ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)
13 décembre 2018 ( *1 )
[Texte rectifié par ordonnance du 21 mars 2019]
« Responsabilité non contractuelle – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de l’Iran – Gel des fonds – Inclusion et maintien du nom de la partie requérante sur des listes de personnes et d’entités auxquelles s’appliquent des mesures restrictives – Préjudice matériel – Préjudice moral »
Dans l’affaire T‑558/15,
Iran Insurance Company, établie à Téhéran (Iran), représentée par Me D. Luff, avocat,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. B. Driessen et M. Bishop, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par
Commission européenne, représentée par MM. F. Ronkes Agerbeek et R. Tricot, en qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation des préjudices moral et matériel que la requérante aurait prétendument subis à la suite de l’adoption de la décision 2010/644/PESC du Conseil, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 281, p. 81), du règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption
de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (CE) no 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1), de la décision 2011/783/PESC du Conseil, du 1er décembre 2011, modifiant la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2011, L 319, p. 71), du règlement d’exécution (UE) no 1245/2011 du Conseil, du 1er décembre 2011, mettant en œuvre le règlement no 961/2010 (JO 2011, L 319, p. 11), et du règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du 23 mars 2012,
concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 961/2010 (JO 2012, L 88, p. 1), par lesquels le nom de la requérante a été inscrit et maintenu sur des listes de personnes et d’entités auxquelles s’appliquaient des mesures restrictives,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de Mme I. Pelikánová (rapporteur), président, MM. V. Valančius, P. Nihoul, J. Svenningsen et U. Öberg, juges,
greffier : Mme N. Schall, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 20 mars 2018,
rend le présent
Arrêt
I. Antécédents du litige
1 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives instaurées en vue de faire pression sur la République islamique d’Iran afin que cette dernière mette fin aux activités nucléaires présentant un risque de prolifération et à la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires (ci-après la « prolifération nucléaire »).
2 La requérante, Iran Insurance Company, également connue sous la dénomination Bimeh Iran, est une société d’assurance iranienne.
3 Le 9 juin 2010, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 1929 (2010), destinée à élargir la portée des mesures restrictives instituées par les précédentes résolutions 1737 (2006), du 27 décembre 2006, 1747 (2007), du 24 mars 2007, et 1803 (2008), du 3 mars 2008, et à instaurer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de la République islamique d’Iran.
4 Par la décision 2010/413/PESC du Conseil, du 26 juillet 2010, concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC (JO 2010, L 195, p. 39), le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe II de ladite décision.
5 Par voie de conséquence, le nom de la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe V du règlement (CE) no 423/2007 du Conseil, du 19 avril 2007, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran (JO 2007, L 103, p. 1).
6 L’inscription du nom de la requérante sur la liste visée au point 5 ci-dessus a pris effet à la date de publication du règlement d’exécution (UE) no 668/2010 du Conseil, du 26 juillet 2010, mettant en œuvre l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 423/2007 (JO 2010, L 195, p. 25), au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 27 juillet 2010. Elle a eu pour effet le gel des fonds et des ressources économiques de la requérante (ci-après le « gel des fonds » ou les « mesures
restrictives »).
7 L’inscription du nom de la requérante sur les listes citées aux points 4 et 5 ci-dessus était fondée sur les motifs suivants :
« [La requérante] a assuré l’achat de divers produits susceptibles d’être utilisés dans des programmes faisant l’objet de sanctions au titre de la résolution 1737 du [Conseil de sécurité]. Parmi les produits achetés assurés figur[aient] des pièces de rechange pour hélicoptères, du matériel électronique et des ordinateurs destinés à des applications dans l’aéronautique et dans la navigation de missiles. »
8 Par lettre du 9 septembre 2010, la requérante a demandé au Conseil de l’Union européenne de revoir l’inscription de son nom sur les listes en cause, à la lumière d’informations qu’elle lui communiquait. Elle a également demandé la transmission des éléments justifiant cette inscription. Enfin, elle a demandé à être entendue.
9 Par sa décision 2010/644/PESC, du 25 octobre 2010, modifiant la décision 2010/413 (JO 2010, L 281, p. 81), le Conseil, après révision de la situation de la requérante, a maintenu le nom de celle-ci sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413, avec effet le jour même.
10 Lors de l’adoption du règlement (UE) no 961/2010 du Conseil, du 25 octobre 2010, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 423/2007 (JO 2010, L 281, p. 1), le nom la requérante a été inscrit sur la liste figurant à l’annexe VIII dudit règlement, avec effet au 27 octobre 2010.
11 Par lettre du 28 octobre 2010, reçue par la requérante le 23 novembre 2010, le Conseil a informé cette dernière que, après révision de sa situation à la lumière des observations contenues dans la lettre du 9 septembre 2010, elle devait rester soumise à des mesures restrictives.
12 Par lettre du 28 décembre 2010, la requérante a réfuté les faits retenus contre elle par le Conseil. Aux fins de l’exercice de ses droits de la défense, elle a demandé à avoir accès au dossier.
13 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 7 janvier 2011, la requérante a introduit un recours visant notamment, en substance, à l’annulation des listes citées aux points 4 et 5 ci-dessus, pour autant que celles-ci la concernaient. Ce recours a été enregistré sous le numéro T‑12/11.
14 Par lettre du 22 février 2011, le Conseil a fourni à la requérante les extraits la concernant, issus des propositions d’inscription transmises par les États membres, tels qu’ils figuraient dans ses notes de transmission désignées sous les références 13413/10 EXT 6 et 6726/11.
15 Par lettre du 29 juillet 2011, la requérante a de nouveau contesté la réalité des faits qui lui étaient imputés par le Conseil.
16 Par sa décision 2011/783/PESC, du 1er décembre 2011, modifiant la décision 2010/413 (JO 2011, L 319, p. 71), et son règlement d’exécution (UE) no 1245/2011, du 1er décembre 2011, mettant en œuvre le règlement no 961/2010 (JO 2011, L 319, p. 11), le Conseil, après réexamen de la situation de la requérante, a maintenu le nom de cette dernière sur les listes figurant à l’annexe II de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, et à l’annexe VIII du règlement no 961/2010, avec
effet, respectivement, au 1er et au 2 décembre 2011.
17 Par lettre du 5 décembre 2011, le Conseil a informé la requérante qu’elle devait rester soumise à des mesures restrictives.
18 Par lettre du 13 janvier 2012, la requérante a de nouveau demandé à avoir accès au dossier.
19 Par lettre du 21 février 2012, le Conseil a transmis à la requérante des documents se rapportant à la « décision […] du 1er décembre 2011 de maintenir en vigueur les mesures restrictives à [son égard] ».
20 La décision 2012/35/PESC du Conseil, du 23 janvier 2012, modifiant la décision 2010/413 (JO 2012, L 19, p. 22), est entrée en vigueur le jour de son adoption. Son article 1er, point 7, a modifié, à compter de cette dernière date, l’article 20 de la décision 2010/413 en introduisant, notamment, un nouveau critère tiré d’un appui, notamment financier, fourni au gouvernement iranien. Ce même critère a été introduit à l’article 23, paragraphe 2, sous d), du règlement (UE) no 267/2012 du Conseil, du
23 mars 2012, concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement no 961/2010 (JO 2012, L 88, p. 1).
21 Lors de l’adoption du règlement no 267/2012, le nom de la requérante a été inscrit, pour les mêmes motifs que ceux déjà mentionnés au point 7 ci-dessus, sur la liste figurant à l’annexe IX dudit règlement (ci-après, prise avec les listes figurant à l’annexe II de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, et à l’annexe VIII du règlement no 961/2010, les « listes litigieuses »), avec effet au 24 mars 2012.
22 Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 4 juin 2012, la requérante a adapté ses conclusions dans l’affaire T‑12/11 afin qu’elles visent, en substance, à l’annulation de l’ensemble des listes litigieuses, pour autant que celles-ci la concernaient.
23 Par arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401), le Tribunal a notamment annulé les listes litigieuses, pour autant qu’elles concernaient la requérante, au motif qu’elles n’étaient pas étayées par des preuves. Aucun pourvoi n’ayant été formé contre cet arrêt, celui-ci est devenu définitif et a acquis force de chose jugée.
24 Par la décision 2013/661/PESC, du 15 novembre 2013, modifiant la décision 2010/413 (JO 2013, L 306, p. 18), et le règlement d’exécution (UE) no 1154/2013, du 15 novembre 2013, mettant en œuvre le règlement no 267/2012 (JO 2013, L 306, p. 3), le Conseil a maintenu les mesures restrictives prises à l’égard de la requérante sur le fondement du nouveau critère tiré d’un appui, notamment financier, fourni au gouvernement iranien. Ces actes sont entrés en vigueur le 16 novembre 2013, jour de leur
publication au Journal officiel.
25 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 janvier 2014, la requérante a introduit un recours en annulation des actes, du 15 novembre 2013, maintenant les mesures restrictives prises à son égard. Ce recours a été enregistré sous le numéro T‑63/14.
26 Par arrêt du 3 mai 2016, Iran Insurance/Conseil (T‑63/14, non publié, EU:T:2016:264), le Tribunal a rejeté le recours et condamné la requérante aux dépens.
27 Par lettre du 25 juillet 2015, la requérante a présenté au Conseil une demande préalable d’indemnisation des dommages prétendument subis du fait des mesures restrictives prises à son égard, en application du règlement d’exécution no668/2010 et de la décision 2010/413. Le Conseil n’a pas répondu à cette lettre.
II. Procédure et conclusions des parties
28 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 25 septembre 2015, la requérante a introduit le présent recours. L’affaire a été attribuée à la première chambre du Tribunal, pour cause de connexité.
29 Le 15 janvier 2016, le Conseil a déposé le mémoire en défense.
30 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 16 mars 2016, la Commission européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure, au soutien des conclusions du Conseil.
31 Le 14 avril 2016, le Conseil a déposé ses observations sur la demande d’intervention. La requérante n’a pas déposé d’observations sur cette demande dans le délai imparti.
32 Le 13 mai 2016, la requérante a déposé la réplique.
33 Par décision du président de l’ancienne première chambre du Tribunal du 18 mai 2016, adoptée conformément à l’article 144, paragraphe 4, du règlement de procédure du Tribunal, la Commission a été admise à intervenir dans le présent litige.
34 Le 8 juillet 2016, le Conseil a déposé la duplique.
35 Le 19 juillet 2016, la Commission a déposé le mémoire en intervention. Respectivement le 7 septembre et le 11 octobre 2016, le Conseil et la requérante ont déposé leurs observations sur ce mémoire.
36 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a adopté une mesure d’organisation de la procédure consistant à entendre les parties sur une éventuelle suspension de la procédure dans l’attente de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑45/15 P, Safa Nicu Sepahan/Conseil. Les parties principales ont fait valoir leurs observations à cet égard dans le délai imparti.
37 La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée.
38 Au vu des observations des parties principales, le président de la première chambre du Tribunal a, par décision du 10 octobre 2016, décidé de suspendre la procédure dans la présente affaire.
39 À la suite du prononcé de l’arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402), sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (première chambre) a adopté une mesure d’organisation de la procédure consistant à entendre les parties sur les conséquences qu’elles tiraient dudit arrêt pour la présente affaire. Les parties principales ont fait valoir leurs observations à cet égard dans le délai imparti.
40 Par lettre déposée au greffe du Tribunal le 12 juillet 2017, la requérante a demandé la tenue d’une audience de plaidoiries, conformément à l’article 106, paragraphe 1, du règlement de procédure.
41 Le 14 décembre 2017, en application de l’article 28 du règlement de procédure et sur proposition de la première chambre, le Tribunal a décidé de renvoyer la présente affaire devant la formation de jugement élargie.
