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05/06/2024 | CJUE | N°T-186/22

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, BNP Paribas contre Banque centrale européenne., 05/06/2024, T-186/22


 ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

5 juin 2024 ( *1 )

« Politique économique et monétaire – Surveillance des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Fixation des exigences prudentielles – Engagements de paiements irrévocables – Autorité de la chose jugée – Excès de pouvoir – Erreur manifeste d’appréciation – Principe de bonne administration – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑186/22,

BNP Paribas, établie à Paris (France), représentée par

Mes A. Gosset-Grainville et M. Trabucchi, avocats,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représen...

 ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

5 juin 2024 ( *1 )

« Politique économique et monétaire – Surveillance des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Fixation des exigences prudentielles – Engagements de paiements irrévocables – Autorité de la chose jugée – Excès de pouvoir – Erreur manifeste d’appréciation – Principe de bonne administration – Proportionnalité »

Dans l’affaire T‑186/22,

BNP Paribas, établie à Paris (France), représentée par Mes A. Gosset-Grainville et M. Trabucchi, avocats,

partie requérante,

contre

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mme E. Yoo, MM. D. Segoin et F. Bonnard, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie),

composé de M. F. Schalin (rapporteur), président, Mme P. Škvařilová-Pelzl, M. I. Nõmm, Mme G. Steinfatt et M. D. Kukovec, juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure,

à la suite de l’audience du 20 juin 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, BNP Paribas, demande l’annulation, d’une part, du point 1.10 et des points 3.10.1 à 3.10.8 de la décision ECB-SSM-2022-FRBNP-7 de la Banque centrale européenne (BCE), du 2 février 2022 (ci-après la « décision du 2 février 2022 »), y compris ses annexes, en ce qu’elle prescrit des mesures à prendre sur les engagements de paiements irrévocables (ci-après les « EPI ») concernant les systèmes de garantie des dépôts ou les fonds de résolution
et, d’autre part, du point 1.10 et des points 3.9.1 à 3.9.8 de la décision ECB-SSM-2022-FRBNP-86 de la BCE, du 21 décembre 2022 (ci-après la « décision du 21 décembre 2022 »), y compris ses annexes, en ce qu’elle prescrit des mesures à prendre sur les EPI concernant les systèmes de garantie des dépôts ou les fonds de résolution.

Antécédents du litige

2 La requérante, en tant qu’entité importante au sens de l’article 6, paragraphe 4, du règlement (UE) no 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la BCE des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63), relève de la surveillance prudentielle directe de la BCE.

3 Le 31 mars 2021, dans le cadre de sa mission de surveillance prudentielle, la BCE a envoyé à la requérante un questionnaire, portant sur le traitement par cette dernière des EPI, qui constituent une faculté de s’acquitter de l’obligation de contribution aux fonds de résolution ou aux systèmes de garantie, en concluant un contrat par lequel il est convenu que le montant dû sera versé à première demande de l’autorité en charge des fonds de résolution ou des systèmes de garantie, ledit contrat étant
assorti d’une garantie de mise à disposition exclusive des fonds, en pratique sous la forme d’un dépôt en espèces, d’un montant égal à la cotisation due.

4 Le 29 avril 2021, la requérante a transmis ses réponses au questionnaire.

5 Le 10 novembre 2021, la BCE a adressé à la requérante un projet de décision au terme du processus de contrôle et d’évaluation prudentiels (Supervisory Review and Evaluation Process, SREP), comportant, notamment, l’exigence prudentielle que le montant cumulé des EPI soit déduit des fonds de base de catégorie 1 (ci-après les « CET 1 »). La requérante a été invitée à se prononcer sur ce projet.

6 Par courrier du 22 novembre 2021, la requérante a présenté ses observations.

7 En application de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16 du règlement no 1024/2013, la BCE a adopté la décision du 2 février 2022.

8 Dans cette décision, la BCE a déterminé que, conformément à l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013, les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par la requérante et les fonds propres et liquidités qu’elle détenait n’assuraient pas une gestion saine et une couverture de ses risques dans la mesure où la requérante surestimait le niveau de ses CET 1.

9 Pour couvrir ce risque, la BCE a imposé, d’une part, une mesure en application de l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013 (ci-après la « mesure de déduction ») et, d’autre part, une obligation en application de l’article 16, paragraphe 2, sous j), de ce même règlement (ci-après l’« obligation de déclaration »).

10 La mesure de déduction équivaut, selon la formule de calcul figurant au point 1.10 de la décision du 2 février 2022, à la valeur des sommes placées en garantie et inscrites à l’actif du bilan de la requérante, diminuée des éléments susceptibles de réduire le risque, c’est-à-dire les éléments des CET 1 détenus par la requérante, relatifs aux sommes placées en garantie et, le cas échéant, de la valeur économique positive attribuée à l’actif enregistré, compte tenu des sommes placées en garantie des
EPI.

11 L’obligation de déclaration vise à permettre à la BCE de s’assurer de la bonne prise en compte de la déduction imposée à la requérante.

Conclusions des parties et faits postérieurs à l’introduction du recours

12 Le 12 avril 2022, la requérante a introduit le présent recours.

13 Dans le cadre d’un nouveau cycle du SREP, la BCE a adopté la décision du 21 décembre 2022, qui a remplacé la décision du 2 février 2022 (ci-après, prises ensemble, les « décisions attaquées »), à compter du 1er janvier 2023, et qui maintient la mesure de déduction et l’obligation de déclaration.

14 Pour parvenir à cette décision, la BCE a suivi la même procédure que celle décrite aux points 3 à 6 ci-dessus.

15 Le 15 février 2023, la requérante a déposé au greffe du Tribunal un mémoire en adaptation de la requête dans lequel elle conclut également à l’annulation partielle de la décision du 21 décembre 2022, en invoquant les mêmes moyens que ceux initialement soulevés dans la requête à l’encontre de la décision du 2 février 2022.

16 Par courrier du 14 mars 2023, la BCE a présenté des observations sur le mémoire en adaptation de la requête.

17 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– annuler partiellement la décision du 2 février 2022 ;

– annuler partiellement la décision du 21 décembre 2022 ;

– condamner la BCE aux dépens.

18 La BCE conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours ;

– condamner la requérante aux dépens.

En droit

19 À l’appui de son recours, la requérante invoque quatre moyens, tirés, premièrement, d’une violation de l’autorité de la chose jugée et d’un excès de pouvoir, deuxièmement, d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de bonne administration, troisièmement, d’une erreur de droit résultant de la privation de l’effet utile de la réglementation entourant le recours aux EPI et, quatrièmement, d’une violation du principe de proportionnalité.

Sur le premier moyen, tiré d’une violation de l’autorité de la chose jugée et d’un excès de pouvoir

20 La requérante fait valoir, en substance, que la BCE a excédé les pouvoirs qui lui sont conférés en vertu du règlement no 1024/2013, tels que précisés par les arrêts du 9 septembre 2020, Société Générale/BCE (T‑143/18, non publié, EU:T:2020:389), du 9 septembre 2020, Crédit Agricole e.a./BCE (T‑144/18, non publié, EU:T:2020:390), du 9 septembre 2020, Confédération nationale du Crédit Mutuel e.a./BCE (T‑145/18, non publié, EU:T:2020:391), du 9 septembre 2020, BPCE e.a./BCE (T‑146/18, non publié,
EU:T:2020:392), du 9 septembre 2020, Arkéa Direct Bank e.a./BCE (T‑149/18, non publié, EU:T:2020:393), et du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE (T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394) (ci-après les « arrêts de 2020 »), en imposant une mesure générale qui ne tient pas compte de sa situation prudentielle individuelle. Ce faisant, la BCE aurait violé l’article 266 TFUE ainsi que l’article 4, paragraphe 1, sous f), et l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d) et j), du règlement
no 1024/2013.

