ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
12 juillet 2019 ( *1 )
« Aides d’État – Régime d’aide mis à exécution par la France entre 1994 et 2008 – Subventions à l’investissement octroyées par la Région Île-de-France – Décision déclarant le régime d’aide compatible avec le marché intérieur – Avantage – Caractère sélectif – Article 107, paragraphe 1, TFUE – Obligation de motivation – Notion d’“aide existante” et d’“aide nouvelle” – Article 108 TFUE – Article 1er, sous b), i) et v), du règlement (UE) 2015/1589 »
Dans l’affaire T‑292/17,
Région Île-de-France (France), représentée par Me J.-P. Hordies, avocat,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mmes L. Armati, C. Georgieva-Kecsmar et M. T. Maxian Rusche, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision (UE) 2017/1470 de la Commission, du 2 février 2017, concernant les régimes d’aides SA.26763 2014/C (ex 2012/NN) mis à exécution par la France en faveur des entreprises de transport par autobus dans la Région Île-de-France (JO 2017, L 209, p. 24),
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de Mme I. Pelikánová, président, MM. V. Valančius et U. Öberg (rapporteur), juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 9 octobre 2018,
rend le présent
Arrêt
I. Antécédents du litige
1 La requérante, la Région Île-de-France, a été instituée en tant qu’établissement public doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière en vertu de la loi no 76-394, du 6 mai 1976, portant création et organisation de la Région d’Île-de-France (JORF du 7 mai 1976, p. 2741). Au titre de l’article 6 de cette loi, elle a notamment été chargée de définir la politique régionale de circulation et de transport de voyageurs sur son territoire et d’assurer sa mise en œuvre.
2 L’article 17 de la loi no 76-394 prévoyait notamment ce qui suit :
« Le conseil régional règle par ses délibérations les affaires qui sont de la compétence de la [R]égion […] »
3 Le 20 octobre 1994, le conseil régional d’Île-de-France a adopté la délibération CR 34-94, relative à l’aide pour l’amélioration des services de transport en commun routier exploités par des entreprises privées ou en régie, aux fins de reconduire un ensemble de mesures d’aide précédemment mises en œuvre en faveur desdites entreprises. Deux délibérations, à savoir les délibérations CR 44-98 et CR 47-01 (ci-après, prises avec la délibération CR 34-94, les « délibérations litigieuses »), lui ont
succédé, respectivement en 1998 et en 2001, avant que le dispositif d’aide mis en place soit abrogé en 2008.
4 En application des délibérations litigieuses, la requérante accordait des aides financières aux collectivités publiques de son territoire ayant conclu des contrats d’exploitation de lignes régulières d’autobus avec des entreprises privées de transport collectif régulier par route ou exploitant de telles lignes directement par le biais d’une régie (ci-après les « collectivités publiques concernées »). Les collectivités publiques concernées reversaient ensuite les aides de la requérante auxdites
entreprises de transport (ci-après les « bénéficiaires finaux »).
5 Dans le cadre du régime d’aide mis en place par les délibérations litigieuses (ci-après le « régime d’aide en cause »), les aides étaient octroyées sous la forme de subventions à l’investissement (ci-après les « subventions litigieuses ») et visaient à favoriser l’acquisition de véhicules neufs et l’installation de nouveaux équipements par les bénéficiaires finaux, en vue d’améliorer l’offre de transport collectif et de remédier aux externalités négatives liées à la circulation routière
particulièrement dense du territoire de la requérante.
6 Selon les autorités françaises, 135 entreprises ont bénéficié du régime d’aide en cause entre 1994 et 2008. L’utilisation des subventions litigieuses était encadrée par des avenants aux conventions d’exploitation conclues entre les collectivités publiques concernées et les bénéficiaires finaux. Les avenants étaient contresignés par le président du conseil régional d’Île-de-France et détaillaient les obligations auxquelles étaient soumis les bénéficiaires finaux en contrepartie du versement
desdites subventions.
7 Le 17 octobre 2008, une plainte a été introduite auprès de la Commission européenne concernant les régimes d’aide d’État présumés illégaux, constitués des mesures de soutien mises en œuvre en faveur de certaines entreprises de transport par autobus, entre 1994 et 2008, par la requérante sur son territoire, puis, à compter de 2008, par le syndicat des transports d’Île-de-France (STIF, France) sur ce même territoire.
8 Par lettre du 11 mars 2014, la Commission a notifié à la République française sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Par la publication de cette décision au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2014, C 141, p. 38), la Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur les mesures en cause.
9 Le 30 avril 2014, la République française a soumis ses observations à la Commission. L’ensemble des observations déposées par les parties intéressées, parmi lesquelles la requérante, a été communiqué à la République française, qui n’a fait part d’aucun commentaire.
10 Le 21 juin 2016, la Commission a reçu une note commune de la part de quatre des sept parties intéressées, visant à préciser leur position à la suite du prononcé de l’arrêt du 6 octobre 2015, Commission/Andersen (C‑303/13 P, EU:C:2015:647). Le 9 novembre 2016, la requérante a complété ses observations.
11 Le 2 février 2017, la Commission a clôturé la procédure formelle d’examen, prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE, et adopté la décision (UE) 2017/1470, concernant les régimes d’aides SA.26763 2014/C (ex 2012/NN) mis à exécution par la France en faveur des entreprises de transport par autobus dans la Région Île-de-France (JO 2017, L 209, p. 24, ci-après la « décision attaquée »).
12 Dans la décision attaquée, la Commission a notamment estimé que les subventions litigieuses octroyées au titre du régime d’aide en cause par la requérante, entre 1994 et 2008, constituaient des aides d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans la mesure où les conditions des échanges entre les États membres n’avaient pas été affectées dans une mesure contraire à l’intérêt commun, elle a considéré que ledit régime était compatible avec le marché intérieur, au sens de l’article 107,
paragraphe 3, TFUE. Elle a en revanche conclu que, dans la mesure où les aides n’avaient pas été notifiées et devaient être qualifiées d’« aides nouvelles », le régime d’aide en cause avait été illégalement mis à exécution, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
13 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :
« Article premier
Le régime d’aide illégalement mis à exécution par [la République française] entre 1994 et 2008, sous la forme des subventions à l’investissement octroyées par la Région Île-de-France dans le cadre des délibérations CR 34-94, CR 44-98 et CR 47-01, est compatible avec le marché intérieur.
[…]
Article 4
La République française est destinataire de la présente décision. »
II. Procédure devant les juridictions nationales
14 En mai 2004, le syndicat autonome des transporteurs de voyageurs (ci-après le « SATV ») a demandé au président du conseil régional d’Île-de-France d’abroger les délibérations litigieuses. À la suite du rejet de cette demande, le SATV a saisi le tribunal administratif de Paris (France) d’un recours en annulation contre la décision du président du conseil régional d’Île-de-France, le 17 juin 2004.
15 Par jugement no 0417015, du 10 juillet 2008, le tribunal administratif de Paris a fait droit au recours du SATV et enjoint à la requérante de soumettre au conseil régional d’Île-de-France une nouvelle délibération au motif que le régime d’aide en cause n’avait pas été notifié à la Commission. Le tribunal administratif de Paris a, par ailleurs, enjoint à la requérante de procéder à l’abrogation des délibérations litigieuses.
16 La requérante, tout