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17/07/2020 | CJUE | N°T-715/19

CJUE | CJUE, Ordonnance du Tribunal, Lukáš Wagenknecht contre Conseil européen., 17/07/2020, T-715/19


 ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

17 juillet 2020 ( *1 )

« Recours en carence – Protection des intérêts financiers de l’Union – Lutte contre la fraude – Réunion du Conseil européen – Cadre financier pluriannuel – Règlement financier – Prétendu conflit d’intérêts du représentant de la République tchèque lors d’une réunion du Conseil européen – Prétendue absence d’action du Conseil européen – Article 130 du règlement de procédure – Intérêt à agir – Qualité pour agir – Prise de position du Conseil eu

ropéen – Fin mise à la carence – Irrecevabilité –
Article 15, paragraphe 2, TUE – Recours manifestement dépourvu de tout fond...

 ORDONNANCE DU TRIBUNAL (huitième chambre)

17 juillet 2020 ( *1 )

« Recours en carence – Protection des intérêts financiers de l’Union – Lutte contre la fraude – Réunion du Conseil européen – Cadre financier pluriannuel – Règlement financier – Prétendu conflit d’intérêts du représentant de la République tchèque lors d’une réunion du Conseil européen – Prétendue absence d’action du Conseil européen – Article 130 du règlement de procédure – Intérêt à agir – Qualité pour agir – Prise de position du Conseil européen – Fin mise à la carence – Irrecevabilité –
Article 15, paragraphe 2, TUE – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit »

Dans l’affaire T‑715/19,

Lukáš Wagenknecht, demeurant à Pardubice (République tchèque), représenté par Me A. Dolejská, avocate,

partie requérante,

contre

Conseil européen, représenté par Mmes A. Westerhof Löfflerová, A. Jensen et M. J. Bauerschmidt, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 265 TFUE et tendant à faire constater que le Conseil européen s’est illégalement abstenu d’agir à la demande du requérant en vue d’exclure le Premier ministre de la République tchèque, M. Andrej Babiš, de la réunion du Conseil européen du 20 juin 2019 et de réunions futures portant sur les négociations des perspectives financières, en raison de son prétendu conflit d’intérêts au regard des exigences de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de
l’article 61, paragraphe 1, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1),

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

composé de MM. J. Svenningsen (rapporteur), président, C. Mac Eochaidh et J. Laitenberger, juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

Antécédents du litige

1 Par lettre datée du 5 juin 2019 et parvenue au Conseil européen le 10 juin 2019, le requérant, M. Lukáš Wagenknecht, un membre du Senát Parlamentu České republiky (Sénat de la République tchèque), a demandé au Conseil européen d’exclure le Premier ministre de la République tchèque, M. Andrej Babiš, de la réunion du Conseil européen du 20 juin 2019 et de réunions futures portant sur les négociations des perspectives financières [cadre financier pluriannuel (CFP) 2021/2027] (ci-après l’« invitation
à agir »), en raison du prétendu conflit d’intérêts de ce représentant de la République tchèque, lequel résulterait de ses intérêts personnels et familiaux dans des entreprises du groupe Agrofert, actif notamment dans le domaine agroalimentaire.

2 Le 24 juin 2019, tout en précisant qu’il ne prenait pas position sur le fond des allégations du requérant et tout en lui assurant qu’il donnait la plus grande importance à la lutte contre la fraude et les autres activités illégales affectant les intérêts financiers de l’Union européenne, le Conseil européen a répondu à l’invitation à agir en expliquant au requérant, en substance, que l’article 15, paragraphe 2, TUE, norme de droit primaire, arrêtait de manière intangible la composition du Conseil
européen en prévoyant qu’il « est composé des chefs d’État ou de gouvernement des États membres, ainsi que de son président et du président de la Commission [européenne] ». Ainsi, cette composition ne pourrait pas être modifiée dès lors que cette disposition ne prévoit pas la possibilité d’une telle modification. En outre, le Conseil européen expliquait que la question de savoir quelle personne, entre le chef d’État ou le chef du gouvernement, devait représenter chacun des États membres de l’Union
relevait du seul droit constitutionnel national. Ainsi, il n’était pas à la discrétion du Conseil européen ou de son président de décider qui devait être le représentant de chaque État membre au sein de cette institution ni de décider qui, entre le chef de l’État ou le chef du gouvernement, il devait inviter aux différentes réunions du Conseil européen. Ces principes vaudraient également pour les sessions du Conseil de l’Union européenne. Dans ces conditions, le Conseil européen a répondu au
requérant, au regard de l’invitation à agir, qu’il n’était pas en mesure d’exclure le Premier ministre de la République tchèque des réunions évoquées.