21 Plus précisément, la requérante reproche à la BCE d’avoir fondé sa décision sur un raisonnement ne pouvant qu’aboutir à une déduction totale du montant des garanties associées aux EPI. De ce fait, la BCE ne se serait pas conformée aux obligations qui lui incombaient en vertu de l’article 266 TFUE.

22 À cet égard, la requérante soutient qu’une comparaison entre, d’une part, les décisions annulées par le Tribunal dans les arrêts de 2020 et, d’autre part, les décisions attaquées démontre que lesdites décisions sont fondées sur des motifs, en substance, identiques.

23 De plus, la BCE n’aurait pas procédé à un examen particulier de sa situation individuelle. À cet égard, la requérante fait valoir que la BCE a entendu donner l’illusion d’un examen individuel, en faisant état des éléments qu’elle a déclarés à l’occasion de ses réponses du 29 avril 2021 au questionnaire qui lui avait été envoyé par la BCE le 31 mars 2021, et en augmentant formellement sa motivation des décisions attaquées. Toutefois, la partie des décisions attaquées traitant de la quantification
des risques des EPI serait entièrement standardisée et ne se fonderait pas sur des considérations spécifiques à la requérante, mais sur des constatations de nature générale, susceptibles de s’appliquer à n’importe quel établissement de crédit optant pour le traitement hors bilan des EPI.

24 La BCE conteste les arguments de la requérante.

25 En l’espèce, la requérante reproche, en substance, à la BCE d’avoir violé non seulement l’article 4, paragraphe 1, sous f), et l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, tels que précisés par les arrêts de 2020, ainsi que l’article 16, paragraphe 2, sous j), du règlement no 1024/2013, mais également l’article 266 TFUE en raison du prétendu non-respect de l’interprétation de ce règlement découlant desdits arrêts. La BCE aurait de nouveau adopté une
mesure de déduction et n’aurait pas réellement effectué un examen individuel.

26 Aux termes du premier alinéa de l’article 266 TFUE, l’institution dont émane l’acte annulé est tenue de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt d’annulation. Ces dispositions prévoient une répartition des compétences entre l’autorité judiciaire et l’autorité administrative, selon laquelle il appartient à l’institution dont émane l’acte annulé de déterminer quelles sont les mesures requises pour exécuter un arrêt d’annulation (voir arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile
Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 55 et jurisprudence citée).

27 À cet égard, afin de se conformer à un arrêt d’annulation et de lui donner pleine exécution, l’institution concernée est tenue, selon une jurisprudence constante, de respecter non seulement le dispositif de l’arrêt, mais également les motifs qui ont amené à celui-ci et qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact de ce qui a été jugé dans le dispositif. En effet, ce sont ces motifs qui, d’une part, identifient la disposition exacte
considérée comme illégale et, d’autre part, font apparaître les raisons exactes de l’illégalité constatée dans le dispositif et que l’institution concernée doit prendre en considération en remplaçant l’acte annulé (arrêts du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, EU:C:1988:199, point 27 ; du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 29, et du 13 septembre 2005, Recalde Langarica/Commission, T‑283/03, EU:T:2005:315, point 50).

28 L’article 266 TFUE impose à l’institution concernée d’éviter que tout acte destiné à remplacer l’acte annulé soit entaché des mêmes irrégularités que celles identifiées dans l’arrêt d’annulation (arrêts du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 30, et du 13 septembre 2005, Recalde Langarica/Commission, T‑283/03, EU:T:2005:315, point 51).

29 Il y a lieu de souligner, en outre, que l’article 266 TFUE n’impose une obligation à l’institution dont émane l’acte annulé que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation (arrêts du 6 mars 2003, Interporc/Commission, C‑41/00 P, EU:C:2003:125, point 30, et du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 57). La procédure visant à remplacer un tel acte peut ainsi être reprise au point précis auquel l’illégalité est
intervenue (voir arrêt du 29 novembre 2007, Italie/Commission, C‑417/06 P, non publié, EU:C:2007:733, point 52 et jurisprudence citée ; arrêt du 5 septembre 2014, Éditions Odile Jacob/Commission, T‑471/11, EU:T:2014:739, point 58).

30 À titre liminaire, il y a lieu de remarquer que la BCE n’a pas introduit de pourvois contre les arrêts de 2020 qui avaient annulé partiellement ses décisions visées par lesdits arrêts. Toutefois, les décisions attaquées dans la présente affaire n’ont pas pour objectif de remplacer les décisions qui ont été annulées dans l’arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE (T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394). En effet, la BCE prend chaque année une décision dans le cadre du SREP qui entre en vigueur à
la date spécifiée dans cette décision. À la même date, la décision relative au SREP de l’année précédente cesse de s’appliquer, sauf si la nouvelle décision relative au SREP en dispose autrement. Ainsi, pour autant que la requérante allègue la violation de l’article 266 TFUE, le présent moyen ne saurait prospérer. Cependant, il convient d’apprécier si la BCE a commis un excès de pouvoir en adoptant, en violation de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16, paragraphe 1, sous c), et
paragraphe 2, sous d) et j), du règlement no 1024/2013, tels que précisés par les arrêts de 2020, une mesure de déduction sans avoir réellement effectué un examen individuel.

31 Dans ce contexte, il convient de rappeler que le règlement no 1024/2013 a établi le mécanisme de surveillance unique et a pour but de garantir la sécurité et la solidité des établissements de crédit. Ledit règlement donne compétence à la BCE pour remplir les missions de surveillance prudentielle mentionnées à son article 4, paragraphe 1. Conformément à l’article 6 du même règlement, la BCE s’acquitte de ses missions dans le cadre du mécanisme de surveillance unique, composé d’elle-même et des
autorités compétentes nationales. La BCE est, en particulier, compétente pour assurer la surveillance prudentielle des établissements de crédit de la zone euro classés comme « importants ». Dans ce cadre, elle évalue chaque année les entités importantes sur la base du SREP, afin, notamment, de déterminer « si les dispositions, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par les établissements et les fonds propres et liquidités qu’ils détiennent assurent une gestion et une couverture saines
de leurs risques ». La BCE prend donc, ainsi qu’il a déjà été relevé au point précédent, chaque année, ou du moins à intervalles réguliers, une décision dans le cadre du SREP qui entre en vigueur à la date spécifiée dans cette décision.

32 Le fait que la BCE n’ait pas introduit un pourvoi contre les arrêts de 2020 implique que ceux-ci ont acquis force de chose jugée. Même si la BCE n’a pas, à proprement parler, remplacé les décisions annulées par de nouvelles décisions relatives au SREP de l’année concernée par lesdites affaires, il n’en demeure pas moins que, dans les nouveaux cycles des décisions relatives au SREP, afin d’éviter que les nouvelles décisions ne soient entachées des mêmes irrégularités que celles identifiées dans
les arrêts de 2020, la BCE est tenue de respecter les termes des arrêts du Tribunal (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, EU:C:1988:199, points 27 et 29, et du 23 octobre 2008, People’s Mojahedin Organization of Iran/Conseil, T‑256/07, EU:T:2008:461, point 62).

