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21/09/2022 | CJUE | N°T-475/21

CJUE | CJUE, Arrêt du Tribunal, République française contre Commission européenne., 21/09/2022, T-475/21


ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

21 septembre 2022 (*)

« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Dépenses effectuées par la France – Soutien couplé facultatif – Conditions d’éligibilité – Secteurs et productions éligibles – Article 52, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1307/2013 »

Dans l’affaire T‑475/21,

République française, représentée par M^me A.-L. Desjonquères, MM. F. Alabrune, T. Stéhelin, G. Bain et J.-L. Carré, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M^me C. Perrin et M. A. Sauka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL...

ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)

21 septembre 2022 (*)

« FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Dépenses effectuées par la France – Soutien couplé facultatif – Conditions d’éligibilité – Secteurs et productions éligibles – Article 52, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1307/2013 »

Dans l’affaire T‑475/21,

République française, représentée par M^me A.-L. Desjonquères, MM. F. Alabrune, T. Stéhelin, G. Bain et J.-L. Carré, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par M^me C. Perrin et M. A. Sauka, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre),

composé de M^mes M. J. Costeira, présidente, M. Kancheva et M. I. Dimitrakopoulos (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la République française demande l’annulation de la décision d’exécution (UE) 2021/988 de la Commission, du 16 juin 2021, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2021, L 218, p. 9, ci-après la « décision attaquée »), pour autant qu’elle a exclu du financement par
FEAGA la somme de 45 869 990,19 euros, correspondant aux dépenses engagées au titre d’une mesure de soutien couplé facultatif en faveur de la production de légumineuses fourragères, afférentes à l’année de demande 2017.

 Antécédents du litige

2        Le 1^er août 2016, les autorités françaises ont, en application de l’article 54, paragraphe 1, du règlement (UE) n^o 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) n^o 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) n^o 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608), notifié à la Commission
européenne une mesure de soutien couplé en faveur du secteur des protéagineux, intitulée « 24. Aide à la production de légumineuses fourragères » (ci-après la « mesure 24 »). Au point 2.2.b) de cette notification, il était notamment précisé que, pour ce régime de soutien couplé, les surfaces éligibles étaient celles cultivées en légumineuses fourragères pures, en mélange entre elles ou en mélange avec d’autres espèces (céréales, autres graminées, oléagineux), si le mélange contenait a minima 50 % de
semences de légumineuses fourragères à l’implantation.

3        Pour les années de demande 2015 et 2016 (c’est-à-dire les années financières 2016 et 2017), la Commission a diligenté une enquête, sous la référence NAC/2016/021/FR, à l’issue de laquelle elle a constaté que les conditions d’éligibilité établies pour la mesure 24 n’étaient pas conformes au droit de l’Union européenne et, partant, a adopté la décision d’exécution (UE) 2018/1841 de la Commission, du 16 novembre 2018, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées
par les États membres au titre du FEAGA et du Feader (JO 2018, L 298, p. 34), appliquant une correction financière à la République française pour les dépenses engagées au titre de cette mesure.

4        Une nouvelle enquête a été diligentée par la Commission pour l’année de demande 2017, enregistrée sous la référence NAC/2018/009/FR.

5        Par courrier du 4 mai 2018, la Commission a communiqué à la République française les résultats de l’enquête susmentionnée, en application de l’article 34, paragraphe 2, du règlement d’exécution (UE) n^o 908/2014 de la Commission, du 6 août 2014, portant modalités d’application du règlement (UE) n^o 1306/2013 du Parlement et du Conseil en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les règles relatives aux contrôles, les garanties
et la transparence (JO 2014, L 255, p. 59). Dans cette communication du 4 mai 2018, la Commission a constaté que les conditions d’éligibilité de la mesure 24 n’avaient pas changé par rapport à celles applicables pour les années de demande 2015 et 2016, car les mélanges de légumineuses avec des graminées figuraient toujours parmi les surfaces éligibles au soutien couplé. La Commission a donc indiqué aux autorités françaises qu’elle considérait les paiements effectués au titre de la mesure 24 à
compter de l’année de demande 2017 comme étant irréguliers et non éligibles au financement de l’Union. La Commission a, en outre, invité les autorités françaises à fournir une estimation du risque pour le FEAGA pour l’année de demande 2017 et à modifier les conditions d’éligibilité de la mesure 24.