3 Le 2 juillet 2019, le requérant s’est adressé à nouveau au Conseil européen en demandant par courriel, au secrétaire général de cette institution, des clarifications concernant la réponse qu’il lui avait été donnée le 24 juin précédent. Ce courriel est resté sans réponse.

Procédure et conclusions des parties

4 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2019 au moyen d’un compte provisoire e-Curia créé par son conseil, le requérant a introduit, au titre de l’article 265 TFUE, un recours tendant à la constatation d’une carence du Conseil européen en ce que cette institution aurait illégalement omis d’agir en réponse à l’invitation à agir.

5 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour et dans les mêmes conditions, le requérant a, au titre de l’article 151 du règlement de procédure du Tribunal, introduit une demande de procédure accélérée.

6 Les pièces justificatives requises pour valider le compte d’accès e-Curia étant parvenues au greffe du Tribunal le 4 novembre 2019, alors que, en application de l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure, elles auraient dû lui parvenir dans un délai de dix jours à compter du dépôt de l’acte, en l’espèce introductif d’instance, le requérant a été invité à présenter ses observations à cet égard.

7 Le 21 novembre 2019, le requérant a présenté ses observations dans lesquelles son conseil expliquait que, le 24 octobre 2019, elle avait expédié les pièces justificatives requises pour l’ouverture du compte e-Curia par le service international de la poste tchèque, lequel devait assurer une livraison à Luxembourg (Luxembourg) dans les deux à trois jours ouvrables. Cependant, l’acheminement aurait finalement duré plus de onze jours, à la suite de retards imputables à la poste tchèque et à la poste
luxembourgeoise. Ledit conseil ajoutait qu’elle avait fait montre de diligence, mais qu’elle ne pouvait toutefois pas s’attendre à de tels manquements contractuels de la part de ces deux prestataires postaux et ne pouvait pas non plus réagir en temps utile en raison de son hospitalisation en prélude à la naissance de son premier enfant, ayant eu lieu le 31 octobre 2019.

8 Par décision du 11 décembre 2019, le Tribunal a décidé de reconnaître un cas fortuit au sens de l’article 45, second alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et, par conséquent, de ne pas déclarer le recours irrecevable en application de l’article 56 bis, paragraphe 4, du règlement de procédure.

9 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de déclarer que le « Conseil européen s’est abstenu d’agir en ce que, en violation de l’article 325, paragraphe 1, [TFUE] et de l’article 61, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1046 relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, il n’a adopté aucune mesure contraignante et visant à prévenir ou à traiter le conflit d’intérêts de M. Andrej Babiš, [P]remier ministre de la République tchèque, et en ce que, en violation de
l’interdiction des conflits d’intérêts énoncée à l’article 61, paragraphe 1, du règlement 2018/1046, il n’a pas exclu M. Andrej Babiš, [P]remier ministre de la République tchèque, de la participation aux délibérations ayant abouti à l’adoption du cadre financier pluriannuel de l’Union pour 2021/2027 ».

10 Le 23 janvier 2020, le Conseil européen a déposé ses observations sur la demande de procédure accélérée.

11 Par décision du 10 février 2020, le Tribunal a décidé de ne pas faire droit à la demande de procédure accélérée.

12 Le 19 mars 2020, le Conseil européen a, au titre de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure, soulevé une exception d’irrecevabilité dans laquelle il conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

– rejeter le recours comme étant manifestement irrecevable ;

– condamner le requérant aux dépens.

13 Le 27 mai 2020, le requérant a présenté ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, lesquelles ont fait l’objet d’une régularisation en raison de leur longueur excessive. Dans lesdites observations, il demande au Tribunal de déclarer le recours recevable et fondé ainsi que de condamner le Conseil européen aux dépens.

14 Par acte séparé transmis au greffe du Tribunal également le 27 mai 2020, le requérant a, au titre de l’article 279 TFUE, sollicité du président du Tribunal l’adoption d’une mesure provisoire consistant à publier une déclaration générale. Le 12 juin 2020, le Conseil européen a présenté ses observations sur cette demande.