42 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure, de recueillir les observations des parties principales quant à une éventuelle jonction de la présente affaire avec l’affaire T‑559/15, Post Bank Iran/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure et de poser certaines questions aux parties. Les parties ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
43 Par décision du 9 février 2018, le président de la première chambre du Tribunal a décidé de joindre la présente affaire et l’affaire T‑559/15, Post Bank Iran/Conseil, aux fins de la phase orale de la procédure.
44 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal lors de l’audience du 20 mars 2018. Dans ses réponses, la requérante a notamment précisé l’illégalité, constatée dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401), qu’elle invoquait à l’appui de sa demande indemnitaire, ce dont il a été pris acte dans le procès-verbal de l’audience.
45 Dans la requête, la requérante conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– condamner le Conseil à lui payer, en réparation du dommage matériel et moral qu’elle a subi du fait de l’inscription illégale de son nom sur les listes litigieuses, entre les mois de juillet 2010 et de novembre 2013, en application de la décision 2010/644, du règlement no 961/2010, de la décision 2011/783, du règlement d’exécution no 1245/2011 et du règlement no 267/2012 (ci-après les « actes litigieux »), des indemnités d’un montant de 4774187,07 euros, de 84767,66 livres sterling (GBP)
(environ 94939 euros) et de 1532688 dollars des États-Unis (USD) (environ 1318111 euros), tout autre montant pouvant être établi au cours de la procédure ;
– condamner le Conseil aux dépens.
46 Au stade de la réplique et de ses observations sur le mémoire en intervention, la requérante a modifié ses conclusions indemnitaires, puisqu’elle réclame désormais, en réparation du dommage moral et matériel subi, des indemnités d’un montant de 3494484,07 euros, de 84767,66 GBP (environ 94939 euros), de 33945 millions de rials iraniens (IRR) (environ 678900 euros) et de 1532688 USD (environ 1318111 euros), ainsi que tout autre montant pouvant être établi au cours de la procédure.
47 Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter partiellement le recours, pour défaut de compétence à en connaître, et, pour le reste, comme étant manifestement irrecevable ou, en tout état de cause, manifestement non fondé ;
– condamner la requérante aux dépens.
48 La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours dans son intégralité.
III. En droit
A. Sur la compétence du Tribunal
49 [Tel que rectifié par ordonnance du 21 mars 2019] Dans la duplique, le Conseil estime que, pour autant que la requérante a fondé sa demande en réparation sur l’illégalité de l’inscription de son nom sur la liste figurant à l’annexe II de la décision 2010/413, telle que modifiée par la décision 2010/644, le Tribunal n’est pas compétent pour statuer sur le présent recours, dans la mesure où l’article 275, second alinéa, TFUE ne lui confère pas de compétence pour statuer sur une demande en
réparation fondée sur l’illégalité d’un acte relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC).
50 Dans ses réponses écrites aux questions du Tribunal (point 42 ci-dessus), la requérante soutient que la fin de non-recevoir du Conseil est irrecevable, car tardive, et qu’elle n’est pas fondée, dans la mesure où les actes PESC ont été mis en œuvre, en l’espèce, par des règlements adoptés au titre de l’article 215 TFUE.
51 À cet égard, il importe de rappeler qu’une fin de non-recevoir qui a été soulevée au stade de la duplique, alors qu’elle aurait pu l’être dès le stade de la défense, doit être considérée comme tardive (voir, en ce sens, arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 29). Or, la présente fin de non-recevoir, qui aurait pu être soulevée par le Conseil dès le stade du mémoire en défense, est tardive et, comme telle, irrecevable.
52 Néanmoins, aux termes de l’article 129 du règlement de procédure, le Tribunal peut à tout moment, d’office, les parties entendues, statuer sur les fins de non-recevoir d’ordre public, au rang desquelles figure, selon la jurisprudence, la compétence du juge de l’Union européenne pour connaître du recours (voir, en ce sens, arrêts du 18 mars 1980, Ferriera Valsabbia e.a./Commission, 154/78, 205/78, 206/78, 226/78 à 228/78, 263/78, 264/78, 31/79, 39/79, 83/79 et 85/79, EU:C:1980:81, point 7, et du
17 juin 1998, Svenska Journalistförbundet/Conseil, T‑174/95, EU:T:1998:127, point 80).
53 Or, il résulte de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, sixième phrase, TUE et de l’article 275, premier alinéa, TFUE que la Cour n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions de droit primaire relatives à la PESC et les actes juridiques pris sur la base de celles-ci. Ce n’est qu’à titre exceptionnel que, conformément à l’article 275, second alinéa, TFUE, les juridictions de l’Union sont compétentes dans le domaine de la PESC. Cette compétence comprend, d’une part,
le contrôle du respect de l’article 40 TUE et, d’autre part, les recours en annulation formés par des particuliers, dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, contre des mesures restrictives adoptées par le Conseil dans le cadre de la PESC. En revanche, l’article 275, second alinéa, TFUE n’attribue à la Cour aucune compétence pour connaître d’un quelconque recours en indemnité (arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 30).
54 Il s’ensuit qu’un recours en indemnité tendant à la réparation du dommage prétendument subi du fait de l’adoption d’un acte en matière de PESC échappe à la compétence du Tribunal (arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié, EU:T:2016:86, point 31).
55 En revanche, le Tribunal s’est toujours reconnu compétent pour connaître d’une demande en réparation d’un dommage prétendument subi par une personne ou une entité, en raison de mesures restrictives adoptées à son égard, conformément à l’article 215 TFUE (arrêts du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, points 232 à 251, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 45 à 149, confirmé sur pourvoi par l’arrêt du 30 mai 2017, Safa
Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402).
56 En l’espèce, les mesures restrictives adoptées à l’égard de la requérante, respectivement par la décision 2010/644 et par la décision 2011/783, ont été mises en œuvre par les actes litigieux, adoptés conformément à l’article 215 TFUE.
57 Il s’ensuit que, si le Tribunal n’est pas compétent pour connaître de la demande en réparation de la requérante, pour autant qu’elle vise à obtenir réparation du dommage qu’elle aurait subi du fait de l’adoption de la décision 2010/644 et de la décision 2011/783, il est en revanche compétent pour connaître de cette même demande, pour autant qu’elle vise la réparation du dommage qu’elle aurait subi du fait de la mise en œuvre de ces mêmes décisions par les actes litigieux.
58 Par conséquent, il n’y a lieu d’examiner le présent recours que dans la mesure où celui-ci vise à la réparation du dommage que la requérante prétend avoir subi du fait que les mesures restrictives prises à son égard dans la décision 2010/644 et la décision 2011/783 ont été mises en œuvre par les actes litigieux.
B. Sur la recevabilité du recours
59 Sans soulever d’exception par acte séparé, le Conseil, soutenu par la Commission, estime que le présent recours est manifestement irrecevable, en ce que, en substance, la requête ne contient pas les éléments de fait essentiels permettant de déterminer si toutes les conditions pour engager la responsabilité de l’Union sont réunies en l’espèce.
60 La Commission ajoute que, compte tenu de la date d’introduction du présent recours, à savoir le 25 septembre 2015, celui-ci a été introduit après le délai de cinq ans prévu à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, pour autant qu’il vise à l’indemnisation d’un dommage qui se serait matérialisé avant le 25 octobre 2010. Conformément à la jurisprudence, le présent recours devrait donc être déclaré partiellement irrecevable. Selon elle, la prescription partielle du
recours peut être examinée d’office, en tant que question d’ordre public.
61 Le Conseil estime que la question de la prescription ne semble pas être posée, en l’espèce, dans la mesure où la requérante ne demande réparation que pour l’inscription de son nom sur les listes litigieuses postérieurement au 25 septembre 2010. Il indique néanmoins que, si une situation de prescription se présentait, celle-ci pourrait être relevée d’office, en tant que question d’ordre public.
62 La requérante soutient que la fin de non-recevoir tirée, en substance, du non-respect de l’exigence de précision énoncée à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure est irrecevable, car tardive, et, en tout état de cause, non fondée, dans la mesure où la requête était suffisamment complète, précise et motivée. Concernant la fin de non-recevoir prise, en substance, de la prescription partielle de l’action qui est à la
base du présent recours, elle objecte que celle-ci est irrecevable et ne peut pas être examinée d’office par le Tribunal, car il ne s’agit pas d’une fin de non-recevoir d’ordre public. En tout état de cause, cette fin de non-recevoir ne serait pas fondée.
63 Concernant la fin de non-recevoir tirée, en substance, du non-respect de l’exigence de précision énoncée à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, il y a lieu de rappeler que, conformément auxdites dispositions, toute requête doit contenir l’objet du litige ainsi que les moyens et les arguments invoqués. Cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa
défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde celui-ci ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, par analogie, arrêt du 3 février 2005, Chiquita Brands
e.a./Commission, T‑19/01, EU:T:2005:31, point 64 et jurisprudence citée).
64 Il convient de rappeler également que, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, « [e]n matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions ». Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement
illicite des organes, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le dommage invoqué (voir arrêt du 9 septembre 2008, FIAMM e.a./Conseil et Commission, C‑120/06 P et C‑121/06 P, EU:C:2008:476, point 106 et jurisprudence citée ; arrêts du 11 juillet 2007, Schneider Electric/Commission, T‑351/03, EU:T:2007:212, point 113, et du
25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 47).
65 Ainsi, pour satisfaire aux exigences de clarté et de précision qui découlent de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, tel qu’interprété par la jurisprudence, une requête visant à la réparation de dommages prétendument causés par une institution de l’Union doit contenir les éléments qui permettent d’identifier le comportement que le requérant reproche à l’institution, les raisons pour lesquelles il estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le dommage qu’il prétend
avoir subi, ainsi que le caractère et l’étendue de ce dommage (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 3 février 2005, Chiquita Brands e.a./Commission, T‑19/01, EU:T:2005:31, point 65 et jurisprudence citée).
66 En l’espèce, la requérante a identifié, dans la requête, le comportement qu’elle reproche au Conseil, à savoir l’adoption des actes litigieux, dont l’illégalité a été constatée dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401). En outre, elle a décrit et chiffré le dommage matériel et moral qu’elle prétend avoir subi du fait de ces actes, à savoir un dommage moral, constitué par une atteinte à sa bonne réputation et évalué ex æquo et bono à un montant
de 1 million d’euros, et un dommage matériel, correspondant, premièrement, en la perte des intérêts qu’elle aurait pu percevoir si elle avait fait transférer et fructifier, en Iran, les fonds déposés sur ses comptes dans l’Union pour des montants de 2544,82 GBP (environ 2850 euros), de 17733,48 USD (environ 15250 euros) et de 421,05 USD (environ 362 euros), deuxièmement, en la perte des intérêts qu’elle aurait pu percevoir si elle avait fait transférer et fructifier, en Iran, les sommes que trois
sociétés d’assurance ou de réassurance lui devaient pour des montants de 557196,09 euros, de 82222,84 GBP (environ 92089 euros) et de 1532266,95 USD (environ 1317749 euros) et, troisièmement, au manque à gagner qu’elle aurait subi du fait de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de passagers à hauteur d’un montant finalement évalué à 1919554,50 euros et de la non-souscription de contrats d’assurance pour le fret à hauteur d’un montant finalement évalué à 33945 millions
d’IRR (environ 678900 euros). Enfin, elle a expliqué que le dommage moral et matériel ainsi subi était lié à l’adoption des actes litigieux.
67 L’exposé, dans la requête, du comportement que la requérante reproche au Conseil, les raisons pour lesquelles elle estime qu’un lien de causalité existe entre le comportement et le dommage qu’elle prétend avoir subi ainsi que le caractère et l’étendue de ce dommage satisfont aux exigences de précision qui découlent de l’article 76, sous d), du règlement de procédure.
68 Par conséquent, il y a lieu de rejeter, comme étant non fondée, la fin de non-recevoir soulevée par le Conseil, tirée du non-respect de l’exigence de précision énoncée à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure.