6        Par courrier du 6 novembre 2018, les autorités françaises ont, d’une part, contesté l’application d’une correction financière égale au montant de l’aide versée au titre des surfaces couvertes par des mélanges de légumineuses et de graminées et, d’autre part, fait valoir, en substance, qu’aucune disposition réglementaire n’excluait les graminées des soutiens couplés.

7        Par courrier du 17 décembre 2019, envoyé sur le fondement de l’article 34, paragraphe 3, troisième alinéa, et de l’article 40, paragraphe 1, du règlement n^o 908/2014, la Commission a formellement communiqué à la République française le montant estimé de la correction proposée pour l’année de demande 2017, à savoir la somme de 45 869 990,19 euros.

8        Par courrier du 3 février 2020 les autorités françaises ont demandé l’ouverture d’une procédure de conciliation sur le fondement de l’article 40, paragraphe 1, du règlement n^o 908/2014. L’organe de conciliation a rendu son rapport le 2 août 2020, dans lequel il a conclu à l’absence de conciliation possible entre les parties.

9        Par courrier du 5 mars 2021, la Commission a transmis aux autorités françaises sa position finale à la suite du rapport de l’organe de conciliation, dans laquelle elle a confirmé, en substance, que, dans la mesure où les graminées n’étaient pas mentionnées dans la liste des secteurs et des productions éligibles au soutien couplé, établie à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, les mélanges de légumineuses et de graminées, même en proportion minoritaire, ne pouvaient pas
bénéficier d’un tel soutien.

10      Par la décision attaquée, la Commission a, notamment, écarté du financement de l’Union les dépenses engagées par la République française au titre de la mesure 24, afférentes à l’année de demande 2017, d’un montant de 45 869 990,19 euros.

 Conclusions des parties

11      La République française conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée en ce qu’elle applique une correction financière d’un montant de 45 869 990,19 euros aux dépenses relatives à la mesure 24, afférentes à l’année de demande 2017 ;

–        condamner la Commission aux dépens.

12      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la République française aux dépens.

 En droit

13      À l’appui du recours, la République française soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013. En effet, la République française soutient que, en considérant que les légumineuses cultivées en mélange avec des graminées n’étaient pas éligibles à un régime de soutien couplé, la Commission a fait une interprétation erronée de ladite disposition.

14      À cet égard, la République française fait valoir qu’il ressort d’une interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 que la notion de « secteur », visée par cette disposition, a une portée plus large que la notion de « production », ce qui serait notamment confirmé par la distinction entre productions agricoles et secteurs agricoles opérée par l’article 52, paragraphe 3, et par l’article 54, paragraphes 1 et 2, du règlement
n^o 1307/2013, par le considérant 49 dudit règlement et par le règlement (UE) n^o 1308/2013 du Parlement et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n^o 922/72, (CEE) n^o 234/79, (CE) n^o 1037/2001 et (CE) n^o 1234/2007 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 671). Ainsi, selon la République française, en application de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, les États membres peuvent, en vue de prévenir
l’aggravation de difficultés existantes, accorder un soutien couplé soit en faveur d’un secteur agricole spécifique, c’est-à-dire à plusieurs types de productions appartenant de manière principale ou secondaire à ce secteur, soit à un seul type spécifique de production agricole.

15      S’agissant plus particulièrement du secteur des cultures protéagineuses, mentionné à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, la République française estime qu’il ne désigne pas une production spécifique, mais se réfère au secteur des plantes appartenant à la famille des légumineuses, qui sont cultivées pour leur richesse en protéines.

16      Dans ces conditions, la République française soutient que le secteur des cultures protéagineuses doit recevoir une interprétation large de nature à y inclure l’ensemble des pratiques courantes établies dans un État membre pour la production d’espèces de légumineuses cultivées pour leur richesse en protéines.