33 Il convient également de rappeler que, dans les arrêts de 2020, le Tribunal a jugé que :

– l’article 36 du règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012 (JO 2013, L 176, p. 1, rectificatifs JO 2013, L 208, p. 68, et JO 2013, L 321, p. 6), règlement comportant des exigences de portée générale, étant également identifiées dans ce contexte comme relevant du « premier pilier », ne faisait pas
obstacle à l’identification d’un risque auquel il pouvait être remédié par une mesure adoptée au titre du règlement no 1024/2013, à savoir dans le cadre du pouvoir de la BCE relevant du « deuxième pilier » ;

– en effet, l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 prévoyait que, pour l’accomplissement des missions visées à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1024/2013, la BCE disposait de pouvoirs, tels qu’énoncés à l’article 16, paragraphe 2, du même règlement, l’habilitant à exiger des établissements de crédit qu’ils prennent les mesures nécessaires pour remédier aux problèmes constatés dans certaines situations (arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et
T‑345/18, EU:T:2020:394, point 58) ;

– parmi ces situations, figurait celle où, dans le cadre d’un examen prudentiel effectué en application de l’article 4, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1024/2013, la BCE constatait que les dispositifs, les stratégies, les processus et les mécanismes mis en œuvre par l’établissement de crédit de même que les fonds propres et les liquidités que ce dernier détenait n’assuraient pas une gestion saine et une couverture de ses risques (arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et
T‑345/18, EU:T:2020:394, point 58) ;

– l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013 prévoyait que la BCE était investie, en particulier, du pouvoir d’exiger des établissements qu’ils appliquent à leurs actifs une politique spéciale de provisionnement ou un traitement spécial en termes d’exigences de fonds propres (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, points 49 à 60) ;

– le risque que la BCE a identifié dans lesdites affaires (comme dans la présente affaire) était la surévaluation des CET 1, risque trouvant son origine dans le fait que les EPI étaient traités comme un élément hors bilan, qu’ils n’étaient donc pas inscrits au passif du bilan de l’établissement de crédit et que la garantie attachée aux EPI était indisponible jusqu’au paiement des EPI (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, point 63) ;

– eu égard, notamment, à l’importance des CET 1 dans la solidité financière des établissements et, plus globalement, dans la stabilité du secteur financier, l’existence du risque ainsi identifié par la BCE ne pouvait pas être niée (arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, point 67) ;

– la BCE a pu considérer, sans commettre d’erreur de droit sur ce point, que le traitement prudentiel des EPI, et donc de la garantie qui lui était indissociable, pouvait donner lieu à la mise en œuvre de l’une des mesures prévues à l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, et ce nonobstant le fait que, sur un plan comptable, les EPI, en tant que tels, étaient comptabilisés comme des éléments hors bilan (arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18,
EU:T:2020:394, point 70) ;

– toutefois, étant donné que la BCE n’a pas procédé à l’examen individuel de la situation des parties requérantes, tel qu’imposé par l’article 4, paragraphe 1, sous f), et par l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, ces dispositions ont été violées et les décisions attaquées dans le cadre de ces affaires ont été annulées dans cette mesure (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, points 77
à 84).

34 Ainsi, il en ressort que la BCE peut utiliser ses pouvoirs (relevant du « deuxième pilier ») tels qu’une mesure de déduction, si un certain nombre de conditions sont remplies, à savoir si un établissement de crédit est exposé à un risque et si ce risque n’est pas suffisamment couvert. Toutefois, le constat de l’existence d’un tel risque et la question de savoir si ce risque est couvert ou non exigent un examen individuel au cas par cas.

35 Dans les arrêts de 2020, le Tribunal a considéré que les décisions attaquées ne faisaient état d’aucun examen individuel auquel aurait procédé la BCE et visant à vérifier si les parties requérantes avaient mis en œuvre des dispositifs, stratégies, processus et mécanismes au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous f), et de l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013 afin de faire face aux risques prudentiels liés au traitement des EPI hors bilan et, le cas échéant, de s’assurer
de leur pertinence au regard de tels risques.

36 De ce fait, le Tribunal a estimé qu’il découlait de l’approche de la BCE que celle-ci avait estimé que, dès lors qu’un établissement optait pour le recours aux EPI et un traitement hors bilan, il existait un risque, rendant inutile tout examen plus circonstancié de la situation propre à cet établissement.

37 Partant, force est de constater que le Tribunal, dans les arrêts de 2020, a annulé les décisions qui lui avaient été déférées, du fait que la BCE n’avait pas procédé à l’examen prudentiel individuel des parties requérantes tel qu’imposé par l’article 4, paragraphe 1, sous f), et par l’article 16, paragraphe 1, sous c), et paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013.

38 Le Tribunal n’a pas remis en cause l’importance des CET 1, ni le risque identifié par la BCE dans lesdites décisions, à savoir le risque de surestimation des CET 1, ni la possibilité d’imposer une mesure de déduction.

39 De même, le fait que la BCE ait imposé, dans les décisions attaquées, une mesure de déduction qui était quasi identique à celle imposée dans les décisions annulées par les arrêts de 2020 n’implique pas non plus que la BCE ne s’est pas conformée auxdits arrêts ou qu’elle a adopté une position de principe relevant du « premier pilier ».

40 En effet, le Tribunal n’a pas jugé que la mesure était, en tant que telle, illégale. Au contraire, il a jugé que la BCE avait le pouvoir d’imposer une telle mesure. Quant à la question de savoir si la mesure imposée aux parties requérantes était justifiée ou non, dès lors que les décisions attaquées qui faisaient l’objet des arrêts de 2020 ont été annulées faute d’examen individuel, le Tribunal ne l’a pas tranchée. Partant, l’argument de la requérante selon lequel la BCE n’aurait pas respecté
l’obligation d’exclure toute mesure ayant un contenu identique à celui jugé illégal ne saurait prospérer.

41 Par ailleurs, le Tribunal a également admis que les risques identiques pouvaient être couverts par des mesures identiques (arrêt du 9 septembre 2020, BNP Paribas/BCE, T‑150/18 et T‑345/18, EU:T:2020:394, point 80).

42 En outre, le fait que le risque identifié dans les décisions attaquées est le même que celui qui a été identifié dans les décisions annulées par les arrêts de 2020 n’implique pas, en soi, que la BCE ne s’est pas conformée aux enseignements découlant desdits arrêts.

43 Partant, il y a lieu de vérifier si la BCE a procédé à un examen individuel de la situation de la requérante.

44 À cet égard, il y a lieu de constater que la BCE, à la suite de l’annulation des décisions ayant fait l’objet des arrêts de 2020, a développé une méthodologie pour procéder, dans le cadre de son évaluation relative au SREP pour les années suivantes, à un examen plus concret de la situation des établissements de crédit souscrivant des EPI.

45 En l’espèce, l’examen a été mené conformément à ladite méthodologie de la BCE et consiste en un questionnaire qui a conduit la BCE à examiner, eu égard aux réponses des établissements soumis à la surveillance prudentielle et contribuant au financement du Fonds de résolution unique (FRU) et aux systèmes de garantie des dépôts en souscrivant des EPI, si ceux-ci étaient exposés au risque de surestimation des CET 1 et, le cas échéant, si ce risque était couvert.