69 Concernant la fin de non-recevoir, soulevée par la Commission, prise de la prescription partielle de l’action qui est à la base du présent recours, il convient de relever que les conclusions du Conseil visant au rejet de ce recours ne reposent nullement sur l’invocation d’une telle prescription. Or, aux termes de l’article 40, quatrième alinéa, et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 142, paragraphe 1, du règlement de
procédure, les conclusions de la requête en intervention ne peuvent avoir d’autre objet que le soutien, en tout ou partie, des conclusions de l’une des parties principales. En outre, l’intervenant accepte le litige dans l’état où il se trouve lors de son intervention, conformément à l’article 142, paragraphe 3, du règlement de procédure.
70 Il s’ensuit que l’intervenant n’a pas qualité pour soulever de façon autonome une fin de non-recevoir et que le Tribunal n’est donc pas tenu d’examiner les moyens invoqués exclusivement par celui-ci et qui ne seraient pas d’ordre public (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission, C‑313/90, EU:C:1993:111, point 22, et du 3 juillet 2007, Au Lys de France/Commission, T‑458/04, non publié, EU:T:2007:195, point 32).
71 En outre, il a déjà été jugé que, dans la mesure où l’action en responsabilité non contractuelle de l’Union était régie, en vertu de l’article 340 TFUE, par les principes généraux communs aux droits des États membres et où un examen comparé des systèmes juridiques des États membres faisait apparaître que, en règle générale et à quelques exceptions près, le juge ne pouvait pas soulever d’office le moyen tiré de la prescription de l’action, il n’y avait pas lieu d’examiner d’office un problème de
prescription éventuelle de l’action en cause (arrêt du 30 mai 1989, Roquette frères/Commission, 20/88, EU:C:1989:221, point 12 ; voir également, en ce sens, arrêt du 8 novembre 2012, Evropaïki Dynamiki/Commission, C‑469/11 P, EU:C:2012:705, point 51).
72 Par conséquent, il y a lieu de rejeter, comme étant irrecevable, la fin de non-recevoir soulevée par la Commission.
C. Sur la recevabilité des éléments de preuve produits en annexe à la réplique et la demande de la requérante à être autorisée à produire des éléments de preuve complémentaires en cours de procédure
73 Dans la duplique, le Conseil, soutenu par la Commission, conclut au rejet, comme étant tardifs et, partant, irrecevables, des éléments de preuve produits dans les annexes R.1 à R.15 de la réplique. Selon lui, ces éléments auraient pu et dû, conformément à la jurisprudence, être produits au stade de la requête.
74 Dans la réplique, la requérante a demandé au Tribunal de l’autoriser, dans le cadre d’une mesure d’instruction, à produire des éléments de preuve complémentaires en cours de procédure.] Dans ses réponses écrites aux questions du Tribunal (point 42 ci-dessus), la requérante conclut au rejet de la fin de non-recevoir, au motif que les annexes R.1 à R.15 de la réplique renferment des éléments de preuve supplémentaires de faits qui sont déjà bien établis dans la requête et qui sont nécessaires pour
réfuter les arguments invoqués par le Conseil dans le mémoire en défense. Le Conseil aurait pleinement pu exercer ses droits de la défense par rapport à ces éléments dans la duplique. La Commission aurait également eu la possibilité de vérifier et d’apprécier lesdits éléments.
75 En l’espèce, il ressort de la requête que le présent recours a pour objet une demande en indemnité visant à obtenir réparation du dommage moral et matériel prétendument subi par la requérante à la suite de l’adoption, par le Conseil, des actes litigieux. Il s’agit donc d’un recours par lequel la requérante cherche à mettre en cause la responsabilité non contractuelle de l’Union.
76 Or, selon une jurisprudence bien établie, dans le cadre d’un recours en responsabilité non contractuelle, il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir la réalité et l’ampleur du dommage qu’elle prétend avoir subi [voir arrêt du 28 janvier 2016, Zafeiropoulos/Cedefop, T‑537/12, non publié, EU:T:2016:36, point 91 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 avril 2016, Strack/Commission, T‑221/08, EU:T:2016:242, point 308 (non publié)].
77 Certes, le juge de l’Union a reconnu que, dans certains cas, notamment lorsqu’il est difficile de chiffrer le dommage allégué, il n’est pas indispensable de préciser dans la requête son étendue exacte ni de chiffrer le montant de la réparation demandée (voir arrêt du 28 février 2013, Inalca et Cremonini/Commission, C‑460/09 P, EU:C:2013:111, point 104 et jurisprudence citée).
78 La requête dans la présente affaire a été introduite le 25 septembre 2015. À l’exception de l’un des chefs de dommage matériel dont elle n’était pas en mesure de fournir un chiffrage définitif, la requérante a chiffré, au stade de la requête, le dommage moral et matériel qu’elle estimait avoir subi en se fondant sur les éléments joints en annexe à ladite requête. Au stade de la réplique, la requérante a modifié le chiffrage de son dommage pour tenir compte de l’objection du Conseil selon laquelle
elle aurait dû déduire ses coûts de certains chefs de dommage matériel et a fourni un chiffrage définitif du chef de dommage matériel pour lequel elle n’avait fourni jusqu’alors qu’un chiffrage provisoire.
79 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 76, sous f), du règlement de procédure, qui est entré en vigueur le 1er juillet 2015 et qui est donc applicable à la présente requête, toute requête doit contenir les preuves et offres de preuve, s’il y a lieu.
80 En outre, l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que les preuves et offres de preuve sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires. Le paragraphe 2 de ce même article ajoute que les parties peuvent encore produire des preuves ou faire des offres de preuve dans la réplique et la duplique à l’appui de leur argumentation, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié. Dans ce dernier cas, conformément à l’article 85, paragraphe 4, du
règlement de procédure, le Tribunal décide d’intervenir sur la recevabilité des preuves produites ou des offres de preuve qui ont été faites, après que les autres parties ont été mises en mesure de prendre position sur celles-ci.
81 La règle de forclusion prévue à l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure ne concerne pas la preuve contraire et l’ampliation des offres de preuve fournies à la suite d’une preuve contraire de la partie adverse [voir arrêt du 22 juin 2017, Biogena Naturprodukte/EUIPO (ZUM wohl), T‑236/16, EU:T:2017:416, point 17 et jurisprudence citée].
82 Il ressort de la jurisprudence relative à l’application de la règle de forclusion prévue à l’article 85, paragraphe 1, du règlement de procédure que les parties doivent motiver le retard apporté à la présentation de leurs preuves ou offres de preuve nouvelles (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 18 septembre 2008, Angé Serrano e.a./Parlement, T‑47/05, EU:T:2008:384, point 54) et que le juge de l’Union a le pouvoir de contrôler le bien-fondé de la motivation du retard apporté à la
production de ces preuves ou de ces offres de preuve et, selon le cas, le contenu de ces dernières ainsi que, si cette production tardive n’est pas justifiée à suffisance de droit ou fondée, le pouvoir de les écarter (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 avril 2005, Gaki-Kakouri/Cour de justice, C‑243/04 P, non publié, EU:C:2005:238, point 33, et du 18 septembre 2008, Angé Serrano e.a./Parlement, T‑47/05, EU:T:2008:384, point 56).
83 Il a déjà été jugé que la présentation tardive, par une partie, de preuves ou d’offres de preuve pouvait être justifiée si cette partie ne pouvait pas disposer antérieurement des preuves en question ou si les productions tardives de la partie adverse justifiaient que le dossier soit complété, de façon à assurer le respect du principe du contradictoire (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 14 avril 2005, Gaki-Kakouri/Cour de justice, C‑243/04 P, non publié, EU:C:2005:238, point 32, et du
18 septembre 2008, Angé Serrano e.a./Parlement, T‑47/05, EU:T:2008:384, point 55).
84 Enfin, selon la jurisprudence, le Tribunal est seul juge de la nécessité de compléter les éléments d’information dont il dispose sur les affaires dont il est saisi en ordonnant des mesures d’instruction, lesquelles ne peuvent avoir pour objet de suppléer la carence de la partie requérante dans l’administration de la preuve (voir arrêt du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission, C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 44 et jurisprudence citée).
85 Il résulte du cadre juridique rappelé aux points 79 à 84 ci-dessus que le Tribunal n’a pas le pouvoir, dans le cadre d’une mesure d’instruction, d’autoriser de manière générale la requérante à produire tous les éléments de preuve qu’elle pourrait souhaiter lui soumettre en cours de procédure, comme celle-ci le lui demande, et que, partant, une telle demande doit être rejetée.
86 En l’espèce, la requérante a produit un certain nombre de preuves venant à l’appui de la demande en indemnité, aux annexes R.1 à R.15 de la réplique, sans fournir de justification précise sur le retard dans la production de celles-ci. À l’exception de l’annexe R.14 de la réplique, ces preuves ne portaient pas sur le chef de dommage pour lequel la requérante n’avait fourni un chiffrage définitif qu’au stade de la réplique.
87 Pour autant que, dans ses réponses aux questions du Tribunal (voir point 42 ci-dessus), la requérante s’est prévalue de ce que les annexes R.1 à R.15 de la réplique renfermaient des éléments de preuve supplémentaires de faits qui étaient déjà bien établis dans la requête, cette justification doit être écartée comme étant inopérante, dès lors que la simple circonstance que des faits auraient déjà été démontrés n’est pas de nature à justifier la production tardive de nouveaux éléments de preuve.
88 Pour autant que, dans ses réponses aux questions du Tribunal (voir point 42 ci-dessus), la requérante a allégué que les annexes R.1 à R.15 de la réplique renfermaient des éléments de preuve nécessaires pour réfuter les arguments invoqués par le Conseil dans le mémoire en défense, il y a lieu de relever que les éléments figurant dans les annexes R.1 à R.12 et R.15 de la réplique ont été produits à la seule fin d’établir, conformément à la jurisprudence citée au point 76 ci-dessus, la réalité et
l’ampleur du dommage moral et matériel allégué, tel qu’il avait été chiffré dans la requête, et non pour infirmer des éléments de preuve qui auraient été produits par le Conseil en annexe audit mémoire. Le fait que, dans ce mémoire, le Conseil ait argué que la requérante n’avait pas prouvé, à suffisance de droit, la réalité et l’ampleur du dommage prétendument subi ne peut être analysé comme une preuve contraire, au sens de la jurisprudence citée au point 81 ci-dessus, et ne permet pas de
considérer les éléments figurant aux annexes R.1 à R.12 et R.15 de la réplique comme une ampliation d’offres de preuve fournie à la suite d’une preuve contraire ni de considérer que la production tardive de ces éléments se trouvait dès lors justifiée par la nécessité de répondre aux arguments du Conseil et d’assurer le respect du principe du contradictoire.
89 En revanche, les éléments figurant aux annexes R.13 et R.14 de la réplique, à savoir une déclaration de l’institut Sanjideh Ravesh Arya Audit and Financial Services (ci-après l’« institut SRA »), qui avait établi un « rapport sur les conséquences financières des dommages résultant des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne » qui a été produit en annexe à la requête (ci-après le « rapport SRA »), et une lettre dudit institut visant à fournir des éclaircissements sur les méthodes
qu’il avait retenues pour établir ledit rapport, ont été produits par la requérante aux fins de répondre aux arguments du Conseil, dans la défense, mettant en cause l’indépendance de cet institut et les méthodes ou les données utilisées dans ce rapport. Pour ce motif, la production tardive des éléments figurant aux annexes R.13 et R.14 de la réplique est justifiée par la nécessité de répondre aux arguments du Conseil et d’assurer le respect du principe du contradictoire.
90 En outre, l’annexe R.14 de la réplique visait à justifier le chiffrage définitif du chef de dommage que la requérante n’avait pu estimer que de manière provisoire au stade de la requête.