17      Or, en France, les cultures de légumineuses destinées au fourrage des animaux seraient couramment cultivées en mélange avec d’autres espèces, telles que les graminées. En effet, la culture de légumineuses en mélange avec des graminées présenterait non seulement un intérêt agricole, en ce qu’elle permettrait aux éleveurs de disposer d’un fourrage plus digeste pour les animaux, mais également un intérêt environnemental, car les légumineuses permettraient de fixer dans le sol l’azote de l’air
et, partant, de réduire l’ajout d’engrais azotés. Par ailleurs, la République française fait valoir que le secteur des légumineuses fourragères a connu un important recul depuis les années 1960. Dès lors, l’octroi d’un soutien couplé à la culture des légumineuses incluant les cultures de légumineuses fourragères en mélange avec d’autres espèces, y compris les graminées, correspondrait à l’objectif du soutien couplé, qui serait de soutenir un secteur en difficulté en encourageant une pratique
courante et vertueuse pour la santé animale et pour l’environnement.

18      Enfin, dans la réplique, la République française précise qu’elle ne soutient pas que les légumineuses et les graminées constituent, respectivement, des productions principales et des productions secondaires au sein du secteur des cultures protéagineuses, mais que les mélanges entre légumineuses et graminées, avec légumineuses prépondérantes, sont un type de production à part entière au sein dudit secteur.

19      La Commission conteste les arguments de la République française.

20      À titre liminaire, d’une part, il y a lieu d’observer que, dans ses écritures, la République française ne conteste pas que les graminées, prises isolément, ne relèvent pas des secteurs ou des productions dont la liste est dressée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 et que, dès lors, elles ne sont pas, en tant que telles, éligibles au soutien couplé. D’autre part, il est constant entre les parties que les légumineuses sont éligibles au soutien couplé en ce que cette
production fait partie du secteur des cultures protéagineuses, visé expressément à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013.

21      Pour autant, les parties s’opposent sur la question de savoir si les mélanges entre, d’une part, des produits agricoles relevant de l’un des secteurs ou de l’une des productions dont la liste est dressée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, tels que les légumineuses, et d’autre part, des produits agricoles qui ne relèvent pas desdits secteurs ou desdites productions, tels que les graminées, sont éligibles au soutien couplé.

22      Aux fins de répondre à cette question, il convient de procéder à l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2015, Finlande/Commission, T‑124/14, EU:T:2015:955, point 24).

 Sur l’interprétation littérale

23      Dans le cadre d’une interprétation littérale, il y a lieu de tenir compte du fait que les textes de droit de l’Union sont rédigés en plusieurs langues et que toutes les versions linguistiques font foi, ce qui peut nécessiter une comparaison des versions linguistiques entre elles (voir, en ce sens, arrêt du 11 décembre 2015, Finlande/Commission, T‑124/14, EU:T:2015:955, point 25 et jurisprudence citée).

24      L’article 52 du règlement n^o 1307/2013, intitulé « Règles générales », figure dans le chapitre 1, intitulé « Soutien couplé facultatif », du titre IV, intitulé « Soutien couplé », dudit règlement et énonce, en son paragraphe 1, que les États membres peuvent accorder un soutien couplé aux agriculteurs dans les conditions énoncées audit chapitre.

25      Aux termes de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, le soutien couplé peut être accordé en faveur des secteurs et des productions suivants : céréales, oléagineux, cultures protéagineuses, légumineuses à grains, lin, chanvre, riz, fruits à coque, pommes de terre féculières, lait et produits laitiers, semences, viandes ovine et caprine, viande bovine, huile d’olive, vers à soie, fourrages séchés, houblon, betterave sucrière, canne et chicorée, fruits et légumes et taillis à
courte rotation.

26      Il y lieu d’observer que l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 établit une liste de secteurs et de productions éligibles au soutien couplé, dont le caractère limité et exhaustif est attesté par l’emploi de l’adjectif « suivants » (« following » en anglais et « seguenti » en italien), suivi de deux points, qui précède l’énumération desdits secteurs et desdites productions.

27      Dès lors, étant donné que l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, d’une part, établit une liste limitative de secteurs et de productions éligibles au soutien couplé et, d’autre part, ne mentionne pas les mélanges entre des produits relevant des secteurs ou des productions expressément visés dans cette liste et des produits ne relevant pas desdits secteurs ou desdites productions, l’interprétation littérale de cette disposition semble appuyer la thèse de la Commission
relative, en substance, à l’inéligibilité desdits mélanges, plutôt que celle défendue par la République française.