46 À cette fin, les questions posées concernaient les montants des EPI souscrits, les sûretés fournies, le traitement comptable et prudentiel des EPI et des sûretés et les possibles scénarios de récupération des sûretés ou d’appel en paiement des EPI, y compris les liens entre ces différents scénarios. De plus, afin d’apprécier les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par l’établissement de crédit concerné pour gérer le risque ainsi que les fonds propres et liquidités
détenus pour couvrir ce risque, la BCE a demandé des informations additionnelles sur, notamment, le traitement comptable et prudentiel, les mesures d’atténuation des risques, les mesures de liquidités et de fonds propres, et toute autre mesure utilisée pour atténuer le risque de surestimation des CET 1.

47 La BCE a, dans une première étape de l’exercice des pouvoirs conférés par l’article 16, paragraphe 1, sous c), et par l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013, déterminé si la requérante encourait un risque de surestimation des CET 1 et, dans une seconde étape, effectué un examen de la situation individuelle de la requérante, pour déterminer si les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes qu’elle mettait en œuvre et si les fonds propres et liquidités qu’elle détenait
assuraient une gestion saine et une couverture du risque de surestimation des CET 1.

48 Ainsi, après l’exercice de la quantification du risque, la BCE a évalué, dans le cadre de la seconde étape, si les CET 1 détenus par la requérante assuraient une gestion et une couverture saines du risque de surestimation des CET 1 et a suivi une approche en cinq étapes.

49 En premier lieu, la BCE a évalué si la requérante avait partiellement couvert le risque de surestimation des CET 1 par des CET 1 qu’elle était déjà tenue de détenir au titre du dispositif de fonds propres applicables et qui pourraient contribuer à couvrir ce risque. En deuxième lieu, elle a vérifié si le niveau des CET 1, détenus par la requérante au-delà des exigences globales de fonds propres qui lui étaient applicables, était susceptible de couvrir le risque de surestimation des CET 1. En
troisième lieu, la BCE a évalué si une valeur économique positive pouvait être attribuée aux sûretés fournies en garantie des EPI d’un point de vue prudentiel, et pouvait ainsi réduire l’effet de la souscription d’EPI et de l’octroi des sûretés correspondantes sur la capacité des CET 1 à supporter les risques. En quatrième lieu, la BCE a évalué s’il existait des actifs ou des passifs d’impôt différé susceptibles de réduire le risque de surestimation des CET 1 et, en cinquième lieu, la BCE a
examiné s’il existait d’autres circonstances ou d’autres mesures particulières appliquées par la requérante, susceptibles d’atténuer le risque de surestimation des CET 1.

50 Après l’examen décrit ci-dessus et portant sur les fonds propres, la BCE a examiné si les liquidités détenues par la requérante assuraient une gestion et une couverture saines du risque identifié.

51 En outre, la BCE a examiné si et comment les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre par la requérante assuraient une gestion et une couverture saines du risque de surestimation des CET 1.

52 La BCE est finalement arrivée à la conclusion que les dispositifs, stratégies, processus et mécanismes mis en œuvre et les fonds propres et liquidités que la requérante détenait n’assuraient pas une gestion saine et une couverture du risque identifié, ce qui a justifié la mesure de déduction.

53 Force est de constater qu’il en résulte que la BCE a pris en compte les éléments pertinents, tels que visés par l’article 4, paragraphe 1, sous f), et par l’article 16, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1024/2013, et qu’elle a procédé à un examen individuel de la situation de la requérante.

54 En outre, il convient d’écarter l’argument de la requérante selon lequel la BCE n’aurait pas apporté la preuve d’un risque qui lui serait propre dans la mesure où le risque identifié serait « propre » à l’ensemble des établissements ayant recours aux EPI, de sorte que, en réalité, l’exercice effectué par la BCE ne serait qu’une façade ayant pour but de créer une règle de portée générale.

55 En premier lieu, il convient d’observer que, contrairement à ce que prétend la requérante, la BCE a bien identifié un risque propre à celle-ci. En effet, dans sa mission de surveillance prudentielle, la BCE a pris en compte comme point de départ le traitement comptable appliqué par la requérante, en tant qu’élément factuel parmi d’autres, pour déterminer si et comment celle-ci gérait et couvrait les risques prudentiels qu’elle encourait du fait de la souscription des EPI et de l’octroi de
sûretés.

56 Ainsi, la BCE a constaté que la requérante avait opté pour un traitement comptable combiné, consistant en un traitement hors bilan des EPI, tout en faisant figurer dans son bilan comme un actif, en tant que créance de restitution, des sommes placées en garantie à leur valeur nominale totale. Un tel choix impliquait pour la BCE que la contribution au financement des fonds de résolution et de garantie des dépôts ne se reflétât pas dans le bilan, ayant pour conséquence un risque de surestimation des
CET 1.

57 En second lieu, force est de constater que la BCE n’a créé aucune règle de portée générale dès lors que le traitement comptable des EPI et la garantie associée sont propres à chaque établissement et que les règles comptables applicables laissent une certaine marge, voire un certain choix, dont bénéficiait la requérante.

58 À cet égard, comme l’a fait valoir la BCE, plusieurs choix sont possibles, soit pour éviter ce risque soit pour y remédier par d’autres moyens, ce qui ne peut d’ailleurs être déterminé que sur la base d’un examen individuel.

59 Ainsi, il est possible de faire figurer l’engagement de paiement dans le bilan en tant que passif ou le contrat de sûreté dans le compte de profits et pertes. L’établissement qui appliquerait un tel traitement enregistrerait une perte, si bien qu’un montant équivalent serait déduit de son CET 1, au moment de la souscription de l’engagement. Il est également possible de ne pas enregistrer au bilan les EPI en tant que passif, donc d’opérer un traitement hors bilan et, dans un même temps, d’inscrire
les espèces fournies à titre de sûreté à l’actif du bilan en tant que créance de restitution envers le FRU. Un tel traitement comptable ne se traduit pas par une diminution des éléments de CET 1, bien que les sûretés ne soient pas à la disposition de l’établissement concerné. De même, du point de vue du traitement prudentiel, il est possible d’opérer une réduction volontaire en vertu de l’article 3 du règlement no 575/2013 ou alors de considérer que l’actif enregistré au bilan, représentant la
créance de restitution des sommes placées en garantie, génère une exposition à un risque auquel une pondération spécifique doit être assignée, ce qui suscitera des exigences de fonds propres et, partant, couvrira partiellement le risque de surestimation des CET 1.

60 L’ensemble de ces possibilités se reflète, notamment, dans les décisions prises dans le cadre du SREP visant l’année 2022 que la BCE a produites à la suite d’une mesure d’organisation de la procédure, et qui démontrent que l’examen de la situation individuelle des différents établissements souscrivant des EPI a conduit à des conclusions différentes. En effet, le montant des sommes placées en garantie et devenues par conséquent indisponibles a fait l’objet d’une déduction partielle, d’une
déduction totale ou d’aucune mesure de déduction selon les établissements concernés.

