ARRÊT DU TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
17 juillet 2024 ( *1 )
« Services numériques – Règlement (UE) 2022/1925 – Désignation d’un contrôleur d’accès – Service de réseau social en ligne – Article 3, paragraphes 1, 2 et 5, du règlement 2022/1925 – Exigences – Présomptions – Renversement des présomptions – Droits de la défense – Égalité de traitement »
Dans l’affaire T‑1077/23,
Bytedance Ltd, établie à George Town (Îles Caïmans), représentée par Mes E. Batchelor, N. Baeten et M. Frese, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. O. Gariazzo, M. Mataija, I. Rogalski et Mme C. Sjödin, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie),
composé de MM. A. Kornezov (rapporteur), président, G. De Baere, D. Petrlík, K. Kecsmár et Mme S. Kingston, juges,
greffier : M. A. Marghelis, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la demande de procédure accélérée présentée par la requérante le 16 novembre 2023, ainsi que la version abrégée de la requête, dans laquelle elle renonçait à certains moyens, dans le cas où la demande de procédure accélérée devait être accordée,
– la décision du Tribunal du 8 décembre 2023 faisant droit à la demande de procédure accélérée,
– l’ordonnance du 9 février 2024, Bytedance/Commission (T 1077/23 R, non publiée, EU:T:2024:94), rejetant la demande en référé,
– les questions écrites du Tribunal aux parties et leurs réponses à ces questions déposées au greffe du Tribunal le 16 février 2024,
à la suite de l’audience du 29 avril 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Bytedance Ltd, demande l’annulation de la décision C(2023) 6102 final de la Commission, du 5 septembre 2023, désignant ByteDance comme étant un contrôleur d’accès, conformément à l’article 3 du règlement (UE) 2022/1925 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2022, relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique et modifiant les directives (UE) 2019/1937 et (UE) 2020/1828 (règlement sur les marchés
numériques) (JO 2022, L 265, p. 1, ci-après le « DMA ») (ci-après la « décision attaquée »).
I. Antécédents du litige
2 La requérante, qui a été fondée en Chine en 2012 et constituée selon le droit des Îles Caïmans, exploite, avec les sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement (ci-après, prises ensemble, « ByteDance ») notamment la plateforme numérique TikTok.
3 La plateforme numérique TikTok, qui a été lancée dans l’Union européenne, dans sa version actuelle, en août 2018, permet à ses utilisateurs de rechercher, visionner et diffuser des vidéos, ainsi que d’interagir, communiquer et partager des contenus avec d’autres utilisateurs.
4 Le 3 juillet 2023, la requérante a présenté une notification à la Commission européenne, conformément à l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du DMA (ci-après la « notification »), dans laquelle elle a soutenu, tout d’abord, que TikTok était une plateforme de partage de vidéos, au sens de l’article 2, point 2, sous d), et point 8, du DMA ; ensuite, que le seuil prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA n’était pas atteint, de sorte que ByteDance ne pouvait pas être réputée satisfaire
aux exigences de l’article 3, paragraphe 1, du DMA, pour être désignée comme étant un contrôleur d’accès ; et, enfin, que les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA aux fins de la désignation d’une entreprise comme étant un contrôleur d’accès, étaient, en tout état de cause, renversées sur la base des arguments et des éléments de preuve qu’elle avait présentés au titre de l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA.
5 Par lettre du 26 juillet 2023, la Commission a fait part à la requérante de son avis préliminaire en ce qui concerne, d’une part, la désignation de ByteDance en tant que contrôleur d’accès, conformément à l’article 3, paragraphe 4, du DMA et, d’autre part, la qualification de TikTok de service de réseau social en ligne susceptible de constituer un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux (ci-après un « point d’accès majeur »), au sens de
l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA (ci-après l’« avis préliminaire »).
6 Par lettre du 2 août 2023, la requérante a répondu à l’avis préliminaire.
7 Le 5 septembre 2023, la Commission a adopté la décision attaquée.
8 Dans la décision attaquée, la Commission a considéré, premièrement, que TikTok était un service de réseau social en ligne, au sens de l’article 2, point 7, du DMA et, par conséquent, un service de plateforme essentiel (ci-après un « SPE »), au sens de l’article 2, point 2, sous c), du DMA.
9 Deuxièmement, la Commission a relevé que ByteDance atteignait les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, en ce qui concerne TikTok, ce qui permettait de présumer que les exigences de l’article 3, paragraphe 1, du DMA, relatives à la désignation d’un contrôleur d’accès, étaient satisfaites.
10 Troisièmement, la Commission a considéré que les arguments présentés par la requérante, conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause lesdites présomptions. Elle a, en conséquence et conformément à l’article 3, paragraphe 5, deuxième alinéa, du DMA, rejeté ces arguments sans ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17,
paragraphe 3, du DMA.
11 Les articles 1er et 2 du dispositif de la décision attaquée sont libellés comme suit :
« Article 1
ByteDance est désignée comme étant un contrôleur d’accès conformément à l’article 3 du [DMA].
Article 2
Le [SPE] suivant de ByteDance est un [point d’accès majeur] au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du [DMA] :
a) Le service de réseau social en ligne TikTok de ByteDance. »
II. Conclusions des parties
12 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission aux dépens.
13 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner la requérante aux dépens.
III. En droit
14 À l’appui du recours, la requérante soulève trois moyens tirés, le premier, d’une violation de l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA, le deuxième, d’une violation des droits de la défense et, le troisième, d’une violation du principe d’égalité de traitement.
A. Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA
15 Le premier moyen s’articule en cinq branches, tirées, la première, de ce que la Commission a appliqué un critère juridique erroné lors de l’examen des arguments présentés pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, les deuxième à quatrième, de ce que la Commission a enfreint l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA, en rejetant les arguments présentés pour renverser respectivement la présomption selon laquelle ByteDance avait un poids important sur le marché
intérieur, la présomption selon laquelle TikTok était un point d’accès majeur et la présomption selon laquelle ByteDance jouissait d’une position solide et durable, et, la cinquième, de ce que la Commission a enfreint l’article 3, paragraphes 1 et 5, du DMA, en omettant d’effectuer une appréciation globale des preuves présentées.
16 Avant d’examiner le premier moyen en ses différentes branches, il convient de rappeler, d’une part, la genèse et le contenu normatif du DMA, et, d’autre part, les aspects pertinents non contestés de la décision attaquée.
1. Sur la genèse et le contenu normatif du DMA
17 De nos jours, les services numériques et les plateformes en ligne en particulier jouent un rôle toujours plus important au sein de l’économie, en permettant aux entreprises d’atteindre les utilisateurs dans l’ensemble de l’Union, en facilitant le commerce transfrontière et en ouvrant des débouchés commerciaux entièrement nouveaux à un grand nombre d’entreprises dans l’Union, au profit des consommateurs dans l’Union, ainsi qu’il découle, en substance, du considérant 1 du DMA.
18 Cependant, comme le législateur de l’Union l’a mis en exergue au considérant 2 du DMA, certains services numériques, dénommés des SPE, présentent souvent des caractéristiques, telles que des économies d’échelle extrêmes, des effets de réseau très importants, une capacité de relier de nombreuses entreprises utilisatrices avec de nombreux utilisateurs finaux grâce à leur caractère multiface, un degré considérable de dépendance des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux, des effets de
verrouillage, l’absence de multihébergement aux mêmes fins par les utilisateurs finaux, l’intégration verticale et les avantages liés aux données, qui, combinées à des pratiques déloyales de la part des entreprises fournissant ces SPE, peuvent sensiblement compromettre la contestabilité des SPE ainsi que nuire à l’équité de la relation commerciale entre les entreprises fournissant ces services et leurs entreprises utilisatrices et leurs utilisateurs finaux. Cela pourrait entraîner, à son tour,
une diminution rapide et potentiellement considérable du choix des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux, et pourrait donc conférer au fournisseur de ces services la position de « contrôleur d’accès ».
19 À cet égard, le législateur de l’Union a fait observer que les processus du marché étaient souvent incapables de garantir des résultats économiques équitables en ce qui concerne les SPE et que le droit de l’Union existant ne permettait pas de faire face, de manière satisfaisante, aux répercussions potentiellement néfastes associées à certaines des caractéristiques des SPE. En particulier, si les articles 101 et 102 TFUE demeurent applicables au comportement des contrôleurs d’accès, il n’en reste
pas moins que le champ d’application de ces dispositions est limité à certains cas de pouvoir de marché, par exemple la position dominante sur certains marchés et le comportement anticoncurrentiel, que l’application de ces dispositions n’intervient qu’ex post et requiert une enquête approfondie, au cas par cas, sur des faits souvent très complexes. En outre, ledit législateur a constaté que le droit de l’Union existant ne répondait pas, ou pas efficacement, aux entraves au bon fonctionnement du
marché intérieur dues au comportement de contrôleurs d’accès qui n’occupent pas nécessairement de position dominante au sens du droit de la concurrence (voir, en ce sens, considérant 5 du DMA). Il a également souligné que le DMA poursuivait un objectif complémentaire, mais différent de la protection d’une concurrence non faussée sur tout marché, au sens du droit de la concurrence, qui est de veiller à ce que les marchés sur lesquels les contrôleurs d’accès opèrent sont et restent contestables et
équitables, indépendamment des effets réels, éventuels ou présumés sur la concurrence sur un marché donné du comportement d’un contrôleur d’accès couvert par le DMA (voir, en ce sens, considérant 11 du DMA).
20 En outre, le législateur de l’Union a relevé qu’un certain nombre de solutions réglementaires avaient déjà été adoptées au niveau national ou proposées en réponse aux questions liées aux pratiques déloyales et à la contestabilité des services numériques, ou à certaines d’entre elles au moins, et qu’il en avait résulté des divergences entre les solutions réglementaires, qui entraînaient une fragmentation du marché intérieur, augmentant en conséquence le risque de voir croître les coûts de mise en
conformité, en raison des différents dispositifs réglementaires nationaux (voir, en ce sens, considérant 6 du DMA).
21 C’est dans ce contexte que le législateur de l’Union a décidé d’adopter le DMA, afin, notamment, de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en établissant des règles visant à garantir la contestabilité et l’équité des marchés dans le secteur numérique en général et pour les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux des SPE fournis par les contrôleurs d’accès en particulier (voir, en ce sens, article 1er, paragraphe 1, et considérant 7 du DMA).
22 L’objectif de garantir la contestabilité des marchés dans le secteur numérique se rapporte, ainsi qu’il découle des considérants 32 et 33 du DMA, à la capacité des entreprises à surmonter efficacement les barrières à l’entrée et à l’expansion et à faire concurrence au contrôleur d’accès sur la base des mérites de leurs produits et services. L’objectif d’assurer l’équité desdits marchés vise à prévenir le déséquilibre entre les droits et les obligations des entreprises utilisatrices lorsque le
contrôleur d’accès obtient un avantage disproportionné, étant précisé que, en raison de leur position de point d’accès et de leur pouvoir de négociation supérieur, il se peut que les contrôleurs d’accès aient des comportements qui ne permettent pas à d’autres de tirer pleinement parti des avantages de leurs propres contributions et qu’ils fixent unilatéralement des conditions déséquilibrées pour l’utilisation de leurs SPE ou des services fournis en accompagnement ou à l’appui de leurs SPE.
23 À cette fin, l’article 3, paragraphe 1, du DMA prévoit qu’une entreprise est désignée comme étant un contrôleur d’accès lorsqu’elle remplit les trois exigences cumulatives suivantes :
a) elle a un poids important sur le marché intérieur ;
b) elle fournit un SPE qui constitue un point d’accès majeur, et
c) elle jouit d’une position solide et durable, dans ses activités, ou jouira, selon toute probabilité, d’une telle position dans un avenir proche.
24 Aux termes de l’article 3, paragraphe 2, du DMA, une entreprise est réputée satisfaire aux exigences respectives du paragraphe 1 :
a) en ce qui concerne le paragraphe 1, sous a), si elle a réalisé un chiffre d’affaires annuel dans l’Union supérieur ou égal à 7,5 milliards d’euros au cours de chacun des trois derniers exercices (ci-après le « seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union »), ou si sa capitalisation boursière moyenne ou sa juste valeur marchande équivalente a atteint au moins 75 milliards d’euros au cours du dernier exercice (ci-après le « seuil de la valeur marchande mondiale »), et qu’elle fournit le même
SPE dans au moins trois États membres ;
b) en ce qui concerne le paragraphe 1, sous b), si elle fournit un SPE qui, au cours du dernier exercice, a compté au moins 45 millions d’utilisateurs finaux actifs par mois établis ou situés dans l’Union (ci-après les « utilisateurs finaux ») et au moins 10000 entreprises utilisatrices actives par an établies dans l’Union (ci-après les « entreprises utilisatrices »), faisant l’objet d’une identification et de calculs conformément à la méthode et aux indicateurs définis dans l’annexe ;
c) en ce qui concerne le paragraphe 1, sous c), si les seuils visés au présent paragraphe, sous b), ont été atteints au cours de chacun des trois derniers exercices.
25 L’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA prévoit que l’entreprise fournissant des SPE peut présenter, avec sa notification au titre de l’article 3, paragraphe 3, premier alinéa, du DMA, des arguments suffisamment étayés pour démontrer que, exceptionnellement, bien qu’elle atteigne tous les seuils prévus au paragraphe 2 et en raison des circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère, elle ne satisfait pas aux exigences énumérées au paragraphe 1.
26 Conformément aux deuxième et troisième alinéas de l’article 3, paragraphe 5, du DMA, lorsque la Commission estime que les arguments présentés en vertu du premier alinéa par l’entreprise fournissant des SPE ne sont pas suffisamment étayés, parce qu’ils ne remettent manifestement pas en cause les présomptions prévues au paragraphe 2 de cet article, elle peut rejeter ces arguments dans le délai visé au paragraphe 4 du même article, sans ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17,
paragraphe 3, du DMA.
27 En revanche, lorsque l’entreprise fournissant des SPE présente de tels arguments suffisamment étayés, remettant manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, la Commission peut, dans le même délai, ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17, paragraphe 3, du DMA.
28 Il convient enfin de noter que le DMA prévoit un ensemble ciblé d’obligations légales que les entreprises ayant été désignées comme des contrôleurs d’accès doivent respecter en ce qui concerne chacun des SPE énumérés dans la décision de désignation correspondante. Ces obligations visent certaines pratiques qui sont considérées comme compromettant la contestabilité ou comme déloyales, ou les deux, compte tenu des caractéristiques du secteur numérique, et qui ont une incidence directe
particulièrement négative sur les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux (voir, en ce sens, considérant 31 du DMA).
2. Sur les aspects non contestés de la décision attaquée
29 En premier lieu, la requérante ne conteste pas, dans le cadre du présent litige, que TikTok constitue un service de réseau social en ligne, au sens de l’article 2, point 2, sous c), et point 7, du DMA, et non un service de plateforme de partage de vidéos, au sens de l’article 2, point 2, sous d), et point 8, du DMA, ainsi qu’il a été constaté dans la décision attaquée.
30 En second lieu, la requérante ne conteste pas que les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous a à c), du DMA étaient atteints et que, par conséquent, ByteDance était réputée satisfaire aux exigences respectives de l’article 3, paragraphe 1, du DMA aux fins de sadésignation comme étant un contrôleur d’accès.
31 En particulier, premièrement, la requérante ne conteste pas la constatation opérée dans la décision attaquée selon laquelle la valeur marchande mondiale de ByteDance, estimée à [75] ( 1 ) milliards d’euros au cours du dernier exercice, dépassait le seuil de la valeur marchande mondiale, prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, ni que TikTok était disponible dans tous les États membres de l’Union et que, dès lors, l’exigence selon laquelle le SPE en cause doit être fourni dans au moins
trois États membres, prévue dans la même disposition, était également satisfaite, de sorte que ByteDance pouvait être réputée avoirun poids important sur le marché intérieur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA.
32 Deuxièmement, la requérante ne conteste pas que les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, d’au moins 45 millions d’utilisateurs finaux et d’au moins 10000 entreprises utilisatrices, étaient également atteints, de sorte que TikTok pouvait être présumée constituer un point d’accès majeur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA. En effet, il ressort de la décision attaquée que, en 2022, TikTok comptait 125 millions d’utilisateurs finaux et [10 000] entreprises
utilisatrices.
33 Troisièmement, la requérante ne conteste pas non plus que les seuils visés à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA ont été atteints au cours de chacun des trois derniers exercices et que, par conséquent, ByteDance pouvait être présumée, conformément à l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA, jouir d’une position solide et durable, dans ses activités, ou jouir, selon toute probabilité, d’une telle position dans un avenir proche, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), du DMA. En
effet, il ressort de la décision attaquée que, en 2020, en 2021 et en 2022, TikTok comptait, respectivement, [45], [45] et 125 millions d’utilisateurs finaux et, selon une méthode conservatrice, au moins [10 000], [10 000] et [10 000] entreprises utilisatrices, ce qui dépasse les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
34 En revanche, les parties s’opposent quant à la question de savoir si la Commission pouvait considérer, sans commettre d’erreur, que les arguments présentés par la requérante, conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, en ce qui concerne TikTok.
35 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le premier moyen en ses différentes branches.
3. Sur le critère juridique appliqué par la Commission lors de l’examen des arguments présentés pour renverser les présomptions (premier moyen, première branche)
36 La requérante soutient en substance que, dans la décision attaquée, la Commission a appliqué un critère juridique erroné lors de son examen des arguments et des éléments de preuve qu’elle avait présentés, conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA. Elle reproche à la Commission, par un premier grief, d’avoir rejeté certains arguments et éléments de preuve « qualitatifs » et, par un second grief,
d’avoir imposé un niveau de preuve trop élevé, consistant à exiger des éléments de preuve « convaincants ».
a) Sur le type d’arguments et d’éléments de preuve pouvant être présentés pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA
1) Arguments des parties
37 La requérante fait valoir, comme elle l’a précisé lors de l’audience, que la Commission a rejeté à tort, au considérant 161 de la décision attaquée, certains arguments et éléments de preuve « qualitatifs » qu’elle avait présentés pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA. Selon elle, l’interprétation du considérant 23 du DMA, sur lequel s’est fondée la Commission pour rejeter lesdits arguments et éléments de preuve, selon laquelle tout élément de preuve non
mentionné audit considérant serait exclu, entre en contradiction tant avec le libellé de ce considérant qu’avec l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, aux termes duquel la qualification de contrôleur d’accès doit satisfaire aux exigences énumérées au paragraphe 1 de cet article en tenant compte des « circonstances dans lesquelles le [SPE] concerné opère ». En effet, le considérant en question exclurait uniquement les justifications reposant sur des motifs économiques, en rapport avec
la définition du marché ou visant à démontrer des gains d’efficience. En revanche, il n’exclurait pas les éléments de preuve « qualitatifs » qui sont directement liés au renversement desdites présomptions selon lesquelles les seuils quantitatifs attestent d’un statut de contrôleur d’accès. Or, il serait redondant de n’admettre que des éléments quantitatifs pour réfuter les seuils tout aussi quantitatifs à la base de ces présomptions.
38 La Commission convient avec la requérante que le considérant 23 du DMA ne saurait être interprété comme excluant les arguments et éléments de preuve « qualitatifs », pourvu qu’ils soient directement liés aux seuils quantitatifs sur lesquels sont fondées les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, et que les éléments pouvant être pris en considération, énumérés audit considérant, le sont à titre d’exemples. Toutefois, elle fait valoir que, dans la décision attaquée, elle n’a pas
écarté comme dépourvus de pertinence des arguments ou des éléments de preuve « qualitatifs » présentés par la requérante, mais les a examinés, tout comme les arguments et éléments de preuve « quantitatifs » présentés par cette dernière, pour autant qu’ils étaient directement liés à ces présomptions. Selon elle, les seuls arguments exclus au motif qu’ils n’étaient pas directement liés aux seuils quantitatifs sur lesquels sont fondées lesdites présomptions étaient les arguments soi-disant
« supplémentaires » de la requérante, ainsi qu’il ressort du considérant 161 de la décision attaquée.
2) Appréciation du Tribunal
39 À titre liminaire, il convient de relever que, par l’expression « arguments et éléments de preuve ‘qualitatifs’ », la requérante fait référence, dans le cadre du premier grief, aux arguments et éléments de preuve qu’elle a présentés au cours de la procédure administrative pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, et qui n’étaient pas exprimés dans des valeurs chiffrées.
40 À cet égard, force est de relever qu’il pourrait être difficile, voire impossible, de distinguer entre les arguments ou les éléments de preuve « quantitatifs » et « qualitatifs ». En effet, un argument de nature « qualitative » est souvent étayé par des données chiffrées. Il pourrait ainsi paraître artificiel de scinder l’un de l’autre et de n’admettre la pertinence que de l’élément quantitatif alors même que celui-ci vise à étayer un argument de nature qualitative.
