ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)
8 juillet 2020 ( *1 )
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la Syrie – Gel des fonds – Erreur d’appréciation »
Dans l’affaire T‑186/19,
Khaled Zubedi, demeurant à Damas (Syrie), représenté par Mme M. Lester, QC, et M. M. O’Kane, solicitor,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. V. Piessevaux et A. Limonet, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision d’exécution (PESC) 2019/87 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 13), et du règlement d’exécution (UE) 2019/85 du Conseil, du 21 janvier 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2019, L 18 I, p. 4),
en tant que ces actes visent le requérant,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre),
composé de MM. S. Gervasoni, président, L. Madise et J. Martín y Pérez de Nanclares (rapporteur), juges,
greffier : M. E. Coulon,
rend le présent
Arrêt ( 1 )
Antécédents du litige
1 Le requérant, M. Khaled Zubedi, est un homme d’affaires de nationalité syrienne qui développe une activité commerciale dans le secteur immobilier.
[omissis]
8 Le 12 octobre 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/1836 modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75). Le même jour, il a adopté le règlement (UE) 2015/1828 modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1).
9 Aux termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, « [l]e Conseil a estimé que, en raison du contrôle étroit exercé sur l’économie par le régime syrien, un cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie n’est en mesure de maintenir son statut que grâce à des liens étroits avec le régime et au soutien de celui-ci, ainsi qu’à l’influence exercée en son sein », et « le Conseil estime qu’il devrait prévoir des mesures restrictives pour imposer des
restrictions à l’admission des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie, identifiés par le Conseil et dont la liste figure à l’annexe I, ainsi que pour geler tous les fonds et ressources économiques qui leur appartiennent, qui sont en leur possession, ou qui sont détenus ou contrôlés par eux, afin de [les] empêcher de fournir un soutien matériel ou financier au régime et, par l’influence qu’ils exercent, d’accroître la pression sur le régime lui-même afin qu’il
modifie sa politique de répression ».
10 La rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », sauf « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou
qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».
[omissis]
En droit
[omissis]
36 Il convient de rappeler que les critères généraux d’inscription énoncés à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, prévoient que les personnes et les entités bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci font l’objet de mesures restrictives. De même, l’article 27, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, et
l’article 28, paragraphe 2, sous a), et paragraphe 3, de ladite décision, repris, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1 bis, sous a), et paragraphe 1 ter, dudit règlement, disposent que la catégorie des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » fait l’objet de mesures restrictives, sauf s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’ils ne sont pas, ou ne sont plus, liés au régime ou qu’ils n’exercent aucune influence sur
celui-ci ou qu’ils ne sont pas associés à un risque réel de contournement.
37 Par ailleurs, ainsi qu’il a été mentionné au point 12 ci-dessus, les motifs d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause sont rédigés dans les termes suivants :
« Homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie, ayant réalisé d’importants investissements dans l’industrie du bâtiment, y compris une participation de 50 % dans Zub[e]di et [Kalai] LLC, qui construit la cité touristique de luxe “Grand Town” et avec qui le régime a passé une convention sur 45 ans en échange de 19-21 % de ses recettes. Il a, à ce titre, des liens avec Nader [Kalai]. Khaled al-Zub[e]di tire avantage du régime et/ou le soutient, par ses activités commerciales, notamment
sa participation à la construction de Grand Town. »
38 Il y a lieu d’en déduire que le requérant a vu son nom être inscrit sur les listes en cause en raison, premièrement, de son statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie et, deuxièmement, de son lien avec le régime syrien.
39 Autrement dit, l’inscription du nom du requérant est fondée, d’une part, sur le critère défini au paragraphe 2, sous a), de l’article 27 et de l’article 28 de la décision 2013/255 et au paragraphe 1 bis, sous a), de l’article 15 du règlement no 36/2012 (critère d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie) et, d’autre part, sur le critère défini au paragraphe 1 de l’article 27 et de l’article 28 de ladite décision et au paragraphe 1, sous a), de l’article 15 dudit règlement
(critère d’association avec le régime).
40 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le moyen unique soulevé par le requérant et, tout d’abord, le premier grief, qui vise, en substance, à remettre en cause le premier motif d’inscription, à savoir celui selon lequel le requérant est un homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie.
41 À cet égard, il y a lieu de relever que le requérant admet être un homme d’affaires, mais conteste être un homme d’affaires « influent » et, à ce titre, appartenir à un « cercle restreint de femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie ».
[omissis]
66 Enfin, le requérant soutient, en substance, que le Conseil était tenu de démontrer l’existence d’un lien entre lui et le régime syrien.
67 À cet égard, il convient de relever que la jurisprudence sur laquelle se fonde le requérant a été rendue dans un contexte législatif différent de celui existant au moment de l’adoption des actes attaqués. En particulier, l’arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil (C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 52), qui faisait obligation au Conseil d’apporter devant le juge de l’Union un faisceau d’indices, précis et concordants, permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à
une mesure de gel de ses fonds et le régime combattu, s’inscrivait dans un contexte législatif spécifique, à savoir celui résultant de la décision 2013/255 avant sa modification en 2015 par la décision 2015/1836, où les seuls critères qui existaient pour l’inscription du nom d’une personne sur les listes en cause étaient, précisément, les liens étroits entretenus avec le régime syrien, le soutien à ce dernier et/ou le bénéfice tiré de celui-ci.