91 Il résulte de l’ensemble des appréciations qui précèdent que, parmi les éléments de preuve produits en annexe à la réplique, seuls ceux figurant aux annexes R.13 et R.14 de la réplique sont recevables et doivent être pris en compte au stade de l’examen au fond du recours.
D. Sur le fond
92 À l’appui du présent recours, la requérante se prévaut de ce que les trois conditions pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, rappelées au point 64 ci-dessus, sont réunies en l’espèce.
93 Le Conseil, soutenu par la Commission, conclut, à titre subsidiaire, au rejet du recours comme étant non fondé, au motif que la requérante ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que toutes les conditions pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union sont en l’espèce réunies.
94 Selon une jurisprudence constante, les conditions pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, telles que déjà énumérées au point 64 ci-dessus, sont cumulatives (arrêt du 7 décembre 2010, Fahas/Conseil, T‑49/07, EU:T:2010:499, points 92 et 93, et ordonnance du 17 février 2012, Dagher/Conseil, T‑218/11, non publiée, EU:T:2012:82, point 34). Il s’ensuit que, lorsqu’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être
rejeté dans son ensemble (arrêt du 26 octobre 2011, Dufour/BCE, T‑436/09, EU:T:2011:634, point 193).
95 Il y a donc lieu de vérifier, en l’espèce, si la requérante rapporte la preuve, qui lui incombe, de l’illégalité du comportement qu’elle reproche au Conseil, à savoir l’adoption des actes litigieux, de la réalité des préjudices matériel et moral qu’elle prétend avoir subis et de l’existence d’un lien de causalité entre ladite adoption et les préjudices qu’elle invoque.
1. Sur l’illégalité alléguée
96 La requérante fait valoir que la condition tenant à l’illégalité du comportement d’une institution est remplie, car l’adoption des actes litigieux constitue une violation suffisamment caractérisée, par le Conseil, d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, de nature, selon la jurisprudence, à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.
97 À cet égard, la requérante soutient que l’inscription et le maintien de son nom sur les listes litigieuses, en application des actes litigieux, sont manifestement illégaux, comme l’a jugé le Tribunal dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401). En outre, les dispositions légales qui auraient été violées en l’espèce tendraient notamment à protéger les intérêts individuels des personnes et des entités concernées, auxquelles elles conféreraient des
droits (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 57 et 58).
98 Selon la requérante, constitue une violation suffisamment caractérisée de ces dispositions le fait, pour le Conseil, d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur les listes alors qu’il ne dispose pas d’informations ou d’éléments de preuve établissant, à suffisance de droit, le bien-fondé des mesures restrictives prises (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 59, 63 et 68). En l’espèce, le Conseil aurait
adopté les actes litigieux par l’effet desquels, entre les mois de juillet 2010 et de novembre 2013, des mesures restrictives auraient été prises à son égard, sans le moindre élément de preuve du comportement qui lui était imputé.
99 Finalement, la requérante estime que le Conseil ne peut prétendre que les dispositions qu’il a violées étaient vagues, ambiguës ou peu claires, car, au moment où les actes litigieux ont été adoptés, il était clair que le Conseil devait apporter des éléments de preuve à l’appui des mesures restrictives qu’il prenait.
100 Le Conseil, soutenu par la Commission, ne conteste pas l’illégalité des actes litigieux, mais considère que celle-ci n’est pas de nature à engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, dans la mesure où elle ne constitue pas une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Une telle violation n’aurait pu être établie que s’il avait été démontré, conformément à la jurisprudence, que le Conseil aurait gravement et
manifestement méconnu les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation, ce qui n’aurait pas été le cas en l’espèce.
101 Dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401), le Tribunal a constaté l’illégalité des actes litigieux.
102 Néanmoins, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence bien établie du Tribunal, la constatation de l’illégalité d’un acte juridique ne suffit pas, pour regrettable que soit cette illégalité, pour considérer que la condition d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union tenant à l’illégalité du comportement reproché aux institutions est remplie (voir, en ce sens, arrêts du 6 mars 2003, Dole Fresh Fruit International/Conseil et Commission, T‑56/00, EU:T:2003:58,
points 72 à 75 ; du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 31, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 50).
103 La condition tenant à l’existence d’un comportement illégal des institutions de l’Union requiert la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 29 et jurisprudence citée).
104 L’exigence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers vise, quelle que soit la nature de l’acte illicite en cause, à éviter que le risque d’avoir à supporter les dommages allégués par les personnes concernées n’entrave la capacité de l’institution concernée à exercer pleinement ses compétences dans l’intérêt général, tant dans le cadre de son activité à portée normative ou impliquant des choix de politique économique
que dans la sphère de sa compétence administrative, sans pour autant laisser peser sur des particuliers la charge des conséquences de manquements flagrants et inexcusables (voir arrêt du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 34 et jurisprudence citée ; arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 51).
105 Après avoir identifié les règles de droit dont la violation est invoquée, en l’espèce, par la requérante, il conviendra d’examiner, premièrement, si ces règles ont pour objet de conférer des droits aux particuliers et, deuxièmement, si le Conseil a commis une violation suffisamment caractérisée de ces règles.
a) Sur les règles de droit dont la violation est invoquée
106 Lors de l’audience, en réponse aux questions orales du Tribunal, la requérante a précisé, s’agissant des règles de droit dont la violation avait été constatée dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401), qu’elle renvoyait uniquement au constat, aux points 129 et 130 dudit arrêt, selon lequel, pour autant qu’ils visaient la fourniture, par elle-même, de services d’assurance à l’occasion de l’achat de pièces de rechange pour hélicoptères, de
matériel électronique et d’ordinateurs avec des applications dans l’aéronautique et dans la navigation de missiles, les actes litigieux n’étaient pas fondés car ils n’étaient pas étayés par des preuves et qu’ils violaient, en substance, l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement no 961/2010 et l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012.
b) Sur la question de savoir si les règles de droit dont la violation est invoquée ont pour objet de conférer des droits aux particuliers
107 Il découle de la jurisprudence que les dispositions qui énoncent, de façon limitative, les conditions dans lesquelles des mesures restrictives peuvent être adoptées ont essentiellement pour objet de protéger les intérêts individuels des personnes et des entités susceptibles d’être concernées par ces mesures, en limitant les cas dans lesquels de telles mesures peuvent leur être légalement appliquées (voir, par analogie, arrêts du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 51
et jurisprudence citée, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 57).
108 Ces mêmes dispositions assurent ainsi la protection des intérêts individuels des personnes et des entités susceptibles d’être concernées par des mesures restrictives et sont, dès lors, à considérer comme des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Si les conditions de fond en question ne sont pas réunies, la personne ou l’entité concernée a en effet le droit de ne pas se voir imposer de mesures restrictives. Un tel droit implique nécessairement que la personne
ou l’entité à laquelle des mesures restrictives sont imposées dans des conditions non prévues par les dispositions en question puisse demander à être indemnisée des conséquences dommageables de ces mesures, s’il se révèle que leur imposition repose sur une violation suffisamment caractérisée des règles de fond appliquées par le Conseil (voir, par analogie, arrêts du 23 novembre 2011, Sison/Conseil, T‑341/07, EU:T:2011:687, point 52 et jurisprudence citée, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu
Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, point 58).
109 Il s’ensuit que les règles dont la violation est invoquée, en l’espèce, par la requérante sont des règles de droit conférant des droits à des particuliers parmi lesquels figure la requérante, en tant que personne visée par les actes litigieux.
c) Sur la question de savoir si le Conseil a commis une violation suffisamment caractérisée des règles de droit dont la violation est invoquée
110 La Cour a déjà eu l’occasion de préciser que la violation d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers pouvait être considérée comme étant suffisamment caractérisée lorsqu’elle impliquait une méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation, les éléments à prendre en considération à cet égard étant, notamment, le degré de clarté et de précision de la règle violée ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation
que la règle enfreinte laissait à l’autorité de l’Union (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30 et jurisprudence citée).
111 Selon la jurisprudence, lorsque cette autorité ne dispose que d’une marge d’appréciation considérablement réduite, voire inexistante, la simple infraction au droit de l’Union peut suffire pour établir l’existence d’une violation suffisamment caractérisée (voir arrêt du 11 juillet 2007, Sison/Conseil, T‑47/03, non publié, EU:T:2007:207, point 235 et jurisprudence citée).
112 Il découle enfin de la jurisprudence qu’une violation du droit de l’Union est, en tout état de cause, manifestement caractérisée lorsqu’elle a perduré malgré le prononcé d’un arrêt constatant le manquement reproché, d’un arrêt préjudiciel ou d’une jurisprudence bien établie du juge de l’Union en la matière, desquels résulte le caractère infractionnel du comportement en cause (voir arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 31 et jurisprudence citée).
113 Au moment où le Conseil a adopté les actes litigieux, à savoir entre le 25 octobre 2010 et le 23 mars 2012, il ressortait déjà clairement et précisément de la jurisprudence que, en cas de contestation, le Conseil devait fournir les informations et les éléments de preuve établissant que les conditions d’application du critère de l’« appui » à la prolifération nucléaire, énoncé à l’article 20, paragraphe 1, sous b), de la décision 2010/413, à l’article 16, paragraphe 2, sous a), du règlement
no 961/2010 et à l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement no 267/2012, étaient remplies. La Cour a d’ailleurs déjà été appelée à constater, en se fondant sur une jurisprudence antérieure à l’adoption des actes litigieux, que l’obligation incombant au Conseil de fournir, en cas de contestation, les informations ou les éléments de preuve étayant les mesures restrictives prises à l’égard d’une personne ou d’une entité découlait d’une jurisprudence bien établie de la Cour (voir arrêt du
30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, points 35 à 40 et jurisprudence citée).
114 En outre et dans la mesure où l’obligation du Conseil de vérifier et d’établir le bien-fondé des mesures restrictives prises à l’égard d’une personne ou d’une entité avant l’adoption de ces mesures est dictée par le respect des droits fondamentaux de la personne ou de l’entité concernée, et notamment de son droit à une protection juridictionnelle effective, celui-ci ne dispose pas de marge d’appréciation à cet égard (arrêt du 18 février 2016, Jannatian/Conseil, T‑328/14, non publié,
EU:T:2016:86, point 52 ; voir également, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 59 à 61). Ainsi, en l’espèce, le Conseil ne disposait d’aucune marge d’appréciation dans le cadre de la mise en œuvre de ladite obligation.
115 Partant, en ne respectant pas son obligation d’étayer les actes litigieux, le Conseil a commis, en l’espèce, une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit conférant des droits à un particulier, à savoir la requérante.
116 En conséquence, la condition tenant à l’illégalité du comportement reproché au Conseil, à savoir l’adoption des actes litigieux, est remplie à l’égard des règles de droit invoquées par la requérante, dont la violation est constatée aux points 129 et 130 de l’arrêt du 6 septembre 2013, Iran Insurance/Conseil (T‑12/11, non publié, EU:T:2013:401).
2. Sur le dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité du comportement reproché et ce dommage
117 La requérante prétend avoir démontré le caractère réel et certain des préjudices moral et matériel qu’elle a subis du fait des actes litigieux.
118 Le Conseil, soutenu par la Commission, estime que la condition tenant à l’existence d’un dommage n’est pas remplie en l’espèce. Les actes litigieux n’auraient pas été des sanctions de nature pénale infligées à la requérante et n’auraient pas eu pour objectif de lui causer un dommage. Ils n’auraient visé qu’à décourager la prolifération nucléaire.