41 Cela étant précisé, il convient de relever que les exigences requises pour être désigné en tant que contrôleur d’accès, prévues à l’article 3, paragraphe 1, du DMA, ne sont pas exprimées dans des valeurs chiffrées. Ainsi, pour cette désignation, l’entreprise en cause doit avoir un poids important sur le marché intérieur, fournir un SPE qui constitue un point d’accès majeur et jouir d’une position solide et durable dans ses activités, ou jouir, selon toute probabilité, d’une telle position dans un
avenir proche.
42 Certes, les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, lesquels permettent de présumer que les exigences prévues au paragraphe 1 de cet article sont satisfaites, sont en substance quantitatifs.
43 Toutefois, il s’agit de présomptions réfragables. En effet, l’article 3, paragraphe 5, premier et deuxième alinéas, du DMA permet à l’entreprise concernée de présenter des arguments suffisamment étayés pour démontrer que, exceptionnellement, bien qu’elle atteigne tous les seuils quantitatifs prévus au paragraphe 2 dudit article et en raison des circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère, elle ne satisfait pas aux exigences énumérées au paragraphe 1 de cet article. Lorsque ces arguments
ne sont pas suffisamment étayés, parce qu’ils ne remettent manifestement pas en cause lesdites présomptions, la Commission peut les rejeter sans ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17, paragraphe 3, du DMA.
44 Ainsi, rien dans le libellé de l’article 3, paragraphe 5, du DMA ne permet à la Commission d’exclure d’emblée, comme dépourvus de pertinence, des arguments ou éléments de preuve présentés par une entreprise, au motif qu’ils ne seraient pas exprimés dans des valeurs chiffrées.
45 À cet égard, le considérant 23 du DMA précise, notamment, que « [l]a Commission ne devrait prendre en considération, dans son évaluation des preuves et des arguments présentés [au titre de l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA], que les éléments directement liés aux critères quantitatifs, à savoir le poids de l’entreprise fournissant des [SPE] sur le marché intérieur, au-delà des recettes ou de la capitalisation boursière, par exemple sa taille en termes absolus ainsi que le nombre
d’États membres dans lesquels elle est présente ; la mesure dans laquelle le nombre d’entreprises utilisatrices et d’utilisateurs finaux réels dépasse les seuils ainsi que l’importance du [SPE] de l’entreprise, compte tenu de l’échelle globale des activités du [SPE] concerné ; et le nombre d’années pendant lesquelles les seuils ont été atteints ». En outre, selon le même considérant, « [t]oute justification reposant sur des motifs économiques, en rapport avec la définition du marché ou visant à
démontrer des gains d’efficience découlant d’un type particulier de comportement de l’entreprise fournissant des [SPE], devrait être rejetée, car elle n’est pas pertinente pour la désignation d’un contrôleur d’accès ».
46 Il découle du considérant 23 du DMA que les seules catégories d’arguments ou d’éléments de preuve que le législateur de l’Union a décidé d’exclure explicitement comme étant dépourvues de pertinence sont celles tirées d’une justification reposant sur des motifs économiques en rapport avec la définition du marché ou visant à démontrer des gains d’efficience.
47 Il ressort également du considérant 23 du DMA que, pour être pris en considération, les arguments et les éléments de preuve devraient être « directement liés aux critères quantitatifs », étant précisé que le terme « critères quantitatifs » vise les seuils quantitatifs fixés à l’article 3, paragraphe 2, du DMA. Cette exigence de lien direct ne signifie toutefois pas qu’un argument ou un élément de preuve devrait être exclu a priori comme dépourvu de pertinence au seul motif qu’il n’est pas exprimé
dans des valeurs chiffrées. En effet, un tel argument ou élément de preuve peut, selon les circonstances, être directement lié à ces seuils quantitatifs, de sorte qu’il doit être pris en considération lors de l’examen des arguments et des éléments de preuve présentés pour renverser les présomptions prévues à cette disposition. Inversement, un argument ou un élément de preuve de nature quantitative peut, selon les circonstances, ne pas être directement lié auxdits seuils quantitatifs, de sorte
qu’il ne devrait pas être pris en considération dans le cadre de cet examen.
48 Il s’ensuit que le considérant 23 du DMA n’exclut pas a priori, comme dénués de pertinence, les arguments ou les éléments de preuve qui ne sont pas exprimés dans des valeurs chiffrées, pourvu qu’ils soient directement liés à une ou plusieurs des présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, lesquelles prennent la forme de seuils quantitatifs.
49 Il convient également de préciser que la liste des éléments pouvant être pris en considération, cités au considérant 23 du DMA, n’est pas exhaustive.
50 En effet, même si la liste en cause est introduite par la locution « à savoir », certains des éléments figurant dans cette liste sont ensuite explicités au moyen d’exemples (« par exemple »). En outre, le seul élément mentionné au considérant 23 du DMA concernant le renversement de la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA, est le « nombre d’années pendant lesquelles les seuils [relatifs au nombre d’entreprises utilisatrices et d’utilisateurs finaux] ont été atteints ».
Or, cet élément se recoupe, en substance, avec le seuil à la base de cette même présomption. Ainsi, si cet élément était le seul élément admissible pour renverser ladite présomption, celle-ci deviendrait alors de facto irréfragable, ce qui irait à l’encontre de l’article 3, paragraphe 5, du DMA. De surcroît, ce dernier article ne prévoit pas non plus une liste exhaustive d’éléments pouvant être présentés à cette fin mais se limite à faire référence aux « circonstances dans lesquelles le [SPE]
concerné opère ».
51 Par conséquent, il convient de conclure que l’article 3, paragraphe 5, du DMA, lu à la lumière du considérant 23 du DMA, doit être interprété en ce sens qu’il permet à l’entreprise concernée de présenter, pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, des arguments et des éléments de preuve, qu’ils soient exprimés ou non dans des valeurs chiffrées, pourvu qu’ils soient directement liés à une ou plusieurs de ces présomptions.
52 En l’espèce, et ainsi qu’elle l’a précisé lors de l’audience, la requérante reproche à la Commission d’avoir rejeté, au considérant 161 de la décision attaquée, ses arguments « supplémentaires », au motif qu’ils n’étaient pas directement liés aux seuils quantitatifs prévus à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
53 La Commission a confirmé, quant à elle, qu’elle avait considéré, dans la décision attaquée, que l’ensemble des arguments et des éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, y compris ceux de nature « qualitative », étaient directement liés auxdites présomptions, tout en les rejetant pour d’autres motifs, à l’exception des arguments « supplémentaires » de la requérante, qu’elle avait rejetés, au considérant 161 de la
décision attaquée, au motif qu’ils n’étaient pas directement liés auxdites présomptions.
54 À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission n’a examiné les arguments « supplémentaires » de la requérante qu’après avoir examiné les arguments et les éléments de preuve présentés par celle-ci pour renverser chacune des présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
55 Dans ces conditions, il conviendra d’examiner la question de savoir si la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, rejeter les arguments « supplémentaires » présentés par la requérante, au motif qu’ils n’étaient pas directement liés auxdites présomptions, en suivant l’ordre dans lequel ils sont abordés dans la décision attaquée. Cette question sera donc examinée à la suite de l’examen des arguments de celle-ci portant sur les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, sous a), b)
et c), dudit règlement.
56 Il s’ensuit que le sort à réserver au premier grief de la première branche du premier moyen dépend du bien-fondé des arguments de la requérante relatifs au considérant 161 de la décision attaquée, lesquels sont examinés aux points 321 à 328 ci-après.
b) Sur le niveau de preuve requis pour remettre en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA
1) Arguments des parties
57 La requérante reproche à la Commission d’avoir exigé, au considérant 126 de la décision attaquée, un niveau de preuve plus élevé que celui requis par l’article 3, paragraphe 5, du DMA, en considérant que, pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, la requérante devait apporter des éléments de preuve « convaincants ». Or, dans d’autres décisions en la matière, la Commission a établi une distinction entre, d’une part, les arguments qui remettent manifestement
en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA et qui justifient l’ouverture d’une enquête de marché, et, d’autre part, les arguments qui démontrent « de manière complète et sans équivoque » que les exigences énumérées à l’article 3, paragraphe 1, du DMA ne sont pas satisfaites. Enfin, elle fait observer que l’existence de « doutes » ou d’indices « prima facie » quant à la question de savoir si l’entreprise concernée satisfait auxdites exigences devrait suffire pour ouvrir
une enquête de marché au titre de l’article 17, paragraphe 3, du DMA.
58 La Commission conteste les arguments de la requérante. Elle soutient que l’affirmation, figurant au considérant 126 de la décision attaquée, selon laquelle l’entreprise concernée doit apporter des éléments de preuve « convaincants », ne fixe pas un niveau de preuve plus élevé que celui prévu dans le DMA. Selon elle, le simple emploi du terme « convaincant » n’indique pas le niveau de preuve appliqué, car, quel que soit ce dernier, pour tirer des conclusions d’un élément de preuve, il est
nécessaire que cet élément de preuve soit convaincant. Elle ajoute, en substance, que la distinction à laquelle fait référence la requérante entre le niveau de preuve requis pour ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17, paragraphe 3, du DMA et celui requis pour considérer que les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA ont été renversées, est dépourvue de pertinence en l’espèce, les arguments de la requérante n’ayant atteint ni l’un ni l’autre niveau de preuve.
2) Appréciation du Tribunal
59 Selon le considérant 23 du DMA, « [l]a charge de la preuve que la présomption découlant du respect de seuils quantitatifs [prévus à l’article 3, paragraphe 2, de ce règlement] ne devrait pas s’appliquer incombe à [l’] entreprise [concernée] ».
60 S’agissant du niveau de preuve requis pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, le paragraphe 5, premier alinéa, dudit article prévoit que l’entreprise concernée peut présenter des arguments suffisamment étayés pour démontrer que, exceptionnellement, bien qu’elle atteigne tous les seuils prévus au paragraphe 2 de cet article, elle ne satisfait pas aux exigences énumérées au paragraphe 1 du même article. En outre, selon l’article 3, paragraphe 5, deuxième et
troisième alinéas, du DMA, lorsque la Commission estime que les arguments présentés par l’entreprise concernée ne sont pas suffisamment étayés, parce qu’ils ne remettent manifestement pas en cause lesdites présomptions, elle peut les rejeter sans ouvrir une enquête de marché, alors que, si ladite entreprise présente de tels arguments suffisamment étayés, remettant manifestement en cause lesdites présomptions, la Commission peut ouvrir une telle enquête.
61 Ainsi, le niveau de preuve requis pour remettre en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA a été déterminé par le législateur de l’Union lui-même, en exigeant de l’entreprise concernée, sur laquelle pèse la charge de la preuve, qu’elle présente des arguments suffisamment étayés, remettant manifestement en cause ces présomptions.
62 En l’espèce, le seul considérant de la décision attaquée, identifié par la requérante, dans lequel la Commission aurait exigé un niveau de preuve plus élevé que celui défini à l’article 3, paragraphe 5, du DMA, est le considérant 126 de ladite décision. Il convient également de relever que, dans ce considérant, la Commission a notamment indiqué, dans le cadre de son examen des arguments présentés pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, qu’il incombait à
l’entreprise concernée d’apporter des « preuves convaincantes » démontrant que, même si son SPE dépassait largement les seuils fixés dans cette dernière disposition, ce SPE n’était pas un point d’accès majeur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA et que, pour les raisons exposées aux considérants 127 à 154 de cette décision, la requérante n’avait pas apporté cette preuve.
63 À cet égard, premièrement, il y a lieu de constater que la Commission a examiné les arguments et les éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA au point 5.1.3.2.2 de la décision attaquée. Elle a relevé, au considérant 125 de ladite décision, que les arguments présentés par la requérante conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA « n’[étaient] pas suffisamment étayés pour remettre
manifestement en cause la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 2, sous b), [du DMA] ». En outre, dans le cadre de son analyse des différents arguments et éléments de preuve soulevés par la requérante, elle a relevé que ceux-ci n’étaient pas susceptibles de ou étaient insuffisants pour « remettre manifestement en cause » cette présomption (voir considérants 129, 134 et 143 de cette décision).
64 De même, dans sa conclusion concernant les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, figurant au point 5.1.3.2.5 de la décision attaquée, la Commission a conclu que les arguments présentés par la requérante conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA « n’[étaient] pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du [DMA] », de sorte qu’il y avait lieu de les rejeter sans ouvrir une enquête de
marché, conformément à l’article 3, paragraphe 5, deuxième alinéa, du DMA.
65 Il s’ensuit que, lors de l’examen des arguments et des éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, la Commission a affirmé avoir appliqué le niveau de preuve prévu à l’article 3, paragraphe 5, du DMA, décrit au point 60 ci-dessus.
66 Ainsi, la Commission n’a fait référence à l’exigence d’apporter des éléments de preuve « convaincants » pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA qu’une seule fois, au considérant 126 de la décision attaquée, de sorte qu’il s’agit d’une occurrence isolée. En outre, si ladite référence devait être comprise, comme le prétend la requérante, en ce sens que cette dernière doit apporter des preuves qui renversent définitivement ladite présomption, une telle
exigence ne correspondrait, certes, pas au niveau de preuve requis au titre de l’article 3, paragraphe 5, du DMA. Toutefois, en l’espèce, rien dans la décision attaquée, lue dans son intégralité, ne laisse apparaître que, par le terme « convaincant », la Commission a entendu exiger la présentation d’éléments de preuves renversant définitivement cette présomption.
67 En tout état de cause, dans le cadre de la troisième branche du premier moyen, il sera examiné si, indépendamment de la manière dont la Commission a décrit, au considérant 126 de la décision attaquée, le niveau de preuve requis, le niveau de preuve réellement appliqué par elle lors de l’examen des arguments et des éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA est conforme à celui déterminé à l’article 3,
paragraphe 5, du DMA.
68 Deuxièmement, il convient de rejeter l’argument de la requérante tiré du fait que, dans d’autres décisions en la matière, la Commission a établi une distinction entre, d’une part, les arguments qui remettent manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA et qui justifient l’ouverture d’une enquête de marché, et, d’autre part, les arguments qui démontrent « de manière complète et sans équivoque » que les exigences énumérées à l’article 3, paragraphe 1, du DMA
ne sont pas satisfaites, ce qui permettrait à la Commission de conclure que lesdites présomptions ont été renversées sans nécessité d’ouvrir une enquête de marché. En effet, la requérante ne prétend pas que, dans la décision attaquée, la Commission a rejeté ses arguments au motif qu’ils n’étaient pas susceptibles de démontrer « de manière complète et sans équivoque » que lesdites exigences n’étaient pas satisfaites, de sorte que son argumentation est inopérante. En outre, et en tout état de
cause, il convient de rappeler que la Commission est tenue de procéder à une analyse individualisée des circonstances propres à chaque affaire, sans être liée par des décisions antérieures qui concernent d’autres opérateurs économiques ou d’autres SPE (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 septembre 2022, SŽ – Tovorni promet/Commission, T‑575/20, non publié, EU:T:2022:551, point 95 et jurisprudence citée).
69 Troisièmement, l’argument de la requérante selon lequel le niveau de preuve requis de la part de l’entreprise concernée par le DMA revient à démontrer l’existence de « doutes » ou d’indices « prima facie », ce qui doit suffire, selon elle, pour ouvrir une enquête de marché au titre de l’article 17, paragraphe 3, du DMA ne saurait prospérer.
70 En effet un tel niveau de preuve ne correspond pas à celui établi à l’article 3, paragraphe 5, troisième alinéa, du DMA, en vertu duquel une enquête de marché peut être ouverte lorsque les arguments de l’entreprise concernée sont suffisamment étayés pour, exceptionnellement, remettre manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, dudit règlement.
71 À cet égard, il ressort sans la moindre équivoque des termes « exceptionnellement » et « manifestement », figurant à l’article 3, paragraphe 5, du DMA, que le niveau de preuve requis de l’entreprise concernée est élevé, en ce sens que les arguments présentés par elle doivent être susceptibles de démontrer, avec un haut degré de plausibilité, que les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA sont remises en cause. Or, le niveau de preuve avancé par la requérante, à savoir la
démonstration de l’existence de simples « doutes » ou d’indices « prima facie », est inférieur à celui exigé par le DMA.
72 Partant, sous réserve de l’examen du niveau de preuve réellement appliqué par la Commission lors de l’examen des arguments et des éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, il convient de rejeter l’argumentation de la requérante relative au niveau de preuve requis pour remettre en cause la présomption prévue à ladite disposition.
4. Sur la remise en cause de la présomption selon laquelle ByteDance avait un poids important sur le marché intérieur (premier moyen, deuxième branche)
a) Arguments des parties
73 La requérante soutient que, aux considérants 120 à 124 de la décision attaquée, la Commission a enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous a), et l’article 3, paragraphe 5, du DMA, en rejetant ses arguments visant à démontrer que ByteDance n’avait pas un poids important sur le marché intérieur. Comme elle l’a clarifié lors de l’audience, elle ne reproche pas à la Commission d’avoir omis d’examiner certains arguments et certains éléments de preuve qu’elle avait présentés pendant la procédure
administrative, mais de les avoir examinés de manière superficielle et erronée auxdits considérants. En substance, elle fait valoir que le poids de ByteDance sur le marché intérieur n’était pas important au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA, comme démontré par le fait que le chiffre d’affaires de ByteDance dans l’Union était faible, que TikTok était [confidentiel] depuis son lancement dans l’Union et que la valeur marchande globale de ByteDance était due principalement à ses
activités en Chine, de sorte que celle-ci ne serait pas représentative de son poids sur le marché intérieur.
74 La Commission conteste l’argumentation de la requérante en reprenant, en substance, les motifs figurant aux considérants 120 à 124 de la décision attaquée, dont le contenu est rappelé ci-après.
b) Décision attaquée
75 Au considérant 120 de la décision attaquée, la Commission a relevé que les arguments présentés par la requérante avec la notification, conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA.
76 Premièrement, au considérant 121 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que le fait que les revenus de ByteDance dans l’Union étaient inférieurs au seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union était dépourvu de pertinence, étant donné que le seuil de la valeur marchande mondiale était atteint et que ces deux seuils étaient alternatifs.
77 Deuxièmement, au considérant 122 de la décision attaquée, la Commission a relevé notamment que les arguments de la requérante concernant l’origine des revenus publicitaires de ByteDance dans l’Union étaient également dépourvus de pertinence, étant donné que cette dernière atteignait le seuil de la valeur marchande mondiale.
78 Troisièmement, au considérant 123 de la décision attaquée, la Commission a considéré, en substance, que le fait que TikTok a [confidentiel] dans l’Union ne saurait, en tant que tel, remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, au motif que ByteDance avait un potentiel important de monétisation de ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche, compte tenu de sa juste valeur marchande au niveau mondial et du nombre d’utilisateurs de
TikTok dans l’Union, lesquels dépassaient de manière significative les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous a) et b), du DMA, respectivement.
79 Quatrièmement, au considérant 124 de la décision attaquée, la Commission a rejeté comme dépourvu de pertinence l’argument de la requérante selon lequel la juste valeur marchande de ByteDance au niveau mondial ne constituait pas un indice de la capacité de cette dernière à monétiser les utilisateurs de TikTok dans l’Union, car celle-ci découlait de ses activités en Chine, au motif, d’une part, que l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA fait référence à la juste valeur marchande au niveau
mondial de l’entreprise concernée dans son ensemble, et non dans une zone géographique spécifique, et, d’autre part, que cette disposition vise à refléter la capacité financière de l’entreprise concernée, y compris son accès aux marchés financiers et sa capacité, par exemple, d’acquérir d’autres entreprises innovatrices fournissant des services similaires.
c) Appréciation du Tribunal
80 En premier lieu, il y a lieu d’analyser l’argument de la requérante selon lequel, au considérant 121 de la décision attaquée, la Commission a erronément considéré que le fait que les revenus de ByteDance dans l’Union étaient inférieurs au seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union était dépourvu de pertinence pour démontrer que cette dernière n’avait pas un poids important sur le marché intérieur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA.
81 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA, une entreprise ne peut être désignée en tant que contrôleur d’accès que si elle a un poids important sur le marché intérieur.
82 L’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA permet de présumer que tel est le cas lorsque l’un des deux seuils alternatifs est atteint. Le premier seuil concerne le chiffre d’affaires annuel réalisé par l’entreprise concernée dans l’Union, lequel doit être supérieur ou égal à 7,5 milliards d’euros au cours de chacun des trois derniers exercices. Le second seuil se rapporte à sa capitalisation boursière moyenne ou sa juste valeur marchande équivalente, laquelle doit avoir atteint au moins 75
milliards d’euros au cours du dernier exercice. Dans les deux cas, il est nécessaire que ladite entreprise fournisse le SPE en cause dans au moins trois États membres.
83 En l’espèce, la requérante ne conteste pas que ByteDance atteignait le seuil de la valeur marchande mondiale et que, de ce fait, elle était réputée avoir un poids important sur le marché intérieur.
84 Il n’est pas non plus contesté que, en revanche, elle n’atteignait pas le seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union. En effet, pendant cette période, le chiffre d’affaires de ByteDance réalisé dans l’Union est passé de [7,5 milliards] d’euros en 2020, à [7,5 milliards] d’euros en 2021 et puis à [7,5 milliards] d’euros en 2022, de sorte qu’il est resté sous ledit seuil.