61 Partant, il résulte de ce qui précède que le premier moyen doit être rejeté.

Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et d’une violation du principe de bonne administration

62 La requérante reproche à la BCE d’avoir violé le principe de bonne administration et d’avoir adopté une décision de principe qui ne tient pas réellement compte de la situation particulière de l’établissement, notamment en termes de sécurité prudentielle et de liquidités et, ce faisant, d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation du traitement prudentiel applicable aux EPI. Or, en excluant les « coussins de sécurité » pour apprécier si la requérante était en mesure de répondre au risque
éventuel des EPI, la BCE aurait commis une erreur manifeste d’appréciation. De même, en estimant que le risque lié aux liquidités était intrinsèquement lié à la comptabilisation hors bilan des EPI et qu’aucune alternative à la mesure de déduction – en particulier une exigence de liquidités supplémentaires – ne pourrait y remédier, la BCE aurait adopté une position de principe sans avoir apprécié l’existence d’un risque pour la requérante. La requérante estime également que la BCE a opéré un
renversement de la charge de la preuve et qu’elle n’a pas pris en compte les réponses au questionnaire, puisque celles-ci n’ont pas influencé sa position finale.

63 La BCE souligne que les arguments de la requérante sont basés sur le risque qu’elle encourrait en cas d’appel en paiement des EPI, alors que le risque qu’elle a identifié était celui de la surestimation des CET 1 de la requérante. Elle estime également avoir correctement évalué l’adéquation des fonds propres et celle des liquidités de la requérante eu égard au risque identifié.

64 En l’espèce, il résulte des écritures de la requérante qu’elle reproche à la BCE d’avoir violé le principe de bonne administration du fait que cette dernière se serait fondée sur un raisonnement abstrait et sur des risques dont la vraisemblance n’a pas été examinée. La BCE n’aurait pas examiné si l’appel des EPI serait ou non susceptible de mettre la requérante en situation de fragilité et aurait adopté une motivation générale et stéréotypée.

65 Il résulte d’une jurisprudence constante que, si l’institution compétente dispose d’un pouvoir discrétionnaire, le contrôle juridictionnel que le Tribunal doit exercer sur le bien-fondé des motifs de la décision attaquée ne doit pas le conduire à substituer son appréciation à celle de l’institution compétente, mais vise à vérifier que la décision attaquée ne repose pas sur des faits matériellement inexacts et qu’elle n’est entachée d’aucune erreur de droit ou erreur manifeste d’appréciation ou
d’aucun détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P, EU:C:2023:368, point 55 et jurisprudence citée).

66 À cet égard, il est de jurisprudence constante que le juge de l’Union européenne doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (voir arrêt du 4 mai 2023, BCE/Crédit lyonnais, C‑389/21 P,
EU:C:2023:368, point 56 et jurisprudence citée).

67 Il résulte également d’une jurisprudence constante que, lorsque les institutions disposent d’un tel pouvoir d’appréciation, le respect des garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives revêt une importance d’autant plus fondamentale. Parmi ces garanties conférées par l’ordre juridique de l’Union dans les procédures administratives figure, notamment, le principe de bonne administration, auquel se rattache l’obligation pour l’institution compétente
d’examiner, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents du cas d’espèce (arrêts du 21 novembre 1991, Technische Universität München, C‑269/90, EU:C:1991:438, point 14, et du 29 mars 2012, Commission/Estonie, C‑505/09 P, EU:C:2012:179, point 95).

68 Il y a lieu de rappeler que le risque identifié par la BCE est le risque de surestimation des CET 1 et que le but de la mesure de déduction est de remédier à ce risque, et non de remédier aux risques suscités par un éventuel appel en paiement des EPI. Le risque de surestimation des CET 1 est suscité par l’indisponibilité des sommes placées à titre de garantie de l’engagement souscrit par la requérante. Par ailleurs, la requérante n’a jamais, dans ses écritures, contesté l’indisponibilité de ces
sommes, ni le risque identifié en tant que tel. Bien qu’il y ait un lien entre le risque identifié et la souscription des EPI, le risque de surestimation des CET 1 est un autre risque que celui d’un appel en paiement des EPI. Le risque suscité par l’appel en paiement des EPI représente pour l’établissement concerné le risque d’encourir des pertes une fois que les EPI ont été appelés et que les EPI hors bilan deviennent une dépense réelle entraînant des pertes devant être enregistrées dans son
compte de résultat.

69 Il en résulte que la BCE n’était pas tenue d’examiner si la requérante était en mesure de supporter le risque d’être appelée en paiement des EPI. Partant, le reproche de la requérante, au titre du principe de bonne administration, selon lequel la BCE n’aurait pas examiné si sa situation individuelle assurait la couverture d’un risque différent de celui identifié par la BCE est inopérant.

70 S’agissant des arguments selon lesquels la BCE aurait opéré un renversement de la charge de la preuve et n’aurait pas pris en compte les éléments déclarés par la requérante dans le questionnaire, ceux-ci doivent être écartés.

71 Certes, il incombe à la BCE de démontrer l’existence d’un risque. Toutefois, elle ne peut le faire que sur la base d’informations spécifiques et « propres » à chaque établissement de crédit. Pour cette raison, un questionnaire détaillé a été envoyé afin d’obtenir les informations nécessaires pour évaluer la situation individuelle de la requérante. En effet, ledit questionnaire s’inscrit dans le cadre de l’obligation de coopération prévue à l’article 28, paragraphe 3, du règlement (UE) no 468/2014
de la BCE, du 16 avril 2014, établissant le cadre de la coopération au sein du mécanisme de surveillance unique entre la BCE, les autorités compétentes nationales et les autorités désignées nationales (le « règlement-cadre MSU ») (JO 2014, L 141, p. 1). Cette disposition prévoit que la requérante, dans le cadre d’une procédure de surveillance prudentielle, comme en l’espèce, est tenue de prêter son assistance à la BCE pour la clarification des faits. Le questionnaire n’a donc pas eu pour effet de
dispenser la BCE de la réalisation d’un examen individuel, ni de renverser la charge de la preuve. Au contraire, sur la base des informations reçues, la BCE a effectué son analyse, identifié le risque et est arrivée à la conclusion, en ce qui concerne la requérante, que ledit risque n’était pas couvert, justifiant ainsi la mesure de déduction et l’obligation de déclaration.

72 En ce qui concerne l’obligation de déclaration, force est de constater qu’une telle mesure est possible sur la base de l’article 16, paragraphe 2, sous j), du règlement no 1024/2013. Le fait que l’information doive être fournie en utilisant le modèle COREP C 01.00, ligne 0529, ID 1.1.1.28 « Éléments de fonds propres CET 1 ou déductions – autres », tel qu’il figure à l’annexe I du règlement d’exécution (UE) 2021/451 de la Commission, du 17 décembre 2020, définissant des normes techniques
d’exécution pour l’application du règlement no 575/2013 en ce qui concerne l’information prudentielle à fournir par les établissements, et abrogeant le règlement d’exécution (UE) no 680/2014 (JO 2021, L 97, p. 1), ne permet pas de conclure, contrairement à ce que prétend la requérante, qu’il s’agit d’une mesure appartenant au « premier pilier ». L’utilisation de cette annexe s’explique, ainsi qu’il résulte des décisions attaquées, par le fait que ledit règlement d’exécution ne prévoit pas, à ce
stade, un point spécifique pour déclarer des informations en vertu d’exigences imposées par la BCE dans l’exercice du pouvoir mentionné à l’article 16, paragraphe 2, sous d), du règlement no 1024/2013.