119 En ce qui concerne la condition de la réalité du dommage, selon la jurisprudence (voir, en ce sens, arrêts du 27 janvier 1982, De Franceschi/Conseil et Commission, 51/81, EU:C:1982:20, point 9 ; du 13 novembre 1984, Birra Wührer e.a./Conseil et Commission, 256/80, 257/80, 265/80, 267/80, 5/81, 51/81 et 282/82, EU:C:1984:341, point 9, et du 16 janvier 1996, Candiotte/Conseil, T‑108/94, EU:T:1996:5, point 54), la responsabilité non contractuelle de l’Union ne saurait être engagée que si le
requérant a effectivement subi un dommage réel et certain. Il appartient au requérant de prouver que cette condition est remplie (voir arrêt du 9 novembre 2006, Agraz e.a./Commission, C‑243/05 P, EU:C:2006:708, point 27 et jurisprudence citée) et, plus particulièrement, d’apporter des preuves concluantes tant de l’existence que de l’étendue du dommage (voir arrêt du 16 septembre 1997, Blackspur DIY e.a./Conseil et Commission, C‑362/95 P, EU:C:1997:401, point 31 et jurisprudence citée).
120 Plus spécifiquement, toute demande en réparation d’un dommage, qu’il s’agisse d’un dommage matériel ou moral, à titre symbolique ou pour l’obtention d’une indemnité substantielle, doit préciser la nature du dommage allégué au regard du comportement reproché et, même de façon approximative, évaluer l’ensemble de ce dommage (voir arrêt du 26 février 2015, Sabbagh/Conseil, T‑652/11, non publié, EU:T:2015:112, point 65 et jurisprudence citée).
121 S’agissant de la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le dommage allégués, ledit dommage doit découler de façon suffisamment directe du comportement allégué, ce dernier devant constituer la cause déterminante du dommage, alors qu’il n’y a pas d’obligation de réparer toute conséquence préjudiciable, même éloignée, d’une situation illégale (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 1979, Dumortier e.a./Conseil, 64/76, 113/76, 167/78, 239/78, 27/79, 28/79
et 45/79, EU:C:1979:223, point 21 ; voir, également, arrêt du 10 mai 2006, Galileo International Technology e.a./Commission, T‑279/03, EU:T:2006:121, point 130 et jurisprudence citée). Il appartient au requérant d’apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre le comportement et le dommage allégués (voir arrêt du 30 septembre 1998, Coldiretti e.a./Conseil et Commission, T‑149/96, EU:T:1998:228, point 101 et jurisprudence citée).
122 Il y a donc lieu de rechercher si, en l’espèce, la requérante a démontré le caractère réel et certain des préjudices moral et matériel qu’elle aurait subis à la suite de l’adoption des actes litigieux et l’existence d’un lien de causalité entre ladite adoption et ces préjudices.
a) Sur le préjudice moral prétendument subi
123 La requérante fait valoir que les actes litigieux, dans la mesure où ils ont affecté sa réputation, lui ont causé un préjudice moral important, dont elle évalue ex æquo et bono le montant à 1 million d’euros, comme elle l’avait déjà indiqué dans sa lettre au Conseil du 25 juillet 2015. Elle soutient, à cet égard, que, dans une situation comparable, le juge de l’Union a déjà constaté et indemnisé le préjudice moral d’une société correspondant à une atteinte portée à sa réputation (arrêt du
25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 80 et 83).
124 Contrairement à ce que le Conseil aurait avancé en s’appuyant sur un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), à savoir l’arrêt de la Cour EDH du 19 juillet 2011, Uj c. Hongrie (CE :ECHR :2011 :0719JUD 002395410), la requérante estime que les sociétés ont une dimension morale et peuvent subir un dommage moral, par exemple à la suite d’une atteinte portée à leur réputation et à leur capacité de mener leurs activités commerciales. La référence faite par le
Conseil à cet arrêt de la Cour EDH serait inadéquate, car celui-ci n’examinerait la protection de la réputation que par rapport aux restrictions pouvant être apportées à la liberté d’expression. Le maintien d’une bonne réputation serait un élément particulièrement important sur le marché des assurances, sur lequel elle interviendrait, dans la mesure où ce marché serait fondé sur des relations de confiance entre les opérateurs. La requérante fait valoir que, avant l’adoption des actes litigieux,
elle jouissait d’une bonne réputation au niveau international, comme en témoignerait le fait qu’elle aurait exercé des activités d’assurance à ce niveau, qu’elle aurait conclu des contrats avec des sociétés internationales d’assurance ou de réassurance réputées, qu’elle se serait vu attribuer des certificats de qualité renommés au niveau international et que l’expertise de ses membres aurait été reconnue à ce même niveau, comme l’atteste le fait qu’ils auraient participé à des conférences
professionnelles et à des rencontres scientifiques internationales. Les actes litigieux, qui auraient associé son nom à une menace grave pour la paix et pour la sécurité internationales et abouti à la cessation involontaire de ses activités dans l’Union, auraient entaché sa réputation. Selon la requérante, après l’adoption de ceux-ci, elle n’a plus pu ni conclure de contrat avec des sociétés internationales, ni participer à des réunions scientifiques et consultatives, aux activités d’une
association professionnelle ou aux rencontres organisées au niveau international, ni être notée par des organismes internationaux de notation. En tout état de cause, dans le secteur commercial, dès qu’un opérateur cesserait involontairement ses activités, les atteintes à sa réputation et à sa crédibilité seraient évidentes et inévitables. Après la levée des mesures restrictives prises à son égard, en 2016, son inscription à des séminaires professionnels serait restée difficile, voire impossible.
Pour restaurer sa réputation, il lui serait nécessaire de mener une campagne publicitaire mondiale, dont le coût estimé serait de 45 millions d’USD (environ 38,7 millions d’euros). Comme elle n’aurait pas encore évalué précisément les coûts liés au rétablissement de sa réputation, le Tribunal pourrait désigner, dans le cadre d’une mesure d’instruction, un expert indépendant pour procéder à cette évaluation. Finalement, la requérante estime qu’il n’est pas nécessaire de démontrer qu’elle a exposé
des frais, notamment de publicité, pour restaurer sa réputation. Il lui suffirait d’invoquer l’existence d’une atteinte à sa réputation, dont la restauration exigerait des dépenses considérables.
125 Le Conseil, soutenu par la Commission, considère qu’il y a lieu, en tout état de cause, de rejeter comme étant non fondée la demande en réparation du préjudice moral prétendument subi. À cet égard, il soutient que, dans les actes litigieux, la requérante n’a pas été stigmatisée comme une organisation constituant, en tant que telle, une menace pour la paix et pour la sécurité internationales et qu’elle n’apporte, au demeurant, aucun élément de preuve en ce sens. Elle aurait uniquement été
identifiée comme une personne impliquée, par ses activités, dans l’achat de divers produits susceptibles d’être utilisés dans des programmes faisant l’objet de mesures au titre de la résolution 1737 du Conseil de sécurité des Nations unies, ce qui aurait suffi à justifier l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. La requérante n’apporterait aucun élément prouvant qu’elle aurait subi un préjudice moral du fait de l’adoption desdits actes, comme le requerrait la jurisprudence
(ordonnance du 17 février 2012, Dagher/Conseil, T‑218/11, non publiée, EU:T:2012:82, point 46). Rien ne prouverait qu’elle aurait joui d’une bonne réputation au niveau international, subi un manque à gagner du fait de l’atteinte portée à ladite réputation et engagé des dépenses dans des campagnes publicitaires ou autres pour restaurer cette même réputation. L’article de presse produit en annexe à la requête, portant sur le coût estimé d’une campagne publicitaire mondiale, serait sans pertinence,
puisqu’il concernerait une société sans lien avec la requérante, opérant dans un secteur d’activité et sur un continent différents de ceux dans lesquels elle agit et sans rapport avec les mesures restrictives prises par l’Union. Les allégations de la requérante figurant dans la réplique ne prouveraient pas l’existence d’une atteinte portée à sa réputation et, par conséquent, d’un préjudice moral qui y serait rattaché. En tout état de cause, comme la Cour EDH l’a constaté au paragraphe 22 de
l’arrêt du 19 juillet 2011, Uj c. Hongrie (CE :ECHR :2011 :0719JUD 002395410), il existerait une distinction entre l’atteinte portée à la réputation commerciale d’une société et l’atteinte portée à la réputation d’une personne au regard de son statut social, la première de ces atteintes étant dépourvue de dimension morale. Le Tribunal se serait lui-même référé à cette jurisprudence dans une affaire portant sur des mesures restrictives (arrêt du 12 février 2015, Akhras/Conseil, T‑579/11, non
publié, EU:T:2015:97, point 152). La requérante tenterait de contourner l’obligation qui lui incombe de prouver l’existence du dommage qu’elle allègue et de le quantifier, en demandant au Tribunal de désigner un expert dans le cadre d’une mesure d’instruction. Si le Tribunal devait estimer que la responsabilité non contractuelle de l’Union était engagée, il devrait considérer, conformément à la jurisprudence, que l’annulation des actes litigieux a constitué une réparation adéquate du préjudice
moral subi par la requérante. En tout état de cause, le montant de 1 million d’euros réclamé par la requérante en réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi serait excessif, au regard de la jurisprudence, et non étayé.
126 La Commission ajoute que le type de préjudice moral invoqué par la requérante, à savoir le coût d’une campagne publicitaire aux fins de restaurer son image, se confond avec un préjudice matériel, dont il lui incombe de prouver le caractère réel et concret.
127 Au titre de l’indemnisation du préjudice qu’elle qualifie de « moral », la requérante renvoie à une atteinte portée à sa réputation, du fait de l’association de son nom à une menace grave pour la paix et pour la sécurité internationales, dont la réalité est révélée par le fait que l’adoption des actes litigieux a affecté le comportement des tiers à son égard et dont l’ampleur peut être mesurée par rapport au coût de l’investissement publicitaire qu’il lui faudrait réaliser pour restaurer sa
réputation.
128 Le dommage dont la requérante demande ainsi réparation, au titre d’un préjudice moral, est de nature immatérielle et correspond à une atteinte à son image ou à sa réputation.
129 Or, il ressort de la jurisprudence rendue sur le fondement de l’article 268 TFUE, lu en combinaison avec l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, qu’un préjudice moral peut, en principe, être indemnisé à l’égard d’une personne morale (voir, en ce sens, arrêts du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T‑230/95, EU:T:1999:11, point 37, et du 15 octobre 2008, Camar/Commission, T‑457/04 et T‑223/05, non publié, EU:T:2008:439, point 56 et jurisprudence citée) et qu’un tel préjudice peut prendre la forme d’une
atteinte à l’image ou à la réputation de ladite personne (voir, en ce sens, arrêts du 9 juillet 1999, New Europe Consulting et Brown/Commission, T‑231/97, EU:T:1999:146, points 53 et 69 ; du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission, T‑88/09, EU:T:2011:641, points 70 à 76, et du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil, T‑384/11, EU:T:2014:986, points 80 à 85).
130 Pour autant que le Conseil entend se prévaloir de la jurisprudence de la Cour EDH, il y a lieu de rappeler que celle-ci n’exclut pas, au vu de sa propre jurisprudence et à la lumière de cette pratique, qu’il puisse y avoir, même pour une société commerciale, un dommage autre que matériel appelant une réparation pécuniaire, une telle réparation dépendant des circonstances de chaque espèce (Cour EDH, 6 avril 2000, Comingersoll S.A. c. Portugal, CE :ECHR :2000 :0406JUD 003538297, § 32 et 35). Ce
dommage peut comporter, pour une telle société, des éléments plus ou moins « objectifs » et « subjectifs », parmi lesquels figure la réputation de l’entreprise, dont les conséquences ne se prêtent pas à un calcul exact (Cour EDH, 6 avril 2000, Comingersoll S.A. c. Portugal, CE :ECHR :2000 :0406JUD 003538297, § 35). Ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la Cour EDH du 2 février 2016, Magyar Tartalomszolgáltatók Egyesülete et index.hu Zrt c. Hongrie (CE :ECHR :2016 :0202JUD 002294713, § 84), cette
jurisprudence de la Cour EDH n’a pas été remise en cause par l’arrêt de la Cour EDH du 19 juillet 2011, Uj c. Hongrie (CE :ECHR :2011 :0719JUD 002395410), cité par le Conseil, lequel est seulement venu préciser que ledit dommage était, pour une société, de nature commerciale plutôt que morale.