85 À cet égard, il importe de souligner d’emblée que le fait que le seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union ne soit pas atteint au cours de chacun des trois derniers exercices ne suffit pas, à lui seul, pour remettre manifestement en cause la présomption établie à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, dans la mesure où, ainsi qu’il est relevé au point 83 ci-dessus, l’autre seuil alternatif était rempli en l’espèce, de sorte que ladite présomption trouvait à s’appliquer. Dans le cas
contraire, les deux seuils deviendraient de facto cumulatifs, ce qui se heurterait au libellé clair de ladite disposition.
86 Toutefois, le caractère alternatif des deux seuils visés à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA n’enlève aucunement la pertinence du premier d’entre eux aux fins d’examiner si cet élément, en combinaison avec d’autres arguments suffisamment étayés, remet manifestement en cause cette présomption.
87 En effet, il ressort du considérant 17 du DMA qu’un chiffre d’affaires élevé dans l’Union, associé au nombre d’utilisateurs de SPE concernés dans l’Union prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, témoigne d’une capacité relativement forte de monétiser ces utilisateurs, alors qu’une capitalisation boursière ou une juste valeur marchande au niveau mondial élevée, associée au même nombre d’utilisateurs, traduit un potentiel relativement important de monétisation de ces utilisateurs dans un
avenir proche. La capitalisation boursière peut également refléter la position future attendue et les effets sur le marché intérieur des entreprises concernées, en dépit d’un chiffre d’affaires actuel potentiellement relativement faible.
88 Ces deux seuils reflètent donc des hypothèses proches, mais distinctes. Tandis qu’un chiffre d’affaires élevé réalisé dans l’Union tend à démontrer que l’entreprise en cause jouit déjà d’une capacité de monétiser ses utilisateurs dans le marché intérieur, une capitalisation boursière ou une juste valeur marchande au niveau mondial élevée tend plutôt à indiquer que ladite entreprise dispose du potentiel de monétiser ses utilisateurs dans le marché intérieur dans un avenir proche.
89 En outre, le chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise en cause dans l’Union a été spécifiquement retenu par le législateur de l’Union en tant qu’indicateur du poids de celle-ci sur le marché intérieur, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 2, sous a), et du considérant 17 du DMA.
90 Ainsi, il ne peut pas être exclu que l’entreprise concernée puisse démontrer, sur la base de plusieurs arguments suffisamment étayés, dont son faible chiffre d’affaires réalisé dans l’Union, que, malgré sa valeur marchande mondiale située au-dessus du seuil prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, elle n’a qu’une présence limitée sur le marché intérieur, de sorte que ladite valeur marchande ne traduit pas, en raison des circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère, un potentiel
de monétiser ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche et que, dès lors, elle n’a pas un poids important sur le marché intérieur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA.
91 Par ailleurs, l’affirmation de la Commission, figurant à la dernière phrase du considérant 121 de la décision attaquée, selon laquelle le niveau des revenus de ByteDance dans l’Union n’était pas un élément relatif à son poids sur le marché intérieur « au-delà des recettes ou de la capitalisation boursière », au sens du considérant 23 du DMA, ne peut qu’être écartée. En effet, d’une part, la précision « au-delà des recettes ou de la capitalisation boursière », figurant dans ce dernier considérant,
ne fait que clarifier que, étant donné que ces deux éléments sont déjà pris en compte dans le cadre de l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, l’entreprise concernée peut présenter, pour renverser la présomption prévue par ladite disposition, d’autres éléments, au-delà de ceux-ci, relatifs à son poids sur ledit marché. D’autre part, comme cela est relevé au point 89 ci-dessus, le chiffre d’affaires réalisé dans l’Union est clairement cité à l’article 3, paragraphe 2, sous a), et au
considérant 17 du DMA, en tant que l’un des critères pertinents pour apprécier le poids de ladite entreprise sur ce marché.
92 Partant, la Commission a commis une erreur de droit en écartant comme dépourvu de pertinence l’argument de la requérante relatif au chiffre d’affaires de ByteDance réalisé dans l’Union au cours des trois derniers exercices. L’incidence de cette erreur sur la légalité de la décision attaquée est examinée aux points 111 à 117 ci-après.
93 En deuxième lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir écarté comme étant dépourvus de pertinence, au considérant 122 de la décision attaquée, ses arguments relatifs, d’une part, au nombre limité d’entreprises utilisatrices dont les dépenses publicitaires sur TikTok seraient importantes et, d’autre part, au nombre limité de « pays affectés ».
94 À cet égard, premièrement, il convient de relever que, au considérant 122 de la décision attaquée, la Commission n’a pas pris position sur l’argument de la requérante selon lequel un nombre limité d’entreprises utilisatrices engagent des dépenses publicitaires importantes sur TikTok, la raison de cette absence de prise de position étant qu’un tel argument n’avait pas été présenté dans la notification pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA. Dès lors, le
grief de la requérante procède d’une lecture erronée de ladite décision et doit, pour ce motif, être rejeté.
95 Deuxièmement, au considérant 122 de la décision attaquée, la Commission a pris position sur l’argument de la requérante soulevé dans la notification pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, selon lequel TikTok ne tirait de recettes publicitaires significatives que dans [confidentiel] États membres, à savoir [confidentiel].
96 À cet égard, il suffit de constater que, devant le Tribunal, la requérante n’avance aucun argument concret visant à contester spécifiquement le rejet, au considérant 122 de la décision attaquée, de la pertinence du fait que TikTok ne tirait des recettes publicitaires significatives que dans [confidentiel] États membres. Au demeurant, il ressort de la notification que TikTok a obtenu des revenus publicitaires dans [confidentiel] des États membres. Or, elle n’explique pas comment le fait que la
majorité de ceux-ci ait été générée dans certains des États membres les plus peuplés pourrait avoir une incidence quelconque sur l’examen de son poids sur le marché intérieur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous a), du DMA.
97 En troisième lieu, la requérante reproche à la Commission, en substance, d’avoir considéré à tort, au considérant 123 de la décision attaquée, que son argument tiré du fait que ByteDance était [confidentiel] dans l’Union depuis son lancement n’était pas susceptible de remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA.
98 À cet égard, il y a lieu de relever, ainsi que l’explique la requérante dans ses écritures, que la plateforme TikTok, dans sa version actuelle, a été lancée dans l’Union en août 2018 et se trouvait ainsi, lors de l’adoption de la décision attaquée, à un stade précoce de monétisation dans l’Union. ByteDance était ainsi, depuis le lancement de TikTok dans l’Union, toujours en train d’investir davantage dans ladite plateforme afin d’attirer davantage d’utilisateurs et d’annonceurs, notamment en
incitant les créateurs à produire du contenu pour TikTok.
99 Dès lors, le fait que ByteDance puisse avoir été [confidentiel] pendant les premières années ayant suivi son entrée sur le marché intérieur n’est pas en soi susceptible de remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, étant donné que, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre audit considérant 123 de la décision attaquée, plusieurs autres facteurs pertinents démontraient, pris ensemble, son potentiel significatif de monétiser les
utilisateurs de TikTok dans l’Union dans un avenir proche.
100 En effet, la mesure dans laquelle les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA sont dépassés et, plus concrètement, la juste valeur marchande de ByteDance au niveau mondial particulièrement élevée, à savoir [75] milliards d’euros, laquelle dépasse de loin le seuil de 75 milliards d’euros prévu à ladite disposition, ainsi que le grand nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices de TikTok dans l’Union, à savoir 125 millions et [10 000] , respectivement, en 2022,
lequel a dépassé, lui aussi, très largement et au cours de chacun des trois derniers exercices les seuils d’au moins 45 millions d’utilisateurs finaux et 10000 entreprises utilisatrices, prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, attestent le potentiel important de ByteDance de monétiser ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche, malgré son état [confidentiel] pendant une période initiale suivant son lancement dans l’Union et, par conséquent, son poids important sur le marché
intérieur.
101 Partant, les arguments de la requérante dirigés à l’encontre du considérant 123 de la décision attaquée doivent être rejetés comme non fondés.
102 En quatrième lieu, la requérante reproche à la Commission d’avoir rejeté à tort, au considérant 124 de la décision attaquée, son argument selon lequel la juste valeur marchande de ByteDance au niveau mondial ne constituait pas un indice de la capacité de cette dernière à monétiser les utilisateurs de TikTok dans l’Union, car cette valeur découlait principalement de ses activités en Chine, lesquelles n’auraient pourtant aucun lien avec ses activités sur le marché intérieur.
103 La Commission a rejeté cet argument comme étant dépourvu de pertinence, au motif que le seuil de la valeur marchande mondiale s’appliquait à l’entreprise concernée dans son ensemble, et non par rapport à une zone géographique donnée. De surcroît, selon la Commission, ledit argument se heurtait à l’objectif sous-tendant la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, laquelle, ainsi qu’il ressort du considérant 17 du DMA, vise à refléter la capacité financière de l’entreprise
concernée, y compris son accès aux marchés financiers et la capacité qui en résulte, par exemple, d’acquérir d’autres entreprises innovantes fournissant des services similaires.
104 À cet égard, il y a lieu de relever que le critère de la valeur marchande vise la juste valeur marchande de l’entreprise en cause au niveau mondial, sans distinction aucune quant à l’origine géographique de cette valeur. Partant, la Commission a considéré à juste titre que le fait que la juste valeur marchande de ByteDance était due principalement à ses opérations en Chine n’était pas pertinent.
105 En effet, tout d’abord, le fait que, comme le soutient la requérante, la juste valeur marchande de ByteDance au niveau mondial découle principalement de ses activités en Chine, ses « activités asiatiques » n’étaient pas disponibles dans l’Union et certaines desdites activités ont échoué dans l’Union est sans incidence sur la capacité de ByteDance d’utiliser sa valeur générée en Chine ou ailleurs dans le monde pour renforcer sa position dans l’Union.
106 Ensuite, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission n’était pas tenue d’analyser spécifiquement si les « activités asiatiques » de ByteDance se heurtaient à des barrières culturelles et réglementaires dans l’Union. En effet, il incombait à la requérante, sur qui pèse la charge de la preuve, de démontrer que tel était le cas et que, en raison de telles barrières culturelles et réglementaires, ByteDance ne pouvait pas tirer avantage sur le marché intérieur de sa juste valeur
marchande au niveau mondial.
107 Or, la requérante n’a pas présenté de tels éléments. Au contraire, il ressort notamment des considérants 74, 79 et 98 de la décision attaquée que, depuis son lancement dans l’Union, TikTok connaît une croissance très rapide, ainsi que le démontrent le chiffre d’affaires de ByteDance dans l’Union, lequel a augmenté de [7,5 milliards] d’euros en 2020 à [7,5 milliards] d’euros en 2022, soit une hausse d’environ [100-2 000] %, ainsi que le nombre de plus en plus croissant d’utilisateurs finaux
dans l’Union, lesquels ont augmenté de [45] millions en 2020 à 125 millions en 2022, soit une hausse d’environ [50-100] %, et d’entreprises utilisatrices dans l’Union, lesquelles ont augmenté, selon une méthodologie conservatrice utilisée par la Commission dans la décision attaquée, à tout le moins de [10 000] en 2020 à [10 000] en 2022, soit une hausse d’environ [100-2 000] %. Or, la requérante n’explique pas comment les barrières culturelles et réglementaires alléguées se réconcilient avec
le fait que TikTok a connu une croissance très rapide dans l’Union depuis son lancement.
108 Dans ce contexte, la Commission pouvait considérer, à juste titre, que la juste valeur marchande de ByteDance au niveau mondial, associée au grand nombre d’utilisateurs de TikTok dans l’Union, reflétait sa capacité financière et son potentiel de monétisation des utilisateurs de TikTok dans l’Union.
109 Enfin, le fait, soulevé par la requérante, que les revenus générés par TikTok dans l’Union représentaient moins de [0-5] % des revenus de ByteDance au niveau mondial et que, si les activités de TikTok dans l’Union étaient valorisées séparément, elles ne correspondraient qu’à une [confidentiel] de la valorisation mondiale de ByteDance, n’est pas non plus susceptible de remettre manifestement en cause le potentiel de monétisation par ByteDance des utilisateurs de TikTok dans l’Union, compte tenu
des éléments relevés au point 107 ci-dessus.
110 Il convient donc de rejeter les arguments de la requérante dirigés à l’encontre du considérant 124 de la décision attaquée.
111 Il reste donc à déterminer l’incidence, sur la légalité de la décision attaquée, de l’erreur commise par la Commission, relevée au point 92 ci-dessus.
112 À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, une erreur dans le raisonnement de l’acte attaqué n’entraîne pas l’annulation de cet acte si, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, cette erreur n’a pas pu avoir une influence déterminante quant au résultat (voir, en ce sens, arrêts du 14 mai 2002, Graphischer Maschinenbau/Commission, T‑126/99, EU:T:2002:116, point 49 et jurisprudence citée, et du 10 avril 2024, Columbus Stainless/Commission, T‑445/22, non publié,
EU:T:2024:228, point 104 et jurisprudence citée). De même, le Tribunal a eu l’occasion de juger que, quelle que soit l’ampleur des erreurs que peut présenter la décision attaquée, elles ne peuvent pas en entraîner l’annulation si, et dans la mesure où, l’ensemble des autres éléments contenus dans cette décision permet au Tribunal de considérer comme établi que, en tout état de cause, les arguments présentés par la requérante n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause
la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 22 octobre 2002, Schneider Electric/Commission, T‑310/01, EU:T:2002:254, point 412).
113 Il convient dès lors d’examiner si l’erreur commise par la Commission relevée au point 92 ci-dessus, en ce qu’elle a écarté comme dépourvu de pertinence le chiffre d’affaires réalisé par ByteDance dans l’Union, a pu avoir une influence déterminante, dans les circonstances particulières du cas d’espèce, sur le rejet, par la Commission, des arguments présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA.
114 À cet égard, premièrement, force est de constater que l’erreur commise par la Commission, relevée au point 92 ci-dessus, n’entache que le considérant 121 de la décision attaquée. En revanche, la requérante n’a pas démontré que les autres considérants de ladite décision, sur le fondement desquels la Commission a rejeté l’ensemble des autres arguments présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, sont entachés d’erreurs, ainsi qu’il
ressort des points 93 à 110 ci-dessus.
115 Deuxièmement, comme il a été souligné au point 85 ci-dessus, le fait que le seuil de chiffre d’affaires réalisé dans l’Union ne soit pas atteint au cours de chacun des trois derniers exercices ne suffit pas, à lui seul, pour remettre manifestement en cause la présomption établie à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA. Or, aucun des autres éléments avancés par la requérante n’a prospéré.
116 Troisièmement, l’ensemble des autres éléments contenus dans la décision attaquée et pris en compte par la Commission pour conclure que ByteDance avait un potentiel important de monétiser ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche demeurent valides nonobstant son chiffre d’affaires réalisé dans l’Union, lequel, bien que sous le seuil prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA, n’a tout de même pas cessé d’augmenter, comme cela est exposé aux points 84 et 107 ci-dessus (voir
également considérant 98 de la décision attaquée), ce que la requérante ne conteste d’ailleurs pas. En effet, il ressort des considérants 121, 123 et 124 de ladite décision que la juste valeur marchande de ByteDance était « largement supérieure » au seuil de 75 milliards d’euros, que le nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices dans l’Union a continué d’augmenter au cours des trois derniers exercices, dépassant de loin les seuils énoncés à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du
DMA (voir point 107 ci-dessus) et que, compte tenu de ces circonstances, la Commission a conclu que les arguments de la requérante n’étaient pas susceptibles de réfuter le potentiel important de ByteDance de monétiser ses utilisateurs dans l’Union dans un avenir proche.
117 Dans ces circonstances, l’erreur commise par la Commission, relevée au point 92 ci-dessus, n’a pas pu avoir une influence déterminante quant à la conclusion de la Commission selon laquelle les arguments présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous a), du DMA n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause ladite présomption et reste, dès lors, sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
118 Partant, il convient de rejeter la deuxième branche du premier moyen comme non fondée.
5. Sur la remise en cause de la présomption selon laquelle TikTok était un point d’accès majeur (premier moyen, troisième branche)
119 La requérante soutient que, aux considérants 125 à 154 de la décision attaquée, la Commission a enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous b), et l’article 3, paragraphe 5, du DMA, en rejetant ses arguments visant à démontrer que TikTok n’était pas un point d’accès majeur.
120 La présente branche s’articule en quatre griefs pris en substance de ce que, premièrement, contrairement à d’autres entreprises actives dans le secteur numérique, ByteDance ne dispose pas d’un écosystème et ne bénéficie pas d’effets de réseau importants, deuxièmement, une partie importante des utilisateurs de TikTok opte pour un multihébergement, c’est-à-dire qu’ils utilisent, outre TikTok, une ou plusieurs autres plateformes, de sorte qu’il n’existe pas d’effets de verrouillage significatifs,
troisièmement, TikTok a une échelle plus petite que celle de certains autres services de réseaux sociaux en ligne, tels que Facebook et Instagram, et, quatrièmement, le niveau d’interaction des annonceurs et des entreprises utilisatrices enregistrées avec la plateforme TikTok est faible. Selon elle, ces éléments démontrent que TikTok n’était pas un point d’accès majeur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA.
a) Sur l’absence alléguée d’écosystème et d’effets de réseau importants
1) Arguments des parties
121 La requérante soutient en substance que, contrairement à d’autres entreprises actives dans le secteur numérique, ByteDance ne dispose pas d’un écosystème et ne bénéficie pas d’effets de réseau importants, ce qui remettait en cause, selon elle, la présomption selon laquelle TikTok était un point d’accès majeur. Or, aux considérants 127 à 133 de la décision attaquée, la Commission aurait erronément rejeté ses arguments.
122 La Commission conteste l’argumentation de la requérante en reprenant, en substance, les motifs figurant aux considérants 127 à 133 de la décision attaquée, dont le contenu est rappelé ci-après.
2) Décision attaquée
123 Aux considérants 127 à 129 de la décision attaquée, la Commission a noté que l’argument de la requérante selon lequel, contrairement à d’autres entreprises telles que Meta et Alphabet, ByteDance ne disposait pas d’un écosystème, concernait la capacité de ces entreprises à vendre de la publicité en ligne grâce à leurs écosystèmes et l’a rejeté comme dépourvu de pertinence au motif que le SPE en cause était un service de réseau social en ligne et non un service de publicité en ligne, ces deux
catégories de SPE étant distinguées dans le DMA.
124 En tout état de cause, la Commission a considéré que l’argumentation de la requérante n’était pas susceptible de remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA pour les raisons suivantes.
125 Premièrement, aux considérants 130 et 131 de la décision attaquée, la Commission a relevé que rien dans le DMA n’indiquait que l’existence d’un écosystème était un prérequis absolu pour qu’un SPE puisse être considéré comme étant un point d’accès majeur et que la notion d’« écosystème » comprenait différents modèles d’entreprises de sorte que chaque écosystème devait être examiné au cas par cas. En outre, elle a relevé qu’il pouvait y avoir plus d’un contrôleur d’accès dans une catégorie
spécifique de SPE et que rien dans le DMA n’indiquait que le simple fait que certains contrôleurs d’accès étaient capables de monétiser un service mieux que d’autres signifierait que ces derniers ne seraient pas un point d’accès majeur dans cette catégorie de SPE.
126 Deuxièmement, au considérant 132 de la décision attaquée, la Commission a constaté que ByteDance possédait son propre écosystème composé de services très populaires d’édition de vidéos, de logiciels d’entreprise et d’applications publicitaires, d’actualités et de soins de santé, étant précisé que, selon la Commission, certains des services fournis par ByteDance, tels que son application d’édition de vidéos CapCut, auraient connu un grand succès dans l’Union.
127 Troisièmement, et en tout état de cause, la Commission a relevé, au considérant 133 de la décision attaquée, que le nombre d’utilisateurs finaux de TikTok avait augmenté de [45] millions en 2020 à 125 millions en 2022 et que TikTok avait déjà atteint la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram, bien qu’elle ne disposait pas d’un écosystème de la taille de celui de Meta.
3) Appréciation du Tribunal
128 Le DMA ne contient pas de définition du terme « écosystème ». Néanmoins, le contenu de cette notion peut être déduit des considérants 3, 32 et 64 du DMA, dont il ressort, en substance, qu’un écosystème de plateformes numériques peut consister en un, voire plusieurs SPE ainsi que d’autres services connectés à ceux-ci, par exemple par des liens technologiques ou l’interopérabilité, ce qui est susceptible d’exacerber les barrières à l’entrée pour les concurrents de ces entreprises et d’augmenter
les coûts de changement de fournisseur pour les utilisateurs finaux, rendant ces entreprises plus difficiles à concurrencer ou à en contester la position par des opérateurs du marché existants ou nouveaux.