73 S’agissant de l’argument selon lequel la BCE aurait commis une erreur manifeste d’appréciation en ce qu’elle aurait nié l’importance des « coussins de sécurité » pour apprécier si la requérante était en mesure de répondre au risque auquel elle pourrait être exposée du fait de la souscription des EPI et de leur traitement hors bilan, il convient de remarquer que la BCE a examiné cet aspect. Elle a conclu que lesdits coussins, c’est-à-dire les fonds propres détenus par la requérante au-delà des
exigences réglementaires minimales et de la recommandation de fonds propres au titre du « deuxième pilier », ne pouvaient être considérés comme des fonds propres destinés à couvrir le risque de surestimation des CET 1. À cet égard, ainsi qu’il résulte des décisions attaquées, et cela n’est pas contesté par la requérante, cette dernière reste libre d’utiliser les « coussins de sécurité » pour n’importe quel risque et non spécifiquement pour le risque lié aux EPI. De même, elle reste libre de
distribuer les « coussins de sécurité », via des distributions de bénéfices autorisées, à tout moment avant que le risque ne se concrétise, sauf si la BCE demande une déduction ou interdit les distributions de bénéfices. En outre, la requérante n’a fait part d’aucun engagement juridiquement contraignant l’empêchant de disposer librement de son « coussin de sécurité » à d’autres fins que la couverture du risque des EPI. Par ailleurs, il convient de relever, à l’instar de la BCE, que la requérante
semble confondre le risque de surestimation avec ses conséquences potentielles. Le risque de surestimation des CET 1 consiste en une surévaluation potentielle des CET 1 eu égard aux capacités réelles d’absorption des pertes de la requérante, ce qui pourrait lui permettre de souscrire des expositions non couvertes par des fonds propres. Bien que les « coussins de sécurité » composés de CET 1 puissent couvrir les pertes résultant de ces expositions, ils ne couvrent pas le risque de surestimation
des CET 1 lui-même.

74 L’argument de la requérante portant sur les « coussins de sécurité » et l’allégation selon laquelle la BCE ne les aurait pas pris en compte ne sauraient donc prospérer.

75 De même, le reproche portant sur les liquidités ne saurait prospérer. Selon la requérante, la BCE aurait adopté une position de principe sans avoir apprécié l’existence d’un risque pour elle. En effet, la BCE aurait estimé que le risque lié aux liquidités était intrinsèquement lié à la comptabilisation hors bilan des EPI et qu’aucune alternative à la mesure de déduction – en particulier une exigence de liquidités supplémentaires – ne pourrait y remédier.

76 À cet égard, il convient de relever que la BCE a considéré, dans les décisions attaquées, que les liquidités détenues par la requérante n’étaient pas pertinentes pour garantir une gestion saine et une bonne couverture du risque lié aux EPI. En effet, elle a relevé, ainsi qu’il ressort du point 3.10.4 de la décision du 2 février 2022 et du point 3.9.4 de la décision du 21 décembre 2022, que, en cas d’appel des EPI, soit les entités soumises à la surveillance prudentielle concernée livreraient des
espèces en échange de la récupération des sûretés, à titre de rééquilibrage, soit le FRU, le fonds de résolution nationale ou le système de garantie des dépôts saisirait directement les sûretés. Cela n’aurait, dans tous les cas, aucune incidence sur les liquidités nettes de l’établissement de crédit. En tout état de cause, la sortie de trésorerie aurait déjà eu lieu lors de la fourniture initiale de la sûreté et le risque lié aux liquidités se serait donc déjà matérialisé, ainsi que cela se
refléterait dans la gestion du risque lié aux liquidités des sûretés par les entités concernées.

77 Or, force est de constater que l’appréciation selon laquelle, le dépôt de garantie ayant déjà été effectué, les conséquences de cette opération sur les liquidités étaient déjà prises en compte par la requérante et l’impact sur les ratios de liquidités s’était déjà matérialisé n’est pas dépourvue de pertinence. Par ailleurs, il ressort également des écritures de la requérante qu’elle admet que le fait que les EPI soient couverts par une garantie sous forme d’un dépôt d’espèces implique que les
sorties de trésorerie ont déjà eu lieu et que la garantie fournie ne donnera donc pas lieu à des sorties complémentaires de sa part au titre des EPI.

78 La BCE a également examiné si la détention de liquidités supplémentaires atténuerait les préoccupations quant aux risques liés aux EPI.

79 À cet égard, la BCE a conclu dans les décisions attaquées, compte tenu des informations communiquées par la requérante, que les liquidités supplémentaires ne couvraient pas le risque d’une surestimation des CET 1. La détention de liquidités supplémentaires aurait une incidence indirecte sur le risque pesant sur le capital, étant donné qu’une faible pondération du risque est habituellement attribuée aux liquidités. Toutefois, ces effets positifs seraient déjà automatiquement pris en compte dans
les systèmes de la requérante qui déterminent des actifs pondérés en fonction des risques. Le fait de refléter également cette incidence dans le calcul de la déduction pour le risque des EPI reviendrait à compter en double les effets positifs retirés de la détention de liquidités supplémentaires.

80 Compte tenu du risque identifié, ledit raisonnement est exempt d’erreur.

81 Le fait que ce raisonnement s’applique également à d’autres établissements de crédit souscrivant des EPI ne signifie pas que la BCE n’a pas mené un examen de la situation individuelle de la requérante et qu’elle aurait adopté une motivation qui serait générale et stéréotypée, en violation du principe de bonne administration.

82 Il résulte de ce qui précède que le deuxième moyen doit être rejeté.

Sur le troisième moyen, tiré d’une erreur de droit résultant de la privation de l’effet utile de la réglementation entourant le recours aux EPI

83 La requérante soutient que les décisions attaquées privent les EPI de tout effet utile.

84 En premier lieu, le traitement comptable et prudentiel différencié des EPI (qui ne donnent pas lieu à l’inscription en charges dans ses comptes) par rapport aux contributions directes en numéraire (qui donnent lieu à une inscription en charges dans ses comptes) serait cohérent avec l’objectif du législateur consistant à préserver la capacité des établissements contributeurs de financer l’économie réelle. En imposant un traitement prudentiel indifférencié entre les EPI et les contributions en
numéraire, les décisions attaquées menaceraient l’équilibre établi par le législateur entre le financement des fonds de résolution et des systèmes de garantie des dépôts, d’une part, et le financement de l’économie réelle, d’autre part, et ignoreraient la différence de nature qui existe entre ces deux catégories de contributions.

85 En second lieu, la mesure de déduction irait à l’encontre des objectifs de souplesse, de rapidité et d’effectivité poursuivis par le législateur, ainsi qu’il ressort de la genèse des textes ayant fondé l’union bancaire et de la lecture des débats parlementaires, dès lors qu’elle rendrait la mise en place des contributions ex ante aux fonds de résolution et aux systèmes de garantie des dépôts plus contraignante.

86 La BCE réfute l’argumentation de la requérante.

87 Conformément à une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il importe de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 26 janvier 2012, ADV Allround, C‑218/10, EU:C:2012:35, point 26 ; voir, également, arrêt du 19 juillet 2012, A, C‑33/11, EU:C:2012:482, point 27 et jurisprudence citée).