131 Dès lors, il y a lieu d’écarter tant les arguments de la Commission selon lesquels le préjudice moral prétendument subi par la requérante se confondrait avec le préjudice matériel qu’elle invoque que les arguments du Conseil selon lesquels la requérante, en tant que société commerciale, ne pourrait pas être indemnisée pour un préjudice moral correspondant à une atteinte à sa réputation.
132 S’agissant de la réalité du préjudice moral prétendument subi, il convient de rappeler que, en ce qui concerne plus particulièrement un tel préjudice, si la présentation de preuves ou d’offres de preuve n’est pas nécessairement considérée comme une condition de la reconnaissance d’un tel dommage, il incombe tout au moins à la partie requérante d’établir que le comportement reproché à l’institution concernée était de nature à lui causer un tel préjudice (voir arrêt du 16 octobre 2014, Evropaïki
Dynamiki/Commission, T‑297/12, non publié, EU:T:2014:888, point 31 et jurisprudence citée ; voir également, en ce sens, arrêt du 28 janvier 1999, BAI/Commission, T‑230/95, EU:T:1999:11, point 39).
133 En outre, si, dans l’arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331), la Cour a jugé que l’annulation de mesures restrictives illégales était de nature à constituer une forme de réparation du préjudice moral subi, il n’en découle pas pour autant que cette forme de réparation suffit nécessairement, dans tous les cas, à assurer la réparation intégrale de ce préjudice, toute décision à cet égard devant être prise sur la base d’une appréciation des circonstances de
l’espèce (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 49).
134 En l’espèce, les seuls éléments de preuve recevables soumis par la requérante ne permettent toutefois pas de constater que la reconnaissance de l’illégalité du comportement reproché au Conseil et l’annulation des actes litigieux n’auraient pas suffi, en tant que telles, à réparer le préjudice moral prétendument subi du fait de l’atteinte portée par les actes litigieux à sa réputation.
135 Ainsi et sans même qu’il soit besoin d’examiner la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité, il y a donc lieu de rejeter la demande en réparation d’un préjudice moral formulée par la requérante.
b) Sur le préjudice matériel prétendument subi
136 La requérante prétend avoir subi un préjudice matériel du fait de l’adoption des actes litigieux. À ce titre, elle demande que le Conseil soit condamné à lui payer, dans la requête, des indemnités d’un montant de 3774187,07 euros, de 84767,66 GBP (environ 94939 euros) ainsi que de 1532688 USD (environ 1318111 euros). Dans la réplique, elle a modifié ses prétentions en réclamant des indemnités d’un montant respectif de 2494484,07 euros, de 84767,66 GBP (environ 94939 euros), de 33945 millions
d’IRR (environ 678900 euros) et de 1532688 USD (environ 1318111 euros).
137 La requérante distingue ainsi, au sein du préjudice matériel qu’elle invoque, trois éléments.
138 Le premier élément du préjudice matériel prétendument subi consiste en la perte des intérêts que la requérante aurait pu percevoir si elle avait fait transférer et fructifier, en Iran, les fonds déposés sur ses comptes dans l’Union. La période à prendre en compte, à cet égard, s’étendrait du mois de juillet 2010, durant lequel les premières mesures restrictives auraient été prises à son égard, au mois de novembre 2013, durant lequel les actes litigieux auraient cessé de produire leurs effets.
Pour cet élément, la requérante réclame, dans la requête, des indemnités d’un montant de 17733,48 euros, de 2544,82 GBP (environ 2850 euros) ainsi que de 421,05 USD (environ 362 euros).
139 Le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi consiste en la perte des intérêts que la requérante aurait pu percevoir si elle avait fait transférer et fructifier, en Iran, les sommes que trois sociétés d’assurance ou de réassurance auraient dû lui verser sur ses comptes dans l’Union. La période à prendre en compte, à cet égard, s’étendrait de la date d’exigibilité des créances concernées jusqu’au mois de novembre 2013, durant lequel les actes litigieux auraient cessé de produire
leurs effets. Pour cet élément, la requérante réclame, dans la requête, des indemnités d’un montant de 557196,09 euros, de 82222,84 GBP (environ 92089 euros) ainsi que de 1532266,95 USD (environ 1317749 euros).
140 Le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi correspond au manque à gagner que la requérante estime avoir subi du fait de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de passagers ou de fret. La période à prendre en compte, à cet égard, s’étendrait du mois de juillet 2010, durant lequel les premières mesures restrictives auraient été prises à son égard, au mois de novembre 2013, durant lequel les actes litigieux auraient cessé de produire leurs effets. Pour cet
élément, la requérante réclame, dans la requête, une indemnité d’un montant de 3199257,50 euros, au titre de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de passagers, et indique que le montant de l’indemnité pour la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de fret sera établi à un stade ultérieur de la procédure. Dans la réplique, elle demande une indemnité d’un montant de1919554,50 euros, au titre de la non-souscription de contrats d’assurance pour le
transport de passagers, ainsi qu’une indemnité d’un montant de 33945 millions d’IRR (environ 678900 euros), au titre de la non-souscription de contrats d’assurance pour le fret.
141 Afin d’établir la réalité de l’ensemble des éléments du préjudice matériel prétendument subi, la requérante s’appuie sur le rapport SRA. Dans une déclaration jointe en annexe à la réplique, l’institut SRA certifie avoir respecté les principes d’indépendance et d’impartialité, vérifié les éléments de preuve et les documents pertinents et eu des entretiens avec les directeurs et les autorités compétentes. Selon la requérante, il est inévitable, aux fins de la démonstration d’un manque à gagner, de
se fonder sur des présomptions raisonnables.
142 En ce qui concerne le premier élément du préjudice matériel prétendument subi, la requérante avance que les montants déposés sur ses comptes dans l’Union ressortent à suffisance de droit des documents produits en annexe à la requête. Le rapport SRA aurait procédé à une estimation prudente du rendement qui aurait pu être celui, en Iran, des montants concernés, en appliquant à ces derniers le taux d’intérêt de 6 % qui a été certifié par l’institut SRA.
143 Au stade de la réplique et de ses observations sur le mémoire en intervention, la requérante insiste sur le fait que, en raison de l’adoption des actes litigieux, elle a été privée de la possibilité de disposer des fonds qui avaient été gelés sur ses comptes dans l’Union et, en particulier, de les réinvestir de manière dynamique et profitable, en Iran. L’institut SRA aurait fondé son estimation sur la pratique qui aurait été la sienne d’utiliser les devises étrangères dont elle disposerait pour
conclure des contrats de réassurance libellés dans ces mêmes devises. Par ailleurs, il serait usuel, en Iran, que des contrats d’assurance ou des comptes soient libellés en devises étrangères.
144 En ce qui concerne le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi, la requérante avance que les montants que trois sociétés d’assurance ou de réassurance auraient dû verser sur ses comptes dans l’Union ressortent des documents produits en annexe à la requête. Ils auraient été vérifiés par l’institut SRA avant d’être repris dans le rapport SRA. Les intérêts perdus sur ces montants auraient été calculés selon une méthode qui serait expliquée dans ledit rapport. Au stade de la réplique
et de ses observations sur le mémoire en intervention, elle insiste sur le fait que, en raison de l’adoption des actes litigieux, elle a été privée de la possibilité de disposer des devises étrangères qui lui étaient dues par trois sociétés d’assurance ou de réassurance et, en particulier, de les réinvestir de manière dynamique et profitable, en Iran.
145 En ce qui concerne le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi, la requérante avance que l’existence de bénéfices potentiels perdus en raison de l’adoption des actes litigieux est démontrée par le fait qu’elle concluait des contrats d’assurance pour le transport de passagers dans l’Union avant ladite adoption, comme l’indique le rapport SRA et comme en témoigne la note de crédit adressée à une société d’assurance, produite en annexe à la requête. La perte de tels contrats, dans
l’Union, serait liée auxdits actes et non à la législation américaine, qui était seulement applicable sur le territoire des États-Unis. Une estimation du nombre et de la valeur des contrats d’assurance pour le transport de passagers non souscrits, reposant sur le nombre et la valeur des contrats antérieurement souscrits, figurerait dans ledit rapport. L’institut SRA certifierait, dans un document annexé à la réplique, avoir fondé cette estimation sur les « données des polices d’assurance
souscrites durant les deux années précédant l’adoption des mesures restrictives, sur la base des rapports financiers audités de la [requérante] en coopération avec [ladite société d’assurance] ». Au stade de la réplique, elle applique, conformément aux instructions dudit institut, une déduction de 40 %, correspondant au niveau de ses coûts, sur le montant de l’indemnité initialement réclamée dans la requête, au titre de la non-souscription de contrats d’assurance pour les passagers. Concernant
la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de fret, le montant du dommage aurait été évalué, par cet institut, par l’application directe de la déduction de 40 % correspondant au niveau de ses coûts.
146 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste, en tout état de cause, que la requérante ait prouvé l’existence des trois éléments du préjudice matériel prétendument subi.
147 Le Conseil, soutenu par la Commission, met en cause la valeur probante du rapport SRA, dans la mesure où il n’est pas étayé par des documents détaillés et certifiés par un expert indépendant et extérieur à la requérante, comme le prévoit la jurisprudence. De plus, ledit rapport serait rédigé en persan et seulement accompagné d’une traduction libre de la requérante. La déclaration de l’institut SRA produite par la requérante aux fins de démontrer la fiabilité d’un tel rapport ne suffirait pas à
satisfaire aux exigences en matière de preuve. La requérante n’apporterait pas les éléments de preuve sur lesquels se serait appuyé ledit institut pour rédiger son rapport. Elle ne pourrait valablement prétendre que ces éléments seraient confidentiels, car les dispositions iraniennes relatives au devoir de confidentialité ne l’emporteraient pas sur la jurisprudence du juge de l’Union, laquelle exigerait qu’elle fournisse les preuves du dommage qu’elle allègue et du lien de causalité entre ce
dernier et l’illégalité alléguée.
148 Concernant le premier élément du préjudice matériel prétendument subi, le Conseil, soutenu par la Commission, avance que le rapport SRA repose sur une simple supposition de dommage, sans expliquer comment celui-ci se serait effectivement produit. Il ne comporterait aucune explication ni documentation précise et ne serait donc pas suffisant pour prouver l’existence de cet élément. Il serait impossible de savoir si ledit rapport prend en compte le fait que des intérêts ont pu s’accumuler sur les
comptes de la requérante dans l’Union. Les actes litigieux n’auraient pas fait obstacle au versement de tels intérêts mais seulement à leur éventuel retrait. En principe, la requérante n’aurait donc subi aucun dommage résultant de la perte des intérêts exigibles sur ses comptes dans l’Union. La requérante ne démontrerait pas que, si elle avait pu réinvestir, en Iran, les montants gelés sur ses comptes dans l’Union, elle aurait pu bénéficier d’un taux d’intérêt moyen de 6 %, à savoir un taux
d’intérêt cumulé de 19 % sur trois ans. Elle n’aurait pas tenu compte du fait que, si ces montants avaient été convertis dans sa monnaie nationale, ils auraient perdu de leur valeur du fait de la chute de 57 % de la valeur du rial iranien par rapport à l’euro entre les mois de juillet 2010 et de novembre 2013. La requérante n’apporterait pas non plus la preuve qu’elle aurait pu bénéficier d’un taux d’intérêt moyen de 6 % sur des comptes libellés en euros.
149 Concernant le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi, le Conseil, soutenu par la Commission, conteste que la requérante ait démontré qu’elle aurait pu obtenir la rémunération qu’elle allègue sur les montants qui auraient dû lui être versés par trois sociétés d’assurance ou de réassurance. Il se fonde sur les mêmes arguments que ceux qu’il avance au sujet des montants gelés sur les comptes de la requérante dans l’Union (point 148 ci-dessus). Il observe que les documents fournis
par la requérante ne contiendraient aucune preuve des montants qui lui étaient prétendument dus par les trois sociétés concernées.