129 Ainsi, un « écosystème » numérique existe lorsque plusieurs catégories de fournisseurs, de clients et de consommateurs sont réunies et interagissent au sein d’une plateforme, les produits ou services composant cet écosystème pouvant s’imbriquer ou être connectés les uns aux autres en considération de leur complémentarité horizontale ou verticale.
130 Il ressort du considérant 3 du DMA que l’une des caractéristiques de certains contrôleurs d’accès est précisément le fait qu’ils exercent un contrôle sur des écosystèmes de plateformes entiers au sein de l’économie numérique.
131 Il s’ensuit que le fait de disposer d’un écosystème de plateformes numériques pourrait constituer un élément pertinent aux fins d’évaluer si l’entreprise concernée constitue un contrôleur d’accès et si, plus particulièrement, le SPE en cause constitue un point d’accès majeur.
132 Il convient toutefois de préciser, à l’instar de la Commission au considérant 130 de la décision attaquée, que l’existence d’un écosystème est l’une parmi les caractéristiques typiques de « certains » contrôleurs d’accès mentionnées aux considérants 2 et 3 du DMA. De même, aucune disposition ou considérant du DMA ne suggère que, pour être désignée en tant que contrôleur d’accès, une entreprise doit nécessairement contrôler un écosystème de plateformes. Au contraire, en prévoyant qu’« un [SPE] »
peut constituer un point d’accès majeur, l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA implique qu’un SPE peut, à lui seul, constituer un tel point, sans qu’il fasse nécessairement partie d’un écosystème.
133 Partant, le fait qu’un SPE ne s’inscrive pas dans un écosystème ne suffit pas pour démontrer que ce SPE n’est pas un point d’accès majeur.
134 Il convient également de préciser que ce sont les avantages ou désavantages associés à l’existence ou à l’absence d’un écosystème qui permettent d’apprécier si le SPE concerné constitue un point d’accès majeur, et non la simple existence ou absence d’un écosystème en tant que telles. En effet, comme l’a relevé à juste titre la Commission au considérant 130 de la décision attaquée, la notion même d’« écosystème » comprend différents modèles commerciaux. Par conséquent, chaque écosystème doit
faire l’objet d’un examen au cas par cas, compte tenu des avantages ou de l’absence d’avantages découlant d’un tel modèle commercial, notamment en ce qui concerne la contestabilité.
135 Ces précisions étant faites, il convient d’examiner, en premier lieu, si la requérante a suffisamment étayé son affirmation selon laquelle ByteDance ne dispose pas d’un écosystème.
136 En effet, l’ensemble de l’argumentation de la requérante concernant les considérants 127 à 133 de la décision attaquée repose sur la prémisse que ByteDance n’en dispose d’aucun. Ainsi, elle conteste la constatation opérée par la Commission au considérant 132 de ladite décision, selon laquelle ByteDance disposait d’un écosystème composé de services très populaires d’édition de vidéos, de logiciels d’entreprise et d’applications publicitaires, d’actualités et de soins de santé, dont notamment
CapCut, en faisant valoir que tel n’est pas le cas et que, en tout état de cause, la Commission n’a pas motivé à suffisance de droit sa conclusion sur ce point.
137 La Commission rétorque notamment que, au cours de la procédure administrative, la requérante n’a pas étayé son affirmation selon laquelle ByteDance ne disposait pas d’écosystème.
138 À cet égard, premièrement, il y a lieu de rappeler que la charge de la preuve pour renverser les présomptions établies par l’article 3, paragraphe 2, du DMA pèse sur l’entreprise concernée, ainsi qu’il a été relevé au point 59 ci-dessus.
139 Partant, il appartenait à la requérante d’étayer à suffisance de droit son argument selon lequel ByteDance ne disposait pas d’un écosystème et de préciser l’incidence de cette circonstance sur la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
140 Interrogée dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure à cet égard, la requérante a répondu avoir, au cours de la procédure administrative, étayé son argument selon lequel ByteDance ne disposait pas d’un écosystème, en renvoyant à certains documents qu’elle avait présentés au cours de ladite procédure.
141 Toutefois, il convient de constater que, dans les documents en cause, la requérante s’est limitée en substance à affirmer que, contrairement à certains concurrents, notamment Meta et Alphabet, ByteDance ne disposait pas d’un écosystème, sans pour autant apporter des éléments étayés permettant de considérer que les différents services numériques que ByteDance fournissait dans l’Union ne s’inscrivaient pas dans un écosystème au vu des critères rappelés aux points 128 et 129 ci-dessus.
142 Certes, il ne saurait être exigé que, afin de renverser une présomption, l’entreprise concernée entreprenne des démarches excessives ou irréalistes (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 21 janvier 2016, Eturas e.a., C‑74/14, EU:C:2016:42, point 41).
143 Toutefois, l’exigence d’étayer son affirmation selon laquelle ByteDance ne disposait pas d’écosystème ne revient pas à imposer à la requérante des démarches excessives ou irréalistes. En effet, il lui était tout à fait loisible d’expliquer quels étaient les services numériques que ByteDance fournissait dans l’Union et de décrire les rapports entre eux à la lumière des critères rappelés aux points 128 et 129 ci-dessus, d’autant plus que, en tant que fournisseur de ces services, elle était dans la
meilleure position pour le faire.
144 Ainsi, force est de constater, comme le relève à juste titre la Commission dans le cadre du présent litige, que la requérante, à qui incombait la charge de la preuve, n’a pas étayé son argument selon lequel ByteDance ne disposait pas d’un écosystème dont TikTok faisait partie.
145 Partant, la requérante n’ayant pas démontré la prémisse sur laquelle repose l’ensemble de son argumentation concernant les considérants 127 à 133 de la décision attaquée, il convient de rejeter ladite argumentation comme inopérante, sans qu’il soit besoin d’examiner si le considérant 132 de la décision attaquée est suffisamment motivé.
146 En deuxième lieu, et en tout état de cause, à supposer même que ByteDance ne dispose pas d’écosystème, comme le prétend la requérante, la conclusion de la Commission demeure tout de même valide.
147 Certes, comme le fait valoir la requérante, les motifs exposés aux considérants 127 à 129 de la décision attaquée ne répondent pas intégralement aux arguments qu’elle avait avancés dans la notification. En effet, il ressort de celle-ci qu’elle avait énuméré plusieurs avantages associés au fait de disposer d’un écosystème, dont l’un concernait la vente de publicité en ligne. Il s’ensuit que son argumentation tirée de la prétendue absence d’écosystème n’était pas limitée aux avantages liés à la
vente de publicité en ligne, contrairement à ce qu’a constaté la Commission au considérant 127 de ladite décision. Ainsi, les motifs exposés aux considérants 127 à 129 de la décision attaquée procèdent d’une interprétation incomplète des arguments de la requérante.
148 Toutefois, il convient de constater que, comme l’a relevé la Commission au considérant 133 de la décision attaquée et sans que la requérante le conteste, TikTok a vu son nombre d’utilisateurs finaux augmenter de [45] millions en 2020 à 125 millions en 2022, atteignant ainsi, selon les données dont disposait la Commission, la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram, et ce même en l’absence d’écosystème ou, à tout le moins, d’un écosystème comparable à celui de Meta.
149 De même, au considérant 126 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, en termes d’échelle absolue, en 2022, TikTok dépassait de manière significative les seuils d’utilisateurs prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, avec plus de [10 000] entreprises utilisatrices et 125 millions d’utilisateurs finaux.
150 Il en découle que TikTok, laquelle n’a été lancée dans l’Union dans sa version actuelle qu’en août 2018, a réussi en peu de temps à attirer un nombre très élevé d’utilisateurs finaux, de sorte que, en 2022, ledit nombre dépassait de presque trois fois le seuil prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, ainsi qu’un nombre très élevé d’entreprises utilisatrices, à savoir plus de [10 000] en 2022, dépassant ainsi de très loin le seuil de 10000 entreprises utilisatrices prévu à
l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, en atteignant, dans un bref lapse de temps, la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram.
151 Cela tend à démontrer que l’absence alléguée d’écosystème n’a aucunement empêché TikTok de croître en termes tant absolus que relatifs, en suivant une tendance exponentielle à la hausse en termes de nombre d’utilisateurs.
152 En troisième lieu, contrairement à ce que prétend la requérante, l’absence d’un écosystème ne signifie aucunement que le SPE en cause soit dépourvu d’effets de réseau importants.
153 En effet, des effets de réseau se produisent lorsque la valeur d’un produit ou d’un service augmente à mesure que davantage de personnes l’utilisent. Ainsi, les réseaux sociaux en ligne génèrent des forts effets de réseaux ainsi que des avantages liés aux données lorsque, au fur et à mesure, leur nombre d’utilisateurs augmente, car, plus il y a d’utilisateurs, plus ce réseau leur est utile et sa valeur augmente aux yeux desdits utilisateurs, ce qui, à son tour, attire davantage d’utilisateurs.
En outre, plus il y a d’utilisateurs finaux d’un réseau social en ligne, plus les entreprises utilisatrices sont attirées vers celui-ci (voir, en ce sens, document de travail des services de la Commission, du 15 décembre 2020, intitulé « Rapport d’analyse d’impact accompagnant le document proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux marchés contestables et équitables dans le secteur numérique [règlement sur les marchés numériques] » [SWD(2020) 363 final, points 130
et 386]). Ainsi, une plateforme de réseau social en ligne peut générer des effets de réseau importants à lui seul, quand bien même il ne ferait pas partie d’un écosystème. En effet, aucun élément du DMA ne laisse entendre qu’un SPE ne peut produire des effets de réseau importants qu’en présence d’un écosystème. Au contraire, il découle des considérants 2 et 13 du DMA que les effets de réseau importants sont une caractéristique des SPE distincte de celle relative à l’existence d’une intégration
verticale.
154 Or, force est de constater que la requérante ne présente aucun argument autonome susceptible de suggérer que TikTok serait dépourvu d’effets de réseau importants. En effet, son argumentation est basée sur la prémisse selon laquelle l’absence alléguée d’écosystème se traduit par l’absence d’effets de réseau importants. Toutefois, comme cela est démontré aux points 152 et 153 ci-dessus, cette prémisse est erronée.
155 À cet égard, la requérante se borne à mentionner, dans la requête, sans davantage de précisions, que « TikTok ne bénéficie pas d’effets de réseau associés au ‘graphe social’ qui caractérise les vrais réseaux sociaux comme Facebook ou Instagram ». Or, cet argument n’est pas suffisamment clair.
156 Par ailleurs, en ce que cet argument semble reposer sur une distinction entre un « graphe social » et un « graphe de contenu », il suffit de constater que, ainsi que l’a relevé la Commission au considérant 57 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, le DMA ne fait pas référence à ces notions et il n’existe pas de délimitation claire entre celles-ci.
157 De même, la requérante n’explique pas pourquoi le fait que TikTok ne soit pas fondée sur un « graphe social » doit nécessairement signifier que celle-ci est dépourvue d’effets de réseau importants. Au contraire, les données rappelées aux points 33 et 107 ci-dessus tendent plutôt à démontrer le contraire.
158 Au demeurant, ainsi qu’il ressort des considérants 38 à 66 de la décision attaquée, la Commission a considéré que TikTok constituait un service de réseau social en ligne, au sens de l’article 2, point 7, du DMA, et non un service de plateforme de partage de vidéos, au sens de l’article 2, point 8, du DMA. La requérante n’a pas contesté cette qualification dans le cadre du présent recours. Or, par son argument relevé au point 155 ci-dessus, elle remet en cause, en réalité, cette qualification,
sans pourtant démontrer que les considérations figurant aux considérants 38 à 66 de ladite décision sont erronées.
159 En quatrième lieu, la requérante soutient que ce qui importe aux fins de la désignation de ByteDance en tant que contrôleur d’accès n’est pas le nombre d’utilisateurs de TikTok, mais la question de savoir si ceux-ci sont verrouillés en raison notamment de l’existence d’un écosystème, d’effets de réseau ou pour d’autres raisons.
160 Toutefois, l’absence alléguée d’écosystème ne signifie en tant que telle ni que les utilisateurs de TikTok ne sont pas verrouillés (voir point 179 ci-après) ni que TikTok est dépourvue d’effets de réseau importants (voir points 152 à 157 ci-dessus), et la requérante n’apporte pas d’éléments étayés permettant de considérer le contraire. Par conséquent, la requérante ne démontre pas que les utilisateurs de TikTok ne seraient pas verrouillés en raison de l’absence d’écosystème ou d’effets de réseau
importants.
161 Partant, même à supposer que ByteDance ne disposait pas d’un écosystème, cette circonstance n’empêche pas en elle-même, et compte tenu de ce qui précède, de considérer que TikTok était un point d’accès majeur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA, de sorte que la Commission a pu conclure, sans commettre d’erreur, que cet argument n’était pas susceptible de remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
162 Partant, il convient de rejeter le premier grief de la troisième branche du premier moyen comme non fondé.
b) Sur l’existence de multihébergement et l’absence alléguée d’effets de verrouillage
1) Arguments des parties
163 La requérante soutient, en substance, qu’une partie importante des utilisateurs de TikTok opte pour un multihébergement, ce qui démontrerait qu’il n’existe pas d’effets de verrouillage importants et que les entreprises utilisatrices de TikTok ne dépendent pas de celle-ci pour atteindre leurs utilisateurs finaux. En outre, le fait que TikTok investisse dans l’interopérabilité et encourage le multihébergement démontrerait qu’elle n’est pas un contrôleur d’accès.
164 La Commission conteste l’argumentation de la requérante en reprenant, en substance, les motifs figurant aux considérants 134 à 142 de la décision attaquée, dont le contenu est rappelé ci-après.
2) Décision attaquée
165 Au considérant 134 de la décision attaquée, la Commission a admis l’existence d’un certain degré de multihébergement par les utilisateurs finaux et les entreprises utilisatrices concernant TikTok et d’autres réseaux sociaux en ligne. Elle a toutefois considéré que cette circonstance était insuffisante pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA pour les motifs suivants.
166 Premièrement, aux considérants 135 et 136 de la décision attaquée, la Commission a relevé en substance que, si l’absence de multihébergement pouvait constituer un élément pertinent pour apprécier si un SPE est un point d’accès majeur, l’existence d’un certain degré de multihébergement n’indiquait pas en soi qu’un SPE n’était pas un tel point d’accès et ne signifiait pas que la contestabilité du marché n’était pas limitée ou que des pratiques déloyales ne pouvaient pas se produire.
167 Deuxièmement, aux considérants 137 à 139 de la décision attaquée, la Commission a constaté, en substance, que le fait que les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux utilisent en parallèle différents services des réseaux sociaux en ligne ne signifie pas qu’ils les utilisent de façon égale, étant donné que lesdits utilisateurs peuvent les utiliser de manière asymétrique. En tout état de cause, à supposer même que certains utilisateurs finaux ou entreprises utilisatrices étaient
actifs de manière similaire sur plusieurs réseaux sociaux en ligne, ce que la requérante n’aurait pas démontré, cela ne signifierait pas qu’un service de réseau social en ligne déterminé ne serait pas un point d’accès majeur permettant aux entreprises utilisatrices d’atteindre leurs utilisateurs finaux, par exemple, certains groupes démographiques d’utilisateurs finaux.
168 Troisièmement, au considérant 140 de la décision attaquée, la Commission a relevé, en substance, que la comparaison entre les dépenses publicitaires engagées par les entreprises utilisatrices sur les plateformes de TikTok, de Meta et d’Alphabet, présentée par la requérante, ne pouvait pas remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
169 Quatrièmement, au considérant 141 de la décision attaquée, la Commission a constaté que la valeur probante des données présentées par la requérante visant à démontrer que la majorité des utilisateurs de TikTok utilisent également Instagram et Facebook était limitée, au motif que ces derniers avaient un nombre plus élevé d’utilisateurs finaux et y avaient été actives avant TikTok, de sorte que, sur le plan statistique, il était permis de s’attendre à ce qu’un grand nombre d’utilisateurs de
Facebook et d’Instagram utilisent également TikTok. De plus, selon elle, ces données ne reflétaient pas l’intensité de l’utilisation des différents réseaux sociaux en ligne, étant précisé que TikTok avait un taux d’engagement plus élevé que les autres réseaux sociaux, en ce sens que lesdits utilisateurs finaux passent plus de temps sur TikTok que sur d’autres plateformes, ce qui était particulièrement le cas des jeunes utilisateurs.
170 Enfin, au considérant 142 de la décision attaquée, la Commission a relevé en substance que l’argument de la requérante selon lequel TikTok, en tant que nouvel entrant sur le marché, investit dans l’interopérabilité et encourage le multihébergement était invoqué à l’appui de l’argumentation de la requérante concernant le multihébergement en général et devait donc être rejeté pour les mêmes considérations que celles exposées aux considérants 134 à 141 de ladite décision.
3) Appréciation du Tribunal
171 Il convient de relever que, dans le contexte des services numériques en général et des plateformes en ligne en particulier, la notion de « multihébergement » décrit la situation dans laquelle les utilisateurs utilisent en parallèle plusieurs services numériques concurrents, en l’espèce des services de réseaux sociaux en ligne.
172 Il ressort du considérant 2 du DMA que les SPE se distinguent des autres services numériques par certaines caractéristiques qui permettent aux entreprises qui les fournissent de les exploiter, telles que leurs économies d’échelle extrêmes, qui résultent souvent de coûts marginaux presque nuls pour ajouter des entreprises utilisatrices ou des utilisateurs finaux, leurs effets de réseau très importants, leur capacité de relier de nombreuses entreprises utilisatrices avec de nombreux utilisateurs
finaux grâce à leur caractère multiface, un degré considérable de dépendance des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux, des effets de verrouillage, l’absence de multihébergement aux mêmes fins par les utilisateurs finaux, l’intégration verticale et les avantages liés aux données.
173 Le considérant 13 du DMA explique que la faible contestabilité et les pratiques déloyales dans le secteur numérique sont plus fréquentes et prononcées pour certains services numériques que pour d’autres et que c’est le cas en particulier pour les services numériques répandus et couramment utilisés qui servent, pour la plupart, d’intermédiaires directs entre les entreprises utilisatrices et les utilisateurs finaux, et qui se caractérisent principalement par des facteurs tels que ceux rappelés au
point 172 ci-dessus.
174 Il s’ensuit que l’absence de multihébergement et l’existence d’effets de verrouillage sont des facteurs pertinents, parmi d’autres, susceptibles de caractériser un contrôleur d’accèsfournissant un SPE qui constitue un point d’accès majeur.
175 Cela étant, il convient de préciser, d’une part, que les facteurs énumérés à titre d’exemple dans les considérants 2 et 13 du DMA ne constituent pas des conditions sine qua non pour qu’un SPE puisse être considéré comme un point d’accès majeur.
176 D’autre part, lorsque l’entreprise concernée présente des arguments relatifs aux facteurs énumérés à titre d’exemple dans les considérants 2 et 13 du DMA, il convient de tenir compte, conformément à l’article 3, paragraphe 5, du DMA, des circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère.
177 Ainsi, l’existence ou l’absence de multihébergement ou d’effets de verrouillage ne doit pas être examinée abstraitement, mais par rapport aux circonstances dans lesquelles le SPE concerné opère.
178 En outre, il convient de tenir compte des caractéristiques spécifiques et concrètes du multihébergement en cause. En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 137 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, le seul fait que les utilisateurs d’une plateforme de réseau social en ligne utilisent en parallèle d’autres plateformes de réseau social en ligne ne signifie pas que ces différentes plateformes revêtent la même importance pour eux. Ainsi, comme il ressort en
substance des considérants 138, 139 et 141 de ladite décision, l’intensité dudit usage, c’est-à-dire le temps passé par un utilisateur en interagissant sur ladite plateforme, ou encore l’importance d’une telle plateforme pour certaines catégories d’utilisateurs pourraient constituer, parmi d’autres facteurs et selon le cas, des facteurs pertinents à prendre en considération pour apprécier si l’existence d’un certain degré de multihébergement permet de remettre manifestement en cause la
présomption selon laquelle le SPE concerné constitue un point d’accès majeur.
179 Il importe également de souligner que les effets de verrouillage qu’une plateforme de réseau social en ligne peut produire à l’égard de ses utilisateurs est un facteur distinct de celui relatif à l’existence ou l’absence de multihébergement, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 13 du DMA. En effet, de tels effets pourraient se produire même en présence de multihébergement, en fonction, par exemple, des effets de réseau importants générés par la plateforme en cause, de l’intensité
d’utilisation d’une plateforme donnée de réseau social en ligne, de l’engagement plus prononcé de certaines catégories d’utilisateurs avec ladite plateforme ou encore des biais comportementaux dont certains groupes d’utilisateurs pourraient faire preuve à l’égard d’une telle plateforme, à laquelle ils pourraient être particulièrement attachés. En outre, même en présence de multihébérgement, certains utilisateurs pourraient devoir faire face à des coûts de changement lorsqu’ils réorientent leurs
activités d’une plateforme vers une autre, tels que ceux liés à l’adaptation de leur contenu au format et à l’algorithme des différentes plateformes, ainsi que la Commission l’a relevé à juste titre aux considérants 136 à 139 de la décision attaquée.