88 Le fait que les EPI puissent, à côté des contributions ex ante en espèces, être utilisés pour contribuer aux fonds de résolution et aux systèmes de garantie des dépôts ne donne pas lieu à débat, compte tenu de la lettre claire :

– du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1) ;

– de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE)
no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190) ;

– de la directive 2014/49/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, relative aux systèmes de garantie des dépôts (JO 2014, L 173, p. 149).

89 À cet égard, l’article 70, paragraphe 3, du règlement no 806/2014 précise que « [l]es moyens financiers disponibles à prendre en compte pour atteindre le niveau cible indiqué à l’article 69 peuvent inclure des [EPI] entièrement garantis par des actifs à faible risque non grevés de droits de tiers, réservés à l’utilisation exclusive du CRU et aux fins indiquées à l’article 76, paragraphe 1 » et que « [l]a part de ces [EPI] ne dépasse pas 30 % du montant total des contributions perçues conformément
au[dit] article ». Le texte de l’article 103, paragraphe 3, de la directive 2014/59 est identique, quant à son contenu, à celui de l’article 70, paragraphe 3, du règlement précité. Enfin, quant aux systèmes de garantie des dépôts, l’article 10, paragraphe 3, de la directive 2014/49 prévoit également la possibilité de contribuer par le biais des EPI.

90 Toutefois, il convient de constater que les dispositions précitées n’abordent pas et n’ont pas pour objet de régir les traitements comptable et prudentiel des EPI.

91 La question de l’effet utile des dispositions pertinentes concerne donc l’articulation de la réglementation instaurant des fonds de résolution et des systèmes de garantie des dépôts et autorisant l’utilisation des EPI en tant que contribution à ceux-ci avec le règlement no 575/2013 et le règlement no 1024/2013, qui ont respectivement prévu des exigences prudentielles et instauré le mécanisme de surveillance unique. Il s’agit donc de savoir si l’application du règlement no 575/2013 et du règlement
no 1024/2013 peut avoir pour effet de faire perdre à certaines dispositions du règlement no 806/2014, dont l’article 70, paragraphe 3, leur effet utile. Il en va de même en ce qui concerne la directive 2014/59, et notamment son article 103, paragraphe 3, et en ce qui concerne la directive 2014/49, dont son article 10, paragraphe 3.

92 À cet égard, il ne peut être conclu que le législateur aurait souhaité que les recours aux EPI puissent permettre aux établissements souscripteurs de prendre des risques non couverts par des fonds propres.

93 En effet, une telle interprétation serait en contradiction avec les mesures plus strictes prises en réponse à la crise financière de 2008, qui a été le déclencheur d’un renforcement du cadre réglementaire et de la surveillance prudentielle. C’est dans ce contexte qu’ont également été instaurés les mécanismes de résolution visant à prévenir les conséquences néfastes des faillites bancaires survenues dans le passé et à mieux y faire face à l’avenir.

94 À cet égard, il a déjà été constaté, dans le cadre des premier et deuxième moyens, que la BCE pouvait à juste titre conclure, sur la base de l’examen individuel, que la requérante courait un risque de surestimation des CET 1, celui-ci étant le résultat de la manière dont la requérante comptabilisait les EPI et la garantie afférente, et impliquant qu’elle puisse financer des activités qui n’étaient pas couvertes par ses fonds propres.

95 En outre, ne sont pas convaincants les citations prises des considérants faisant partie des textes ayant fondé l’union bancaire ou les débats parlementaires invoqués par la requérante dans ses écritures. Certes, ils montrent que le législateur a tenté de trouver un certain équilibre entre, d’une part, les exigences nécessaires à une union bancaire saine et, d’autre part, la marge de manœuvre laissée aux banques dans leur activité commerciale. Toutefois, les considérants invoqués par la requérante
ont une portée générale et ne visent pas les EPI. De plus, les passages qu’elle cite sont sélectifs et incomplets et aucune conclusion ne peut en être tirée quant au traitement comptable et aux éventuelles conséquences prudentielles.

96 À titre d’exemple, la référence faite par la requérante au considérant 18 du règlement no 1024/2013, afin d’étayer ses arguments dans le cadre du présent moyen et surtout ceux liés au traitement comptable, n’est pas pertinente dans la mesure où l’extrait cité dudit considérant ne reflète pas l’intégralité de celui-ci. Certes, il ressort de la phrase citée que la BCE doit tenir compte des éléments macroéconomiques pertinents dans les États membres et, en particulier, de la stabilité de l’offre de
crédit et de la promotion des activités productives pour l’économie dans son ensemble. Toutefois, la phrase précédente indique, quant à elle, que la BCE doit, dans l’accomplissement de ses missions, éviter « l’aléa moral et la prise de risque excessive par les établissements de crédit qui pourrait en résulter ».

97 Or, le fait que la BCE, dans l’accomplissement de ses missions, est tenue de prendre en compte des éléments macroéconomiques pertinents ne signifie pas qu’elle est empêchée de prendre des mesures correctives au niveau individuel si cela est nécessaire d’un point de vue prudentiel.

98 De même, en ce qui concerne la référence au considérant 15 d’une version de la proposition de règlement d’exécution concernant le règlement no 806/2014 [devenu le règlement d’exécution (UE) 2015/81 du Conseil, du 19 décembre 2014, définissant des conditions uniformes d’application du règlement no 806/2014 en ce qui concerne les contributions ex ante au FRU (JO 2015, L 15, p. 1)], citée par la requérante dans ses écritures, il convient de relever que celle-ci n’est pas pertinente. En effet, son
contenu n’a pas été repris dans la version finale du règlement d’exécution, ce qui tend à indiquer que le législateur ne l’a pas jugée opportune.

99 De plus, en ce qui concerne l’argument selon lequel un traitement indifférencié annihilerait l’effet utile des EPI, il convient de relever qu’il ressort des décisions prises par la BCE et évoquées au point 60 ci-dessus que d’autres établissements bancaires, également souscripteurs d’EPI, ont prévu un traitement comptable différent de leurs EPI et des sommes placées en garantie qui ne posait aucun problème d’un point de vue prudentiel. Au demeurant, cela tend à démontrer que les EPI ne sont pas
dénués d’intérêts pour ces derniers.

100 À cet égard, indépendamment du traitement comptable portant sur les EPI, il convient de noter que les sommes placées en garantie auprès du fonds de résolution ou du système de garantie des dépôts produisent des intérêts au profit des établissements souscripteurs des EPI, ce qui constitue un avantage par rapport à une contribution en espèces.

101 De surcroît, l’absence de disposition dans le règlement no 575/2013 prévoyant expressément un traitement comptable et prudentiel spécifique des EPI tend à renforcer les conclusions qui précèdent.

102 Par ailleurs, le fait que, avec l’introduction de l’instrument relatif aux EPI, le législateur n’ait pas eu l’intention d’accorder un avantage préférentiel aux souscripteurs tend à ressortir également de l’avis exprimé par l’Autorité bancaire européenne (ABE).