 Sur l’interprétation contextuelle

28      Il découle de l’emploi, d’une part, de l’adjectif « facultatif » dans l’intitulé du chapitre 1 du titre IV du règlement n^o 1307/2013 et, d’autre part, du verbe « pouvoir » à l’article 52, paragraphe 1, de ce règlement (voir point 24 ci-dessus) que le régime du soutien couplé n’est pas obligatoire et que les États membres disposent donc de la liberté d’accorder un tel soutien.

29      En outre, conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement n^o 1307/2013, lorsque les États membres décident d’instituer un tel soutien, ils doivent le faire dans le respect de l’ensemble des conditions énoncées au chapitre 1 du titre IV dudit règlement (voir point 24 ci-dessus).

30      À cet égard, premièrement, en application de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, sont éligibles au soutien couplé les secteurs et les productions dont la liste limitative est dressée audit article. Deuxièmement, conformément à l’article 52, paragraphe 3, dudit règlement, seuls peuvent bénéficier d’un tel soutien des secteurs ou des régions d’un État membre où des « types particuliers d’agriculture » ou des « secteurs agricoles spécifiques », d’une part, sont
particulièrement importants pour des raisons économiques, environnementales ou sociales et, d’autre part, connaissent des difficultés. L’article 52, paragraphe 3, du règlement délégué (UE) n^o 639/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement n^o 1307/2013 et modifiant l’annexe X dudit règlement (JO 2014, L 181, p. 1), précise que lesdites difficultés impliquent l’existence d’un risque d’abandon ou de recul de la production, notamment du fait de la faible rentabilité de l’activité
exercée, qui a des conséquences négatives sur l’équilibre économique, social ou environnemental de la région ou du secteur concerné. Troisièmement, l’article 52, paragraphe 5, du règlement n^o 1307/2013 dispose que ce soutien doit être nécessaire pour maintenir les niveaux actuels de production dans les secteurs ou dans les régions concernés.

31      Il ressort ainsi d’une lecture conjointe des dispositions susmentionnées que le législateur a entendu restreindre la faculté pour les États membres d’octroyer un soutien couplé en instituant des conditions cumulatives qui limitent considérablement le cercle des bénéficiaires éligibles et, plus généralement, son champ d’application matériel. Partant, une interprétation large dudit champ d’application serait incompatible avec les conditions susmentionnées.

32      En outre, si l’article 52, paragraphe 3, du règlement n^o 1307/2013 confère une certaine marge d’appréciation aux États membres aux fins d’établir si des secteurs ou des productions, d’une part, sont particulièrement importants pour des raisons économiques, environnementales ou sociales et, d’autre part, rencontrent des difficultés et si le soutien couplé pourrait prévenir l’aggravation de ces difficultés ou l’abandon de la production, il ne découle aucunement de cet article, ni d’aucune
autre disposition du règlement n^o 1307/2013 ou du règlement n^o 639/2014, que les États membres disposeraient d’une marge d’appréciation analogue s’agissant de la définition des secteurs ou des productions éligibles au soutien couplé dont la liste est dressée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013. En effet, un tel pouvoir d’appréciation serait contraire au caractère exhaustif de la liste établie à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, que la République française
a, au demeurant, expressément reconnu dans ses écritures.

33      Par ailleurs, il convient de relever que l’article 1^er, sous b), du règlement n^o 1307/2013 dresse la liste des différents régimes de soutien en faveur des agriculteurs qui sont réglementés par ses dispositions. Or, il ressort de l’annexe 1 dudit règlement que ces régimes sont découplés de la production, à l’exception du régime du soutien couplé et de l’aide spécifique au coton, laquelle est régie par les dispositions figurant au chapitre 2 du titre IV du même règlement.

34      Par conséquent, le soutien couplé constitue un régime d’aide dérogatoire par rapport aux autres régimes d’aides régis par le règlement n^o 1307/2013, qui sont découplés de la production et qui, en principe, ne concernent pas spécifiquement des secteurs ou des productions agricoles qui rencontrent des difficultés.