En droit

15 En vertu de l’article 130 du règlement de procédure, lorsque, par acte séparé, le défendeur demande au Tribunal de statuer sur l’irrecevabilité ou l’incompétence, sans engager le débat au fond, ce dernier doit statuer sur la demande dans les meilleurs délais, le cas échéant après avoir ouvert la phase orale de la procédure. En outre, en vertu de l’article 126 du règlement de procédure, lorsque le Tribunal est manifestement incompétent pour connaître d’un recours ou lorsque celui-ci est
manifestement irrecevable ou manifestement dépourvu de tout fondement en droit, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

16 En l’espèce, le Tribunal s’estime suffisamment éclairé par les pièces du dossier et décide, en application de ces dispositions, de statuer sans poursuivre la procédure.

17 Dans son exception d’irrecevabilité, le Conseil européen considère que le recours est manifestement irrecevable à plusieurs titres. En effet, premièrement, en tant qu’institution, le Conseil européen aurait, conformément à l’article 265 TFUE, pris position dans le délai de deux mois après avoir été invité à agir. Ainsi, sa réponse du 24 juin 2019 adressée au requérant à la suite de l’invitation à agir aurait mis fin à la carence alléguée par le requérant.

18 Deuxièmement, le Conseil européen est d’avis que, à défaut de compétence en ce sens qui lui aurait été conférée par le traité UE et le traité FUE, il n’était pas dans l’obligation d’adopter, en réponse à l’invitation à agir, une mesure tendant à exclure le Premier ministre de la République tchèque des négociations relatives au CFP 2021/2027.

19 Troisièmement, le Conseil européen soutient que le requérant n’avait ni intérêt à agir ni qualité pour agir en l’espèce au titre de l’article 265, troisième alinéa, TFUE.

20 Le requérant considère que le présent recours est recevable.

21 En effet, le Conseil européen se serait abstenu d’agir en ce sens que le Premier ministre de la République tchèque, en situation de conflit d’intérêts présumé, était présent à la réunion du Conseil européen du 20 juin 2019 durant laquelle, ainsi que cela ressort du point 4 de l’ordre du jour de cette réunion, le budget de l’Union a été examiné. Or, selon le requérant, d’abord, le Conseil européen est tenu d’agir contre cette situation de conflit d’intérêts du Premier ministre de la République
tchèque au regard de l’article 325, paragraphe 1, TFUE et de l’article 61, paragraphe 1, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom)
no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1).

22 Ensuite, estimant qu’il est directement ainsi qu’individuellement concerné par l’acte dont il demandait l’adoption par le Conseil européen pour mettre fin à la prétendue carence de cette institution à agir contre le prétendu conflit d’intérêts du Premier ministre de la République tchèque, le requérant soutient que la réponse du Conseil européen à l’invitation à agir n’était pas conclusive, en ce sens qu’elle était contradictoire et ne définissait pas la position de cette institution. Il déplore
en outre l’absence de réponse du secrétaire général à sa demande du 2 juillet 2019, alors même que la position du Conseil européen méritait, selon lui, des clarifications.

23 Enfin, dans ses observations sur l’exception d’irrecevabilité, le requérant fait valoir un fait nouveau et, selon lui, décisif pour l’issue du présent recours, à savoir l’adoption le 11 février 2020 par l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle, République tchèque), siégeant en assemblée plénière, d’un arrêt dans l’affaire Pl. ÚS 4/2017 traitant spécifiquement de la question de conflits d’intérêts analogues à celui dénoncé en l’espèce par le requérant. En outre, il serait d’autant plus important que
le Tribunal lui reconnaisse en l’espèce la qualité pour agir, d’une part, compte tenu de son mandat de représentation nationale au Sénat de la République tchèque, impliquant qu’il puisse exercer un contrôle sur le Premier ministre de son État membre, et, d’autre part, parce que, à la suite de l’introduction du présent recours, il aurait, à l’instar de membres du Parlement européen, reçu des menaces de mort et aurait, dans son cas personnel, fait l’objet d’une campagne de diffamation.

24 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 265, premier alinéa, TFUE, dans le cas où, en violation des traités, le Parlement, le Conseil européen, le Conseil, la Commission européenne, la Banque centrale européenne ou un organe ou organisme de l’Union s’abstiennent de statuer, les États membres et les autres institutions de l’Union peuvent saisir la Cour de justice de l’Union européenne en vue de faire constater cette violation.

