive 2021/555 ne couvre pas les
balles en caoutchouc, telles que celles propulsées par l’arme Keserű.

30 Deuxièmement, le fait que l’arme Keserű ne puisse être transformée pour tirer des balles « réelles », en raison de son moulage, n’est pas pertinent, puisque la circonstance selon laquelle ladite arme est conçue pour tirer des balles en caoutchouc par l’action de la combustion d’une charge propulsive suffit pour la qualifier d’« arme à feu », comme cela a été souligné au point 29 ci-dessus.

31 Troisièmement, quant à l’argument que la requérante tire de la dureté des balles en caoutchouc utilisées dans l’arme Keserű et de la pression maximale de pointe au moment de la propulsion de celles-ci, force est de constater que ces caractéristiques, à les supposer établies, ne permettent pas de conclure que ladite arme n’est pas une « arme à feu » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de la directive 2021/555, dès lors qu’elle remplit toutes les conditions prévues par cette
disposition, ainsi qu’il ressort du point 29 ci-dessus, étant précisé qu’aucune disposition de la directive 2021/555 ne suggère qu’une balle en caoutchouc ne devrait pas être considérée comme une « balle » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, point 1, de cette même directive en fonction de sa dureté ou de la pression de pointe au moment de sa propulsion.

32 Quatrièmement, l’arme Keserű ne relève pas non plus, contrairement à ce que prétend la requérante, de la catégorie d’armes visée au point III, sous a), de l’annexe I de la directive 2021/555, lesquelles armes ne sont pas incluses dans la définition d’une « arme à feu ».

33 En effet, l’arme Keserű n’est pas conçue aux fins d’alarme ou de signalisation et ne remplit donc pas la condition selon laquelle elle ne peut être utilisée que pour cet usage précis, comme l’exige le point III, sous a), de l’annexe I de la directive 2021/555.

34 À cet égard, selon l’article 1er, paragraphe 1, point 4, de la directive 2021/555, les « armes d’alarme et de signalisation » sont des dispositifs qui, d’une part, sont conçus « uniquement » pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou de cartouches de signalisation pyrotechnique et qui, d’autre part, ne peuvent pas être transformés pour propulser des plombs, une balle ou un projectile par l’action de la combustion d’une charge propulsive.

35 Or, il est constant que l’arme Keserű n’est pas conçue « uniquement » pour le tir de munitions à blanc, de produits irritants, d’autres substances actives ou de cartouches de signalisation pyrotechnique, puisqu’elle est conçue, de l’aveu même de la requérante, pour le tir de balles en caoutchouc, de sorte qu’elle ne remplit pas la première condition susmentionnée pour être qualifiée d’« arme d’alarme et de signalisation ».

36 Pour le même motif, l’arme Keserű ne saurait être regardée comme étant conçue aux fins d’alarme ou de signalisation et comme remplissant ainsi la condition selon laquelle elle ne peut être utilisée que pour cet usage précis, au sens du point III, sous a), de l’annexe I de la directive 2021/555.

37 Par ailleurs, la requérante décrit elle-même son arme comme étant une « arme d’alarme à gaz conçue afin de tirer des balles en caoutchouc ». Ainsi, à supposer même que ladite arme ait été conçue aux fins d’alarme, il n’en demeure pas moins qu’elle peut également tirer des balles en caoutchouc, un tel usage ne pouvant être qualifié d’usage aux seules fins d’alarme.

38 Cinquièmement, contrairement à ce que prétend la requérante, le fait que l’arme Keserű soit conçue comme une arme non létale n’est pas un critère pertinent afin de déterminer s’il s’agit d’une « arme à feu » au sens de la directive 2021/555.

39 Sixièmement, la requérante fait valoir que, par l’arrêt no Kfv.VI.39.008/2011/4, du 24 octobre 2011, la Kúria (anciennement le Legfelsőbb Bíróság) (Cour suprême, Hongrie) a jugé que l’arme Keserű n’était pas une « arme à feu » au sens de l’article 1er de la directive 2021/555.

40 Il suffit de relever à cet égard que la compétence exclusive dans l’interprétation définitive du droit de l’Union revient à la Cour (voir, en ce sens, avis 2/13, du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 246, et avis 1/17, du 30 avril 2019, EU:C:2019:341, point 111), de sorte que le juge de l’Union ne saurait être lié par l’interprétation du droit de l’Union retenue par une juridiction nationale.

41 En outre, et en tout état de cause, force est de relever que l’arrêt de la Kúria mentionné au point 39 ci-dessus date de 2011 et ne pouvait donc pas tenir compte de l’évolution du cadre juridique de l’Union en matière de contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes intervenue postérieurement à cette date.

42 Il s’ensuit que l’arme Keserű ne saurait être qualifiée d’« arme d’alarme et de signalisation » au sens de la directive 2021/555 et que, par conséquent, elle n’entre pas dans le champ d’application de la directive d’exécution 2019/69.

43 Partant, la directive d’exécution 2019/69 n’a pas pu causer le préjudice invoqué par la requérante.

44 Il y a donc lieu de conclure que la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement reproché et le préjudice invoqué n’est pas remplie.

45 Par conséquent, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée à ce titre en raison d’une prétendue illégalité entachant la directive d’exécution 2019/69.

Sur la responsabilité de l’Union du fait de l’adoption d’un acte légal

46 La requérante demande, à titre subsidiaire, à être indemnisée pour le dommage causé par l’adoption de la directive d’exécution 2019/69, quand bien même cette dernière serait légale.

47 Sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur la possibilité d’engager la responsabilité de l’Union pour un dommage causé par un acte légal [voir, en ce sens, arrêts du 25 mars 2010, Sviluppo Italia Basilicata/Commission, C‑414/08 P, EU:C:2010:165, point 141, et du 18 septembre 2014, Holcim (Romania)/Commission, T‑317/12, EU:T:2014:782, point 235], il suffit de constater que, en toute hypothèse, une telle responsabilité ne saurait être engagée que si trois conditions, à savoir la réalité du préjudice
prétendument subi, le lien de causalité entre celui-ci et l’acte reproché aux institutions de l’Union ainsi que le caractère anormal et spécial de ce préjudice, sont cumulativement remplies (arrêt du 15 juin 2000, Dorsch Consult/Conseil et Commission, C‑237/98 P, EU:C:2000:321, point 19).

48 Or, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 17 à 43 ci‑dessus, force est de constater que la requérante n’a pas démontré l’existence d’un lien de causalité entre la directive d’exécution 2019/69 et le préjudice prétendument subi.

49 Dès lors, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée à ce titre non plus.

50 Par conséquent, il convient de rejeter le recours dans son intégralité.

Sur les dépens

51 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la défenderesse.

52 Selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Dès lors, la République française supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) Keserű Művek Fegyvergyár Kft. est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par l’Union européenne, représentée par la Commission européenne.

  3) La République française supportera ses propres dépens.

Kornezov

De Baere

  Petrlík

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 octobre 2024.

Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : T-519/23
Date de la décision : 23/10/2024
Type de recours : Recours en responsabilité

Analyses

Responsabilité non contractuelle – Contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes – Directive d’exécution (UE) 2019/69 – Lien de causalité – Notion d’“arme à feu” – Notion d’“armes d’alarme et de signalisation”.

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : Keserű Művek Fegyvergyár Kft.
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Kornezov

Origine de la décision
Date de l'import : 25/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:733

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