35      Il s’ensuit que, eu égard au caractère dérogatoire du soutien couplé, ses conditions d’application doivent faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 13 décembre 2018, Sut, C‑514/17, EU:C:2018:1016, point 28 et jurisprudence citée, et du 22 janvier 2020, Pensionsversicherungsanstalt (Cessation d’activité après l’âge du départ à la retraite), C‑32/19, EU:C:2020:25, point 38 et jurisprudence citée].

36      À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que les secteurs et les productions éligibles, dont la liste est dressée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, doivent être interprétés de manière stricte.

37      Dès lors, l’interprétation contextuelle de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 ne corrobore pas la thèse de la République française en ce qui concerne l’éligibilité des mélanges qui comprennent des produits agricoles relevant de l’un des secteurs ou de l’une des productions dont la liste est expressément dressée audit article et d’autres produits qui ne relèvent pas desdits secteurs ou desdites productions.

 Sur l’interprétation téléologique

38      Aux fins de l’interprétation téléologique de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, il convient de tenir compte de l’objectif du régime de soutien couplé, évoqué au considérant 49 et à l’article 52, paragraphe 5, du même règlement. Il ressort de ce considérant et de cette dernière disposition, lus conjointement avec l’article 52, paragraphe 3, du règlement n^o 1307/2013 et l’article 52, paragraphe 3, du règlement n^o 639/2014 (voir point 30 ci-dessus), que le soutien couplé
n’a pas pour objectif de soutenir la production agricole de manière générale, mais vise à créer une incitation à maintenir les niveaux actuels de production dans les secteurs ou dans les régions spécifiques d’un État membre dans lesquels des types particuliers d’agriculture ou des secteurs agricoles spécifiques, particulièrement importants pour des raisons économiques et sociales, rencontrent des difficultés qui peuvent conduire à l’abandon ou au recul de la production et avoir des conséquences
négatives sur l’équilibre économique, social ou environnemental de la région ou du secteur concerné.

39      Il s’ensuit que l’objectif du soutien couplé est de soutenir la production afférente à certains secteurs agricoles ou à certaines productions spécifiques qui rencontrent des difficultés, afin d’éviter l’abandon ou le recul de cette production ainsi que l’impact négatif qui en découlerait pour l’équilibre économique, social ou environnemental de la région ou du secteur concerné.

40      En l’espèce, il convient de rappeler que la mesure 24, intitulée « Aide à la production de légumineuses fourragères », visait à inciter la production de légumineuses fourragères, car, d’après la notification effectuée par la République française conformément à l’article 52, paragraphe 4, du règlement n^o 1307/2013, les surfaces en légumineuses fourragères avaient amorcé un recul depuis 2010 et les surfaces en légumineuses fourragères pures connaissaient une baisse continue et significative.

41      La République française prétend, en substance, qu’un soutien couplé à la culture de légumineuses riches en protéines, qui inclurait notamment les mélanges de légumineuses et de graminées, répond à l’objectif de soutien d’un secteur en difficulté particulièrement important pour des raisons économiques, sociales ou environnementales, au sens de l’article 52, paragraphe 3, du règlement n^o 1307/2013.

42      À cet égard, premièrement, la République française allègue que les légumineuses ont la particularité de fixer l’azote de l’air dans le sol et d’éviter ainsi l’ajout d’engrais azotés et que telle est la raison pour laquelle les légumineuses sont souvent et traditionnellement semées avec d’autres espèces.

43      Or, il ne ressort pas de l’argument susmentionné que les légumineuses seraient exclusivement ou principalement semées avec les graminées. Dès lors, cet argument n’est pas de nature à établir que l’objectif poursuivi par la mesure 24, conformément au règlement n^o 1307/2013, qui consiste à soutenir la production de légumineuses fourragères aux fins de maintenir son niveau actuel (voir point 40 ci-dessus), ne pouvait être atteint de manière efficace que si ladite production incluait les
mélanges de légumineuses et de graminées.