25 L’article 265, troisième alinéa, TFUE prévoit par ailleurs que toute personne physique ou morale peut saisir la Cour de justice de l’Union européenne dans les mêmes conditions pour faire grief à l’une des institutions, ou à l’un des organes ou organismes de l’Union, d’avoir manqué de lui adresser un acte autre qu’une recommandation ou un avis. Il découle toutefois des termes de cette dernière disposition que, pour être recevable dans son recours en carence, une personne physique ou morale doit
établir qu’elle se trouve dans une situation juridique identique ou analogue à celle du destinataire potentiel d’un acte juridique que l’institution mise en cause serait obligée de prendre à son égard (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 1982, Bethell/Commission, 246/81, EU:C:1982:224, points 15 et 16 ; ordonnances du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C‑72/90, EU:C:1990:230, points 10 à 12, et du 23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T‑3/90, EU:T:1991:2, point 35). En d’autres termes,
ladite personne physique ou morale doit établir soit qu’elle serait le destinataire de l’acte que l’institution mise en cause aurait prétendument manqué d’adopter à son égard, soit que ledit acte l’aurait directement et individuellement concernée d’une manière analogue à celle dont le destinataire d’un tel acte le serait (voir, en ce sens, arrêts 26 novembre 1996, T. Port, C‑68/95, EU:C:1996:452, point 59, et du 15 septembre 1998, Gestevisión Telecinco/Commission, T‑95/96, EU:T:1998:206,
point 58).

26 En outre, une telle personne physique ou morale doit justifier d’un intérêt à agir au titre de l’article 265 TFUE, dont l’existence suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice personnel à la partie qui l’a intenté (arrêts du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 42 ; du 17 avril 2008, Flaherty e.a./Commission, C‑373/06 P, C‑379/06 P et C‑382/06 P, EU:C:2008:230, point 25, et du 4 juin 2015, Andechser Molkerei
Scheitz/Commission, C‑682/13 P, non publié, EU:C:2015:356, point 25). En revanche, l’intérêt à agir fait défaut lorsque l’issue favorable d’un recours ne serait pas de nature, en tout état de cause, à donner satisfaction à la partie requérante (voir arrêt du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, point 85 et jurisprudence citée).

27 En l’espèce, d’une part, force est de constater que l’acte dont le requérant a demandé l’adoption par le Conseil européen, à savoir l’exclusion du Premier ministre de la République tchèque des réunions de cette institution portant sur la négociation des perspectives financières, n’aurait pas été un acte adressé par le Conseil européen au requérant, mais une décision de cette institution qui aurait eu pour destinataire ledit Premier ministre. Ainsi, même si le requérant se prévaut de sa qualité de
membre de la représentation nationale de l’État membre en cause, en l’occurrence du Sénat de la République tchèque, pour agir dans l’intérêt général, il n’en demeure pas moins que la jurisprudence visée aux points 25 et 26 ci-dessus exige, au contraire, de lui, s’agissant de la démonstration d’un intérêt à agir, qu’il justifie d’un intérêt personnel, né et actuel à la constatation de la carence alléguée du Conseil européen. En outre et en tout état de cause, la condition visée à l’article 265,
troisième alinéa, TFUE, concernant la qualité pour agir et tenant à ce que la personne physique ou morale fasse grief à l’institution sollicitée d’avoir manqué de lui adresser un acte, autre qu’une recommandation ou un avis, dont elle serait destinataire ou qui la concernerait directement et individuellement, n’est manifestement pas remplie dans le cas du requérant puisque, au contraire, les mesures sollicitées du Conseil européen s’adressaient à un tiers (voir, en ce sens, ordonnances du
23 janvier 1991, Prodifarma/Commission, T‑3/90, EU:T:1991:2, point 37, et du 26 novembre 1996, Kuchlenz-Winter/Conseil, T‑167/95, EU:T:1996:172, point 20).

28 D’autre part, en vertu de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, un tel recours n’est recevable que si l’institution, l’organe ou l’organisme en cause a été préalablement invité à agir. Cependant, il découle du même alinéa que le recours ne peut être formé dans un nouveau délai que si, à l’expiration du délai de deux mois à compter de l’invitation à agir, l’institution, l’organe ou l’organisme n’a pas pris position.

29 À cet égard, il convient de rappeler que cette disposition vise la carence par l’abstention de statuer ou de prendre position de l’institution mise en cause (arrêts du 13 juillet 1971, Deutscher Komponistenverband/Commission, 8/71, EU:C:1971:82, point 2 ; du 19 novembre 2013, Commission/Conseil, C‑196/12, EU:C:2013:753, point 22, et du 23 novembre 2017, Bionorica et Diapharm/Commission, C‑596/15 P et C‑597/15 P, EU:C:2017:886, point 52). Ainsi, les conditions de recevabilité d’un recours en
carence, fixées par l’article 265 TFUE, ne sont en principe pas remplies lorsque l’institution invitée à agir a pris position sur cette invitation avant l’introduction du recours (arrêts du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission, C‑25/91, EU:C:1993:131, point 11, et du 21 juillet 2016Nutria/Commission, T‑832/14, non publié, EU:T:2016:428, point 45).