180 Il s’ensuit que, si l’existence ou l’absence de multihébergement et d’effets de verrouillage pourraient constituer, selon le cas, des éléments pertinents pour apprécier si la présomption selon laquelle le SPE concerné constitue un point d’accès majeur est susceptible d’être manifestement remise en cause, il faut tenir compte des caractéristiques spécifiques et concrètes dudit multihébérgement et des effets de verrouillage telles qu’elles se manifestent dans les circonstances dans lesquelles le
SPE concerné opère.
181 C’est à la lumière de ce qui précède qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.
182 En premier lieu, il découle des points 174 à 177 ci-dessus que la Commission a relevé à juste titre, aux considérants 135 et 136 de la décision attaquée, que, même si l’absence de multihébergement peut constituer un élément pertinent pour apprécier si un SPE est un point d’accès majeur, l’existence d’un certain degré de multihébergement n’indique pas en soi qu’un SPE n’est pas un tel point d’accès. Ainsi, la pertinence de ce facteur, en tant qu’élément à prendre en considération aux fins de
déterminer si un SPE est un tel point d’accès, est susceptible de varier en fonction des différentes catégories de SPE.
183 À cet égard, ainsi que l’a expliqué la Commission dans sa réponse à une mesure d’organisation de la procédure, sans que cela soit contesté par la requérante, pour certaines catégories de SPE, telles que les services de réseaux sociaux en ligne, le multihébergement est une pratique répandue. Or, si la simple existence de multihébérgement devait revêtir une importance particulière aux fins de déterminer si un réseau social en ligne constitue un point d’accès majeur, cela aurait pour conséquence
qu’aucun ou presqu’aucun service de réseau social en ligne ne serait considéré comme étant un tel point d’accès, ce qui irait à l’encontre du libellé et de la ratio legis du DMA, qui inclut les services de réseaux sociaux en ligne parmi les SPE couverts par l’article 2, point 2, sous c), du DMA.
184 La prévalence du multihébergement parmi les utilisateurs des réseaux sociaux en ligne est illustrée par les données présentées par la requérante elle-même. En effet, il en ressort que tous les réseaux sociaux en ligne mentionnés par elle présentent des degrés élevés de multihébergement, dans la mesure où plus de 65 % des utilisateurs finaux de ceux-ci utilisent simultanément deux autres plateformes.
185 Il s’ensuit que, compte tenu des caractéristiques du SPE concerné, la simple existence de multihébergement, même dans des proportions importantes, ne suffit pas en elle-même pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
186 En deuxième lieu, et ainsi qu’il découle du point 178 ci-dessus, les appréciations de la Commission figurant aux considérants 137 à 139 de la décision attaquée, selon lesquelles, en substance, l’usage parallèle de différents services de réseaux sociaux en ligne n’implique pas un usage égal, étant donné que les utilisateurs présents sur plus d’un réseau social peuvent les utiliser de manière asymétrique, ne sont pas entachées d’erreur.
187 En outre, comme le relève la Commission au considérant 138 de la décision attaquée, le fait que la plupart des créateurs de contenu sur TikTok pratiquent le multihébergement ne donne aucune indication sur l’importance de chaque plateforme, lesdits créateurs de contenu pouvant, par exemple, être principalement actifs sur TikTok et n’utiliser d’autres plateformes que de manière limitée. Ainsi, la Commission pouvait constater à juste titre que, comme les créateurs de contenu ont un intérêt à voir
leur exposition accroître vers un public aussi large que possible, le fait qu’ils optent pour un multihébergement n’est pas surprenant. De même, elle pouvait relever à bon escient que, dans la mesure où certains créateurs de contenu focalisent la plupart de leurs activités sur une plateforme donnée, ceux-ci pourraient devoir faire face à des coûts de changement s’ils décident de réorienter leurs activités vers une autre plateforme, liés notamment à la nécessité d’attirer un public ou d’adapter
leur contenu au format et à l’algorithme de différentes plateformes.
188 Enfin, ainsi qu’il ressort des considérants 139 et 141 de la décision attaquée, en substance, même si certains utilisateurs utilisaient plusieurs réseaux sociaux en ligne de manière similaire, un service de réseau social en ligne déterminé pourrait tout de même constituer un point d’accès majeur en ce qu’il permettrait aux entreprises utilisatrices d’atteindre notamment un certain groupe démographique d’utilisateurs finaux, tels que les plus jeunes.
189 Or, il convient de relever que les arguments et les éléments de preuve présentés par la requérante, sur qui pèse la charge de la preuve, au cours de la procédure administrative, ne concernaient que l’existence de multihébergement en général, et non l’intensité de l’usage des différentes plateformes de réseaux sociaux en ligne.
190 Dans le cadre du présent recours, la requérante se limite en outre à affirmer que la Commission aurait dû prendre en compte le fait que l’intensité de l’utilisation de TikTok « en tant que réseau social » serait pratiquement nulle, car l’objectif principal de cette plateforme serait d’offrir des services de partage de vidéos.
191 Or, cet argument ne peut qu’être rejeté.
192 D’une part, par son argument relevé au point 190 ci-dessus, la requérante remet en cause, en réalité, la qualification de TikTok de service de réseau social en ligne, sans pourtant démontrer que les considérations figurant aux considérants 38 à 66 de la décision attaquée sont erronées.
193 D’autre part, conformément à l’article 2, point 7, du DMA, la notion de « service de réseaux sociaux en ligne » est définie comme une plateforme permettant aux utilisateurs finaux de se connecter ainsi que de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils et, en particulier, au moyen de conversations en ligne (chats), de publications (posts), de vidéos et de recommandations. Il s’ensuit que l’une des fonctions
essentielles d’un réseau social en ligne est celle de permettre le partage et la découverte de contenus et notamment de vidéos. Ainsi, les éléments concernant le partage et la découverte de vidéos sur TikTok sont tout à fait pertinents pour apprécier l’intensité d’utilisation par les utilisateurs finaux de cette plateforme.
194 Partant, il y a lieu de conclure que les appréciations de la Commission figurant aux considérants 137 à 139 de la décision attaquée ne sont pas entachées d’erreur.
195 En troisième lieu, la Commission pouvait affirmer à juste titre, au considérant 141 de la décision attaquée, que la valeur probante des données présentées par la requérante montrant que la majorité des utilisateurs de TikTok utilisent également Instagram et Facebook était limitée.
196 À cet égard, la requérante présente des données selon lesquelles environ 82 % et 77 % des utilisateurs finaux de TikTok utilisent aussi, respectivement, Instagram et Facebook, alors que 38 % et 48 % des utilisateurs finaux, respectivement, de Facebook et d’Instagram, utilisent aussi TikTok. Elle fait observer que la nature asymétrique du multihébergement démontre que, à la différence de « vrais réseaux sociaux » tels que Facebook ou Instagram, TikTok ne bénéficie pas d’effets de réseau et de
verrouillage.
197 Toutefois, d’une part, et ainsi qu’il a été relevé au point 184 ci-dessus, les données présentées par la requérante font état de degrés élevés de multihébergement parmi toutes les plateformes mentionnées, dans la mesure où plus de 65 % des utilisateurs finaux de celles-ci utilisent simultanément deux autres plateformes.
198 D’autre part, et ainsi qu’il est expliqué au considérant 141 de la décision attaquée, le caractère asymétrique du multihébergement, en ce qui concerne les utilisateurs de TikTok, peut s’expliquer par le contexte économique et historique dans lequel les réseaux sociaux en ligne opèrent dans l’Union. En effet, il est constant que Facebook et Instagram avaient été actifs dans l’Union longtemps avant TikTok et que ces premiers disposaient déjà d’une base importante d’utilisateurs dans l’Union avant
le lancement de TikTok sur le marché intérieur. Dans ces circonstances, il fallait s’attendre à ce qu’une grande partie des utilisateurs de TikTok utilisaient déjà, avant le lancement de TikTok, Facebook et Instagram et continuaient à les utiliser simultanément par la suite.
199 De surcroît, comme l’a relevé la Commission au considérant 141 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, les données présentées par celle-ci ne reflètent pas l’intensité de l’utilisation des différents réseaux sociaux en ligne, d’autant plus que, comme l’a également relevé la Commission dans ce cadre, TikTok bénéficiait d’un taux d’engagement plus élevé que les autres réseaux sociaux, les utilisateurs finaux, notamment les jeunes, passant plus de temps sur TikTok
que sur d’autres réseaux sociaux.
200 En tout état de cause, la requérante n’a pas démontré que la nature asymétrique du multihébergement pratiqué par les utilisateurs de TikTok, d’une part, et de Facebook et Instagram, d’autre part, était due non au contexte économique et historique dans lequel opèrent les réseaux sociaux en ligne dans l’Union (voir point 198 ci-dessus), mais à l’absence d’effets de réseau et de verrouillage sur TikTok.
201 D’une part, ainsi qu’il a été relevé aux points 152 à 157 ci-dessus, la requérante n’a pas présenté d’éléments étayés permettant de considérer que TikTok ne bénéficiait pas d’effets de réseau importants.
202 D’autre part, la requérante ne présente aucun argument autonome relatif à l’absence alléguée d’effets de verrouillage associés à TikTok. En effet, son argumentation est basée sur la prémisse selon laquelle l’existence d’un degré important de multihébergement démontre en soi l’absence d’effets de verrouillage. Toutefois, pour les raisons exposées au point 179 ci-dessus, cette prémisse est erronée.
203 De même, la référence au fait que TikTok n’opère pas sur la base d’un « graphe social », ne saurait prospérer pour les raisons exposées aux points 155 à 157 ci-dessus.
204 En quatrième lieu, la requérante fait valoir que ByteDance a mis en place, sur TikTok, plusieurs mécanismes afin de permettre à ses utilisateurs de republier et de publier simultanément du contenu sur d’autres plateformes, ainsi que de connecter leurs comptes sur d’autres plateformes à leurs comptes sur TikTok. Selon elle, le fait d’avoir encouragé le multihébergement démontre qu’elle est un nouvel entrant sur le marché cherchant à attirer davantage d’utilisateurs et qu’elle n’est pas un
contrôleur d’accès disposant d’un SPE qui est un point d’accès majeur.
205 Dans la décision attaquée, la Commission a rejeté à juste titre, au considérant 142, cet argument pour les mêmes raisons que celles justifiant le rejet de ses arguments relatifs à l’existence d’un multihébergement.
206 En effet, la mise en place de tels mécanismes peut s’expliquer notamment par le fait que TikTok n’a été lancée dans l’Union, dans sa version actuelle, qu’en août 2018 et qu’elle a donc cherché à attirer davantage d’utilisateurs qui utilisaient déjà d’autres plateformes. En outre, ainsi que l’a confirmé la requérante lors de l’audience, d’autres services de réseaux sociaux en ligne permettent également à leurs utilisateurs de republier et de publier simultanément sur des plateformes concurrentes.
207 Dans ces circonstances, le fait que ByteDance permette aux utilisateurs de TikTok de republier et de publier simultanément du contenu sur d’autres plateformes, ainsi que de connecter leurs comptes sur d’autres plateformes à leurs comptes sur TikTok, ne suffit pas pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
208 En cinquième lieu, la requérante fait valoir que ses arguments démontrent, de manière générale, que les entreprises utilisatrices de TikTok ne « dépendent » pas de cette plateforme pour atteindre leurs utilisateurs finaux, car elles disposent de moyens alternatifs pour ce faire, comme le confirme le fait qu’une grande partie d’entre eux optent pour un multihébergement. Cela signifierait que TikTok n’est pas un point d’accès majeur au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA.
209 À cet égard, il ressort en substance du considérant 20 du DMA qu’une entreprise doit, en principe, être considérée comme fournissant un SPE qui constitue un point d’accès majeur lorsque ledit SPE dispose d’un nombre très important d’entreprises utilisatrices qui dépendent de ce SPE pour atteindre un très grand nombre d’utilisateurs finaux, car cette circonstance permet à l’entreprise fournissant ce SPE d’exercer à son avantage une influence sur les activités d’une large part de ces entreprises
utilisatrices.
210 Cependant, pour considérer que les entreprises utilisatrices d’un SPE « dépendent » de ce dernier pour atteindre leurs utilisateurs finaux, il n’est pas nécessaire que ledit SPE soit le seul canal par lequel ces entreprises peuvent atteindre ces utilisateurs. Il suffit qu’il s’agisse d’un canal important à cette fin, auquel lesdites entreprises utilisatrices ne peuvent accéder que si elles disposent d’un compte sur ce SPE.
211 Tel est précisément le cas en l’espèce. D’une part, il n’est pas contesté que TikTok dispose d’un nombre très important d’entreprises utilisatrices et d’utilisateurs finaux. D’autre part, il n’est pas non plus contesté, comme la requérante l’a confirmé lors de l’audience, qu’une entreprise utilisatrice de TikTok ne peut accéder à ses utilisateurs finaux que si elle est elle-même enregistrée sur TikTok. Ainsi, notamment, cette entreprise utilisatrice ne peut pas accéder auxdits utilisateurs
finaux à partir de son compte enregistré sur une autre plateforme.
212 L’argument de la requérante tiré de l’absence de « dépendance » des entreprises utilisatrices de TikTok pour atteindre sur cette plateforme les utilisateurs finaux doit donc être rejeté.
213 Enfin, l’argument de la requérante relatif aux dépenses publicitaires des annonceurs sur TikTok par rapport à celles des annonceurs sur les plateformes d’Alphabet et de Meta, auquel la Commission a répondu au considérant 140 de la décision attaquée, se recoupe avec ses arguments relatifs à l’interaction prétendument faible des annonceurs avec la plateforme TikTok, lesquels ont été appréciés dans une partie distincte de la décision attaquée et seront donc examinés aux points 248 à 285 ci-après.
214 Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis d’erreur en rejetant les arguments et les éléments de preuve de la requérante relatifs à l’existence de multihébergement et à l’absence alléguée d’effets de verrouillage au motif qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
215 Partant, il convient de rejeter le deuxième grief de la troisième branche du premier moyen comme non fondé.
c) Sur l’échelle plus petite de TikTok en comparaison avec celle d’autres plateformes et le grand nombre de concurrents
1) Arguments des parties
216 La requérante soutient en substance que TikTok a une échelle plus petite que celle de certains autres services de réseaux sociaux en ligne, tels que Facebook et Instagram, et qu’elle doit faire face à un grand nombre de concurrents.
217 La Commission conteste l’argumentation de la requérante en reprenant en substance les motifs figurant aux considérants 143 à 146 de la décision attaquée, dont le contenu est rappelé ci-après.
2) Décision attaquée
218 En premier lieu, aux considérants 143 à 146 de la décision attaquée, la Commission a considéré que l’argument de la requérante selon lequel l’échelle de TikTok dans l’Union était plus petite que celles d’autres plateformes en termes de recettes, de nombre d’utilisateurs finaux et de revenu moyen par utilisateur (ci-après l’« ARPU ») n’était pas susceptible de remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
219 À cet égard, premièrement, aux considérants 144 et 145 de la décision attaquée, la Commission a relevé que l’argument de la requérante relatif à la taille de TikTok en termes de recettes et d’ARPU était dépourvu de pertinence, car il concernait les recettes tirées de la publicité en ligne, et que l’échelle relative mesurée sur la base des recettes et d’ARPU n’était pas un bon indicateur pour évaluer si un SPE constituait un point d’accès majeur.
220 Deuxièmement, au considérant 146 de la décision attaquée, la Commission a constaté que l’échelle absolue de TikTok en termes de nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices dans l’Union dépassait largement les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA et que l’échelle relative de TikTok, c’est-à-dire l’échelle de TikTok par rapport à celle d’autres services de réseaux sociaux en ligne, en termes de nombre d’utilisateurs finaux, n’était pas petite, celle-ci étant
égale environ à la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram. Elle a ajouté que le seul fait que TikTok soit plus petite que d’autres plateformes ne suffisait pas pour renverser la présomption prévue par ladite disposition, dans la mesure où le nombre d’utilisateurs finaux de TikTok dans l’Union avait augmenté dans les années précédentes et où TikTok jouissait d’un taux d’engagement plus élevé que d’autres réseaux sociaux en ligne, en particulier parmi les jeunes utilisateurs.
221 En second lieu, aux considérants 150 à 154 de la décision attaquée, la Commission a rejeté l’argument de la requérante selon lequel, en substance, TikTok devait faire face à un grand nombre de concurrents, dont certains disposaient d’écosystèmes bien établis.
3) Appréciation du Tribunal
222 Parmi les éléments mentionnés au considérant 23 du DMA que la Commission peut prendre en considération dans le cadre de son examen des arguments présentés par l’entreprise concernée pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA figure notamment l’« importance du [SPE] de [l’entreprise concernée], compte tenu de l’échelle globale des activités du [SPE] concerné ». Ce considérant ne précise toutefois pas les paramètres sur la base desquels l’importance et
l’échelle du SPE en cause doivent être mesurées.
223 En l’espèce, la requérante soutient que TikTok ne constitue pas un point d’accès majeur, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous b), du DMA, au motif que TikTok aurait une taille plus réduite que celles d’autres plateformes bien établies, en termes, d’une part, de recettes publicitaires et d’ARPU et, d’autre part, de nombre d’utilisateurs finaux.
224 À cet égard, en premier lieu, la Commission a considéré, au considérant 146 de la décision attaquée, sans commettre d’erreur et sans que la requérante conteste les données mentionnées par la Commission audit considérant, que l’échelle absolue de TikTok en termes de nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices dans l’Union dépassait largement les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA et que l’échelle relative de TikTok n’était pas petite, dans la mesure où
celle-ci avait atteint environ la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram. De surcroît, le nombre d’utilisateurs de TikTok dans l’Union n’a cessé d’augmenter au cours des dernières années.
225 En outre, au considérant 153 de la décision attaquée, la Commission a relevé, sans que cela soit contesté par la requérante, que le nombre d’entreprises utilisatrices de TikTok dans l’Union a également augmenté de manière très significative depuis l’année 2020, dépassant, lui aussi, très largement le seuil prévu à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, ce qui indique que l’importance de TikTok pour les entreprises utilisatrices a aussi augmenté depuis 2020.
226 Dans le cadre du présent recours, la requérante présente de nouveaux arguments et de nouvelles données, qu’elle n’avait pas présentés au cours de la procédure administrative, visant à démontrer la prétendue petite échelle de TikTok par rapport à d’autres plateformes en ligne.
227 Tout d’abord, la requérante fait valoir que le nombre des utilisateurs finaux de TikTok dans l’Union en 2022 ne représenterait que [5-10] % du nombre total combiné d’utilisateurs finaux des plateformes en ligne suivantes : Facebook, Instagram, YouTube, Snapchat, Twitter, Pinterest, LinkedIn, Reddit et TikTok.
228 Ensuite, la requérante relève que, dans la décision attaquée, contrairement à ce qu’exige le considérant 23 du DMA, la Commission n’a pas comparé TikTok avec l’échelle globale des activités des services de réseaux sociaux en ligne, mais s’est limitée à comparer celle-ci avec Instagram et Facebook.
229 Enfin, la requérante fait valoir que la Commission aurait dû également tenir compte des services de partage de vidéos en ligne, notamment de DailyMotion et de Vimeo.
230 C’est sur cette base comparative que la requérante considère que la Commission aurait dû conclure que l’échelle relative réduite de TikTok démontrait qu’elle n’était pas un point d’accès majeur, à l’instar de ses conclusions dans sa décision C(2023) 6078 final, du 5 septembre 2023, dans les affaires DMA.100015, DMA.100028 et DMA.100034, dont il ressortirait que le fait que Bing représentait 10 % des recherches sur ordinateur et que Edge représentait une part de marché de 12 %, en comparaison
avec la part de marché de 60,5 % de Chrome, était suffisant pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
231 Cependant, premièrement, il convient de relever que, au cours de la procédure administrative, la requérante n’a pas comparé le nombre d’utilisateurs finaux de TikTok avec l’échelle globale des activités des services de réseaux sociaux en ligne et n’a présenté aucune donnée relative à l’échelle globale desdites activités. En outre, elle n’a pas non plus comparé le nombre d’utilisateurs finaux de TikTok avec ceux de Pinterest, de LinkedIn, de Reddit, de DailyMotion ou de Vimeo et n’avait fourni
aucune information à cet égard.
232 Or, dans le cadre du présent recours en annulation, le rôle du Tribunal consiste à déterminer si la Commission a commis des erreurs dans son appréciation des arguments présentés par l’entreprise concernée pendant la procédure administrative pour renverser les présomptions, et non à examiner si lesdites présomptions pourraient être renversées à l’aune de nouveaux arguments et éléments de preuve présentés par ladite entreprise pour la première fois devant lui.