150 Concernant le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi, le Conseil, soutenu par la Commission, avance que, lorsque le dommage allégué résulte de la perte de la possibilité de mener des activités commerciales de nature spéculative, comme cela est le cas en l’espèce, le niveau de preuve requis est particulièrement élevé selon la jurisprudence. La requérante n’aurait pas respecté un tel niveau de preuve. S’agissant de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de
passagers, elle se bornerait à inférer le manque à gagner qu’elle aurait subi entre les mois de juillet 2010 et de novembre 2013, finalement estimé à 1919554,50 euros, du chiffre d’affaires annuel moyen, de 969471,97 euros, qu’elle aurait réalisé sur ce type de contrats au cours des deux années précédentes. Elle n’aurait cependant pas fourni les contrats d’assurance pour le transport de passagers qui auraient été souscrits en 2008 et en 2009. La note de crédit adressée à une société d’assurance
en Allemagne, produite par la requérante, ne démontrerait ni qu’elle avait conclu avec cette société un contrat à hauteur des montants qu’elle réclame [ni même qu’elle entretenait avec celle-ci une relation contractuelle de longue date. En tout état de cause, la requérante omettrait de considérer que le manque à gagner ne pourrait correspondre qu’au bénéfice réalisé sur le chiffre d’affaires et non au chiffre d’affaires lui-même. En l’absence d’information sur les coûts de la requérante,
notamment ceux relatifs au contrat qu’elle affirmerait avoir conclu avec une société d’assurance, ou faute de pouvoir vérifier la fiabilité des informations transmises à cet égard, notamment lorsqu’elle prétend que le niveau de ses coûts est de 40 %, il ne serait pas possible de déterminer le montant exact du manque à gagner éventuellement subi par celle-ci. S’agissant de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de fret, la requérante se bornerait à déduire le manque à
gagner qu’elle aurait subi d’une note dépourvue de valeur probante, dans la mesure où elle a été établie par la requérante elle-même, et imprécise, en ce qu’elle ne donnerait aucune indication ni sur la nature des contrats d’assurance prétendument affectés ni sur le manque à gagner relatif à ces contrats.
151 À titre liminaire, il importe de souligner que la requérante n’est fondée, dans le cadre du présent recours, à se prévaloir que du préjudice matériel qui se rapporte à la période durant laquelle ses fonds ont été gelés par l’effet des actes litigieux, à savoir la période allant du 27 octobre 2010 au 15 novembre 2013 (ci-après la « période pertinente »).
152 Dans la mesure où une grande part des prétentions de la requérante concernant le dommage matériel repose sur les évaluations contenues dans le rapport SRA, dont la valeur probante est contestée par le Conseil, soutenu par la Commission, il y a lieu de commencer par l’examen de la valeur probante de ce rapport.
1) Sur la valeur probante du rapport SRA évaluant le préjudice matériel prétendument subi
153 En l’absence d’une réglementation de l’Union sur la notion de preuve, le juge de l’Union a consacré un principe de libre administration ou de liberté des moyens de preuve, lequel doit être compris comme étant la faculté de se prévaloir, pour prouver un fait donné, de moyens de preuve de toute nature, tels des témoignages, des preuves documentaires, des aveux, etc. (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2000, Met-Trans et Sagpol, C‑310/98 et C‑406/98, EU:C:2000:154, point 29 ; du 8 juillet 2004,
Dalmine/Commission, T‑50/00, EU:T:2004:220, point 72, et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, EU:C:2008:604, points 113 et 114). Corrélativement, le juge de l’Union a consacré un principe de libre appréciation de la preuve, selon lequel la détermination de crédibilité ou, en d’autres termes, de la valeur probante d’un élément de preuve est laissée à l’intime conviction du juge (arrêt du 8 juillet 2004, Dalmine/Commission, T‑50/00,
EU:T:2004:220, point 72, et conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Archer Daniels Midland/Commission, C‑511/06 P, EU:C:2008:604, points 111 et 112).
154 Pour établir la valeur probante d’un document, il faut tenir compte de plusieurs éléments, tels que l’origine du document, les circonstances de son élaboration, son destinataire, son contenu, et se demander si, d’après ces éléments, l’information qu’il contient paraît sensée et fiable (arrêts du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et
T‑104/95, EU:T:2000:77, point 1838, et du 7 novembre 2002, Vela et Tecnagrind/Commission, T‑141/99, T‑142/99, T‑150/99 et T‑151/99, EU:T:2002:270, point 223).
155 Dans ce contexte, le juge de l’Union a déjà estimé qu’une analyse, produite par un requérant, ne pouvait être considérée comme une expertise neutre et indépendante, dans la mesure où elle avait été demandée et financée par le requérant lui-même et établie sur le fondement de bases de données mises à disposition par celui-ci, sans que l’exactitude ou la pertinence de ces données aient fait l’objet d’une quelconque vérification indépendante (voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2011,
Siemens/Commission, T‑110/07, EU:T:2011:68, point 137).
156 Le juge de l’Union a également déjà eu l’occasion d’affirmer qu’un rapport d’expertise ne pouvait être considéré comme probant qu’en raison de son contenu objectif et qu’une simple affirmation non étayée, figurant dans un tel document, n’était pas, en elle-même, concluante (voir, en ce sens, arrêt du 16 septembre 2004, Valmont/Commission, T‑274/01, EU:T:2004:266, point 71).
157 C’est à la lumière des principes rappelés aux points 153 à 156 ci-dessus qu’il y a lieu d’apprécier, en l’espèce, la valeur probante du rapport SRA.
158 À cet égard, il y a lieu d’observer que le rapport SRA a été établi, à l’origine, en persan et que la traduction fournie par la requérante, en langue de procédure, est une traduction libre. Dans cette mesure, le Tribunal n’est pas assuré que la traduction en langue de procédure dudit rapport fournie par la requérante est fidèle à l’original. Par ailleurs, ce rapport a été établi par une entité établie en Iran, l’institut SRA, qui est présentée comme étant un expert-comptable officiel. Aucune
preuve à cet égard n’a cependant été versée au dossier. Il ressort de la traduction en langue de procédure du même rapport que « l’audit [qu’il contient a été] effectué aux seules fins d’assister [la requérante] dans l’évaluation du montant du dommage qu’elle a subi » du fait des actes litigieux. Le rapport en question a ainsi été établi à la demande de la requérante et financé par elle aux fins d’attester, dans le cadre du présent litige, la réalité et l’ampleur du dommage matériel allégué. De
plus, ainsi qu’il ressort de la traduction en langue de procédure du rapport concerné, ce dernier repose essentiellement sur des documents ou des données transmises par la requérante. Il importe toutefois de souligner que les documents fournis par la requérante ne sont pas annexés au rapport et n’ont pas été produits dans le cadre de la présente procédure, de sorte que le Tribunal ne peut pas en prendre connaissance. Enfin, la traduction en langue de procédure du rapport en cause indique que les
données chiffrées transmises par la requérante ont été retenues, en l’absence de « toute preuve de leur caractère inexact ».
159 Pour autant qu’il ressort de la traduction libre, en langue de procédure, de la déclaration de l’institut SRA que ce dernier serait un comptable agréé soumis au respect de principes d’indépendance et d’impartialité et qu’il aurait « vérifié les preuves et les documents » transmis par la requérante, comme cela est également mentionné dans le rapport SRA, il convient d’observer que cette déclaration émane d’un déclarant qui atteste pour lui-même et qu’elle n’est étayée par aucun élément externe
qui viendrait en corroborer le contenu.
160 En raison du contexte dans lequel le rapport SRA a été établi et en vertu des principes rappelés aux points 153 à 156 ci-dessus, la valeur probante de ce rapport doit être grandement relativisée. Celui-ci ne peut être considéré comme étant suffisant pour faire la preuve de ce qui y est contenu, notamment en ce qui concerne la réalité et l’ampleur du dommage allégué. Tout au plus pourrait-il valoir en tant que commencement de preuve, lequel devrait être corroboré par d’autres éléments probants.
2) Sur le premier élément du préjudice matériel prétendument subi
161 Pour autant que, aux fins de prouver le premier élément du préjudice matériel prétendument subi, la requérante se fonde sur le point 1 du rapport SRA, il y a lieu de rappeler que, comme cela a déjà été observé au point 160 ci-dessus, ce rapport ne peut être considéré comme étant suffisant pour faire la preuve de ce qui y est contenu et qu’il doit être corroboré par d’autres éléments de preuve.
162 Les seuls éléments de preuve recevables fournis par la requérante sont des lettres d’une première banque des 6 et 23 août 2010, d’une deuxième banque des 23 août 2010 et 25 avril 2014 et d’une troisième banque des 28 juillet 2010 et 22 avril 2014, qui font état de montants totaux de 89563,02 euros, de 12853,84 GBP (environ 14396 euros) et de 2126,51 USD (environ 1828 euros) déposés par la requérante sur des comptes dans l’Union et qui auraient été soumis aux mesures de gel des fonds prises à son
égard depuis le 26 juillet 2010. Ces lettres semblent avoir servi de fondement aux montants reportés dans le premier tableau reproduit au point 1 du rapport SRA. Elles attestent également que des demandes de transfert de fonds que la requérante a adressées auxdites banques au cours de l’été 2010 ont été rejetées par ces dernières en raison des mesures de gel des fonds prises à son égard depuis le 26 juillet 2010.
163 Le Conseil n’a pas contesté les montants reportés dans les lettres mentionnées au point 161 ci-dessus mais observe, en substance, que la requérante n’a établi, à suffisance de droit, ni que ces montants n’avaient produit aucun intérêt durant la période pertinente ni que ces montants, s’ils avaient pu être transférés en Iran, lui auraient rapporté un intérêt annuel de 6 % au cours de la période pertinente. La Commission a également observé, au point 11, sous i), du mémoire en intervention, que
« les annexes A.12 à A.14 [de la requête] offr[ai]ent un instantané aléatoire et incomplet des différentes transactions et des soldes de comptes ».
164 À cet égard, il y a lieu de constater que les informations contenues dans les lettres mentionnées au point 161 ci-dessus s’apparentent à de simples déclarations émanant des banques en cause. Même si ces déclarations ont été émises par des banques qui ont elles-mêmes été soumises à des mesures restrictives, elles ne sont pas pour autant dépourvues de toute valeur probante, en raison de leur caractère précis, circonstancié et raisonnable. En effet, ces déclarations se réfèrent à des numéros de
comptes et à des montants précis et relativement modestes à la date du 6 août 2010, s’agissant de la première banque visée au point 162 ci-dessus, du 20 mars 2013, s’agissant de la deuxième banque visée au point 162 ci-dessus, et du 20 mars 2014, s’agissant de la troisième banque visée au point 162 ci-dessus. Par ailleurs, l’argument de la Commission tiré du caractère aléatoire des montants visés doit dans une certaine mesure être relativisé au regard du fait que les fonds de la requérante sont
restés gelés de manière continue entre le 27 juillet 2010 et le 18 octobre 2015, date à laquelle le nom de la requérante a été supprimé des listes litigieuses, et du fait que, sauf accumulation d’intérêts, ni aucun tiers ni la requérante n’ont dû effectuer de virements à destination de ces comptes après l’adoption des premières mesures restrictives à l’égard de la requérante. De plus, les demandes de transfert de fonds adressées par la requérante aux deuxième et troisième banques susmentionnées
confirment que des montants équivalents à ceux indiqués en mars 2013 ou en mars 2014 figuraient déjà sur les comptes de la requérante à l’été 2010.
165 Cela étant observé, pour constituer une preuve suffisante du premier élément du préjudice matériel prétendument subi, les déclarations figurant dans le rapport SRA et les lettres mentionnées au point 161 ci-dessus auraient dû être corroborées par d’autres éléments de preuve.