44      En tout état de cause, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que le soutien couplé n’a pas pour objectif de soutenir des mesures ayant des effets bénéfiques sur l’environnement et qu’il existe un autre régime de soutien prévu par le règlement n^o 1307/2013 qui poursuit cet objectif (voir chapitre 3, intitulé « Paiement pour les pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement », du titre III, intitulé « Régime de paiement de base, régime de paiement unique à la
surface et paiements connexes », dudit règlement).

45      Dès lors, à supposer même que les légumineuses comportent des avantages pour l’environnement, cette circonstance n’établit pas que l’objectif mentionné au point 40 ci-dessus serait poursuivi de manière efficace par un soutien couplé octroyé aux mélanges de légumineuses et de graminées. Partant, l’argument de la République française mentionné au point 42 ci-dessus doit être rejeté.

46      Par ailleurs, dans la réplique, la République française fait valoir que les cultures de mélanges de légumineuses avec des graminées présentent un intérêt environnemental en tant que tel, car la présence de graminées obligerait les légumineuses à mieux fixer l’azote de l’air et à éviter, ainsi, l’ajout d’engrais azotés dans le sol. À l’appui de cet argument, la République française invoque une étude de 2010 de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et
l’environnement. Toutefois, il ne ressort pas du dossier de l’affaire que l’argument et l’étude susmentionnés aient été communiqués à la Commission et aient fait l’objet d’un débat lors de la procédure administrative. Dans ces conditions, conformément à la jurisprudence selon laquelle la légalité d’une décision de la Commission doit être appréciée en fonction des éléments d’information dont elle pouvait disposer au moment où elle l’a adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 22 janvier 2020,
Lituanie/Commission, T‑19/18, non publié, EU:T:2020:4, point 42 et jurisprudence citée), l’argument et l’étude susmentionnés doivent être écartés comme étant sans incidence sur le bien-fondé de la décision attaquée.

47      Deuxièmement, la République française soutient que les mélanges de légumineuses et de graminées permettent aux éleveurs de disposer d’un fourrage plus complet et plus digeste pour les animaux. Or, il y a lieu de considérer, à l’instar de la Commission, que cet argument n’est pas pertinent, car, en l’espèce, la mesure 24 ne concerne pas le secteur de l’élevage, mais vise à soutenir la production de légumineuses fourragères. Partant, l’argument de la République française doit être rejeté.

48      Il s’ensuit que la République française n’est pas en mesure d’établir que l’octroi d’un soutien couplé aux mélanges de légumineuses et de graminées répondrait à l’objectif de la mesure 24, conformément au règlement n^o 1307/2013.

49      Eu égard à ce qui précède, l’interprétation téléologique de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 tend à confirmer que les mélanges entre des produits agricoles qui relèvent de l’un des secteurs ou de l’une des productions dont la liste est expressément dressée audit article et des produits agricoles qui ne relèvent pas desdits secteurs ou desdites productions ne sont pas éligibles au soutien couplé.

50      À la lumière de tout ce qui précède, l’interprétation littérale, contextuelle et téléologique de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 fait obstacle à l’interprétation large de la notion de « secteur » agricole, visée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, soutenue par la République française.

51      Il convient néanmoins de vérifier si, ainsi que le prétend la République française, aux fins de définir un secteur agricole, au sens de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, il y a lieu de tenir compte de l’ensemble des pratiques courantes et établies dans un État membre pour la production de cultures appartenant à un tel secteur (voir point 16 ci-dessus).

52      À cet égard, la République française prétend que, conformément à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 639/2014, les pratiques courantes et établies dans un État membre sont pertinentes aux fins de définir les secteurs agricoles spécifiques visés à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013.

53      La Commission conteste les arguments de la République française.

54      En premier lieu, d’une part, il convient de relever, à l’instar de la Commission, que le règlement n^o 639/2014 est un règlement délégué qui a pour objectif de compléter les dispositions du règlement n^o 1307/2013. Ainsi, ses dispositions ne sauraient être invoquées pour déroger aux dispositions du règlement n^o 1307/2013, sur la base duquel il a été adopté, ni pour interpréter ces dispositions dans un sens contraire à leur libellé et à leur économie.