68 Toutefois, en l’espèce, l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause a eu lieu dans le contexte législatif de la décision 2013/255 telle que modifiée par la décision 2015/1836. À ce titre, la décision 2015/1836 a notamment introduit comme critère d’inscription objectif, autonome et suffisant celui des « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie », de sorte que le Conseil n’est plus tenu de démontrer l’existence d’un lien entre cette catégorie de
personnes et le régime syrien, ni non plus entre cette catégorie de personnes et le soutien apporté à ce régime ou le bénéfice tiré de ce dernier, étant donné qu’être une femme ou un homme d’affaires influents exerçant ses activités en Syrie suffit pour l’application des mesures restrictives en cause à une personne [voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, point 38 ; du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, points 55 et 56
(non publiés), et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 56].
69 En ce sens, le Tribunal a considéré qu’il pouvait être déduit du critère relatif à la qualité de « femmes et hommes d’affaires influents exerçant leurs activités en Syrie » une présomption réfragable de lien avec le régime syrien (voir, en ce sens, arrêt du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, point 106, et ordonnance du 11 septembre 2019, Haswani/Conseil, T‑231/15 RENV, non publiée, EU:T:2019:589, point 60). Cette présomption trouve à s’appliquer dès lors que le Conseil est en
mesure de démontrer que la personne est non seulement une femme ou un homme d’affaires exerçant ses activités en Syrie, mais aussi qu’elle peut être qualifiée d’influente. En effet, ainsi qu’il ressort des termes du considérant 6 de la décision 2015/1836, tels que rappelés au point 9 ci-dessus, c’est l’influence que cette catégorie de personnes est susceptible d’exercer sur le régime syrien que le Conseil vise à exploiter en les poussant, par l’intermédiaire des mesures restrictives qu’il adopte
à leur égard, à faire pression sur le régime syrien pour qu’il modifie sa politique de répression. Ainsi, dès lors que le Conseil est parvenu à démontrer l’influence qu’une femme ou un homme d’affaires peut exercer sur ledit régime, le lien entre ladite personne et le régime syrien est présumé.
70 En outre, il y a lieu de rappeler que le respect des règles relatives à la charge et à l’administration de la preuve en matière de mesures restrictives par le Tribunal implique que ce dernier respecte le principe énoncé par la jurisprudence mentionnée au point 31 ci-dessus et rappelé par la Cour dans l’arrêt du 11 septembre 2019, HX/Conseil (C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 48 à 50), selon lequel, en substance, la charge de la preuve incombe à l’institution en cas de contestation du
bien-fondé des motifs d’inscription. La Cour a ainsi jugé que la charge de la preuve de l’existence d’informations suffisantes, au sens de l’article 27, paragraphe 3, et de l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, indiquant que la partie requérante n’était pas, ou n’était plus, liée au régime syrien, qu’elle n’exerçait aucune influence sur celui-ci et qu’elle n’était pas associée à un risque réel de contournement des mesures restrictives adoptées à l’égard de ce régime n’incombait pas
à la partie requérante (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2018, Makhlouf/Conseil, C‑458/17 P, non publié, EU:C:2018:441, point 86, et du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 50 et 51).
71 Par conséquent, il ne saurait être imposé au requérant un niveau de preuve excessif aux fins de renverser la présomption de lien avec le régime syrien. Ainsi, le requérant doit être considéré comme ayant réussi à renverser ladite présomption s’il fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, notamment au regard des conditions posées par l’article 27, paragraphe 3, et
l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, ou s’il produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices de l’inexistence ou de la disparition du lien avec ledit régime, de l’absence d’influence sur ledit régime ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de cette décision.
72 En l’espèce, le requérant n’est toutefois pas parvenu à renverser la présomption de lien avec le régime syrien. En effet, d’une part, il convient de relever que, dans le cadre du premier grief, le requérant n’a présenté aucun argument ou élément permettant de douter de la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou de l’appréciation qu’il convenait d’en faire, ni n’a fait état d’aucun indice concret permettant au Tribunal de considérer qu’il n’existait pas, ou plus, de lien entre
lui et ledit régime, qu’il n’exerçait aucune influence sur ce régime ni qu’il était étranger à tout risque réel de contournement des mesures restrictives. D’autre part, même en prenant en considération les arguments avancés par le requérant dans le cadre du troisième grief et visant à remettre en cause le deuxième motif d’inscription, relatif à l’association avec le régime en question tel que visé par l’article 27, paragraphe 1, et l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, le requérant
ne saurait être considéré comme ayant apporté des indices de nature à renverser ladite présomption.
73 En effet, force est de constater que le requérant nie l’existence de son lien avec le régime syrien et son influence sur celui-ci, mais confirme participer au projet « Grand Town », dans lequel le ministère du Tourisme syrien est associé.
74 Au vu de tout ce qui précède, il convient de constater que le motif d’inscription du nom du requérant sur les listes en cause fondé sur le statut d’homme d’affaires influent exerçant ses activités en Syrie est suffisamment étayé, de sorte que, au regard de ce critère, ladite inscription est bien fondée. Le premier grief doit donc être rejeté.
[omissis]
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (quatrième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Khaled Zubedi est condamné à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
Gervasoni
Madise
Martín y Pérez de Nanclares
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 8 juillet 2020.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.
( 1 ) Ne sont reproduits que les points du présent arrêt dont le Tribunal estime la publication utile.