233 En effet, il importe de relever que le DMA a instauré un cadre réglementaire spécifique régissant la désignation des contrôleurs d’accès, lequel se distingue par des particularités qui lui sont propres. Ainsi, dans le but de garantir l’application effective du DMA, la Commission doit procéder, dans de brefs délais, à la désignation des contrôleurs d’accès. À cette fin, le DMA a mis en place les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, visant à rationaliser le processus de
désignation. La possibilité de les renverser est, quant à elle, soumise à des exigences strictes, tant au niveau procédural qu’en ce qui concerne la charge et le niveau de la preuve. Ainsi, l’article 3, paragraphe 5, du DMA précise que l’entreprise concernée peut présenter, « avec sa notification », des arguments suffisamment étayés aux fins de remettre en cause lesdites présomptions. En outre, l’article 2, paragraphe 3, du règlement d’exécution (UE) 2023/814 de la Commission, du 14 avril 2023,
relatif aux modalités détaillées de certaines procédures mises en œuvre par la Commission en vertu du [DMA] (JO 2023, L 102, p. 6), exige de l’entreprise concernée de fournir ses arguments dans une annexe de sa notification en indiquant clairement à laquelle des trois exigences cumulatives énoncées à l’article 3, paragraphe 1, du DMA ses arguments se rapportent et, pour chaque argument, d’expliquer pourquoi, exceptionnellement, le SPE concerné ne satisfait pas à cette exigence, bien qu’il
atteigne le seuil correspondant fixé à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
234 Partant, l’entreprise concernée ne saurait présenter, pour la première fois devant le Tribunal, des arguments ou des éléments de preuve, au titre de l’article 3, paragraphe 5, du DMA, qu’elle n’avait pas présentés au cours de la procédure administrative pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, à moins que, par ceux-ci, elle vise à contester un élément de droit ou de fait relevé dans la décision attaquée au sujet duquel elle n’a pas pu prendre position au cours
de ladite procédure. Or, tel n’est pas le cas de l’espèce en ce qui concerne les arguments exposés aux points 227 à 229 ci-dessus.
235 Il s’ensuit que ces arguments sont irrecevables.
236 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante selon lequel, en faisant référence à certains arrêts concernant le droit de la concurrence et les aides d’État, de tels arguments et éléments de preuve seraient recevables, quand bien même ils sont présentés pour la première fois devant le Tribunal. Elle cite à cet égard plusieurs arrêts, tels que ceux du 1er juillet 2010, Knauf Gips/Commission (C‑407/08 P, EU:C:2010:389, points 89 à 92), du 21 septembre 2005,
EDP/Commission (T‑87/05, EU:T:2005:333, point 158), et du 10 mai 2023, Ryanair et Condor Flugdienst/Commission (Lufthansa ; COVID-19) (T‑34/21 et T‑87/21, sous pourvoi, EU:T:2023:248, point 86).
237 Toutefois, cette jurisprudence concerne des cadres juridiques et des domaines de droit distincts du DMA, ce dernier étant caractérisé, comme il est rappelé au point 233 ci-dessus, par des exigences strictes régissant le renversement des présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, en ce qui concerne tant la procédure que la charge et le niveau de la preuve, de sorte que ladite jurisprudence n’est pas applicable en l’espèce.
238 Deuxièmement, et en tout état de cause, il y a lieu de relever, à l’instar de la Commission, que les arguments présentés par la requérante pour la première fois devant le Tribunal reposent sur une base comparative erronée. En effet, certaines des plateformes en ligne citées par la requérante aux fins de cette comparaison ne sont pas des réseaux sociaux en ligne, mais appartiennent à d’autres catégories de SPE, tandis que, conformément au considérant 23 du DMA, il convient d’examiner l’importance
du SPE de l’entreprise compte tenu de l’échelle globale des activités du SPE concerné. C’est le cas, en particulier, de YouTube, laquelle a été désignée par la Commission comme étant un SPE consistant en une plateforme de partage de vidéos, et de DailyMotion et de Vimeo, décrites par la requérante comme étant des plateformes de partage de vidéos.
239 En outre, et à l’instar de ce qu’a considéré la Commission au considérant 146 de la décision attaquée, la taille de TikTok ne saurait être examinée de manière statique, mais doit tenir compte de la croissance rapide et significative du nombre d’utilisateurs finaux dans l’Union, en atteignant en quelques années environ la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram.
240 Pour les mêmes motifs, la référence opérée par la requérante à la décision de la Commission portant sur les services Bing et Edge (voir point 230 ci-dessus) ne saurait aboutir à une conclusion différente. En effet, et outre le fait que le juge de l’Union n’est pas lié par la pratique administrative de la Commission, la requérante n’établit pas que ByteDance se trouvait dans une situation comparable à celle de Microsoft. En effet, la décision de la Commission citée par la requérante concernait
d’autres catégories de SPE et non des services de réseaux sociaux en ligne et la requérante n’explique pas pour quel motif les circonstances dans lesquelles opèrent ces autres catégories de SPE seraient comparables à celles dans lesquelles opère un service de réseau social en ligne tel que TikTok. De surcroît, dans ladite décision, la Commission a relevé que Microsoft avait présenté des données montrant en particulier que Bing ne représentait que 3,6 % de l’échelle globale des activités dans le
domaine des moteurs de recherche en ligne et était 25 fois plus petite que Google Search, et que Edge ne représentait que 5,8 % de l’échelle globale des activités dans le domaine des navigateurs internet et était dix fois plus petite que Google Chrome. Or, en l’espèce, la requérante n’a pas présenté de données comparables à celles-ci dans la notification en ce qui concerne l’échelle de TikTok. En réalité, le fait que l’échelle relative de TikTok a atteint environ la moitié de la taille de
Facebook et de celle d’Instagram distingue la présente affaire de celles précitées.
241 En deuxième lieu, la requérante ne saurait non plus reprocher à la Commission de s’être fondée, au considérant 146 de la décision attaquée, sur la croissance du nombre d’utilisateurs finaux de TikTok dans l’Union entre 2020 et 2022, sans l’avoir comparée à celle des plateformes de Meta et d’Alphabet ou avec le rythme auquel les services de Meta et d’Alphabet imitant TikTok se sont développés.
242 En effet, il incombait à la requérante, sur qui pèse la charge de la preuve, de présenter à la Commission, pendant la procédure administrative, des données présentant une telle comparaison, ce qu’elle n’a pas fait. De tels arguments, présentés pour la première fois devant le Tribunal sont, dès lors, irrecevables pour les raisons exposées aux points 232 à 237 ci-dessus.
243 En troisième lieu, il y a lieu de rejeter l’argument de la requérante selon lequel TikTok ne saurait être comparée avec les plateformes de Meta ou d’autres réseaux sociaux en ligne au motif que l’objectif principal de TikTok serait d’offrir des services de partage de vidéos et non des services de réseaux sociaux en ligne. Cet argument est, d’une part, contradictoire, car la requérante elle-même compare ByteDance à maintes reprises à Facebook et à Instagram. D’autre part, et en tout état de
cause, cet argument doit être écarté pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 190 à 193 ci-dessus.
244 Enfin, la requérante ne formule aucun argument à l’encontre des considérants 151 à 154 de la décision attaquée dont il ressort, en particulier, que le nombre d’entreprises utilisatrices de TikTok dans l’Union a également augmenté de manière très significative depuis l’année 2020 (voir point 225 ci-dessus), que les entreprises utilisatrices s’étant auto-identifiées en tant que telles et disposant donc de comptes professionnels auto-identifiés dans l’Union ont accès à des fonctionnalités
spécifiquement destinées aux entreprises, telles que des informations sur la performance, des outils créatifs et des options de compte exclusif, et que ByteDance continue à développer de nouvelles fonctionnalités pour les entreprises utilisatrices. Ces circonstances, prises ensemble, démontrent que le service de réseau social TikTok est un service important pour lesdites entreprises.
245 Il convient donc de conclure que la Commission a considéré à juste titre que les arguments présentés par la requérante relatifs à l’échelle de TikTok en termes de nombre d’utilisateurs finaux, par rapport à celle d’autres plateforme de réseau social en ligne, ainsi qu’à l’existence d’un grand nombre de concurrents, n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
246 Quant à l’argumentation de la requérante relative à l’échelle relative de TikTok en termes de recettes publicitaires et d’ARPU, celle-ci se recoupe avec celle relative au niveau d’interaction des annonceurs sur TikTok et sera donc examinée aux points 248 à 285 ci-après.
247 Partant, il convient de rejeter le troisième grief de la troisième branche du premier moyen comme non fondé.
d) Sur les recettes publicitaires et le niveau d’interaction des entreprises utilisatrices enregistrées sur TikTok
1) Arguments des parties
248 La requérante soutient en substance que le fait que ses recettes publicitaires, son ARPU ou encore le niveau d’interaction des annonceurs et des entreprises utilisatrices enregistrées sur TikTok soient faibles et plus bas que ceux de certaines autres plateformes démontre que TikTok n’est pas un point d’accès majeur.
249 La Commission conteste l’argumentation de la requérante en reprenant en substance les motifs figurant aux considérants 127 à 129, 140, 144, 145 et 147 à 151 de la décision attaquée, dont le contenu est rappelé ci-après.
2) Décision attaquée
250 Dans la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments de la requérante relatifs aux recettes publicitaires de ByteDance, à l’ARPU ou encore au niveau d’interaction prétendument faible des annonceurs et des entreprises utilisatrices enregistrées sur TikTok, au motif, d’une part, qu’ils étaient dépourvus de pertinence, et, d’autre part, qu’ils étaient, en tout état de cause, insuffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2,
sous b), du DMA.
251 Ainsi, la Commission a rejeté ces arguments en considérant qu’ils étaient dépourvus de pertinence au motif, en substance, ainsi qu’il ressort des considérants 127 à 129, 140, 144, 147 et 150 de la décision attaquée, qu’ils concernaient une autre catégorie de SPE, à savoir les services de publicité en ligne, et non les services de réseaux sociaux en ligne, et que les entreprises utilisatrices de ces deux catégories de SPE étaient définies de manière distincte dans la partie E, intitulée
« Définitions spécifiques », de l’annexe du DMA.
252 En outre, la Commission a indiqué, au considérant 145 de la décision attaquée, que les revenus publicitaires et l’ARPU ne constituaient pas des indicateurs appropriés pour apprécier si un SPE particulier était un point d’accès majeur.
253 De surcroît, la Commission a ajouté, au considérant 148 de la décision attaquée, que, en tout état de cause, même si certains annonceurs sur TikTok pouvaient également être des entreprises utilisatrices des services de réseaux sociaux en ligne, il était nécessaire de prendre en compte, aux fins de l’évaluation au titre de l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, l’ensemble des entreprises utilisatrices, et non seulement celles qui constituaient des annonceurs payants, car les entreprises
utilisatrices qui ne payaient pas pour placer des publicités sur cette plateforme pouvaient tout de même dépendre de celle-ci pour gagner de la visibilité pour leurs activités. En outre, au considérant 149 de la décision attaquée, elle a constaté que les données portant sur l’interaction des entreprises utilisatrices enregistrées présentées par la requérante n’étaient pas représentatives.
254 Enfin, au considérant 151 de la décision attaquée, la Commission a indiqué qu’il était inapproprié de comparer des données portant sur la publicité en ligne de ByteDance avec celles d’Alphabet, de Meta et d’Amazon, car ces dernières entreprises offraient un éventail plus large de services sur lesquels de la publicité pouvait être affichée que TikTok.
3) Appréciation du Tribunal
255 En premier lieu, il convient d’examiner si la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, écarter les arguments de la requérante relatifs à la publicité en ligne comme étant dépourvus de toute pertinence pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, pour les motifs exposés au point 251 ci-dessus.
256 À titre liminaire, il convient de rappeler, comme il a été relevé au point 53 ci-dessus, que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que, à l’exception des arguments « supplémentaires » de la requérante, l’ensemble de ses autres arguments et éléments de preuve présentés pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, y compris donc ceux relatifs à la publicité en ligne, étaient directement liés aux critères quantitatifs à la base desdites présomptions,
au sens du considérant 23 du DMA.
257 Quant à la pertinence de ces derniers arguments, il est vrai, comme le relève la Commission, que les services de réseaux sociaux en ligne et de publicité en ligne constituent deux catégories de SPE distinctes, au titre de l’article 2, point 2, sous c) et j), et point 7, du DMA.
258 De même, la Commission a observé à juste titre que la notion d’« entreprises utilisatrices » est définie différemment dans la partie E, intitulée « Définitions spécifiques », de l’annexe au DMA, en ce qui concerne, d’une part, les services de réseaux sociaux en ligne et, d’autre part, les services de publicité en ligne. Ainsi, les premières sont définies, en substance, comme étant les entreprises inscrites sur la liste d’entreprises ou disposant d’un compte d’entreprise sur le réseau social,
tandis que les secondes sont définies comme étant, en substance, les annonceurs.
259 Toutefois, ces différences ne permettent pas, à elles seules, d’écarter comme dépourvus de toute pertinence les arguments ou éléments de preuve relatifs à la publicité en ligne sur la plateforme TikTok, dans le cadre de l’examen de la question de savoir si ce réseau social en ligne est un point d’accès majeur.
260 En effet, d’une part, il n’est pas contesté, ainsi que les parties l’ont confirmé dans leurs réponses à une mesure d’organisation de la procédure, que, même s’ils relèvent de deux catégories distinctes de SPE, les services de réseaux sociaux en ligne et les services de publicité en ligne sont fournis, dans les circonstances de l’espèce, sur la même plateforme, à savoir la plateforme TikTok. Ainsi, comme l’explique la requérante, TikTok constitue une plateforme unique, sur laquelle, d’une part,
des utilisateurs interagissent notamment en partageant et en visualisant des vidéos, alors que, d’autre part, des annonceurs payent pour faire publier des annonces qui généralement s’intercalent entre les vidéos visualisées par lesdits utilisateurs.
261 D’autre part, il est tout aussi constant entre les parties que, ainsi qu’il ressort du considérant 148 de la décision attaquée et ainsi qu’elles l’ont confirmé dans leurs réponses à une mesure d’organisation de la procédure, il existe un certain chevauchement entre les entreprises utilisatrices d’un réseau social en ligne et les entreprises utilisatrices d’un service de publicité en ligne, étant donné que certains annonceurs peuvent également répondre à la définition d’entreprises utilisatrices
des services de réseaux sociaux en ligne.
262 Ainsi, il ne saurait être nié que les revenus publicitaires ou l’ARPU générés par TikTok pourraient, en principe, constituer un indice parmi d’autres de l’importance que cette plateforme représente pour les entreprises utilisatrices de ladite plateforme pour atteindre les utilisateurs finaux, dans la mesure où la publicité est, en effet, l’un des moyens communément utilisés par lesdites entreprises utilisatrices pour atteindre leurs clients.
263 Dès lors, la Commission ne pouvait pas, sans commettre d’erreur, écarter les arguments et éléments de preuve relatifs à la publicité en ligne, présentés par la requérante, comme étant dépourvus de toute pertinence pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
264 Au demeurant, dans sa réponse à une mesure d’organisation de la procédure, la Commission a reconnu que de tels arguments et éléments de preuve pourraient, en principe, être invoqués pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
265 Cela étant, il y a lieu de relever que la Commission a rejeté les arguments et éléments de preuve de la requérante relatifs à la publicité en ligne également pour un autre motif, qui a été présenté dans la décision attaquée, à savoir que ces arguments et éléments de preuve n’étaient pas, en tout état de cause, suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
266 Ainsi, il convient d’examiner, en second lieu, si la Commission pouvait, sans commettre d’erreur, rejeter ces arguments et éléments de preuve pour un tel motif.
267 À cet égard, premièrement, la Commission a observé, à juste titre, au considérant 145 de la décision attaquée, en substance, que l’échelle relative mesurée sur la base des recettes et de l’ARPU, indépendamment d’autres facteurs, n’était pas un bon indicateur pour évaluer si un SPE constituait un point d’accès majeur au motif que les différents modèles d’entreprise monétisent leurs services différemment.
268 En effet, ainsi que la Commission l’a expliqué dans sa réponse à une mesure d’organisation de la procédure, les réseaux sociaux suivent souvent une stratégie d’entreprise visant à l’expansion de leur base d’utilisateurs et, par-là, à la création d’effets de réseau de plus en plus importants, laquelle peut les amener, pendant une certaine période, à privilégier l’augmentation du nombre d’utilisateurs par rapport à leur monétisation.
269 Deuxièmement, la Commission a relevé à bon escient, au considérant 148 de la décision attaquée, que, si certains annonceurs sur TikTok pouvaient également répondre à la définition d’« entreprises utilisatrices » des services de réseaux sociaux en ligne, il n’en demeurait pas moins que ces dernières constituaient une catégorie plus large que celle des annonceurs. Elle a souligné à juste titre, au même considérant, que, aux fins d’examiner si TikTok constituait un point d’accès majeur, il
convenait de tenir compte non seulement des annonceurs payants mais aussi des entreprises utilisatrices qui ne payaient pas pour placer des publicités sur cette plateforme, étant donné que ces dernières pouvaient tout de même dépendre de TikTok pour gagner de la visibilité pour leurs activités, ce que la requérante ne conteste d’ailleurs pas.
270 À cet égard, la Commission a également expliqué, au considérant 148 de la décision attaquée, sans être contredite sur ce point par la requérante, que plusieurs caractéristiques de TikTok ont été spécifiquement développées et ciblées pour les besoins des entreprises utilisatrices qui ne sont pas nécessairement des annonceurs payants, tels que la découverte et le partage de contenus à travers plusieurs appareils et, en particulier, par le biais de conversations en ligne, de publications, de vidéos
et de recommandations, en vue de leur permettre de développer leurs activités (par exemple, par l’intermédiaire de plusieurs outils créatifs), d’augmenter la présence de leurs marques (par exemple, par le biais de l’auto-messagerie ou « post scheduler ») et d’augmenter leurs ventes grâce à des modalités « business-friendly » (convivial pour les affaires), par exemple, par des hyperliens dans la section biographique, des coordonnées de contact et des outils de « lead generation » (génération de
prospects).
271 Il ressort de ces considérations qu’il existe, outre la publicité, d’autres moyens permettant aux entreprises utilisatrices de TikTok de gagner de la visibilité pour leurs activités sur cette plateforme et d’atteindre de la sorte leurs utilisateurs finaux, par exemple en publiant des vidéos sur leurs comptes d’entreprise ou en concluant des accords avec des créateurs de contenus ou des influenceurs pour promouvoir leurs marques.
272 Or, force est de constater que les arguments et éléments de preuve fournis par la requérante, n’informaient en rien sur l’importance que TikTok pouvait présenter pour les entreprises utilisatrices de ladite plateforme qui souhaitaient atteindre les utilisateurs finaux par des moyens autres que des annonces.
273 Troisièmement, comme le relève en substance la Commission au considérant 149 de la décision attaquée, les données présentées par la requérante portant sur l’interaction des « entreprises utilisatrices enregistrées » de TikTok avec ladite plateforme ne concernent qu’une petite partie de toutes les entreprises utilisatrices, de sorte que ces données ne sont pas suffisamment représentatives aux fins de déterminer si TikTok constitue un point d’accès majeur.
274 En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 77 de la décision attaquée, les « entreprises utilisatrices enregistrées » de TikTok sont celles qui ont des « comptes d’entreprise enregistrés » sur ladite plateforme. Cette notion n’englobe donc que les entreprises qui se sont enregistrées en tant qu’« entreprise » auprès de TikTok, notamment en présentant leurs coordonnées et leur numéro de licence d’exploitation.
275 Or, aux considérants 83 à 87 de la décision attaquée, la Commission a expliqué les raisons pour lesquelles, selon elle, la prise en compte du nombre d’« entreprises utilisatrices enregistrées » n’est pas une méthode fiable pour comptabiliser le nombre d’entreprises utilisatrices du réseau social TikTok, au titre de l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, et aboutit à une sous-estimation significative de ces dernières. En particulier, elle a relevé que la possibilité de s’enregistrer en tant
qu’« entreprise utilisatrice enregistrée » n’avait été introduite qu’en 2022 et dans un nombre limité d’États membres, et qu’un tel enregistrement n’était pas obligatoire.
276 C’est pour cette raison que, pour déterminer le nombre d’entreprises utilisatrices de TikTok, au titre de l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, la Commission s’est fondée non pas sur le nombre d’« entreprises utilisatrices enregistrées », mais sur un critère différent, à savoir le nombre de comptes professionnels auto-identifiés dans l’Union. À cet égard, il ressort des tableaux 2 et 3 de la décision attaquée, figurant aux considérants 78 et 79 de celle-ci, que, pour TikTok, il y a des
différences très importantes entre le nombre d’« entreprises utilisatrices enregistrées » et le nombre de comptes professionnels auto-identifiés dans l’Union. Ainsi, par exemple, en 2022, le nombre de comptes professionnels auto-identifiés dans l’Union sur TikTok était de [10 000], alors que celui d’« entreprises utilisatrices enregistrées » était de [10 000].
277 Or, la requérante ne conteste pas, dans le cadre du présent recours, la méthode suivie par la Commission dans la décision attaquée pour déterminer le nombre d’entreprises utilisatrices de TikTok au titre de l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA et, en particulier, l’appréciation figurant aux considérants 83 à 87 de ladite décision.