30 En outre, il résulte de la jurisprudence que l’article 265 TFUE vise la carence par l’abstention de statuer ou de prendre position, et non l’adoption d’un acte différent de celui que les intéressés auraient souhaité ou estimé nécessaire (arrêt du 21 juillet 2016, Nutria/Commission, T‑832/14, non publié, EU:T:2016:428, point 46 ; voir également, en ce sens, arrêt du 1er avril 1993, Pesqueras Echebastar/Commission, C‑25/91, EU:C:1993:131, point 12 et jurisprudence citée).

31 Par conséquent, lorsque, explications à l’appui, l’institution refuse d’agir conformément à une telle invitation, cela constitue une prise de position mettant fin à la carence, et un tel refus, ainsi exprimé et circonstancié, constitue alors un acte attaquable au titre de l’article 263 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 99/86, 193/86 et 215/86, EU:C:1988:199, points 32 et 33, et ordonnance du 7 décembre 2017, Techniplan/Commission, T‑853/16, non
publiée, EU:T:2017:928, point 20).

32 En l’espèce, alors même que, le 24 juin 2019, le Conseil européen lui avait expliqué, en des termes clairs, les raisons pour lesquelles il ne pouvait pas agir dans le sens qui lui était demandé, le requérant n’a pas entendu former le présent recours au titre de l’article 263 TFUE en vue d’obtenir l’annulation de la décision du Conseil européen, ainsi contenue dans cette lettre du 24 juin 2019, de ne pas entreprendre de démarches dans le sens préconisé dans l’invitation à agir. Or, c’est dans le
cadre d’un tel recours en annulation qu’il aurait pu, le cas échéant, sous réserve de pouvoir justifier de la qualité pour agir contre pareille décision, contester les motifs retenus par le Conseil européen pour justifier sa décision de ne pas exclure le Premier ministre de la République tchèque des réunions litigieuses de cette institution.

33 À cet égard, la circonstance que, dans sa lettre du 2 juillet 2019, le requérant a demandé des clarifications supplémentaires du Conseil européen quant à la portée de sa lettre du 24 juin 2019, adressée en réponse à l’invitation à agir et dont il critiquait le contenu, est sans incidence sur la recevabilité du présent recours telle qu’examinée aux points 28 à 32 ci-dessus. En effet, si les critiques du requérant émises dans sa lettre du 2 juillet 2019 eussent pu le cas échéant être exposées dans
le cadre d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, force est de constater que le requérant n’a toutefois pas, dans ladite lettre, invité à nouveau le Conseil européen à agir dans un sens déterminé au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE. Par conséquent, ladite lettre ne saurait être considérée comme une nouvelle invitation à agir à l’égard de laquelle le Conseil européen aurait subséquemment manqué d’agir.

34 En outre et en tout état de cause, s’agissant de la question de savoir si, en l’espèce et ainsi que le Conseil européen le soutient dans son exception d’irrecevabilité, aucune obligation ne pesait sur cette institution quant aux mesures sollicitées par le requérant dans l’invitation à agir, en raison de l’incompétence de cette institution pour adopter lesdites mesures, force est de rappeler que cette question ne relève pas de l’une des conditions de recevabilité du recours en carence, mais
constitue une question devant être examinée au fond. En effet, c’est précisément en vue de statuer sur le bien-fondé de conclusions en carence qu’il appartient au Tribunal de vérifier si, au moment de l’invitation à agir adressée à l’institution concernée au sens de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE, il pesait sur cette institution une obligation d’agir dans le sens préconisé par le requérant dans l’invitation à agir (voir, en ce sens, arrêt du 29 septembre 2011, Ryanair/Commission, T‑442/07,
non publié, EU:T:2011:547, points 27 et 28).