55      D’autre part, l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 639/2014 ne concerne pas la définition des secteurs et des productions éligibles au soutien couplé, opérée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013. En effet, l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 639/2014 se réfère expressément à l’article 52, paragraphe 3, du règlement n^o 1307/2013, lequel pose une condition cumulative et distincte de celle opérée à l’article 52, paragraphe 2, dudit règlement (voir points 30
à 32 ci-dessus).

56      Il ressort ainsi d’une lecture conjointe de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 639/2014 et de l’article 52, paragraphes 2 et 3, du règlement n^o 1307/2013 que les États membres « prennent notamment en considération les structures et conditions de production propres à la région ou au secteur concerné » uniquement lorsqu’ils identifient, conformément à l’article 52, paragraphe 3, du règlement n^o 1307/2013, les « types particuliers d’agriculture » ou les « secteurs agricoles
spécifiques » qui, d’une part, sont particulièrement importants pour des raisons économiques, sociales ou environnementales et qui, d’autre part, rencontrent des difficultés.

57      En deuxième lieu, dans la réplique, la République française a précisé, en substance, qu’elle ne tendait pas à démontrer que les pratiques courantes et établies dans un État membre constituaient un critère d’éligibilité au soutien couplé, mais que ces pratiques étaient pertinentes pour définir les secteurs agricoles spécifiques visés à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013. À cet égard, il suffit de relever que cette distinction est artificielle. En effet, contrairement à ce
que prétend la République française, la définition des secteurs dont la liste est dressée à l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 est une question qui se pose aux fins de déterminer les cultures et les productions éligibles au soutien couplé en application dudit article. Or, comme cela a été indiqué au point 32 ci-dessus, cet article ne confère aucune marge d’appréciation aux États membres en ce qui concerne la définition des secteurs et des productions éligibles au soutien couplé.

58      En troisième lieu, aux fins d’assurer la sécurité juridique et une interprétation uniforme, au sein de l’Union, des dispositions relatives au soutien couplé, un secteur agricole, au sens de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013, doit être défini en fonction de critères clairs et objectifs portant sur les produits agricoles qui relèvent dudit secteur. Ainsi, la notion de « secteur » ne saurait être définie sur la base des pratiques courantes et établies dans un État membre
pour la production de cultures appartenant à un tel secteur, lesquelles ne portent pas sur les produits eux-mêmes et peuvent varier en fonction des conditions existant dans chaque État membre. En outre, la réglementation européenne ne prévoit pas de critères spécifiques sur la base desquels devrait être examinée l’existence d’une pratique courante et établie dans un État membre. Partant, l’interprétation proposée par la République française est incompatible avec les exigences de clarté et de
prévisibilité de la norme juridique applicable.

59      Dès lors, à supposer même que les mélanges de légumineuses et de graminées constituent une pratique courante et établie en France dans le secteur des cultures protéagineuses, ceux-ci ne sauraient être considérés comme faisant partie dudit secteur au sens de l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013.

60      À la lumière de tout ce qui précède, il y a lieu de considérer que la Commission n’a pas commis d’erreur de droit en interprétant l’article 52, paragraphe 2, du règlement n^o 1307/2013 dans le sens que sont exclus du soutien couplé, d’une part, les produits qui ne sont pas mentionnés dans la liste établie audit article ou qui ne font pas partie de l’un des secteurs également mentionnés dans ladite liste, tels que les graminées, et d’autre part, les mélanges entre les produits susmentionnés
et ceux relevant des secteurs ou des productions expressément visés à cet article.

61      Dès lors, il y a lieu de rejeter le moyen unique invoqué par la République française et, partant, le recours dans son ensemble.

 Sur les dépens

62      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La République française ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      La République française est condamnée aux dépens.

Costeira Kancheva Dimitrakopoulos

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 septembre 2022.

Le greffier   Le président

E. Coulon   M. van der Woude

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*      Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Neuvième chambre
Numéro d'arrêt : T-475/21
Date de la décision : 21/09/2022
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

FEAGA et Feader – Dépenses exclues du financement – Dépenses effectuées par la France – Soutien couplé facultatif – Conditions d’éligibilité – Secteurs et productions éligibles – Article 52, paragraphe 2, du règlement (UE) no 1307/2013.

Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA)

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : République française
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Dimitrakopoulos

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2022:568

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