278 Il s’ensuit que les arguments avancés et les données fournies par la requérante n’étaient pas suffisamment représentatifs de l’ensemble des entreprises utilisatrices de TikTok, comme l’a relevé à juste titre la Commission.
279 Quatrièmement, au considérant 151 de la décision attaquée, la Commission a relevé, sans que cela soit contesté par la requérante, qu’il était inapproprié de comparer des données portant sur la publicité en ligne de ByteDance avec celles d’Alphabet, de Meta et d’Amazon, car ces dernières entreprises offraient un éventail plus large de services sur lesquels de la publicité pouvait être affichée que TikTok.
280 Au demeurant, force est de constater que les données portant sur la publicité en ligne fournies par la requérante, à les supposer même suffisamment représentatives, ne corroborent pas son argument selon lequel TikTok ne constitue pas un point d’accès majeur. Ainsi, par exemple, le niveau de l’ARPU généré sur cette plateforme paraît élevé, en termes absolus, et atteint déjà presque [confidentiel] de celui d’Instagram.
281 Il s’ensuit que la Commission a pu conclure, sans commettre d’erreur, que les arguments et éléments de preuve relatifs aux recettes et aux dépenses publicitaires, à l’ARPU et à l’interaction prétendument limitée des « entreprises utilisatrices enregistrées » de TikTok n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
282 Dans ces conditions, l’erreur commise par la Commission relevée au point 263 ci-dessus demeure sans incidence sur la légalité de la décision attaquée.
283 Partant, il convient de rejeter le quatrième grief de la troisième branche du premier moyen comme non fondé.
284 En outre, s’agissant de la question du niveau de preuve réellement appliqué par la Commission lors de l’examen des arguments et éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA (voir point 72 ci-dessus), il ressort de tout ce qui précède, et notamment des points 119 à 283 ci-dessus, que rien dans l’analyse de la Commission ne suggère que le niveau de preuve que celle-ci a réellement appliqué était plus élevé que
celui déterminé à l’article 3, paragraphe 5, du DMA. En effet, la Commission a rejeté les arguments de la requérante au motif soit qu’ils étaient dépourvus de pertinence, soit qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
285 Dès lors, et eu égard aux considérations énoncées aux points 59 à 72 ci-dessus, il convient également de rejeter comme non fondé le second grief de la première branche du premier moyen, par lequel la requérante reproche à la Commission d’avoir imposé, dans la décision attaquée, un niveau de preuve trop élevé, consistant à exiger des éléments de preuve « convaincants ».
6. Sur la remise en cause de la présomption selon laquelle ByteDance jouissait d’une position solide et durable (premier moyen, quatrième branche)
a) Arguments des parties
286 La requérante soutient que, aux considérants 155 à 160 de la décision attaquée, la Commission a enfreint l’article 3, paragraphe 1, sous c), et l’article 3, paragraphe 5, du DMA, en rejetant ses arguments visant à démontrer qu’elle ne jouissait pas d’une position solide et durable.
287 La requérante fait valoir, en substance, que la position de ByteDance sur le marché a été contestée avec succès par des concurrents tels que Meta et Alphabet, qui ont lancé des nouveaux services, à savoir Reels et Shorts respectivement, lesquels, en imitant les caractéristiques principales de TikTok, à savoir le format de vidéos courtes, ont connu une croissance rapide au détriment de TikTok. De même, elle relève que le taux de désabonnement de TikTok, c’est-à-dire le nombre d’annonceurs et
d’utilisateurs finaux qui auraient quitté TikTok pour d’autres plateformes, est significatif. Ainsi, elle affirme que ByteDance est un nouvel entrant sur le marché et non un contrôleur d’accès, ces deux notions s’excluant, selon elle, mutuellement.
288 La Commission conteste l’argumentation de la requérante en reprenant en substance les motifs figurant aux considérants 155 à 160 de la décision attaquée, dont le contenu est rappelé ci-après.
b) Décision attaquée
289 Aux considérants 155 à 160 de la décision attaquée, la Commission a rejeté les arguments et les éléments de preuve présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA, selon laquelle elle jouissait d’une position solide et durable.
290 Au considérant 156 de la décision attaquée, la Commission a relevé que, en mettant en avant que la position de TikTok n’était pas « inattaquable », la requérante avait cherché à faire introduire une condition allant au-delà de l’exigence selon laquelle la position de l’entreprise concernée doit être solide et durable, ce qui est notamment le cas lorsque la contestabilité est limitée.
291 Aux considérants 157 et 158 de la décision attaquée, la Commission a constaté que, en tout état de cause, selon le considérant 21 du DMA, il est probable que la contestabilité soit limitée lorsqu’une entreprise a fourni un SPE dans au moins trois États membres à un très grand nombre d’entreprises utilisatrices et d’utilisateurs finaux pendant une période d’au moins trois années et que tel était le cas en l’espèce. En outre, elle a ajouté que l’échelle et la croissance significatives de TikTok en
termes de nombre d’entreprises utilisatrices et d’utilisateurs finaux au cours des dernières années, en suivant une trajectoire à la hausse, confirmaient que ByteDance jouissait d’une position solide et durable. Il s’ensuivait, selon elle, que les arguments de la requérante concernant le taux de désabonnement de TikTok ne sauraient remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA.
292 Aux considérants 159 et 160 de la décision attaquée, la Commission a expliqué que rien dans le DMA n’indiquait qu’une entreprise ne pouvait être simultanément un nouvel entrant sur le marché et un contrôleur d’accès et que le fait que certains concurrents de ByteDance, tels que Meta et Alphabet, aient imité certains produits de TikTok n’était pas inhabituel dans les marchés numériques et n’était donc pas susceptible en tant que tel de renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2,
sous c), du DMA.
c) Appréciation du Tribunal
293 L’article 3, paragraphe 1, sous c), du DMA prévoit deux critères alternatifs pour qu’une entreprise puisse être désignée comme étant un contrôleur d’accès, à savoir qu’elle jouit d’une position solide et durable dans ses activités ou qu’elle jouira selon toute probabilité d’une telle position dans un avenir proche.
294 En l’espèce, il ressort de la décision attaquée, et ainsi que la Commission l’a confirmé dans sa réponse à une mesure d’organisation de la procédure, que la Commission a considéré que ByteDance jouissait d’une position solide et durable dans ses activités et que, dès lors, le premier critère de l’article 3, paragraphe 1, sous c), du DMA était rempli.
295 Il convient de constater en outre que, si le DMA ne définit pas la notion de « position solide et durable », il contient des éléments permettant de la délimiter.
296 À cet égard, il ressort d’une lecture combinée de l’article 3, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous c), du DMA, lu à la lumière du considérant 21 du DMA, que la position d’une entreprise est considérée comme étant « solide et durable » si la contestabilité de cette position est limitée. Tel pourrait être le cas si cette entreprise a fourni un SPE dans au moins trois États membres à un très grand nombre d’entreprises utilisatrices et d’utilisateurs finaux pendant une période d’au moins
trois ans.
297 Ainsi, la notion de position « solide et durable » vise à appréhender la faible contestabilité de la position de l’entreprise en cause ainsi que la stabilité dans le temps de cette position.
298 En outre, la notion de « position solide et durable » dont jouit un contrôleur d’accès ne se chevauche pas nécessairement avec celle de « position dominante », au sens de l’article 102 TFUE. En atteste le fait que le législateur de l’Union a consciemment choisi de faire usage d’une nouvelle notion, différente de celle de « position dominante » et de faire entrer dans le champ d’application personnel du DMA les contrôleurs d’accès qui n’occupent pas nécessairement de position dominante au sens du
droit de la concurrence, ainsi qu’il découle du considérant 5 du DMA, rappelé au point 19 ci-dessus.
299 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de la requérante.
300 En premier lieu, la Commission a considéré à juste titre, au considérant 156 de la décision attaquée, que le DMA n’exige pas que la position de l’entreprise concernée soit « inattaquable ». En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 296 ci-dessus, la notion de « position solide et durable » implique notamment que la contestabilité de la position de l’entreprise fournissant le SPE est limitée. Ainsi, cette notion n’exclut pas l’existence d’un certain degré de contestabilité.
301 En deuxième lieu, la Commission n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a rejeté, aux considérants 157 et 158 de la décision attaquée, l’argument de la requérante tiré du taux de désabonnement de TikTok, et ce compte tenu du très grand nombre d’utilisateurs finaux et d’entreprises utilisatrices de TikTok, de son échelle et de sa croissance significatives au cours des dernières années suivant une trajectoire stable à la hausse.
302 En effet, s’il est vrai que, ainsi qu’il ressort des données présentées par la requérante, certains annonceurs et utilisateurs finaux de TikTok se sont « désabonnés » de cette plateforme, il n’en reste pas moins que, concomitamment, beaucoup d’autres s’y sont « abonnés ». En atteste le fait que, pendant la période allant de 2021 à 2022, tant les recettes que le nombre d’utilisateurs finaux de TikTok ont continué à augmenter et cela de façon exponentielle (voir points 33, 84 et 107 ci-dessus). Il
apparaît ainsi que le nombre d’annonceurs et d’utilisateurs finaux désabonnés a été compensé, voire dépassé, par de nouveaux annonceurs et utilisateurs finaux ayant rejoint TikTok pendant la même période, ce qui tend plutôt à démontrer que la position de ByteDance est solide et durable.
303 En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la requérante tiré du fait que certains services concurrents de TikTok, en particulier Reels de Meta et Shorts de Alphabet, ont imité certaines caractéristiques de TikTok et ont connu une croissance rapide en termes de nombre d’utilisateurs, dépassant même celle de TikTok, il y a lieu de relever ce qui suit.
304 Premièrement, comme cela est rappelé au point 301 ci-dessus, au considérant 158 de la décision attaquée, la Commission a souligné la croissance significative de TikTok, suivant une trajectoire stable à la hausse et, au considérant 160 de ladite décision, elle a relevé qu’il n’était pas inhabituel dans les marchés numériques que certaines caractéristiques réussies d’un service soient imitées rapidement par d’autres services.
305 Sur cette base, la Commission a pu considérer à juste titre que le fait que certaines plateformes d’autres contrôleurs d’accès ont pu lancer des services imitant certaines caractéristiques de TikTok et que ceux-ci ont pu connaître une croissance significative, ne signifie pas que la position de ByteDance n’était pas solide et durable, étant donné que celle-ci n’a cessé de croître indépendamment des circonstances précitées.
306 Deuxièmement, il convient de noter que l’argument de la requérante est tiré du fait que d’autres contrôleurs d’accès dans la même catégorie de SPE, à savoir Meta et Alphabet, ont contesté la position de ByteDance, ce qui démontrerait, selon la requérante, que cette position n’était pas solide et durable.
307 Toutefois, le DMA a pour objectif d’assurer la contestabilité de la position des contrôleurs d’accès non seulement par d’autres contrôleurs d’accès, mais également, voire surtout, par d’autres opérateurs qui ne sont pas des contrôleurs d’accès pour un SPE donné.
308 En effet, conformément à son article 1er, paragraphe 1, le DMA poursuit l’objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur, en établissant des règles harmonisées visant à garantir « à toutes les entreprises » la contestabilité et l’équité des marchés dans le secteur numérique de l’Union là où des contrôleurs d’accès sont présents, au profit des entreprises utilisatrices et des utilisateurs finaux.
309 À cet égard, le considérant 32 du DMA précise que la contestabilité devrait se rapporter à la capacité des entreprises à surmonter efficacement les barrières à l’entrée et à l’expansion, et à faire concurrence au contrôleur d’accès sur la base des mérites de leurs produits et services. En faisant référence aux barrières à l’entrée et à l’expansion ainsi qu’à la capacité des entreprises de faire concurrence au contrôleur d’accès, ce considérant établit que la notion de « contestabilité » se
rapporte surtout à la capacité des entreprises qui ne sont pas des contrôleurs d’accès pour un SPE donné à faire concurrence à ces derniers sur la base des mérites de leurs produits et de leurs services.
310 En outre, toujours aux termes du considérant 32 du DMA, la contestabilité des services dans le secteur numérique peut également être limitée s’il y a plus d’un contrôleur d’accès pour un SPE. Il en découle implicitement mais nécessairement que le fait qu’il puisse exister un degré de concurrence entre plusieurs contrôleurs d’accès pour un SPE ne signifie pas que la contestabilité dudit SPE n’est pas limitée.
311 Partant, les arguments précités de la requérante, en ce qu’ils sont tirés du fait que la position de ByteDance aurait été contestée par d’autres contrôleurs d’accès, ne peuvent servir de base pour conclure que la contestabilité de la position de cette dernière n’est pas limitée, aux fins du DMA, et que ladite position n’est pas, pour ce motif, solide et durable.
312 Lors de l’audience, la requérante a également soutenu que la position de ByteDance avait été contestée également par d’autres entreprises qui n’étaient pas des contrôleurs d’accès. À cet égard, elle a fait référence au tableau 6 figurant au point 125 de la requête.
313 Toutefois, le tableau 6 figurant au point 125 de la requête n’avait pas été présenté au cours de la procédure administrative, de sorte qu’il doit être rejeté comme irrecevable pour les motifs exposés aux points 232 à 237 ci-dessus. Certes, une partie des données figurant dans ce tableau avaient été recensées dans un autre tableau figurant dans la partie de la notification portant sur la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, aux fins d’étayer l’argument de la requérante
selon lequel TikTok devait faire face à un grand nombre de concurrents. La Commission a d’ailleurs répondu à cette argumentation aux considérants 150 à 154 de la décision attaquée, concernant l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, lesquels n’ont pas été contestés par la requérante. Toutefois, au cours de la procédure administrative, la requérante ne s’est pas fondée sur cet autre tableau pour soutenir que ByteDance ne jouissait pas d’une position solide et durable, au sens de l’article 3,
paragraphe 1, sous c), du DMA. Or, force est de rappeler que, comme il a été relevé au point 233 ci-dessus, conformément à l’article 2, paragraphe 3, du règlement d’exécution 2023/814, l’entreprise concernée doit fournir ses arguments dans une annexe de sa notification en indiquant clairement à laquelle des trois exigences cumulatives énoncées à l’article 3, paragraphe 1, du DMA ses arguments se rapportent et expliquer, pour chaque argument, pourquoi, exceptionnellement, le SPE concerné ne
satisfait pas à cette exigence, bien qu’il atteigne le seuil correspondant fixé à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
314 En outre, et en tout état de cause, cet argument n’est pas suffisamment étayé. En effet, le tableau 6 figurant au point 125 de la requête se limite à indiquer l’année pendant laquelle un service imitant TikTok a été lancé, sans fournir aucune information spécifique concernant l’échelle de ces services ou d’autres données pertinentes.
315 En quatrième lieu, la requérante décrit la position de ByteDance comme celle d’un « nouvel entrant sur le marché » qui conteste la position des contrôleurs d’accès et considère que cette notion et celle de « contrôleur d’accès » s’excluent mutuellement, contrairement à ce que la Commission a relevé au considérant 159 de la décision attaquée.
316 À cet égard, il suffit de relever que, si, en effet, en 2018, TikTok était un nouvel entrant sur le marché intérieur visant à contester la position des opérateurs bien établis tels que Meta et Alphabet, il n’en reste pas moins que, après, sa position s’est consolidée, et cela, rapidement, en dépassant de loin les seuils prévus à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA et en jouissant d’un taux de croissance exponentiel, tant en termes de revenus qu’en termes de nombre d’utilisateurs, de sorte
que, ainsi qu’il ressort du considérant 159 de la décision attaquée, sans que cela soit contesté par la requérante, l’échelle relative de TikTok a atteint la moitié de la taille de Facebook et de celle d’Instagram, lesquelles étaient pourtant présentes sur le marché intérieur depuis longue date.
317 Ces circonstances tendent à illustrer le fait qu’une entreprise qui était, dans un premier temps, un nouvel entrant sur le marché intérieur, visant à contester la position des contrôleurs d’accès, peut ultérieurement devenir un contrôleur d’accès elle-même.
318 Enfin, la requérante reproche à la Commission d’avoir omis d’expliquer les raisons pour lesquelles le nombre d’utilisateurs de TikTok démontre que la position de ByteDance était solide, alors qu’elle n’avait pas d’écosystème et ne bénéficiait pas d’effets de verrouillage.
319 À cet égard, il suffit de relever que les arguments de la requérante relatifs à l’absence d’écosystème ou d’effets de verrouillage ont été examinés et rejetés à juste titre par la Commission dans la partie de la décision attaquée portant sur la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA (voir points 121 à 215 ci-dessus).
320 Partant, eu égard à ce qui précède, il y a lieu de rejeter les arguments présentés par la requérante pour renverser la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous c), du DMA.
7. Sur le rejet des arguments « supplémentaires » de la requérante (premier grief de la première branche du premier moyen)
a) Arguments des parties
321 Comme il a été relevé aux points 52 à 56 ci-dessus, la requérante soutient, ainsi qu’elle l’a précisé lors de l’audience, que la Commission a erronément rejeté, au considérant 161 de la décision attaquée, ses arguments « supplémentaires », au motif qu’ils n’étaient pas directement liés aux critères quantitatifs au sens du considérant 23 du DMA.
322 La Commission conteste les arguments de la requérante.
b) Appréciation du Tribunal
323 Il convient de relever que, dans la notification, la requérante, après avoir présenté l’ensemble de ses arguments et éléments de preuve pour renverser chacune des trois présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, a avancé, dans une nouvelle partie intitulée « Désignation contraire aux objectifs politiques du [DMA] », des arguments « supplémentaires » par lesquels elle faisait valoir, en substance, que la désignation de ByteDance comme étant un contrôleur d’accès irait à l’encontre
des objectifs poursuivis par le DMA.
324 En particulier, comme il ressort du point 5.1.3.1.4 de la décision attaquée, ainsi que de la lettre de la requérante du 2 août 2023 (voir point 6 ci-dessus), par ses arguments « supplémentaires », la requérante faisait valoir en substance, premièrement, que l’application du DMA devait permettre que des nouveaux entrants sur le marché, tels que TikTok puissent concurrencer les plateformes bien établies, deuxièmement, que la désignation de ByteDance comme étant un contrôleur d’accès imposait un
coût de mise en conformité significatif au nouvel entrant sur le marché déjà [confidentiel] qu’elle était et limitait sa capacité d’entrer sur de nouveaux marchés, et, troisièmement, que la Commission n’appliquait pas correctement le cadre juridique matériel et procédural prévu à l’article 3, paragraphe 5, du DMA, parce que, tout d’abord, celle-ci interprétait cette disposition ainsi que le considérant 23 du DMA de manière trop étroite, privant ainsi le « processus de renversement des
présomptions » de son objectif consistant à éliminer des « faux positifs », ensuite, celle-ci écartait les circonstances dans lesquelles opérait TikTok comme étant dépourvues de pertinence, sans pourtant l’informer des circonstances qui seraient jugées pertinentes, privant ledit processus de son objet en violation de ses droits, et, enfin, celle-ci violait les principes de proportionnalité et de bonne administration, étant donné que, selon elle, celle-ci devait ouvrir une enquête de marché au
titre de l’article 3, paragraphe 5, troisième alinéa, et de l’article 17, paragraphe 3, du DMA.
325 La Commission a écarté les arguments « supplémentaires » au considérant 161 de la décision attaquée au motif qu’ils n’étaient pas directement liés aux seuils quantitatifs prévus à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, au sens du considérant 23 du DMA.
326 À cet égard, il convient de constater que les arguments « supplémentaires » de la requérante ne visaient pas à renverser concrètement et spécifiquement l’une des trois présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, mais consistaient en des affirmations générales concernant les objectifs poursuivis par le DMA et l’objet de l’article 3, paragraphe 5, du DMA et l’effet utile de cette dernière disposition.
327 Dès lors, la Commission a constaté, sans commettre d’erreur, qu’ils ne se rapportaient pas directement auxdites présomptions et qu’ils devaient donc être écartés pour ce motif.
328 Partant, et eu égard aux considérations énoncées aux points 39 à 56 ci-dessus, il convient de rejeter le premier grief de la première branche du premier moyen comme non fondé.
8. Sur l’appréciation globale des preuves présentées par la requérante (premier moyen, cinquième branche)
a) Arguments des parties
329 La requérante soutient que la Commission a suivi une approche fragmentaire et cloisonnée dans la décision attaquée, en omettant d’effectuer une appréciation globale des éléments de preuve qu’elle avait présentés pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA. Selon elle, ces éléments de preuve, pris dans leur ensemble, démontreraient qu’elle n’est pas un contrôleur d’accès ou, à tout le moins, que la Commission aurait dû ouvrir une enquête de marché afin de
déterminer si tel était le cas.
330 La Commission conteste les arguments de la requérante.
b) Appréciation du Tribunal
331 Dans la décision attaquée, la Commission a rejeté tous les arguments et éléments de preuve présentés par la requérante, en concluant, pour chacune des présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, qu’ils n’étaient pas suffisamment étayés pour les remettre manifestement en cause, ainsi qu’il ressort des considérants 120, 125 et 155 de la décision attaquée.