35 Or, en l’espèce, indépendamment du bien-fondé des allégations de corruption proférées par le requérant à l’encontre du chef de gouvernement de la République tchèque et de l’arrêt adopté par l’Ústavní soud (Cour constitutionnelle), force est de constater que, ainsi que le soutient le Conseil européen, cette institution ne dispose d’aucune marge de manœuvre dans l’application de l’article 15, paragraphe 2, TUE lorsqu’elle convie les chefs d’État ou de gouvernement des États membres aux réunions du
Conseil européen. En effet, en l’absence de précision sur ce point dans cette disposition, cette dernière doit être comprise comme partant du postulat qu’il est de la responsabilité des États membres d’adopter les mesures nationales, y compris constitutionnelles, permettant de déterminer s’ils doivent être représentés, lors des réunions de cette institution, par leurs chefs d’État ou par leurs chefs de gouvernement respectifs et, le cas échéant, si des motifs peuvent conduire à l’empêchement de
l’un d’eux de représenter son État membre respectif au sein du Conseil européen.

36 Cette conclusion s’impose d’autant plus que, sans préjudice, le cas échéant, de la procédure prévue à l’article 7 TUE en cas d’absence de mesures nationales de nature à prévenir tout conflit d’intérêts manifeste dans la représentation de l’État membre ou de celles visées aux articles 258 et 259 TFUE en ce qui concerne des paiements de politique sectorielle qui auraient été engagés de manière litigieuse au nom et pour le compte de l’Union, la répartition des compétences au sein d’un État membre
bénéficie de la protection conférée par l’article 4, paragraphe 2, TUE, selon lequel l’Union est tenue de respecter l’identité nationale des États membres, inhérente à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles (voir arrêt du 18 juin 2020, Porin kaupunki, C‑328/19, EU:C:2020:483, point 46 et jurisprudence citée).

37 Ainsi, aux fins de l’article 15, paragraphe 2, UE, il appartient aux seuls États membres, en application de leurs règles constitutionnelles internes, de déterminer si, dans le cadre des différents travaux du Conseil européen, ils doivent être représentés par leurs chefs d’État ou par leurs chefs de gouvernement respectifs. Par conséquent, il est manifeste que, en refusant de donner suite à l’invitation à agir et indépendamment du point de savoir si, au regard de l’article 325, paragraphe 1, TFUE
et de l’article 61, paragraphe 1, du règlement 2018/1046, le représentant de la République tchèque dans cette institution est en situation de conflit d’intérêts, le Conseil européen n’a en tout état de cause pas méconnu en l’espèce l’article 265, troisième alinéa, TFUE.

38 Pour le surplus, s’agissant des allégations relatives à la prétendue situation de conflit d’intérêts du Premier ministre de la République tchèque, force est de rappeler que la régularité des paiements effectués par l’Union dans le cadre des fonds dispensés, en son nom et pour son compte, dans les États membres, relève de la réglementation de l’Union applicable auxdits fonds et des conditions qu’elle prévoit, telles que celles en cause, par exemple, dans le cadre de l’affaire T‑76/20, République
tchèque/Commission, pendante devant le Tribunal.

39 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil européen doit être accueillie et, en conséquence, le recours doit être rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, manifestement dépourvu de tout fondement en droit, étant souligné, en réponse à l’argumentation du requérant concernant un prétendu déni de justice dans le cas où son recours serait rejeté comme irrecevable alors même qu’il est membre d’un parlement national et
qu’il fait l’objet de menaces à son intégrité physique, que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités (arrêt du 3 octobre 2013, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Parlement et Conseil, C‑583/11 P, EU:C:2013:625, point 97, et ordonnance du 28 février 2017, NF/Conseil européen, T‑192/16, EU:T:2017:128, point 74).

Sur les dépens

40 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil européen ayant conclu en ce sens, le requérant doit être condamné aux dépens.

  Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (huitième chambre)

ordonne :

  1) Le recours est rejeté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

  2) Lukáš Wagenknecht est condamné aux dépens.

Fait à Luxembourg, le 17 juillet 2020.

Le greffier

  E. Coulon

Le président

J. Svenningsen

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : T-715/19
Date de la décision : 17/07/2020
Type de recours : Recours en carence - irrecevable

Analyses

Recours en carence – Protection des intérêts financiers de l’Union – Lutte contre la fraude – Réunion du Conseil européen – Cadre financier pluriannuel – Règlement financier – Prétendu conflit d’intérêts du représentant de la République tchèque lors d’une réunion du Conseil européen – Prétendue absence d’action du Conseil européen – Article 130 du règlement de procédure – Intérêt à agir – Qualité pour agir – Prise de position du Conseil européen – Fin mise à la carence – Irrecevabilité – Article 15, paragraphe 2, TUE – Recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

Ressources propres

Dispositions financières


Parties
Demandeurs : Lukáš Wagenknecht
Défendeurs : Conseil européen.

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Svenningsen

Origine de la décision
Date de l'import : 21/07/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:T:2020:340

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