103 À cet égard, l’ABE a estimé, ainsi qu’il résulte de ses réponses aux commentaires formulés dans le cadre de la consultation menée sur son projet d’orientations sur les EPI au titre de la directive 2014/49, que ni les considérants ni les articles de la directive 2014/49 ne prévoyaient que l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union, lors de l’introduction des EPI, était d’accorder aux établissements de crédit un traitement comptable préférentiel. En outre, selon l’ABE, contrairement aux
contributions directes en numéraire, les établissements souscrivant des EPI peuvent bénéficier de ces derniers en conservant le produit des sommes transférées en garantie. De plus, toujours selon l’ABE, les EPI offrent aux établissements de crédit un traitement des liquidités préférentiel (reflété dans le tableau des flux de trésorerie).

104 Bien que l’interprétation de l’ABE ne soit pas contraignante, en l’espèce, il peut être pertinent de la prendre en considération dès lors que l’ABE est une source de référence dans le domaine de l’union bancaire.

105 Par ailleurs, les orientations portant sur les EPI que l’ABE a établies au titre de l’article 10, paragraphe 3, second alinéa, de la directive 2014/49 et de l’article 16 du règlement (UE) no 1093/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, instituant une ABE, modifiant la décision no 716/2009/CE et abrogeant la décision 2009/78/CE de la Commission (JO 2010, L 331, p. 12), confirment également que le traitement comptable des EPI et des sommes placées en garantie peut conduire à
la prise de mesures prudentielles.

106 L’interprétation préconisée par la requérante doit donc être écartée et, partant, le troisième moyen dans son ensemble.

Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité

107 Tout d’abord, la requérante rappelle que le risque potentiel suscité par les EPI ne peut se matérialiser qu’en cas d’appel en paiement et que ce risque, dont la survenance est hypothétique car la probabilité d’appel en paiement des EPI est faible, est, en tout état de cause, couvert via l’application correcte des exigences prudentielles, telles que les actifs pondérés en fonction du risque (risk weighted assets). Il en résulterait que la BCE n’aurait pas tenu compte de sa situation spécifique,
que la mesure de déduction serait injustifiée et porterait, à ce seul titre, atteinte au principe de proportionnalité.

108 Ensuite, la BCE aurait écarté toute mesure alternative à la mesure de déduction, en vertu d’une position de principe, sous prétexte que, sans déduction, le montant des CET 1 communiqué aux acteurs du marché ne refléterait pas les capacités réelles d’absorption des pertes.

109 La requérante estime donc que l’imposition de la mesure de déduction, qui produit des effets négatifs sur elle, est manifestement inadaptée et disproportionnée par rapport à l’objectif affiché d’obtenir, pour les besoins de la supervision, une information adéquate sur les risques.

110 Enfin, la requérante estime que la BCE a reconnu, dans le cadre des réponses aux observations qu’elle a formulées, que l’adéquation de ses fonds propres, évaluée à « risque moyennement faible » en l’espèce, était un paramètre indifférent. Elle en conclut que la BCE admet, par conséquent, que même un établissement présentant une situation de capital adéquate se verrait appliquer la même mesure de déduction, ce qui est en contradiction totale avec le principe de proportionnalité.

111 La BCE conteste les arguments de la requérante.

112 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon l’article 5, paragraphe 4, TUE, en vertu du principe de proportionnalité, le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités. Les institutions de l’Union appliquent le principe de proportionnalité conformément au protocole no 2 sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au TFUE.

113 En application d’une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et
que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 16 mai 2017, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, T‑122/15, EU:T:2017:337, point 67 et jurisprudence citée).

114 En outre, selon la Cour, l’appréciation de la proportionnalité d’une mesure doit se concilier avec le respect de la marge d’appréciation éventuellement reconnue aux institutions de l’Union à l’occasion de son adoption (voir arrêt du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 53 et jurisprudence citée).

115 En l’espèce, après avoir constaté que l’existence du risque identifié non couvert donnait lieu à la situation problématique visée à l’article 16, paragraphe l, sous c), du règlement no 1024/2013 et que, afin de remédier à ce problème, elle pouvait exercer les pouvoirs que lui conférait l’article 16, paragraphe 2, sous d), de ce même règlement pour exiger de l’établissement concerné qu’il applique à ses actifs une politique spéciale de provisionnement ou un traitement spécial en termes
d’exigences de fonds propres, la BCE a examiné la proportionnalité de la mesure de déduction.

116 En premier lieu, la BCE a déterminé que l’exigence de déduction était appropriée pour remédier au risque de surestimation des CET 1, car elle remédiait spécifiquement à la perte de ressources économiques déjà survenue. En second lieu, la BCE a évalué si l’exigence de déduction était nécessaire et, notamment, s’il existait d’autres mesures alternatives, moins onéreuses et susceptibles d’atteindre de la même manière l’objectif de ne déclarer que les CET 1 capables de supporter les risques.

117 La BCE a considéré que cet objectif ne serait pas atteint par le recours à d’autres mesures au titre du « deuxième pilier » en vertu de l’article 16, paragraphe 2, sous a), visant l’augmentation des exigences de fonds propres, et sous i), visant la limitation de distribution de dividendes, du règlement no 1024/2013.

118 Force est de constater que l’examen conduit par la BCE sur la proportionnalité de la mesure de déduction a été structuré et effectué de manière correcte. Celui-ci n’est pas entaché d’illégalité et est dépourvu d’erreurs. En outre, ce raisonnement de la BCE n’est pas remis en cause par les arguments invoqués par la requérante.

119 En premier lieu, l’argument selon lequel la matérialisation d’appel en paiement des EPI demeure très hypothétique n’est pas pertinent au regard du risque identifié.

120 En deuxième lieu, la requérante ne peut pas, du fait que la BCE a examiné et, par la suite, écarté des mesures alternatives à la mesure de déduction, tirer la conclusion que la mesure imposée était inapte et disproportionnée pour l’obtention d’informations sur les risques. En tout état de cause, la requérante n’a pas expliqué pourquoi le raisonnement de la BCE, à cet égard, serait erroné. En outre, la mesure de déduction vise à remédier à la perte des ressources économiques déjà survenue, la
communication au marché ou aux superviseurs du niveau exact de capacité d’absorption des pertes des CET 1 de la requérante n’étant qu’une conséquence indirecte de la mesure imposée, mais pas un but en soi.

121 En troisième lieu, le fait que l’adéquation des fonds propres ait donné lieu à une évaluation comme « risques moyennement faibles » ne signifie pas que la mesure de déduction serait disproportionnée et, en tout état de cause, il convient de relever que cette qualification ne remédie pas au risque de surestimation identifié.

122 Il résulte de ce qui précède que le quatrième moyen doit être rejeté et, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

Sur les dépens

123 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BCE.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre élargie)

déclare et arrête :

  1) Le recours est rejeté.

  2) BNP Paribas est condamnée aux dépens.

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Nõmm

Steinfatt

Kukovec
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 juin 2024.

Le greffier

V. Di Bucci

Le président

M. van der Woude

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Troisième chambre élargie
Numéro d'arrêt : T-186/22
Date de la décision : 05/06/2024
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Politique économique et monétaire – Surveillance des établissements de crédit – Missions spécifiques de surveillance confiées à la BCE – Fixation des exigences prudentielles – Engagements de paiements irrévocables – Autorité de la chose jugée – Excès de pouvoir – Erreur manifeste d’appréciation – Principe de bonne administration – Proportionnalité.

Politique économique et monétaire

Banque centrale européenne (BCE)


Parties
Demandeurs : BNP Paribas
Défendeurs : Banque centrale européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Schalin

Origine de la décision
Date de l'import : 07/06/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2024:353

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