332 Puis, au considérant 163 de la décision attaquée, la Commission a conclu que, pour les motifs exposés aux considérants 120 à 162 de ladite décision, les arguments présentés par la requérante n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
333 Il en découle que, ayant rejeté chacun des arguments avancés par la requérante, la Commission a considéré que ceux-ci, pris individuellement ou dans leur ensemble dans le cadre de chacune des présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA, n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause ces dernières.
334 La requérante, en faisant référence aux considérants 130 et 135 de la décision attaquée, dans lesquels la Commission a souligné que l’existence d’un écosystème n’était pas une condition indispensable pour la désignation en tant que contrôleur d’accès et que l’existence de multihébergement n’était pas, en tant que telle, un indice que le SPE concerné ne constituait pas un point d’accès majeur, reproche à la Commission de ne pas avoir procédé à une appréciation globale desdits arguments.
335 Toutefois, la Commission n’a pas rejeté les arguments de la requérante tirés de l’absence d’un écosystème et de l’existence de multihébergement aux seuls motifs que l’existence d’un écosystème n’était pas une condition indispensable pour la désignation en tant que contrôleur d’accès et que l’existence de multihébergement n’était pas, en tant que telle, un indice que le SPE concerné ne constituait pas un point d’accès majeur. En effet, elle a également écarté ces arguments sur la base d’autres
motifs, exposés aux considérants 127 à 142 de la décision attaquée, tirés notamment du fait que ceux-ci n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption énoncée à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA, ainsi qu’il ressort des points 121 à 215 ci-dessus.
336 Or, la requérante ne présente aucun autre argument spécifique susceptible de démontrer que la conclusion à laquelle est parvenue la Commission aurait été différente si elle avait examiné ses arguments et éléments de preuve dans leur ensemble.
337 Partant, il convient de rejeter la cinquième branche du premier moyen comme non fondée.
B. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des droits de la défense
1. Arguments des parties
338 La requérante soutient que la Commission a violé l’article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») au motif que, dans la décision attaquée, celle-ci s’est basée sur des éléments de fait et de droit sur lesquels elle n’avait pas eu l’occasion de présenter ses observations au cours de la procédure administrative. Selon elle, ces éléments ont été essentiels pour la Commission afin de répondre aux arguments qu’elle avait présentés pour renverser les
présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA.
339 La Commission conteste les arguments de la requérante.
2. Appréciation du Tribunal
340 L’article 34, paragraphe 1, du DMA, intitulé « Droit d’être entendu et droit d’accès au dossier », prévoit en particulier l’obligation pour la Commission de donner à l’entreprise concernée, avant l’adoption d’une décision au titre de l’article 8, de l’article 9, paragraphe 1, de l’article 10, paragraphe 1, des articles 17, 18, 24, 25, 29 et 30 et de l’article 31, paragraphe 2, du DMA, l’occasion de faire connaître son point de vue sur les constatations préliminaires de la Commission.
341 Les décisions adoptées au titre de l’article 3, paragraphe 5, deuxième alinéa, du DMA, c’est-à-dire les décisions dans lesquelles la Commission désigne une entreprise en tant contrôleur d’accès en rejetant ses arguments visant à remettre en cause les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA sans ouvrir une enquête de marché, n’étant pas mentionnées dans le libellé de l’article 34, paragraphe 1, du DMA, il convient de relever que cette dernière disposition n’était pas applicable
en l’espèce.
342 Cela étant, l’article 34, paragraphe 4, du DMA prévoit que les droits de la défense du contrôleur d’accès, de l’entreprise ou de l’association d’entreprises concernée sont pleinement assurés dans le déroulement de toute procédure. Le considérant 109 du DMA prévoit notamment que le DMA respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par la Charte et que, en conséquence, l’interprétation et l’application du DMA devraient observer ces droits et ces principes.
343 En outre, selon la jurisprudence, les droits de la défense sont des droits fondamentaux faisant partie intégrante des principes généraux du droit dont le juge de l’Union assure le respect. Ce principe général du droit de l’Union est consacré, dans le cadre du droit à une bonne administration, à l’article 41, paragraphe 2, sous a) et b), de la Charte et trouve à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief (voir arrêt du
25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission, C‑165/19 P, EU:C:2021:239, point 80 et jurisprudence citée). Ainsi, le respect du droit d’être entendu s’impose même lorsque la réglementation applicable ne prévoit pas expressément une telle formalité (voir arrêts du 22 novembre 2012, M., C‑277/11, EU:C:2012:744, point 86 jurisprudence citée, et du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67 et jurisprudence citée).
344 Ainsi, conformément à l’article 41 de la Charte, toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, les organes et les organismes de l’Union, ce qui comporte, notamment, le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son égard. Selon la jurisprudence, ledit droit garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière
utile et effective, son point de vue au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (voir arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 67 et jurisprudence citée).
345 En l’espèce, il ressort du dossier que, avant l’adoption de la décision attaquée, la requérante a été entendue à plusieurs reprises. Ainsi, tout d’abord, avant la notification même, il y a eu, à tout le moins, quatre réunions entre la requérante et la Commission, le 15 décembre 2022 et les 23 mars, 2 mai et 13 juin 2023. Ensuite, après la présentation de la notification, le 3 juillet 2023, la Commission a, le 26 juillet 2023, communiqué à la requérante l’avis préliminaire et lui a donné la
possibilité de faire valoir sa position, ce que cette dernière a fait par lettre du 2 août 2023. Enfin, le 17 août 2023, une autre réunion entre la requérante et la Commission a eu lieu.
346 La requérante soutient toutefois que, en dépit de ces multiples échanges, elle n’a pas eu l’occasion de présenter ses observations sur quatre éléments de fait et de droit spécifiques retenus à son égard dans la décision attaquée.
347 En premier lieu, la requérante soutient qu’elle n’a pas été entendue, au cours de la procédure administrative, sur la prétendue exclusion des éléments de preuve « qualitatifs » au titre du considérant 23 du DMA.
348 Toutefois, il ressort du dossier que, contrairement à ce que relève la requérante, celle-ci a eu l’occasion de présenter ses observations sur l’interprétation du considérant 23 du DMA avant l’adoption de la décision attaquée. En effet, il ressort d’un compte rendu de la réunion entre la requérante et la Commission du 17 août 2023, rédigé par la requérante elle-même, que ladite interprétation ainsi que l’articulation dudit considérant avec l’article 3 du DMA ont fait l’objet de discussions.
349 En tout état de cause, il ressort d’une jurisprudence constante que, si le droit d’être entendu s’étend à tous les éléments de fait ou de droit qui constituent le fondement de l’acte décisionnel, il ne s’étend pas à la position finale que l’administration entend adopter (voir, en ce sens, arrêts du 4 mars 2020, Tulliallan Burlington/EUIPO, C‑155/18 P à C‑158/18 P, EU:C:2020:151, point 94, et du 1er février 2023, SJ/Commission, T‑659/20, non publié, EU:T:2023:32, point 11).
350 En deuxième lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas l’avoir entendue, au cours de la procédure administrative, sur l’affirmation, figurant au considérant 128 de la décision attaquée, selon laquelle l’échelle relative de TikTok par rapport à celle d’autres services de réseaux sociaux en ligne est déterminante aux fins de la désignation d’un contrôleur d’accès.
351 À cet égard, il convient de préciser d’emblée que, au considérant 128 de la décision attaquée, la Commission n’a pas considéré que l’échelle relative de TikTok par rapport à celle d’autres services de réseaux sociaux en ligne était « déterminante aux fins de la désignation d’un contrôleur d’accès », comme le prétend la requérante, mais s’est limitée à souligner que, en l’espèce, « la comparaison pertinente est celle entre l’échelle du service de réseau social en ligne de ByteDance, TikTok, et
celle d’autres fournisseurs de services similaires, indépendamment de l’échelle de leurs activités de publicité en ligne ». Par ailleurs, il ressort du libellé même du considérant 23 du DMA qu’il convient de tenir compte notamment de « l’importance du [SPE] de l’entreprise, compte tenu de l’échelle globale des activités du [SPE] concerné », étant rappelé que, comme il a été relevé au point 348 ci-dessus, la requérante a eu l’occasion de présenter des observations sur l’interprétation de ce
dernier considérant avant l’adoption de ladite décision.
352 En tout état de cause, il convient de relever que la question de l’échelle relative de TikTok en comparaison avec celle d’autres services de réseaux sociaux en ligne a été discutée lors de la procédure administrative. En effet, dans l’avis préliminaire, la Commission a précisé que l’affirmation de la requérante selon laquelle TikTok devait faire face à un grand nombre de concurrents dans le domaine des réseaux sociaux en ligne méconnaissait le fait que l’échelle de TikTok était substantielle, y
compris en comparaison avec d’autres services de réseaux sociaux en ligne, la taille de TikTok dans l’Union correspondant environ à la moitié de celle de Facebook et d’Instagram, ce qui indiquerait que l’échelle de TikTok n’était pas insignifiante. La requérante a répondu à cette observation notamment aux points 32 et 42 de sa lettre du 2 août 2023.
353 En troisième lieu, il convient de constater en revanche que, comme le soutient la requérante et sans que cela soit sérieusement contesté par la Commission, la requérante n’a pas eu l’opportunité de présenter ses observations au cours de la procédure administrative sur la constatation opérée par la Commission au considérant 132 de la décision attaquée, selon laquelle ByteDance possédait son propre écosystème, de sorte que son droit d’être entendu avait été enfreint. En effet, si l’absence d’un
écosystème et ses conséquences sur la désignation de ByteDance en tant que contrôleur d’accès avaient, certes, fait l’objet de discussions entre les parties, la Commission n’avait pas informé la requérante de son avis selon lequel ByteDance disposait, en fait, d’un écosystème.
354 La Commission fait cependant valoir que la constatation figurant au considérant 132 de la décision attaquée n’était pas décisive, mais revêtait un caractère secondaire dans l’économie de celle-ci, et que la requérante n’a pas démontré qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité constatée.
355 Selon une jurisprudence constante, une violation du droit d’être entendu n’implique pas automatiquement l’annulation de l’acte attaquée. En effet, encore faut-il que la partie requérante démontre, non que la décision de la Commission aurait été différente en l’absence de l’irrégularité procédurale en cause, mais uniquement qu’une telle hypothèse n’est pas entièrement exclue dès lors que cette partie aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité (voir arrêt du 5 mai 2022,
Zhejiang Jiuli Hi-Tech Metals/Commission, C‑718/20 P, EU:C:2022:362, point 49 et jurisprudence citée).
356 En l’espèce, le rejet par la Commission des arguments tirés par la requérante de la prétendue absence d’écosystème repose sur plusieurs motifs basés, à l’exception du considérant 132 de la décision attaquée, sur l’hypothèse la plus favorable à la requérante, à savoir que ByteDance ne disposait pas d’écosystème. Or, ainsi qu’il ressort des points 121 à 162 ci-dessus, ces autres motifs suffisaient à eux seuls et indépendamment de la constatation opérée audit considérant 132 pour fonder la
conclusion de la Commission selon laquelle lesdits arguments n’étaient pas suffisamment étayés pour remettre manifestement en cause la présomption prévue à l’article 3, paragraphe 2, sous b), du DMA.
357 Dans ces circonstances, la requérante n’a pas démontré que, en l’absence de l’irrégularité constatée, il n’était pas entièrement exclu que la décision de la Commission aurait pu être différente.
358 En quatrième et dernier lieu, la requérante reproche à la Commission de ne pas l’avoir entendue au cours de la procédure administrative sur les constatations opérées aux considérants 54 et 141 de la décision attaquée, selon lesquelles l’intensité de l’usage de TikTok serait plus élevée que celle observée sur d’autres plateformes de réseaux sociaux en ligne.
359 À cet égard, premièrement, il convient de relever que le considérant 54 de la décision attaquée fait partie du point 5.1.1 de ladite décision, intitulée « Qualification et délimitation du SPE » (considérants 25 à 66 de cette décision), dans laquelle la Commission a exposé les raisons pour lesquelles TikTok devait être considérée comme un service de réseau social en ligne au sens de l’article 2, point 7, du DMA.
360 Or, étant donné que, dans le cadre du présent recours, la requérante ne conteste pas la qualification de TikTok de service de réseau social en ligne, son argument tiré d’une supposée violation de son droit d’être entendue concernant les appréciations de la Commission figurant au considérant 54 de la décision attaquée ne peut qu’être rejeté comme inopérant.
361 Deuxièmement, s’agissant du considérant 141 de la décision attaquée, la Commission ne conteste pas le fait qu’elle n’a pas entendu la requérante spécifiquement sur la question de l’intensité de l’usage de TikTok, mais fait valoir que cet aspect de ladite décision n’avait qu’un caractère secondaire dans l’économie de celle-ci et que la requérante ne démontre pas que, si elle avait été entendue, elle aurait pu mieux assurer sa défense.
362 Au considérant 141 de la décision attaquée, la Commission a constaté que les données présentées par la requérante pour démontrer que les utilisateurs de TikTok optaient pour un multihébergement dans des proportions plus élevées que celles constatées parmi les utilisateurs de Facebook et d’Instagram avaient une valeur probante limitée en raison du fait que Facebook et Instagram étaient actives dans l’Union avant le lancement de TikTok et avaient une base d’utilisateurs finaux plus grande que
celle de TikTok. Elle a ajouté que, « de surcroît », ces données ne reflétaient pas l’intensité de l’usage de ces différentes plateformes. À ce dernier égard, la Commission a noté qu’il avait été constaté à maintes reprises que TikTok avait un taux d’engagement nettement plus élevé que d’autres services de réseaux sociaux en ligne, que les utilisateurs finaux passaient significativement plus de temps sur TikTok que sur d’autres services de réseaux sociaux en ligne et que c’était notamment le cas
pour les utilisateurs finaux plus jeunes. Pour soutenir ces affirmations, la Commission a fait référence à deux articles publiés en ligne, cités aux notes en bas de page 152 et 153 de ladite décision.
363 Ainsi, d’une part, il ressort de la teneur du considérant 141 de la décision attaquée que la Commission a estimé que la valeur probante des données présentées par la requérante au soutien de son argument relatif au multihébergement était limitée au motif qu’elles pouvaient s’expliquer par le simple fait que Facebook et Instagram avaient été actives dans l’Union avant l’arrivée de TikTok et disposaient déjà d’un nombre plus élevé d’utilisateurs finaux. Le motif tiré du fait qu’elles ne
reflétaient pas l’intensité de l’usage des différentes plateformes de réseau social en ligne revêtait ainsi un caractère supplémentaire démontrant la faible valeur probante desdites données, comme l’atteste l’emploi des termes « de surcroît ».
364 En outre, la partie critiquée du considérant 141 in fine de la décision attaquée n’est qu’un motif parmi d’autres ayant permis à la Commission de rejeter les arguments de la requérante tirés du multihébergement de ses utilisateurs.
365 D’autre part, interrogée dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure sur la question de savoir si elle avait contesté, dans le présent recours, la substance même des constatations opérées au considérant 141 in fine de la décision attaquée s’agissant de l’intensité de l’usage, et si elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de l’irrégularité alléguée, la requérante a répondu par l’affirmative. À cet égard, elle a fait référence à ses arguments avancés dans la requête
concernant les dépenses publicitaires des annonceurs et les dépenses des entreprises utilisatrices enregistrées sur TikTok, lesquels démontreraient que le niveau d’interaction de ces deux catégories d’utilisateurs était faible. Cependant, ledit considérant concerne l’intensité de l’usage des utilisateurs finaux et non celle des annonceurs ou des entreprises utilisatrices.
366 La requérante s’est également référée, dans sa réponse, à son argument soulevé dans la requête, selon lequel TikTok est peu ou pas utilisée « en tant que réseau social », alors que la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, sur des données recensant le temps que les utilisateurs passent sur TikTok en regardant passivement des vidéos et non en interagissant dans le cadre d’un réseau social en ligne. Selon elle, le temps passé à regarder des vidéos ne serait pas un critère approprié
pour mesurer l’interaction des utilisateurs de TikTok par rapport aux réseaux sociaux tels que Facebook, Instagram, LinkedIn ou autres.
367 Ainsi, force est de constater que, ni dans la requête ni dans sa réponse aux questions du Tribunal, la requérante n’a contesté la matérialité du fait, relevé au considérant 141 de la décision attaquée, que les utilisateurs finaux, et notamment les jeunes, passent significativement plus de temps sur TikTok en comparaison avec le temps qu’ils passent sur d’autres plateformes de réseaux sociaux en ligne.
368 En effet, la requérante se borne à faire valoir que le temps passé par les utilisateurs finaux sur TikTok consiste principalement à regarder des vidéos et que, pour cette raison, il ne s’agit pas d’un critère approprié pour mesurer l’intensité de l’usage de TikTok en tant que service de réseau social en ligne. Toutefois, ainsi qu’il a été rappelé aux point 193 ci-dessus, conformément à l’article 2, point 7, du DMA, un service de réseau social en ligne est une plateforme permettant auxdits
utilisateurs finaux de se connecter ainsi que de communiquer entre eux, de partager des contenus et de découvrir d’autres utilisateurs et d’autres contenus, sur plusieurs appareils et, en particulier, au moyen de vidéos. Dès lors, la découverte et le partage de vidéos pourraient être l’une des fonctionnalités essentielles d’une plateforme de réseau social en ligne, de sorte que le temps passé à regarder des vidéos sur une telle plateforme constitue un critère pertinent pour mesurer l’intensité
de l’usage de ses utilisateurs.
369 Au demeurant, aux considérants 42 et 49 de la décision attaquée, la Commission a considéré que l’une des fonctionnalités essentielles de TikTok consistait en la mise à disposition du public de vidéos générées par les utilisateurs et que ses fonctionnalités allaient au-delà de celles propres à une plateforme de partage de vidéos, de sorte que TikTok devait être qualifiée de service de réseau social en ligne. Or, la requérante ne conteste, dans le cadre du présent recours, ni lesdits considérants,
ni la qualification de TikTok de service de réseau social en ligne. Partant, comme la mise à disposition du public de vidéos générées par les utilisateurs est l’une des fonctionnalités essentielles de TikTok en tant que services de réseaux sociaux en ligne, la requérante ne saurait contester que, en ce qui concerne TikTok, le temps passé à regarder des vidéos par ses utilisateurs constitue un paramètre approprié pour mesurer l’intensité de leur usage de cette plateforme.
370 Dans ces circonstances, la requérante n’a pas démontré, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 355 ci-dessus, qu’il n’est pas entièrement exclu que la décision de la Commission aurait été différente si elle avait eu l’occasion de présenter ses observations sur les constatations opérées audit considérant 141 in fine de la décision attaquée concernant l’intensité de l’usage de TikTok.
371 Partant, il convient de rejeter le deuxième moyen comme non fondé.
C. Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe d’égalité de traitement
1. Arguments des parties
372 La requérante soutient en substance que la Commission a violé le principe d’égalité de traitement, car, dans la décision attaquée, celle-ci a écarté ses arguments « qualitatifs », alors que, dans d’autres décisions, celle-ci avait accueilli ce type d’arguments.
373 La Commission conteste les arguments de la requérante.
2. Appréciation du Tribunal
374 Par son troisième moyen, la requérante invoque une inégalité de traitement découlant de la pratique décisionnelle de la Commission.
375 Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 68 ci-dessus, la Commission est tenue de procéder à une analyse individualisée des circonstances propres à chaque affaire, sans être liée par des décisions antérieures qui concernent d’autres opérateurs économiques ou d’autres SPE.
376 En tout état de cause, il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité de traitement, lequel constitue un principe général du droit de l’Union, consacré aux articles 20 et 21 de la Charte, exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (voir arrêt du 16 juin 2022, Sony Optiarc et Sony Optiarc
America/Commission, C‑698/19 P, EU:C:2022:480, point 153 et jurisprudence citée).
377 Il convient également de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 5, premier alinéa, du DMA, l’examen des arguments présentés par l’entreprise concernée pour renverser les présomptions prévues à l’article 3, paragraphe 2, du DMA doit tenir compte des « circonstances dans lesquelles le [SPE] concerné opère ».
378 En l’espèce, il suffit de constater que les considérants de décisions de la Commission cités par la requérante dans sa requête concernaient d’autres catégories de SPE et non des services de réseaux sociaux en ligne. Or, la requérante n’explique pas pour quel motif les circonstances dans lesquelles opèrent ces autres catégories de SPE seraient comparables à celles dans lesquelles opère un service de réseau social en ligne tel que TikTok.
379 Partant, il convient de rejeter le troisième moyen comme non fondé et, par conséquent, le recours dans son ensemble.
IV. Sur les dépens
380 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
381 La requérante ayant succombée, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (huitième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Bytedance Ltd est condamnée aux dépens, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Kornezov
De Baere
Petrlík
Kecsmár
Kingston
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 2024.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Données confidentielles occultées.