166 En effet, seuls des éléments de preuve tels que des relevés ou des conventions de comptes remontant à la période pertinente auraient permis au Tribunal d’être assuré que les fonds déposés sur les comptes en cause n’avaient pas varié durant toute la période pertinente et que ces fonds n’avaient produit aucun intérêt au cours de cette même période. Aucune information au sujet des intérêts ne figure dans les lettres des première et troisième banques visées au point 162 ci-dessus. En outre, si la
lettre du 25 avril 2014 de la deuxième banque visée au point 162 ci-dessus indique qu’aucun intérêt n’a été versé sur les comptes au 20 mars 2014, ou que seuls des intérêts négligeables ont été versés, elle ne précise pas à partir de quelle date ces intérêts ont été calculés. Or, les fonds figurant sur les comptes de la requérante dans l’Union pendant la période pertinente et les informations relatives à d’éventuels intérêts produits par ces fonds durant la même période étaient des informations
essentielles pour évaluer le premier élément du préjudice matériel prétendument subi.
167 Il importe de noter que des éléments de preuve recevables auraient dû être produits pour établir que, si les fonds figurant sur les comptes de la requérante dans l’Union pendant la période pertinente avaient pu être transférés en Iran, ceux-ci auraient produit un intérêt annuel de 6 %. Les lettres citées au point 161 ci-dessus ne contiennent aucune information à cet égard. Le fait que le rapport SRA applique un tel taux, présenté comme étant le « taux d’intérêt annuel moyen pour les comptes en
devises étrangères » dans le second tableau reproduit au point 1 dudit rapport, n’est pas suffisant, compte tenu de ce que ce rapport n’est lui-même pas suffisant pour faire la preuve de ce qu’il contient.
168 La requérante a donc failli à la charge qui lui incombait de prouver le premier élément du préjudice matériel prétendument subi correspondant à la perte des intérêts qu’elle aurait pu percevoir si elle avait transféré et fait fructifier, en Iran, les fonds déposés sur ses comptes dans l’Union.
169 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter la demande de la requérante visant à obtenir réparation du préjudice matériel prétendument subi en ce qui concerne le premier élément de ce préjudice.
3) Sur le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi
170 Pour autant que, aux fins de prouver le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi, la requérante se fonde sur le point 2 du rapport SRA, il y a lieu de rappeler que ce rapport ne peut être considéré comme étant suffisant pour faire la preuve de ce qui y est contenu et qu’il doit être corroboré par d’autres éléments de preuve.
171 Les seuls éléments de preuve recevables que la requérante a fournis à cet égard sont un relevé de compte d’une première société d’assurance et de réassurance indiquant un solde total dû à la requérante de 1053268,62 euros au 1er avril 2014, une note de débit pour un montant de 189547,60 euros émise par la requérante à l’égard de ladite société le 20 avril 2009, un relevé de compte, en persan, d’une deuxième société d’assurance et de réassurance, une note de débit pour un montant de
265444,21 euros émise par la requérante à l’égard de cette dernière société le 5 décembre 2009, un relevé de compte d’une troisième société d’assurance et de réassurance indiquant un solde dû à la requérante de 1344859,30 euros au 30 septembre 2014 ainsi qu’une lettre et des messages électroniques adressés par cette dernière société à la requérante en date du 25 novembre 2010 et des 2 et 8 octobre 2012, indiquant l’impossibilité ou la difficulté d’effectuer des paiements en faveur de la
requérante du fait des sanctions prises à son égard.
172 Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste que les notes de débit et les relevés de compte produits par la requérante suffisent à prouver le montant des fonds qui lui étaient dus par les trois sociétés d’assurance et de réassurance en cause et dont le paiement aurait été gelé par l’effet des actes litigieux. En outre, il estime que la requérante n’a pas établi, à suffisance de droit, que ces fonds, s’ils avaient pu être transférés en Iran, lui auraient rapporté un intérêt annuel de 6 % au
cours de la période pertinente.
173 À cet égard, il y a lieu de constater que le relevé de compte de la deuxième société d’assurance et de réassurance visée au point 171 ci-dessus n’est pas un élément de preuve qui puisse être pris en compte par le Tribunal, dans la mesure où il est établi en persan et où aucune traduction dans la langue de procédure, à savoir l’anglais, n’a été fournie. En particulier, les chiffres utilisés dans ce document étant des chiffres persans, il n’est pas possible d’en prendre connaissance et de les
comparer avec ceux repris dans les écritures de la requérante. Il y a donc lieu de dénier toute valeur probante à ce document.
174 Les relevés de compte des première et troisième sociétés d’assurance et de réassurance visées au point 171 ci-dessus ont été établis, respectivement, au 1er avril et au 30 septembre 2014 et aucune indication figurant dans ceux-ci ne permet de s’assurer qu’ils ne portent que sur des créances ou des dettes entre chacune des trois sociétés d’assurance et de réassurance et la requérante qui seraient nées durant la période pertinente, à savoir entre le 27 octobre 2010 et le 15 novembre 2013. Il
convient donc de constater que ces documents ne fournissent pas de preuve suffisante des fonds dus à la requérante par lesdites sociétés d’assurance et de réassurance et dont le paiement aurait été gelé par l’effet des actes litigieux.
175 Les notes de débit émises par la requérante à l’égard des première et deuxième sociétés d’assurance et de réassurance visées au point 171 ci-dessus remontent, respectivement, au 20 avril et au 5 décembre 2009 et se réfèrent nécessairement à des créances qui sont nées antérieurement à la période pertinente, durant laquelle les actes litigieux ont produit leurs effets. Ces documents ne sont donc pas de nature à attester les fonds dus à la requérante par ces sociétés d’assurance et de réassurance,
dont le paiement aurait été gelé par l’effet des actes litigieux.
176 Enfin, la lettre et les messages électroniques adressés par la troisième société d’assurance et de réassurance visée au point 171 ci-dessus à la requérante ne mentionnent aucun montant dû à cette dernière par ladite société. Partant, ces documents ne sont pas de nature à attester les fonds dus à la requérante par cette société d’assurance et de réassurance, dont le paiement aurait été gelé par l’effet des actes litigieux.
177 En tout état de cause, aucun des documents mentionnés aux points 173 à 176 ci-dessus ne contient d’informations concernant la possibilité qu’aurait eue la requérante de percevoir un intérêt annuel de 6 % sur ces fonds, s’ils avaient pu être transférés en Iran. Or, comme cela a déjà été relevé au point 167 ci-dessus, certains éléments de preuve complémentaires et recevables manquent à cet égard dans le dossier.
178 La requérante a donc failli à la charge qui lui incombait de prouver le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi, correspondant à la perte des intérêts qu’elle aurait pu percevoir si elle avait reçu, transféré et fait fructifier, en Iran, les fonds que lui auraient dus trois sociétés d’assurance et de réassurance.
179 Dans ces circonstances, il y a lieu de rejeter la demande de la requérante visant à obtenir réparation du préjudice matériel prétendument subi en ce qui concerne le deuxième élément de ce préjudice.
4) Sur le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi
180 Pour autant que, aux fins de prouver le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi, la requérante se fonde sur le point 3 du rapport SRA, il y a lieu de rappeler que ce rapport ne peut être considéré comme étant suffisant pour faire la preuve de ce qui y est contenu et qu’il doit être corroboré par d’autres éléments de preuve.
181 Les seuls éléments de preuve recevables que la requérante a fournis à cet égard sont une note de crédit d’un montant de 76187,65 euros émise à l’égard d’une société d’assurance le 24 avril 2010 ainsi qu’une lettre interne du 14 avril 2014, en persan, émanant du directeur des affaires juridiques et contractuelles, accompagnée d’une traduction libre en langue de procédure.
182 Le Conseil, soutenu par la Commission, estime, en substance, que les documents produits par la requérante ne démontrent pas l’existence d’une relation contractuelle établie et durable à hauteur des montants qu’elle réclame.
183 À cet égard, il y a lieu d’observer que la note de crédit émise par la requérante à l’égard d’une société d’assurance remonte au 20 avril 2010 et se réfère à l’exécution d’un programme d’assurance voyage pendant une période qui est antérieure à la période pertinente, durant laquelle les actes litigieux ont produit leurs effets. Ce document ne fournit aucune indication de ce que le programme d’assurance voyage qu’il concerne avait vocation, après la période d’exécution qui y était mentionnée, à
se poursuivre ou à se renouveler, notamment tout au long de la période pertinente. Ce document n’est donc pas de nature à attester un manque à gagner subi par la requérante du fait de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de passagers et de fret qui aurait été lié aux mesures restrictives prises à l’égard de la requérante dans les actes litigieux.
184 Par ailleurs, la lettre du 14 avril 2014 émanant du directeur des affaires juridiques et contractuelles de la requérante ne peut se voir reconnaître, en tant que telle, qu’une valeur probante faible, dans la mesure où elle n’a fait l’objet que d’une traduction libre et qu’elle émane de la partie même qui l’invoque à l’appui de ses propres conclusions. En tout état de cause, il ressort de la traduction libre de cette lettre que, « sur la base d’une brève enquête, les dommages encourus par la
société (primes) résultant des mesures restrictives adoptées par l’Union européenne pendant plusieurs mois s’élèvent à 56601043645 [IRR (environ 1132020 euros)] ». Une telle déclaration est trop vague et imprécise pour permettre de constater que, durant la période pertinente, la requérante a effectivement subi un manque à gagner, du fait de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de passagers et de fret, lié à l’adoption des actes litigieux, à hauteur des montants
mentionnés dans ses écritures.
185 La requérante a donc failli à la charge qui lui incombait de prouver, à suffisance de droit, le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi correspondant au manque à gagner qu’elle aurait subi du fait de la non-souscription de contrats d’assurance pour le transport de passagers et de fret.
186 Dans ces circonstances, il convient de rejeter la demande de la requérante visant à obtenir réparation du préjudice matériel prétendument subi en ce qui concerne le troisième élément de ce préjudice.
187 Ainsi, sans même qu’il soit besoin d’examiner la condition tenant à l’existence d’un lien de causalité, il y a lieu de rejeter intégralement la demande en réparation d’un préjudice matériel formulée par la requérante.
188 Au vu de l’ensemble des appréciations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours dans son intégralité.
Sur les dépens
189 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
190 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce même règlement, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs dépens. Dès lors, la Commission supportera ses propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Iran Insurance Company supportera ses propres dépens ainsi que ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
3) La Commission européenne supportera ses propres dépens.
Pelikánová
Valančius
Nihoul
Svenningsen
Öberg
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2018.
Signatures
Table des matières
I. Antécédents du litige
II. Procédure et conclusions des parties
III. En droit
A. Sur la compétence du Tribunal
B. Sur la recevabilité du recours
C. Sur la recevabilité des éléments de preuve produits en annexe à la réplique et la demande de la requérante à être autorisée à produire des éléments de preuve complémentaires en cours de procédure
D. Sur le fond
1. Sur l’illégalité alléguée
a) Sur les règles de droit dont la violation est invoquée
b) Sur la question de savoir si les règles de droit dont la violation est invoquée ont pour objet de conférer des droits aux particuliers
c) Sur la question de savoir si le Conseil a commis une violation suffisamment caractérisée des règles de droit dont la violation est invoquée
2. Sur le dommage allégué et l’existence d’un lien de causalité entre l’illégalité du comportement reproché et ce dommage
a) Sur le préjudice moral prétendument subi
b) Sur le préjudice matériel prétendument subi
1) Sur la valeur probante du rapport SRA évaluant le préjudice matériel prétendument subi
2) Sur le premier élément du préjudice matériel prétendument subi
3) Sur le deuxième élément du préjudice matériel prétendument subi
4) Sur le troisième élément du préjudice matériel prétendument subi
Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.